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débarquent dand nod valléeé garnir ì

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Academic year: 2022

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№ 16 - Février 2 0 0 0

garnir ì

F o n d s e n d é s h é r e n c e , a f f a i r e R a o u l , c r a s h S w i s s a i r :

juged américaine

débarquent

dand nod valléeé

Jouer

n'est pas t u e r sa c a r r i è r e professionnelle

Société :

(2)

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18 février :

Histoires de dessous

Trois siècles de vie intime se déculot- tent pour une étonnante exposition qu'accueille le Musée historique de Lau- sanne du 18 février au 30 juillet. L'évo- lution des sous-vêtements de la fin du XVIIIe siècle à nos jours révèle les étranges rapports de notre société à ce qui se montre et ce qui ne peut être vu.

L'effeuillage commence en page 41

S O M M A I R E

•G JÊÊK.

La fin d'un préjugé tenace Quel parent n'a pas regretté les heures que les enfants semblaient perdre devant des jeux vidéo? Un préjugé battu en brèche par Stefano Mastrogiacomo.

Ce doctorant à l'Ecole des HEC de l'Université de Lausanne a transformé son hobby préféré en atout : il vient de créer le site Internet d'une banque pri- vée genevoise en utilisant des recettes puisées dans le fonctionnement des jeux informatiques. Interview en page 27

IMPRESSUM Allez savoir!

Magazine de l'Université de Lausanne

№ 16, février 2000 Tirage 21 '000 ex.

44'000 lecteurs (Etude M.I.S Trend 1998) Internet: http://www.unil.ch/spul Rédaction:

Service de presse de l'UNIL

Axel-A. Braquet resp., Florence Klausfelder BRA, 1015 Lausanne-Dorigny

Tél. 021/692 20 71 Fax 021/692 20 75 uniscope@unil.ch Rédacteur responsable:

Axel-A. Broquet

Conception originale et coordination:

Jocelyn Rochat, journaliste à L'Hebdo

Ont collaboré à ce numéro:

Sonia Arnal, Patricia Brambilla, Jacques-Olivier Pidoux, Michel Valu et Jean-Luc Vonnez Photographe: Nicole Chuard Correcteur: Albert Grun

Concept graphique: Richard Salvi, Chessel http://www.swisscraft.ch/salvl/

Imprimerie et publicité:

Imprimerie Corbaz SA

Editions-Publicité: Philippe Beroud Av. des Planches 22, 1820 Montreux Tél. 021 /966 81 81

Fax 021/966 81 83 Photos de couverture:

Juges US: «Démolition Man», Warner Bros.

Jeux informatiques: Lara Croft/ Eidos Sous-vêtements: DR

Edito page 2

LES ARBRES DE L'EXTRÊME page 3 La frontière de la vie page 4 Petit mais costaud page 6 Demain, le nouveau visage de la forêt page 8

LES JUGES AMÉRICAINE ONT DÉBARQUÉ

DANS NOS VALLÉES page 11 Du cinéma à notre réalité page 12 Ces Suisses attaqués aux Etats-Unis page 15 Roche comme Microsoft page 17 L'affaire Raoul? page 19

LES «PAROLES CACHÉES» DE JÉSUS page 20 Un cinquième évangile? page 22 La découverte de Nag Hammadi page 23 Les gnostiques page 25 Les apocryphes page 26

JOUER, CE N'EST PAS TUER SA CARRIÈRE PROFESSIONNELLE page 27 L'interview de Stefano Mastrogiacomo,

doctorant à l'Ecole des HEC page 28 Ce que les jeux peuvent nous apprendre page 33

S'IL TE PLAÎT, DESSINE-MOI UN MÉDICAMENT

SUR TON ORDINATEUR page 34 Les nouvelles drogues page 35 Comment le médicament voyage page 37 Quand l'ordinateur manipule les données de la vie page 38 Suicide cellulaire page 40

TROIS SIÈCLES DE VIE INTIME SE DÉCULOTTENT page 41 L'exhibition progressive page 42

L'apparition de la pub page 45 L'homme enfin dénudé page 48

CE Q U ' I L S EN P E N S E N T

La fabrication de l'humain, par Claude Calame, professeur de langue et littérature grecques à l'UNIL page 49 Abonnez-vous, c'est gratuit! page 51

F O R M A T I O N C O N T I N U E

Demandez le programme page 52 A C T U S

Semaine internationale du cerveau à Lausanne page 54 Religions sous la loupe page 55

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E D I T O

I U S T I C E

Tout a commen- cé avec les ban- ques suisses, mais la compagnie aé- rienne Swissair, le géant bâlois de la pharma Roche et le fabricant d'ar- mes SIG ont suivi de près. Ces en- treprises helvéti- ques ont dû puiser dans leur bas de laine suite à un passage devant les tribunaux amé-

ricains. Peu après les milliards de dé- dommagement versés par les banques aux victimes de la Shoah, Swissair annonçait des versements substantiels aux familles des victimes du crash du SR 111. Puis, dans une large indiffé- rence, Roche était condamné à une amende record pour une alliance car- tellaire illicite aux Etats-Unis (lire notre article en pages 15, 17 et 19).

L e nouvel axiome s'est encore vérifié quand la firme helvétique SIG a indi- qué qu'elle se séparait de sa filiale SIG Arms, jusqu'alors fournisseur tradi- tionnel de l'armée suisse en pistolets d'ordonnance et fusils d'assaut. Parmi les arguments invoqués, il y avait l'anti- cipation de l'issue ruineuse d'un autre procès engagé Outre-Atlantique. Les familles des victimes des armes à feu y ont attaqué les plus importants fabri- cants de pistolets de la planète, dont SIG. La perspective d'une amende carabinée doublée d'une baisse géné- rale des ventes a donc poussé l'armu- rier suisse à mettre l'arme au pied. Et demain, ce sera sans doute au tour de Novartis de casser sa tirelire pour indemniser les paysans américains qui se plaignent déjà des conséquences de la polémique sur les OGM (organismes génétiquement modifiés).

Avec la multiplication des condamna- tions de firmes suisses aux Etats-Unis, nous prenons lentement conscience de la révolution aussi discrète que symbo- lique qui se déroule sous nos yeux.

encams arqué

vallées

P„n¿> en ètsbirtna, compensation pour le .T.,..¿ Ai SR III, ,*/»•:,.

dation iV Ventéate cartel- /airea instruite p,irR, vbe ou affaire Kent : lté SIILW.I /ebapptnt Je plus en plu.' èifficilemeal aux sbéelfs et à leurs amende.' astronomique*.

D e puis des siè- cles, la Suisse vi- vait en paix, bien abritée derrière ses frontières. En toute simplicité, affairée à faire des affaires avec ses voisins, tran- quille dans son coin. Une quié- tude que le pays avait gagnée de haute lutte, lui qui a toujours interdit l'accès de ses vallées à des juges étrangers dont il n'approuverait pas les lois.

Et voilà que cette ingérence juridique dont le pays cherche à se protéger depuis 1291 arrive par où on ne l'atten- dait pas. On découvre soudain qu'il existe des pays où le simple fait de faire du business nous soumet à d'autres lois et à des juges étrangers, quand bien même les conseils d'administration et les sièges des entreprises impliquées sont en principe à l'abri dans un can- ton suisse. On découvre que

ce que ni la guerre, ni la ruse, ni les pressions internatio- nales n'ont obtenu, le busi- ness finit par l'imposer. Et que les multinationales sont aussi punies par certains aspects de la mondialisation.

