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"L'égalité des dotations initiales" : une proposition de juste distribution adéquate des ressources socioéconomiques

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Academic year: 2022

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Texte intégral

(1)

Thesis

Reference

"L'égalité des dotations initiales" : une proposition de juste distribution adéquate des ressources socioéconomiques

MATHELIER, Guillaume

Abstract

Cette thèse a pour but de développer un cadre théorique pour penser la distribution des ressources socio-économiques. Prenant l'occasion d'un parcours théorique critique, cette thèse cherche à montrer que seule une juste distribution adéquate qui prendrait la forme de l'

"égalité des dotations initiales" serait optimale pour répondre aux questionnements qui entourent l'individualité moderne. Ces questionnements posent l'objectif réaliste de penser la théorie politique dans un langage "complexe" tant sur la nature de l'intériorité de l'individu que sur le contexte qui entoure le développement de ses aptitudes (proposition individualiste et contextualiste). Cette thèse entend renouveler la manière d'aborder la distribution des ressources socio-économiques en affirmant que seule la compréhension de cette complexité peut amener des résultats efficaces en matière de justice sociale. Pour cela, nous identifions un concept interprétatif central, l'individu bénéficiaire, qui permet de gérer l'articulation nécessaire entre la réalité du monde objectif et les impératifs normatifs pour organiser la [...]

MATHELIER, Guillaume. "L'égalité des dotations initiales" : une proposition de juste distribution adéquate des ressources socioéconomiques . Thèse de doctorat : Univ.

Genève, 2011, no. SES 757

URN : urn:nbn:ch:unige-172217

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:17221

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17221

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(2)

L’ « égalité des dotations initiales » : une proposition de juste distribution adéquate

des ressources socioéconomiques

Guillaume MATHELIER

Direction de thèse :

Matteo Gianni

(3)

L’ « égalité des dotations initiales » : une proposition de juste distribution adéquate des ressources socioéconomiques

Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève

Par Guillaume MATHELIER pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences économiques et sociales mention : science politique

Membres du jury de thèse :

M. Matteo GIANNI, Maître d’enseignement et de recherche, Directeur de thèse

M. Jan-Erik LANE, Professeur, Universität Freiburg M. Urs MARTI, Professeur, Université de Zürich M. Frédéric VARONE, Professeur, Président du jury

Thèse N° 757

Genève, le 24 juin 2011

(4)

La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 7 juillet 2011

Le doyen

Bernard MORARD

Impression d’après le manuscrit de l’auteur

(5)

TABLE DES MATIERES

RESUME

REMERCIEMENTS INTRODUCTION

Chapitre 1 : présentation des enjeux du travail de thèse 13

1-1 Objectifs généraux 13

1-2 Une recherche qui s’inscrit dans le contexte actuel 13

1-2-1 Le contexte actuel et ses enjeux 13

1-2-2 Exposition de notre problème 17

1-3 Le choix de l’analogie avec le langage 18

1-3-1 Généralités : qu’est-ce qu’une analogie ? 18

1-3-2 L’analogie avec le langage : une chance épistémologique 21

1-3-3 La probabilité de Rawls 22

1-3-4 L’enjeu théorique de la « Rawls linguistic analogy » 24 1-3-5 L’analogie comme révélateur d’une symétrie épistémologique 26 1-3-6 Minimalisme et analogie avec les études sur le langage 29

1-4 Construire autour de cette analogie 31

Chapitre 2 : définition du premier principe 35

2-1 Éléments introductifs 35

2-2 L’enjeu paramétrique : la question du primat 36

2-3 Inscrire l’individu au cœur de la réflexion sur la justice sociale 37 2-3-1 L’individu : enjeu de la distribution des ressources socio-économiques 37 2-3-2 Quête d’identité et recherche de sens : un enjeu de la modernité 37

2-3-2-1 Taylor et Les sources du moi 37

2-3-2-2 Un individu désormais incertain ? 38

2-3-2-3 L’idée d’individu bénéficiaire dans la justice sociale 40

2-4 Notre premier postulat : l’individu complexe 42

2-4-1 Prendre au sérieux la complexité 41

2-4-2 La complexité des variables endogènes et exogènes 41

2-4-2-1 Au-delà de la rationalité 41

2-4-1-2 Organiser le dépassement de la rationalité 44

2-4-3 Un apport critique de la recherche en sciences cognitives 45 2-4-4 Sociologie et anthropologie : penser la complexité du monde 47

(6)

2-4-4-1 Mauss et maussiens entre holisme et individualisme :

dépasser la réduction du monde 47

2-4-4-2 Inscrire l’individu dans la complexité 51

2-4-5 Prolonger le débat philosophique autour de l’individu 52 2-4-5-1 Autrui dans la complexité : l’éthique du care 52 2-4-5-2 La précarité comme altération des aptitudes individuelles 53 2-4-5-3 La reconnaissance pour donner du «corps» à l’enjeu distributif 54 2-4-5-4 Adopter une perspective réaliste : être contextualiste 56 2-4-6 Résumé de notre point de vue théorique sur le premier postulat 57 2-5 Second postulat : l’individu bénéficiaire comme concept interprétatif 57

2-5-1 Que recouvre la notion d’individu bénéficiaire ? 58

2-5-2 L’esprit de « Local justice » 60

2-5-3 Résumé de notre point de vue théorique sur le second postulat 61

Chapitre 3 : Définition du second principe 63

3-1 L’enjeu paramétrique : distribution a priori VS a posteriori 63 3-2 La justice distributive entre correction et transformation 64

3-2-1 La dichotomie de Nancy Fraser 64

3-2-2 Résultats empiriques des types de remèdes 66

3-2-3 Dépasser la dichotomie transformation/correction : une position réaliste 68 3-2-4 Les notions de propriété sociale et privée pour approfondir 68

3-2-5 Notre position théorique pour la recherche 70

3-3 Méthode d’examen : un parcours dans une cartographie 71

PREMIERE ETAPE DANS LA CARTOGRAPHIE 75

Chapitre 4 : La « justice comme équité » 75

4-1 Méthode d’examen 75

4-2 Les préconditions de la « justice comme équité » de John Rawls 76 4-2-1 Trois conditions fondamentales à la « justice comme équité » 76 4-2-2 La société comme système équitable de coopération sociale 76

4-2-3 La société bien ordonnée 79

4-2-4 L’idée fondamentale de structure de base 81

4-3 L’émergence des principes rawlsiens 82

4-3-1 Position originelle, voile d’ignorance 82

4-3-2 Affirmer et dépasser l’égalité abstraite: libertés de bases 87

4-3-2-1 La priorité lexicale de l’égale liberté 87

4-3-2-2 La nécessité de dépasser le premier principe 89

4-4 L’égalité équitable des chances rawlsienne 89

(7)

