• Aucun résultat trouvé

Des jeunes mais aussi beaucoup d'absences, CIAM X Dubrovnik 1956

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Des jeunes mais aussi beaucoup d'absences, CIAM X Dubrovnik 1956"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-01438177

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01438177

Submitted on 17 Jan 2017

HAL

is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire

HAL, est

destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Des jeunes mais aussi beaucoup d’absences, CIAM X Dubrovnik 1956

Daniel Pinson

To cite this version:

Daniel Pinson. Des jeunes mais aussi beaucoup d’absences, CIAM X Dubrovnik 1956. Living CIAM

X, Ivan RUPNIK, Renata MARGARETIC, Oct 2016, Dubrovnik, Croatie. �halshs-01438177�

(2)

1 DES JEUNES MAIS AUSSI BEAUCOUP D’ABSENCES

Daniel Pinson Aix-Marseille Université

Communication au Symposium Living CIAM X (26-29.10.2016) Dubrovnik (http://www.ciamxdubrovnik.com/living-ciam-x/)

Voici comment Candilis raconte, vers 2010, la fin des CIAM (Bâtir la vie, p. 221-222):

« Au congrès d'Aix-en-Provence, en 1952 …, la « vieille garde » commença à mettre en formules les propositions retenues, à confectionner des recettes, à rédiger le « manuel du parfait architecte ».

Les «jeunes loups», dont je faisais partie, s'insurgèrent…

En 1956, très sûrs de nous, très fiers, nous nous sommes rendus au congrès de Dubrovnik, en Yougoslavie, où siégeaient trois cents architectes venus du monde entier.

Avec conviction, chacun de nous a expliqué ce qu'il fallait faire, comment on devait le faire, sans complaisance, en empruntant les chemins les plus difficiles.

Notre proposition était un esprit, un canevas à partir duquel on pouvait produire des tapisseries multiples et variées. Mais pas une recette comme à Athènes.

Nous étions certains d’être compris.

Notre cri d'alarme n'a pas été entendu. On nous a rejetés.

Ces hommes pour lesquels nous avions grande estime, ces professeurs, ces maîtres de l'«establishment" architectural, qui s’étaient eux-mêmes révoltés quelques années plus tôt contre la bêtise et l'obscurantisme, nous ont traités d'exaltés, de rêveurs, d'anarchistes.

Alors, notre colère a explosé, et nous avons claqué la porte.

Le Corbusier n'avait pas pu venir à Dubrovnik. Quand il apprit la nouvelle, il se rangea à nos vues et nous écrivit: « Bravo! Vous avez raison. Il faut tourner la page!»

Deux ans plus tard, à Otterlo, en Hollande, une tentative de réconciliation entre les

«vieux » et les «jeunes» se solda par un échec.

Et ce fut I'enterrement définitif des C.I.A.M. »

RETOURSURLECIAM9

Faisons un bref retour sur le CIAM 9…

Le CIAM 9 avait avant tout consacré le triomphe de Le Corbusier. Certains participants (G.

Thurnauer, Blain 2006) ont bien plus retenu la fête sur la terrasse de la Cité Radieuse de Marseille que le colloque, organisé à Aix-en-Provence (à une trentaine de kms de Marseille ; c’est Giedion qui avait tenu à cette légère mise à distance, pour éviter que les CIAM ne soient trop confondus avec Le Corbusier). Le colloque avait attiré un nombre très important de participants (autour de 300 ; 500 dit la rumeur)

Son objectif déclaré était la formulation d’une Charte de l’Habitat, de façon à compléter la charte de la ville qu’était la charte d’Athènes de 1933 (transcrite en 1942 par Le Corbusier).

A la veille du Xe congrès, en 1955, on convient que le CIAM 9 a été un échec : aucune charte n’a été rédigée, mais il en ressort une grande confusion, qui, à l’analyse, fait apparaître deux orientations, l’une plus anthropologique, l’autre plus technique.

On a pu donner à cette bipolarité plusieurs caractérisations:

- une opposition Jeunes – Vieux (comme le pensaient Candilis et Le Corbusier)

(3)

2 - une opposition Nord - Sud

- une opposition Nouveau Monde – Vieux Continent - une opposition Occident – Tiers Monde

- une opposition Universalisme – Différentialisme - une opposition Utopie - Pragmatisme

- une opposition Anthropologie – Technologie

C’est sans doute un peu de tout cela à la fois, mais je retiendrais pour ma part, dans le contexte de réveil, de ce qu’on allait bientôt appeler le Tiers-monde, l’effondrement de l’utopie technologique et l’intuition du caractère déterminant de la dimension anthropologique.

