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Article pp.553-570 du Vol.7 n°4 (2009)

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Texte intégral

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sur l’enseignement à distance : mouvement, relation, substance

Hugues Choplin

Université de Technologie de Compiègne

Centre Pierre Guillaumat – BP 60319, rue du Docteur Schweitzer F-60203 Compiègne cedex

hugues.choplin@utc.fr

RÉSUMÉ. S’appuyant sur douze textes publiés dans Distances et savoirs, cet article fait valoir trois « figures de pensée » – traversant nos disciplines scientifiques – : la substance, la relation et le mouvement. La confrontation de ces figures et de ces textes suggère combien Distances et savoirs invite à une pensée pluraliste de l’enseignement à distance, contestant, en particulier, le primat de la seule figure de la substance, qui dirige les recherches centrées sur les caractéristiques propres de ces acteurs que sont l’apprenant, l’enseignant, le savoir ou les TICE. Munis de ces figures, nous proposons également trois perspectives de recherche et de pratique. Elles portent sur la relation pédagogique à distance, la dynamique du dispositif de formation et le milieu susceptible de favoriser l’émergence d’un mouvement innovant.

ABSTRACT.This article leans on twelve texts published in Distances et savoirs. It asserts three

« figures of thought »– crossing our scientific disciplines – : the substance, the relation and the movement. The confrontation of these figures and these texts suggests how much Distances et savoirs invites to a pluralistic way of considering distance teaching. We question, in particular, the primacy of the sole figure of the substance, which structures the researches focused on the characteristics of these three actors : the learner, the teacher, knowledge or educational ICT. We propose also three perspectives for research and practice.

They concern the educational remote relation, the dynamics of the training system and the environment likely to facilitate the emergence of an innovative movement.

MOTS-CLÉS: changement, dispositif, épistémologie, figures de pensée, mouvement, relation pédagogique à distance, transdisciplinarité.

KEYWORDS: change, training system, epistemology, figures of thought, movement, remote pedagogical relationship, interdisciplinarity.

DOI:10.3166/DS.7.553-570 © Cned/Lavoisier

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Proposer une « analyse/synthèse » de douze textes publiés dans Distances et savoirs depuis sa création – analyse/synthèse susceptible de correspondre au chapitre 1 du Handbook : Historical and conceptual foundations – : tel est l’objectif qui préside à la rédaction de cet article.

Dans cette perspective, notre choix principal, d’ordre épistémologique, a été de raisonner en fonction non pas de disciplines, de questions ou d’objets mais de ce que nous proposons d’appeler des figures de pensée ; nous en distinguons trois : la substance, la relation et le mouvement. La confrontation de ces trois figures et de nos douze textes suggère combien ces derniers, et à travers eux la revue Distances et savoirs, invitent à une pensée contemporaine de l’enseignement à distance qui conjugue ces trois figures, sans les subordonner les unes aux autres. Il s’agit dès lors, en particulier, de contester non pas la nécessité mais le primat de la figure de la substance, figure qui dirige les recherches centrées sur les substances – ou les caractéristiques propres – de ces acteurs (au sens large) de l’enseignement à distance que sont l’apprenant, l’enseignant, le savoir ou les TICE.

Muni de ces figures, nous proposons finalement – toujours sur la base de ces douze textes – trois perspectives de recherche sur, et de pratique de, l’enseignement à distance. Elles portent respectivement sur la relation pédagogique à distance, la dynamique du dispositif de formation à distance et le milieu susceptible de favoriser l’émergence, dans nos établissements d’enseignement, d’un mouvement innovant.

Raisonner par figure de pensée Au-delà des disciplines et des objets

1. Distances et savoirs est une revue qui se définit d’abord par son objet : l’enseignement à distance. Précisément, elle a vocation, semble-t-il, à constituer un espace fédérateur où cet objet général puisse se déplier authentiquement, selon ses différentes dimensions et enjeux. Si l’on s’appuie sur l’éditorial du premier numéro, l’on peut tout particulièrement constater qu’il s’agit d’interroger à travers l’enseignement à distance :

– l’articulation, sur le plan de l’innovation pédagogique, entre « le paradigme éducatif dominant, la transmission « verticale » des savoirs, et un paradigme nouveau dont la forme n’est pas encore aboutie, celui d’une appropriation « horizontale » des savoirs » (Vidal et al., 2003) ;

– et, plus largement, les divers enjeux des « mutations en cours » :

« pédagogiques et éducatifs, culturels et idéologiques, socio-économiques et politiques » (Vidal et al., 2003), ces enjeux nécessitant de prendre en compte et d’articuler différents niveaux d’analyse : du niveau techno-psycho-pédagogique micro de l’apprentissage au niveau politique macro du ministère français (ou même des institutions européennes), en passant par celui, méso, d’un établissement d’enseignement (Jacquinot et Fichez, 2008).

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Guidée par ce type d’interrogations, la revue vise à « la dynamisation de la recherche » au-delà des « clivages disciplinaires » ; elle cherche également à inspirer concrètement, sur le terrain, les « acteurs de l’enseignement et de la formation à distance, initiale et tout au long de la vie » (Vidal et al., 2003).

2. Ces différentes interrogations sont pour l’essentiel toutes présentes dans les douze articles ici considérés (même s’il est à nos yeux remarquable, soulignons-le d’emblée, que la question sociologique de la transformation des établissements d’enseignement supérieur – et celle, associée, du management de ces transformations – soit, sinon absente, du moins très peu traitée comme telle1). Qu’il nous suffise ici, pour le souligner, de mentionner l’hétérogénéité entre les deux textes de Annie Jézégou – centré sur la psychologie de l’autodirection de l’apprenant dans un dispositif de formation ouvert et à distance (Jézégou, 2007, 2008) – et celui de Françoise Thibault – qui propose une histoire contemporaine de l’enseignement à distance en France et en Europe, s’appuyant notamment sur une analyse de l’image de l’enseignement à distance véhiculée par les médias (Thibault, 2007).

Comment dans ces conditions ordonner les différents cadres théoriques que ces douze articles mobilisent ? Il nous semble que l’objectif de synthèse fixé à ce texte tend à interdire deux démarches de type prioritairement analytique : raisonner par discipline – sciences de l’éducation, sciences de l’information et de la communication, psychologie, histoire, sociologie, psychanalyse, épistémologie (pour lister les différentes disciplines prioritairement mobilisées dans ces articles – ensemble de disciplines dont l’informatique est absente) – ou raisonner par niveau de questions ou d’objets, même si l’objet « relation pédagogique à distance » serait susceptible de concerner assez directement presque la moitié des douze articles en question.

