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Les matériaux caoutchouteuxpar Michel BARQUINSDirecteur de Recherche au CNRSLaboratoire de Physique et de Mécanique des Milieux HétérogènesURA au CNRS n° 857ESPCI - 10, rue Vauquelin - 75231 Paris Cedex 05

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Les matériaux caoutchouteux

par Michel BARQUINS Directeur de Recherche au CNRS Laboratoire de Physique et de Mécanique des Milieux Hétérogènes URA au CNRS n° 857 ESPCI - 10, rue Vauquelin - 75231 Paris Cedex 05

I - Leurs principales propriétés mécaniques et tribologiques

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1. INTRODUCTION

La particularité des propriétés mécaniques du caoutchouc naturel et de ses homologues synthétiques fait que ces matériaux sont fréquemment utilisés dans la vie quotidienne, comme protection diverses (cirés, gants, tabliers, bavettes, bottes, imperméables, préser- vatifs, ...) et qu’ils entrent dans la construction d’organes mécaniques dans lesquels interviennent le frottement et le roulement.

Pour ne donner que quelques exemples, citons dans le domaine des transports : les pneumatiques de toutes dimensions, des deux-roues aux engins de travaux publics, en passant par les voitures de tourisme, les camionnettes, le métro, les véhicules poids lourds, les machines agricoles, les engins de travaux publics (figure 1), les avions dont les sculptures de la bande de roulement diffèrent quelque peu de celles des voitures de tourisme ou encore des pneumatiques des bolides de Formule 1. Dans le domaine de l’automobile, il ne faut pas oublier les accessoires essentiels tels que les courroies de transmission, les raclettes de balais d’essuie-glace, les joints d’étanchéité, les tuyaux divers ainsi que les blocs d’amortissement.

* N.D.L.R. : La deuxième partie de cet article «II - Application à l’étude du roulement et de l’usure des pneumatiques» paraîtra dans le prochain numéro du B.U.P.

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Figure 1 : Pneumatique d’un engin de travaux publics, dont on voit nettement l’énorme fléchissement des flancs sous l’action de la charge transportée.

Figure 2 : Schéma d’appui de pont : exemple montrant clairement que l’insertion de plaques métalliques intercalaires horizontales au sein d’un bloc de caoutchouc aug- mente grandement la raideur verticale, en laissant moins de liberté de renflement au caoutchouc, tout en conservant la souplesse en cisaillement.

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Dans le domaine du Génie civil, on peut citer les appareils d’appui de ponts qui permettent d’accommoder la dilatation thermique des tabliers de ponts sans dommage pour les ouvrages (figure 2). De plus, l’association alternée de plaques de caoutchouc et de plaques d’acier permet de supporter de plus grands efforts verticaux qu’un bloc unique de caoutchouc de même dimension tout en conservant la même souplesse latérale. On utilise une technique identique pour les appareils d’appui antisismiques dont le rôle est de fortement atténuer l’amplitude des oscillations transmises par le sol et ainsi d’éviter la dislocation du bâtiment et d’épargner des vies humaines. Pour des raisons évidentes de sécurité, toutes les centrales nucléaires européennes sont pourvues de tels équipements.

On peut multiplier à l’infini les exemples d’utilisation du caout- chouc, bracelets élastiques, chewing-gums, ballons, tétines, semelles de chaussures, tapis transporteurs, corps de vannes, ..., sans oublier la présence de ce matériau dans toutes les voies ferrées, sous la forme d’un patin localisé entre la traverse et le rail afin d’assurer une certaine élasticité verticale. Sachant qu’une traverse est distante de soixante centimètres de ses deux plus proches voisines, chaque kilomètre de voie ferrée comporte trois mille trois cent trente-quatre patins de caoutchouc représentant un volume total d’environ un demi-mètre cube.

La multiplicité des utilisations du caoutchouc n’est bien évidem- ment pas fortuite, elle résulte des propriétés mécaniques étonnantes que confèrent au caoutchouc ses structures chimique et macromoléculaire : les matériaux caoutchouteux se caractérisent par une grande souplesse, ils sont capables de supporter à température ambiante des allongements importants (jusqu’à sept fois leur dimension au repos) et reprendre quasi instantanément leur dimension initiale. De plus, le coefficient de frottement des matériaux caoutchouteux est élevé : c’est précisément la raison pour laquelle on les utilise dans la fabrication des pneumatiques.

En effet, c’est le frottement élevé entre la bande de roulement d’un pneumatique et le revêtement routier qui assure la tenue de route des véhicules.

2. HISTORIQUE : DE «L’ARBRE QUI PLEURE» À LA VULCANISATION

Les premières études et exploitations industrielles du caoutchouc naturel remontent au milieu du XVIIIe siècle, au retour d’Amérique du Sud du savant français Charles Marie de La Condamine qui réalise la première description scientifique de ce matériau. Il raconte dans son

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rapport à l’Académie des Sciences comment les indiens recueillent une liqueur laiteuse, le latex, en incisant l’écorce de certains arbres (figure 3), dont le plus connu et le plus exploité aujourd’hui est l’Hevea brasiliensis. La saignée est d’ailleurs toujours le procédé utilisé pour récolter le latex. De cette substance laiteuse, qui durcit par coagulation à la chaleur et noircit lentement à l’air, les indiens réalisent des flambeaux qui brûlent parfaitement sans mèche, ils imperméabilisent des toiles par enduction de latex, ils façonnent divers objets utilitaires comme des écuelles, des bouteilles, des seringues, des plastrons pare-flèches et des bottes.

Figure 3 : Vue schématique du tronc de l’Hevea brasiliensis : A : arbre en saignée,

B : organisation schématique générale de l’écorce au niveau de l’incision.

Il est maintenant bien établi que les civilisations précolombiennes, comme les Olmèques en Mésoamérique, qui vivaient il y a quelque deux mille cinq cents ans dans la région chaude de l’actuel golfe du Mexique,

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connaissaient le caoutchouc. Dans le langage aztèque, le caoutchouc était appelé «olli» ou «ollin» d’où le nom d’Olmèques donné à ces lointains ancêtres qui utilisaient le caoutchouc. Des fouilles ont permis d’exhumer des statuettes en caoutchouc qui accompagnaient des ossements humains.

Chez les Mayas et les Aztèques, le caoutchouc a un caractère sacré (le latex s’écoule de l’hévéa comme le sang d’un corps humain blessé), on en fait l’offrande aux dieux, on s’en peint le visage et le corps, on lui attribuait aussi des vertus thérapeutiques (toux chroniques, appétits déficients, maux de dents). Il entrait également dans le jeu, une sorte de jeu de pelote, dont témoignent les ruines mayas et aztèques, dans lequel deux équipes se lançaient une boule de caoutchouc d’environ trente centimètres de diamètre, de rotondité toute relative, en se servant uniquement des épaules, des coudes, des hanches et des genoux. Les joueurs devaient faire passer la boule dans des anneaux de pierre scellés dans les parois latérales de l’aire de jeu (figure 4). La partie se terminait par le sacrifice du capitaine de l’équipe perdante, il était dépecé, son cœur était offert aux dieux, une partie de son corps était consommée sous forme de ragoût et l’autre inhumée. Il est fort probable que Christophe Colomb fut le témoin d’une de ces sanglantes joutes lors de son troisième voyage en 1498. Il rapporta en Europe des flacons remplis de latex coagulé qui finit par moisir dans les vitrines d’amateurs d’exotisme.

Figure 4 : Illustration de A. DIEZ montrant le jeu de pelote pratiqué par les aztèques.

Six cent soixante-et-un terrains ont été recensés en 1978, dont 84 % en Mésoamérique (Serier, 1991).