Il y a toutefois lieu préalablement de chercher à élucider deux points, qui ne sont pas sans interagir réciproquement : le report dans le temps et le déplacement dans l’espace du CIAM 10 (1956 au lieu de 1955 ; Dubrovnik au lieu d’Alger), d’une part, et la grande confusion sur le thème et le titre du Congrès, liée notamment à des interprétations différentes du concept d’ « habitat », d’autre part.

Abordons en premier lieu le report et le déplacement du CIAM 10.

REPORT ET DEPORT DU CIAM X

Le report est d’abord un report dans le temps.

Après Aix, Alger avait été retenu pour ce 10

e

Congrès. Membre du conseil depuis 1930, Pierre-André Emery, d’Alger (1903-1982), ami proche de Le Corbusier, qu’il a connu lors de sa première visite en Algérie (années 1930) anime un groupe CIAM entièrement acquis aux idées du maître (Klein, 2006). Il se trouve donc chargé de l’organisation concrète du CIAM 10.

Mais sa tâche est difficile, à la fois parce que la préparation « spirituelle » (terme d’Emery) du congrès a été confiée aux « jeunes » qui s’étaient déjà illustrés à Aix, et parce que les

« événements » d’Algérie s’accélèrent (on considère que la guerre commence début novembre 1954).

Emery, malgré son insistance auprès de Sert, le Président en exercice (plusieurs lettres en attestent), ne parviendra pas à réunir le CIAM 10 à l’automne 1955, comme le souhaitait Le Corbusier lui-même.

En cause, donc, l’impréparation du Congrès, selon l’instance dirigeante (ces « Professeurs » dont parlait Candilis : ie. Giedion, Sert et Tyrwhitt ). Car les premières propositions des jeunes, réunis à Doorn en janvier 1954, sont en effet considérées comme insuffisantes et une divergence importante semble apparaître autour de la notion d’habitat. (J’y reviendrai plus loin…)

Mais ce retard dans la préparation se conjugue également avec l’aggravation de la situation

en Algérie, doublement incertaine : la lutte de libération s’engage avec la « Toussaint

rouge », début novembre 1954 et les premières attaques du FLN contre différents objectifs

militaires ; il s’ensuit une série de crises politiques en France (chute du Gouvernement

Mendès-France, promulgation de l’état d’urgence et renforcement du contingent militaire

(4)

! ! \"

$7" 8+70*" I'" (Z$%%4'" !?]]BL '3" ;$0" $&(('70*" ('" J0+7;'" IZ,(J'0" (7&.6U6'" %Z'*3" ;$*" I$%*" 7%'

*&37$3&+%";0+M'**&+%%'(('"I'*";(7*"M$2+0$C('*@""

Q'"J0+7;'"IZ,(J'0"<k6'0:L"/&W7'(L"T+70(&'0L"O'00'0.Q$(+oL"I'"/$&*+%*'7(L"R73L"9&6+7%'3PB"'%"

'MM'3"*+7MM0'"IZ7%"8'03$&%"&*+('6'%3"F"($"8+%M&$%8'"I7"6$&0'"IZ,(J'0L"e$8W7'*"5E'2$((&'0L"2$L"

*'(+%" k6'0:L" X" I'*" i"$MM$&0&*3'*"j" <2&*'.3.&(" )+7&((+%"pBL" IZ7%'" ;$03L" '3" ('" J0+7;'" %Z$" ;$*" ('*"

M$2'70*"I'")&'00'"#$((+qL"('"8E'M"I7"C70'$7"IZ70C$%&*6'L"6U6'"*&"R40$(I"_$%%&%JL"7%"^'7%'"

W7&"$"30$2$&((4"8E'q"Q'"5+0C7*&'0L":"'*3"'%"M+%83&+%@"k6'0:"*'";($&%3"$7**&"I7"I+7C('"^'7"I'"

T+I&$%*D:L" ('$I'0" I'" (Z,ST$3L" 3$%3" $7" ;($%" (+8$(" W7Z$7" ;($%" I'*" &%*3$%8'*" &%3'0%$3&+%$('*"F"

dg1L"1%'*8+L"1N,P"