S’il ne paraît donc guère possible de travailler par discipline ou par objet, comment donc organiser une synthèse qui respecte autant que possible la diversité des articles ? Notre proposition est la suivante : raisonner par figure de pensée.

Substance, relation, mouvement2 : trois figures de pensée

1. Que sont ces trois figures ? Penser selon la substance, tout d’abord, implique de considérer que l’essentiel se passe dans les sujets – ou dans leur substance –, que ces sujets-substances désignent des apprenants, des enseignants, des dispositifs ou des

1. Elle l’est probablement davantage dans les textes rattachés au chapitre 4 du Handbook : Policies, administration, and management.

2. Ces trois termes surprendront peut-être, de prime abord, le lecteur de Distances et savoirs.

Précisons, d’une part, que l’usage du terme de « substance » est d’origine philosophique et, d’autre part, que le terme de « mouvement » renvoie ici prioritairement à un mode spécifique de pensée et d’action, que nous essayons aujourd’hui de faire valoir, en collaboration étroite avec E. Soulier.

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établissements. Bien entendu, ce mode de pensée peut porter sur les relations entre ces sujets, mais il les considèrera alors après avoir considéré ces sujets en eux-mêmes.

Les deux articles de Jézégou, en particulier, pensent selon la substance de l’autonomie des apprenants : les relations que ces derniers peuvent entretenir avec le dispositif sont en effet examinées prioritairement depuis cette substance, l’hypothèse étant que c’est surtout elle – l’autonomie – qui va déterminer la manière dont les apprenants peuvent, ou ne peuvent pas, exploiter les ressources du dispositif (Jézégou, 2007, 2008).

2. Penser selon la relation, ensuite, implique de considérer que l’essentiel se passe entre les sujets – entre les apprenants et les enseignants, entre ces acteurs et le dispositif ou l’établissement. De ce point de vue, c’est d’abord depuis cet « entre » que chaque sujet en lui-même va se constituer. Le problème est alors de qualifier, en tant que tel, cet « entre » sans le rabattre sur les deux sujets-substances qu’il met en relation, sans même le penser comme une nouvelle substance.

En proposant une analyse de la relation pédagogique à distance en termes de séparation (nécessaire), d’écoute ou encore de congruence (au sens de Rogers), Jean-Claude Maurin fait bien valoir cette figure de pensée (Maurin, 2004) : dans cette perspective, l’apprentissage procède d’abord de la qualité de la relation comme telle entretenue avec l’enseignant ou les pairs, cette qualité ne se rabattant pas sur des caractéristiques propres aux deux acteurs.

3. Penser selon le mouvement, enfin, implique de considérer que l’essentiel tient à la manière dont les sujets sont emportés dans, ou débordés par, « quelque chose » de plus grand qu’eux. Tout se passe alors comme si le sujet était moins face à un autre sujet qu’emporté dans un fleuve agité. De ce point de vue, que la relation entre les deux sujets soit pensée substantiellement (depuis les sujets eux-mêmes) ou selon la relation, importe peu ; il s’agit en effet, avec la figure du mouvement, de s’affranchir de cette relation elle-même. La difficulté est alors de penser cet

« emportement », ce débordement du fleuve, sans les rabattre sur des relations, seraient-elles incessantes – la figure de la relation paraissant en effet, en général, plus dynamique ou dynamisante que la figure de la substance3. Du point de vue de cette différence entre les deux figures de la relation et du mouvement, l’élément important semble être le suivant : à la différence de la figure de la relation, la figure du mouvement fait valoir des concepts – ceux, comme nous le verrons, d’événement, de devenir et d’agencement – qui n’engagent pas de « réalités » essentiellement

3. Ce point mériterait d’être soigneusement argumenté. Qu’il nous suffise ici de souligner – sur un plan philosophique – l’affinité qui peut s’établir, dans la pensée française contemporaine, entre des pensées de la différence ou des rapports (que l’on songe par exemple à la problématique des rapports de pouvoir développée par Foucault ou Crozier) et des pensées du mouvement (telle celle de Deleuze) : toutes se construisent (ne serait-ce que partiellement) contre les pensées de la substance (du sujet ou de l’acteur considéré comme substance en soi).

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localisées/localisables (ces concepts se distinguant par exemple de ceux d’interaction ou de situation, propres à la figure de la relation).

En questionnant en tant que tel le processus d’innovation – sa succession d’événements dynamiques, les bifurcations qui le configurent –, Elisabeth Fichez mobilise ainsi, dans son entretien avec Martine Vidal, cette figure du mouvement (Fichez, 2006).

La démarche de l’article

Muni de ces trois figures, ce texte est guidé par la question suivante : peut-on – à l’aune de la confrontation de ces figures et des douze articles considérés – tracer des perspectives pour la recherche sur l’enseignement à distance ? Nous procédons en deux temps principaux : d’une part, nous examinons comment se déploient ces trois figures au sein de nos douze articles (phase d’analyse) ; d’autre part, et sur cette base, nous proposons trois perspectives de recherche (phase de synthèse).

Confrontation des trois figures et des douze textes

L’analyse de ces douze textes à l’aune de nos trois figures fait émerger trois constats. Peut-être ces constats d’ordre épistémologique paraîtront-ils, de prime abord, difficilement exploitables par les chercheurs et les praticiens de l’enseignement à distance. Les formuler vise néanmoins à inviter ces derniers à ouvrir l’espace des possibles – possibles de la pensée et de la pratique – et, notamment, à ne pas réduire cet espace au champ, aussi incontournable que limité, dessiné par la figure de la substance.

Constat 1 : la figure de la substance menace parfois, dans ces douze textes, d’absorber les deux autres figures

1. Du point de vue de ce premier constat, les textes de deux auteurs nous paraissent significatifs. Les deux articles de Jézégou, tout d’abord, ont ceci de spécifique qu’ils cherchent à construire une « théorie de la formation à distance »4 en articulant une théorie psychologique de l’apprentissage autodirigé et une approche transactionnelle (héritée de Moore) des dispositifs de formation (Jézégou, 2007, 2008). Ils cherchent donc à conjuguer les deux figures de la substance et de la relation – figure de la relation que semble en effet faire valoir cette dernière approche dans la mesure où elle met au premier plan des concepts comme ceux de transaction ou de distance. Plus précisément, il semble que, dans ces textes, la figure

4. Dans cet article, nous ne mettons en italiques que les citations extraites de nos douze textes.

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de la relation soit subordonnée à celle de la substance : c’est, globalement, en fonction de la substance « autonomie » (de l’apprenant) ou encore de la substance

« ouverture » (du dispositif) que la théorie transactionnelle est envisagée. Ainsi, par exemple, après avoir insisté, dans la lignée de la théorie transactionnelle, sur l’importance des interactions entre pairs dans un collectif d’apprentissage, Jézégou en vient à faire valoir prioritairement le « degré de contrôle psychologique » (Jézégou, 2008) exercé par chaque apprenant. Un tel geste ne témoigne-t-il pas d’un usage de la figure de la relation en fonction de la figure de la substance, usage sans doute fécond mais également de nature à atténuer la spécificité théorique de l’approche transactionnelle, celle-ci tenant précisément, nous semble-t-il, à ce que cette approche se refuse à subordonner l’étude des transactions à celle des acteurs- substances qui les opèrent ?

