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Roman par MARGUERITE COMERT ILLUSTRATIONS EN COULEURS DE CIECHANOWSKA - SAGA

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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l ' É C O L E

D U P L A I S I R

Roman

par MARGUERITE COMERT ILLUSTRATIONS EN COULEURS

DE CIECHANOWSKA - SAGA

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L ' É C O L E D U P L A I S I R

ROMAN

par M A R G U E R I T E C O M E R T

Copyright 1925 by J. Ferenczi et Fils

I URANT la plu-

part de nos

jours, le présent glisse au passé par une pente insensible, et c'est seulement devant la coupure aiguë d'une catastrophe que nous prenons cons- cience de l'abîme qui les sépare.

Tout à l'heure, j'étais une femme insouciante, affairée à la vie habituelle et douillettement fri- leuse par un matin d'hiver pareil à tant d'autres.

Maintenant je sais que mon mari me trompe.

Ai-je péché par excès de naïveté ou d'orgueil?

Peu m'importe, mais je suis tout près de croire que jamais héroïne de la banale aventure ne fut si étonnée que moi.

Douleur, dégoût, colère, honte, l'étonnement do- mine tout devant ce destin que je n'avais pas redouté et qui s'est abattu soudain sur la paix de mon âme et de ma maison.

Qu'elle est simple dans la réalité la grosse com- plication des comédies en trois actes. Sans prépa- ration ni pressentiment elle vous descend sur la tête comme une tuile coule d'un toit, une tuile bête, invraisemblable, un jour où il ne fait même pas de vent.

Ainsi il m'a souffletée au passage avant de se répandre sur le tapis, le lourd paquet de lettres que j'ai bousculé en cherchant un album de photo-

graphies sur le dernier rayon d'un placard ouvert à tout venant.

Je l'avais déjà aperçu bien des fois, ce paquet portant de la main de mon mari la suscription :

Lettres d'Alice (à brûler après ma mort).

Alice, c'était une sœur à lui que je n'ai pas connue, morte à vingt ans d'un amour contrarié.

Dans la chute, la ficelle s'est rompue, et, comme je dégringole de mon escabeau pour rassembler les reliques, sur les enveloppes éparpillées la mention poste restante me saute aux yeux.

Elle s'intitule Maïa et le baptise Maï.

Il y a dix ans qu'elle est sa maîtresse, et, depuis cinq ans que nous sommes mariés, il n'a pas cessé de la voir.

Pendant les vacances elle le gourmande quand elle ne reçoit pas une lettre quotidienne : « A Paris tu viens tous les jours. Ecris tous les jours. » Certaines enveloppes sont bourrées de pages pré- tentieuses où elle disserte sur la musique, la litté- rature et les paysages. D'autres ne recèlent qu'un chiffon de papier avec cette note surchargée de points d'exclamation : « Baisers!!! baisers!!! bai- sers de ta Maïa qui t'adore!!! »

Elle se vante d'être la plus maïaque des Maïas;

elle le félicite quand elle le sent très maïque, ou lui reproche de ne pas l'être assez. Quand elle fait allusion à mon existence, elle me désigne sous le titre honorifiqué de ta compagne et elle lui recom- mande de temps en temps la prudence, lui rappe- lant qu'il n'est pas libre, hélas, lui le Maï de sa Maïa.

J'apprends tout cela en un quart d'heure. J'ai du

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plomb dans le cœur, du fiel dans la bouche, du feu dans la tête.

Maïa, je la reconnais aussitôt. C'est Berthe Gor- man, une quadragénaire divorcée dont les cheveux teints s'ébouriffent sur une pâleur enfarinée de Pierrot, et que j'avais, d'ailleurs, toujours soupçon- née de préférer Vénus à la vertu.

Mais Maï, lui, je me refuse d'abord à l'identifier.