4-4-1 Rawls et l’égalité des chances 89 4-4-2 Système de la liberté naturelle et égalité libérale : deux interprétations faibles 90 4-4-2-1 Système de la liberté naturelle : interprétation faible 1 90 4-4-2-2 L’égalité libérale : interprétation faible 2 91

4-4-2-3 Égalité démocratique : interprétation forte 92

4-5 Synthèse et commentaire 95

4-5-1 Schéma de synthèse 96

4-5-2 Commentaires 96

4-5-3 Tableau de synthèse 97

Chapitre 5 : Examen de la « justice comme équité » 98

5-1 Situer la théorie rawlsienne 98

5-2 Examen sur l’axe ontologique 98

5-2-1 L’individu de « la « justice comme équité » » 98

5-2-2 L’individu du contrat 98

5-2-3 Respect de soi-même et identité morale 101

5-2-4 Un deuxième individu rawlsien ? 102

5-2-5 Du rationnel au raisonnable 103

5-2-6 Autonomie rationnelle et autonomie complète 104

5-2-7 Quelle réciprocité dans la « justice comme équité » ? 105 5-2-8 L’ensemble des individus rawlsien : la problématique de l’union sociale 106

5-2-9 Les limites de l’individu bénéficiaire rawlsien 109

5-2-10 Conclusions intermédiaires 112

Chapitre 6 : Examen sur l’axe distributif 113

6-1 La Théorie de la justice rawlsienne : remèdes correctifs ? 133

SECONDE ÉTAPE DANS LA CARTOGRAPHIE 117

Chapitre 7 : L’« égalité des ressources » 117

7-1 Méthode d’examen 118

7-2 Les préconditions de l’« égalité des ressources » 118

7-2-1 Un objectif ultime: réconcilier l’égalité et la liberté 118

7-2-1-1 L’égalité d’attention comme vertu souveraine 118

7-2-1-2 « Ethical individualism » et « Equal concern » 119

7-2-1-3 Première prémisse éthique : « Equal value » 119

7-2-1-4 Seconde prémisse éthique : « Special responsability » 120

7-3 Quelle place pour la liberté ? 121

7-3-1 Le lien entre la responsabilité et liberté 121

(8)

7-3-2 Résoudre le conflit entre égalité et liberté ? 121

7-3-3 Affirmer la « motivational equality » 123

7-4 Le socle de l’« égalité des ressources » 124

7-4-1 Préciser la définition de cette forme d’égalité 124

7-4-2 Ordre politico-juridique 124

7-4-3 Contexte initial, conditions d’émergence de la distribution juste 125 7-4-4 Question du principe d’abstraction lié au contexte initial 126 7-5 Le cœur de la théorie dworkinienne : l’« égalité des ressources » 127 7-5-1 L’« égalité des ressources » : meilleure interprétation de l’égalité abstraite 128

7-5-2 Deux types de ressources 128

7-5-3 L’économie de marché comme promoteur de l’« égalité des ressources » 128 7-5-4 Un système d’enchères (the auction) et le test de l’envie (envy test) 129 7-5-5 Les stratégies compensatoires : corriger les inégalités de départ 131

7-5-6 La compensation des handicaps naturels 131

7-5-7 La question centrale de la distinction entre les choix et les circonstances 132

Chapitre 8 : Examen de l’« égalité des ressources » 135

8-1 Examen de l’axe ontologique 135

8-1-1 L’individu de l’« égalité des ressources » 135

8-1-2 L’« égalité des ressources » :

une vision essentiellement tournée vers le projet individuel 135

8-1-3 Quel est l’ensemble des individus dworkinien ? 138

8-1-4 Concepts interprétatifs ? 138

8-1-5 Communauté et vie bonne : une éthique libérale du bien ? 139

8-1-6 Deux conceptions de la démocratie 139

8-1-7 La communauté libérale : responsabilité et réciprocité ? 140 8-1-8 L’« égalité des ressources » n’est-elle finalement pas « statistique » ? 141

8-1-9 Conclusions intermédiaires 141

Chapitre 9 : Examen sur l’axe distributif 143

9-1 L’« égalité des ressources » dworkinienne : du côté de la redistribution transformatrice ? 143

9-2 Conclusions intermédiaires 145

TROISIEME ÉTAPE DANS LA CARTOGRAPHIE 147

Chapitre 10 : Le « solidarisme » 147

10-1 Méthode d’examen 147

10-2 Le « solidarisme » comme doctrine 148

10-3 « solidarisme » et solidarité : une doctrine, un concept 149

(9)

8

10-4 Le « solidarisme » et son ambition synthétique 150

10-5 Les principes fondamentaux du « solidarisme » 152

10-5-1 La solidarité 152

10-5-2 La dette sociale 153

10-5-3 Le quasi-contrat 154

10-6 Les mécanismes (re)distributeurs 156

10-7 Le « solidarisme » et la solidarité aujourd’hui ? 158

Chapitre 11 : Examen du « solidarisme » 161

11-1 Situer le « solidarisme » 161

11-2 Examen sur l’axe ontologique 162

11-2-1 L’individu complexe du « solidarisme » 162

11-2-2 Le solidarisme : une doctrine téléologique ? 164

11-2-2-1 Le républicanisme perfectionniste 164

- - -

11-2-2-3 L’apport systématique de Rawls sur la question républicaine 165 11-2-2-4 (Ré)affilier le « solidarisme » à la tradition romaine 166 11-2-3 « solidarisme » : la considération d’un individu bénéficiaire matériel ? 166

11-2-4 L’égalité solidariste : equal value ? 168

11-2-5 Proposer une autre façon d’envisager la liberté 169

11-2-6 Le « solidarisme » : une doctrine sensible au contexte 173 11-2-7 La responsabilité dans la doctrine du « solidarisme » 174 11-2-8 Conclusions intermédiaires : vers une vision adéquate de l’individu bénéficiaire 174

11-3 Examen de l’axe distributif 174

11-3-1 Le « solidarisme » est avant tout une garantie 175

11-3-2 Questionnement sur l’État-providence 176

11-3-3 Conclusions intermédiaires 177

QUATRIÈME ÉTAPE DANS LA CARTOGRAPHIE 179

Chapitre 12 : Synthèse des examens 179

12-1 Évaluer les apports, manques et prolongements théoriques de nos examens 179

12-2 Un parcours utile dans la cartographie 179

12-3 La « justice comme équité » : une rationalité trop invasive et une correction trop simple 180

12-3-1 Prendre les injustices au sérieux 180

12-3-2 Identifier et relativiser la composante froide de la cognition 181 12-3-2-1 L’individu rawlsien pris comme « agent solitaire » 181 12-4 L’enjeu de l’« égalité des ressources » : (re)placer l’égalité au cœur de la justice sociale 184 12-5 La piste solidariste républicaine : non juste, mais partiellement adéquate 187

