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UNIVERSITES, GRANDES ECOLES : Réflexions sur un douloureux divorce français

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Academic year: 2022

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LA NOUVELLE QUESTION FRANÇAISE

UNIVERSITES, GRANDES ECOLES : Réflexions sur un douloureux divorce français

. PATRICK FAUCONNIER

I

I n'est pas sûr qu'on ait vraiment mesuré tous les dommages causés par la profonde coupure que nous entretenons, en France, entre nos grandes écoles et nos universités. Soulever cette question expose généralement à se faire taxer d'adversaire - voire de « fossoyeur » - des grandes écoles, ces unités d'élite qui marchent fort bien. Prenons le risque de tenter de prouver ici que telle n'est pas notre position : tout à la fois admirateur des grandes écoles et du prestige dont jouissent les universités dans les autres pays (mais pas en France), c'est par patriotisme qu'on rêve de réunifier les deux branches éclatées de notre enseignement supé- rieur. Pour deux raisons. D'abord parce que cette dichotomie nous paraît être à l'origine de l'impuissance de notre pays à accepter les défis économiques contemporains. Ensuite parce que les effets de cette coupure sont particulièrement ravageurs au moment ou le principal défi du pays est d'exceller dans l'innovation, la recherche et l'économie de la connaissance.

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Une coupure qui s'autoreproduit

Rappelons d'abord quelle est la toile de fond historique qui a mené à cette dualité : à la Révolution, l'université, qui était aux mains des religieux, devient orpheline. La monarchie, puis Napoléon, créent des écoles (les Mines, Polytechnique, les Ponts et Chaussées...) pour répondre au besoin de formation profession- nelle. Puis Napoléon réhabilite des facultés, qui forment essentiel- lement des juristes, des humanistes et des médecins. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que la gestion des entreprises y soit reconnue comme discipline à part entière, avec la création des IAE (Gaston Berger, 1955), puis de l'université de Paris- Dauphine (1970) et enfin, dans les années quatre-vingt, des maîtrises de gestion. L'université s'ouvre donc à la gestion avec plus de cent ans de retard sur certaines écoles de commerce (ESCP : 1819, HEC : 1881, Essec : 1907). Quant à la gestion publique, en 1945, elle échappe aussi au champ universitaire, au profit d'une nouvelle grande école, l'ENA, cependant que les instituts d'études politiques sont en marge de l'université avec un statut particulier.

Quelle opinion, quelle image les élites, passées par toutes ces grandes écoles, peuvent-elles avoir de l'université ? Celle d'une sorte de « joyeux foutoir », pour parler vulgairement, un peu laissé à lui-même et divisé en myriades de chapelles. Dans l'imaginaire collectif français, l'université, c'est Mai 68, Nanterre et Vincennes.

Des « facs » où l'étudiant est laissé à lui-même et où règne le chacun pour soi : pas d'échanges entre juristes, médecins, huma- nistes, scientifiques, etc. Après 1968, la loi Edgar Faure tente de remédier à cette atomisation avec la création des universités, pour la plupart « pluridisciplinaires ». Force est de constater que cette tentative de rapprocher les disciplines - qui justifie le terme « uni- versité » - a été un échec : des citadelles se sont reformées. Juristes ici, scientifiques là, humanistes de leur côté... Et on aboutit à un ensemble atomisé de 86 universités, et parfois jusqu'à quatre universités dans la même ville, comme à Bordeaux...

Malgré tout, et notamment sous l'impulsion de Claude Allègre, l'université a entamé depuis une décennie une longue marche vers le renouveau. À la suite de la très bénéfique réforme

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dite du LMD (licence, mastère, doctorat) visant à créer des équiva- lences européennes, les universités réclament plus d'autonomie et de moyens pour remplir des objectifs d'excellence. Le fait est que beaucoup de leurs mastères et DESS (bac + 5) font souvent jeu égal avec les standards des grandes écoles. Pourtant, la nation continue de leur refuser les moyens de leur ambition : la France est le seul pays développé où l'on dépense davantage pour un lycéen que pour un étudiant. Les universitaires le répètent à qui veut l'entendre : le fait que la nation soit dirigée par des élites issues des grandes écoles, dont les enfants vont dans les grandes écoles, explique que la coupure entre ces deux mondes s'auto- entretient. « 80 % des membres des cabinets ministériels que je côtoie sont des X-Mines, ou des ENA, ou des X-ENA. Quand vous leur expliquez qu'un mastère d'électronique est très bien pour s'in- sérer, ils vous rient au nez. Et si vous dites qu'un simple bachelier peut être excellent, ils se tordent de rire », raconte Yannick Vallée, l'actuel président de la conférence des présidents d'université. Non seulement le regard des élites à l'égard de l'université est méfiant, mais il est souvent même méprisant.