O n découvre et on s'adapte à la nouvelle donne : depuis quelques semaines, l'Uni- versité de Lausanne propose en effet à ses étudiants en droit de se familiariser avec les lois américaines (voir en page 11). Cela ne nous pré-

servera probablement pas de la multi- plication prévisible de ce genre de plaintes, mais cela devrait permettre aux entreprises suisses d'assurer une défense moins pitoyable que cela a pu être le cas lors de la découverte du phé- nomène.

JoceLyn Rachat

Qui vit du

budinedd e<tt jugé par la world

justice et /amende en dollar**

2 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0

B O T A N I Q U E

WMÊÊKÊBM

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0 3

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Lej arbrej de l'extrême B O T A N I Q U E

O

n connaissait les hommes de l'extrême, ces skieurs qui inven- tent des figures libres entre ciel et glace.

Mais il y a aussi les arbres de l'extrême.

Oui repoussent les limites de la vie et parviennent à ficher leurs racines de courage dans les sols les plus hostiles.

De ces arbres qui tiennent les vents forts, le froid, le gel qui dure et les brû- lures de 1 été.

La frontière de la vie

Ce sont eux, les robustes, qui déli- mitent la frontière supérieure des forêts, si tant est que celle-ci puisse être définie: «On place généralement la limite des arbres, treeline, là où les indi- vidus mesurent plus de deux mètres.

Mais la forêt ne s'arrête pas d'un seul coup, il y a des zones de transition, appelées zones de combat, un terme qui montre bien que les espèces arborées vivent là dans des situations de plus en plus difficiles. En fait, dans le subal- pin supérieur, les arbres mesurent envi- ron quinze mètres et plus on monte en altitude, plus ils diminuent en taille

jusqu'à n'atteindre parfois que 20 cen- timètres. » Quand Thierry Largey parle de la limite des forêts, ses yeux s'ani- ment. Normal puisque cet assistant- doctorant en botanique à l'Université de Lausanne en a fait son sujet de thèse.

Ainsi la définition de la limite est floue, variable d'une région à l'autre, d'un climat à l'autre. Les chercheurs ont longtemps pensé que l'isotherme de 10° C en juillet représentait la frontière climatique de la forêt subalpine. C'est une observation vérifiée pour les Pré- alpes, mais pour les Alpes internes du Valais, par exemple, cela ne se confir- me pas. D'autres conditions, comme la quantité de chaleur durant la période de végétation ou la durée de l'ennei- gement, sont à prendre en ligne de compte.

La ténacité des conifères

Mais la question lancinante reste à poser: qui s'aventure ici, dans la val- lée de St-Nicholas, à quelque 2400 mè- tres d'altitude, dans des conditions aussi âpres (la température chute envi-

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ron de 0,5° C par 100 mètres et atteint là, parfois, -18°C en hiver)? Qui ose vivre là, dans ces terres abruptes, cas- sées, soumises à de fortes réverbéra- tions solaires et à de faibles pluies? Peu d'espèces peuvent prendre autant de risques, accepter cette vie acrobatique, toujours au bord du précipice et de l'anéantissement. En fait, il faut être conifère, dans les Alpes centrales, pour faire face à autant de disgrâces. Mais pas n'importe lesquels. Deux arbres seulement ont le tronc assez solide pour y parvenir : le mélèze (Larix deridua) et l'arolle (Pinuj cenibra).

Le pionnier élégant

Le premier est un pionnier. Un for- çat de la place, un conquérant. Don- nez-lui un terrain nu, grossier, un sol peu stable et le voilà qui s'installe. Vite et durablement (il peut vivre jusqu'à 1000 ans). Ce costaud élégant, dont les aiguilles jaunissent en automne et tom- bent en hiver, aime l'air sec, la pleine lumière et les grands froids ne l'ef- fraient pas. Aiguilles courtes serrées en

rosettes, le mélèze a la générosité des rustiques et la noblesse des cimes: il donne son bois imputrescible aux hom- mes, qui en font des meubles et des bateaux. C'est ainsi: il naît montagnard et finit corsaire.

Arolle : lent et fier

Mais il n'est pas le seul à s'avancer parfois jusqu'au bord de l'alpin, avenir tâter des déserts de l'altitude. L'arolle, lui aussi, a de l'audace. Sa spécialité:

les terrains rocailleux, inaccessibles au mélèze. Cet endurant parvient à plan- ter ses racines dans des failles de ro- cher, où une poche de terre a survécu.

Il parviendra, avec la force de la pa- tience, à se cramponner à des pitons rocheux, fera d'un lieu hostile et Spar- tiate un gîte acceptable. Parce que ce résineux enjambe les pierres, les em- balle ou les contourne s'il le faut, pour atteindre la moindre parcelle de sol. Il met du temps à pousser, à arriver, mais alors il règne en maître. Partageant les hauts espaces avec personne, si ce n'est l'aigle royal.

Arolle \iche Mélèze à Moojalp ( 2 3 2 2 mètre.* d'altitude)

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Led arbrej de l'extrême

H O T A N I Q U E

Une aiguille

dans une botte de glace

Mais pour vivre là, quelles res- sources de persévérance faut-il, quelles ruses, quelles stratégies? Imaginez les épreuves de l'hiver: «Les cristaux de neige emportés par le vent ont un rôle abrasif important sur les premières par- ties de la cuticule des aiguilles. Résul- tat: l'arbre perd encore plus d'eau par évapotranspiration. Si le sol est gelé, impossible de la repomper par les ra- cines. L'arbre risque alors ce qu'on appelle une dessication hivernale et les parties exposées au vent sèchent», explique Thierry Largey.

Mais la neige, dites-vous, n'est-elle pas là pour jouer les manteaux d'hiver, les matelas de fortune? Son rôle est am- bigu et tout dépend du contexte géné- ral. En effet, si les températures sont très basses, la neige sert à garder le milieu humide tout en le protégeant du gel.

Mais pour peu que le mercure remonte et que la neige s'attarde au printemps, et voilà le cortège des ennuis : «Non seu- lement elle limite la période de végéta-

tion, mais des petits champignons en profitent pour se développer. Ainsi, Her- potricbia nigra ou Phacidiiun INFUTANÀ pros-

pèrent dans cette humidité et se nichent dans l'écorce de l'arbre. Laquelle se décolle, ce qui interrompt le transfert de sève. Un problème pour l'arolle qui en perd ses aiguilles, dans les parties infes- tées», explique le spécialiste lausannois.

Petit mais costaud

En fait, il y a peu d'alliés à la fron- tière alpine. Pour survivre là, il faut se débrouiller par soi-même. En adaptant sa taille par exemple. Rien ne sert d'être grand quand chaque lame de froid apporte une brûlure. Mieux vaut être de petite stature, bien ramassé. Cer- tains individus se développent même en forme d'assiette, jetant leurs branches à plat contre le sol pour pro- fiter de toute réflexion de chaleur ou s'accoudant à un rocher, véritable «four solaire». A ces hauteurs, l'esthétique n'est plus possible : le vent vous gifle, vous casse en deux, vous empêche de tenir droit. Les arbres affichent des

silhouettes asymétriques, rabougries, voire complètement tordues. Mais qu'importe, ils goûtent au prix de la vie.