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C’est donc plus de deux siècles plus tard que La Condamine redécouvre le caoutchouc et que très rapidement se développe en Europe une industrie spécifique de ce matériau. Pour la petite histoire, La Condamine avait été envoyé en Amérique du Sud par l’Académie des Sciences de Paris pour statuer sur la controverse qui opposait Newton à Cassini quant à la forme de la Terre. Le premier prétendait que la Terre, bien que ronde, était aplatie aux pôles, tandis que le second assurait qu’elle était plus étroite au niveau de l’équateur. La Conda- mine, accompagné de naturalistes et de physiciens, fut donc chargé de mesurer une portion de méridien au «vice royaume du Pérou» (l’actuel État de l’Équateur) tandis qu’une autre équipe, conduite par Mauper- tuis, ministre de la Marine de l’époque, partait vers la «Laponie», à la limite actuelle entre la Suède et la Finlande, pour effectuer la même mesure. Raison fut donnée à Newton.

La Condamine profita de la rencontre de son collègue et ami François Fresneau en Guyane pour mesurer la vitesse du son dans l’air.

Pour cela, La Condamine s’installe à Kourou avec un canon et tire à blanc. Fresneau est à cinquante kilomètres de là, à Cayenne, il regarde l’apparition de la fumée et chronomètre l’audition du coup. Ils firent ensemble une série d’autres travaux scientifiques, comme par exemple l’observation des satellites de Jupiter.

Pour en revenir au caoutchouc, dont le nom est la traduction par La Condamine du dialecte local «cao» = bois et «o-chu» = qui pleure, c’est d’Angleterre que viendront les premières découvertes pratiques, comme :

– l’utilisation du caoutchouc en guise de gomme à effacer découverte par Priestley en 1770 qui lui donna le nom anglais de rubber,

– l’effet de la mastication du caoutchouc sur sa capacité à la plastification découvert par Thomas Hancock en 1821,

– l’imperméabilisation des tissus inventée par Mac Intosh en 1823.

Cette imperméabilisation, Mac Intosh l’a rendue possible et facilement applicable en trouvant le solvant idéal du caoutchouc, le naphta qui est une huile de houille. Quant à la mastication du caoutchouc, il faut savoir que l’élasticité naturelle de ce matériau rendait difficile la mise en forme durable des objets. Hancock a montré qu’en broyant le caoutchouc, les morceaux obtenus adhéraient parfai- tement entre eux et que l’on pouvait ainsi façonner toutes sortes d’objets avec l’avantage supplémentaire de les agrémenter en introdui-

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sant des substances colorantes dans le mélange. Toutefois, la mastica- tion présentait un inconvénient majeur, l’objet formé perdait une partie de son élasticité. Le remède sera trouvé quelques années plus tard.

L’industrie se développe rapidement, on fabrique des vêtements imperméables, des tissus élastiques, des bretelles et des jarretières, des tuyaux de pompes à incendie, des balles pour les enfants, première production de l’entreprise familiale Daubrée qui deviendra plus tard la manufacture Michelin. Malheureusement l’engouement pour tous ces produits élastiques et la prospérité de l’industrie du caoutchouc furent de courte durée car les objets exposés au soleil devenaient collants et même poisseux, tandis qu’un contact froid les rendaient fragiles et cassants. Une astuce avait été trouvée aux U.S.A. par un certain Hayward pour diminuer l’adhésivité naturelle du caoutchouc et retarder sa dégradation au soleil, laquelle consistait à saupoudrer le matériau de fleur de soufre et à exposer au soleil le caoutchouc ainsi traité. Cette technique était beaucoup plus efficace pour les plaques minces que pour les objets massifs. D’une certaine manière, cette pratique de saupou- drage de soufre suivie d’une «solarisation» allait révolutionner l’indus- trie du caoutchouc grâce à la découverte fortuite du mécanisme de vulcanisation par Charles Goodyear aux États-Unis en 1839.

Un soir d’hiver 1839, Goodyear posa par mégarde un morceau de caoutchouc recouvert de soufre sur un poêle de chauffage, et ce morceau y séjourna un certain temps avant de s’enflammer. Goodyear, alerté à la fois par la fumée et par l’odeur désagréable, jeta le lambeau de caoutchouc à l’extérieur de la maison où il faisait froid à pierre fendre. A sa grande surprise, il constata le lendemain matin que malgré les traitements sévères et curieux qu’avait subi le caoutchouc, chauffage excessif et même cuisson suivi d’un vif refroidissement, le matériau avait acquis une élasticité durable et perdu sa forte adhésivité naturelle.

La vulcanisation venait d’être inventée.

Malheureusement pour Goodyear, qui eut l’imprudence d’envoyer en Europe des échantillons de caoutchouc traité au soufre afin de faire connaître et surtout de vendre son invention, c’est l’anglais Hancock, déjà connu pour ses travaux sur la mastication, qui mit au point la technique, en plongeant le caoutchouc pendant quatre-vingt-dix minu- tes dans du soufre fondu à 110°C et qui déposa le brevet à son nom en 1843. Le terme vulcanisation fut proposé par un ami de Hancock par allusion à Vulcain, dieu romain du feu, et au soufre que l’on extrait du flanc des volcans. Bien que toujours utilisé de nos jours, le mot

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vulcanisation ne s’impose plus, puisqu’il est erroné à double titre : la chimie moderne permet de stabiliser l’élasticité des matériaux caout- chouteux sans apport de chaleur, ni de soufre. A juste raison, les anglo-saxons utilisent le terme «cure» qui signifie à la fois remède et guérison, cette image est beaucoup plus exacte.

A partir de ce milieu du XIXe siècle, les usages du caoutchouc vont prendre un rapide essor. En 1845, l’anglais Thomson fabrique et prend un brevet pour le premier pneumatique destiné aux véhicules hippomo - biles. Mais, sans doute en avance sur son temps, il n’aura aucun succès.

Le pneumatique est réinventé en 1888 par un vétérinaire écossais, John Boyd Dunlop, qui fabriquait lui-même ses gants chirurgicaux. Ce pneumatique était réservé à l’usage exclusif des bicyclettes, puis vint le tour des automobiles. La première voiture équipée de pneumatiques démontables «l’Éclair» prit le départ de la course Paris-Bordeaux-Paris (mille deux cents kilomètres) en 1895. Toutes les voitures concurrentes étaient équipées de roues garnies de bandages pleins en caoutchouc vulcanisé. «L’Éclair», conduite par les frères André et Édouard Michelin, inventeurs du pneumatique démontable, arriva dix-septième sur les dix-neuf véhicules ayant parcouru la distance, après avoir subie une cinquantaine de crevaisons. Les choses ont fort heureusement changé aujourd’hui !

Les inventions de Thomson, de Dunlop et des frères Michelin marquèrent le début de l’industrie du pneumatique pour automobile, qui entraîna une demande croissante de caoutchouc.

3. LE CAOUTCHOUC NATUREL ET LES AUTRES

Le caoutchouc naturel est l’un des constituant du latex que l’on extrait de l’Hevea brasiliensis en pratiquant une saignée profonde de l’écorce dans la zone des canaux laticifères (figure 3). Ces saignées, qui demandent une très grande précision d’exécution afin de ne pas meurtrir l’arbre, sont pratiquées aux premières heures du jour, période à la fois la plus propice à une grande production de latex et la plus confortable pour les récolteurs, de ces régions (Amazonie, Côte d’Ivoire, Zaïre, Malaisie, Indonésie, Thaïlande) où il règne de très fortes chaleurs (50°C) et humidités relatives (95 à 98 %) diurnes.

Le latex ainsi recueilli est une suspension aqueuse de particules de caoutchouc représentant en moyenne 37 % en volume. Sphériques, ovoïdes ou piriformes, ces particules ont une taille extrêmement

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variable pouvant atteindre jusqu’à cinq micromètres et leur surface présente une charge électronégative qui les repousse l’une l’autre (figure 5). L’extraction du caoutchouc du latex est effectuée par coagulation à l’aide d’une solution acide qui conduit à une masse spongieuse que l’on lamine afin d’obtenir une bande de plusieurs mètres de longueur. Cette bande est abondamment lavée pour éliminer à la fois les résidus acides et les autres constituants de la phase aqueuse du latex (protides, glucides, lipides, sels minéraux) puis découpée en plaques que l’on laisse sécher soit à l’air pour obtenir le «crêpe», soit au feu de bois pour former la «feuille fumée».

