R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
G. K REWERAS
La mise en équations du problème des stocks
Revue de statistique appliquée, tome 3, n
o1 (1955), p. 83-89
<
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83
LA MISE EN ÉQUATIONS
DU PROBLÈME DES STOCKS(1)
par
G. KREWERAS Ingénieur
à laSociété Qualitex
Une industrie
trans f ormatrice
consomme des matièrespremières qu’elle peut,
soit acheter au
f ur
et à mesure de ses besoins, soit stocker dans certaines limites pour éviter de subir des cours momentanémenttrop
élevés.Le but du
présent exposé
est de montrer que lesproblèmes
de décision d’achaten
f onction
du cours de la matièrepremière
et de l’état du stockpeuvent
être traités par le calcul, etqu’il peut
en résulter desrègles
d’actionqui suppriment
les hésitations et réalisent l’économie maximum. La théorieexposée ci-après part d’hypothèses
trèssimplifiées,
pour la clarté del’exposé
ellepeut
néanmoins être étendue pourapplication
à des casplus
concrets.1 - HYPOTHÈSES GÉNÉRALES
Nous raisonnerons sur une industrie
qui
consomme unequantité
constantea de matière
première
parjour,
et dont le stock s de matièrepremière peut
varier entre 0 et un maximum(déterminé
parexemple
par la contenance des bâtimentsdestinés
austockage).
Nous admettons en outre :1°) qu’il
existe un coûtquotidien
dustockage, qui
est une fonctionh(s)
dustock s ; ce coût
comprend
unepartie indépendante de s ,
parexemple
salairedes
magasiniers, charges
socialescorrespondantes,
amortissement des bâti- ments destockage,
et unepartie
croissante en fonctiondes,
parexemple l’intérêt
descapitaux
immobilisés et lesprimes
d’assuranceincendie ;
2°)
que le cours c de lamatière première
est une variable aléatoire indé-pendante ayant
pour densité deprobabilité p(c),
c’est-à-dire que laprobabilité
pour que le cours du
jour
soitcompris
entre c et c + de estp(c)dc. Remarquons
que cette
hypothèse
n’estqu’une approximation
de laréalité, puisqu’elle
ne tientpas
compte
de l’influence quepeut
avoir sur le cours dujour
celui de laveille, c’est-à-dire
de la "tendance" dumarché ;
néanmoins enpériode
de fluctuations relativementfaibles,
cetteapproximation
dont les calculsplus complexes permettraient
d’ailleurs des’affranchir, peut
êtreconsidérée
commesuffisante.
Nous
appellerons
"fonction d’achat" touterègle permettant,
dès que le stock s et le cours c sont connus, de déterminer laquantité
de matièrepremière
et une
dépense quotidienne
moyenne destockage.
La fonction d’achatoptimum
sera celle pour
laquelle
la somme de ces deuxdépenses
moyennes sera laplus petite possible.
(1) Exposé
fait au cours de la séance du 24 novembre 1954, du Séminaire de Rechercheopérationnelle
de l’Institut de Statistique de l’Université de Paris.2 - MISE EN ÉQUATION
Une fonction d’achat
f(s ,c) étant choisie,
il en résulte une loi d’évolution du stock. Cette loi nepermet
pas, bienentendu,
deprévoir
l’état du stock à unedate future
déterminée ;
mais ellepermet
engénéral
d’affirmer que sur unepériode
assezlongue (un
an pour fixer lesidées),
lafréquence
aveclaquelle
lestock sera
compris
entre s ets+ds
seraw(s)ds , 03C9(5)
étant une fonction dite"densité de
probabilité ergodique
dustock",
calculablequand p(c)
etf (s,c)
sontconnus.
Parmi les
jours
où le stock seracompris
entre set s+ds,
certains corres-pondront
à un courscompris
entre c et c+dc ;
lafréquence
totale de ces dernierssera :
Ces
jours-là
laquantité
achetée seraf (s,c)
et ladépense correspondante
sera c.
f(s,c).