Fécondation in terreau

Il est un sacrifice plus important encore pour tenir à ces hauteurs: le renoncement à la fécondité. «C'est une affaire d'allocation d'énergie : faut-il se développer ou s'offrir le luxe de se reproduire? Ces arbres-là ont choisi:

ils investissent tout dans la résistance au froid et la longévité. » Et puis la dis- sémination des graines à cette altitude est trop improbable, et le gel tenace mord les bourgeons.

Une vie stérile, alors? Pas tout à fait.

Le mélèze, de même que l'épicéa, est passé maître du marcottage, un mode de reproduction végétatif. L'affaire consiste à émettre une branche sou- terraine et à faire pousser ce bras de sève à l'abri du ventre tiède de la terre.

Lequel devient ensuite un tronc, qui fait à son tour des racines et finit par se séparer de l'arbre-mère, donnant lieu à un nouvel individu, un clone.

Picea Abies prit en flagrant délit de marcottage

(technique de reproduction)

6 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0

Masochisme végétal?

On en vient quand même à se de- mander pourquoi de telles espèces choisissent ce mode de vie-là, austère et périlleux, cette existence réduite à sa plus simple expression. Par maso- chisme, par vocation? «Au fond, les plantes se trouvent souvent non pas là où elles aimeraient être, mais là où on les laisse vivre», fait remarquer Pierre Hainard, professeur de botanique à l'Université de Lausanne.

Et de citer l'exemple du pin sylvestre (Piniu jylvedtrU) : «Ce conifère coriace vit dans des lieux extrêmes, simplement parce qu'il n'a pas le choix de faire autre- ment. C'est un peu comme le clochard : il habite sous les ponts, mais cela ne veut pas dire qu'il n'aimerait pas vivre dans un bel attique de la rue de Bourg...»

A l'épreuve du feu

En effet, ce n'est pas par plaisir que le pin sylvestre s'est installé dans des zones impossibles - comme la forêt de

Finge en Valais : pas de défi à l'altitude ici, mais à la sécheresse. L'air de ce microcosme peut être extrêmement chaud et sec, les sols acides, et qui plus est, souvent ravagés par des incendies.

Mais le feu ne détruit pas le pin syl- vestre: il roussit, mais résiste. Et pros- père là où d'autres suffoquent.

Serait-il pyromane? Non, pas plus qu'un autre. Mais il a développé cette résistance, cette faculté ignifuge pour pallier sa grande faiblesse : son manque de compétitivité. Dès qu'une autre es- pèce s'installe et lui fait de l'ombre, le pin s'incline et disparaît. En revanche, sa force, c'est sa tolérance au terrain, sa large capacité d'adaptation. Mal ar- mé pour affronter les autres, il se rabat sur les espaces exigeants, que lui seul peut supporter.

La vie extrême n'est donc pas vrai- ment un choix. Plutôt une marge de repli, une terre de presque exil. La concurrence entre espèces est telle qu'il revient à chacune de développer une aptitude, un caractère, une compé- tence. Pas tant par envie ou par caprice que par nécessité de survie.

Patricia Brambilla

Le charme noueux des racines ou le travail souterrain de l'arbre

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L e d a r b r e s d e l ' e x t r ê m e

15 O T A N I Q 11 Y.

Demain,

le nouveau visage de la forêt

Avant toutes choses, il faut le dire: la forêt se porte bien.

Contrairement à ce que l'on pensait il y a une quinzaine d'années, elle n'est pas en train de mourir et ce n'est pas l'ouragan Lothar qui la mettra en péril.

25% reci

i paysage suisse sont

^ w KJ / U recouverts de forêt, un pourcentage qui, d'ailleurs, est en aug- mentation. En fait, dès que l'homme tourne le dos, la forêt reprend son ter- ritoire. Elle est encore et toujours capa- ble d'enterrer la civilisation humaine ! » lance Pierre Hainard, professeur de botanique à l'UNIL. Oui aime à citer Frédéric Dard : «Dès que tu t'occupes plus d'une chose ou d'un être, il péri- clite. Y'a que la nature qui, elle, s'épa- nouit sitôt qu'on lui fout la paix. La nature souveraine, embusquée, qui

nous guigne tous pour dissoudre nos cadavres, investir nos demeures, en- gloutir nos bagnoles et nos trains.»

A r b r e s migrateurs

Les forêts, «cette forme d'expression finale de la nature», ont donc encore plus d'une feuille dans leur sac. Ce qui ne signifie pas qu'elles soient immuables.

Leur visage change, s'étoffe, se garnit de nouveaux feuillus ou se perce de dévorantes clairières. Les forêts voya- gent, migrent, passent les cols et les val-

Pierre Hainard, professeur de botanique à l'UNIL

lées. Pas au rythme de l'homme, bien sûr.

Mais à leur rythme à elles : lent et ample.

En fait, leurs avancées sont invi- sibles : elles se passent en sous-sol, à la cadence des graines. Qui garnissent à foison les entrailles de la terre, veillent dans l'ombre, attendent, en état de la- tence, sans percer la croûte. Du moins, pas encore. Vont-elles éclore un jour?

Tout dépend du climat, de l'hygromé- trie, de l'ensoleillement...

Effets de serre

Augmentez par exemple les quanti- tés de C 0 2 et de chaleur, et vous ver- rez s'élever autour de vous une forêt digne du carbonifère, quand les fou- gères atteignaient soixante mètres de haut. Différents chercheurs, - dont Andréas Fischlin de l'ETHZ et Dimi- trios Gyalistas de l'Université de Berne ou Félix Kienast de l'Institut fédéral de recherches sur le paysage à Zurich - ont ainsi esquissé une hypothèse : que se passerait-il pour la végétation en cas de réchauffement de la température?

En effet, poussez le mercure vers le haut de deux à trois petits degrés et c'est toute la face des forêts qui est changée.

«Les ceintures de végétation cor- respondent chacune à environ 600 mètres d'altitude. Or chaque stratifi- cation correspond à 3° C... On peut ima- giner les modifications en cas de réchauffement», explique le chercheur

8 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0

lausannois Thierry Largey, qui s'em- presse de nuancer aussitôt: «Bien sûr, une telle modélisation a des limites.

Comme elle se base sur un climat-type, elle ne tient pas compte de tous les para- mètres. Or les plantes ne réagissent pas à une moyenne annuelle, mais à toute une série de micro-facteurs, comme la température printanière, l'activité du sol, la masse hygrométrique, etc.»

Sion steppique

Ces précautions prises, le travail de projection porte quand même des fruits intéressants. Sous la loupe, le cas par- ticulier de Sion et des Alpes internes, le plus captivant, parce que le plus sou- mis à des variations en cas de modifi- cation climatique. En effet, si la tem- pérature venait à monter, sans accroissement des précipitations, la val- lée du Rhône renforcerait ses allures de pelouse steppique à la manière des plai- nes de l'Est. Avec, pour conséquence immédiate, la disparition du chêne.

«Pourtant, celui-ci aime les milieux plutôt secs. On trouve des chênaies là

où il y a des dalles calcaires, permet- tant un écoulement très rapide de l'eau.

Mais là, avec un tel réchauffement, il ne pourrait pas survivre, il serait brûlé», confirme le spécialiste. Alors quoi, le chêne, voué à disparaître?

Incapable de grimper dans les étages pour trouver un peu de fraîcheur? «Il y a peu de chances qu'il s'installe plus

haut, dit Thierry Largey. Il se trouve- rait alors en compétition avec d'autres espèces, mieux armées que lui.»

