Article
Reference
Le cas de l'homme de Piltdown. II
SAUTER, Marc-Rodolphe
SAUTER, Marc-Rodolphe. Le cas de l'homme de Piltdown. II. Médecine & Hygiène , 1954, no.
257, p. 13
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103454
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
POSITION DONN.�E A L'HOMM�
DE PILTDOWN DANS L'HISTOIRE DE L'ÉVOLUTION HUMAINE L' Age très ancien { dans le cadre du-Qua.ternaire) qu'on accordait o..ux restes osseux de Piltdown a donné au problème qu'ils souleva.ient, une orien
tation très précise. Même ceux qui n'admettaient paa l'adaptation de La. mandibule au orll.ne devaient expliquer le car&ctère très moderne, très sapiens de celui-ci, pour un â.ge très ancien.
Cet ltge était celui de \'Homo HeideU1eru_ensi8, pour lequel on d.ispo1:1ait d'une mandibule extraordinairement bruta.le1 primitive, avec des dents puissantes mais humaines. A Piltdown, on a.vait affaire à un crâne beaucoup plus
11 moderne "• alors que toute l'évolution des primitifs Néanderthaliens devait lui succéder dans le temps, ce qui suggérait l'idée difficile
ment acceptable d'une évolution rétrogra.de.
Les déoouverlies, qui sont allées en se multi
pliant pende.nt les années qui ont suivi l'a.vant
dernièr1, guerre, ont eu l'air de clarifier partielle
ment le problème : si aucun fossile huma.in plus moderne d'aapect que Néanderthal n'a été trouvé, qui fût contemporain de celui-ci, on a.
exhumé deux débris qui pa,ra.iaea.ient confirmer la position de ceux de Piltdown. En 1935 c'était un occipital et un pa.riéta.l gauche, aussi épais et a.us& H orrw &alp&e,ns que ceux de Piltdown, qui éliaient extraits d'une couche acheuléenne (Paléolithique ancien évolué) à. Swanaoombe près Gra.veaend, à. Pest de Londrès. En 1947 Mlle G. Benn-Martin, fouilla.nt la. eta.tion de Fontéchevade, en Charente, exhumait d une couche ta.ya.cienne (à. peu p:rès a.usai vieille que celle de Swansoombe) des fragmentl! de deux c.r.0.nea, moins épais, mais que le Prof. H.V.
Valloi,, de Paris, pouvait plaoer en corrélation morphologique e.veo Swa.nscombe (et Piltdown) da.na un groupe qualifié fort justeolent de présapfens. On doit regretter que ces deux gi.eementfl n'aient paa livré de mandibule, ca.r on aurait ainsi disposé d'él6ments de compa.r&i
eon pour juger de celle de Piltdown.
lndépenda.mment donc des trouvailles de
Dawson et Woodward, /:JW<J111,8combe et F011ié
cluwade sont venus indiquer que l'évolution hu
maine n'a. pas suivi un chemin aiml;'le et droit.
Si l'on ne voit pas encore bien ce qu1 s'est pMaé entre les Homimena présapiena du Paléolithique inférieur et les l>remiers types vrais et définitifs de l'Bomo sapieM du Paléolithique supérieur (c'est-à-dire x,endant le temps où s'a,ffirmaient et se diversifiaient les hommes de Néandertbal) il n'en reste paa moins qu'il doit y a.voir une rela
tion phylogénétique entre les premieta et lea seconds. Il ne nous est pas possible de disserter ioi de la question assez délicate des Néâ.nder
tha.liens et de leurs nuances évolutives en rela..
tion avec les types plus anciens et. plus récents.
On voit que l'Hominien de 'Piltdown trouvait sa justification dans des faits nouveaux. Mais d'autres facteurs sont intervenus qiù, sa.na modi
fier les conceptions exposées ci-desstts, ont obligé à supprimer le pilier le plus ancien de la.
construction ainsi échafaudée. Mais, d'un autre côté, ce pilier manquait de solidité et n'était plus considéré, par de nombreux savants, que sous réserve de vérification par de nouvelles ti:ou vailles.
Les expertises
Depuis quelque.� années les préhistoriens et les paléontologistes sont redevables a.ux chi
mistes et a.ux physiciens de méthodes suscep
tibles, lorsqu'elles sont appliquées aux vestiges du plus lointain passé humain, de préciser des -points restés jusqu'ici obscurs. C'est le oa,s par exemple du dosage du flUQr qui, oa.lculé sur d'infimes échantillons de matière osseuse an
cienne, permet de vérifier la contemporanéité de débris trouvés dans une même couche, et qui par conséquent ont pu - s'ils ne provien
nent pas partiellement. par remaniement, d'une couche antérieure -se charger également du fluor du sol.
En 1949 MM. Oakley (du Département de géologie du British Museum) et Hoakîna &Pfli·
quèrent ce test du fluor aux ossements de Pilt
down. Mais leur a.na.lyse ne fut pa.e � fine pour que rien appa.rtlt, d'un os à. un autre, ootnmA
différence da.na le ta.ux de fluor. Cependant un 1•ésultat important fut aoqni.s : les os oraniens humains et 1& mandibule se révélorent plus récents que les oa les plus anciens av,ec lesquels ils vol$�ient dans le sol; ils étaient contempo
rains d'espèces qui, comme Je castor, le oerf et le cheval sauvage, ne disent rien sur l'll.ge d'un gisement préhistorique, mais qui peuvent très bien être relativement récents. Il y avait donc de fortes présomptions pour que les o.saements de l' Eoanthropu� n'eussent pas la. grande anti
quité qu'on leur avait attribuée. Mais le-problème n'en é.tait pas tout à. fü.it résolu pour autant : si le orAne, pris isolément, voya.it ses C8o1'8,0tères modernAS perdre de leur singula...-ité, 1& présence d'une mandibule très simienne dev�a.it plus extraordinaire dans un Paléolithique plus récent, soit qu'on persiata.t A la mettre en connexion a.veo le crâ.ne humain, soit qu'on l'a.ttribull.t à..
un singe supérieur.