2. La seconde recherche ici significative est celle de Didier Paquelin. Son texte semble bien dirigé par la figure du mouvement dans la mesure où la question qu’il formule est celle de la « dynamique d’appropriation » du dispositif par l’apprenant, et où il s’attache à penser cette dynamique en tant que telle, la caractérisant comme indéterminée, incertaine, non linéaire, ou encore mobilisant, pour la penser, le concept de zone proximale d’actualisation (Paquelin, 2004). Toutefois, l’auteur semble aussi recourir à la figure de la relation quand il caractérise l’appropriation comme « un processus intermonde », c’est-à-dire selon des relations ou des tensions entre deux mondes, en l’occurrence entre les deux mondes formatif et professionnel des apprenants. Plus encore : ne fait-il pas signe également vers la figure de la substance quand il tend à rabattre quelque peu ces tensions elles-mêmes sur les caractéristiques préalables – autrement dit les substances – de ces deux mondes ? Si l’on se gardera bien de considérer que cet article témoigne du primat de la figure de la substance, ces éléments n’indiquent-ils pas néanmoins la manière dont, dans les recherches sur l’enseignement à distance, cette figure menace d’absorber ces deux autres figures de pensée que sont la relation et le mouvement – et dès lors de manquer les ouvertures théoriques et pratiques qu’elles peuvent, elles aussi, engager ? L’usage – probablement inédit – par Paquelin du concept de zone proximale d’actualisation (ou de développement) suggère en particulier la manière dont les sciences de l’éducation peuvent considérer – et réduire – le mouvement : en l’assimilant à un processus d’apprentissage, processus qui nous semble difficilement séparable, en dernière instance, du primat de la figure de la substance (la substance désignant ici le sujet même de ce processus, à savoir l’apprenant).

Constat 2 : la figure de la relation est particulièrement présente dans ces douze textes

1. Plusieurs des textes considérés nous semblent déployer la figure de la relation.

Il s’agit d’abord des articles qui, à la manière du texte d’inspiration psychanalytique de Maurin (déjà mentionné), s’attachent à analyser la relation pédagogique à distance en tant que telle. En tant que telle, c’est-à-dire sans la rabattre sur les

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instances ou les substances (apprenants, tuteurs) qu’elle met en relation ; sans, autrement dit, caractériser la relation pédagogique comme adéquation, ou inadéquation, entre deux personnes, deux profils ou encore deux types préalablement définis5. Semble ainsi significatif le texte de Bernard Blandin qui propose d’utiliser la théorie de Goffman pour « rendre compte autrement de la relation pédagogique à distance ». Contestant le primat d’un sujet intentionnel – d’une substance subjective –, Blandin en vient en effet à privilégier, avec Goffman, des concepts spécifiquement relationnels, qu’il s’agisse des rituels d’interactions (cérémonie d’accès, parade d’adieu), du modèle de « la conversation » ou encore de la métaphore du théâtre (avec ces scènes, les coulisses…) (Blandin, 2004).

2. C’est peut-être le texte de Bernadette Charlier, Nathalie Deschryver et Daniel Peraya qui, parmi nos douze textes, met en œuvre la figure de la relation de la manière la plus résolue. S’attachant à définir un dispositif hybride – « au-delà de la simple articulation entre activités à distance et en présence et de l’usage d’un environnement technologique » –, les auteurs positionnent en effet explicitement leur analyse « entre » le sujet (typiquement un apprenant) et l’objet (typiquement un savoir), pour questionner en tant que telles les formes de médiations entre ces deux instances. Cinq formes de médiations sont ainsi dégagées – sémiocognitive, sensorimotrice, praxéologique, relationnelle, réflexive –, l’article s’attachant même à souligner les interdépendances ou les « relations fort complexes » qui peuvent s’établir entre ces médiations elles-mêmes ! (Charlier et al., 2006)

Ce texte prolonge ainsi, nous semble-t-il, la théorie des dispositifs – et en particulier des dispositifs d’enseignement à distance – en construction maintenant depuis un certain nombre d’années (Peraya, 1999 ; Jacquinot-Delaunay et Monnoyer, 1999 ; Linard, 2002). Particulièrement en cohérence avec la figure de la relation, cette théorie du dispositif – de cet objet intermédiaire ambivalent qu’est le dispositif (Linard, 2002) – s’attache à déconstruire les oppositions – dont celle, sans doute paradigmatique, de la technique et de l’humain (ou de l’objet et du sujet) – qui semblent souvent configurer la pensée et la pratique de l’enseignement à distance.

Positivement, il s’agit dès lors de promouvoir une pensée, comme tels, des rapports non seulement entre acteurs/actants hétérogènes mais aussi entre registres :

« l’analyse du concept de dispositif oblige donc à repenser les rapports entre le symbolique, le technique et le relationnel » et, plus encore, « entre médiation et médiatisation » (Charlier et al., 2006).

Constat 3 : plusieurs de ces douze textes font très significativement signe vers la figure du mouvement

1. Cette troisième figure est convoquée, presque logiquement, par deux articles de type historique : ceux de Françoise Thibault et de Patrick Guillemet, ce dernier étant

5. Pour une analyse exemplaire de ce point de vue (substantialiste), cf. Glikman, 2002.

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consacré à l’histoire du paradigme de l’industrialisation de la formation. Ces deux articles mettent en évidence deux catégories ou deux dimensions – d’ordre historique – du mouvement : le devenir et l’événement. Privilégiant, semble-t-il, la dimension du devenir – ou encore de la durée (au sens du philosophe Bergson, 1907) –, « l’approche réflexive » (Wallet, 2004) de Guillemet analyse ainsi l’industrialisation de la formation comme un « processus – un devenir – historique et anthropologique à long terme » ou encore comme une « tendance profonde » à l’œuvre aujourd’hui dans nos appareils éducatifs (Guillemet, 2004). Si elle fait également valoir cette dimension du devenir ou de la durée – notamment en soulignant combien, contrairement à ce qui s’est passé en Angleterre, « l’EAD en France n’a pas trouvé de force politique durablement impliquée pour le soutenir » (nous soulignons) –, Thibault décrit pour sa part certains événements – ou « points de rupture » – ayant transformé « assez radicalement » le paysage français ou européen de l’enseignement à distance, par exemple : l’apparition

« au niveau de la Commission européenne » du « concept politique “de formation tout au long de la vie” » (Thibault, 2007).