12-5-1 Une perspective individualiste et contextualiste ? 187

(10)

12-5-1 Définir les enjeux modernes de l’adéquation 188 12-5-2 Identifier et rétablir la dimension chaude de la cognition 188

12-5-3 De l’agent solitaire à l’agent solidaire 189

12-5-4 Conclusions intermédiaires 190

Chapitre 13 : Répondre à notre problème 191

13-1 Redéfinition du problème 191

13-2 L’ « égalité des dotations initiales » : une perspective individualiste et contextualiste 191 13-3 Une juste distribution adéquate des ressources socioéconomiques 192

13-3-1 Une juste distribution 192

13-3-2 Une distribution adéquate 193

13-3-3 L’individu bénéficiaire comme concept interprétatif 193 13-3-4 L’introduction des notions de « primauté distributive »

et de « forme d’insistance » 194

13-3-5 L’État-providence : dépasser la protection, (ré)assurer l’universalisme 196 13-3-6 Alors, universalisme ou sélectivisme ? :

pour une « primauté distributive » universaliste adjointe d’un sélectivisme limité 197 13-3-7 L’ « égalité des dotations initiales » comme meilleure réponse 198 Chapitre 14 : À quoi pourrait ressembler une distribution égalitaire a priori ? 199

14-1 Deux types minimaux de distribution a priori 199

14-2 La question du revenu : plus qu’un revenu, une distribution 200 14-3 La périodicité : un argument pour la liberté comme non-domination 201 14-4 D’une vision quantitative à une vision qualitative du montant du revenu a priori 204 14-5 Versé par une communauté politique : oui, mais quelle communauté politique ? 207

14-6 Quel mode de financement ? 208

14-7 Un revenu a priori est un revenu nécessairement distribué sur une base individuelle 209

14-7-1 Qui sont les cibles de la distribution ? 209

14-7-2 L’âge est-il un élément déterminant ? 209

14-8 Garantir l’absence de contrôle 212

14-9 Ne rien exiger en contrepartie ? : une vision républicaine de la contrepartie minimale 214 14-10 Un revenu d’existence pris au sérieux par les néo-républicains ? 215

14-10-1 Revenu d’existence et républicanisme 216

14-10-2 L’idéal d’indépendance (independence) et d’autonomie 216

14-10-3 Républicanisme : une valorisation du contexte ? 216

14-10-4 Nature de l’ « égalité des dotations initiales » 218

14-11 Conclusions intermédiaires 219

CONCLUSION GENERALE 219

Chapitre 15 : Éléments de conclusion 221

(11)

15-1 Sur le plan méthodologique 221 15-2 La plus value de notre recherche : l’égalité au centre des attentions 221

15-2-1 Une proposition réaliste autour de l’idéal d’égalité et de transformation 221 15-2-2 La complexité cognitive et contextuelle : une compréhension essentielle 221

15-2-3 Le concept central d’individu bénéficiaire 222

15-2-4 Promouvoir une vision transformatrice de la distribution 222

BIBLIOGRAPHIE 224

ANNEXE 233

(12)

RESUME

Cette thèse a pour but de développer un cadre théorique pour penser la distribution des ressources socio-économiques. Prenant l’occasion d’un parcours théorique critique, cette thèse cherche à montrer que seule une juste distribution adéquate qui prendrait la forme de l’ « égalité des dotations initiales » serait optimale pour répondre aux questionnements qui entourent l’individualité moderne. Ces questionnements posent l’objectif réaliste de penser la théorie politique dans un langage « complexe » tant sur la nature de l’intériorité de l’individu que sur le contexte qui entoure le développement de ses aptitudes (proposition individualiste et contextualiste). Cette thèse entend renouveler la manière d’aborder la distribution des ressources socio- économiques en affirmant que seule la compréhension de cette complexité peut amener des résultats efficaces en matière de justice sociale. Pour cela, nous identifions un concept interprétatif central, l’individu bénéficiaire, qui permet de gérer l’articulation nécessaire entre la réalité du monde objectif et les impératifs normatifs pour organiser la distribution.

(13)

REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à dédicacer cette thèse, à mon père, à ma Mamie, à ma mère, à Aurélie la femme qui partage ma vie et à ma petite fille, Susan-Lee, à mon beau père Michel, à Claude et à mon Tonton Marc, à mon Parrain, au reste de ma famille et tout particulièrement à ma chère filleule Lou Ann et son petit frère Elliott.

Mes remerciements aussi à mes amis et particulièrement Fabrice, Philippe, Greg, Gilbert, Yves, Ximena, Nico, Karim, Myriam, Aurore, Thomas, Hippo, Tigrou, Laure, Cédric, Fred, Laetitia, Sabrina, Céline, Virginie, Julien, Joseph, Quentin, La grande Marianne et à tous ceux que j’oublie ici mais que je n’oublie pas autrement dans la vraie vie.

Une « special dedicace » à mon poto, Jean Estelle, artiste peintre/illustrateur pour qui l’application de cette thèse serait enfin la reconnaissance de son travail.

Mes remerciements aussi à tous mes collègues de l’Université de Genève qui m’ont suivi dans mon parcours académique, que ce soit au département de sciences-politiques, au département de linguistique ou à la Haute Ecole de Gestion où j’enseigne aujourd’hui.

Une pensée particulière à mon directeur de thèse, le Dr. Matteo Gianni qui a accepté de me faire confiance dans cette aventure et qui a toujours su rester franc, honnête et pédagogique dans ses commentaires.

Merci à tous les membres de mon jury qui ont su me donner le sursaut nécessaire pour rendre la meilleure version possible de mon manuscrit final.

Mes remerciements à tous mes amis et camarades mais aussi mes « ennemis » politiques qui au quotidien me font progresser dans mes argumentations.

Une dernière pensée à mon quartier d’enfance de Pré-des-Plans qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

(14)

INTRODUCTION

Chapitre 1 : présentation des enjeux du travail de thèse 1-1 Objectifs généraux

Cette recherche entend offrir un cadre principiel pour analyser les théories relatives à la distribution des ressources socio-économiques et pouvoir proposer normativement une nouvelle théorie de la distribution des ressources socio- économiques, l'« égalité des dotations initiales ». Cette proposition théorique représente la réelle finalité du travail.