Figure 5 : Ces objets minuscules en formes de sphère, d’ove et de poire, sont des par- ticules de caoutchouc en suspension aqueuse.

C’est dans cet état de minces plaques, lesquelles sont un peu élastiques mais surtout déformables, que le caoutchouc est compacté et envoyé aux différents pays manufacturiers. La plasticité du caoutchouc permet lors de l’opération de mastication, dont la propriété a été découverte par Hancock en 1821, d’introduire des ingrédients divers, comme des charges minérales, silice et/ou noir de carbone, des pigments pour la coloration, des produits anti-oxygène et anti-ozone, des agents gonflants et/ou ignifugeants, d’autres élastomères, ..., avant de procéder à la phase de vulcanisation qui va conférer au mélange caoutchouteux les propriétés mécaniques appropriées à l’utilisation prévue.

C’est le français Gustave Bouchardat qui, le premier en 1879, proposa la formule chimique du caoutchouc naturel : le cis-polyiso- prène C5H8n, avec n variant entre deux mille et dix mille suivant l’âge

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de l’arbre et surtout la finesse de la technicité du récolteur de latex, vérifiant en cela le rapport correct carbone/hydrogène C10H16 proposé dès 1826 par Michael Faraday (figure 6). La longueur de chaque unité isoprène est de l’ordre de quatre à cinq angströms de sorte que la molécule peut atteindre une dimension de cinq micromètres, d’où sa dénomination de macromolécule.

Figure 6 : L’isoprène peut prendre deux configurations différentes auxquelles corres- pondent deux polymères différents :

A : cis - polyisoprène (position «bateau» pour le caoutchouc naturel), B : trans - polyisoprène (position «chaise» pour le gutta-percha).

Le concept de macromolécule a été développé par H. Staudinder dans les années 1920 dans le but de décrire une molécule géante, ou polymère, formée par l’enchaînement covalent de motifs structuraux simples, identiques, appelés monomères. La synthèse des macromolé- cules fait appel aux principes chimiques traditionnels de multivalence des atomes. Une macromolécule est donc une longue chaîne pouvant être constituée de plusieurs milliers de monomères. Les caoutchoucs sont, comme les matières dites plastiques, des matériaux à structure macromoléculaire.

Lorsque l’on impose une déformation à un bloc de caoutchouc obtenu par compactage des plaquettes sortant du séchoir, les macromo- lécules glissent les unes par rapport aux autres et l’échantillon se comporte comme un mastic ou de la pâte à modeler avec une légère élasticité due aux enchevêtrements de chaînes qui jouent le rôle de points d’ancrage entre lesquels chaque portion de chaîne se comporte comme un ressort. Le but de la vulcanisation est de créer, à l’aide du soufre ou d’autres ingrédients, des liaisons chimiques rigides entre les différentes chaînes (figure 7). On dénombre environ un point de

«soudure» toutes les cent cinquante unités isoprènes ce qui est suffisant pour former un réseau réticulé doué d’une extraordinaire élasticité.

Cette élasticité, qui fait que l’on appelle ces matériaux «élastomères», peut être atténuée en ajoutant des ingrédients divers dans des propor-

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tions variées, tels que du noir de carbone, des résines, de la silice qui permettent d’obtenir des composés caoutchouteux plus ou moins fermes et/ou amortissants.

Figure 7 : Enchevêtrements A : et ponts chimiques,

B : assurant l’élasticité du réseau macromoléculaire avant et après vulcanisation.

Alors que le caoutchouc non vulcanisé se ramollit à température élevée, par glissements des chaînes macromoléculaires les unes par rapport aux autres, et qu’il peut être dissous dans un solvant aromatique tel que le toluène, le caoutchouc vulcanisé présente un état stabilisé.

On entend par ce qualificatif que le caoutchouc trempé dans un bain de toluène peut se déformer et subir un gonflement comme une éponge, mais qu’en aucun cas il est soluble dans le liquide. D’autre part, plus la vulcanisation est poussée, par augmentation du soufre ou/et augmen- tation de la température, plus on crée de liaisons intermoléculaires, ce qui entraîne une suppression de degrés de liberté. La vulcanisation extrême conduit à un matériau très rigide, l’ébonite, dont le comporte- ment s’apparente plus à un matériau plastique qu’a un solide caoutchou- teux.

L’isoprène, le monomère du caoutchouc naturel, est également le monomère d’autres polymères naturels : le gutta-percha extrait des arbres Palaquium et Payena, et le balata extrait du Mimosups balata, correspondent à la forme trans du polyisoprène (figure 6). Contraire- ment au caoutchouc naturel (cis-polyisoprène) qui est un solide

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amorphe et souple, le gutta-percha et le balata sont des solides rigides cristallisés à 60 % à la température ambiante (le balata est utilisé pour couvrir certaines balles de golf). Le latex du Sapota achras contient un mélange de polyisoprène cis et trans. Connu sous le nom de chicle, il est utilisé pour fabriquer du chewing-gum. On trouve dans les organismes vivants d’autres élastomères naturels, par exemple, l’élas- tine qui est une protéine entrant dans la composition des tissus artériels et des ligaments.

Les premiers pas vers l’élaboration des caoutchoucs synthétiques ont été accomplis par le français Bouchardat (1879) et l’anglais Tilden (1884) qui ont montré que le monomère isoprène pouvait être extrait du caoutchouc naturel par distillation destructive, puis recombiné pour donner un caoutchouc. Le développement des caoutchoucs synthétiques a commencé au début du XXe siècle et s’est intensifié pendant la seconde guerre mondiale, grâce principalement au programme créé aux États-Unis en 1940, le «U.S. Government Synthetic Rubber Research Program». Il faut rappeler que l’occupation par le Japon d’une partie du Sud-Est asiatique, grand producteur de caoutchouc naturel, avait eu pour conséquence d’interrompre l’approvisionnement des pays occiden- taux.

Certains des caoutchoucs synthétiques mis au point et fabriqués pendant cette période troublée ainsi qu’après la guerre, présentaient la particularité d’avoir des propriétés spécifiques attrayantes différentes de celles du caoutchouc naturel. Par exemple, citons les copolymères styrène - butabiène (SBR, Styrene-Butadiene Rubber) qui, associé à des agglomérats de particules de charbon (noir de carbone renforçant, par exemple), est utilisé dans la confection des bandes de roulement des pneumatiques des véhicules de tourisme. Pour ce qui concerne le butyl (BR, Butyl Rubber) sa quasi parfaite imperméabilité à l’air, fait qu’on l’utilise pour la confection des chambres à air.

Actuellement, la consommation mondiale de caoutchoucs est de l’ordre de treize millions de tonnes ; elle se décompose approximative- ment en un tiers de caoutchouc naturel (dont le coût moyen est voisin de dix francs/kg) et deux tiers de caoutchoucs synthétiques de tous types. Pour sa part, l’industrie du pneumatique consomme environ 70 % de toute la production de caoutchoucs.

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4. L’ÉLASTICITÉ DES MATÉRIAUX CAOUTCHOUTEUX

Que le caoutchouc soit naturel ou synthétique, la propriété caractéristique de ce type de matériaux est son extraordinaire élasticité.

Pour rendre schématiquement compte de la thermodynamique de l’élasticité caoutchouteuse, prenons une bande étroite de caoutchouc et :

– lorsqu’on la soumet à une force, elle peut s’allonger jusqu’à sept fois sa longueur initiale et reprendre presqu’instantanément sa dimension première lorsque la force est supprimée,

– lorsqu’on provoque un étirement rapide, un échauffement de la bande est observé,

– lorsque la bande subissant un étirement sous l’action d’un poids mort, est chauffée, sa longueur diminue.

Ainsi on peut en conclure qu’il existe une grande analogie entre un gaz comprimé et une bande de caoutchouc étirée. Un gaz s’échauffe lorsqu’on le comprime brusquement et se refroidit lors de la détente.