2. Devenir, événement : ces deux catégories ne pourraient-elles pas être exploitées, en dehors du cadre même de la discipline historique, à un niveau moins macro, susceptible de concerner de plus près les usages des TICE, « l’histoire d’un dispositif » (Charlier et al., 2006) ou encore celle des établissements d’enseignement qui les abritent ? C’est bien d’une telle exploitation que témoignent, comme nous l’avons suggéré, les textes de Paquelin et de Fichez consacrés, respectivement, à la dynamique d’appropriation d’un dispositif – envisagée comme un devenir non programmé – (Paquelin, 2004) et au processus d’innovation pédagogique, en tant qu’il engage à la fois des événements et un temps (ou un devenir) long et tortueux (Fichez, 2006 ; Jacquinot et Fichez, 2008).

Nous avons également, pour notre part – dans le cadre d’un article collectif –, proposé une analyse de la recherche sur et pour l’innovation pédagogique en termes d’événements mais aussi en termes d’agencements (en l’occurrence d’agencements de collectifs, d’objets et d’espaces-temps) (Choplin et al., 2007). De notre point de vue, cette catégorie d’agencement, issue de la philosophie de Deleuze et de Guattari (Deleuze et Parnet, 1977), engage la troisième dimension de la pensée selon le mouvement. Dans cette perspective, le mouvement est moins envisagé selon son histoire – son devenir ou/et ses événements – que selon sa géographie (et nous pourrions ici reprendre notre comparaison du mouvement et du fleuve agité). En effet, un agencement, non seulement articule des dimensions hétérogènes – à la manière d’un dispositif – mais engage, précisément ainsi, le débordement, le dépassement ou encore l’ouverture de territoires – cette ouverture dé- territorialisante (Deleuze et Guattari, 1991) pouvant relever en particulier de rhizomes comme l’écrivent ces mêmes auteurs ou encore, pour adopter le vocabulaire de la sociologie de l’innovation établie par Michel Callon et Bruno Latour, de réseaux sociotechniques. On retrouve ici, entre le dispositif et l’agencement, à la fois la proximité et la différence qui s’attestent entre les deux figures de la relation et du mouvement. Si tous deux déconstruisent ou débordent les

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substances – ou les oppositions de substances – en conjuguant des dimensions hétérogènes, le dispositif reste probablement de l’ordre d’un lieu – d’un « lieu social d’interaction » (Peraya, 1999) –, alors même que l’agencement ou le réseau socio- technique désigne cela même qui déborde tout lieu (ou qui fait fuir tout lieu6) – et par exemple le lieu de l’enseignement traditionnel7.

3. Evénement, devenir, agencement : significativement présentes dans la moitié de nos douze textes, ces trois catégories complémentaires invitent ainsi à notre sens à l’élaboration d’une pensée, comme tels, des mouvements – innovants ou non – qui peuvent emporter, agiter ou transformer les pratiques d’enseignement traditionnel et à distance et peut-être, plus radicalement encore, les institutions qui les abritent.

Conjuguer les trois figures

Que les trois figures soient ainsi présentes dans ces douze textes nous paraît particulièrement significatif, et pour tout dire quelque peu surprenant. Nous nous attendions en effet à ce que la pensée selon la substance soit dominante dans ces textes, comme elle l’est, pensons-nous, aujourd’hui en général dans les sciences de l’homme8. Toujours est-il que ces articles et, à travers eux la revue Distances et savoirs, attestent d’une réelle pluralité : les trois figures de pensée sont présentes et si, parfois, la figure de la substance menace d’absorber les deux autres (constat 1), celles-ci parviennent également à tirer leur épingle du jeu (constats 2 et 3).

Faudrait-il considérer dès lors que la revue invite à innover non seulement peut-être sur le plan pédagogique des pratiques d’enseignement – et d’enseignement à distance – mais aussi sur le plan scientifique, ou épistémologique, des recherches, ou des types de recherche, dans le domaine éducatif ? Ne pourrait-on du reste estimer qu’il

6. Chez Deleuze, cette fuite – ou cette ligne de fuite – indique non pas une fuite quelque part – vers un autre lieu (une autre substance) – mais le fait même de fuir (au sens où un tuyau peut fuir). Serait-il possible de questionner dans cette perspective la transformation d’un enseignement traditionnel (qui fuirait) ?

7. Il faudrait également souligner combien l’agencement deleuzien conduit – aussi paradoxal que cela puisse paraître – à contester, du moins sur le plan théorique, « l’importance centrale des acteurs » (Charlier et al., 2006), acteurs que valorisent au contraire à la fois (quoique de manière différente) la pensée selon la relation et la pensée selon la substance. Dès lors, de tels concepts ne permettent-ils pas, touchant l’enseignement à distance, d’accéder à des dimensions nécessairement occultées par ces deux dernières figures (dont le champ théorique est peut-être borné, précisément, par ce poids accordé aux acteurs) ?

8. Un tel diagnostic paraîtra peut-être exagéré. Il est vrai que des courants importants comme la cognition située, le pragmatisme ou la sociologie de l’innovation font signe vers une contestation assez radicale du primat de la figure de la substance. Mais jusqu’à quel point ces courants sont-ils aujourd’hui développés, en tous les cas à l’échelle française et, plus encore, dans le champ des recherches sur l’éducation, dont il nous semble qu’elles sont souvent absorbées par ces substances que sont l’étudiant, l’enseignant ou le savoir, voire les TICE elles-mêmes ?

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y a des rapports – sans doute complexes – entre ces deux plans, pédagogique et épistémologique, et qu’il est par exemple possible d’établir un lien entre l’objet que constitue un dispositif d’enseignement à distance et la pensée selon la relation, ou encore entre l’innovation pédagogique, comme processus non programmable (Bonami et Garant, 1996 ; Cros, 1998), et la pensée selon le mouvement ?9 En tous les cas, nous considérons pour notre part que cet ensemble d’articles atteste de la nécessité de faire valoir ces trois figures de pensée sans les subordonner les unes aux autres : toutes les trois proposent des analyses de l’enseignement à distance d’un type spécifique et irréductible aux deux autres10.

Trois perspectives de recherche sur l’enseignement à distance

Sur la base de cette analyse, nous proposons de tracer trois perspectives de recherche sur l’enseignement à distance ; elles semblent pouvoir être associées respectivement à trois types de praticiens : les enseignants, les responsables des dispositifs et les managers du changement.

