• Aucun résultat trouvé

Construction de l'identité individuelle : jeux d'entente et de concurrence entre l'état civil et la "Comédie Humaine" de Balzac

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Construction de l'identité individuelle : jeux d'entente et de concurrence entre l'état civil et la "Comédie Humaine" de Balzac"

Copied!
527
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-02490038

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02490038

Submitted on 24 Feb 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Construction de l’identité individuelle : jeux d’entente et

de concurrence entre l’état civil et la ”Comédie

Humaine” de Balzac

Marisa Santa

To cite this version:

Marisa Santa. Construction de l’identité individuelle : jeux d’entente et de concurrence entre l’état civil et la ”Comédie Humaine” de Balzac. Linguistique. Université de Toulon, 2019. Français. �NNT : 2019TOUL3004�. �tel-02490038�

(2)

Université de Toulon

Ecole Doctorale 509

Sociétés méditerranéennes et sciences humaines

Laboratoire BABEL

THÈSE présentée par

Marisa SANTA

soutenue le 16 décembre 2019

Construction de l'identité individuelle :

jeux d'entente et de concurrence entre l'état civil

et La Comédie humaine d’Honoré de Balzac

Thèse dirigée par Madame Laure Lévêque

et co-encadrée par Monsieur Thierry Santolini

Membres du jury :

Madame Christine Baron,

Professeur à

l’Université de Poitiers

(rapporteur)

Madame Catherine Mariette, Professeur à l’Université Grenoble Alpes

(rapporteur)

Monsieur Laurent Reverso, Professeur à l’Université de Toulon

Monsieur Alexis Le Quinio, Maître de conférences HDR à Sciences-Po

Lyon

Madame Laure Lévêque, Professeur à l’Université de Toulon

(3)

Résumé :

Certaines histoires font froid dans le dos. Un vieil homme apparaît dans l’étude d’un avoué pour réclamer l’identité d’une gloire de l’Empire de Napoléon Bonaparte : le colonel Chabert. Or, celui-ci est mort ; les vivants le disent sur la foi de l’état civil qui le dit sur la foi de témoins. A ces vérités, le vieux monsieur oppose le réel de sa vie et fait vaciller l’évidence. Dans le silence de la nuit, le récit de ce revenant fait apparaître les faibles contours de l’image du glorieux colonel. Il demande à être reconnu, cet homme qui va apprendre qu’une identité ne se réclame pas, elle se construit. Il avait pourtant bien commencé, amenant son corps mutilé et, avec lui, le récit ; il aurait pu continuer en acceptant la seule voie possible pour décrocher le Colonel Chabert du tableau des morts illustres : la transaction. Etre Chabert mais abandonner certains éléments de sa trajectoire. L’identité du vieux monsieur ne nous est donnée ni par le roman qui l’a créé ni par le droit qui a tué Chabert parce que le droit et la littérature proposent des solutions pour construire une vérité qui ne sera toujours qu’incertaine. L’identité d’un individu ne se situe pas ailleurs que dans les récits d’une culture, et le jeu consiste à s’ajuster sans cesse dans la rencontre entre tous les discours qui désignent. L’un d’eux est celui du droit, il pose les critères qui font exister et qui individualisent. Le droit et La Comédie humaine de Balzac se rejoignent alors en un point qui les confond pour raconter ces histoires saisissantes où l’identité se joue entre les deux, faisant ainsi du droit et de la littérature des domaines propices au regard de l’anthropologue.

Mots-clés : Balzac - Comédie humaine - identité - état civil - droit - anthropologie - littérature - récit.

(4)

Construction of individual identity: where civil status and Honoré de

Balzac’s « Human Comedy » play each other in a game of alternating

agreement and competition

Abstract

Some stories send a chill down one’s spine! An old man appears at an attorney’s office claiming the identity of glory of Napoleon Bonaparte’s Empire: the colonel Chabert. However, Chabert is dead; the living declared his death after the register of vital statistics based, in turn, on testimonies. With his claim, the old man opposes acknowledged truth and his own reality, throwing doubt upon evident facts. In the silence of the night, the faint contours of the glorious colonel emerge from the story narrated by this ghost asking for recognition but he will learn that identity is not something that springs up upon demand but must be built up. Yet he made a good start by bringing in his mutilated body and his story. He could have followed the only possible way of taking Chabert off the list of the glorious dead by accepting a settlement where he could continue being the colonel provided he erases parts of his history. The old man’s identity is given neither by the novel which created him nor by law, that law responsible for his death, as the only answers to be found in both law and literature are acknowledged facts which always remain questionable. An individual’s identity is embedded in the story of a culture and the game consists in always making adjustments within the meeting point of all designating discourses. One of these is that of law: it sets the criteria allowing existence itself and from which individualization can occur. So we can say law and Balzac’s «Human Comedy» merge together into a new common space in wich seizing stories are narrated and where the construction of individual identity takes place. This singular relationship between law and literature sheds a new light upon them, thus making them subjects to be studied from an anthropological point of view.

Keywords :

(5)

Remerciements

Au terme de ces recherches, je souhaite adresser mes remerciements à toutes les personnes qui les ont rendues possibles.

Je pense tout d’abord à Madame Laure lévêque, ma directrice de thèse, qui m’a proposé de travailler sur l’œuvre d’Honoré de Balzac et n’a pas cessé de m’encourager pendant ces sept années. Je la remercie pour sa présence et sa confiance dans la liberté de choisir la façon de mener ce travail.

J’exprime ma gratitude à Monsieur Thierry Santolini qui a apporté son éclairage de juriste en co-encadrant ces recherches et m’a apporté de précieux conseils.

Je pense aussi à Madame Stéphanie Moutou, pour son immense patience et sa disponibilité. Je tiens enfin à remercier les Professeurs qui ont accepté de lire ce travail et de faire partie du jury, Madame Christine Baron, Madame Catherine Mariette, Monsieur Laurent Reverso et Monsieur Alexis Le Quinio.

Je pense enfin à mes proches, mes amis, pour leur soutien, pour leur intérêt et leur patience ; je remercie plus particulièrement David d’avoir porté, supporté et apporté tant de choses, dans la générosité et l’affection. Merci à ma mère pour ces sept années et toutes celles qui m’ont menée jusqu’à elles.

(6)

A mes enfants, à mon père, à Mutti dont le regard fut fondateur entre tous.

(7)

Liste des principales abréviations :

Art. cit. : Article cité

Anc. : ancien (ici, 1804 pour le Code civil, 1810 pour le Code pénal) CASF : Code l’action sociale et des familles

Cass. civ. : Cour de cassation, Chambre civile CE : Conseil d’Etat

CEDH : Convention europénne des droits de l’homme CrEDH : Cour européenne des droits de l’homme CCN : Comité Consultatif National d’Éthique

CIDE : Convention internationale des droits de l’enfant CSP : Code la santé publique

D. : Dalloz Et s. : et suivant

JCP : Jurisclasseur périodique

L. P. : Collection La Pléiade (Éditions Gallimard) RTDciv. : Revue trimestrielle de droit civil

(8)
(9)

Table des matières

Remerciements ... 4

Introduction ... 11

Balzac et le droit ... 23

Héritage familial ... 23 Héritage personnel ... 25

La Comédie humaine

et le droit ... 31

Relations entre deux disciplines ... 33

Rencontre entre deux disciplines ... 37

Lecture ... 41

Créativité ... 45

Première partie : Une vie ... 58

Titre premier : La personne juridique ... 61

Titre second : Reconnaissance ... 74

I. Corps inachevé ... 75

II. Corps fragmenté ... 84

II.1. Le corps en personne ... 85

II.2. La personne, corps présent ... 87

III. Corps mort ... 90

III.1. Constat ... 91

III.2. Conséquences ... 103

III.2.1. Sur le corps ... 104

III.2.2. Sur les biens... 109

III.2.3. Sur les relations personnelles ... 111

Titre troisième : Sélection ... 117

I. Mise en jeu ... 118

I.1. Joueur poussé sur le plateau de jeu ... 118

I.1.1. Etablissement anticipé d’une filiation ... 118

I.1.2. L’enfant considéré comme étant né chaque fois qu’il y va de son intérêt ... 120