Le monsieur que cette grosse passionnée tutoie, baisote et abêtit, ne peut être mon mari, un artiste aux yeux attentifs qui sait le prix des apparences, un grand écrivain, distant, subtil et raffiné.

Et pourtant l'évidence s'étale partout dans ces feuillets plus odieux les uns que les autres, et que j'ai découverts, sans les chercher, sous l'égide d'une si pure et romanesque mémoire.

Il aurait pu les enfermer dans un des tiroirs de son secrétaire ou de son bureau; il a préféré les confier à l'occulte protection d'une vierge morte d'amour. Il estimait sans doute ce procédé le plus crâne et aussi le plus intelligent. Et il n'a pas hésité devant la profanation, parce qu'il met l'intelligence au-dessus de tout. La semaine dernière encore, au cours d'une grande discussion sur la morale et sur la justice immanente, je me rappelle avec quel sou- rire d'ironie péremptoire il a laissé tomber son opinion :

« Le châtiment du vice et la récompense de l'honnêteté sont des fables qui se vérifieront peut- être dans le royaume de Dieu. Mais le seul crime que le destin et la justice des hommes s'accordent à punir ici-bas, c'est la bêtise. »

Tout à l'heure, quand il rentrera pour le déjeu- ner, il faut que je sois très calme. Je veux lui dire sur un ton de mépris tranquille.

— Vous avez fait une bêtise.

Comment m'apparaîtra alors son visage vers qui je levais toujours des yeux étoilés d'enthousiasme ? Je ne puis rien me représenter de son attitude et de son cri quand je lui révèlerai :

— Maï, j'ai découvert les lettres de Maïa.

En attendant, je les lis minutieusement, ces let- tres, et j'entrevois çà et là, à travers la flasque rhé- torique et les effusions radoteuses, dans un éclair d'intimité vécue, la traînée gluante des caresses et l'abominable odeur d'une chair avide et contentée.

C'est pour respirer cette odeur qu'il n'a pas pu me faire même le sacrifice de jeter au feu ces sottes pages pleines de fleurs tournées au foin sec. Maïa, comme une jouvencelle en pleine crise de puberté, a la préoccupation mystique d'effeuiller des bou- quets dans toutes ses enveloppes. Si je ne con-

naissais pas son âge et le vice mûr de sa bouche, je croirais qu'elle a quinze ans et qu'elle nourrit des lapins.

Quand j'ai fini de lire jusqu'au bout, ligne à ligne, je relis, je compare, je note des coïncidences, je saisis des allusions. J'en devine chaque fois un peu plus, le front suant, les reins navrés.

Je suis toujours affalée à terre, dans le coin de la découverte.

Cependant, lui va bientôt rentrer, et je veux lui préparer une réception. Je songe à ouvrir toutes les fenêtres pour désinfecter l'appartement, à pren- dre un bain, à changer les draps du lit... je n'in- vente rien de mieux. La conscience de ma défaite me paralyse.

J'ai eu à peine la force de redresser mon corps endolori, de rassembler dans la corbeille à papier les lettres éparses, et je suis retombée à plat ventre, terrassée par une détresse physique qui crève en sanglots.

Je n'ai plus de mépris ni de dignité. Je suis seu- lement jalouse. Je hurle en dedans : « Pourquoi ne m'a-t-il pas aimée, moi, comme ça, comme une fille, comme une bête? »

C'est ainsi qu'il m'a trouvée, secouée de hoquets convulsifs, la face contre le tapis, les cheveux répan- dus, et qu'il m'a relevée dans ses bras de menteur, de voleur, d'assassin.

Je ne me rappelle pas le mot que j'avais élu, l'in- sulte qui devait le faire pâlir.

Mais cette insulte n'est pas nécessaire.

A travers mes yeux noyés, je discerne tout à coup son visage méconnaissable, vidé de sang et d'ex- pression par une anémie totale. Alors je gémis, la tête réfugiée contre sa poitrine :

— Pourquoi, oh! pourquoi?