S+73"8'($"%'"M$8&(&3'";$*"($"C+%%'";04;$0$3&+%"X"($W7'(('"3&'%%'%3"('*"&%*3$%8'*"I&0&J'$%3'*"

I'*"5N,/"<&(":"$L"X"8'"*7^'3L"7%'"$C+%I$%3'"8+00'*;+%I$%8'"IZk6'0:"$2'8"9'03L"R&'I&+%"'3"Q'"

5+0C7*&'0B@"

"

Q'" 5+0C7*&'0" (7&.6U6'" '*3" $**'q" $J$84" ;$0" ('*" W7'0'(('*" &%3'0%'*" $7-" J0+7;'*" M0$%`$&*" F" &("

%ZE4*&3'";$*"X"I4%+%8'0"('*"$6C&3&+%*"I'"8'03$&%*"'3"('"I+7C('"^'7"IZ$730'*"W7&"*'"048($6'%3"

I'*"5N,/";+70"6&'7-"$2$%8'0"('70*";&+%*"I$%*"IZ$730'*"&%*3$%8'*"<dg1L"1%'*8+L"2+&0'"1N,B"

+r"&("%Z$";$*"W7'"I'*"$6&*B@"T+I&$%*D:"'3"Q+I*"*+%3"$&%*&"2&*4*";$0"Q'"5+0C7*&'0L"W7&"M&%&0$";$0"

('*"8($**'0"<6+72'6'%3"I'"8+([0'"pB";$06&"i"8'7-""W7&"%Z+%3"^$6$&*"0&'%"M$&3"<'3B"80&'%3"3+73"('"

3'6;*"j@"

"

)(7*"($0J'6'%3"+%"8+%*3$3'"7%'"I46+C&(&*$3&+%"&6;+03$%3'"I'*"6'6C0'*"M0$%`$&*"I'*"5N,/"F"

;+70" 8'03$&%*L" ;$08'" W7Z&(*" ^7J'%3" ('*" 0'6&*'*" '%" 8$7*'" I'*" i"^'7%'*"j" *340&('*L" '3" ;+70"

IZ$730'*L" ;$08'" W7ZX" (Z'-'6;('" I'" ('70" 6'%3+0L" Q'" 5+0C7*&'0L" &(*" *+%3" '%J$J4*" I$%*" I'*"

8+66$%I'*"&6;+03$%3'*@"

)$06&"('*";0'6&'0*L"/$08'("Q+I*L"W7&L"I$%*"7%'"('330'"I7"=>GA\G!?]>"<I+%3"(Z'%.3U3'"0$;;'(('"

*'*" M+%83&+%*" IZ$08E&3'83'" '%" 8E'M" I'*" Cn3&6'%3*" 8&2&(*" '3" ;$($&*" %$3&+%$7-BL" 6'3" %+&0" *70"

C($%8L" I$%*" 7%" 8+700&'0" *$%*" 8+%8'**&+%L" '3" $7" %+6" I7" R0+7;'" 5N,/" Tn3&0L" *+%" 0'M7*" I'"

;$03&8&;'0"$7"5N,/"!AL"'*3&6$%3"W7'"3+73"$2$&3"434"I&3"X",&-L"'3"W7'"($"0'*;+%*$C&(&34"I'"($"

%+%.;7C(&8$3&+%"I'"($"8E$03'"'%"0'2'%$&3"X"8'7-"W7&"%Z+%3";$*"0'*;'834"('70"'%J$J'6'%3@"

)$06&"('*"*'8+%I*"<8'7-"W7&"*+%3"$88$;$04*";$0"('70*"8E$%3&'0*BL"+%"30+72'"/&8E'("k8+8E$0IL""

7%";&(&'0"I7"5N,/"?L"W7&"'*3"'%J$J4"*70"('"8E$%3&'0"I'"(Z7%&2'0*&34"I'"m$0$8E&""$7")$D&*3$%L"+r"

&("$"'%30$c%4"7%"^'7%'L"R40$0I"SE70%$7'0L";(7*"3$0I"M+%I$3'70"I'"(Z,3'(&'0"I'"/+%30+7J'"$2'8"

)&'00'"V&C+7('3L"6$&*"$7**&"V+($%I"9&6+7%'3L"0'6$0W74"X",&-";+70"*+%"437I'"*70"('"C&I+%2&(('"