Selon la chronologie historique, c’est en 1805 que Gouth met en évidence les propriétés thermoélastiques du caoutchouc naturel. Vers 1850, Joule et Kelvin entreprennent l’analyse thermodynamique de l’élasticité de ce type de matériaux et c’est seulement en 1932 que Meyer, van Susick et Valko proposent le mécanisme moléculaire de l’élasticité caoutchouteuse. Comme cela a déjà été évoqué, les élasto- mères sont des solides constitués de longues chaînes reliées entre elles par des ponts chimiques, appelés encore nœuds du réseau macromolé- culaire. Les chaînes sont en perpétuel mouvement (mouvement brow- nien) passant rapidement d’une configuration (forme) à une autre. En l’absence de toute force imposée à une bande de caoutchouc, c’est-à- dire dans l’état que l’on peut appeler «au repos», les chaînes peuvent explorer un très grand nombre de configurations, sans dissipation notable d’énergie, puisque toutes les configurations possibles ont par définition des énergies voisines. Cette situation correspond au plus grand nombre de degrés de liberté, il y règne le plus grand désordre (l’entropie est maximum), pour décrire cet état on parle de «pelote statistique» (figure 8).

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Figure 8 : Représentation schématique d’une macromolécule linéaire, de branche- ments, d’un réseau tridimensionnel et de la «pelote statistique».

Lorsque la bande est soumise à un étirement, la force de traction appliquée se décompose en une multitude de forces élémentaires qui agissent à travers le réseau sur les extrémités des chaînes, chaque chaîne se comportant comme un petit élément élastique analogue à un ressort.

Sous l’action de ces forces d’intensité infime, la longueur des chaînes augmente de sorte que le nombre de configurations accessibles diminue, la limite correspondant à l’étirement complet de chaque chaîne, situation caractérisée par une unique configuration pour laquelle toutes les chaînes s’orientent dans la direction de la force de traction appliquée à la bande de caoutchouc. Lorsque la structure des chaînes est régulière, comme c’est le cas pour le caoutchouc naturel (le cis-polyisoprène), il se produit une cristallisation qui se traduit par une résistance plus forte à l’étirement. Dans cette situation ultime, le désordre est quasi inexistant, l’entropie est minimum. Bien évidemment, le matériau tend naturellement à revenir dans son état de plus grand désordre, c’est pourquoi, lorsque la force de traction est supprimée, les mouvements browniens induisent une force qui tend à rapprocher les extrémités de chaque chaîne, autrement dit, qui tend à raccourcir les chaînes. C’est cette force qui est à l’origine de la rétraction élastique.

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Dans le cas des solides rigides, tels que verres, métaux, cérami- ques, ..., la force de rétraction élastique résulte d’un déplacement minime des atomes autour de leurs positions d’équilibre, l’énergie de cohésion de ces solides est très élevée et la déformation s’accompagne d’une augmentation importante de l’énergie interne. A l’opposé, pour les caoutchoucs, lorsque l’on impose un étirement à la bande, l’énergie interne est quasiment indépendante de l’amplitude de l’extension, c’est pourquoi l’apport d’énergie mécanique doit être converti ; il est compensé par une émission thermique, la bande de caoutchouc s’échauffe. Inversement, une bande tendue sous l’action d’une force constante, se rétracte lorsqu’elle est chauffée. Comme nous l’avons déjà signalé, ce comportement est identique à celui d’un gaz : la pression d’un gaz est proportionnelle à la température absolue à volume constant, la force de rétraction du caoutchouc suit la même loi.

5. L’ASPECT THERMOMÉCANIQUE DES CAOUTCHOUCS

Dans le langage courant, on désigne par caoutchouc ou élastomère un matériau capable de se déformer aisément et de reprendre rapide- ment ses dimensions initiales après suppression de l’effort imposé. On oublie en général de préciser que ces observations sont relatives à la température ambiante. En effet, si l’on refroidit une bande de caout- chouc en la plongeant dans de l’air ou de l’azote liquide, la bande, si souple soit-elle à la température ambiante, devient une plaque rigide et cassante, que l’on peut facilement briser par un léger coup de marteau.

Cette expérience est tellement banale que l’on hésite à l’évoquer. Ainsi les propriétés des élastomères et polymères amorphes sont déclarées comme étant fortement thermodépendantes.

Il a été vu que l’élasticité des caoutchoucs résultait de leur constitution particulière mettant en œuvre de longues chaînes macro- moléculaires, flexibles et mobiles, assemblées en réseau à l’aide de ponts chimiques. Si le caoutchouc est fortement refroidi, pendant le même temps d’observation que précédemment on constate le ralentis- sement et même l’arrêt du mouvement qui agitait les chaînes. On obtient ce que l’on appelle un verre, c’est pourquoi le passage du comportement élastique observé à la température ambiante à ce nouvel état statique à basse température, traduit une transition que l’on appelle transition vitreuse. Pour le caoutchouc naturel, cette transition apparaît lorsque la température devient inférieure à – 70°C. En deçà de cette température, un étirement imposé à la température ambiante reste figé après suppression de l’effort et la bande reprend ses dimensions initiales

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seulement après réchauffement. On peut ainsi définir les caoutchoucs comme des polymères (réseaux macromoléculaires) présentant une température de transition vitreuse inférieure à la température ambiante.

La notion de temps d’observation, introduite ci-dessus, n’est pas anodine. En effet, température et temps d’observation (ou fréquence de mesure d’une propriété mécanique) sont deux paramètres importants pour la description du comportement des élastomères. La technique la plus classiquement utilisée pour éprouver les propriétés mécaniques dynamiques des matériaux caoutchouteux et ainsi caractériser leurs comportements thermomécaniques, consiste à imposer à un bloc d’élastomère une déformation, de type compressif, sinusoïdale de faible amplitude (quelque pour cent) avec une fréquence variable entre 10 et 1 000 Hz et à différentes températures stabilisées, et d’enregistrer les variations correspondantes de l’effort, ou plus précisément, de la contrainte supportée par le bloc.

Le rapport des amplitudes de la contrainte et de la déformation associée, pour des conditions expérimentales données, définit le module d’élasticité du matériau pour ces mêmes conditions. On constate qu’il existe un déphasage, entre la contrainte mesurée et la déformation sinusoïdale imposée, caractérisé par un angle appelé angle de dépha- sage, lequel quantifie le caractère plus ou moins visqueux du bloc pour les conditions imposées. La tangente de cet angle représente l’amortis- sement du matériau, c’est-à-dire le rapport entre l’énergie thermique dissipée au sein du bloc et l’énergie mécanique fournie à ce bloc d’élastomère en lui imposant une déformation.

A titre d’exemple, considérons l’effet d’un réchauffement progres- sif, à partir d’une température inférieure à celle de la transition vitreuse, sur le module d’élasticité (figure 9) et l’amortissement d’un bloc de caoutchouc. A basse température, les mouvements moléculaires sont très restreints et paraissent même inexistants pour un court temps d’observation. Le matériau est un verre dont le module d’élasticité est relativement élevé, puisque sa valeur est voisine de un gigapascal (109 newtons par mètre carré), tandis que l’amortissement est infini- ment petit. Dans un premier temps, le réchauffement provoque des transitions de faibles amplitudes, dites secondaires, qui n’ont que peu d’incidence sur le module d’élasticité ainsi que sur l’amortissement.

Ces transitions sont dues à l’apparition de mouvements de petits groupes d’atomes.

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Figure 9 : Effet d’un réchauffement du caoutchouc, à partir de l’état vitreux sur l’in- tensité de son module d’élasticité.

Figure 10 : Valeurs de la température de transition vitreuse exprimée en kelvins pour trois matériaux caoutchouteux et leurs mélanges (BR : caoutchouc butyl ; NR : caout- chouc naturel ; SBR : copolymère styrène-butadiène).