Plutôt que de réfléchir en termes de « labels », comme le fait trop à notre sens le débat contemporain, en avançant que l’un est libéral ou que l’autre est républicain que celui-ci est libertarien et celui-là est communautarien, notre but dans ce travail de recherche consistera à tenter de dépasser ces clivages pour tenter de revenir plus précisément sur ce qui peut constituer les lignes de fractures, c’est à dire à notre sens la discussion sur les principes. En effet, nous n’avons pas pour objectif de reprendre les débats tels qu’ils sont et de refuser de nous placer dans un camp plutôt qu’un autre, ou de pratiquer l’art de la synthèse en se plaçant dans une position intermédiaire en cherchant simplement des qualités à l’une ou à l’autre des théories, mais nous désirons montrer qu’il existe au-delà de tous ces débats contemporains sur la justice sociale et plus particulièrement sur la distribution des ressources socio- économiques des principes permettant soit de comprendre et de placer les théories existantes soit de faire de nouvelles propositions théoriques.

1-2 Une recherche qui s’inscrit dans le contexte actuel

1-2-1 Le contexte actuel et ses enjeux

Si le but est en bout de recherche de faire une proposition théorique et normative pour une meilleure distribution des ressources socio-économiques, nous aimerions justifier rapidement la motivation qui nous oriente vers cet objectif. Nous identifions deux motivations particulières, mais interdépendantes : 1) réfléchir à la problématique de l’État-providence et des inégalités et 2) faire état de la complexification de la société moderne. La première consiste donc à proposer une réflexion alternative, certes modeste, au modèle de l’État- providence. Si nous considérons qu’il a eu son « heure de gloire » dans les Trente glorieuses et que sa mission était sans aucun doute justifiée (réduire les inégalités socio-économiques), il nous apparaît qu’aujourd’hui, que le seul débat qui alimente la discussion publique se situe autour de son démantèlement, de la baisse des aides par manque de ressources, ou au contraire sa défense pour augmenter les mesures en faveur des individus les plus fragilisés.

Mais au final dans ce genre d’études, ce sont souvent les finances qui monopolisent les argumentations et moins les remises en cause des fondements théoriques1. Une analyse des fondements théoriques pourrait nous

1 Cette affirmation est davantage vérifiable dans le débat politique que théorique

(15)

amener à nous poser la question suivante : l’État-providence n’engendre-t-il pas aujourd’hui plus d’inégalités socio-économiques en raison de ses principes de base ? Selon Rosanvallon, « la solidarité mécanique ne produit pas seulement des effets pervers à travers le développement des phénomènes d’interface »2, mais « elle apparaît également de plus en plus inefficace économiquement parce qu’inadaptée sociologiquement »3. Selon l’auteur, « la perte d’autonomie, l’isolement croissant des individus dont l’état est le principal recours alimente la crise de l’État providence »4 et ce à cause « de la décomposition, ou plus exactement de la dislocation du tissu social mécaniquement, et involontairement cela va de soi, engendrée par le développement de l’État-providence »5. Une des bases de notre réflexion sera donc de comprendre et de définir exactement de quel individu parle-t-on, c'est-à-dire quelles sont ses caractéristiques pour lui- même et dans sa relation à l’autre.

Une des clés pour le comprendre, et nous l’analyserons à travers la démarche philosophique de Nancy Fraser, consiste à replacer le débat sur des fondements théoriques : doit-on corriger les inégalités ou transformer les structures profondes génératrices des inégalités ? L’État-providence dans cette analyse est correcteur et parvient mal à corriger les inégalités (qui se complexifient de surcroît dans leur diversité) et crée même de nouvelles injustices (nous parlerons par exemple de stigmatisation de certaines catégories d’individus).

Selon Bruno Palier, « l’heure n’est plus au rafistolage des systèmes issus du passé, mais à l’élaboration de nouveaux principes et de nouvelles pistes »6. Nous en tirons la conclusion suivante : ce n’est donc pas tant le débat du financement de ce mode de distribution des ressources socio-économiques, qu’est le système de l’État-providence qui importerait donc, mais plutôt ses bases théoriques fondamentales. Il deviendrait donc nécessaire de sortir d’une logique purement et uniquement comptable et « c’est pourquoi les limites de l’État-providence doivent s’appréhender à partir des formes de sociabilité qu’il induit et non pas principalement à partir du degré de socialisation de la demande (pourcentage des prélèvements obligatoires) »7. C’est à notre sens ouvrir la discussion sur une analyse qualitative de la distribution (quels en sont les principes ?) en sus d’une analyse quantitative (qui serait davantage d’ordre uniquement économique). Palier propose8 à cet effet « de substituer à une conception traditionnelle et statique des politiques sociales, visant à réparer les situations les plus difficiles ou bien à remplacer les revenus perdus, une

2 Pierre Rosanvallon, La crise de l’État-providence, Paris, Éditions du Seuil, 1992, p 48

3 Rosanvallon, ibid., 1992, p 48

4 Rosanvallon, ibid., 1992, p 48

5 Rosanvallon, ibid., 1992, p 48

6 Gosta Esping-Andersen et Bruno Palier, Trois Leçons sur l’État-providence, Paris, Éditions Le Seuil, Collection la République des idées, 2008, p 12

7 Rosanvallon, op.cit., p 48. On peut donner une définition de la sociabilité en sociologie définie comme l’ensemble des relations sociales effectives, vécues, qui relient l’individu à d’autres individus par des liens interpersonnels et/ou de groupe.

8 Avec Esping-Andersen, Palier, propose trois leçons sur l’État-providence portant sur trois enjeux d’ « investissement », grands défis de l’État : 1/ Famille et révolution du rôle des femmes, 2/ Enfants et égalité des chances, 3/ Vieillissement et équité

(16)

perspective dynamique prenant en compte les trajectoires des individus, leurs aléas dans l’économie de la connaissance, et l’émergence de nouvelles inégalités entre les genres, les générations et les groupes sociaux propres aux sociétés post-industrielles »9. Ainsi selon Palier, « cette approche montre que les politiques sociales ne peuvent plus se contenter d’être des dispositifs d’indemnisation, mais qu’elles doivent porter une stratégie collective d’investissement social »10 en misant particulièrement sur les âges de la vie les plus précaires que sont l’enfance et la vieillesse et en donnant une place plus juste à la femme dans la société.

Notre seconde motivation découle naturellement de la première. Si comme nous l’avons avancé, le monde se complexifie et que corollairement les inégalités socio-économiques se diversifient davantage, nous pouvons nous poser la question suivante : quels sont les facteurs de la complexification de la société actuelle ? Notre réflexion se tournera prioritairement du côté de l’individu. Selon Rosanvallon, c’est d’ailleurs l’émergence de l’individu qui conditionne l’émergence d’une vision d’un État-protecteur (et encore plus d’un État- providence) : « Au départ, une reconnaissance intellectuelle décisive : celle du lien qui unit historiquement le développement de l’État à celle de l’individu »11. En effet, « pas d’État-protecteur pensable et possible sans l’émergence de l’individu comme catégorie politique et juridique »12.