I' /$E&'II&%'"$2'8"('"J0+7;'"5N,/.,(J'0"<m('&%L"=AA>B"I4^X"+887;4";$0"($"8+66$%I'"I'"

(+J'6'%3"X"#^'%$%"k("_$**$%"'%"C$%(&'7'"IZ,(J'0"<!?]>.!?>=B@"

"

V'('24"I7"T&I+%2&(('"I'"/$E&'II&%'L",(J'0"<5N,/"?"!?]\B

"

"

"

)+70" M$&0'" M$8'" X" 8'*" I&MM&87(34*" '3" 42&3'0" ($"

I40+73'L" 7%" 6&%&.8+%J0[*L" 047%&**$%3" ('*"

I4(4J74*"I'*"J0+7;'*"5N,/"<W7&"%'"*+%3";(7*"

%$3&+%$7-B" '*3" +0J$%&*4" X" Q$" 9$00$qL" '%"

*';3'6C0'" !?]]L" <8Z43$&3" ($" I$3'" ;0427'"

&%&3&$('6'%3";+70"($"3'%7'"I7"5N,/"!ABL"*+7*"

($";04*&I'%8'"IZk6'0:B@""

"

(5)

4 Emery en a rédigé un compte-rendu assez précis. Il y note les absents, qui sont nombreux du côté français : Le Corbusier, Ecochard, Lods, et même Candilis. Le même compte-rendu donne par ailleurs à penser que les divergences sur les objectifs et le thème du CIAM ont pu trouver un compromis en distinguant deux moments : d’abord l’élaboration d’une

« Déclaration sur le logis », reprenant le mode d’exposition de la Charte d’Athènes, rédigé en anglais et en français par Sert, Giedion et Tyrwhitt, et, ensuite, l’adoption d’un thème et d’un titre pour le CIAM à venir : « L’Habitat, Problèmes de relations. Premières propositions des CIAM. Constatations et résolutions ». Deux annexes accompagnent ces deux objectifs, détaillée pour la première, plus vague pour la seconde, rédigée par Giedion.

Cette réunion de La Sarraz de septembre 1955, prend également une décision sur le nouveau lieu choisi pour le congrès : Dubrovnik, déjà proposé par le groupe yougoslave à Aix, se voit ainsi préféré à Braga, proposé par le groupe portugais. (Il faut noter que, dans un autre courrier Emery, évoque une proposition pour Berlin 1957 qui préfigure sans doute Hansaviertel de 1957). On peut considérer que ce déplacement, d’Alger à Dubrovnik, contribue à affaiblir le projet des fondateurs des CIAM dont l’objectif était d’aboutir à une rédaction de la Charte du logis.

En réalité ce compromis n’apporte pas de solution au problème de fond, qui concerne la conception du logement, sa production et son rapport au milieu.

Cette divergence peut être mise en relation, à mon avis avec deux facteurs : d’une part les différences de situations nationales (la reconstruction en Europe, l’enjeu de la centralité dans le monde anglo-saxon, les besoins en logements dans le Tiers-Monde), d’autre part certaines difficultés de compréhension et de traduction (du français vers l’anglais qui devient la langue dominante des CIAM après-guerre).

Ainsi certains des membres CIAM assimilent la notion d’ « habitat » à celle de « logis », comme objet technique, lieu physique, comme cellule élémentaire, alors que d’autres la pensent comme « habiter », comme mode de vie, lieu d’existence à toutes les échelles de la ville. Le Corbusier, qui a l’écoute de Candilis, tente une synthèse, ayant la vague intuition que l’orientation fonctionnelle : « habiter, travailler, se récréer, circuler » est un peu courte et qu’elle n’épuise pas la question de l’habitat, « la fonction vivre ». Giedion, de son côté, dans une lettre à Sert datée du 16 mai 1955, et à partir d’une note manuscrite de Le Corbusier rédigée avec Candilis quelques jours plus tôt (13/05), tentera de clarifier la question :

Schéma de Le Corbusier dans son message au CIAM X

(6)

5

« Point 5. Mise au point :

Il est à préciser que l’exemple des quatre planches n’est qu’indicatif, car il faut insister que le PROBLEME DE L’HABITAT ne se limite nullement à des solutions du logis ; les grids (grilles) pourront fort bien traiter des objets différents, tels que lieux et conditions du travail, ou lieux et conditions de loisirs etc.