Puis, au cours du réchauffement, un grand bouleversement appa- raît, c’est la transition vitreuse que l’on observe sur une plage de quelques dizaines de degrés Celsius. Cette transition majeure corres- pond à des changements progressifs de configurations, accompagnés de l’étirement des chaînes les plus longues. Le module d’élasticité est brutalement divisé par un facteur égal à mille, tandis qu’un pic d’amortissement important se manifeste ayant pour origine le frotte- ment des chaînes les unes contre les autres au cours des mouvements divers qui permettent leur changement de forme. A titre d’exemple, le pic d’amortissement du caoutchouc naturel à la fréquence de 10 Hz est

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observé à une température voisine de – 50°C. Pour les températures supérieures, l’amortissement diminue puis se stabilise tandis que le module d’élasticité conserve sa valeur (de l’ordre du mégapascal) : c’est le domaine que l’on appelle improprement plateau «caoutchouti- que», disons plutôt que le matériau n’est plus un verre mais un élastomère, il se trouve dans l’état caoutchouteux décrit précédemment (figure 10).

En conclusion, pour bien comprendre et prédire le comportement d’un élastomère, il faut retenir qu’il existe une équivalence temps d’observation-température, ou vitesse-température. C’est-à-dire qu’aux temps courts (vitesses, ou fréquences élevées), le comportement correspond à celui observé aux basses températures. A l’opposé, aux temps longs (vitesses, ou fréquences basses) le comportement corres- pond aux températures beaucoup plus élevées que celle de la transition vitreuse.

6. PROPRIÉTÉS TRIBOLOGIQUES DES CAOUTCHOUCS

Les premières études scientifiques sur les propriétés tribologiques (adhésivité, frottement, usure, lubrification) du caoutchouc, matériau essentiel au développement des techniques de transport modernes, ne remontent guère au-delà d’une cinquantaine d’années. Dans le domaine de l’automobile, à la fin du XIXe siècle, utilisé d’abord sous forme de bandages pleins puis dans la confection des pneumatiques, le caout- chouc présentait de tels avantages par rapport au bois et à l’acier, qu’il ne semblait pas nécessaire aux ingénieurs d’analyser en détail les remarquables propriétés d’élasticité de ce matériau, qui pourtant avaient attirer l’attention de physiciens de renom tels que James Joule et Henri Bouasse. Toutefois, il convient de remarquer, d’une part, que la recherche fondamentale n’avait guère de raison de s’intéresser à des phénomènes de frottement qui se prêtaient difficilement à des investi- gations rigoureuses, et d’autre part, que ces phénomènes concernaient des matériaux de composition complexe et généralement tenue secrète par la plupart des manufacturiers, ce qui est encore le cas aujourd’hui.

Ce n’est qu’à partir de 1940 que le comportement tribologique du caoutchouc commence à susciter un intérêt croissant de la part des chercheurs, notamment en Grande-Bretagne, en Union Soviétique, aux États-Unis, et pour une moindre part en France, ainsi qu’en témoignent les cent soixante-cinq références de l’étude bibliographique publiée en 1960 par Conant et Liska. La somme des connaissances acquises, tant

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du point de vue technique que scientifique, a permis de réduire considérablement l’empirisme qui régnait dans les nombreuses applica- tions du caoutchouc où le frottement et son effet immédiat, l’usure, jouent un rôle important.

Les premières expériences systématiques entreprises ont rapide- ment montré que les propriétés de frottement du caoutchouc naturel vulcanisé, et des élastomères en général, n’obéissaient que très rarement aux trois règles classiques, établies par Guillaume Amontons en 1699 et Charles Augustin Coulomb en 1785, assez fidèlement suivies par le frottement des solides rigides usuels tels que les métaux et alliages et le bois :

– la force de frottement est indépendante de la forme et de la superficie de la zone apparente de contact,

– la force de frottement est proportionnelle au poids de l’objet déplacé, – la force de frottement est peu dépendante de la vitesse de déplace- ment.

La première règle concerne la surface apparente de contact déduite des dimensions des solides, mais il est bien connu que, mise à part la surface soigneusement clivée d’un cristal de mica, les surfaces des solides réels ne sont jamais parfaitement planes et lisses. Le poids P d’un objet se répartit sur un petit nombre de sites qui sont les sommets des aspérités les plus hautes, lesquelles subissent une déformation élastique et éventuellement plastique. La surface réelle de contact est directement fonction du poids et par conséquent est indépendante de la surface apparente. La force de frottement T est bien évidemment directement liée à la surface réelle, là où sont localisés les efforts tangentiels, et lui est le plus souvent proportionnelle, ce qui justifie l’énoncé de la deuxième règle et conduit à la définition du coefficient de frottement, égal au quotient de la force de frottement par le poids appliqué f = T / P.

Ce coefficient de frottement est caractéristique de la nature des surfaces des solides en contact, de leur topographie (présence plus ou moins marquée de rugosités), de leur état physico-chimique (présence de contaminants, d’un lubrifiant) et d’une manière générale des conditions environnementales. Quant à la troisième règle, il s’avère que l’expérience montre que la force de frottement et concomitamment le coefficient de frottement sont peu affectés par une variation de vitesse de déplacement dans un large domaine de célérités.

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Pour ce qui concerne le caoutchouc naturel, ainsi que ses homolo- gues synthétiques, les règles précédentes ne sont que très rarement suivies. S’il est vrai que la force de frottement est toujours proportion- nelle à la surface réelle de contact, elle n’est plus indépendante de la surface apparente du fait de la souplesse de ces matériaux. En effet, la surface d’un massif de caoutchouc épouse la quasi totalité des rugosités des surfaces rigides avec lesquelles il est mis en contact, de sorte qu’à poids égal, la force de frottement augmente avec la surface apparente de contact, comme le confirme la différence d’effort à fournir pour effacer un même mince trait de crayon avec une gomme large ou affûtée.

Figure 11 : Force tangentielle, coefficient de frottement usuel T/P et coefficient de frottement réel T/P1, lequel prend en compte les effets d’énergie de surface, en fonc- tion de la charge d’appui P sur une aspérité sphérique (R = 2 mm) en contact glissant sur une surface de caoutchouc naturel (v = 20 m.s–1).

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De même, le coefficient de frottement défini précédemment n’est pas constant, il augmente considérablement quand la force d’appui est diminuée. L’explication en a été trouvée il y a une quinzaine d’années : il s’agit de l’intervention des forces d’attraction moléculaires qui viennent s’ajouter aux efforts appliqués de la même manière que le champ magnétique accroît la pression d’appui d’un aimant posé sur une plaque en fer. Bien évidemment ces forces existent dans le cas de tous les solides mais leur effet n’est visible et mesurable que pour les matériaux souples, et elles deviennent prédominantes lorsque la force d’appui diminue, de sorte que le coefficient de frottement dans sa définition usuelle f = T/P, qui ne prend pas en compte ces forces, tend rapidement vers l’infini lorsque le poids P tend vers zéro (figure 11).

La troisième règle du frottement des solides usuels, qui prévoit la non dépendance, ou une très faible dépendance, de la force de frottement avec la vitesse de déplacement, n’est jamais vérifiée avec le caoutchouc. En effet, la force de frottement est directement liée au mode de dissipation d’énergie par déformation des solides et dans le cas du caoutchouc il s’agit de pertes viscoélastiques (étirement des chaînes et glissement de ces chaînes les unes contre les autres) dont l’intensité dépend de façon notable, comme cela a déjà été évoqué, de la vitesse de déformation, ainsi que de la température. Rappelons qu’il existe un principe d’équivalence vitesse-température, à savoir que la force de frottement peut, à basse température et faible vitesse, prendre la même valeur qu’à température plus élevée et vitesse plus grande.

Il n’existe donc pas de parallélisme très net entre le comportement tribologique des solides rigides usuels non polymériques et celui des caoutchoucs, l’influence des différents paramètres conditionnant ses propriétés de frottement ne pouvant guère être comprise que par référence aux propriétés superficielles, mécaniques et thermiques de ce type de matériau. D’une manière générale le frottement du caoutchouc peut s’exprimer à l’aide de deux composantes indissociables : son adhésivité naturelle, due aux forces d’attraction moléculaire, qui tend à maintenir le contact avec les autres solides ou lui-même et la déformation, dissipatrice d’énergie thermique, qu’il subit lorsque l’on impose un déplacement relatif des corps en contact.