C'est ainsi : la vie botanique tient à un fil, à un équilibre quasi miraculeux.

Augmentez le taux d'humidité, et voilà ce robuste pédoncule qui a horreur d'a- voir les pieds dans l'eau, aussitôt pressé de partir. Pour le plus grand plaisir du hêtre {Fagiu jyh'atica), ce roi des forêts tempérées à la présence vite abusive.

Les grands gagnants

Dans les zones subalpines, en cas d'augmentation de la température et de l'humidité, le premier grand gagnant de l'affaire serait le sapin blanc. Ce rési- neux aux aiguilles soulignées de deux lignes blanches, d'où son nom, est pour

La forêt de demain saura-t-elle

noiui surprendre?

Arolle à Grâcben (VS) à 2541 mètres d'altitude. Ilpousse à plat contre le rocher

pour profiter de ,ia chaleur

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0 9

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Led arbred de l'extrême

B O T A N I Q U E

le moment plutôt rare en Valais. Mais modifiez la donne et le petit vert persis- tant se ferait une joie d'y installer ses colonies.

Pareil pour l'érable sycomore {Acer pjeudoplatamui). Ce cousin de l'emblème canadien ferait dès lors une percée en sol valaisan. Car c'est un puissant enva- hisseur, qui pourrait très vite prendre ses aises. Il pourrait même être un des fers de lance capables de défendre la cause des feuillus, repoussant vers le haut leur limite de plusieurs centaines de mètres.

Résultat : les conifères verraient leur aire de répartition se réduire comme une peau de chagrin. Et, contrariés par le nouveau contexte (atmosphère trop humide), ils seraient contraints de par- tir. Par en bas? L'impasse. Par en haut?

Le seul choix. Voilà l'arolle, le mélèze

pliant bagage, préférant l'exil à la mort.

Ils pourraient monter jusqu'à 3000 mètres, traçant du coup une nouvelle frontière forestière.

Le temps du conte

Voilà le tableau. Mais pas de hâte, si de tels changements devaient avoir lieu, ils se feraient dans la douceur.

Thierry Largey : «Les arbres réagissent sans se précipiter aux variations cli- matiques, ce sont des migrateurs très lents. N'oublions pas que la végétation que nous connaissons aujourd'hui est celle qui a été produite par le climat d'il y a 500 ans. Il y aura donc de toute façon une longue période de transition.

Et puis, l'arolle peut vivre 800 ans, il n'y a aucune raison qu'il s'en aille avant ! »

Ne l'oublions pas : le temps de l'ar- bre est l'adagio. Et le temps moyen pour qu'une forêt s'établisse est très précisément celui du conte: cent ans, comme dans La Belle au bois dormant, rappelle Pierre Hainard. Nous ne ver- rons donc pas le visage de la forêt de demain. Nous ne pouvons que l'ima- giner.

P.B.

Les conifères n 'hésitent pad à affronter roches et précipices, zones sans herbed

où la concurrence est moindre

1 O A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0

J U S T I C E

m e r i c a m s b a r q u e

v a l l é e s

Ponds en déshérence, compensation pour le crash du SR 111, dénon- ciation de L'entente cartel- laire construite par Roche ou affaire Raoul: les Suisses échappent de plus en plus difficilement aux shérifs et à leurs amendes astronomiques.

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0 1 1

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Les juges américains ont débarqué dans nos vallées ) Il S T I C K

«Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous..

Un classique du cinéma et de la télévision

O

bjection, votre honneur!»

L'accusé qui trouble ainsi la procédure tranquille d'un tribunal vau- dois s'est agité en vain sur sa chaise. Il est vite rappelé à l'ordre. Le pertur- bateur a beau reproduire un compor- tement observé des dizaines de fois à la télévision, cette manière d'interrom- pre l'interrogatoire d'un témoin n'est pas tolérée dans les officines helvé- tiques. En revanche, elle est courante aux Etats-Unis.

On en voit d'innombrables démons- trations dans les séries TV américaines diffusées sur la Télévision suisse ro- mande («Ally McBeal», «L'affaire J e s - sica», etc.), sans oublier les films pro- jetés sur nos écrans de cinéma («Des hommes d'honneur», «La firme», «The Rainmaker», etc.) comme les polars juridiques de John Grisham («L'af-

faire Pélican», «Le maître du jeu», etc.) qui sont aussi des best-sellers sous nos latitudes.

D u cinéma hollywoodien à notre réalité

Reste que depuis quelques années, plus précisément depuis le début de l'affaire des fonds en déshérence, les Helvètes apprennent régulièrement à leurs dépens que la loi américaine, ce n'est pas seulement du cinéma. Elle permet d'amender des entreprises hel- vétiques pour des erreurs commises sur notre sol il y a cinquante ans de cela, mais encore de s'immiscer brutalement dans la manière de surveiller les enfants (voir à ce sujet la controverse provo- quée l'automne dernier par l'affaire Raoul).

Lawrence Watters, juriste américain, dirige un séminaire d'initiation au droit américain à la Faculté de droit de l'Université de Lausanne

Pour un pays comme la Suisse, qui a notamment construit son identité sur la volonté de chasser «les juges étran- gers de ses vallées» — et qui y réussit depuis 1291 - l'intrusion suscite des réactions épidermiques.

«Une traduction culturelle»

Comme l'expliquait dans «L'Hebdo»

du 20.8.98 l'avocat d'affaires zurichois Peter Widmer (celui qui a négocié l'ar- rangement entre les banques suisses, le juge Korman et le Congrès juif mon- dial à propos des fonds en déshérence) :

«Nous qui travaillons régulièrement avec cette loi avons un devoir de tra- duction culturelle. (...) Les gens, ici en Suisse, ont été frappés par ce système judiciaire qu'ils ne connaissaient pas.

Et ils ont réagi de manière nationaliste, voire chauvine. Finalement, les gens n'ont pas compris que ce qui s'était passé avec les banques suisses pourrait

parfaitement arriver - et arrive - à des grandes sociétés françaises ou améri- caines. (...) On peut être attaqué aux Etats-Unis uniquement parce qu'on y fait des affaires. »

Ce devoir de «traduction culturelle»

et cet apprentissage d'une pratique juri- dique qui gagne en influence passent notamment par les Hautes écoles, et plus particulièrement par l'Université de Lausanne. Depuis quelques semai- nes, les étudiants du Centre de droit comparé et européen peuvent ainsi suivre (c'est une première en Suisse) l'enseignement de Lawrence Watters.

Ce juriste américain spécialisé dans le droit de l'environnement comme dans la défense des tribus amérindiennes dirige (en anglais) un séminaire d'ini- tiation au droit américain.

Il propose de comprendre le système qui a fait plier (via une procédure anti- trust) la firme suisse Roche comme le géant Microsoft ou qui finit par rendre

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Led juged atnéricaind ont débarqué dand nod valléed

J U S T I C E

à la tribu amérindienne des Makahs leur droit séculaire de pêcher la baleine au large des côtes de Seattle. «Ce cours débute à un moment bien choisi, estime Lawrence Watters: le monde devient de plus en plus accessible grâce aux communications, l'Europe explore de nouvelles manière de coopérer, le com- merce international s'accélère et la pro- tection de la bio-diversité comme le réchauffement de la planète nous po- sent des problèmes réellement glo- baux... Ce sont autant d'affaires qui nécessitent la compréhension des sys- tèmes légaux d'autres pays.»