L’idée maîtrise (maîtresse) demeure :

La fonction VIVRE devient « habitat », lorsqu’elle s’intègre organiquement avec le milieu…

Et non pas la fonction « habiter » etc. de la rédaction française.

Enfin (A fin) d’éviter des équivoques, des mots :

- Habitat, habiter, habitations ou logis (en français) - Habitat, living, or dwelling or home (en anglais) La formulation suivante supprime tout malentendu :

L’Habitat représente les conditions de vie dans le milieu total… »

Croyant encore, au printemps 1955, pouvoir tenir le CIAM 10 à Alger, Le Corbusier souhaite pour sa part clore un chapitre de 25 années dont il pense intimement qu’il aurait dû se conclure à Aix (ou à Marseille, lors de cette fête mémorable sur le toit de la Cité radieuse).

Cependant, malgré les appels au secours de Sert le priant d’assister à ce CIAM 10 (lettre du 16/07/1956), il reste ferme dans sa volonté de ne pas assister et de passer le relais.

En réalité, Le Corbusier accaparé par ses chantiers (certaines de ses lettres sont rédigées dans l’urgence, au moment où il part en Inde : lettre à Sert du 28/03/1956), n’est pas vraiment en mesure de démêler les aspects complexes des débats ouverts par les nouveaux membres des CIAM.

L’IMPENSÉ ANTHROPOLOGIQUE

Car beaucoup des divergences entre les membres des CIAM s’expliquent par la difficulté à comprendre l’évolution du monde au lendemain de la guerre. Et la cause principale de ces divergences n’est pas générationnelle, comme le croit Le Corbusier. Elle est culturelle, et elle relève davantage des nouvelles réalités socio-anthropologiques, rencontrées par les architectes dans des pays qui se libèrent de l’administration coloniale, que d’une nouvelle approche plastique (la provocation des Smithson à Aix est un épiphénomène) ou purement technique (comme le pense Lods, et sans doute Bakema qui diverge de Van Eyck à cet égard : cf. Brian Brice Taylor, 2006).

On peut faire à cet égard 2 remarques, la première interne, sur l’évolution des CIAM, la seconde externe, sur l’irruption du monde qu’on dit aujourd’hui en développement et la reconnaissance de ses spécificités culturelles :

1/ Première remarque :

Le monde anglo-saxon est venu perturber, à la fin de la guerre, un monopole de la

modernité que se réservaient Français et Allemands. L’exil des Allemands vers le Nouveau

Monde accompagne la formation du groupe Mars, organisateurs de deux CIAM (6-8) sur les

3 qui précèdent celui d’Aix. Le CIAM 8 de 1951 a joué, à cet égard, un rôle important. Il s’est

(7)

6 tenu à Hoddesdon, une petite ville située non loin de l’une des villes nouvelles du plan de Sir Abercrombie : Harlow. Réunion de 4 villages, ses concepteurs lui ont donné un centre réservé aux piétons, une première dans la « société machiniste ».

Or, ce projet et sa réalisation s’accordent avec le thème du CIAM 8 : « The Heart of the City ». Ce thème soulève la question des centre-ville et de l’espace public ; il ouvre l’architecture à l’urbanisme et aux sciences sociales, approche plus familière aux Anglais qu’aux continentaux, accaparés, avec la reconstruction, par la question du logis, et sa production de masse, en série, industrielle (la « machine à habiter »). L’influence de Jacky Tyrwhitt, entrée au groupe MARS vers 1941 (Pinson, p. 249) est à souligner, malgré la trop faible notoriété qui est la sienne à cette époque (elle le doit d’abord à sa condition de femme dans le contexte de l’époque)

1

.

Disciple de Geddes et rééditrice de « Cities in evolution » (1949), Tyrwhitt n’est pas étrangère à la reprise explicite de certaines thèses de Geddes, comme l’idée de la « coupe sur la vallée », qui inscrit la maison, le village et la ville dans un territoire, dans un milieu, et figure, croquis à l’appui, au centre du manifeste de Doorn, la réunion des jeunes tenue en janvier 1954. (On peut se reporter à ce sujet à sa lettre assez enthousiaste, écrite depuis Toronto, à la suite d’une réunion tenue à Londres le 29/07/1954 avec les Smithson et les Howell).