L’égalité politique et juridique, base de l’Etat-protecteur devient alors problématique et prend encore un sens différent avec l’émergence de l’État- providence. L’État-protecteur s’était donné pour mission de promouvoir l’égalité des citoyens devant la loi. L’Etat-providence peut quant à lui être analysé comme un prolongement théorique et concret visant à égaliser les acquis égalitaires abstraits de l’État-protecteur. Dominique Schnapper voit l’État- providence comme un prolongement naturel : « Même si, cela va de soi, les révolutionnaires de 1789 n’avaient pas conçu le développement de l’Etat- providence, ce dernier est une conséquence, décalée dans le temps, de la proclamation de la nouvelle souveraineté et de l’égalité des citoyens »13. Selon l’auteure, « à terme, on ne pouvait faire de l’égalité politique et juridique le principe du lien social sans mener en même temps une action qui cherche à

9 Esping-Andersen et Palier, op.cit., 2008, p 6. C’est aussi une note de bas de page de Palier, p 12, très pertinente sur la responsabilité de l’État sur l’investissement social pour éviter les effets cumulatifs : « une enfance pauvre peut empêcher d’acquérir les compétences nécessaires pour entrer plus tard dans une carrière professionnelle bien rémunérée et protégée, processus qui peut entraîner des problèmes de précarité, lesquels déboucheront sur de basses retraites ».

10 Esping-Andersen et Palier, ibid., 2008, p 6. Selon l’auteur, « il s’agit de passer d’un État-providence essentiellement « infirmier », à un État-providence « investisseur » ».

Cette réflexion s’inscrit, à un autre niveau certes, dans la tension

correction/transformation de Nancy Fraser que nous allons présenter par la suite.

11 Rosanvallon, op.cit., 1992, p 44

12 Rosanvallon, ibid., 1992, p 44

13 Dominique Schnapper, La communauté des citoyens- Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, nrf essais, 1994, p 220

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rendre les conditions économiques et sociales moins inégales »14. Ainsi, l’Etat- providence devient « chargé de corriger les inégalités les plus criantes et de donner un contenu concret à la notion abstraite de la citoyenneté »15.

Et cela n’est pas sans poser de problème. Marc Sadoun par exemple postule qu’ « il n’y a pas d’intégration politique sans intégration sociale »16. Cette remarque accompagne la position de Schnapper et va dans le sens que nous voulons donner à notre recherche. Mais au-delà de ce postulat, Marc Sadoun, un peu pessimiste, ouvre malgré tout la discussion sur l’État-providence et son effet désintégrateur du lien social. Malgré sa bonne volonté affichée de réduire l’écart entre les plus riches et les plus pauvres et sa vocation à égaliser les conditions socio-économiques, l’Etat-providence échoue sur de nombreux points à remplir la mission qu’il s’était donné : « Un État qui se révèle impuissant à transformer l’individuel en collectif et ne dialogue qu’avec des individus consent à n’être plus que le réparateur du social »17. Pour lui, on assiste davantage à une crise civique que financière de l’Etat-providence avec une considération plus importante de l’individu que du citoyen18. Si ces justifications peuvent servir de point de départ, elles ne peuvent cependant pas limiter le propos à cela.

Pour cette raison, il nous apparaît essentiel de replacer la question de la nature de « cet individu » devenu catégorie politique et juridique au centre de toute la réflexion sur la justice sociale. Dans ce cadre, « notre individu », quelle que soit l’orientation théorique que l’on prendra, est ce que nous appellerons un individu bénéficiaire c’est-à-dire celui qui en tant qu’individu est bénéficiaire de la distribution des ressources socio-économiques19. Notre motivation est à cet

14 Schnapper, ibid., 1994, p 220

15 Schnapper, ibid., 1994, p 220

16 Marc Sadoun, L’individu et le citoyen, In Ardant Philippe, Duhamel Olivier, Guillaume Marc, (sous la direction de), L’État-providence, Paris, Editions Seuil, Collection Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques n°94, 2000, p 17

17 Sadoun, ibid., 2000, p 9

18 Sadoun, ibid., 2000, p 11 : Sadoun prend l’exemple de la France qui est son cas d’analyse. Selon lui quand ce qui est exigé dans le républicanisme mais aussi dans un certain libéralisme en terme d’engagement du citoyen dans l’espace démocratique disparaît, « le libéralisme n’est plus qu’un marché imparfait et déréglé, et la République un régime sélectif qui contredit ses principes : l’assisté coexiste avec le citoyen, les droits sociaux existent sans les devoirs politiques, les ajustements locaux se succèdent au coup par coup sans s’intégrer dans un projet global ». Au final, « l’État républicain qui se borne à travailler avec des individus sacrifie sa dimension communautaire, il renonce au citoyen pour ne considérer que l’individu. Il n’exige rien, il donne sans contrepartie ».

19 Catherine Audard, Qu’est-ce que le libéralisme ? – Ethique, politique, société, Paris, Gallimard, Collection Folio essais, 2009, p 417 : l’auteure détaille rapidement une notion proche de ce que nous nommons individu bénéficiaire. Audard parle de

« citoyens allocataires des droits sociaux et économiques » en établissant le lien avec l’État-providence auprès duquel ces citoyens allocataires font allégeance et dépendent de lui pour leur prospérité et leur bien-être. A notre sens, la notion de citoyen

allocataire est intéressante mais comporte une difficulté majeure. La notion de citoyen

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égard simple : elle consiste à prendre au sérieux la nature d’un bénéficiaire X d’une distribution Y. Et c’est peut-être là l’un des échecs de l’État-providence ; celui de ne pas avoir vu le changement idéologique et sociologique qui a animé le développement de la notion d’individu après les années soixante. C’est alors un individu plus libre, mais paradoxalement plus précaire qui a émergé (nous aurons l’occasion de commenter abondamment ce paradoxe) en tant que catégorie d’analyse sociologique. L’enjeu est donc d’assurer sa liberté, mais de réduire sa précarité20. Pour Pierre Rosanvallon, « l’Etat-protecteur doit se transformer en État-providence dans le moment même où s’affirme l’individu total »21. L’individu devient donc comme catégorie sociologique, la plus petite unité pertinente digne d’être analysée ce que nous nommerons par la suite la plus petite unité de sens moral.

Loin de répondre complètement à toutes les questions posées, nos deux motivations ainsi déclinées nous permettent d’entamer notre travail. Notre introduction aura pour but d’apporter des réponses ouvertes à deux questions essentielles : 1) comment dans un monde qui se complexifie, l’individu s’affirme comme unité minimale de sens dans toute sa diversité et s’inscrit dans le cadre de la justice sociale sur la réflexion autour de la nature d’un individu bénéficiaire ? Théoriquement, quelles sont les options ontologiques qui peuvent caractériser sa nature et la nature de sa relation à l’autre ? 2) Quelles sont les options pour caractériser une juste distribution des ressources ?