I.2. Joueur maintenu sur le plateau de jeu ... 122

II. Mise hors-jeu ... 127

II.1. Mise hors-jeu de la personne juridique ... 127

II.1.1. Mort civile ... 128

II.1.2. L’absence ... 132

II.2. Mise hors-jeu du corps ... 138

Deuxième partie : Un héritage ... 142

(10)

I. Une filiation... 146

I.1. Le sang ... 149

I.1.1. Présomption du lien de sang ... 150

I.1.2. Biologie ... 155

I.1.3. Mise au monde ... 159

I.2. La vie ... 161

I.2.1. Reconnaissance ... 162

I.2.2. Possession d’état ... 171

I.2.3. Adoption ... 176

II. Absence de filiation ... 178

II.1. Les pupilles de l’Etat ... 179

II.2. La recherche de filiation ... 183

II.3. Les filiations interdites... 186

II.3.1. L’adultère ... 186

II.3.2. L’inceste... 187

III. Un nom ... 202

III.1. Recevoir un nom ... 204

III.1.1. Mesure de police ... 204

III.1.2. Attribut de la personne ... 210

III.1.2.1. Qualité de joueur ... 211

III.1.2.2. Valeur du joueur ... 216

III.2. Conquérir un nom ... 218

III.2.1. Emprunt : prête-nom ... 219

III.2.2. Intervention... 220

III.2.3. Invention : le pseudonyme ... 226

III.3. Usurper un nom ... 228

Titre second : Transmission ... 238

I. Un chef de famille : « montre-moi ton or, fifille. » ... 241

I.1. L’idée d’un chef ... 241

I.2. La réalité de son pouvoir ... 253

I.2.1. La personne du mineur ... 255

I.2.1.1. L’abus de pouvoir : l’identité « broyée » ... 256

I.2.1.2. La contradiction du pouvoir : l’identité reconnue ... 276

I.2.2. Les biens du mineur ... 284

I.2.2.1. L’échange des rôles ... 285

I.2.2.2. « Des secrets et des mystères de vie et de mort des écus » ... 291

II. Un héritier ... 303

II.1. Le passage ... 304

II.1.1. Première entrée dans le monde... 305

II.1.2. Libération de la parole ... 308

II.1.2.1. La parole dite ... 309

II.1.2.2. Parole écrite ... 314

III.2. L’ « héritier » ... 322

III.2.I. Héritier choisi ou héritier ab intestat ... 324

III.2.2. Un ou plusieurs héritiers ... 328

III.2.2.1. Désignation de l’héritier par son âge ... 329

III.2.2.2. Désignation de l’héritier par son sexe ... 335

III.2.2.3. Désignation par la qualification du lien de parenté ... 336

Troisième partie : Des trajectoires ... 345

(11)

I. La loi : la binarité du sexe, une summa divisio ... 347

II. La femme : le sexe comme construction sociale ... 367

II.1. Le temps de la femme ... 371

II.1.1. Identité anticipée ... 371

II.1.2. Identité inscrite dans le temps ... 383

II.2. Les lieux de la femme ... 387

II.2.1. Visite guidée ... 388

II.2.2. Portrait ... 392

III. Le « monstre » : le sexe comme construction individuelle ... 399

Titre deuxième : Le mariage ... 405

I. Un débat théorique ... 411

II. Une analyse : « une prostitution secrète » ... 416

II.1. Transformation en valeur sociale : la femme-signifiant ... 418

II.2. Transformation en insignifiance : la femme-signifié ... 430

II.2.1. Matière... 431

II.2.1.1. Corps, objet de possession ... 434

II.2.1.2. Corps-objet de représentation ... 441

II.2.2. Sens ... 447

II.2.3. Transaction : entre la matière et le sens ... 455

II.2.3.1. Contrat exprès ... 455

II.2.3.2. Contrat tacite ... 460

II.3. Le mariage : « un malheur » ... 465

II.3.1. Observation d’une discipline conjugale. ... 467

II.3.2. Divorce ... 469

II.3.3. Adultère ... 470

Titre troisième : La capacité ... 477

(12)

« Les états que l’on se fait dans le monde ne sont que des apparences ; la réalité, c’est l’idée ! » (Vautrin, Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, L. P., t. VI, p. 912)

Introduction

Le colonel Chabert était soldat de l’armée de l’Empereur Napoléon Bonaparte. Lors de la campagne en ancienne Prusse orientale contre l’Empire russe, il commandait un régiment de cavalerie et fut un acteur déterminant de la bataille d’Eylau le huit février 1807 en pleine tempête de neige. Bataille victorieuse mais lourde en pertes humaines. Pendant la célèbre charge de Murat et après avoir contribué à son succès, le colonel eut le crâne ouvert à coup de sabre et son corps, à terre, fut piétiné par les chevaux de deux régiments. Une fois la bataille terminée, il fut délesté de ses vêtements et jeté dans une fosse aux soldats.

Quelques années plus tard, un homme à l’aspect pitoyable entre dans l’étude de l’avoué Derville et demande à s’entretenir avec lui d’une affaire délicate :

Monsieur, lui dit Derville, à qui ai-je l’honneur de parler ? Au colonel Chabert.

Lequel ?

Celui qui est mort à Eylau1.

Cette histoire est celle du Colonel Chabert, roman de Balzac où un homme vivant est déclaré mort et qui, de ce fait, n’est plus l’époux de sa femme, ni le propriétaire de ses biens, ni le titulaire de son identité sociale. Roman sur le triomphe du statut au détriment du réel.

Personnage à l’apparition unique dans La Comédie humaine, il est pourtant « l’un des plus reparaissants qui soient. Sa caractéristique est même de reparaître. Il est littéralement et dans tous les sens un revenant2 ». Revenant trainant avec lui les virtualités d’angoisses et de désordres que sa

présence implique. L’apparition de ce personnage porte en elle l’échec de l’éventuel désir de reconnaissance. Son être même est d’emblée et nécessairement chargé de sens négatif, il charrie

1 Le Colonel Chabert, L. P., t. III, p. 311, citation page 322.

(13)

sur son vieux carrik l’ombre de l’Empire qu’il incarne et la fragile et capricieuse lumière de la Restauration qu’il trouble. Il est si reparaissant qu’il va, par ses successives apparitions, rythmer le récit et le cours de l’histoire de son identité perdue.

La première apparition, en homme anonyme et délabré, mais surtout « anachronique3 », en

fantôme d’un temps révolu et relégué à l’oubli, ne parvient pas à déclencher l’intrigue ; il doit reparaître plusieurs fois et imposer sa présence sur plusieurs heures pour obtenir un entretien avec l’avoué Derville. Présence absente, plus exactement non efficiente ; il n’est rien qui fasse sens. C’est alors par le récit de son histoire qu’il fait apparaître, faiblement, les contours de sa personne et qu’il substitue à l’impossibilité d’être, une possibilité4.

La seconde apparition, devant son épouse, provoque le tournant de son histoire et précipite sa chute parce que celle-ci voit qu’il est méconnaissable. Derville, témoin de la scène, comprend le parti que la comtesse tirera de l’impossible reconnaissance physique du colonel :

Eh bien, colonel, n’avais-je pas raison en vous priant de ne pas venir ? Je suis maintenant certain de votre identité. Quand vous vous êtes montré, la comtesse a fait un mouvement dont la pensée n’était pas équivoque. Mais vous avez perdu votre procès, votre femme sait que vous êtes méconnaissable !5

Ayant conquis une faible signifiance par le récit, son corps le précipite à nouveau dans l’insignifiance. De l’insignifiance à l’inexistence, il n’y a qu’un pas : son corps retrouvé en état de catalepsie et gravement mutilé ne signifiait plus la vie et a été jeté dans la fosse de l’inexistence. Le droit et plus globalement la société ne font plus exister ce qui n’a pas de sens et c’est là une première approche de la notion d’identité individuelle dans deux de ses aspects : le corps doit au moins signifier la vie, et peut-être même plus, une incarnation singulière de celle-ci, et le récit ne peut fonder cette identité que s’il est accepté par les instances extérieures au sujet6.