Il faut rappeler ici que Jacky Tyrwhitt seconde Giedion, dès le lendemain de la guerre, dans l’activité d’organisation et d’édition des travaux des CIAM et qu’une évidente complicité existe entre eux. Elle est aussi sollicitée par Jose Lluis Sert, alors doyen après le départ de Gropius, lorsqu’il crée un département d’Urban Design en 1954 à la Graduate School of Design de Harvard. Sert y « applique les méthodes des sciences sociales dans les études urbaines » (Maniaque, 2006).

Ce trio (Sert, Giedion, Tyrwhitt) fait aussi volontiers référence aux réflexions du philosophe autrichien Martin Buber, auteur de « Je et tu » (1938). Ce penseur est justement, par excellence, le philosophe de la rencontre, de la relation (en opposition au « je » solitaire de Descartes), relation qui sera mis au centre du projet thématique du CIAM 10. Un passage de l’annexe de Giedion en vue de la préparation du CIAM 10, joint au compte-rendu de Emery, le fait apparaître clairement :

« La ville, l’agglomération urbaine ne disparaîtra pas. La ville c’est essentiellement les relations, les rencontres, la confrontation du toi et du moi, le rapport entre l’habitat

1Corrigeant ce manque de reconnaissance, Ellen Shoshkes, de l’Université de Portland, a récemment fait paraître un important ouvrage à son sujet (2013).

(8)

! ! s"

92& 0X"$9"#"94& 2.& 5204"& 92& 01& 560025."#".JL& Q2& 8I25.1.24/& I188"H>& 0XK6EE2& 96".& 92#2$"/&

15.24/&91$8&01&#"2&92&01&56EE4$14.JL&D&

"

O&%$('6'%3L"S:0HE&33";0&3"$7**&L"'%"!?]]L""7%'"$730'"2+&'"'%"*Z$**+8&$%3"X"#+-&$I&*"X"30$2'0*"($"

0'27'"kD&*3&8*"<)&%*+%L"=AA>BF"'(('"(7&";'06&3"IZ'-;0&6'0";('&%'6'%3"($"2&*&+%"I'"R'II'*"I+%3"

'(('" 43$&3" (ZE40&3&[0'@" 5+66'" ('" M$&3" 0'6$0W7'0" 5@" /$%&$W7'" <;@" ]sBL" '(('" $2$&3" *7" &%*7MM('0L"

I$%*"('*"5N,/"W7Z'(('"$2$&3"8+%30&C74"X";04;$0'0"<5N,/"l"'3"?L"$2'8"%+3$66'%3"($"643E+I'"

I'" ;04*'%3$3&+%" I'*" J0&(('*BL" 8'33'" 4;$&**'70" $%3E0+;+(+J&W7'" W7&" $70$" ;0+M+%I46'%3"

6$0W74" 8'7-" W7&L" 8+66'" V+($%I" 9&6+7%'3" L" I$%*" ('" R0+7;'" 5N,/" IZ,(J'0L" $2$&'%3" 2+7(7"

I4;$**'0"('*"i 0'8'33'* j"I+%3";$0('"5$%I&(&*"'3"($"*'7('"'*3E43&W7'"6$8E&%&*3'"I'*"6+I'0%'*@"

"

=G"5'8&"6Z$6[%'"X"6$"*'8+%I'"0'6$0W7'"F"

"

k%"!?]AL"(Z$08E&3'8370'"%'";+72$&3";(7*"U30'";'%*4'"$2'8"('"

*'7(" K&'7-" /+%I'" 8+66'" 8Z43$&3" ('" 8$*" $7" I4C73" I'*"

5N,/@" Q'*" '6;&0'*L" '%" 6U6'" 3'6;*" W7Z&(*" *Z'MM+%I0'%3L"

+720'%3" ('70*" *+8&434*" X" ($" 6+I'0%&34L" +MM0'%3" X"

(Z$08E&3'8370'" I'*" 3'00&3+&0'*" %+72'$7-" X" 04M(48E&0"F" ('*"

8$34J+0&'*" I'" 2&(('" '70+;4'%%'" '3" I'" i"2&(('" &%I&J[%'"j"

$;;(&W74'*" ;$0" (Z70C$%&*6'" 8+(+%&$(" I7" I4C73" I7" *&[8('"

%Z+%3";(7*"I'"*'%*@"QZN%I'L"('"/$0+8L"('"T04*&(L"('")40+7"*+%3"

I'*" 3'00$&%*" +r" *+%3" &%3'00+J4'*L" $2'8" ('*" (&C40$3&+%*L" ($"