Un livre et un film

On s'en doute, la découverte du droit américain par la télévision ne suf- fit pas. «Beaucoup de séries TV sont

trop simplifiées et débouchent sur des verdicts trop arrangés par rapport à ce qui se produit en réalité,» estime l'en- seignant à l'Université de Lausanne.

S'il ne fallait lire qu'un seul livre pour obtenir une image correcte de son tra- vail, Lawrence Watters opterait pour

«Le Voleur de temps» de Tony Hiller- man. Ce polar ethno constitue «une bonne représentation des problèmes rencontrés par les tribus amérin- diennes, notamment lorsqu'il s'agit de récupérer des objets d'artisanat blo- qués dans des musées.»

S'il ne fallait croire qu'un seul film, ce serait «The Rainmaker» de Francis Ford Coppola, «une représentation très intéressante de ce que sont les juge- ments et les procédures américains.»

Traduit en français par « L'idéaliste », ce film montre l'initiation d'un jeune avo-

cat qui doit gagner ses premiers salaires en tant que «chasseur d'ambulances»

(voir ci-dessous) avant de tenter de défendre un malade prétérité par sa compagnie d'assurances.

Un paradis des avocats ou des plaignants?

Lawrence Watters rit de bon cœur quand on lui dit que son pays est consi- déré comme un paradis des avocats, avant d'ajouter: «C'est vrai qu'il y a eu une véritable explosion du corps des avocats aux Etats-Unis: leur nombre a augmenté de 100% entre 1970 et 1990. Mais, si l'on réfléchit à ce phénomène en termes de compa- raison internationale, on constate que le nombre des Allemands ou des Japonais au bénéfice d'une licence en

. . I . . . - , - .

S'il ne fallait croire qu'un deul film dur la judtice américaine, ce serait «L'idéaliste»

('The Rainmaker») de Francis Ford Coppola

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Une pile de chaussures ayant appartenu à des victimed d'Audchmtz

Ce<t SitUéeé attaquée aux Etatti-UnLi

Tout c o m m e n c e avec les fonds en déshérence

C'edt d'abord un instant de jtupeur, suivi d'une moue parfois indignée, par- fois annulée. Mais comment les Améri- cains pourraient-ils attaquer des ban- ques s NUISES aux Etats-UNLI pour des bassesses qu 'elles auraient commises

ici, chez nous, il y a 50 ans ?! Eh oui, la mondialisation des affaires mène aiuisi à la mondialisation du droit.

Enfin, surtout à celle du droit améri- cain dans les affaires. La pratique en vigueur aiux Etats-Unis permet en ef- fet à n 'importe quel citoyen d'attaquer

n 'importe qtwlle entreprise pour autant qu 'elle fasse des affaires sur le sol américain. Comme elles sont nombreiuies parce que ce marché est important, sa portée est quasi illimitée.

La Suuse le vérifie à ses dépens , quand les banques helvé- tiques acceptent finalement de payer 1,25 milliard de dollars pour mettre un terme à l'affaire des fonds en déshé- rence. Ce n 'est pourtant que le début

de la démonstration: bin d'être victime d'une discrimination, comme elle a pu le croire, la Suisse sert en réalité de précédent. Sur ce modèle, d'autres vont être attaqués pour des fautes similaires. Les banques autrichiennes ont ainsi dû s'acquitter d'une réparation de 45 millions de dollars. En attendant que cèdent les banques allemandes

(à qui l'on réclame entre 5,5 et 7,9 milliards de dollars) et françaises

(2 milliards de dollars).

Il faudra y ajouter les compagnies d'assurances européennes (entre 1 et 4 milliards de dollars) et les entreprises qui ont utilisé de la main-d'œuvre forcée durant la gtwrre (parmi lesquelles figurent

des entreprises américaines comme General Motors et Ford).

SR 1 1 1 : l'arrivée t o n i t r u a n t e

des «chasseurs d'ambulance»

A fin , soit trou<

semaines après le crash de l'avion SR 111 au large des côtes canadiennes, voilà qu un avocat basé à Hotuton (Texas) débarque à l'Hôtel Mirador, au Mont-Pèlerin. But de sa visite:

informer les victimes suisses des pos- sibilités que leur offre le droit améri- cain. Ce «chasseur d'ambulance», comme on l'appelle aux Etats-Unis, ne mobilise pas des foules (six jour- nalistes, en tout et pour tout). Reste que sa démarche est révélatrice des différences spectaculaires qui existent entre la justice des deux pays dans un

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Les juges américains ont débarqué dans nos vallées

] U S T I c i :

droit a progressé dans des proportions très similaires.»

Plus spectaculaire encore d'un point de vue suisse, le système améri- cain permet à n'importe qui de porter son cas devant les tribunaux. Moyen- nant un dossier qui a des chances de l'emporter (une blessure dans un acci- dent de voiture, un appareil défectueux qui vous gâche un dîner professionnel, une panne d'ascenseur qui réveille le claustrophobe qui sommeillait en vous, etc.), on trouve un avocat. Qui, la plupart du temps, accepte de n'être payé qu'à la conclusion de l'affaire, et seulement s'il gagne.

«L'exemple emblématique de cette vision du droit américain nous vient des années 60, époque où un très jeune avocat, Ralph Nader, s'attaque avec succès à General Motors, explique

Lawrence Watters. Dès lors, nous avons un système où le consommateur et le citoyen ont plus de chances que jamais d'obtenir un bon résultat en jus- tice. Cela étant, ce système n'élimine pas toutes les inégalités. S'il est plus ouvert à l'entrée, son issue reste influen- cée par votre capacité à financer les conseillers légaux les plus compétents.»

La loi «créative»

Si les Américains se tournent volon- tiers vers les avocats pour résoudre les

4

Les Etats-Unis, un paradis des juristes?

problèmes, c'est aussi parce que «la loi permet de trouver des solutions créa- tives à des problèmes complexes, es- time Lawrence Watters. Dans le do- maine de l'environnement, qui est ma spécialité, on recherche des solutions justes, pratiques. Prenez l'exemple du Grand Canyon: la qualité de l'air s'y est à tel point détériorée ces quinze der- nières années qu'elle affecte la visibi- lité. Le problème pourrait être facile- ment résolu si le Congrès édictait une loi prohibant tous les vols à travers le site. On peut aussi rechercher une solu- tion qui protégerait le Canyon tout en maintenant certains vols.»

Même raisonnement dès qu'il est question d'héritage culturel des tribus amérindiennes : «On peut trouver nor- mal que la loi qui interdit à tout le mon- de de tuer des baleines ne s'applique

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CES SUISSES ATTAQUES AU.X ETATS-UNIS

Les moteurs du SR 111, récupérés par la Marine canadienne

cas de ce genre: le droit américain ajoute au tort moral (reconnu en Suisse) des amendes punitives, ce qui fait souvent monter la compensativa financière offerte aux familles des

victimes à des millions de dollars.

Comme les avocats se payent au mérite, en pourcentage du résultat qu 'ils arrivent à décrocher, déposer

plainte ne coûte rien et peut rapporter gros. D'où le bal incongru (w d'ici)

que livrent les avocats dans Us hôpitaux ou les halLi d'aéroport.

Pour ducutable qu 'elle soit, la manœu- vre réussit: le 5 août dernier, Swissair (accusé en même temps que son parte- naire Delta Airlines, le constructeur Boeing, le groupe SR AINSI que le fabricant de systèmes de divertisse-

ments IFT) se retrouvait devant un tribunal de Philadelphie pour répondre à 42plaintes déposées par 167famil- les, et portant sur un montant global de 16 millions de dollars.