3 Boris Lyon-Caen, Balzac et la comédie des signes. Essai sur une expérience de pensée, Presses Universitaires de Vincennes,

Saint-Denis, 2006, p. 32.

4 Jacques-David Ebguy, Le héros balzacien, Balzac et la question de l’héroïsme, Christian Pirot, 2010, p. 227. 5 Le Colonel Chabert, op. cit., p. 358.

6 « il n’est aucune vérité (vérité d’expérience, vérité d’évidence perceptive, etc.) dont un individu est le siège qui tienne

face au doute ou aux certitudes adverses de l’opinion et de l’autorité coalisées. […] il ne suffit pas d’ « y avoir été », de l’avoir « vu de ses propres yeux », de l’avoir « soi-même subi » pour pouvoir composer un récit » (Alain Brossat, « Colonel Chabert ou le revenant intempestif. » Intermédialités / Intermediality, numéro 10, automne 2007, p. 61–75.

https://doi.org/10.7202/1005553ar, citation page 65). Cet auteur précise justement que le problème ne se serait pas posé aussi fortement à Chabert s’il était revenu après avoir été déclaré mort suite à un accident de chasse, car le caractère hors-norme de sa mort, et le fait qu’elle devienne un fait de l’Histoire, font que les récits contraires et les doutes seront eux aussi hors-normes.

(14)

Présence déroutante, faiblement signifiante puis totalement insignifiante, qui provoque la disparition de son épouse ; l’incompatibilité entre ces deux mondes que sont les deux époux de l’Empire est ici clairement chorégraphiée.

La troisième apparition a lieu dans la salle d’audience d’un tribunal où le vieil homme comparaît pour vagabondage, infraction typiquement reliée à l’insignifiance7. Présence pitoyable et ambiguë,

entre noblesse du colonel et matérialité signifiante du lieu et des discours l’identifiant à un usurpateur malhonnête. Chabert chute depuis son pas de deux manqué avec Madame Ferraud. Enfin, dernière apparition, sur le bord d’un chemin, près de l’Hospice de la Vieillesse, tas de haillons informes, corps et esprit en cours de dissolution, il n’est pas qu’un corps, un numéro, un prénom, il est tout cela. Présence qui n’est pas rien parce qu’elle s’est vidée de son sens qui n’était qu’abstraction et récit du passé et que cet homme a cessé sa quête et sa chute en concentrant son énergie dans ces restes bien présents.

Il a enfin compris que sa personne physique ne peut coïncider avec l’identité du colonel mort à Eylau. Son identité s’est muée en abstraction depuis qu’elle a été accrochée au tableau de l’Histoire et il semble que l’on ne possède jamais réellement son identité. Courir après une chimère est bon pour un fantôme8, Chabert veut être présence actuelle et non convocation d’une

présence passée qui est le propre du reparaissant ; mieux vaut encore lâcher l’errance et l’ombre de son insaisissable identité pour s’enraciner à une réalité, aussi mince soit-elle, et constituée d’un corps, d’une place (au soleil9) et d’une double désignation (Hyacinte, matricule 164)10. D’enfant

apparu de nulle part, (il était orphelin), il devient vieillard surgi de nulle part. Corps ayant un prénom il était, corps ayant un prénom il redevient. Deux identités limitées au corps et, entre les deux, l’identité sociale. Il ne reparaîtra plus, désormais.

Entre l’identité qui se charge d’éléments de récit, biographie, épouse, statut social, nom, et l’identité qui se dépouille pour faire apparaître l’existence brute, il y a la société et ses récits. Ainsi, l’identité est dans un récit qui n’appartient pas entièrement au sujet et elle convoque le corps pour

7 « inutiles au monde » sont les indigents en grand nombre qui se déplacent, depuis le XIVe siècle (Ilsen About et

Vincent Denis, Histoire de l’identification des personnes, Paris, Editions La Découverte, 2010, p. 49).

8 Paul Morand dit du roman qu’il s’agit d’ « une inoubliable histoire de spectre » (cité par S. Vachon, « Introduction »

au Colonel Chabert, Le Livre de poche, 1994, p. 5-6.

9 Le Colonel Chabert, op. cit., p. 367.

10 En ce sens et parce que l’errance de Chabert est bel et bien le fait d’une absence de sa qualité de personne, nous ne

suivons pas Pierre Laforgue qui fait de Chabert un personnage qui perd cette qualité de personne (La Fabrique de La Comédie humaine, op. cit., p. 103). Au lieu qu’il soit un personnage sans identité, « évidé d’elle-même », nous pensons au contraire qu’il passe de l’état d’apparition, donc de fantôme, à celui de corps identifié, de chose peut-être, mais ayant néanmoins une identité par la réunion d’une double désignation (prénom et matricule) et d’une place matérialisée par son corps dans un espace matérialisé par le soleil, l’arbre, le chemin.

(15)

s’y loger et se conforter ; Au sujet de faire écrire ce récit en jouant sa partition et en allant sur le champ de bataille décrocher les médailles qui graveront son nom dans l’Histoire ; à lui aussi d’apprendre à vivre en jouant parfois, plus ou moins, sur les différents composants de son histoire. Il n’en demeure pas moins que Chabert, pas plus qu’un autre, n’est l’auteur de ce ou ces récits et que le jeu consiste à jouer avec mais non pas à l’inventer. C’est ce que raconte l’ultime dépossession de soi de ce vieil homme, sur le bord d’un chemin : il abandonne la partie en n’ayant pas réussi à imposer son propre récit.

Chez Balzac, les réalités s’affrontent en même temps que les passions et les égoïsmes ; toute lutte humaine est fondamentalement une lutte de territoire créatif et elle met en jeu des situations sociales opposées entre elles ou en conflit avec les normes. L’enjeu de tous les antagonismes est la mainmise sur la création de la réalité. Du banquier cynique qui crée artificiellement faillite sur faillite à la fiancée qui aiguise ses atouts le soir de la signature du contrat de mariage, en passant par Madame Ferraud qui joue la comédie de l’amour, chacun veut imposer un ordre de choses avantageux pour lui et, pour cela, utilise le plus souvent le droit : usurpateur, Chabert, vagabond, époux

de la comtesse, tous ces éléments de langage sont des qualifications données par le droit. Bien

évidemment, cette lutte où tous les moyens sont permis est vouée à l’échec pour les plus faibles socialement, intellectuellement, moralement, physiquement.

Monsieur Chabert vieux, usé, pauvre, fidèle de Napoléon Bonaparte sous la Restauration, se laissera séduire et ne créera aucune réalité avantageuse pour lui. Le mariage aristocratique des Ferraud triomphera du mendiant. Entre deux intérêts opposés, la morale de l’histoire sacrifie le moindre et s’appuie pour cela sur la loi. L’état civil ne sera pas modifié ; mieux vaut faire porter à ce vieux mendiant le poids de l’incompatibilité entre son identité et son corps.

L’état civil est alors le nœud par lequel passait tous les espoirs de l’aspirant colonel Chabert ; c’est lui qu’il aurait fallu rectifier, c’est lui qui le maintient dans son vieux manteau de l’Empire. L’état civil est si important dans le processus de fabrication d’une identité qu’il est considéré comme un élément constitutif de celle-ci et est devenu un droit11.

11 « Lorsqu’une personne est sans état civil connu, il doit lui en être constitué un par jugement déclaratif de

naissance. » (Paris, 3 novembre 1927, D.P. 1930, 2, 25, D.C. 1930, 2, 25, note Savatier). Cela est applicable à toute personne vivant en France, fût-elle de nationalité étrangère. Il s’agit là d’un intérêt d’ordre public : « Un intérêt d’ordre public s’attache à ce que toute personne vivant habituellement en France, même si elle est née à l’étranger et possède une nationalité étrangère, soit pourvue d’un état civil » (Paris, 24 février 1977, D.S. 1978, 168 ; Paris, 2 avril 1998 D. I.R. 137, R.T.D.civ. 1998 651).

