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Un homme, c'est plus intimidant
COLLET, Isabelle, MENOTTI, Mathilde
Abstract
Les enseignantes sont-elles en déficit d'autorité par rapport à leurs collègues hommes ? Lieu commun sur lequel il est bien intéressant d'avoir le point de vue des élèves.
COLLET, Isabelle, MENOTTI, Mathilde. Un homme, c'est plus intimidant. Les Cahiers pédagogiques , 2011, no. 487
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28 Les Cahiers pédagogiques n° 487, février 2011
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« Un homme, c’est plus intimidant »
Isabelle Collet, Mathilde Menotti
Les enseignantes sont-elles en déficit d’autorité par rapport à leurs collègues hommes ? Lieu commun sur lequel il est bien intéressant d’avoir le point de vue des élèves.
Isabelle Collet met ensuite en perspective le travail mené par Mathilde Menotti dans le cadre de son master.
3 - Du côté des enseignants
de manière de faire respecter la disci- pline. Pour eux et elles, il y a un manque général d’autorité chez leurs ensei- gnants, autant chez les hommes que chez les femmes. Certains sont trop per- missifs et ne font pas suffisamment res- pecter les règles. Les adolescents n’ont pas fait de distinction d’autorité selon le sexe de leur enseignant, ils prenaient
D
ans le cadre de mon travail de fin d’études pour deve- nir enseignante en primaire à Genève, je me suis intéressée aux liens qui pouvaient exister entre l’auto- rité des enseignants et le genre, à tra- vers l’analyse des expériences, du vécu et du discours d’adolescents âgés de quinze à dix-huit ans. Je trouvais inté- ressant de leur donner la parole, car ils sont constamment confrontés à l’auto- rité professorale, possèdent une grande expérience scolaire et changent souvent de professeurs. Par les entretiens effec- tués avec eux, j’ai voulu savoir si ensei- gnants et enseignantes partaient égaux concernant leur autorité pour faire face à des élèves. Lors de mes stages univer- sitaires, j’ai pu entendre de nombreux discours stéréotypés véhiculés par les professionnels de l’enseignement : « les femmes sont obligées de crier davantage pour se faire entendre et respecter par les élèves », « toi, tu auras la classe des plus grands parce que tu es un homme et c’est donc plus facile. », « tu es de petite taille, alors il faudra trouver unefaçon de t’imposer », « un homme, c’est plus intimidant ». En tant que future enseignante, je me suis demandée si, en terme d’autorité, hommes et femmes partaient égaux aux yeux des élèves.
Prégnance des stéréotypes Dans un premier temps, lors de l’entre- tien, les interviewés ont parlé de leurs professeurs en général, de leur autorité,
chacun d’eux comme une personnalité, une entité qui possède son mode pro- pre de fonctionnement. Cependant, certains stéréotypes de sexe émergent spontanément lorsqu’ils parlent de l’autorité de leurs professeurs et don- nent des exemples, qui montrent l’an- crage du genre. Ils disent par exemple que les garçons sont plus forts que les filles, que les filles sont plus jalouses, que la femme possède une image plus maternelle. Ces propos montrent l’in- tériorisation des rôles sociaux de sexe chez les adolescents et les distinctions
qu’ils font entre les comportements dits féminins et ceux dits masculins.
Par la suite, je leur ai demandé s’il est plus facile pour un homme que pour une femme d’avoir de l’autorité. Tous les adolescents ont mis un certain temps pour répondre, ce qui signifie tout d’abord que, pour eux, la réponse n’est pas évidente. Cinq répondent « non » et
Les adolescents n’ont pas fait de distinction d’autorité selon
le sexe de leur enseignant, ils prenaient chacun d’eux comme
une personnalité, une entité qui possède son mode propre
de fonctionnement.
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gnant, qui aura donc une conséquence sur leur comportement. Ils vont être plus détendus et plus « perturbateurs » quand ils voient une femme qui s’ap- proche et plus intimidés, plus « calmes » si c’est un homme. Cependant, ils rela- tivisent leurs propos en disant que cha- que enseignant a son propre style et cette attente stéréotypée peut être cas- sée par le premier contact. Pour eux, si l’enseignant, que ce soit une femme ou un homme, énonce les règles et sanc- tionne à la moindre transgression, il arrivera à se faire respecter. Une adoles- cente m’a dit en parlant d’une profes- seure : « si derrière sa petite carrure c’est un ogre et bien elle se fera écouter. »
Mathilde Menotti Étudiante en master de sciences de l’éducation, université de Genève
les trois autres, dans un premier temps,
« oui ». Le premier groupe, répondant
« non », pense qu’il n’est pas plus facile pour un homme que pour une femme d’avoir de l’autorité. Ils connaissent l’existence des stéréotypes au sujet de l’autorité et comprennent l’impli- cite de la question. C’est pourquoi pour étayer leur réponse, les adoles- cents vont avoir recours à des exemples contre-stéréotypés. Une élève dit par exemple qu’elle peut avoir un profes- seur cool et une enseignante très stricte.