1-2-2 Exposition de notre problème

En somme, nous avançons l’idée simple pour le moment que pour penser une juste distribution des ressources, il est nécessaire primo, d’avoir une conception de l’individu qui situe la nature de l’individu bénéficiaire, et secundo d’envisager

allocataire apparaît à notre sens trop concrète et moins général (dans le sens de général et abstrait) qu’individu bénéficiaire. Or, nous avons la volonté de revenir à chaque fois que possible à plus d’abstraction dans notre réflexion théorique de base. En somme, le citoyen allocataire pourrait être une paramétrisation du principe d’individu bénéficiaire.

20 Nous citons ici un point de vue très éclairant de Palier In Esping-Andersen et Palier, ibid., 2008, p 12 : « De nouveaux risques de polarisation sociale apparaissent avec la transformation des économies, et notamment avec le développement d’emplois peu qualifiés et mal rémunérés. Pour faire face à ces nouveaux risques, Gosta Esping Andersen propose d’abandonner la perspective statique qui se contente de soulager les difficultés présentes des individus ou bien de maintenir les revenus perdus, pour adopter une perspective dynamique qui pense les problèmes sociaux en termes de trajectoire de vie : quels sont les investissements nécessaires aujourd’hui pour éviter d’avoir à indemniser demain ? Comment éviter les effets cumulatifs des handicaps sociaux tout au long de la vie ? Il s’agit de passer de politiques sociales réparatrices et compensatrices à une stratégie préventive fondée sur une logique d’investissement social ».

21 Rosanvallon, op.cit., p 45. Nous interprétons la « totalité » de l’individu comme une façon de dire que l’individu est seul devant ses responsabilités et constituant l’unité une et indivisible fondamentale de la société

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sur cette base qu’une distribution juste (les principes qui en découlent entre autres) ne peut que reposer que sur la définition précise d’un individu bénéficiaire. Nous n’avons pas vocation à dire qu’il n’existe qu’une conception et à la définir. Bien au contraire, ce débat est dynamique, tout comme l’est l’identité de l’individu. Nous serons donc amenés à donner des clés pour le définir en principe. En ce sens, si l’individu est une réalité psychologique et sociologique prise comme la plus petite unité d’analyse, l’individu devient quant à lui le concept qui lie l’individu et le type de distribution proposée sur le plan normatif.

Nous définissons par suite le problème auquel nous devrons répondre dans ce travail de cette manière :

Sur la base d’un individu bénéficiaire identifié comme étant une interprétation plus réaliste de l’individu réel, quelle proposition théorique pour distribuer les ressources socio-économiques apparaît comme une juste distribution adéquate ? En d’autres termes, nous devons sur la base d’un individu bénéficiaire plus réaliste proposer une juste distribution qui implique de donner la définition d’une distribution qui

« colle » au mieux (une distribution adéquate) à ce que représente l’individu bénéficiaire.

Et pour commencer, nous partirons, peut-être de façon surprenante, par une analogie avec le langage. Nous disons « surprenante », car il n’est pas courant de faire une telle analogie quand nous parlons de justice distributive. Le langage et sa construction cognitive nous amènent à faire des références sur le monde.

C’est dans ce sens que le philosophe François Recanati parle de théorie de l’esprit et du langage22. Notre travail n’est bien évidemment pas un travail linguistique. L’analogie constitue selon nous le moyen essentiel pour donner une autre direction à la réflexion sur la justice distributive. Commençons par expliquer pourquoi nous désirons faire recours à l’analogie et dans quel sens nous considérons l’analogie.

1-3 Le choix de l’analogie avec le langage

1-3-1 Généralités : qu’est-ce qu’une analogie ?

Pour argumenter sur notre choix de partir d’une analogie avec le langage pour une réflexion sur la justice distributive, nous devons dans un premier temps justifier notre méthode. L’analogie agit en tant que « moteur de la pensée »23 et permet à notre concept d’individu bénéficiaire de devenir le concept central, le médiateur entre l’individu réel et la distribution envisagé sur le plan normatif. Si nous décidons de recourir à l’analogie, c’est que nous pensons qu’il est pertinent d’opérer un transfert conceptuel des sciences du langage vers la théorie politique. Au-delà d’une simple intuition, nous affirmons qu’à travers une réflexion sur la nature de l’individu, il est impossible de faire l’économie d’une des plus grandes caractéristiques de l’être humain qui le différencie des autres

22 François Recanati, Philosophie du langage (et de l’esprit), Paris, Éditions Gallimard, Collection Folio essais, 2008

23 Sciences humaines, L’analogie moteur de la pensée, mensuel n° 215, mai 2010, p 37

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animaux, c’est-à-dire la faculté du langage. Ainsi, nous avançons l’idée que des concepts de la linguistique et de ce qui en découle sur le plan critique, il est possible de faire une analogie pertinente avec la théorie politique avec comme point commun essentiel les recherches sur la nature de l’individu et son identité.

Nous y reviendrons par la suite, mais nous devons dans un premier temps définir de façon précise l’idée du recours à l’analogie pour faire avancer ce débat philosophique sur la justice sociale.

Nous nous basons sur la réflexion pluridisciplinaire menée par Philippe-Robert Demontrond qui aborde la question de l’utilisation de l’analogie comme progrès dans la connaissance. Pendant longtemps, explique-t-il, les positivistes ont monopolisé en termes méthodologiques le progrès de la connaissance, bien que l’analogie avait été reconnue comme un principe d’intelligibilité, et ce depuis Aristote24. Selon Demontrond, l’analogie est utile dans le sens où elle permet de faire des transferts conceptuels, tentant d’importer les concepts d’une matière à l’autre. Ainsi l’analogie, qui partage à certains égards des points communs avec la métaphore, joue sur l’image pour rendre intelligible certaines notions. Cette façon de penser (contre les positivistes) envisage que l’avancement des idées ne peut pas se faire de façon cloisonnée ou isolée dans chaque champ disciplinaire.

L’analogie fonctionne alors de cette manière selon Demontrond : « l’analogie, selon Aristote, est ainsi une identité de proportions, de rapports »25. Elle « met en relation des groupes nominaux, assimile directement deux termes, A et B, par l’intermédiaire d’un outil syntaxique : « A est B » »26. Dans ce cadre, l’analogie est ce que l’on nomme une métaphore in absentia, « qui unit syntagmatiquement deux des quatre termes impliqués dans les rapports de proportion : si A/B = C/D, on peut dire que : « A est à B ce que C est à D ; mais aussi que « A est à C ce que B es à D » (…) »27.