Vers une théorie relationnelle et trans-disciplinaire de la relation pédagogique à distance

1. Le premier type de perspective envisageable peut être défini en privilégiant une figure, sur la base de laquelle il s’agirait de conjuguer différentes disciplines, tournées vers un même objet. Si l’on s’appuie sur les douze textes considérés, l’objet qui semble émerger est celui de la relation pédagogique à distance, thème prioritairement rattaché, dans ces textes, à la figure de la relation. L’on pourrait ainsi s’attacher à élaborer une théorie de la relation pédagogique à distance en conjuguant – selon cette figure – les sciences de l’éducation bien entendu, mais également les sciences de l’information et de la communication – et tout particulièrement leur usage du concept de médiation –, la sociologie (par exemple au sens de Goffman, tel que l’étudie Blandin, 2004) ou encore

9. Si une certaine affinité peut ainsi s’attester entre les figures de pensée et les objets qu’elles thématisent, il n’en demeure pas moins nécessaire de distinguer soigneusement, en droit, ces figures et ces objets : un processus innovant pourrait par exemple tout à fait – et jusqu’à un certain point légitimement – être analysé selon la figure de la substance (par exemple, en fonction des caractéristiques préalables – substantielles – de l’établissement innovant) ; inversement, l’autonomie de l’apprenant pourrait tout à fait être analysée selon la figure du mouvement, laquelle conduirait, par exemple, à questionner comme tel le processus d’autonomi-sation.

10. De ce point de vue, on distinguera l’idée de figure de pensée et le concept de paradigme (Kuhn, 1970) : alors que Kuhn semble estimer que deux paradigmes sont nécessairement incompatibles entre eux, nous considérons, pour notre part, que les trois figures identifiées peuvent a priori conjuguer leurs modes de pensée et leurs effets sur un même phénomène/objet (nous prendrons plus loin l’exemple de la dynamique d’un dispositif).

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la psychanalyse (Maurin, 2004). Un des problèmes, suscités par les textes ici étudiés, que devrait forger et résoudre cette théorie serait par exemple : quelles sont les marques – ou les modes de médiatisation (Charlier et al., 2006) – de l’écoute (au sens psychanalytique de Maurin) ?

De notre point de vue, une telle perspective théorique gagnerait également à questionner une dimension globalement très peu présente dans ces douze textes – et plus généralement, nous semble-t-il, dans la revue Distances et savoirs – : la dimension du corps (cf. Duplaà, 200411). Comment une pensée selon la relation de l’inter-action pédagogique à distance pourrait-elle en effet ne pas mettre au premier plan ce qui, entre moi et autrui, constitue – du moins chez des phénoménologues comme Merleau-Ponty (1964), Levinas (1974) ou Franck (1981) – la possibilité même de nos relations, à savoir nos corps ?

Cette approche théorique pourrait même être enrichie par un certain bricolage de la dimension de l’événement : en tant qu’il appelle une réponse – une relation entre les acteurs et l’événement comme réponse de ceux-là à celui-ci –, et non pas seulement un processus (un mouvement) post-événementiel de transformation, l’événement peut en effet tout à fait s’inscrire en cohérence, pour la dynamiser, avec la figure de la relation12. Dans cette perspective, n’est-il pas possible, notamment, de penser aussi le tutorat à distance comme une capacité à répondre aux événements – toujours difficiles à anticiper et à interpréter – que peuvent constituer, par exemple, la déprime soudaine d’un apprenant ou le fait qu’il ne donne plus de ses nouvelles ?

2. L’on voit que, dans cette perspective, la théorie de la relation pédagogique à distance, si elle peut s’alimenter à de nombreuses sources conceptuelles et disciplinaires (et il faudrait aussi probablement, comme nous l’avons suggéré, l’articuler à la théorie transactionnelle), demeure structurée en profondeur par une seule et même figure de pensée, en l’occurrence celle de la relation. De ce point de vue, nous proposerions volontiers de caractériser de trans-disciplinaire cette théorie, au sens du moins où chaque discipline qu’elle pourrait convoquer serait structurée ou traversée par cette figure (laquelle est en elle-même affranchie de toute discipline scientifique13)14.

11. Il faudrait examiner si, dans ce texte d’Emmanuel Duplaà (également publié dans Distances et savoirs), le corps (ou le corps imaginaire) est surtout étudié substantiellement ou bien plutôt selon la figure de la relation, ainsi que le suggère la référence de Duplaà à la théorie relationnelle de Sami-Ali.

12. Rappelée par Blandin, une définition de l’interaction proposée par Goffman paraît significative de ce point de vue : « Il s’agit de cette classe d’événements qui ont lieu lors d’une présence conjointe et en vertu de cette présence conjointe » (Blandin, 2004).

13. C’est précisément parce que nos trois figures excèdent en elles-mêmes toute appartenance disciplinaire qu’elles permettent peut-être de rebattre quelque peu le jeu des relations entre disciplines (et au sein même des disciplines). En particulier, elles nous conduisent à soutenir que les divergences les plus profondes entre les recherches ne tiennent peut-être pas à une hétérogénéité disciplinaire : des recherches relevant de disciplines différentes mais organisées

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3. Du point de vue du praticien-enseignant, les conséquences d’une telle théorie relationnelle pourraient être significatives. En effet, dans cette perspective, il ne s’agit plus essentiellement pour l’enseignant (ou le tuteur) de se détourner du savoir pour se centrer sur l’apprenant, comme s’il s’agissait simplement de préférer une substance (l’apprenant) à une autre (le savoir). Il s’agit bien plutôt, sans doute, de se positionner au niveau même de la relation – ou des relations – que l’apprenant (ou le collectif d’apprenants) peut entretenir avec le savoir et, dans cette perspective, de soi-même se penser depuis ses distances et relations avec l’apprenant (et avec le savoir). Ses distances en effet, dans la mesure où, comme l’écrit Maurin, l’enjeu n’est probablement pas de trouver la bonne distance avec l’apprenant mais plutôt d’assumer ce « lien paradoxal qui permet à la fois la proximité nécessaire pour vivre, agir, ressentir, penser et créer ensemble, mais aussi la distance qui admet l’autre comme non-moi et rend possible l’épanouissement de soi, différent des autres » (Maurin 2004, souligné par l’auteur). Comment pourrions-nous – nous enseignants – être conduits à développer cette posture relationnelle singulière, laquelle intègre également, de notre point de vue, la prise en compte, sans doute si rare dans l’enseignement traditionnel, des corps et des événements ?

Vers une théorie multifigure de la dynamique d’un dispositif

1. Deuxième type de perspective : il s’agirait cette fois-ci de conjuguer plusieurs figures de pensée à propos d’un même objet. La dynamique d’un dispositif de formation à distance nous semble particulièrement propice à une telle conjugaison.