Avant même que les causes de l'acci- dent soient élucidées, Swisdairet Boeing ont déjà annoncé qu ils accep-

taient de partager le paiement des dommages et intérêts qu 'obtiendront Us familles des vUtimes.

Roche c o m m e Microsoft la vitamine au rouge!

: U groupe chimique bâlois Roche est condamné par un tribunal de DalUis (Texas) à verser une amen- de de 500 millions de dolbxrs (750 millions de francs). A titre de compa- raison, ils 'agit alors d'un record dans l'huitoire de la justUe américaine.

Ce qui vaut à LI firme suisse de finir ainsi au bout d'une corde? La décou- verte d'une alliance cartellaire qui vio- U de manière flagrante UI loi anti- trust des Etats-UNIS. A en croire Joël Klein, le chef de la division antitrust du Ministère de la JustUe américaine, Roche était en effet à la tête du «cartel le plus vaste et le puis nuisible qui ait jamais étédémanteU».

Pendant une dizaine d'années, le chimiste alémanique s'est allié avec divers concurrents comme les Alle- mands de BASF (condamnés à une amende de 225 millions de dollars), Us Français de Rhône-Poulenc

(graciés pour avoir vendu la mèche), ainsi que diverses firmes japonaises pour élever artificiellement les prix des vitamines A, C et E. Une tâche d'autant plus aisée que les trois grou- pes européens détiennent l'essentiel de ce marché lucratif.

Il aura fallu que les acheteurs de vita- mines en vrac (elles entrent dans la composition de divers produits comme les céréales du petit-déjeuner ou les jus d'orange) lancent une procédure col-

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Led /'tiges américain,' ont débarqué dand nod valléed J U S T I C E

pas aux natifs des tribus Inuit ou Maka qui ont le droit de chasser comme leurs ancêtres.»

Le raisonnement vaut encore pour Microsoft : «Dans l'affaire opposant les Etats-Unis à Microsoft, actuellement pendante devant une cour fédérale de Washington D.C., le juge a sagement conseillé aux deux parties de rencon- trer Richard Posner. Il s'agit d'un véri- table expert des lois antitrust qui doit leur montrer que la poursuite de cette procédure n'est pas dans leurs intérêts respectifs.»

A en croire Lawrence Watters, cette

«créativité de la loi» est l'une des carac- téristiques les plus intéressantes des pratiques américaines. «Il faut savoir que 90% des procès civils se règlent par un arrangement entre les parties.

La plupart des avocats qui travaillent

dans ce domaine ne vont jamais devant les tribunaux. Ils négocient entre eux des solutions acceptables avant d'en arriver là. » C'est dans ce marchandage où les deux parties anticipent la déci- sion finale du juge que la «créativité»

prend place : «A ce moment, vous êtes libres de trouver des règlements aux- quels la loi n'a pas songé, et les meilleurs avocats sont ceux qui résol- vent des problèmes», ajoute Lawrence Waters.

Que penser de cette w o r l d justice?

Reste le problème posé par cette jus- tice créative au point d'en devenir en- vahissante, qui prend d'un côté la défense de toutes ses minorités (du Ku Klux Klan qui gagne le droit de mani-

fester à New York sous protection poli- cière aux Afro-américains qui se plai- gnent dès qu'ils se sentent discriminés dans un film hollywoodien), mais qui s'impose en force au reste de la planète, et notamment aux Helvètes.

«Je suis confiant qu'à terme, nous trouverons une solution. L'histoire de la Suisse montre que c'est possible:

vous formez un assemblage de cantons différents qui ont trouvé un modus vivendi. Vous êtes situés au milieu d'une Europe qui se construit avec des pays très différents. Vous accueillez plusieurs des plus importantes agences internationales de la planète. Nous trouverons certainement un moyen de vivre en harmonie mutuelle.»

Jocelyn Rachat

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Ces Suisses attaqués aux Etats-Unis

lective devant un tribunal américain pour que la justice découvre l'existence

de «Vitamins Inc.». C'est sous cette appellation insolente que les chimistes d'usimulaient leur petite entreprise, un système qui a parfaitement fonc- tionné pendant une dizaine d'années, avant de buter sur plus vitaminé que lui: la justice mondialisante de l'Oncle Sam.

L'affaire Racul :

les Ricains sont pas cool.

Et les Suisse t r o p cool?

C'était le feuilleton de /'

, une série révélatrice des effets (inattendus) de la mondialisation du droit. L'histoire d'un entant suisse de 11 ans, arrêté nuitamment et menot- TE, puis conduit dans une prison du Colorado et détenu pendant des semai- nes. Tout ça parce qu 'une voisine l a vu faire des caresses inappropriées sur sa petite sœur de 5 ans. Un scénario rocambolesque qui donne des muni-

tions à ceux qui, ô Europe, s offus quent volontiers des méthodes mus- clées des cow-boys comme des réflexes puritains de ces gens-là

«Blick» tire U premier, abzrtépc parents de Raoul qui ont fui le -

West à bride abattue. Le quotidù zurichois est vite épaulé par La presse suisse, puis européenne. Tout le monde se Lève pour le gamin, y compris le Parlement allemand qui veut • Raoul. Bilan apparent de ce ren du règlement de comptes à O.K.

Corral: le garçon est libéré pour vice (!) de forme, il mange une fondue à l'ambassade et rentre en Suisse.

Résultat plus mitigé après la fMA- lade: la Suisse, qui triomphe à la libération du bambin, découvre avec surprise qu 'il retourne dans sa famille comme si de rien n'était. Suivipsy- chobgiqtie il y aura, mais unique- ment «pour éviter à Raoul les séqiœl- les de l'emprisonnement brutal dont il a été victime», précise le papa. Et pour le reste, au cas où, quand même, la voisine... ? Présomption d'innocence.

Pendant que la Suisse se demande, du coup, si ses méthodes ne sont pas un peu laxistes, voilà que le doute gagne également les consciences de l'autre côté de l'Atlantique. La presse améri- caine ayant largement relayé l'indi- gnation des Européens, les Américains débattent du traitement adéquat qu'il faudrait adopter à l'égard des mineurs suspects.

J.R.

L'affaire Raoul a fait les gros titres de la presse suisse, notamment du «Blick»

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«paroles cachées» Les de Jésus

L (a découverte d'un évangile perdu dand une jarre égyptienne en 1946 plonge la chrétienté dand la per- plexité. Et di l'on avait retrouvé ded «inéditd» de

Jédud. Une énigme à méditer en cette période d'approche de Pâqued.

Thomas est celui des douze apôtres qui ne crut à la résurrection

du Christ qu'après avoir mis le doigt dans

les blessures (Jean 20, 24-29)

O

ui a dit que l'histoire de Jésus était écrite, une fois pour toutes, aux siècles des siècles?

Certainement pas les archéologues et théologiens qui se sont penchés sur une stupéfiante découverte faite à Nag Hammadi, Haute Egypte, en

1946. Des paysans y ont en effet déterré (par hasard) une jarre dont le contenu plonge la chrétienté dans une certaine perplexité: parmi les 1200 pages de textes très anciens qui y ont été enfermés figure une copie en langue copte de l'Evangile perdu de Thomas.