Ces propos montrent qu’elle sait bien qu’une femme est supposée posséder une image plus « cool », plus « sympa » qu’un homme et que ce dernier incarne davantage l’image de la sévérité et de l’autorité.
Des généralisations trompeuses ? Les adolescents qui répondent d’abord
« oui », de manière intuitive, vont
ensuite revenir sur leur réponse en disant « non ». Leur « oui » était d’abord influencé par un de leurs professeurs dont l’attitude et l’apparence allait dans le sens des stéréotypes. Par exemple, un adolescent cite un enseignant de mathé- matiques, barbu, costaud et possédant une grosse voix qui arrive très bien à se faire respecter et une enseignante de biologie jeune, frêle, qui n’arrive pas à se faire obéir et à faire respecter les règles. Mais cet adolescent revient ensuite sur sa réponse, car, en réfléchis- sant, il se rend compte qu’il a également une enseignante possédant une grande autorité. Il finit donc par dire qu’il n’est pas plus facile pour un homme que pour une femme d’avoir de l’autorité.
Les adolescents, à la suite de cette ques- tion, font allusion au fait que lors de la première rencontre, ils ont des atten- tes différentes selon le sexe de l’ensei-
« Les jeunes ne respectent plus rien ! » Platon s’en plaignait déjà…
Cet ancestral lieu commun est souvent accompagné par son corolaire : les enseignants n’ont plus d’autorité sur les élèves. La légende de « l’autorité naturelle », celle qui serait innée, refait parfois surface et on discute alors qui « l’a » et qui « ne l’a pas ».
Conséquence logique de cette croyance, la question de l’autorité des enseignantes est régulièrement posée. Dans la vision nostalgique de l’école « à l’ancienne », c’est la figure paternelle qui incarne l’autorité.
Cette « nouvelle » école, dans laquelle de nombreuses femmes enseignent, a-t-elle les moyens d’être suffisamment autoritaire ?
Une question d’actualité ? Dans le dossier « Filles et femmes à l’école » des Cahiers pédagogiques paru en 19791, un recueil de témoignages intitulés
« Femmes, discipline, autorité » aborde ce thème. Les femmes ne sont plus cantonnées en primaire ou en pré-élémentaire, et les enseignantes, jeunes ou moins jeunes, font face à des remises en cause de la part de leurs collègues ou de la hiérarchie. Bien sûr, certaines essuient des remarques sexistes en classe… Mais les hommes sont-ils pour autant épargnés ? Vingt ans plus tard, le dossier « Filles et femmes à l’école II2 » n’aborde plus la question. Les femmes sont-elles suffisamment bien installées dans le secondaire pour que la question semble saugrenue ?
Aujourd’hui, cette question revient, remise au gout du jour : les enseignantes ont-elles suffisamment d’autorité pour se faire obéir des jeunes garçons issus de cultures patriarcales3 où les femmes sont méprisées4 ? On peut discuter longtemps sur les fondements de cette phrase et sa possible récupération raciste. Néanmoins, là encore, c’est du côté des femmes que l’on situe le manque, et donc finalement, une des causes du dysfonctionnement de l’école d’aujourd’hui.
Du côté des élèves
L’enquête que nous rapporte ici Mathilde Menotti présente l’originalité de se placer du côté des élèves. Si certains adultes
mettent en doute la capacité des femmes à faire preuve d’autorité en classe, qu’en est-il des adolescents ?
Nous allons voir que même si les adolescents connaissent bien les stéréotypes sexués, attribuant l’autorité aux hommes, ils et elles reconnaissent après un temps de réflexion que c’est le style du ou de la prof qui fait son autorité et non son sexe. En somme, un homme, grand, costaud à la voix qui porte bénéficiera, grâce à la prégnance de ces stéréotypes, de cinq minutes d’avance, guère plus. Pour autant, la multiplicité des contrexemples ne permet pas à ces adolescents de rejeter le stéréotype : les quelques exemples d’enseignants et d’enseignantes conformes à la perception genrée de l’autorité, même s’ils sont minoritaires, sont les plus prégnants et semblent suffire pour permettre au stéréotype de perdurer.
Isabelle Collet Chargée d’enseignement à l’Institut universitaire
de formation des enseignants (IUFE) de Genève
1 N°178-179, novembre-décembre 1979.
2 N°372, mars 1999.
3 Sous-entendant par la même occasion que notre culture, moins
« archaïque » aurait résolu le problème.
4 Pour les nostalgiques de l’école des hussards de la république, nous conseillons la lecture du Temps des secrets de Marcel Pagnol et la description de diverses « incivilités » organisées par Marcel et ses copains au Lycée Thiers de Marseille, dont tous les enseignants étaient pourtant des hommes, et tous les élèves des petits blancs, souvent issus de la classe moyenne.
De la force des stéréotypes
3 - Du côté des enseignants