Il reste un long moment sans répondre, et quand il a retrouvé le souffle, il répète seulement à plu- sieurs reprises d'une voix décolorée comme son visage :

— Je te demande pardon, mon enfant, ma petite enfant chérie, ma belle muse.

Et je ne sais pas me révolter, tandis qu'il me serre contre lui d'une étreinte qui me plaint et qui me dorlote.

Peu à peu, sa figure se recompose dans la couleur et le rayonnement de la vie. Il ne m'apparaît pas affolé ni humilié. Je suis sa belle muse, sa petite enfant chérie. J'ai trouvé les lettres de sa maîtresse.

Quel malheur, pour moi surtout! Il y compatit avec des yeux graves, les seuls que je lui connaisse, dans un long regard morne et résigné, qui fait

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peser sur moi toute la fatalité de la destinée hu maine.

II

Huit jours ont passé sur la révélation.

Après vingt-quatre heures de diète, j'ai repris ma place à table où nous mangeons toujours côte à côte, comme des amoureux que nous n'avons jamais été. Mais mes insomnies deviennent de plus en plus cruelles sur le bord du grand lit où je suis maintenant toute seule, dans notre chambre déserte et solennelle, comme après le départ d'un cercueil.

Pourtant, je n'ai plus pleuré depuis la première crise qui s'est apaisée contre son cœur, sous ses yeux où la compassion ne laissait point de place aux remords tandis qu'il répétait : « Je te demande pardon », du ton de condoléance dont il aurait pu dire à une croyante :

« Supporte l'épreuve que ton Dien t'envoie. » Nous n'avons pàs eu d'autre explication. A quoi bon une explication ? Je sais tout et je comprends.

Je n'ai rien à lui demander. Je lui parlerai seule- ment quand j'aurai bien décidé ce que je veux lui dire. Je n'hésite pas quant au fond, mais quant à la forme, et surtout je tiens à prévoir ses objec- tions, pour que mes répliques soient toutes prêtes.

Je le comprends parce que je suis aussi intelli- gente que lui. Il faut qu'il s'en aperçoive et qu'il sache que je ne me laisse plus duper par des mots.

J'ai cru follement que je faisais un mariage d'amour parce que nos esprits se plaisaient, parce qu'il me dédiait tous ses vers et que je lui donnais tous les miens, des alexandrins lamartiniens et dolents où il découvrait l'inquiétude de l'infini.

Margaritas ante porcos. Ah! que devenait-elle, cette inquiétude, au fond de ses poches, quand il se tenait mal chez Maïa qui voit le but de l'existence dans « de grands baisers bien chauds, bien pro- fonds, bien finis ». Et avec ça, madame ? Je tiens à ce que vous ne manquiez de rien, car je vous devrai beaucoup. Tête à tête avec mon mari, je n'aurais sans doute jamais cessé de confondre l'amour et la littérature. Grâce à vous, je me rends compte de la différence, et je vais m'arranger pour complé- ter mes études.

C'est un soir, vers neuf heures, que j'entre dans le bureau de mon mari avec un programme bien arrêté.

Il est en train d'écrire, confortablement installé, le dos au feu, la cigarette aux lèvres. En me voyant paraître, il sourit d'un sourire un peu forcé et se lève pour m'accueillir. Il me donne un baiser au front comme d'habitude. Je n'ai exigé aucun chan- gement dans ces petites habitudes qui ne riment à rien en somme.

Il m'avance un siège à ses côtés, devant le feu, sous la lampe. Mais j'ai peur, si près de lui, de manquer d'aisance. Je me sens déjà trembler et rougir, et je préfère m'asseoir au fond de la pièce, sur le divan-lit où il couche désormais.

Cependant, il s'est mis à marcher de long en large et il me regarde de temps en temps d'un air d'attente, sans impatience. Moi non plus, je ne suis pas pressée, et négligeant les précisions qui m'amènent, je commence par dire :

— J'ai envie de te faire dresser un lit pliant dans la lingerie. Ce doit être malsain de coucher tou- jours dans ce bureau où tu fumes du matin au soir.