87(370'"I'"(Z+88&I'%3"'3"*'*";043'%3&+%*"7%&2'0*$(&*3'*@"

"

,7"M+%IL"I$%*"('*"5N,/L"&(":"$"8'7-"W7&"*'"8+%*$80'%3"$7-"

C'*+&%*"I'"0'8+%*30783&+%"'3"I'"80+&**$%8'"I'*"6430+;+('*"

+88&I'%3$('*"'3"8'7-"W7&L"8+%M0+%34*"$7-"3'00'*"(+&%3$&%'*"

W7&"*'"(&C[0'%3L"2+&'%3"*Z$MM&06'0"IZ$730'*"6+I'*"I'"2&'"'3"

('" I4*&0" IZ7%'" $730'" 6+I'0%&34@" 5'8&" ;'73" U30'" I&3" I'*"

$08E&3'83'*"IZX";'7";0[*"3+73'*"('*"%$3&+%*"'3"I'"3+7*"('*"

J0+7;'*"5N,/@"

"

)+70" 6'" (&6&3'0" $7" 8$*" M0$%`$&*L" ^'" 0'3&'%I0$&" &8&"

(Z+;;+*&3&+%" '%30'" ($" I46$08E'" I'" V+($%I" 9&6+7%'3L" '3"

8'(('"I'"/$08'("Q+I*"<I'7-"$C*'%3*"I'"#7C0+2%&DB@"

"

k%"!?l!L"9&6+7%'3"(&20$&3"8'"346+&J%$J'"I$%*"l2/S>&,142$&

m&l6K$2$&<8M@"m('&%L"=AA>BL"X";0+;+*"I'"*+%"'-;40&'%8'"I'"

/$E&'II&%'L" 8'" C&I+%2&(('" W7'" ('" J0+7;'" IZ,(J'0" $2$&3"

;04*'%34"$7"5N,/"?L"'3"I'"8'"W7Z&("'%"$"3&04"8+66'"('`+%"

;+70"*$";0$3&W7'"7(340&'70'"F"

&3&)#25& 4$& 1E"& 84"882& M2& I1/8& 3&G& 0X1#2$.4/2&D& 2.&

EX2$H6$52&91$8&01&/J10".JL&&!2&I/J8"92$.&94&V41/."2/&

92#"2$.&$6./2&1E">&"0&$648&64#/2&028&I6/.28&92&52..2&

5".J& 501$928."$2& 96$.& 0X6/%1$"81."6$& 28.&

"

"

#^'%$%"k("_$**$%L",(J'0L"<V+($%I"

9&6+7%'3L"$08E&3'83'BL""'%"!?]>"'3"

$7^+70IZE7&@"

"

"

!

(9)

8 remarquable… Après quelques semaines de travail apparaissent dans toute leur clarté les éléments d’une synthèse : économie de moyens, ingéniosité, utilisation et maîtrise des espaces, intégration de la végétation, poésie. Naturellement la trame sanitaire est inexistante. Des améliorations sont nécessairement évidentes, mais la leçon reçue est très forte, l’épreuve déterminante. Je formule alors une règle que je garde encore présente : ne rien détruire avant d’être en mesure de proposer mieux. »

L’anthropologie avait pénétré sa pratique architecturale.

Cette inspiration distinguait son travail de l’obsession techniciste qui habitait un Marcel Lods, le chef de file du groupe CIAM bâtir, ce

« verbeux », fustigé par Le Corbusier dans cette lettre à Sert dont j’ai parlé précédemment. En 1956, précisément, au moment où se tenait le CIAM 10, Lods disait au socio-anthropologue Chombart de Lauwe, lors de son enquête sur les besoins et les aspirations des Français relatives au logement (Famille et Habitation, 1957) que le problème actuel est de faire « des millions de logements, comme on fait des millions de machines ».

Le rapprochement de ces deux architectes, aujourd’hui, (excusez-moi pour cette affirmation trop rapide et péremptoire) peut se résumer, chez Simounet, en du trop plein : Djenan El Hassan, en banlieue d’Alger, n’arrive plus à contenir la vie populaire qui s’y est installée, et, chez Lods, en du très vide : ses structures métalliques pour des logements sociaux à Sotteville lès Rouen exposent leurs habitants aux risques d’incendie et les contraignent à en partir.