Ce texte (qui fait référence au disciple sceptique qui toucha du doigt les bles- sures du Christ ressuscité) était utilisé au I Ve siècle de notre ère par des com- munautés en marge de l'Eglise offi- cielle, les gnostiques (voir encadré page 25). Si l'existence de cet Evangile apo- cryphe était connue des théologiens, on en avait complètement perdu la trace depuis le I Ve siècle.

Paradoxe de l'archéologie, c'est le disciple emblématique du doute qui nous plonge dans l'étonnement. Car la découverte de Nag Hammadi comporte un enjeu théologique et historique énorme. Comme la chrétienté se fonde largement sur l'enseignement de Jésus, la découverte de 114 paroles du Christ

— sous forme d'une «interview» dont on aurait perdu les questions - pourrait bouleverser la face du christianisme, d'autant que la majorité d'entre elles paraissent absolument authentiques.

D'où de multiples interrogations qui agitent aujourd'hui encore les milieux scientifiques : que faut-il penser de ces

«révélations», qui, de surcroît, s'appe- laient vraiment «Paroles cachées de

Jésus écrites par Thomas»? Nous aurait-on caché certains enseigne- ments du Christ? Et pourquoi? Ces questions, et beaucoup d'autres, Jean-Daniel Kaestli se les est posées. S'il refuse d'entrer dans la plu- part des polémiques, ce professeur de théologie à l'Université de Lausanne et spécialiste de «L'Evangile de Thomas»

estime néanmoins que «l'Evangile de Thomas mérite d'être placé à côté des quatre évangiles du canon. Il doit être étudié à part entière.»

Indicible secret

«Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas», tel est le titre primitif de l'Evangile de Thomas, dont une inter- prétation littérale laisserait supposer que ces paroles doivent rester secrètes.

Pour Jean-Daniel Kaestli, ce qui est caché, c'est leur sens profond: «C'est une invitation à interpréter les paroles de Jésus qui recèlent, au-delà du sens

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Les «paroles cachées» de Jésus M Y S T E R E

Jean-Daniel Kaestli,

professeur de théologie à l'Université de Lausanne et spécialiste

de «L'Evangile de Thomas»

manifeste, un sens mystérieux.» La notion de secret se manifeste avec une acuité particulière lors d'un épisode fameux de l'Evangile de Thomas où Jésus souffle trois mots à l'oreille de Thomas, que ce dernier refuse ensuite de répéter aux autres disciples. «Que t'a dit Jésus? Si je vous dis les paroles qu'il m'a dites, vous prendrez des pierres et les jetterez contre moi. Alors un feu sortira des pierres et elles vous brûleront» (logion 13).

Thomas apparaît ici comme le confi- dent de Jésus, le dépositaire d'une vérité indicible. De quoi lui conférer une stature particulière, celle d'élu du Christ chargé de poursuivre son œuvre.

Si cela était vrai, la face du christia- nisme en serait transformée. Mais pour Jean-Daniel Kaestli, il s'agit davantage d'une profession de foi que d'une réa- lité. «J'exclus que cette scène ait eu lieu. Elle reflète la conviction d'une communauté chrétienne, sans doute

proche des gnostiques (voir encadré page 25), qui vénérait Thomas. La scène a été inventée par cette commu- nauté qui, comme c'était l'usage, l'a mise dans la bouche de Jésus. C'est un phénomène typique des premiers siècles chrétiens: les communautés chrétiennes se réclamant d'un apôtre produisaient un évangile «sur mesure»

qui fondait leur croyance.»

L e s t y l e d e J é s u s

D'autres passages de l'Evangile de Thomas semblent eux aussi inventés, comme celui-ci : «Jésus a dit : les ima- ges se manifestent à l'homme et la lu- mière qui est en elles est cachée. Dans l'image de la lumière du Père, elle se dévoilera et son image sera cachée par sa lumière» (logion 83). Ces paroles obscures et spéculatives contrastent singulièrement avec les quatre évan- giles du Nouveau Testament. Elles recourent à des concepts abstraits qui

L'un des manuscrits retrouvés à Nag Hammadi en 1946

f j f r i <; i t r r * - c n o f u j c g c À i t t M r i f c * t v»ti»

p a s MtHAYAtiej o c n O K o f f U i u H r m j o r M A Y * « M A f « H u A f i - M M e t c-KOXFFMRFR-

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n * t cuu> c* nc*YTTHA.eij oniet w ^

NEFXR.r* m o n

| T KLTX a t u m a c —e

rappellent le langage de la philosophie grecque plutôt que le noyau le plus sûr des paroles de J é s u s : «Il s'agit d'une affirmation d'inspiration gnostique, relève Jean-Daniel Kaestli. Car le style de Jésus est beaucoup plus incisif et immédiat, parfois même choquant. En témoigne l'injonction lancée à ses dis- ciples selon laquelle quiconque ne hait pas ses parents ne peut pas le suivre (Luc 14, 26).»

U n c i n q u i è m e é v a n g i l e ?

Certains chercheurs n'ont pourtant pas hésité à prétendre que l'Evangile de Thomas devait figurer dans le Nou-

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LA DÉCOUVERTE DE NAG HAMMADI

Les papyrus découverts en 1946 à Nag Hammadi en Haute Egypte constituent l'une des plus sensationnelles découvertes archéologiques du siècle. C'est par hasard que des paysans ont déterré une jarre contenant une cinquantaine de textes (1200 pages) rédigés en langue copte, et datant du milieu du IVe siècle. Certains de ces écrits sont en réalité des traductions d'originaux grecs remontant au Ile siècle de notre ère. Ils donnent un aperçu de la diversité et du foisonnement de la réflexion théologique chrétienne ancienne. Sur ces 1200 pages, qui sont tou- jours en cours d'étude, quatre écrits sont à peu près complets, dont l'Evangile de

Thomas. Ce dernier, constitué exclusivement de paroles de Jésus, fit sensation, puisque l'enseignement du Christ a une importance décisive pour la foi.

Dès le IVe siècle, l'Evangile de Thomas figure cependant sur des listes de textes à rejeter, sans doute parce qu'il était lu dans des communautés qui se situaient en marge de l'Eglise officielle.

JOP

Les disciples disent à J é s u s : «Dis-nous comment sera notre fin.»

«Avez-vous donc dévoilé le commencement, pour que

VOUS questionniez sur la fin? Jésus et les disciples, dont Thomas

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0 2 3

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Les «paroles cachées» de Jésus

M Y S T E R E

veau Testament. Ils affirmaient qu'il était antérieur aux quatre évangiles canoniques et leur avait servi de source.

En défendant cette thèse, un auteur français a même défrayé la chronique dans «Paris-Match» en 1975.

Il est vrai que de l'avis général des scientifiques, l'Evangile de Thomas se rattache à des traditions fort anciennes, et que certaines paroles ont de bonnes chances d'avoir été pro- noncées par Jésus. Mais la démons- tration de l'antériorité de l'Evangile de Thomas sur ceux de Matthieu, Marc, Luc et Jean, n'a jamais pu être faite. Et d'ailleurs, l'eût-elle été que cela ne suffirait pas à le propulser dans le Nouveau Testament. Car la ques- tion relève de l'autorité de l'Eglise qui n'a pas les mêmes critères que les scientifiques: «L'Eglise ne se fonde pas sur l'authenticité historique mais sur la vérité du témoignage, signale Jean-Daniel Kaestli. A cette aune, elle a jugé que l'Evangile de Thomas rele- vait d'une pensée sensiblement diffé- rente des autres Evangiles, et parfois en rupture avec eux.»