Avant, il y couchait seulement par hasard, les nuits où il veillait trop longtemps après moi.

Il acquiesce avec indifférence, d'un geste vague qui m'écorche un peu le cœur.

Avais-je espéré qu'il protesterait contre l'exil dé- finitif? Malgré moi, mes yeux changent, ma voix se fait hostile.

— J'ai beaucoup réfléchi, et je viens t'informer de mes résolutions.

— J'écoute, dit-il, d'un air soumis.

— Permets-moi d'abord de te poser une ques- tion. C'est une simple formalité. Je suis sûre de ta réponse. Veux-tu renoncer à ta... à cette femme?

Il n'est pas insolent. Sans parler, sans bouger, il fait signe que non, rien qu'avec les yeux... Et moi qui croyais tout savoir, je frissonne de la nuque aux chevilles à ce coup de foudre muet.

J'oublie toute ma stratégie de vaincue. Je sens se dissoudre ma science, ma force, ma sagesse illu- soires. Je me tords les mains. Je crie : « Pourquoi?

Pourquoi? »

Et de nouveau il me prend dans ses bras protec- teurs, de nouveau je pleure contre son cœur si tranquille, qui a besoin d'une autre pour être agité.

— Pourquoi? Pourquoi?

Il me l'a expliqué avec la logique implacable de quelqu'un qui ne croit pas aux lois divines et qui méprise celles des hommes.

— Parce que je la connaissais longtemps avant de te connaître. Elle a accepté notre mariage; toi, tu peux bien ...

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L E S C A H I E R S I L L U S T R É S

PARAISSENT LE ET LE DE CHAQUE MOIS

POUR PARAITRE LE 10 DÉCEMBRE

" LA FÉERIE VOLUPTUEUSE "

Illustrations en couleurs

PRÉCÉDEMMENT PARUS DANS LA MÊME COLLECTION

5. — La Maison de Claudine, par COLETTE Illustrations de Clément Seroeau 6. — Le Beau Baiser

par LUCIE DELARUE-MARDRUS Illustrations de Colette Pettier 7. — Courtisane et Martyre, par PIERRE MILLE

Illustrations de Chapelain-Midy 8. — L'amour de Cécile Fougères

par EDMOND JALOUX Illustrations de Chapelain-Midy

9. — Toune et la Vie par ANDRÉ LICHTENBERGER Illustrations de Louis William Graux

10. — La Naufragée par FRANCIS DE MIOMANDRE

Illustrations de Pierre Gandon 11. La Montagne d'Amour par PIERRE VILLETARD Illustrations de Pierre-Mouveau 12. — Un Homme à la Mer par FRANÇOIS DUHOURCEAU

Illustrations de Georges Tcherkessof

13. — La Braconnière par HUGUETTE GARNIER Illustrations de R. Destruel 14 — Le Flambeau des Riffault

par GASTON CHÉRAU Illustrations de Jean Boyreau 15. — Le Piège d'Amour par LUCIE PAUL-MARGUERITTE

Illustrations en couleurs de Jean Moreau 16. — La Conscience dans le mal par GILBERT DE VOISINS Illustrations en couleurs de Grillon 17.— L'Homme et la Sauvageonne

par ISABELLE SANDY 18. – Sang Basque par ANDRÉ LICHTENBERGER

19. — Celle qui s'en va par MARION GILBERT 20. — L'Enfant chargé de Chaînes

par MAURIAC 21. — Les Tendresses Brisées

par MARCEL LAURENT

FRANCE & COLONIES : 3 mois : 4.7 5 6 mois : 9.50 - 1 an : 18.50

J. FERENCZI et FILS, Éditeurs — 9. rue Antoine-Chantin — PARIS Il n'est pas fait d'envoi contre remboursement

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