C’est la configuration particulière de la zone de contact entre un pneumatique et une chaussée, qui fait que les nombreuses études entreprises dans le domaine de la tribologie des élastomères ont été

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menées simultanément, et souvent indépendamment les unes des autres, suivant deux directions :

– étude du contact et de l’adhérence,

– mise en œuvre du frottement de glissement contre des substrats rigides plus ou moins rugueux, éventuellement en vue de déterminer les conditions d’apparition de l’usure.

Il faut savoir que la sécurité du conducteur et des passagers d’un véhicule de tourisme repose sur quelques centimètres carrés. C’est la grandeur de la surface de contact entre un pneumatique et la route, que représente approximativement la dimension d’une main pour chacun des quatre pneumatiques. Toute la puissance utile du moteur, tous les efforts de freinage passent par ces zones de contact. L’absence de contact annule la tenue de route.

L’adhérence entre un pneumatique et la route permet à ce pneumatique de transmettre des efforts horizontaux qui contrôlent à la fois la vitesse et la direction. Les forces, d’accélération ou de freinage, lesquelles régissent la vitesse de progression, sont générées à l’intérieur de véhicule et sont transmises de ce dernier à la chaussée par l’intermédiaire de la bande de roulement. En revanche, les efforts qui conditionnent la direction du véhicule, - on parle à ce propos d’efforts d’envirage -, sont créés au sein même du pneumatique, lequel assure leur transmission de la route au véhicule.

Dans l’un et l’autre cas, freinage ou accélération et envirage, la force longitudinale dans l’aire de contact pneumatique-chaussée, croît du bord avant vers l’intérieur de la zone. Lorsque cette force atteint la valeur critique égale au produit du coefficient de frottement par la force normale locale appliquée, un glissement se produit à l’interface bande de roulement-revêtement routier.

Ainsi la zone de contact est divisée en deux régions, comme l’a montré de manière spectaculaire Adolf Schallamach dès 1956 : une première région, localisée à l’avant, dans laquelle un contact intime s’établit entre le caoutchouc, comprimé par accélération ou étiré par freinage, et le sol (zone d’adhérence) et, en arrière, une région de relaxation des contraintes par glissement (zone de frottement). C’est dans cette région de glissement que peut se produire une usure abrasive par l’action des aspérités du revêtement routier (figure 12).

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Figure 12 : Vue schématique des deux régions d’adhérence et de glissement compo- sant la zone de contact entre la bande de roulement d’un pneumatique et une chaussée.

6.1. Adhérence des matériaux caoutchouteux

Pour ce qui concerne les propriétés superficielles d’un élastomère et plus précisément l’existence de forces de surface, rappelons que lorsque l’on approche deux solides quelconques l’un de l’autre, des forces d’attraction se manifestent avant même que le contact soit établi.

Ces forces deviennent mesurables dès que la distance devient inférieure à quelques dixièmes de micromètres et leur intensité augmente jusqu’à la réalisation du contact. Quant à l’origine de ces forces, elles sont de même nature que celles qui assurent la cohésion des solides.

En effet, au sein d’un matériau, toutes les liaisons sont appariées, ce qui n’est pas le cas pour celles émanant des atomes ou molécules de la surface, et ce sont précisément celles-là qui sont responsables des forces d’attraction. Les liaisons ont une intensité plus ou moins fortes, par ordre décroissant, citons les métaux et les cristaux covalents (comme le diamant), les cristaux ioniques (comme le chlorure de sodium), les assemblages moléculaires (comme les polymères), la liaison hydrogène (qui assure la cohésion de la glace) et les liaisons de van der Waals, ces dernières existant pour tous les solides puisqu’elles sont dues aux fluctuations permanentes de la distribution électronique autour des noyaux atomiques.

Ces différentes forces de liaison ont un rayon d’action d’autant plus court qu’elles sont plus intenses, c’est la raison pour laquelle deux métaux n’adhèrent pas spontanément dans l’air puisque la liaison métallique, très intense, a une portée de quelques angströms, ce qui est insuffisant pour traverser les couches de contaminants recouvrant les

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surfaces, comme un lubrifiant ou de simples traces de doigts. De plus, du fait de la dureté des métaux et de la présence de rugosités, les zones de contact où les forces de van der Waals agissent ont une superficie trop faible pour assurer un assemblage. En revanche, dans un vide très poussé (hors contamination), les métaux adhèrent spontanément, et l’on peut même parler de soudure.

Quant au caoutchouc, il n’échappe pas à la règle, les forces moléculaires bien que peu intenses ont un rayon d’action trop court pour traverser les couches contaminantes diverses qui recouvrent sa surface.

Par contre, le caoutchouc étant très souple, les zones de contact occupent une superficie suffisante pour que les forces de van der Waals agissent pleinement et assurent un assemblage durable si l’on n’applique pas des efforts trop importants pour détruire les liaisons établies. C’est ainsi qu’une plaque de caoutchouc souple adhère spontanément sur une surface métallique polie ou une surface de verre par agrandissement d’une petite zone initiale de contact suivant un mécanisme de «cicatri- sation». Cette spontanéité de collage fait que l’on parle d’adhérence ou d’adhésivité naturelle, ou encore de collant ou de pégosité du caout- chouc naturel et des élastomères synthétiques similaires.

Par convention de langage on appelle «adhésion» les forces qui maintiennent le contact entre deux solides qu’ils soient ou non assemblés à l’aide d’un joint de colle, et l’on appelle «adhérence» la force qu’il faut exercer, ou l’énergie qu’il faut dépenser, pour rompre le contact et séparer complètement les deux solides. Il est bien évident qu’il existe une relation étroite entre ces deux concepts, mais si les forces d’adhésion ne dépendent que de la nature des liaisons et des conditions environnementales (température, humidité, présence de contaminants, ...), la force d’adhérence dépend en plus de la forme et des dimensions des matériaux, de leur mode de déformation (élastique, viscoélastique, élastoplastique, viscoplastique, plastique), de leur com- portement rhéologique et concomitamment de la vitesse imposée pour provoquer la séparation des solides en contact.

Dans la pratique, c’est l’adhérence qui importe puisque le problème est de savoir quelle force est capable de supporter un joint adhésif. Il a été mis en évidence que lors d’un test destructif de rupture d’un assemblage, la séparation ne s’effectue jamais d’un seul bloc mais par propagation d’une fissure qui chemine plus ou moins rapidement en rompant successivement les liaisons rencontrées suivant un mode similaire au fonctionnement d’une fermeture à glissière. Bien évidem- ment, au cours de sa propagation, la fissure produit des déformations

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viscoélastiques dissipatrices d’énergie, de sorte que plus vite on souhaite rompre le contact, plus intense doit être la force à appliquer, comme c’est le cas pour dérouler une certaine longueur de bande adhésive de son rouleau débiteur, bien que les forces d’adhésion entre les différents spires aient la même intensité, la force de traction (force d’adhérence) augmente avec la vitesse de déroulement que l’on impose.

En d’autres termes, cela revient à dire que l’adhérence dépend de deux paramètres multiplicatifs, l’un directement lié aux forces d’adhé- sion qui assurent l’intimité du contact, et l’autre lié au mode de déformation, la viscoélasticité pour le caoutchouc. Ainsi l’adhérence peut apparaître comme identique dans les deux cas suivants : une faible adhésion associée à des pertes visqueuses importantes, et une adhésion forte associée à une énergie de déformation faible. A titre d’exemple, on dépense la même énergie pour rompre le contact de deux plaques de caoutchouc peu vulcanisé (premier cas) et l’assemblage de deux plaques de caoutchouc vulcanisées après leur mise en contact (deuxième cas).

L’adhésion et l’adhérence du caoutchouc peuvent être aisément mises en évidence dans une expérience simple qui consiste à poser un cylindre rigide en polyméthacrylate de méthyle (plexiglas®), par exemple, sur un plan incliné de caoutchouc. On constate que le cylindre roule lentement et régulièrement quelle que soit l’inclinaison. Lorsque le poids par unité de longueur de cylindre n’est pas trop élevé (cylindre de faible diamètre), on constate que le cylindre roule également sous le plan de caoutchouc sans tomber. Dans ce cas non trivial, la force d’adhésion, laquelle maintient le contact, l’emporte sur la force d’adhérence qui n’est autre que le poids du cylindre corrigé de l’angle d’inclinaison du plan de caoutchouc (figure 13).