La nécessité sociale d’avoir un état civil, c’est-à-dire une trace de soi dans la mémoire impersonnelle de l’administration, est si forte aujourd’hui que, de mesure de gestion du recensement et de l’identification, elle a pris une forme sacrée en s’incorporant à l’identité la plus intime. Les textes qui consacrent cette nécessité sont internationaux et nous pouvons citer la Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 26/01/1990

(16)

signée et ratifiée par la France, donc en principe invocable devant les juridictions françaises. Son article 7 nous dit que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a, dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. » (La question de son applicabilité en France a fait débat mais la Cour de cassation et le Conseil d’Etat lui donnent une autorité directe, ce qui permet à tout justiciable de l’invoquer directement devant n’importe quel tribunal français).

L’idée est que le fait d’exister aux yeux de la société est un droit qui s’ajoute à celui d’exister purement et simplement et cela suggère que l’identité psychique de la personne est en relation étroite avec cette reconnaissance sociale qui est aussi une reconnaissance politique. D’ailleurs, l’article qui suit énonce pour la première fois un concept qui va devenir majeur dans le droit français relatif au mineur, celui de l’ « intérêt de l’enfant ». Or, s’il n’y a pas de définition précise du terme et qu’il n’est là que pour donner une orientation dans la façon de considérer l’enfant, en France en tout cas il sera repris et fortement relié à la notion d’identité.

La convention de New-York relative aux droits de l’enfant proclame le droit de celui-ci de voir sa naissance enregistrée, d’avoir un nom, une nationalité et de voir ses liens parentaux protégés. Il ne s’agit pas d’un droit à un état civil mais on s’en approche. Ce qui est posé, c’est le fait que tout être à sa naissance, en plus d’avoir droit à la vie biologique, a droit à la vie sociale. Parce que nombre d’Etats fonctionnent sur un principe de reconnaissance des individus à travers un enregistrement de leur existence, cette situation est prise pour modèle. L’état civil non comme identifiant, non comme preuve, mais bien comme clé d’accès à la vie sociale est ici mis en valeur.

Naissance, nom, nationalité, filiation, autant d’éléments qui composent l’état civil et considérés comme majeurs pour le développement harmonieux et conforme à l’intérêt de l’enfant, autrement dit, pour son identité.

Tous les droits listés par l’article 7 invoquent une appartenance : à la société, à une généalogie, à un Etat et à une famille. Tous ces droits renvoient à un lien qui relie l’individu à un groupe. Par conséquent, le droit à l’enregistrement de son être en tant qu’être existant est le droit à un lien fort avec une société, que ce lien soit celui du sol ou celui du sang. L’idée que porte cet article est que pour se construire, le préalable est un lien, celui que l’on établit avec soi et ses propres caractéristiques physiques et psychiques, avec un environnement et avec les autres.

Le cas des « enfants noirs » en Chine est caractéristique de l’importance que revêt l’existence sociale pour un être humain. En 1979, la Chine met en place la politique de l’enfant unique dans le but de limiter le nombre des naissances. Durant presque trente-cinq ans, les enfants « nés en trop » n’avaient aucune existence légale. Des millions d’individus ont donc vu le jour et ont été officiellement privés d’école, de travail, de carte de bus, etc. Cette politique vient d’être assouplie à deux enfants autorisés.

C’est aussi la situation que vivent des milliers d’enfants d’origine étrangère, isolés ou pas, mais sans document d’état civil. En effet, nombre de migrants qui passent nos frontières n’ont pas de document d’état civil de leur pays d’origine ou ont des documents incomplets. Certains pays ont leurs états civils détruits, d’autres n’en ont presque pas, comme l’Erythrée. Or, les personnes arrivant en France en ont besoin pour remplir des demandes d’autorisation de séjour y compris pour demander le statut de réfugié. Néanmoins, celui qui obtient le statut de réfugié obtient également la reconstitution de documents d’état civil par l’Ofpra à partir de tout document du pays d’origine et des déclarations de l’intéressé. Il en va de même dans le cadre de la protection subsidiaire, une protection moindre que celle qu’accorde le statut de réfugié. Outre la Convention de New-York ci-dessus, la Convention de Genève sur les réfugiés prévoit que « les États contractants délivreront des pièces d’identité à tout réfugié se trouvant sur leur territoire et qui ne possède pas un titre de voyage valable » (art. 27). Dans le même esprit, certaines juridictions françaises ont affirmé que le fait de fournir un état civil à des étrangers vivant habituellement en France relève d’un intérêt d’ordre public et se sont déclarés compétents pour rendre des jugements supplétifs d’un état civil dans ces cas. L’état civil est ainsi proclamé, sinon comme un droit, du moins comme une nécessité sociale. Pourtant, les autorités françaises ne respectent pas toujours ce principe. En effet, face à des documents d’état civil étrangers ou tout autre document substitutif émanant d’une autorité étrangère à la France produits en vue de l’obtention d’un titre, les autorités adoptent une position par principe suspecte et exigent presque toujours une procédure de validation de ces actes. Il a bien sûr fallu un contentieux pour que soit tranchée la question de la compétence pour valider ces actes. Mais il n’est pas toujours possible d’obtenir cette validation et la France n’hésite pas à refuser la validité des actes produits (il arrive donc que le Conseil d’Etat annule des décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, par exemple C.E. 6ème sous-section jugeant seule, 15/12/2010, 330171).

Pourtant, l’article 47 du Code civil dispose que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet

(17)

L’état civil républicain est né en France avec un décret du 20 septembre 1792. Il centralise les données des individus12. Il a donc à voir avec l’identification d’une personne, c’est à dire

[…] l’opération de reconnaissance au cours de laquelle on compare des caractéristiques déterminées et connues avec la personne présente, pour s’assurer qu’un individu est bien le même d’un moment ou d’un lieu à un autre13.

Avec notre vieux débris de l’Empire, l’on butte sur la reconnaissance du corps, ce que l’on nomme « signalement » ; cependant, l’on est déjà à une époque régie par le papier, où l’état civil est pris en main par l’Etat qui contrôle l’identification de sa population14. Le drame du revenant

est double : il ne peut être signalé par son physique et ne peut répondre à la question posée plus tard à Vautrin, alias Jacques Collin, alias l’abbé Carlos Herrera : « Vous avez des papiers qui constatent les qualités dont vous parlez ?15 ». Non. Pire, il a des papiers qui le disent mort.

L’aboutissement de la construction de l’identification des individus est la création de l’état civil qui « permet de constater de manière authentique, sur des registres tenus à cet effet, les principaux événements dont dépend l’état d’une personne : naissance, mariage, décès, et par là d’éliminer, sauf exception, la preuve testimoniale trop fragile et incertaine16. » L’état civil est donc

la consignation et la conservation des données relatives à l’état des personnes.

acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Les actes rédigés par des autorités étrangères sont donc valables sauf preuve contraire.

A l’inverse du « droit à l’identité », il y a des circonstances qui font émerger un droit à être considéré sans celle-ci. Lorsqu’un migrant arrive aux portes de l’Europe sans visa, il se débarrasse la plupart du temps de ses papiers d’identité. En effet, le statut juridique qu’ils recherchent est le statut de réfugié, or celui-ci est extrêmement restrictif. Ceux-ci optent donc pour l’anonymat qui signifie ici de couper avec la biographie qui est la leur et qui ne serait pas considérée par les Etats « accueillants » comme suffisamment tragique pour ouvrir le statut de réfugié. Ils se disent donc syriens, fuyant la guerre, lorsqu’ils sont parfois d’autres pays fuyant la faim, la persécution politique difficile à démontrer, ou la violence sociale (Matéi Visniec, Migraaaants, Paris, Editions Théâtrales l’Œil du Prince, 2016).