Une coupure sociétale

Cette coupure nous paraît expliquer ce mal endémique, cette sorte de cancer qui ronge la société française, et qui résulte du permanent affrontement entre deux mondes, presque deux classes sociales. D'un côté un univers d'élites et d'intellectuels, remarquablement formés et cultivés, mais qui ont fait tout leur parcours dans la « voie royale » du système éducatif (section S, classes prépa), et dont les sociologues ont montré qu'il s'agit d'un cursus extrêmement monosanguin. Dans le service de l'État comme à la tête des entreprises, ces élites se révèlent trop igno- rantes des réalités de la vie du corps social. De plus, on leur a tant dit qu'elles sont issues de ce qu'il y a de mieux qu'elles sont trop souvent autosatisfaites et autocrates. Dans un sondage réalisé en janvier 2006 auprès d'un panel de dirigeants européens par le cabinet de ressources humaines DDI, 80 % des leaders anglais et

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66 % des allemands pensent qu'ils « ont encore à apprendre pour être efficaces dans leur poste ». Mais seuls 30 % des dirigeants français partagent cet avis (1).

De l'autre coté, nous avons un corps social dont le niveau moyen de formation est tragiquement faible : il faut rappeler et marteler ce fait trop longtemps occulté par nos élites : depuis plu- sieurs décennies, 250 000 jeunes - soit un Français sur trois - sortent du système éducatif sans le moindre bagage monnayable auprès d'un employeur. Soit 160 000 sorties sans qualification (ni CAP, ni BEP, ni bac) chiffre récemment reconnu par l'Éducation nationale, auxquelles nous ajoutons plus de 90 000 jeunes qui, ayant le bac, n'ont pas décroché mieux qu'un DEUG, un diplôme d'études universitaires générales qui ne procure pas la moindre qualification, ou qui ont échoué à ce même DEUG.

Autre chiffre accablant : chez nous seuls 37 % d'une géné- ration accèdent à l'enseignement supérieur long, contre 64 % aux États-Unis et 75 % en Suède. Et 50 % en moyenne dans l'OCDE. Il est clair que cette masse de « mal formés »,

« d'oubliés » du système, peu ou pas autonomes, réclame un maximum de protections sociales, et rêve de trouver la sécurité dans un emploi de fonctionnaire. Et que toute tentative d'expli- quer à ce public une réforme à contenu économique (réforme des retraites, du Code du travail, etc.) se heurte instantanément à son opposition viscérale, puisque ces concitoyens n'ont pas la moindre formation économique. Car n'oublions pas que, pour couronner cette catastrophe, l'entreprise est la grande absente de notre école férue d'abstractions. Ce gouffre qui sépare une petite élite de dirigeants très bien formés d'une masse de gens sans bagage explique la coupure en deux du pays qu'on observe dans la plupart de nos débats de société, tel que, récemment, celui sur la Constitution européenne : élites et médias expli- quaient l'intérêt d'un vote positif. Ils ont été déjugés par le pays, qui n'a pas compris qu'en votant non, il offrait un boulevard à la vision anglo-saxonne libérale de l'Europe, celle-là même qu'elle voulait contrer... Pour la même raison la France est le seul pays développé à afficher une telle crainte de l'ouverture mondiale des marchés, le seul pays où la notion d'économie libérale est perçue comme quasi diabolique.

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Pour nous, c'est le déficit de formation qui est en cause, qui fait que la nation ne comprend pas et ne suit pas le discours de son « aile marchante ».

Une coupure qui entrave nos capacités d'innovation et de recherche

II n'est donc pas étonnant que des universitaires, conduits à penser que la nation n'est fière que de ses grandes écoles, se soient murés dans une mentalité d'assiégés sur le mode « personne ne nous aime ». Dans les autres pays, ce problème n'existe tout simplement pas : en Allemagne, au Bénélux, dans les pays latins pu anglo- saxons, les universités constituent les cadres uniques d'élaboration et de distribution du savoir et de la recherche. Pour autant, cela ne veut pas dire que ces pays n'ont pas de grandes écoles : simplement elles font partie des universités. Si vous prenez l'une des universités mon- diales les plus renommées, l'université de Columbia à New York, on y trouve une business scbool, et aussi une School of International and Public Affairs qui est un peu l'équivalent de notre ENA. Idem à Harvard, qui est constituée à la fois de facultés, au sens d'« équipes d'enseignants chercheurs » (Faculty of Medicine, Faculty of Arts, sciences, architecture...), et de grandes écoles : Harvard Business School, Harvard Law School, Harvard Médical School, Harvard School of Public Health, etc. Le résultat, c'est qu'Harvard est avant tout une marque. Quand un professeur de la Médical School décro- che le Nobel, cela rejaillit sur toute l'université. Idem si c'est un pro- fesseur d'économie : les médecins ou les juristes en profitent ! Aucun effet de ce genre ne peut se produire en France. Observons au pas- sage comme il est stupide d'avoir débaptisé une marque aussi presti- gieuse que la Sorbonne au profit de trois appellations insignifiantes, en particulier à l'étranger : Paris-I, Paris-III et Paris-rV. Non seulement notre dispositif est éclaté en 86 universités, mais on dénombre en plus 230 écoles d'ingénieurs qui forment chaque année 30 000 ingé- nieurs (soit à peine 130 diplômés par école, ce qui montre au passage la dimension ridicule de ces « grandes » écoles) et une trentaine de grandes écoles de commerce. Entre ces 350 composantes, il n'y a

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quasiment aucune coopération : chacun ses amphis, ses labos, sa bibliothèque, son restaurant. Seules 15 % des écoles d'ingénieurs dépendent des universités, et seulement trois écoles de commerce.