N’est-elle pas en effet, tout particulièrement, déterminée à la fois :

– par les caractéristiques préalables (les substances) des acteurs/actants : les savoirs et leur médiatisation – point dont le texte de Jacques Wallet (2004) rappelle l’importance – ; l’autonomie, la motivation préalables des apprenants ou encore leur

« effectif » (Wallet, 2004) ; les compétences et le statut des enseignants/tuteurs ; les mondes (artisanat, industrie, etc.) (Blandin, 2002) engagés dans la formation ; la nature même du dispositif de formation (Charlier et al., 2006) ;

– par le type d’interaction – ou de distances – ou encore de coopération qui, pendant le processus de formation, peut s’établir, ou ne pas s’établir, entre les acteurs/actants ou entre le dispositif et les institutions partenaires qu’il peut engager ; selon une même figure de pensée seront probablement plus en affinité que des recherches inscrites dans une même discipline mais obéissant à des figures différentes.

14. Cette transdisciplinarité est donc à distinguer de celle que revendiquent, dans leurs textes, Guillemet et Fichez – et à travers eux le séminaire Industrialisation de la formation (créé en 1991 sous l’impulsion de Pierre Mœglin) – en faisant valoir le « paradigme » (Guillemet, 2004) transverse qu’est l’industrialisation de la formation. De notre point de vue, ce paradigme désigne d’abord, a priori, sinon un thème du moins un angle d’attaque – fécond – susceptible d’intéresser non seulement plusieurs regards disciplinaires mais également plusieurs figures de pensée.

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– par les événements (Peraya et Jaccaz, 2004) ou les agencements qui peuvent agiter le cours de ce processus ou encore par « l’histoire » (Charlier et al., 2006) ou le devenir plus global dans lequel il s’insère ?

2. Une telle recherche – conjuguant trois figures hétérogènes de pensée – est-elle possible ? S’agirait-il en fait moins d’une recherche que d’un programme de travail, unifié d’abord par son objet : la dynamique du dispositif de formation à distance ? De surcroît, ce programme doit-il mobiliser plusieurs disciplines ou une seule ? A vrai dire, nous ne savons guère, aujourd’hui, répondre à ces questions. Peut-être les sciences de l’information et de la communication – qui dessinent un champ non seulement pluriel mais aussi particulièrement susceptible d’opérer des croisements

« avec d’autres champs disciplinaires » (Fichez, 2006) – sont-elles particulièrement armées pour conjuguer ainsi ces trois figures de pensée.

3. En tous les cas, du point de vue du praticien responsable d’un dispositif, conjuguer ces trois figures peut s’avérer particulièrement problématique dans la mesure où elles renvoient probablement à trois postures d’action très différentes :

– une posture – de type : chef de projet – centrée sur les caractéristiques préalables (ou substances) des acteurs/actants mis en jeu dans le dispositif ; cette posture est sans doute celle qui prévaut explicitement ou implicitement dans les méthodes – du moins les méthodes traditionnelles – de gestion de projet (analyse des besoins, des acteurs, des compétences/savoirs à transmettre, etc.) ou d’ingénierie de formation (Ardouin, 2003) ;

– une posture centrée sur les relations entre acteurs/actants ou entre niveaux d’enjeux (techno-psycho-pédagogique, institutionnel, politique) ; de ce point de vue, le responsable du dispositif est sans doute d’abord un acteur intermédiaire ou un acteur d’interface (Brochier, 1992) connectant (ou déconnectant) des acteurs ou des niveaux d’enjeux ;

– une posture d’accompagnateur du mouvement (Jullien, 1996) centrée sur une écoute des devenirs ou des potentiels en cours, une réactivité aux événements et aux connexions des agencements, la respons-abilité du responsable du dispositif désignant ici, d’abord, une capacité de réponse (Lévinas, 1974).

Un même acteur – un même responsable de dispositif de formation à distance – peut-il donc jouer à la fois sur ces différentes postures ? Est-il possible, en particulier, d’être à la fois chef de projet et accompagnateur du mouvement15 – ces deux postures hétérogènes renvoyant peut-être aux deux traditions, occidentale et

15. Nous opposerions volontiers, pour notre part, les trois dimensions du mouvement (événement, agencement, devenir) aux trois dimensions suivantes du projet (dimensions qui semblent en général intégrées dans les méthodes de gestion de projet) : les risques (vs les événements) ; les coopérations (vs les agencements) ; le processus ou les étapes (vs les devenirs).

Pour le dire en une phrase : si le chef de projet analyse des risques, établit des coopérations et organise un processus, l’accompagnateur du mouvement, lui, répond aux événements, se connecte dans des agencements (ou des réseaux) et écoute les devenirs en cours.

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chinoise, du management (Jullien, 1996) ? Si ce n’est pas le cas, jusqu’à quel point est-il concrètement envisageable de miser, touchant la dynamique du dispositif, sur une responsabilité collective ?

Le problème du milieu

1. La troisième et dernière perspective que nous proposons est sans doute d’un autre ordre : elle concerne un thème particulier, celui du changement. Ce thème est porté – explicitement ou implicitement – par la plupart des textes ici considérés, lesquels l’abordent à des niveaux bien différents, selon qu’il s’agisse de la transformation de la relation pédagogique traditionnelle, de l’innovation susceptible d’être induite, dans un établissement, par le déploiement d’un dispositif (Charlier et al., 2006) ou encore du changement « de l’ensemble du système éducatif » sous l’impact du paradigme de l’industrialisation de la formation (Guillemet, 2004). Mais comment donc formuler cette question du changement, et, plus encore, comment envisager son traitement opérationnel, dans l’action ? Après avoir souligné combien les usages pédagogiques des TICE ne sont pas aujourd’hui à la hauteur des équipements disponibles ou des investissements matériels consentis, Alain Chaptal formule ainsi, dans son texte, le paradoxe ou le « dilemme » attaché à la

« généralisation du constructivisme » : « rien ne change vraiment si tout ne change pas » ; dès lors, par où exactement amorcer le changement ? (Chaptal, 2003)

2. Il n’est, de notre point de vue, pas possible de traiter cette question du changement sans se positionner résolument (ce qui ne veut pas dire exclusivement) du côté de la pensée (et de la pratique) selon le mouvement – pensée du mouvement, ou du devenir, à laquelle nous invite Chaptal quand il considère les promesses de la

« situation mouvante » qu’induit aujourd’hui le déploiement du numérique, ou encore quand il oppose les « temps longs » de l’éducation à « la rapidité de l’évolution technologique » (Chaptal, 2003). Le problème – aussi complexe soit-il – est bien alors de déployer cette figure du mouvement, non plus sur un objet ou niveau d’enjeu particulier, mais bien sur le système lui-même !