Ladépense quotidienne
moyenne de matièrepremière
sera donc :l’intégrale
double étant étendue à l’ensemble des valeurspossibles
du stock etau cours.
La
dépense quotidienne
moyenne destockage
seraexprimée
parl’intégrale simple :
étendue à l’ensemble des valeurs
possibles
du stock.La mise en oeuvre
mathématique
consistera donc essentiellement :a)
àexprimer
laprobabilité ergodique W (5) à partir
d’un choix arbitraire de la fonction d’achatf(s,c).
b)
à choisirf(s,c)
de manière que ladépense quotidienne
moyenne totaleD1+ D2 s oit
minimum.3 - DÉTERMINATION DE LA PROBABILITÉ ERGODIQUE
L’achat de la
quantité f (s,c)
de matièrepremière
fait passer le stock de la valeur s à la valeur :a étant, rappelons-le,
la consommationjournalière
certaine de la matièrepremière
considérée.f (s,c)-est
naturellement une fonctiondécroissante
de c ,puisque
dans unétat donné du stock on achètera d’autant moins que le cours sera
plus élevé : s’ est
doncégalement
fonction décroissante de c . Dans le même état actuel s dustock,
cpeut s’exprimer
à l’aide de s’, et nousécrirons :
formule
équivalente
à(1).
Il est alorspossible
de trouver laprobabilité P (s,s’)
pour que, le stock
d’aujourd’hui
s étant connu, le stock de demain soit inférieurou
égal
à s’ ;c’est la probabilité
pour que le cours soitsupérieur à~(s ,s’),
soit :De
la connaissance
de la fonctionP (s, s’)
résulte la densité deprobabilité
depas sage
as (s , s’)
; laprobabilité
pour que le lendemain du stock s on ait unstock
compris
entre s’ ets’ + ds’
est :c étant
remplacé
par lavaleur ~ (s , S’)
tirée de(2)
S’il existe une densité de
probabilité ergodique w (s) ,
celle-ci satisfait àl’équation
fonctionnelleCette
équation fonctionnelle, jointe
à lacondition :
(qui exprime
que W(s)
est bien une densité deprobabilité) permet
engénéral
dedéterminer
W (5) quand p(c)
est connu etquant f (s,c)
est choisi.4 - CHOIX DE LA RÈGLE D’ACHAT OPTIMUM
03C9
(s) étant.calculé,
lesexpressions
de0,
etOz
données de§
2permettent
de calculer ladépense quotidienne
totale pour toute fonction d’achat f(s,c) arbi-
trairement choisie. Il reste alors à
choisir, parmi
toutes les fonctions d’achatpossibles,
cellequi
donne à la sommed’intégrales D1
+D2
la valeur minimum.Le
problème
est doncpurement mathématique.
A défaut d’uneméthode
de résolutiongénérale, qui
neparaît
pas facile àconstruire,
il esttoujours possible
de l’aborder par des méthodes
d’approximation.
5 - ANALYSE COMPLÈTE D’UN CAS FICTIF
A seule fin d’illustrer la méthode
générale exposée
ci-dessus et de montrersur un
exemple simple
comment ellepeut
êtrepoussée jusqu’à l’application numérique,
nous allons traiter un caspurement fictif,
ou les variablesenvisagées plus
haut varient d’une manière discontinue au lieu de continue(ceci
pour que lesintégrales
soientremplacées
par dessommes).
5. 1 - Hypothèses
Nous supposerons que la matière
première
seprésente
sous forme d’unitésindivisibles,
et que l’usine traite une unité parjour.
Nous supposerons que le stock d’avance nepeut
se composer que dezéro,
une ou deux unités. Nous admettrons en outre que le cours del’unité,
sur le marché de la matièrepremière
ne
peut
avoir que l’une pu l’autre de deux valeurs c et d(d>c),
lapremière
avec laprobabilité
p , la seconde avec laprobabilité
q = 1 - p.Enfin,
en cequi
concerneles frais de
stockage quotidiens,
nous les supposeronségaux à ho quand
le stockdu
jour
est0, à h1 quand
le stock dujour
est d’uneunité,
àh2 quand
il est dedeux
unités.