Au sud de Paris, près d'Orsay, on trouve une université, un IUT et sept grandes écoles (Polytechnique, Centrale, HEC, Supelec, Agro, Ensia, etc.) toutes séparées par trois kilomètres de champs de bette- raves. Vu d'avion, ça ressemble à un pôle d'enseignement, mais sur le terrain leurs étudiants et professeurs ne se croisent jamais.

On commence tout juste à tenter d'y remédier avec la mise en place des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Près) ainsi que des « pôles de compétitivité » destinés à rapprocher ensei- gnement, recherche et entreprises. Il est plus que temps, et il faudrait que cette réforme soit menée à marche forcée. En effet, l'affichage de notre enseignement supérieur à l'échelle mondiale souffre énor- mément de nos divisions. Lorsque les chercheurs de l'université de Jia Tong à Shanghai ont élaboré leur désormais fameux « classement mondial des universités », qui en est à sa troisième édition, la France a réalisé avec horreur qu'elle ne plaçait que quatre établissements dans les 200 premières universités mondiales ! (Jussieu : 46e, Orsay : 61e, Strasbourg-I : 92e et Normale sup : 93e). Les Anglais en placent quatre dans les 26 premières. Et au classement des sites Internet d'universités, très importants pour les chercheurs, la première fran- çaise, Jussieu, se place 177e ! Yves Mérindol, professeur de mathé- matiques à Strasbourg-I, ancien président de cette université et fin connaisseur de notre enseignement supérieur, a calculé qui si on rapprochait Paris-VI, Paris-Vil, Normale sup, les Mines et l'École de physique et de chimie industrielles de Paris (celle de de Gennes), l'ensemble « donnerait une université exceptionnelle se classant dans les cinq premières mondiales, peut-être même deuxième ou troisième » selon les critères de Shanghai.

On mesure l'impressionnante déperdition d'énergie, et le manque à gagner résultant du fait que tant de cerveaux, en France, travaillent chacun dans leur coin. C'est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre, à l'heure où les pays dits « émer- gents » comme la Chine ou l'Inde ont commencé à nous battre sur ce terrain, l'Inde formant près de 300 000 ingénieurs par an. Notre recherche a été lamentablement négligée, et il a faUu des chercheurs dans la rue pour que la nation le réalise. Pour François

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Orivel, directeur de recherche au CNRS, si la culture de recherche est moins poussée en France qu'ailleurs, c'est dû au « dualisme universités grandes écoles qui constitue un obstacle monstrueux » dû au fait que les élites françaises, dans les grandes écoles, n'ont jamais côtoyé des travaux de recherche.

Il est donc vraiment temps de se demander si on doit continuer à faire perdurer ce divorce entre écoles et universités qui remonte à la Révolution. Observons que le modèle qui pourrait résulter de telles synergies existe : c'est Sciences-Pô Paris : géré et autonome comme une grande école, ouvert comme une université (près de 6 000 étudiants), hyperattractif pour les étrangers (25 % d'étrangers dans les amphis) et socialement ouvert. L'énorme succès d'estime de Sciences- Pô (30 % de candidats de plus en un an en 2005) est un crève-cœur de plus pour les universitaires, qui rêvent tous de disposer des moyens et de l'autonomie de cet établissement d'excellence.

Observons enfin que Jacques Chirac et Jean Tibéri ont raté à Paris une chance historique, qui ne se reproduira plus, d'édifier un grand campus de rayonnement international lorsque s'est libéré au bord de la Seine l'immense espace dit ZAC Rive-Gauche, entre la Bibliothèque nationale de France et la Cité universitaire, face au parc de Bercy, à deux pas du quartier Latin. On aurait pu y édifier ce qui aurait été le plus beau campus urbain du monde, un « cam- pus du XXIe siècle ». En y regroupant des grandes écoles et des universités. Ces vingt dernières années, notre pays a bâti une Grande Arche, un Grand Stade, un Grand Louvre, un grand porte- avions, et beaucoup de musées. Mais pas ce grand campus qui aurait affiché notre foi dans le futur et la recherche... Un signe de plus, très attristant, du peu de rayonnement qu'ont, aux yeux de nos élites, l'université et la recherche.

1 . Étude « Le leadership des dirigeants », www.ddiworld.com/globaloffices/fr_fr.asp.

• Patrick Fauconnier est grand reporter au Nouvel Observateur, spécialisé sur les questions d'éducation et d'insertion professionnelle. Fondateur du magazine Challenges, dans lequel il est éditorialiste, il est le créateur du programme Talents des cités. Il est l'auteur de le Talent qui don, la France en panne d'entrepreneurs (Le Seuil, 1996) et la Fabrique des « meilleurs », enquête sur une culture d'exclu- sion (Le Seuil, 2005), prix du livre d'économie 2006.

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