De ce point de vue, il importe, en premier lieu, de distinguer soigneusement ce déploiement de la figure du mouvement et la démarche systémique. On peut en effet probablement considérer que cette dernière – du moins quand elle se rapporte à la question du changement dans l’enseignement sous « l’impact » de l’usage des TICE – caractérise en général le mouvement à partir d’interactions incessantes, en particulier à partir d’interactions incessantes de niveaux différents (macro, méso, micro) d’enjeux (ces interactions étant parfois elles-mêmes pensées en fonction de la teneur ou de la substance de ces niveaux) (Jacquinot et Fichez, 2008 ; Jacquinot et Choplin, 2002 ; Paquelin, 2000) – elle obéit donc, en ce sens, à la figure de la relation, plutôt qu’à celle du mouvement.

Ce positionnement en terme de mouvement permet, en second lieu, de prendre un certain recul relativement au thème – militant – du changement ou de l’innovation

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pédagogique (en tant qu’elle engage une transformation, non seulement de certaines pratiques pédagogiques, mais aussi, plus radicalement, de l’institution elle-même).

Ce recul permet en effet, pensons-nous, d’analyser les dynamiques à l’œuvre dans un système éducatif sans préjuger de la nature, du sens ou de la direction – souhaitable ou non, innovante ou non, portée par les enseignants ou par les managers – de ces dynamiques. Quels événements transforment ce système ? Quels agencements et quels devenirs l’agitent ? Dans cette approche, c’est en effet seulement sur la base de cette analyse « mouvementée » du système qu’il sera – ensuite – possible de formuler la question de l’action dans et sur ce mouvement et, le cas échéant, de l’innovation (ou de l’action innovante). Justement : quelles relations les praticiens peuvent-ils entretenir avec les événements – et les processus qui en découlent –, les agencements et les devenirs ? Comment donc agir dans et sur un fleuve agité ? Ces questions paraissent d’autant plus aiguës que semble aujourd’hui s’attester, du moins dans l’enseignement supérieur français, un réel décalage entre le mouvement qui paraît transformer en profondeur celui-ci (que l’on songe seulement à l’événement que constitue probablement la loi sur l’autonomie des universités) et l’absence, assez généralisé semble-t-il en son sein, d’innovation pédagogique (du moins d’innovation attachée au déploiement des TICE ou de l’enseignement à distance)16. Est-il donc impossible d’agir dans et sur le mouvement de telle façon qu’il puisse aussi induire de l’innovation pédagogique (au sens suggéré) ?

3. La difficulté tient peut-être ici à ce qu’il s’agit de faire valoir une causalité pour le moins singulière sur le mouvement, causalité susceptible non pas de le piloter mais bien plutôt de l’accompagner (Jullien, 1996) ? Cette causalité singulière, d’une certaine manière indirecte, est suggérée par les théoriciens du mouvement de l’innovation pédagogique qui soulignent en effet les deux écueils attachés à l’action dans ce domaine : considérer que l’on peut piloter directement l’innovation – comme on pilote un projet – ou à l’inverse estimer qu’il n’y a rien à faire, l’innovation étant complètement spontanée (ou n’étant pas) (Paquelin, 2000). Reste alors à déterminer ce qui peut assumer cette causalité17. Notre hypothèse est la suivante : seul un milieu spécifique peut ainsi accompagner le mouvement. Un élément d’ordre théorique soutient cette hypothèse : la plupart des philosophies françaises contemporaines du mouvement semblent également faire valoir un milieu (Deleuze et Guattari, 1991), un

16. Ce constat s’appuie sur les travaux de l’Equipe de Recherche Technologique en Education : « Campus numérique et innovation pédagogique » (2005-2009), labellisée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et pilotée par l’Université de Bordeaux-3, l’Université de Technologie de Compiègne et l’Université de Provence. Cette ERTé soutient en particulier que cette absence d’innovation pédagogique fait système avec une absence de reconfiguration des espaces-temps de formation (et notamment de la logique traditionnelle : cours, TD, TP).

17. Nous touchons ici peut-être à la question théorique la plus délicate de ce texte : dans la mesure où il s’agit de penser une relation (indirecte) à cela même qui – aussi paradoxal que cela puisse paraître – ne saurait être localisé/situé dans une relation (le mouvement), l’enjeu est bien en effet nécessairement, nous semble-t-il, de nous affranchir de nos trois figures à la fois !

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milieu associé (Simondon, 1989) ou encore un fonds (Jullien, 1996) comme condition – au sens presque atmosphérique du terme – du mouvement (Jullien explicitant cette condition en prenant l’exemple du vide d’un vase, vide qui rend possible l’exercice même de la fonction de vase). De surcroît, c’est vers cette causalité singulière d’un milieu, susceptible d’accompagner – plutôt que de produire ou de piloter – le mouvement, que nous semblent faire signe plusieurs dimensions indiquées dans nos textes, qu’elles engagent plutôt l’intérieur d’un dispositif – communauté d’apprentissage (Jézégou, 2008) ou collectif d’enseignants (Chaptal, 2003), climat relationnel (Maurin, 2004) ou espace contenant transitionnel (Paquelin, 2004) – ou plutôt l’extérieur de l’établissement : pression du monde industriel (Guillemet, 2004), des médias ou de l’international (Thibault, 2007). On se gardera toutefois de considérer qu’un tel milieu – ou un tel climat – se constitue seulement comme une somme de facteurs – une somme de substances –, intérieurs ou extérieurs au dispositif ou à l’établissement. Communauté, collectifs, climat, espace contenant, pressions : de notre point de vue, si ces dimensions peuvent accompagner le mouvement – pour, éventuellement, en faire un mouvement innovant –, c’est moins parce qu’elles conjuguent leurs effets que parce qu’elles sont, d’abord, pareillement « imbibées » de ce milieu – susceptible, donc, de favoriser l’innovation. N’est-il pas significatif que l’idée même de milieu puisse indiquer à la fois ce qui est au cœur du dispositif (premier sens de milieu) et ce qui baigne l’institution (second sens de milieu) ? Dès lors, n’est-il pas possible, sur cette base – il est vrai pour le moins complexe ou délicate –, de considérer que le management de nos institutions d’enseignement, à l’articulation des dispositifs et des pressions extérieures, se doit d’abord d’être un management du milieu ?

Des perspectives pour Distances et savoirs ?