Demontrond voit dans le raisonnement analogique des vertus essentielles et se prononce pour la réhabilitation de « l’exploitation des métaphores et des analogies en science »28. Pour lui, au plan gnoséologique (sur les sources de la connaissance), les analogies ont deux valeurs, didactique d’une part et heuristique d’autre part. Sur le plan didactique, l’analogie vise à éclaircir les idées, à faire comprendre le sens des idées en rendant une idée plus familière.

La valeur heuristique quant à elle, et ceci nous intéresse davantage, part du principe que l’image, la représentation, est aussi un moteur du progrès des connaissances. Ainsi, « la science ne progresse pas uniquement par induction ou déduction, par lente compilation, patiente, de données empiriques et suivi rigoureux de protocoles d’extrapolation des régularités observées pour la construction de lois à portée universelle, ou encore par de longs enchaînements d’inférences logiques, à partir d’axiomatiques soigneusement pesées »29. Mais

24 Philippe Robert-Demontrond, L’importation de concepts, Paris, Editions Apogée, Collection Méthodes de recherche en sciences humaines et sociales, 2005, p 21

25 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 17

26 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 17

27 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 17

28 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 19

29 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 21

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la « science progresse aussi par fulgurances, dans des rapprochements foudroyants de problèmes et de solutions, de questions nouvelles et de réponses anciennes »30. Sans avoir la prétention de parler de fulgurance dans le cadre de notre travail, l’idée de rapprocher deux programmes de recherches d’une part en linguistique et d’autre part en théorie politique, pourrait être considérée comme une piste pour une avancée significative.

L’analogie est aussi, au-delà du transfert conceptuel, un transfert sémantique.

En effet « la pensée créatrice requiert l’emploi de représentations figurées, d’images »31. Pour ce faire « elle procède par rapprochements soudains de champs différents ; elle est synthèse intuitive, saisie par l’imagination des champs sémantiques éloignés, et d’un coup rapprochés »32. Mais il faut prendre garde à l’utilisation de l’analogie et à son fort pouvoir représentatif et symbolique. Ce fut le cas de la métaphore de l’esprit comme une machine à calculer qui s’est imposé ensuite comme étant bien plus qu’une simple image, mais un programme de recherche33 qui impliquait l’idée souveraine que

« raisonner c’est calculer ».

Mais il est nécessaire de garder à l’esprit que n’étant qu’un rapport de proportions et non le résultat d’une égalité arithmétique, un énoncé analogique est littéralement faux34 par essence. Mais loin d’être une limitation, cet appel à la prudence dans l’utilisation des métaphores ou analogie invite à la rigueur et à la clarté avec lesquelles il est nécessaire de les énoncer. Affirmer que seul un énoncé littéralement vrai est légitime, d’autant plus dans les sciences humaines et sociales, pourrait constituer une erreur d’appréhension de la complexité du monde. Selon Demontrond, « affirmer que le seul discours scientifiquement légitime est celui littéral signifie que celui-ci peut épuiser la description du réel qu’il vise »35. Or ceci n’est pas une évidence, car « le réel est complexe ; les faits et phénomènes sociaux, en particulier, ne se laissent pas facilement capter »36. Il convient donc de garder en tête que l’analogie doit être rigoureusement traitée pour que leur pouvoir conceptuel puisse être éclairant et révélateur d’un progrès des connaissances.

30 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 21

31 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 23

32 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 23

33 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 36-37 : le pouvoir symbolique peut amener à lexicaliser les métaphores. Selon l’auteur, « en très peu de temps, le statut

épistémologique des concepts de calcul et de machine à calcul est alors passé de celui de représentations métaphoriques, au caractère essentiellement méthodologique, à celui de figures ontologiques- des catachrèses ».

34 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 39 et ss

35 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 30

36 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 30 : l’auteur ajoute : « Leur compréhension (par distinction de leur explication) est nécessaire. Ces faits et phénomènes relèvent effectivement de projets, de projections, d’une intentionnalité des acteurs- relèvent de la signification qu’ils donnent aux variables d’environnement contraignant,

subjectivement, leurs comportements. L’existence, l’importance de ces questions de sens, implique de travailler le pouvoir épiphanique des mots- de travailler leur pouvoir d’évocation ».

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Finalement, si le chemin sinueux que nous décidons d’entreprendre par l’analogie peut s’avérer comporter une part de risque, il est néanmoins, à notre sens, pertinent, car il permet d’opérer un transfert conceptuel de la linguistique à la théorie politique et d’éclairer de cette façon sous un jour nouveau la question de l’individu et de la distribution des ressources. Sa visée dans cet esprit-là est heuristique, « sans idée de butinage, sans idée de braconnage : mais avec méthode »37. Il convient à présent d’étayer particulièrement notre utilisation de l’analogie.

1-3-2 L’analogie avec le langage : une chance épistémologique

Nous postulons qu’il n’existe pas de hasard épistémologique entre le progrès des sciences du langage et celui de la théorie politique ces cinquante dernières années. Si les disciplines apparaissent à première vue relativement cloisonnées, ce n’est pas forcément par manque d’ouverture d’esprit des chercheurs, mais davantage parce qu’il y des tendances à l’hyperspécialisation des domaines de recherche et donc, par souci de pertinence, à la réduction des champs de réflexion. Nous voulons dire par le fait qu’il n’y a pas de « hasard épistémologique » que des intérêts nouveaux venus tantôt d’un changement sociétal, tantôt d’une réorientation des programmes de recherche à la suite à de nouvelles découvertes fondamentales permet de poser, au-delà de l’hyperspécialisation, des éléments d’organisation de la connaissance communs.

C’est à notre sens dans le cadre de notre recherche, l’émergence d’un changement sociétal avec le processus d’individualisation, dont s’emparent les chercheurs dans leurs branches respectives. S’ils semblent le faire de façon isolée, avec le recul et à travers l’analogie, il est possible de révéler une forme de dénominateur commun aux recherches depuis l’enclenchement de ce processus sociétal (en fait, il s’agit plus d’une continuité dans le processus d’individualisation ce que nous verrons plus tard avec l’apport de la sociologie).