12 Ilsen About et Vincent Denis, Histoire de l’identification des personnes, op., cit.

13 Vincent Denis, Une histoire de l’identité. France, 1715-1815, Seyssel, Champ vallon, 2008, p. 9-10, également sur

l’histoire de l’identification. Egalement sur l’histoire de l’état civil, Histoire de la population française. Vol. 2. De la Renaissance à 1789, sous la direction de Jacques Dupâquier et Pierre Chaunu, PUF, 1988, montrant la mise en place progressive des registres paroissiaux, puis, à la faveur de l’Edit de tolérance (28/11/1787), un premier état civil laïc (dont il y avait eu, précédemment, des esquisses) pour ceux qui n’étaient pas de religion catholique.

14 Ibid., notamment sur le débat qui oppose ceux qui font de la Révolution un tournant dans l’identification prise en

charge par l’Etat au moyen du papier et ceux qui montrent que cette évolution avait déjà commencé au XVIIIe siècle.

15 Splendeurs et misères des courtisanes, L. P., t. VI, p. 429, citation page 746.

16 Anne Lefebvre-Teillard, Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de Denis Alland et Stéphane Rials, Paris,

PUF, 2003, article Etat civil. De même, la Cour de cassation définit ainsi l’acte d’état civil : « L’acte de l’état civil est un écrit dans lequel l’autorité publique constate, d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou plusieurs personnes » (Cass. 3ème ch. civ. 14/06/1983).

(18)

L’état des personnes, dans le Code civil de 1804, est composé de ce qui localise l’individu par rapport à des institutions fondamentales que sont l’Etat et la famille17 :

L’état peut donc être défini [comme] la position de l’individu considéré comme membre d’un groupe politique appelé nation et d’un groupe plus étroit constitué par le mariage ou tout au moins par la filiation18.

Comme le relève Henri Capitant, le Code civil distingue l’état des personnes de la capacité19 ; il reprend donc cette distinction à son compte et n’inclut dans la première que les situations au regard de la nationalité, du mariage et de la filiation. Les situations de minorité et de capacité juridique en sont donc exclues. Or, non seulement d’autres confondent état et capacité20, faisant de l’état des personnes une réunion d’éléments qui incluent la minorité, le sexe et la capacité juridique, mais surtout, Balzac ne distingue pas ce qui relève de l’un ou de l’autre.

Dans l’Avant-propos à La Comédie humaine rédigé en 1842 pour la réédition complète de son œuvre sous ce titre qu’il crée à cette occasion, il conceptualise l’ensemble de ses écrits sous une idée commune « qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la Société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes21 ».

17 Aujourd’hui ce serait également à l’égard des autres individus : l’état des personnes « rassemble les éléments

caractéristiques de sa situation juridique », c’est-à-dire de son statut politique et de son statut civil. C’est le statut civil qui nous intéresse et il comprend le nom, le domicile, la capacité juridique, le statut familial, c’est-à-dire la filiation et le statut matrimonial et le statut social (Bernard Teyssié, Droit civil des personnes, 20e édition, 2008, Lexinnexis SA,

p. 11). Nous laissons de côté le statut social, bien qu’il déterminât l’identité de façon tout aussi puissante qu’aujourd’hui. La Comédie humaine s’y intéresse, nous semble-t-il, mais l’on comprend qu’il n’est pas ramené dans la sphère de l’état civil, au sens large comme au sens restreint.

Egalement cette définition du Lexique des termes juridiques : l’état des personnes est « l’ensemble des éléments caractérisant la situation juridique d’une personne au plan individuel (date et lieu de naissance, nom, prénom, sexe, capacité, domicile) au plan familial (filiation, mariage) et au plan politique (qualité de français ou d’étranger) de nature à permettre d’individualiser cette personne dans la société dans laquelle elle vit » (Editions Dalloz, 2018).

18 Henri Capitant, Introduction à l’étude du droit civil : notions générales, Paris, A. Pedone Editeur, 1929, p. 143. Egalement :

« L’état (status) est la position d’un individu, en tant qu’on le considère comme membre de l’association politique ou de la famille à laquelle il appartient. On peut envisager l’état séparément, au point de vue de la nationalité et à celui de la parenté, et par suite distinguer l’état de cité (status civitatis) et l’état de famille (status familiae) » (Charles Aubry et Charles Rau, Cours de droit civil français, d’après l’ouvrage allemand de C. –S. Zachariae, t. 1er, Paris, Cosse,

Imprimeur-Editeur, 1856, p. 162).

19 Article 3 alinéa 3 anc. du Code civil. La capacité juridique peut s’entendre comme l’ « aptitude à acquérir un droit et

à l’exercer reconnue à tout individu (C. civ., a. 1123 [anc.]) et, en fonction de leur nature, de leur objet et de leur forme, aux personnes morales » (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2007, v° capacité, sens 1).

20 Par exemple Planiol et Ripert, Traité de droit civil français, 2e édit., t. I ; Les personnes, par Savatier, n° 13 et 14, cité par

Henri Capitant, ibid., p. 144 note 1.

21 Avant-propos, L. P., t. I, p. 7, citation page 20. Sur ce texte et sur « L’opération Comédie humaine », voir Annette Rosa

et Isabelle Tournier, Balzac, Paris, Armand Colin, 1992, p. 24-25 et 39-42. Egalement José-Luis Diaz, « De l’artiste à l’écrivain ou comment devenir l’auteur de La Comédie humaine ? », dans Balzac Œuvres complètes, Le « Moment » de La Comédie humaine, Textes réunis et édités par Claude Duchet et Isabelle Tournier, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1993, p. 113-135.

(19)

La société française allait être l’historien, je ne devais être que le secrétaire22.

C’est en exposant cette idée qu’il s’interroge sur la difficulté de la tâche :

N’est-il pas véritablement plus difficile de faire concurrence à l’Etat Civil avec Daphnis et Chloë, Roland, Amadis, Panurge, Don Quichotte […], que de mettre en ordre les faits à peu près les mêmes chez toutes les nations, de rédiger des théories qui égarent les peuples, ou, comme certains métaphysiciens, d’expliquer ce qui est ?23

Le vieux colonel invite à chercher ce qui ferait de lui une personne reconnaissable et nous voudrions le suivre dans cette quête d’un état civil qui cesserait de concurrencer son existence. Or, il semble que Le Colonel Chabert se prolonge d’autres pistes de recherches dans La Comédie

humaine, qu’elle s’intéresse aussi à d’autres nœuds par lesquels passent les espoirs d’ aspirants à

une identité reconnue. L’on ne peut, par exemple, ignorer L’Interdiction lorsque l’on étudie la façon dont l’identité individuelle a à voir avec les capacités d’agir données par le droit. Comme Balzac, par conséquent, nous prendrons l’état civil comme un tout qui rassemble différentes caractéristiques attachées à la personne et configurent ses possibilités et ses modalités d’action dans la société.

Si ces possibilités ont à voir avec l’existence humaine, avec l’histoire personnelle dont celle-ci s’accompagne, avec la possibilité d’agir avec les instruments du droit, avec la façon dont un pauvre homme se considère lui-même dans son essence, elle a à voir avec l’identité.

Malheureusement, voici un concept indéfinissable :

Le mot m'a séduit, mais n'a cessé, des années durant, de me tourmenter. […]. Manifeste est son ambiguïté : il est une série d'interrogations ; vous répondez à l'une, la suivante se présente aussitôt, et il n'y a pas de fin24.

Nous avons néanmoins relevé ceci : un récit, ou plusieurs, la fondent ; ce récit peut être en décalage avec le réel ; la personne n’en a pas la maîtrise totale et n’en est pas l’auteur ; le corps de celle-ci est fortement impliqué dans l’existence et les formes de l’identité.

L’identité est une notion qui, à l’époque de la rédaction du Code civil, ne suscite que peu d’intérêt. Jusqu’au XXe siècle, c’est essentiellement en tant qu’outil d’identification des personnes

22 Ibid. p. 11. 23 Ibid. p. 10.

(20)

qu’elle est considérée25. Et en effet, cette notion pose la question de la permanence dans le

changement, c’est ainsi qu’elle a été envisagée depuis l’antiquité. Avec John Locke, c’est la mémoire qui fait le lien et donc l’identité (au sens de « mêmeté »)26. Voltaire donne une définition

du terme « identité » dans le Dictionnaire philosophique :

Ce terme scientifique ne signifie que même chose ; il pourrait être rendu en français par mêmeté. […]. Vous êtes le même que par le sentiment continu de ce que vous avez été et de ce que vous êtes ; vous n’avez le sentiment de votre être passé que par la mémoire : ce n’est donc que la mémoire qui établit l’identité, la mêmeté de votre personne. En ce sens, l’identité n’est que la mémoire, la mêmeté de votre personne27.