Dans ces conditions une "fonction dachat"
apparaîtra
sous forme d’un tableaudonnant,
pour les 3 volumes du stock et les 2 valeurs du cours, le nombre d’unités à acheter.Exemple :
5.
2 - Nombre de tableaux possibles
Dans la
première
colonne de ce tableau(stock 0)
nepeuvent figurer
que les chiffres1, 2,
ou3 , puisqu’il
faut acheter au moins l’unité à traiterimmédiatement;
dans la
deuxième
colonne(stock 1)
nepeuvent figurer
que les chiffres0,
1 ou 2 ; enfin dans la troisième(stock 2)
nepeuvent figurer
que des chiffres 0 ou 1puisque
le stock ne doit pas
dépasser
deuxunités.
Le nombre de tels tableaux
possibles
àpriori
est de 324 : eneffet,
il y a 3 chiffrespossibles
pour chacune desquatre premières
cases(stocks
0 ou1)
et 2chiffres
possibles
pour chacune des deux dernières cases :En fait le nombre de tableaux
"plausibles"
estbeaucoup
moinsélevé :
eneffet
puisque d > c
il n’est certainement pasraisonnable,
pour un stockdonné,
d’acheterplus quand
le cours est d quequand
le cours est c : deplus,
pour uncours
donné,
il n’est certainement pas raisonnable d’acheterdavantage quand
lestock est
supérieur.
Tout tableauplausible
devra donccomporter
des chiffresnon croissants dans
chaque ligne
et danschaque colonne ;
c’est le cas pour celui donnéplus
haut à titred’exemple.
Cette considération réduit le nombre de tableauxplausibles
de 324 à 70.Une autre considération
permet
de réduire encore ce nombre. Eneffet, lorsque
le cours a la valeur laplus élevée, d ,
il est certainementpréférable
d’attendre
plutôt
qued’acheter,
à moinsd’y
êtreobligé
parce que le stockest à 0;
encore est-il
préférable
d’acheter dans ce casjuste
l’unité nécessaire. Toute autreconsigne
d’achatquand
le cours est daugmenterait
à la fois lesdépenses quotidiennes
moyennes d’achat et destockage
;un instant de réflexion suffit à s’en convaincre. Dans ces conditions la 2eligne
du meilleur tableau d’achat seraobligatoirement
1. 0.0,
cequi
réduit le nombre derègles plausibles
aux 13suivantes
(que
nous donnons sans laligne
et la colonne d’entête) :
321 320 311 310 300 221 220 211 210 200 111 110 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 Le tableau
encadré
est celui5. 1
5. 3 - Probabilités ergodiques de stock
Du tableau
(5.1), qui représente
lafonctionf (s,c)
de lathéorie générale,
peuvent
sedéduire
lesprobabilités
de passageK(s,s’)d’un
stockquelconque
sd’aujourd’hui
à un stockquelconque
s’ de demain. On voit que :si s =
0,
on achète 2 unités avec laprobabilité
p, 1unité
avec laprobabilité
q donc s’ = 1 avec laprobabilité
p s’ = 0 avec laprobabilité
q si s =1,
on achète 2 unités avec laprobabilité
p 0 unité avec laprobabilité
q donc s’ = 2 avec laprobabilité
p s’ = 0 avec laprobabilité
q si s =2,
on àchète 1 unité avec laprobabilité
p 0unité
avec laprobabilité
q donc s’ = 2 avec laprobabilité
p s’ = 1 avec laprobabilité
q On a donc :K(0, 0)
= qK(O, 1)
= pK(O, 2)
= 0K(1,0)
= qK(l, 1)
= 0K(1,2)
= pK(2,0)
= 0K(2, 1)
= qK(2,2)
= pPour déterminer la fonction
03C9(s),
c’est-à-dire lesprobabilités ergodiques ùj (0) , U5 (1) et 03C9(2),
onécrira les équations qui correspondent
àcelles données
au §
3(en remplaçant
lesparenthèses
par des indices pouralléger l’écriture) :
système linéaire
dont la solution est, avec les valeurs des Ktrouvées :
5. 4 - Dépenses quotidiennes moyennes
En se
reportant
au tableau(5.1), onvoitqueles jours
ouïe stock estnul,
ladépense
moyenne d’achatp. 2c + q. 1d = 2pc + qd.