Ce dénominateur commun est l’intérêt nouveau porté à la question de l’individualité, à la complexité de son raisonnement et à la capacité d’action de l’individu. En somme, la réflexion qui s’engage à l’intérieur de l’individu (les dynamiques endogènes) et à l’extérieur de l’individu (les dynamiques exogènes). Comment définir l’identité de l’individu, son moi, sa syntaxe, le fonctionnement de son esprit, sa rationalité, ses émotions, mais aussi la traduction de son identité dans la réalité, l’environnement qui l’entoure, son contexte…

Bruno Ollivier qualifie à cet égard le projet chomskyen38 de « fondamentalement humaniste et d’ordre anthropologique »39. Il ajoute dans sa définition de la grammaire générative que le programme de recherche chomskyen « pose l’existence des mêmes potentialités chez tous les êtres humains, quels que soient leur culture, leur sexe, leur milieu social et leur langue »40. Ainsi, « il vise

37 Robert-Demontrond, ibid., 2005, p 43

38 Chomskyen en référence à Noam Chomsky, initiateur du programme de recherche sur la grammaire universelle

39 Bruno Ollivier, Observer la communication, Paris, CNRS Editions, Collection CNRS Communication, 2000, p 45

40 Ollivier, ibid., 2000, p 45

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à dégager les conditions d’apprentissage, de mise en œuvre et d’usage de ces capacités, et à un niveau supérieur, à décrire les traits communs à toutes les grammaires qui décriront toutes ces langues »41. C’est bien le « principe d’une capacité de communication égale chez tous les êtres humains sans distinction de culture ou de classe sociale »42 qui prévaut dans la pensée de Chomsky. Son travail sur la grammaire générative prend dans ce sens des élans très universalistes, qui accompagne académiquement la période de libéralisation des mœurs dans les années 60/70, de recherche du bien-être et des revendications égalitaires comme le mouvement des droits civiques dans le contexte américain.

Ce même intérêt mobilise la pensée de John Rawls qui cherchera du côté de l’universalisme à proposer des principes de l’ordre de la grammaire générative pour assoir la justice sociale. Nous résumons deux enjeux à ce moment de notre présentation.

L’analogie avec les sciences du langage permet deux opérations distinctes : 1- sur le plan épistémologique, comme nous venons de le montrer, elle

nous permet d’opérer des rapprochements conceptuels, de réunir des préoccupations communes (la place prépondérante de l’individu dans notre recherche) traitées pourtant indépendamment,

2- sur le plan méthodologique, de promouvoir des changements dans la façon d’appréhender la théorie politique en observant les débats critiques dans les sciences du langage (c’est le cas du « minimalisme » chomskyen qui compte réduire le nombre de principes sous-tendant la grammaire universelle après une explosion conceptuel jugé trop

« touffu » et rendant l’édifice théorique moins pertinent) 1-3-3 La probabilité de Rawls

Nous entendons tout de suite donner écho à ce que nous venons de dire sur le projet chomskyen. Un élément dans la Théorie de la justice de Rawls en 1971 aurait pu paraître inaperçu. Il est pourtant révélateur de ce qui est en train de se passer dans la réflexion philosophique. Si Rawls le note au passage de sa réflexion, il est pour autant évident qu’il a bien conscience que sur le plan épistémologique d’une part (sur la question de la recherche sur l’individu et l’individualisation) et sociologique d’autre part (l’émancipation des individus dans la société, les revendications identitaires et/ou égalitaires partout dans le monde, la centralité des questions d’autonomie et de responsabilité, les vocables autour de la liberté…43), l’élément central de toute réflexion devient l’individu et sa relation à l’autre. Cet élément contient toute la problématique de l’accompagnement de ce nouvel individu dans son contexte. Le questionnement central devient par conséquent : quelle justice sociale pour quel individu ?44 L’effervescence intellectuelle sur cette question prend bien évidemment un

41 Ollivier, ibid., 2000, p 45

42 Ollivier, ibid., 2000, p 45

43 Rawls vit dans la société qui voit les droits civiques l’emporter sur le conservatisme et en tant que libéral ne peut qu’accompagner ce mouvement sur le plan philosophique.

44 La médiation du concept d’individu bénéficiaire nous donne l’angle pour répondre efficacement à cette question.

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tournant théorique moral et la question de l’égalité peut se retrouver autant dans une réflexion comme Rawls la mène dans la théorie politique que Chomsky, de façon décalée à première vue, dans la théorie linguistique. En effet, Chomsky tente de mettre en avant, comme nous l’avons envisagé, dans sa grammaire générative le caractère universel de l’acquisition du langage. Donc, la recherche d’une forme d’égalité entre les hommes, car chacun disposerait des mêmes principes linguistiques pour communiquer.

Nous avons nommé ce paragraphe « la probabilité de Rawls », car dans un passage très court, Rawls aborde par analogie avec la linguistique, mais sans trop de détails, cette proximité avec la réflexion que mène Chomsky. Il est important d’observer ce passage qui nous servira de fil conducteur et de socle à notre réflexion. Nous identifions deux temps : 1/ son parti pris pour une réflexion sur les principes et ce qu’ils doivent recouvrir et 2/ une analogie entre théories morale et grammaticale. Ainsi dans un premier temps selon Rawls, il faut

« formuler un ensemble de principes qui, complétés par nos croyances et notre connaissance du contexte, nous conduiraient à formuler ces jugements ainsi que les raisons qui les appuient à la condition d’appliquer ces principes en conscience et intelligemment »45. Rawls ajoute qu’ « une conception de la justice caractérise notre sensibilité morale quand les jugements quotidiens que nous faisons sont en accord avec ces principes »46. Et « ces principes peuvent être utilisés comme les éléments des prémisses d’un raisonnement qui mène aux jugements correspondants »47. Ainsi « nous ne comprenons pas notre sens de la justice tant que nous ne savons pas, d’une façon quelque peu systématique, couvrant une large gamme de cas, ce que sont ces principes »48. Dans ce premier passage, Rawls explique donc en quoi il est important que ce soit des principes qui puissent régir la société. Car sans principes, nous nous limiterions à une simple « liste de jugements »49.

Le second passage consiste en une analogie avec la grammaire : « Une comparaison utile peut ici être établie avec la description de notre sens de la grammaire vis-à-vis des phrases de notre langue maternelle. Dans ce cas, le but est de caractériser la capacité à reconnaître des phrases bien formées grâce à des principes clairement formulés qui établissent les mêmes distinctions que celles que l’on opère dans sa langue maternelle »50. Selon Rawls, « c’est une entreprise qui est connue pour exiger des constructions théoriques dépassant de loin les préceptes ad hoc de notre connaissance grammaticale explicite »51. Enfin et c’est ce que nous nommons « la probabilité de Rawls », « il est probable qu’une situation semblable règne dans la théorie morale »52. Nous prenons cette remarque au sérieux, car elle offre un point de départ à notre

45 John Rawls, Théorie de la justice, Paris, Editions Points, Collection Points essais, 1997, p 72

46 Rawls, ibid., 1997, p 72

47 Rawls, ibid., 1997, p 72

48 Rawls, ibid., 1997, p 72

49 Rawls, ibid., 1997, p 72

50 Rawls, ibid., 1997, p 72

51 Rawls, ibid., 1997, p 72

52 Rawls, ibid., 1997, p 72

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