Figure 13 : Schémas montrant la possibilité d’observer le roulement d’un cylindre, dont le poids linéique n’est pas trop élevé, sur et sous un plan incliné recouvert de caoutchouc.

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Comme cela a été très tôt pressenti, bien qu’aucune quantification sérieuse n’ait été entreprise, l’adhésion joue un rôle très important dans le frottement du caoutchouc. Par exemple, elle est seule responsable d’un phénomène tout à fait particulier qui consiste en la formation et en la propagation, dans certaines conditions favorables, de vaguelettes creuses dans la zone de contact entre un bloc de caoutchouc souple et un substrat rigide. Ces vaguelettes, mises en évidence pour la première fois par l’anglais Schallamach en 1971, qui assurent le mouvement relatif des deux solides, se décollent progressivement pour se recoller à la même vitesse à quelque distance de là par un mouvement de reptation, en l’absence de tout glissement interfacial qui consommerait trop d’énergie, à la manière du déroulement d’un pli dans un tapis.

Le mécanisme de formation des vaguelettes dépend d’un certain nombre de paramètres qui seront répertoriés plus loin. Cela ne nous empêche pas d’annoncer dès maintenant que si l’on examine le frottement entre un gravillon émoussé enchâssé dans un revêtement routier et la bande de roulement en caoutchouc souple d’un pneumati- que de Formule 1, par exemple, on constate en phase d’accélération la formation de ces vaguelettes (plis de décollement). Un événement identique peut se produire à l’interface entre une aspérité de rocher et la semelle d’une chaussure d’escalade.

Pour bien comprendre les mécanismes fondamentaux régissant l’adhérence et le frottement des solides rigides au contact des élasto- mères, et plus particulièrement dans le cas de la bande de roulement d’un pneumatique au contact d’un revêtement routier, de nombreuses études ont été entreprises pour définir les différents modes élémentaires d’interaction entre une aspérité rigide et la surface plane et lisse d’un élastomère souple, simulant ainsi l’action d’un granulat de chaussée sur le caoutchouc constitutif d’un pneumatique.

Il a été ainsi montré que la zone de contact statique sous un chargement normal P entre un poinçon rigide sphérique (représentant une aspérité émoussée) et la surface plane et lisse d’un massif de caoutchouc souple est, par suite de l’intervention des forces d’attraction moléculaire de type van der Waals, plus grande que la valeur qui peut être déduite de la théorie classique de l’élasticité (théorie de Hertz, 1881). De plus, le raccordement du caoutchouc sur la sphère n’est pas tangent comme prévu mais vertical, il existe une espèce de ménisque, comme dans le cas des liquides, que l’on peut aisément mettre en évidence à l’aide d’une technique interférométrique (figure 14).

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Figure 14 : Réseaux d’anneaux de Newton et profils correspondants de la surface d’un massif de caoutchouc souple au voisinage du bord du contact d’une sphère en verre dans le cas d’un contact :

A : non adhésif, B : adhésif.

La force P1, qui donne le même rayon de contact qu’en l’absence d’adhérence, sert à définir le coefficient de frottement réel (figure 11).

Pour ce qui concerne la valeur mesurée de la zone de contact précédemment évoquée, elle est en parfait accord avec la théorie élaborée par l’équipe anglaise conduite par Kenneth Johnson qui, en 1971, montra en utilisant un bilan d’énergie qu’il est possible de prendre en compte les effets superficiels qui ont pour effet d’accroître les zones de contact pour le même effort normal P (figure 15). A titre de curiosité, signalons qu’il existe sous chargement nul une aire de contact stable de dimension non nulle entre une sphère en verre et une surface de caoutchouc et qu’il en est de même pour une faible force de traction. En effet, si la sphère n’est pas trop lourde, elle reste en équilibre, avec une zone de contact plus petite, lorsque l’on retourne le plan de caoutchouc : l’effet des forces de van der Waals l’emporte sur l’effet de gravité, comme dans le cas précédemment décrit du cylindre en équilibre statique ou roulant sous un plan de caoutchouc.

(A)

(B)

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Figure 15 : Exemple de variation du rayon de contact d’équilibre d’une sphère rigide polie au contact de la surface plane et lisse d’un massif de caoutchouc. A titre de com- paraison, on a représenté la courbe déduite de la théorie classique de l’élasticité (Hertz, 1881), qui ne prend pas en compte les effets d’énergie supercielle.

Figure 16 : Mise en évidence du phénomène du «déplacement préliminaire» par su- perposition des zones de contact entre une bille de verre et une surface de caoutchouc, pour la même force normale appliquée dans le cas du contact statique a et de l’appli- cation d’une force tangentielle insuffisante pour provoquer le glissement globale b. La déformation de la rayure préalablement tracée à la surface du caoutchouc permet de vi- sualiser les zones immobiles et celles qui subissent un glissement

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6.2. Frottement de glissement

Sous l’action d’un effort tangentiel progressif imposé à la sphère appliquée contre le massif sous l’action d’un poids P, comme dans la situation précédente, on constate que :

– la zone de contact devient plus petite, comme si les forces d’attrac- tion moléculaires cessaient d’agir, et

– elle perd sa symétrie circulaire par un mécanisme de pelage sous l’effet des contraintes élevées de traction créées à l’arrière du contact.

Pendant le même temps, des micro-glissements apparaissent dans une zone annulaire adjacente au bord du contact, la zone centrale du contact restant exempte de tout déplacement relatif. Cette phase transitoire est en parfait accord avec la théorie dite du «déplacement préliminaire» proposée par Mindlin en 1949 pour les matériaux idéalement élastiques (figure 16).

Lorsque la force tangentielle imposée excède une valeur critique, qui est bien évidemment dépendante de la charge normale appliquée et également de la vitesse avec laquelle l’effort tangentiel est imposé, les glissements envahissent la totalité de la zone de contact : le frottement global commence. Le comportement tribologique devient alors très largement dépendant des propriétés viscoélastiques du matériau subis- sant le frottement de glissement, c’est-à-dire de la vitesse ou/et de l’écart entre la température ambiante et la température de transition vitreuse.

A la température ambiante et pour des faibles vitesses de glisse- ment, le frottement apparaît comme le résultat de la compétition entre un entraînement adhésif infinitésimal et un processus macroscopique- ment continu de relaxation. A l’interface caoutchouc-substrat rigide, en l’absence de contrainte externe, des sauts moléculaires se produisent à chaque instant et dans toutes les directions ; par contre, pendant une phase de glissement, les extrémités des chaînes macromoléculaires se détachent du substrat, sous l’effet des contraintes de traction, et y adhèrent à nouveau en faisant des petits sauts de 10 à 60 nanomètres orientés dans la direction opposée au mouvement. La fréquence de ces sauts est de l’ordre de 100 kilohertz à 300 K et seulement 10 millihertz à 200 K, de sorte qu’à température ambiante, le processus apparaît comme continu à macroéchelle. Ainsi le mécanisme de relaxation par sauts moléculaires à l’interface, permet à la surface de l’élastomère d’accommoder les déformations provoquées par le glissement d’une aspérité émoussée, à la condition que la vitesse ne soit pas trop élevée et que les contraintes correspondantes ne soient pas trop intenses.

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A vitesse de déplacement croissante ou/et température décrois- sante, la force de frottement augmente, de la même manière que les pertes viscoélastiques croissent avec la fréquence, tandis qu’à vitesse nulle, la résistance à l’avancement tend vers une limite finie non nulle.

Ce point est capital puisqu’il implique qu’une déformation élastique seuil importante est nécessaire pour provoquer le glissement. La conséquence pratique trouve son illustration dans la possibilité de stationnement des véhicules dans des rues fortement pentues, ce qui ne serait pas envisageable si les jantes en alliage métallique étaient au contact direct de la chaussée.