C’est donc la mêmeté qui est prise en compte28, et non l’ipséité qui,

[…] contrairement à la mêmeté, que le droit aborde, […] consiste dans la construction, par le récit, d’une identité personnelle qui est le résultat d’une « interprétation de soi »29.

Le droit s’est donc longtemps désintéressé de « ce qui constitue30 » le sujet, au profit des

conditions dans lesquelles un individu peut être rattaché à une action, dans une optique pragmatique héritée du droit romain. Ainsi, l’individu a été perçu à travers ses rôles et sa définition était fonctionnelle et objective. En fonction de son sexe, de son âge, de sa nationalité, de son statut matrimonial ou de sa filiation, la personne humaine s’est vu attribuer des possibilités, des modalités et des sphères d’action. L’identité a donc essentiellement été diachronique, inscrite dans l’écoulement de la vie d’un individu.

Cette identité du dehors, assignée par la société au moyen de l’état civil, se mêle à une identité du dedans, c’est-à-dire le « soi », un ensemble de caractéristiques et de valeurs qui font l’image et les représentations que l’on a de soi-même31. Mais il semble que cette définition ne donne que la face

25 David Deroussin, « Éléments pour une histoire de l’identité individuelle », dans L’identité, un singulier au pluriel, sous

la direction de Blandine Mallet-Bricourt et Thierry Favrio, Dalloz, 2015, p. 7-23.

26 Catherine Halpern, « Faut-il en finir avec l’identité ? », dans Identité(s), L’individu, le groupe, la société, coordonné par

Catherine Halpern et Jean-Claude Ruano-Borbalan, Sciences Humaines Editions, 2004, p. 11.

27 Œuvres de Voltaire, Dictionnaire philosophique, t. 30, Paris, Lefèvre, Libraire, Xerdet et Lequien fils, 1829, article Identité. 28 Les définitions actuelles et non juridiques du terme tournent elles aussi autour de cette idée de mêmeté : « latin

identitas, dérivé de idem, « le même ». Qualité de ce qui fait qu’une chose est la même qu’une autre, que deux ou plusieurs choses ne sont qu’une. 1. Caractère de deux objets de pensée identiques. 2. Caractère de ce qui est un. 3. Caractère de ce qui demeure identique à soi-même, dans l’être humain. » (Dictionnaire culturel en langue française, sous la direction d’Alain Rey, Dictionnaires Le Robert, 2005).

29 David Deroussin, « Éléments pour une histoire de l’identité individuelle », art. cit., p. 7, note 3. Il renvoie à Paul

Ricoeur : « L’identité narrative », Esprit, juill. 1988, p. 295.

30 Ibid.

(21)

consciente des choses et qu’il y manque l’aspect inconscient de l’identité qui correspond plus à un phénomène d’adhérence, d’identification que d’image, laquelle implique une certaine distance. Car la mémoire crée ses histoires et n’a pas la fidélité d’un livre ; l’identité dans la mémoire est donc une identité dans le récit que l’individu se fait de lui-même. L’homme au carrick est peut-être le colonel, peut-peut-être pas. Entre assignation du dehors et reconstruction du dedans, l’identité peut se concevoir dans la relation du sujet avec son environnement. C’est bien ainsi que la concevait le psychologue Erik Erikson, l’un des premiers à avoir fait sortir l’identité du domaine de l’objectivité.

Tout élément, extérieur ou intérieur à la personne, contribue à la construction de son identité, cependant nous nous intéresserons uniquement à celle qui nous est donnée par l’état civil, celle qui nous identifie « du dehors par l’index qui [nous] désigne32 ». La dimension sensible de

l’identité, c’est-à-dire du sentiment d’identité, ne sera pas abordée pour elle-même mais uniquement en tant que façon dont le sujet vit l’assignation. Également, l’identité comme ce qui identifie à soi-même dans le temps, l’identité diachronique, ne nous occupera pas non plus ; il en sera de même, en miroir, de l’identité comme procédé d’identification d’un individu et de l’individuation en tant que processus par lequel il se différencie des autres33. L’identité comme

différenciation ou comme mêmeté, à soi ou aux autres, ne sera pas l’objet de ce travail.

Ce qui nous intéressera, c’est le processus par lequel le récit identitaire d’un individu se construit. Cela ne se limite pas à s’individualiser en tant que colonel Chabert, par exemple, mais à en revendiquer toutes les dimensions : mariage avec Madame Chabert, héros de l’Empire, propriété d’une fortune, rang social. C’est la vie, le parcours et le corps du colonel qui sont convoqués dans l’affirmation de son nom. Et qui doivent passer par ce nœud qu’est l’état civil pour être reconnus par les autres et emportés avec le vieux monsieur. Comme le dit sagement Joséphine Claës à son mari qui cherche le principe premier de toute matière et essaie de décomposer l’azote :

Décomposer n’est pas créer34.

Décomposer l’état civil et considérer ses parties détachées les unes des autres et pour elles-mêmes ne fera pas apparaître l’identité du monsieur au vieux carrick. Il est nécessaire de lui demander, à lui, ce qu’est le fait d’exister, d’être un homme, un époux, un héros de l’histoire ou un propriétaire fortuné. Nous aurons alors un récit, le sien ; Il ne nous satisfera pas non plus parce qu’il est subjectif et qu’un abbé dénommé Carlos Herrera peut nous convaincre que ces éléments n’ont

32 Alfred Grosser, Les Identités difficiles, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1996, p. 13. 33 Le Petit Larousse, Paris, Larousse, 1995.

(22)

aucune importance, qu’il est lui-même un criminel et que ce qui compte pour lui, c’est ce que l’on fait de ces éléments qu’il manipule comme les pions d’un jeu. Il apparaîtra alors que ce qui compte, ce n’est pas l’identité, c’est l’existence humaine et son expérience.

Il faudra donc retourner vers l’état civil et peut-être autour, dans le droit en général. L’état civil est posé dans le Code civil. L’on n’y trouvera pas de définition de l’identité, l’on ne trouvera que les moyens de définir l’identité d’un individu, à l’aide de critères jugés objectifs : la naissance, la filiation, le nom, le sexe, l’âge, le statut marital et la capacité juridique. L’expérience humaine commence avec l’existence d’un corps, elle s’organise autour du sexe de ce corps et de la filiation dont il est issu et par laquelle un héritage lui est transmis, et enfin, elle se décline en fonction de son statut de mineur ou de majeur, de son statut matrimonial et de sa capacité juridique.

Cela, nous le verrons en ouvrant le Code civil mais nous ne le comprendrons pas ainsi. Il nous faudra les expériences du monsieur au vieux carrick ou du faux abbé et de bien d’autres pour savoir ce que cela fait à la personne d’être une femme ou un enfant, un époux ou un incapable. Le projet de Balzac est juste, nous semble-t-il ; c’est bien en confrontant l’état civil et sa Comédie

humaine que nous esquisserons peut-être un peu de l’expérience humaine de la société française au

XIXe siècle. Comme nous souhaitons, avec notre vieux monsieur, trouver ce que c’est que d’exister et d’être quelqu’un pour autrui et soi pour soi-même, nous n’entreprendrons cette confrontation qu’en ce qui concerne cette question, que nous désignons par le terme d’identité et qui se loge à la frontière entre l’extérieur et l’intérieur d’un être.