L'Eglise a-t-elle menti?

On ne s'est pas privé d'accuser l'Eglise d'avoir volontairement tenu ce texte secret afin de pouvoir pré- server sa doctrine et son pouvoir.

Pour Jean-Daniel Kaestli, l'accusa- tion ne tient pas. « O n y cherchera en vain des passages scandaleux ou révolutionnaires. Par ailleurs, la question de savoir quels évangiles doivent figurer dans le Nouveau Tes- tament est close depuis le I Ie siècle

(voir encadré page 26), et l'Evangile de Thomas n'a pas été utilisé depuis lors. Cela n'aurait donc aucun sens

Une mosaïque représentant Thomas

de l'inclure aujourd'hui dans le Nou- veau Testament alors que nous n'avons aucune trace de sa réception dans l'histoire.»

Du côté catholique, les savants ont pu étudier librement l'Evangile de Tho- mas, de même que l'ensemble des textes de Nag Hammadi: «L'Eglise ne s'est pas sentie menacée par cette décou- verte, commente Jean-Daniel Kaestli.

De nos jours, elle admet la démarche critique de la recherche académique, même si cela remet en cause des véri- tés de foi. Cela dit, je pense que l'Eglise ne reconnaîtra jamais un cinquième évangile, même si l'on découvrait un jour un texte aussi ancien et vénérable que les évangiles canoniques.»

Preuve scientifique

L'Evangile de Thomas a été d'une grande utilité pour les sciences bibli- ques. Il a prouvé une hypothèse écha- faudée par les savants afin de rendre compte des nombreuses similitudes entre les évangiles canoniques, ceci bien qu'ils aient été rédigés à des époques et en des lieux différents. Les savants postulaient l'existence d'une source commune - «la source Q» - sous la forme d'un recueil de paroles de Jésus circulant à l'époque de la rédac-

tion des évangiles de Matthieu et de Luc, et leur servant de référence. Avec l'Evangile de Thomas, l'hypothèse est devenue quasi-certitude. Cette «source Q» irrigue les évangiles de Matthieu, Luc et Thomas, ainsi que d'autres tex- tes anciens: «Quand on tombe sur des citations de paroles de Jésus dans des textes du I Ie siècle, par exemple chez Justin, on s'aperçoit que certaines paroles ne correspondent pas à la forme canonique du Nouveau Testament. En fait, ces textes ne citent pas les évan- giles, mais des sources parallèles com- me «la source Q» ou la tradition orale», précise Jean-Daniel Kaestli.

Bon p o u r l'historien

Pour porter un jugement global sur l'Evangile de Thomas, Jean-Daniel Kaestli appelle à une distinction entre le théologique et l'historique. Sur le plan théologique, il donne raison aux Pères de l'Eglise qui ont écarté l'Evan- gile de Thomas. Sur le plan historique, il en recommande la lecture pour mieux saisir le christianisme des origines dans sa diversité: «On s'aperçoit que le christianisme des premiers temps était plus varié qu'on ne le pensait. Il y a eu en son sein des courants très différents, notamment des courants spiritualistes ou gnostiques. Ces derniers sont le reflet d'un sentiment de peur et d'alié- nation, très répandu dans les premiers siècles, face à la société de l'Antiquité tardive. L'Evangile de Thomas nous permet de remonter aux racines de cette angoisse, et peut-être aussi de mieux comprendre celle de notre époque.»

Jacques-Olivier Pidoux

2 4 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 6 F É V R I E R 2 0 0 0

LES GNOSTIQUES

Le gnosticisme est une forme de religion fortement dualiste, rejetant le monde matériel, le corps et la sexualité. Elle a fleuri dans l'Antiquité tardive, aussi bien à l'extérieur qu 'à l'intérieur du christianisme. Les gnostiques chrétiens ont formé des communautés actives du IIe au IVe siècle. Ils enseignaient des doctrines spé- culatives et ésotériques pour procurer à leurs adeptes la réponse à des questions existentielles: d'où venons-nous? qui sommes-nous? où allons-nous? Ils affirmaient l'opposition entre un Dieu suprême, «le Père», et un Dieu inférieur, le «démiurge», créateur du monde visible. C'est probablement au sein d'une de ces communau- tés gnostiques de Syrie orientale que s'est développée une vénération pour l'apôtre Thomas, cristallisée dans l'Evangile de Thomas. La pensée gnostique a été décla- rée hérétique par l'Eglise.

JOP

Les Evangiles racontent que Thomas et les autres apôtres ont fui au moment de la crucifixion.

Ce qui n'empêche pas le peintre Marc-Gabriel Charles Gleyres de nous offrir cette scène imaginaire

W j g «Je suis la lumière, celle qui est sur eux tous. J e suis le Tout, et le Tout est sorti de moi et Tout est revenu à moi. Fends le bois : je suis là; soulève la pierre et tu m'y trouveras!» (Evangik apocryphe de Thomas, ludion 80)

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Les «paroles cachées» de Jésus

M Y S T E R E

LES APOCRYPHES

Le ferme «apocryphe» désigne des tex- tes qui mettent en scène des person- nages appartenant aux origines du christianisme (Jésus, Marie, les apôtres), mais qui n'ont pas été retenus dans le Nouveau Testament. La liste normative - le canon - des livres du Nouveau Tes- tament a été fermement fixée au /Ve siècle, et certains textes apocryphes qui jusque-là avaient joui d'une certaine autorité ont été écartés. Mais c'est entre le IIe et le IVe siècle que se situe la période décisive où le canon du Nou- veau Testament s'est progressivement imposé. Le critère de sélection semble

avoir été l'usage. Un consensus s'est formé entre les différentes communau-

tés chrétiennes autour des quatre évan- giles canoniques (Marc, Matthieu, Luc et Jean), qui n'a pas été modifié depuis la fin du Ile siècle. Les écrits restés en dehors du canon n'étaient pas investis de la même autorité. Ils étaient peu uti- lisés pour la liturgie, l'enseignement et la réflexion théologique. Certains d'entre eux furent expressément con- damnés; on mit en cause leur attribu- tion à des apôtres de Jésus et on les qua- lifia d'«apocryphes». Ce terme, qui désignait à l'origine un écrit «secret»,

«caché», prend alors un sens négatif, synonyme de «faux» ou d'«hérétique».

Mais le rejet des apocryphes n 'a jamais réussi à les faire disparaître. Les textes bannis ont souvent été réécrits sous une autre forme ou dans une autre langue avant d'entrer à nouveau en usage.

Dans la recherche actuelle, les apo- cryphes ont pris une nouvelle impor- tance et sont étudiés au même titre que la Bible. Certains d'entre eux, issus de milieux situés en marge de l'Eglise offi- cielle, permettent de connaître certaines formes du christianisme qui s'écartent

du courant majoritaire. D'autres contri- buent à la connaissance du judéo-chris- tianisme qui est la forme la plus pri- mitive du christianisme.

JOP

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I N T E R V I E W

Jouer, ce n'est

pas tuer sa carrière professionnelle

Stefano Mastrogiacomo, doctorant à l'Ecole des HEC de l'UNIL

uel parent n 'a pad regretté led heured que led enfantd demblaient perdre devant ded jeux vidéo? Un pré- jugé battu en brèche

par l'hutoire (sraie) deStefano Madtrogiacomo. Ce doctorant

à l'Ecole ded HEC de l'Uni- verdité de Lausanne

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