Lorsque l’on peut considérer qu’une aspérité est très émoussée, c’est-à-dire qu’elle offre au contact un grand rayon de courbure, il a été montré il y a une dizaine d’années que le frottement produit une instabilité de la surface de l’élastomère, au-delà de la limite arrière de la zone de contact, laquelle provoque la création de plis de recollement et une fluctuation concomitante de la résistance à l’avancement (figure 17). Ce mécanisme de déformation est très vraisemblablement à l’origine du frottement saccadé («stick-slip» en anglais) observé lorsqu’un patin plan de caoutchouc est en contact glissant sur un substrat rigide plan.

Figure 17 : Vues successives illustrant la formation de plis de recollement provoquée par la déformation de l’aire de contact entre une aspérité rigide très émoussée (grand rayon de courbure) et une surface de caoutchouc. C’est la formation d’un bourrelet vis- coélastique par glissement brutal (vue c) qui est responsable du recollement.

(31)

Figure 18 : Phénomènes des plis de décollement découvert par Schallamach en 1971.

A : vues successives montrant la propagation des plis dans l’aire de contact entre une aspérité émoussée (sphère rigide) et une surface de caoutchouc,

B : réseaux d’anneaux de Newton illustrant la formation d’un pli (1/500e de seconde sépare les deux images),

C : schémas expliquant la formation d’un pli à partir des images précédentes.

(B) (A)

(C)

(32)

Quand la vitesse de glissement imposée d’une aspérité sur une surface de caoutchouc souple excède une certaine valeur critique, la surface de l’élastomère, fortement comprimée en avant de l’aspérité, subit un flambage qui initie la formation de plis de décollement. Ces plis, qui ont été décrits pour la première fois par Adolf Schallamach en 1971, se propagent dans la zone de contact avec une vitesse beaucoup plus grande que la vitesse de déplacement de l’aspérité partant spontanément du bord avant, en compression, et allant vers l’arrière où règnent des tractions intenses (figure 18). Ces plis, comme cela a déjà été signalé, se propagent à la manière de la reptation d’un pli dans un tapis ; on peut également les comparer à des macrodislocations puisqu’ils assurent le mouvement relatif des deux solides en contact.

Dans ces conditions, le glissement proprement dit n’a pas lieu, il est même inexistant entre deux plis consécutifs.

S’il a été rapidement découvert que le mécanisme d’initiation de ce phénomène est entièrement gouverné par des effets viscoélastiques, encore aujourd’hui, les conditions d’apparition du régime de frottement avec plis de décollement ne sont pas complètement établies. On sait néanmoins que le domaine d’observation des plis est très largement dépendant de la nature de l’élastomère, de ses propriétés mécaniques et de sa température de transition vitreuse - avec une faible viscosité la formation des plis nécessite une grande vitesse de déplacement -, de la courbure de l’aspérité au contact, de la charge d’appui, de la vitesse imposée et de la température. Ainsi, il a été montré que la formation des plis est favorisée par :

– une diminution de la courbure de l’aspérité émoussée, – une réduction de la force d’appui,

– un accroissement de la vitesse de déplacement, – ou/et un abaissement de la température.

De plus, lorsque, partant d’un contact statique, on impose à l’aspérité émoussée une vitesse de déplacement croissante, tous les autres paramètres restant constants, on observe que l’apparition des plis de décollement provoque une diminution brutale de la résistance à l’avancement par suite de la relaxation aisée des contraintes, cette dernière étant rendue possible grâce à la mise en place du phénomène d’initiation et de propagation des plis (figure 19). Quand le régime de reptation des plis est parfaitement établi, il est possible de considérer chaque pli comme une vaguelette limitée par deux fronts de fissure qui se propagent dans la même direction et avec la même vitesse moyenne,

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en avant une fissure qui s’ouvre suivant un mécanisme de pelage qui dissipe la quasi totalité d’énergie mise en jeu, et à l’arrière une fissure qui se referme sans consommation d’énergie. Ainsi, il a pu être vérifié, à l’aide du bilan des énergies mises en jeu, que la résistance à l’avancement, à chaque instant, est directement proportionnelle au nombre de plis présents dans la zone de contact et à leur vitesse moyenne.

Figure 19 : Courbe maîtresse de variation du coefficient de frottement du caoutchouc naturel avec la vitesse et la température. L’apparition des plis de décollement se traduit par une instabilité puis une chute de la force de frottement. Les encarts schématisent les signaux d’enregistrement de la résistance à l’avancement.

– Branche AB : glissement,

– Zone BB’CC’ : installation du régime propagation des plis de décollement, – Branche C’D : propagation régulière des plis.

Malgré l’aspect spectaculaire de ce phénomène, que chacun peut aisément reproduire en frottant un verre de montre de chimie contre une plaque de caoutchouc souple, il faut bien admettre qu’il présente un certain nombre d’inconvénients. Il peut être la cause de fuites dans des systèmes tournants d’étanchéité, il peut être à l’origine du dérapage d’une semelle de chaussure, d’un défaut d’entraînement d’une courroie

(34)

mal tendue, ... Pour pallier ces désagréments, dus aux discontinuités mouvantes et périodiques dans la zone de contact on introduit dans le caoutchouc, avant la phase de vulcanisation, des charges durcissantes et plastifiantes ou d’autres élastomères synthétiques.

Figure 20 : Premiers instants de la pénétration dans la zone de contact du plissement figé formé en avant de l’aspérité émoussée (sphère rigide) lorsque celle-ci est mise en mouvement à partir de l’état statique.

L’adjonction de charges est classique pour la fabrication des caoutchoucs à usages industriels. Le comportement tribologique du

(A)

(B)

(C)

(35)

mélange caoutchouteux n’est pas notablement modifié tant que la vitesse imposée à l’aspérité émoussée reste faible. A grande vitesse, le régime de propagation des vaguelettes est remplacé par la formation à l’avant de l’aspérité, d’un plissement qui reste gravé un certain temps (celui nécessaire à la recouvrance de la déformation) à la surface du caoutchouc au lieu de se propager et de jouer, comme précédemment, le rôle d’une «chenillette». Ainsi, ce plissement pénètre dans la zone de contact (figure 20) et conduit, lors de sollicitations multiples, à la détérioration de la surface par usure, avec élimination concomitante de copeaux (usure dite abrasive) ou de débris en forme de rouleaux (usure adhésive) dus à la formation de fissures créées en surface et qui se propagent au sein du caoutchouc. A titre d’exemples, le frottement d’une gomme sur le papier efface un trait de crayon en produisant des petits rouleaux, tandis que le papier émeri griffe et nettoie la surface d’une chambre à air en créant de minuscules copeaux.

Il est probable, bien qu’aucune preuve formelle ne le confirme encore, que le passage du régime de frottement avec plis de décollement (propagation de vaguelettes) à celui des plis qui restent figés plus ou moins longuement sur la surface du caoutchouc, dépende d’une valeur critique du rapport entre la résistance au cisaillement interfacial de l’élastomère éprouvé et son module d’élasticité.

Dans le cas, non encore évoqué, où des rugosités sont présentes à la surface du caoutchouc, si la force normale appliquée sur l’aspérité sphérique (émoussée) ou/et si le caoutchouc n’est plus aussi souple que précédemment, l’aire réelle de contact est plus petite que la surface apparente. En effet, le contact est assuré, au niveau des rugosités les plus hautes, par un archipel de petites îles discrètes localisées à l’intérieur d’une région de forme grossièrement circulaire. Pour ce qui concerne l’adhérence, la force pour écarter l’aspérité est fortement diminuée, en revanche, lors du glissement, les cissions interfaciales demeurent suffisantes pour maintenir une résistance à l’avancement élevée.

Il est à noter que si les rugosités sont disposées sous forme d’alignements réguliers, par exemple s’ils sont produits par une abrasion unidirectionnelle, une anisotropie de frottement apparaît : la force de frottement est plus faible lorsque que le déplacement est effectué perpendiculairement aux stries, par suite de la relaxation périodique des contraintes tangentielles à l’interface. De même, dans le cas d’un caoutchouc souple, la présence de rugosités perturbe la

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