Or, les jeunes, le TEAM X (et ce sera ma conclusion) allaient bien au-delà des recettes techniciennes que des architectes comme Marcel Lods voulaient figer dans le marbre d’une

« Charte du logis ». Dès novembre 1955, ils affirmaient en effet :

« Si, il y a trente ans, c’était pour le CIAM une tâche urgente d’intégrer les techniques modernes dans l’architecture et l’urbanisme, à l’heure qu’il est, il s’agit avant tout de créer l’habitat qui peut stimuler le développement de relations humaines nouvelles (cet adjectif ne figure pas dans la version anglaise), dans la maison, le village, la ville, la métropole et la région ».

La Grande Mare, Rouen (Marcel Lods Architecte), 1970 -2014

(10)

9 Bibliographie

Blain Catherine, « Gérard Thurnauer et le groupe CIAM-Paris », in J.-L. Bonillo, C. Massu, D.

Pinson (dir.), La Modernité critique, autour du CIAM 9 d’Aix-en-Provence, Marseille : Imbernon, 2006, p. 273-283.

Candilis Georges, Bâtir la vie, un architecte témoin de son temps, CH, Gollion, Infolio, 2012.

Chombart de Lauwe , Paul-Henry, Famille et habitation, Paris : CNRS, 1957.

Uyttenhove, Pieter, Marcel Lods (1891-1978). Action, architecture, histoire, Paris : Verdier, 2009.

Klein, Richard, «L’expérience du bidonville : Roland Simounet et le groupe CIAM d’Alger », in J.-L. Bonillo, C. Massu, D. Pinson (dir.), La Modernité critique, autour du CIAM 9 d’Aix-en- Provence, Marseille : Imbernon, 2006, p. 207-218.

Maniaque, Caroline, « Harvard Graduate School of Design, une chambre d’écho pour les CIAM », in J.-L. Bonillo, C. Massu, D. Pinson (dir.), La Modernité critique, autour du CIAM 9 d’Aix-en-Provence, Marseille : Imbernon, 2006, p. 49-61.

Mumford, Eric, The CIAM Discourse on Urbanisme, 1928-1960, Cambridge, Mass., MIT Press, 2000.

Pinson, Daniel, « De l’échec d’une charte à la poursuite d’une réflexion », in J.-L. Bonillo, C.

Massu, D. Pinson (dir.), La Modernité critique, autour du CIAM 9 d’Aix-en-Provence, Marseille : Imbernon, 2006, p. 243-260

Shoshkes, Ellen, Jaqueline Tyrwhitt: A Transnational Life in Urban Planning and Design, Ashgate : Farnham-Burlington, 2013.

Taylor, Brian Brace, « Aldo van Eyck, Nikolaas Habraken et le débat sur l’habitat », in J.-L.

Bonillo, C. Massu, D. Pinson (dir.), La Modernité critique, autour du CIAM 9 d’Aix-en- Provence, Marseille : Imbernon, 2006, p. 181-190.

Welter V. M., Biopolis-Patrick Geddes and the City of Life, Cambridge, Mass., MIT Press,

2002.

Références

Documents relatifs

La plupart de nos alliés, qu’ils soient grands ou petits, revoient leurs processus et leurs structures pour intégrer au mieux cette nouvelle donne stratégique dans leurs

Sachant que la mutation qui conduit à la forme mutée de la protéine correspond à une substitution et qu'elle provoque l'apparition d'un site de restriction BclI dans la

Dans la série « collège autour d'un thème », cet article présente la réalisation de quelques expériences simples (et peu coûteuses) à réaliser sur 2 séances d'une heure,

Nous avons donc établi que tout point fini de F(E^, E.j) est situé dans un domaine choisi suffisamment petit, où F se compose d'un nombre pair d'arcs de Jordan, munis en chaque point

Si les nuages M(I) et N(I) ont leur centre de gravité en 0, on at- teindra ainsi le minimum absolu de l'écart pour toute isométrie (lais- sant ou non l'origine fixe) ; mais les

Dans le cadre déjà existant du traitement de la difficulté scolaire (différenciation pédagogique mise en oeuvre au sein de la classe, actions spécifiques des RASED, stages de

De même, dans les seconde et troisième parties consacrées aux effets des chan- gements dans le système d’information de gestion, avec notamment l’automatisation

La qualification juridique du texte numérique est le préalable indispensable à l ’étude des modalités d’application des droits d’auteur au document numérique par exemple,