L’expérience humaine semble ainsi fortement configurée par le droit, à tout le moins les règles posées par le Code civil. Cette approche anthropologique est originale, Balzac apparaît alors, non pas uniquement un historien, mais aussi un ethnologue35, si l’on prend les définitions de l’histoire

et de l’ethnologie données par Claude Lévi-Strauss :

Nous nous proposons de montrer que la différence fondamentale entre les deux n’est ni d’objet, ni de but, ni de méthode ; mais qu’ayant le même objet, qui est la vie sociale ; le même but, qui est une meilleure intelligence de l’homme ; et une méthode où varie seulement le dosage des procédés de recherche, elles se distinguent surtout par le choix de perspectives complémentaires : l’histoire organisant ses données par rapport aux expressions conscientes, l’ethnologie par rapport aux expressions inconscientes, de la vie sociale36.

35 Les termes « ethnologie » et « anthropologie » sont utilisés de façon synonyme (Robert Deliège, Une histoire de

l’anthropologie. Ecoles, auteurs, théories, Editions du Seuil, 2013, p. 9.

(23)

Si l’historien et l’ethnologue intègrent dans leur domaine de recherches les données de l’autre, conscientes pour l’ethnologue, inconscientes pour l’historien, néanmoins, les ethnologues adoptent une démarche qui vise à « éliminer tout ce qu’ils doivent à l’événement et à la réflexion37 ». Si l’on considère bon nombre de personnages balzaciens, et c’est même une de leurs

caractéristiques, l’on ne peut que contredire notre rapprochement de La Comédie humaine avec l’ethnologie sur ce critère. Julie d’Aiglemont, Vautrin, Claire de Beauséant, Henriette de Mortsauf, Renée de Maucombe et bien d’autres sont des analystes patentés de leur environnement et particulièrement du droit comme « raison de ces effets sociaux38 ». Ces raisons sont donc

conscientes, elles sont vues, comprises et décortiquées. Néanmoins, beaucoup d’autres personnages ne sont pas conscientsde ces phénomènes et les subissent, nous verrons notamment les enfants, Pierrette et Hélène, ou assimilés, tels Schmucke, mais aussi Clémence, Paquita, Esther, dans une certaine mesure, Coralie, etc. Ceci étant, il est vrai que ce n’est pas la conscience des individus qui fait qu’un phénomène est conscient ; le droit à l’œuvre, par ses prescriptions, dans la vie intime et dans les « actes de la vie individuelle39 », est un phénomène conscient dont

les effets ne le sont pas toujours et c’est un niveau de lecture de La Comédie humaine. Il y en a cependant un autre, qui se plonge dans ce phénomène, en l’occurrence le droit, et tente de ramener à la surface des représentations du monde et plus profondément encore, des façons de construire ces représentations, phénomènes tout à fait inconscients :

Mais, sur un chemin où ils font, dans le même sens, le même parcours, leur orientation seule est différente : l’ethnologue marche en avant, cherchant à atteindre, à travers un conscient qu’il n’ignore jamais, toujours plus d’inconscient vers quoi il se dirige ; tandis que l’historien avance, pour ainsi dire, à reculons, gardant les yeux fixés sur les activités concrètes et particulières, dont il ne s’éloigne que pour les envisager sous une perspective plus riche et plus complète40.

La Fille aux yeux d’or41, par exemple, peut nous amener à réfléchir comment se vit le droit de la

filiation, en 1804 comme aujourd’hui, parce que cette matière est traversée par des récits ou des embryons de récits, parfois contradictoires, qui donnent forme aux règles de surface. Il n’y aurait donc pas des phénomènes conscients et d’autres inconscients, il y aurait des niveaux de lecture et de plongée dans ces matières afin d’atteindre à de l’indicible qui préfigurerait le droit. Il semble que La Comédie humaine permette cette plongée vers l’indicible du droit. Nous l’envisagerons donc dans son ensemble, non pas comme un tout cohérent et pris dans un projet stable, mais comme

37 Ibid. p. 37.

38 Avant-propos, op. cit., p. 11. 39 Ibid. p. 17.

40 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, op. cit., p. 38. 41 L. P., t. V, p. 1039.

(24)

un monde changeant, disparate et parfois contradictoire mais qui incorpore des permanences, des éternels recommencements. Néanmoins, et pour de simples raisons pratiques, nous resserrerons le travail autour d’un nombre de romans et de nouvelles qui reste conséquent et qui sert le propos de façon assez pertinente pour ne pas multiplier les exemples et les sources d’une façon qui deviendrait illisible.

Pour qu’il y ait une relation forte, structurante, entre La Comédie humaine et le droit, il faut qu’il y en ait une entre Balzac et le droit.

Balzac et le droit

Balzac se forme en droit en étant au contact de celui-ci de plusieurs façons. Son père, personnage balzacien s’il en est, pose son regard sur tout ce qui passe à sa portée, avec la même facilité qu’aura son fils à mettre en relief les liens entre contrainte normative et phénomène de société. Une façon de voir le monde qui prépare Honoré à recevoir la formation juridique qui sera la sienne. Après avoir abordé l’héritage personnel de Balzac, nous nous intéresserons à sa formation scolaire et professionnelle en nous basant sur la présentation qu’en a faite Michel Lichtlé42.

Héritage familial

L’imprégnation de Balzac par un entourage qui, tout en étant préoccupé de position sociale et de réussite dans les affaires, se piquait de pouvoir contribuer à l’analyse et à l’amélioration du droit en France, a peut-être été déterminante. Il a en effet été mis en contact avec le droit comme chose, mais également comme objet de discours et d’analyses. Son père, auquel il doit une part de son exubérance et de son intérêt pour la vie et ce qui s’y passe de petit 42 « Balzac à l’école du droit », dans Balzac, le texte et la loi, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2012, p.

(25)

ou de grand, avait été juge de paix. Cet homme, au parcours balzacien et à la personnalité typique d’un roman de son fils, mérite quelques développements43.

Bernard François Balssa, aîné de onze enfants, est né dans un hameau situé près d’Albi. Fils d’ouvrier agricole, il reçoit une instruction qui le destine à la prêtrise. Après quelques petits emplois notamment auprès d’un clerc, il quitte son village pour Paris. En homme vigoureux et plein d’ambitions, il fait peu à peu sa place dans cette ville, tentant tous les métiers qui lui permettent d’asseoir sa situation. Au bout de quatre années, il parvient à être clerc d’avoué. A trente ans, il seconde un maître des requêtes au Conseil du roi, ce qui se transformera dans ses propos en « secrétaire du Conseil du roi ». En 1792, le républicain Balssa est président de la section des Droits de l’homme, membre du Conseil général de la Commune de Paris et surtout trésorier au Bureau central des Fourrages de l’armée du Nord, puis trésorier des substances militaires de Paris, puis trésorier des Camps sous Paris. Il s’enrichit considérablement, d’une façon qui restera trouble. Le père Goriot, Grandet et bien d’autres seront des modèles du genre, hommes prêts à toutes les concussions pour s’enrichir et arrivés au bon moment, pendant la Révolution, pour profiter de la guerre44. Particulièrement du Bousquier45, lui-même

« entrepreneur des vivres des armées françaises ». Balzac écrira que « Les affaires de ce temps-là n’étaient pas claires46 ». Il nous donnera d’ailleurs un exemple de trafic sur les fournitures aux

armées dans un épisode tragique de La Cousine Bette47.

Sous l’Empire, Balssa, devenu Balzac, devenu également bonapartiste, est maire adjoint et administrateur de l’hospice de Tours. Il a épousé, à cinquante et un ans, laure Sallambier, dix-huit ans, fille de l’ancien directeur du service des Camps sous Paris dont Balssa était le trésorier, devenu directeur des Hôpitaux de Paris. Drôle d’union, qui rapprochait ainsi deux hommes ayant trempé dans des marchés douteux et lucratifs.

A la naissance de Laurence, l’aînée des quatre enfants, le père fait faire deux séries de faire-part. L’une, destinée aux plus proches du couple et annonçant « Monsieur Balzac … et Madame Balzac … », l’autre, destinée aux moins intimes et aux aristocrates, « Monsieur de Balzac … et Madame de Balzac ». Et voilà la particule qui apparaît dans l’héritage du futur Honoré48.

43 Voir Stefan Zweig, Balzac, le roman de sa vie, Editions Albin Michel, 1950, pour la traduction française. Egalement

André Wurmser, La Comédie inhumaine, Librairie Gallimard, 1964.