Les
jours
où le stock est1,
ladépense
moyenne d’achat sera : p .2c + q. Od = 2pc
88
Les
jours
ou le stock est2,
ladépense
moyenne d’achat parjour
sera :Donc sur une
longue période (un an),
ladépense
moyenne d’achat sera :d’où en
remplaçant
les wparleurs valeurs, compte
tenu de p + q =1,
En ce
qui
concerne lestockage,
ladépense
moyenne parjour,
sur uneannée,
sera :
La
dépense quotidienne
moyenne, achat etstockage, correspondant
à larègle
d’achat définie par le tableau(5.1),
est donc :5. 5 - Règle d’achat optimum
Un calcul
analogue
à celuides § § 5.3
et5.4 peut
êtrerefait
pour les 13règles
d’achatplausibles.
Bien que le calcul soit trèsrapide,
nous ne le repro- duisons pas pour éviterd’allonger
leprésent résumé.
Unecomparaison
trèsfacile des 13 valeurs de
D1
+D2
obtenuespermet
de constater que 3règles
d’achat seulement
peuvent
être retenues : 5. 5.1. -Règle
A. -La
règle
A consiste à laisser le stock descendre à 0 s’iln’y
est pasinitialement,
et à le maintenirindéfiniment
à 0 en achetant tous lesjours l’unité consommée, quel
que soit le cours.5.5.2. - Règle
B. -89
La
règle
B consiste à nepermettre
au stock que les volumes 0 ou 1unité,
sans
jamais
le laisser remonter à 2unités,
enportant
ou en maintenant le stock à 1quand
le cours est d et à 0quand
le cours est c.5.5.3.- Règle
C.-La
règle
C consiste àporter
ou à maintenir le stock à 2 unitéchaque
foisque le cours est c , et au contraire à s’abstenir d’acheter
quand
le cours est d(sauf
si le stock estnul, auquel
cas on achètera strictement l’unité à consommerimmédiatement).
Suivant les
inégalités qui peuvent
exister entre les données duproblème (c, d,
p,ho, h1 ’ h2),
ce sera l’une des troisrègles A, B,
ou Cqui
donnera àD
1 +D2
laplus petite valeur,
c’est-à-direqui
sera àadopter
effectivementcomme
règle
d’achat. Le résultatqui
s’obtientimmédiatement
est le suivant :Ce résultat
peut s’interpréter grossièrement
comme suit : d - creprésente
la variabilité du cours, et les différences
h, - ho
eth2 - h, représentent
lesaccroissements des frais de
stockage.
Si ces derniers sontprépondérants,
ilfaut
adopter
larègle A, qui
faitprendre
les décisions d’achatuniquement
enfonction du
stock ;
si au contraire lavariabilité
du cours estprépondérante,
ilfaut
adopter
larègle C,
c’est-à-direprofiter
au maximum des variations de cours ; larègle B, enfin, représente
lecompromis optimum
dans les cas inter-médiaires.
N. B. - il
apparait
que larègle
choisie à titred’exemple au § 5.1.
n’est en aucuncas la
meilleure,
bien que cetterègle
soit loin deparaître
nécessairement dérai- sonnable àpriori.
Le cas traitéci-dessus,
si fictifsoit-il,
donne unexemple
dela manière dont le calcul