Les discussions, quoique moins animées qu'au début, continuaient cependant. C'est au cours de l'une d'elles que M. J. S. Weiner, anatomiste à._ Oxford, émit l'�ypothèae de l� _non-a.uthenti- 01té de la. mandibule. La. déouuon fut a;lors
prise par les a.utorité,s du British Museum (Na.
tural History) de soumettre les ossements de Piltdown à une nouvelle expertise, en utilisa.nt toutes les ressources de l'a.na.lye.e moderne.
MM. J.S. Wei11er, K.P. Oakl,ey et le Prof. W.E.
Le Gr08 Owlc, l'éminent anatomiste d'ûxfo1•d, viennent de publier un ra.ppon '()rél..imina,:iJ:'e aur lea resulta.ts de leur étude. Il conolut à. une Wlperchem qui intéresserait la. mandibule et 1&
câ.nine de. Piltdown l, et en tout cas Ja. molaire isolée de Piltdown II.
• • •
Il ne noua est pa.s possible d'entrer dans le déta.il des considérations techniques aur les
quelles les trois sa.vanta britanniques fondent leur affirmation. Disons en tout ca.s q\J.'on les sait a.aaez conscfouts du gra.nd intérêt de la. ques
tion et de l'importance de leur conclusion pour a.voit � mtîrement tons lee arguments qu'ils ava.noont.
Parmi ces arguments il en eat qui se réfèrent à. des cousidérationa d'ordre ma.orosooJ.>ique sw:
les dents. A pu.rt la. mola.ire II, que uous la.is11e
rona de côté, il y o., attaché� à. la. mandibule, les deux: premières molaires droites, et, isolée, la. ca.nine, qui en fa.isait très probablement partie. Or, à rexa.men de ces dents, plusieurs particularités frappèrent les �xperts : ainsi l'usure des molaires, qui ava.it depuis longtemps attiré l'attention par son aspect humain. se révélait « trop humaine ,,, en quelque aorte;
les dents sont trop uniformément pfo.tea (den
tine et émail), le bord m-op en arête, pour une usure naturelle. Les deux molaires en sont pra
tiquement a.u même degré d'attribution, tout en présenta.nt des plana d'usure orientés diffé
remment. Cet a.apeot peu_ naturel se retrouve sur la canine. Celle-ci, nettement simienne de mor
phologie, présente une usure t.rès vaate et qui, en définit1ve, n'est ni simienne ni humaine. De plus, « l'examen aux rayons X n'apporte a.uoune preuve d'un dépôt de dentine aeoondaire (a.veo constriction de la. oa.vité pu.lpa.ire), telle qu'on l'a.ttendra.it si la sévè1·e attrition de la sur
fa.ce linguale de la. couronne était le résultat d'une attrition naturelle ». Enfin l'examen a.u tnicroscope binoculaire montre sur la surfa.ce érodée de fines stries, peu naturelles elles aussi.
Ces observations curieuses (et dont il fa.ut reconnaître qu'elles a.ur&ient dû être faites il y a. longtemps I) _pouua.ient être mises, partielle
ment au moins, sur le compte de la très grande va.riabilité des caractères a.na.tomiquea ohez les Primates 13upérieurs; mais les chimistes ont fait d.e leur côté
a•
étre.nges constatations. Tant l'ana.lyse du fluor, refa.ite selon une méthode plus fine, que cellt:i de l'azote, test de teneur en matière orge.nique, et l'examen çle la. patine, les ont a.menés à. cette conclusion : al,ora que le8 os cranüm,a ( ceux de Pi!Jiwwn 1 en fnuJ, cas) sont ancieru, la mandibule et :a ca1iîne sont 111Q(Ùr,UU1;
'leur a8pect ancien esL d12 à m� truquage.
Il faut donc ra.yer Piltdown de la liste (si courte ancore) des gisements où ont été décou
verts des vestiges d'Hommes fossiles très anciens Les débris cx:aniens peuvent vraieembla.blement
9
être da.tés du Paléolithique supérieur, ce qui les rend contemp<>ra.ins de l'Homme de Cro-Magnon.
Mais le dossier dea Préaa.piens s'amenuise, en perdant (heureusement) un document trop entaché de doute.
CONCLUSIONS
De tout ce qui s'est dit et écrit à, propos de Piltdown depuis qua;ra.nte a.nR, il ne reste qu'une
<( affaire n de faux. Trouvera.-t-on l'auteur de
cette très fAcheuse mystification 1 C'est douteux.
Certa.ins ont déjà. émis l'hypothèse que c'était Daws(m, lui-même. C'est aller un peu vite en beaogne que d'a.oca.bler, si longtemps a.près sa.
mort (en 1916) un homme de science. Et en définitive cela. n'a. paa un bien grand intérêt.
Il va.ut mieux tirer de toute cette histoire une le90n tde lrudence et d'esprit critique) et un espoir : qu on a.ctive la. reoherohe systérnaLique, avec toutes les garanties qu'exige la. science moderne, des vestiges de l'Homme primitif.
Car - l'écho que l'(l affaire cle Piltdown » a trouvé, noua l'a. prouvé - cette recherche intéresse non seulement les paléontologistes, mais tous ceux à qui rien de ce qui est huma.in n'est étranger.