Théorie relationnelle de la relation pédagogique à distance ; théorie multi-figure de la dynamique d’un dispositif ; problème du milieu comme accompagnateur du mouvement : voilà donc trois perspectives de recherche que conduit à ouvrir la confrontation de nos trois figures et des douze textes ici considérés. Cette confrontation pourrait du reste probablement inviter à la formulation d’autres perspectives. Toujours est-il que, dans la mesure où elles engagent la question de l’innovation pédagogique, qu’elles sont potentiellement porteuses (du moins au niveau du problème du milieu) des différents enjeux des mutations en cours et qu’elles semblent, enfin, susceptibles d’une part de stimuler la recherche au-delà du primat d’un certain type de figure de pensée, et d’autre part de s’adresser aux praticiens (enseignants, responsables de dispositifs ou managers), ces trois perspectives nous paraissent s’inscrire en cohérence avec les ambitions initiales et les publications, depuis 2003, de Distances et savoirs – et peut-être, aussi, avec l’élan qui aujourd’hui agite la revue.

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Remerciements

Ce texte doit beaucoup à A. Galisson (Télécom ParisTech), D. Paquelin (Université de Bordeaux-3), E. Soulier (Université de Technologie de Troyes), G. Jacquinot (Université Paris 8) et F. Huet (Université de Technologie de Compiègne). Merci également à E. Fichez (Université Lille-3) et à I. Cailleau (Université de Technologie de Compiègne) pour leur relecture critique.

Bibliographie

Les douze articles considérés

Blandin B., « La relation pédagogique à distance : que nous apprend Goffman ? », Distances et savoirs, vol. 2, n° 2-3, 2004.

Chaptal A., « Réflexions sur les technologies éducatives et les évolutions des usages : le dilemme constructiviste », Distances et savoirs, vol. 1, n° 1, 2003.

Charlier B., Deschryver N., Peraya D., « Apprendre en présence et à distance. Une définition des dispositifs hybrides », Distances et savoirs, vol. 4, n° 4, 2006.

Choplin H., Audran J., Cerisier J.-F., Lemarchand S., Paquelin D., Simonian S., Viens J., Peraya D., Soulier E., Jacquinot G., « Quelle recherche sur et pour l’innovation pédagogique ? », Distances et savoirs, vol. 5, n° 4, 2007.

Fichez E., « Recherche sur l’innovation en éducation. Les repères des sciences de l’information et de la communication », Distances et savoirs, vol. 4, n° 4, 2006.

Guillemet P., « L’industrialisation de la formation : la fin d’un paradigme ? », Distances et savoirs, vol. 2, n° 1, 2004.

Jézégou A., « La distance en formation. Premier jalon pour une opérationnalisation de la théorie de la distance transactionnelle », Distances et savoirs, vol. 5, n° 3, 2007.

Jézégou A., « Apprentissage autodirigé et formation à distance », Distances et savoirs, vol. 6, n° 3, 2008.

Maurin J.-C., « Les enjeux psychologiques de la mise à distance en formation », Distances et savoirs, vol. 2, n° 2-3, 2004.

Paquelin D., « Le tutorat : accompagnement de l’actualisation du dispositif », Distances et savoirs, vol. 2, n° 2-3, 2004.

Thibault F., « Divorcer du technicisme. Une histoire de l’enseignement supérieur à distance en France », Distances et savoirs, vol. 5, n° 3, 2007.

Wallet J., « Entre pratiques réflexives et approches théoriques en formation à distance : questions croisées », Distances et savoirs, vol. 2, n° 1, 2004.

Autres textes cités

Ardouin T., Ingénierie de formation pour l’entreprise, Paris, Dunod, 2003.

Bergson H., L’évolution créatrice, Paris, PUF, 1907.

(18)

Blandin B., « Les mondes sociaux de la formation », Education Permanente, « Les TIC au service des nouveaux dispositifs de formation », n° 152, 2002.

Bonami M., Garant M. (dir.), Systèmes scolaires et pilotage de l’innovation. Emergence et implantation du changement, Paris, Bruxelles, De Boeck, 1996.

Brochier D., « Entre formation et production : le rôle-clé des acteurs d’interface », Education Permanente, n° 112, 1992.

Cros F. (dir.), Dynamiques du changement en éducation et en formation, Versailles, INRP/IUFM, 1998.

Deleuze G., Parnet C., Dialogues, Paris, Flammarion, 1977.

Deleuze G., Guattari F., Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991.

Duplaà E., « Imaginaire, corps et instruments dans la relation pédagogique à distance. Etude de cas dans un contexte de formation de formateurs à l’accompagnement à distance », Distances et savoirs, vol. 2, n° 2-3, 2004.

Franck D., Chair et corps. Sur la phénoménologie de Husserl, Paris, Minuit, 1981.

Glikman V., « Apprenants et tuteurs : une approche européenne des médiations humaines », Education Permanente, « Les TIC au service des nouveaux dispositifs de formation », n° 152, 2002.

Jacquinot G., Choplin H., « La démarche dispositive aux risques de l’innovation », Education Permanente, « Les TIC au service des nouveaux dispositifs de formation », n° 152, 2002.

Jacquinot G., Fichez E. (dir.), L’université et les TIC. Chronique d’une innovation annoncée, Bruxelles, De Boeck, Perspectives en éducation & formation, 2008.

Jacquinot G., Monnoyer L. (dir.), « Le dispositif, entre usage et concept. Actes du Colloque de Louvain-la-Neuve (1998) », Hermès, n° 25, 1999.

Jullien F., Traité de l’efficacité (1996), Paris, Le Livre de Poche, 2004.

Kuhn T.-S., La structure des révolutions scientifiques (1970), Paris, Flammarion, 1983.

Levinas E., « Autrement qu’être ou au-delà de l’essence » (1974),Paris, Le Livre de Poche, 1990.

Linard M., « Conception de dispositifs et changement de paradigme en formation », Education Permanente, « Les TIC au service des nouveaux dispositifs de formation », n° 152, 2002.

Merleau Ponty M., « Le visible et l’invisible » (1964), Paris, Gallimard, 2004.

Paquelin D. (dir.), Analyse systémique des usages des technologies de l’information et de la communication pour l’apprentissage, CNCRE, rapport final, 2000.

Peraya D., « Vers les campus virtuels. Principes et fondements techno-sémio-pragmatiques des dispositifs de formation virtuels », Hermès, n° 25, 1999.

Peraya D., Jaccaz B., « Analyser, Soutenir et Piloter l’Innovation : un modèle « ASPI » », TICE 2004, Actes du colloque, 20-22/10/2004, UTC Compiègne.

Simondon G., L’individuation psychique et collective, Paris : Aubier, 1989.

Vidal M., Grandbastien M., Moeglin P., « Présentation de la revue », Distances et savoirs, vol. 1, n° 1, 2003.

Références

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