44 Sur les opportunismes divers dont la Révolution a été un terrain favorable, voir René-Alexandre Courteix, Balzac et

la Révolution française, PUF, 1997, p. 73-84, particulièrement sur les figures de Du Bousquier et Malin (Une ténébreuse affaire, L. P., t. VIII, p. 501.

45 La Vieille fille, L. P., t. IV, p. 811. 46 Ibid., p. 827.

47 La Cousine Bette, L. P., t. VII, p. 55. 48 Voir infra, au titre du « Nom ».

(26)

Il écrit quelques plaquettes, comme le fera son fils plus tard, proposant de réformer certaines dispositions légales qui lui semblent inadéquates ou injustes. L’on peut néanmoins s’interroger, au regard de la personnalité très haute en couleurs du personnage, si cela ne prend pas place dans une façon débordante de vivre les choses et si ces plaquettes sont aussi sérieuses qu’elles voulaient le paraître. A côté d’une Histoire de la rage, un mémoire intitulé pompeusement Mémoire

sur les moyens de prévenir les vols et assassinats. Et de ramener les hommes qui les commettent aux travaux de la Société et sur les moyens de simplifier l’Ordre Judiciaire et un autre Sur les scandaleux désordres causés par les jeunes filles trompées, désordres dont il est fin connaisseur.

De même, ce père élabore toutes sortes de vérités sur tous les sujets imaginables, sous la forme de lois générales. Le régime alimentaire pour vivre jusqu’à cent ans, l’enlaidissement des parisiennes faute de sommeil suffisant, les vertus de la sève des arbres et tant d’autres choses, à commencer par la foi absolue dans le succès de son fils qui n’en est qu’à des débuts plutôt décourageants. Pourtant, cet homme eut raison sur ce point et pas tout à fait tort sur les autres. Le verbe haut, un intérêt pour tout ce qui se présentait à cet esprit bouillonnant et une certaine intelligence du monde pratique, invitent le droit dans l’intimité des Balzac, sous la forme la plus romancée. Certes, le fils et le père se côtoient peu, mais le premier reste néanmoins un modèle qui le suit sur tout le temps de son enfance et de son adolescence. Les ressemblances entre les deux sont frappantes, de même que les emprunts du fils à son père pour la construction de ses personnages :

On aurait peine à trouver dans La Comédie humaine un personnage plus balzacien. Si balzacien qu’il fut cocu comme le plus noble aristocrate, et – pareil à Hulot – dut déguerpir, octogénaire, de Villeparisis, à la veille d’être accusé par une servante voisine de l’avoir engrossée. A son image sera l’un de ses enfants, comme lui bruyant, âpre, grossier, jovial et sans scrupules49.

Nous ajouterons original, puissant et bien planté sur la terre.

Héritage personnel

Peut-être sous l’influence du père et certainement de la mère, par les manques qu’elle suscite, Balzac s’inscrit en faculté de droit. En 1816, il prend sa première inscription et passe, en

(27)

janvier 1819, au bout des trois années de licence, son premier examen du baccalauréat de droit. Il l’obtient et clôt ainsi un parcours ordinaire de licencié en droit. A l’époque, il y avait un second examen du baccalauréat que Balzac ne présente pas pour des raisons inconnues. Certainement sans rapport avec cet arrêt, un événement eu lieu cette année qui plonge encore l’entourage de Balzac dans le droit. Le droit vécu, subi, le droit qui meurtrit aussi la chair d’un homme qui est l’oncle de Balzac, le frère de Bernard François. Celui-là est condamné à mort et guillotiné pour avoir tué sa maîtresse50.

Michel Lichtlé51 rappelle cependant que la faculté avait dû fermer au cours de l’année 1819 en

raison de troubles importants suscités par les cours d’un des professeurs. Il est vrai que l’enseignement du droit était sous-tendu par des idéologies qui pouvaient devenir très conflictuelles. L’avènement tout neuf du Code civil de 1804 dans un mouvement d’idéalisation de la loi et de confiance parfois aveugle dans sa capacité à gouverner les hommes et la société a nécessairement imprégné l’enseignement du droit.

Peu de temps auparavant, cet enseignement avait été supprimé52 dans l’attente de ce droit

nouveau tant attendu. C’était en 1793, il fallait faire table rase de l’Ancien Régime et reconstruire sur les ruines d’un passé diabolisé un avenir idéalisé. Le droit fondé sur la raison humaine universelle, juste, logique, imparable, devait venir harmoniser et arbitrer les relations sociales de la façon la plus adéquate. Ce phénomène de rationalisation juridique53 entamé des siècles plus tôt54

50 Sur ce sujet, Michel lichtlé, « Du roman et de la société en France à l’époque romantique : Balzac devant la peine

de mort », Balzac, le texte et la loi, op. cit., p. 237.

51 « Balzac à l’école du droit », art. cit.

52 Sur l’historique de l’enseignement du droit en France, voir Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La Culture

juridique française. Entre mythes et réalités, XIXe-XXe siècles, CNRS Editions, Paris, 2013.

53 Cette idée est l’aboutissement d’une lente maturation de la rationalité juridique (voir Michel Coutu, Max Weber et les

rationalités du droit, L.G.D.J. et les Presses de l’Université de Laval, droit et société, 1995). Selon Max Weber, le rationalisme est propre à l’occident, il s’agit de construire des systèmes, des théories, des sciences, basées sur des méthodes et sur les mathématiques, c’est-à-dire sur une systématisation et un haut degré de formalisation. Concernant le droit, la rationalisation correspond à une mise en cohérence logique et à une systématisation des règles juridiques. Le droit continental européen est caractérisé par cette systématisation logique. Pour Weber, il est donc le type le plus pur d’ordre juridique formellement rationnel. En ce sens il rejoint Kelsen.

Pour mettre en relief les traits essentiels de la rationalité juridique formelle, il est intéressant d’en appeler à la fois à Max Weber et à Hans Kelsen, les deux ayant pensé la rationalité du droit. Or, un droit qui se rationalise est un droit qui tend à acquérir plusieurs caractéristiques : tout d’abord la cohérence intrinsèque ; tous ses éléments sont censés être en relation logique entre eux. Ensuite la complétude, c’est-à-dire le fait d’être partout où il y a comportement humain. Ensuite encore, le rejet du raisonnement analogique au profit du syllogisme ; cela signifie que l’on ne juge pas d’une situation en comparant d’autres situations semblables à la première mais en appelant à la norme, abstraite, qui s’appliquera au cas concret. Il y a donc une claire et nette séparation du droit abstrait et du fait et une impossible réintégration de la norme dans son origine humaine et sociale53. Enfin, il tend à une neutralité axiologique, rejetant

toute idéologie et jugement de valeur. Le droit formellement rationnel fonde sa légitimité sur le principe de légalité et sur la régularité procédurale et non sur un critère de fond.

Pourtant, ayant exposé cela, Michel Coutu explique que Max Weber constate une progression de la rationalité matérielle dans l’esprit du droit, rationalité qu’il définit selon les caractères suivants :

Références

Documents relatifs

Asie reprit Nucingen à part et lui dit : — Avec cinq cents francs par mois à Eugénie, qui arrondit joliment sa pelote, vous saurez tout ce que fera madame, donnez-la-lui pour

The addition of cobalt contributes to raising the mechanical strength of double precipitation steels by increasing the carbide nucleation rate and then introducing an extremely

D’ailleurs, on observera que l’apport personnel de Balzac au sublime, ou plutôt ce qui fait entrer certaines scènes dans la catégorie esthétique du sublime, est la

Plants are subject to attack by a myriad of herbivores, which has prompted the question – 

Une autre philosophe, Michela Marzano, a également insisté sur la complexité du consentement, avec d’un côté l’impossibilité de réduire la personne à ce qu’elle

Quelle est l'image par f de l'axe des réels purs?. Quelle est celle de l'axe des

Réponse esthétique : Balzac se plaît toujours à signaler les rapprochements inattendus entre deux extrêmes sociaux (ici la portière et le procureur royal). Enfin,