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La professionnalisation des enseignants en formation initiale : analyses didactiques des gestes professionnels en développement

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La professionnalisation des enseignants en formation initiale : analyses didactiques des gestes professionnels en développement

MILI, Isabelle, et al. & Fonds national suisse de recherche

Abstract

En Suisse, pour être considéré comme un professeur d'instrument ou de chant professionnel, un musicien doit faire valoir des compétences acquises dans des études spécialisées. Le Master of Arts in Pedagogy, par exemple, est garant d'une formation spécifique et est exigé pour enseigner dans les écoles de musique subventionnées par l'Etat. Délivré par les Hautes écoles de musique, ce diplôme fournit quelques clés du processus de professionnalisation des enseignants de musique: le plan d'études prévoit notamment des cours de didactique, des stages ou encore l'élaboration d'un mémoire traitant d'un sujet pédagogique. Mais le processus de professionnalisation «en actes», qui contribue à transformer un étudiant en professionnel laisse des zones d'ombre... En d'autres termes, l'action conjuguée des acteurs de cette professionnalisation n'a pas encore été décrite de façon systématique, en partant des pratiques effectives. La traduction, dans les faits, des prescriptions des plans d'études, nous a semblé intéressante à explorer, voire indispensable à aborder. Comment les professeurs de [...]

MILI, Isabelle, et al . & Fonds national suisse de recherche. La professionnalisation des enseignants en formation initiale : analyses didactiques des gestes professionnels en développement . Genève : Fonds national suisse de recherche, 2016, 63 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:131871

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1

la professionnalisation Des enseignants en formation

initiale

R

APPORT DE RECHERCHE

ANALYSES

DIDACTIQUES

DES GESTES

PROFESSIONNELS EN

DÉVELOPPEMENT

(3)

2 3

Isabelle Mili, René Rickenmann, Catherine Grivet-Bonzon, Marianne Jacquin Francisco Mãrquez, Stefan Bodea, Gaël Thivolle: Université de Genève

Isabel Martin-Balmori: Université de Genève & Conservatoire de Musique de Genève Cristina Bellu: Haute école de musique de Lausanne (hemu), Conservatorio della Svizzera Italiana, Scuola Universitaria di Musica (CSI-SUM) & Conservatoire à Rayonnement Départemental de Musique de Mulhouse

Anne Bassand: Haute école de musique de Genève (hem)

Silke Sabine Schmid, Peter Knodt, Vincent Providoli et Günter A. Buchwald: Haute école de musique de Bâle

avec la participation de:

Mayumi Kameda et François Abeille: Haute école de musique de Genève (hem) Frédéric Meyer de Stadelhofen: Haute école de musique de Genève (hem) et Haute école de musique de Lausanne (hemu)

Christine Morard: Institut Jaques-Dalcroze de Genève (hem)

Barbara Zanichelli: Scuola universitaria di musica della Svizzera italiana (SUPSI) Laszlo Buettler, Sebastian Goll et Stefan Häussler: Haute école de musique du nord- ouest de la Suisse (FHNW)

Iris Haefely: Haute école des arts de Berne, Section musique Céline Marleix-Bardeau: Université de Genève

Université de Genève mars 2016

la professionnalisation Des enseignants en formation

initiale

ANALYSES DIDACTIQUES DES GESTES PROFESSIONNELS EN DÉVELOPPEMENT

(PrOJet FNs reQUÊte NO 100019-156730)

R

APPORTDERECHERCHE

(4)

4 5

t a b l e d e s m a t i è r e s

Devenir professeur D’instrument ou De chant…

objectif et structure Du rapport Objectif

Structure

1. enjeux et apports Du projet fns (requête no 100019-156730)

1.1 Principaux apports de l’étude (présentation synthétique) 1.2 Apports concernant le système de formation

1.3 Apports concernant le système d’enseignement

1.4 Apports méthodologiques concernant l’analyse didactique des pratiques 2. problématiques et questions De recherche

2.1 L’étude du geste de définition comme entrée dans l’identification des savoirs

2.2 La déclinaison de la problématique centrale à travers les principales thématiques de recherche

3. moDèles professionnels sous-jacents aux pratiques De transmission Des savoirs musicaux

3.1 Du «comment» du «faire» à la reflexion sur les modèles professionnels 3.1.1 La professionnalisation par l’imitation quotidienne et assidue du maître 3.1.2 L’improvisation comme apprentissage de «liberté» et «source d’inspiration du compositeur»

3.1.3 La corporéité au centre des apprentissages instrumentaux 3.1.4 Manières d’écouter, profils d’auditeurs

3.1.5 La professionnalisation par et dans l’expérience musicale

3.2 Démarche de modélisation de l’agir professionnel du formateur 3.2.1 Généricité des modèles du travail enseignant

3.2.2 Démarche de modélisation

3.2.3 Définir le concept de «modèle professionnel»

3.2.4 Cadre théorique: vers une définition opérationnelle des concepts de «modèle»

et de «développement professionnel»

3.2.5 Les indices de professionnalisation, un défi théorique et épistémologique 4. méthoDologie De recherche

4.1 L’approche qualitative couplée à l’approche quantitative 4.2 L’activité de codage

4.3 Rôle des analyses descriptives 4.4 Volet qualitatif

4.5 Volet quantitatif

5. analYses

5.1 Technique et interprétation, un binôme

5.1.1 Contenus et stratégies didactiques chez les enseignants débutants en

didactique de l’instrument

5.1.1a Les deux topoï des savoirs interprétatifs

5.1.1b L’enseignement de l’interprétation et de la technique instrumentale 5.1.1c Traitement des données

5.1.2 Quelques exemples d’instrument

5.1.2a Violoncelle: les contraintes imposées à l’enseignant par les instruments non tempérés

5.1.2b Harpe: l’œuvre comme source des apports techniques

5.1.2c Violoncelle: l’interprétation comme rapport personnel au jeu instrumental 5.1.3 Conclusion de l’analyse qualitative: Définir des milieux pour l’enseignement de la technique et de l’interprétation

5.1.4. Chant: des techniques du corps et de l’expression 5.2. La corporéité

5.2.1 Le corps, outil pour enseigner et objet d’enseignement au centre du processus de formation

5.2.1a Ancrages théoriques 5.2.1b Méthodologie

5.2.1c La dimension spatiale de l’expérience des corps 5.2.1d Le corps comme objet d’enseignement des techniques 5.2.1e La sensation au service de l’interprétation

5.2.1f La corporéité dans les enseignements et la formation en rythmique «Jaques Dalcroze»

5.2.2 Résultats

5.2.3 La construction de la corporéité technique en chant et en piano 5.2.4 En guise de conclusion du chapitre

5.3. La place de la planification dans les enseignements des étudiants et les feedbacks des formateurs

5.3.1 L’analyse conduite en didactique du chant 5.3.1a Outils méthodologiques

5.3.1b Résultats

5.3.2 L’analyse conduite en didactique de la harpe 5.3.3 L’analyse conduite en didactique des cuivres

5.3.4 L’analyse conduite en didactique de la rythmique dalcrozienne 5.4 Les devoirs à la maison sous l’angle de la professionnalisation 5.4.1 Ancrage théorique

5.4.2 Objectif des analyses 5.4.3 Eléments méthodologiques

5.4.3a Les devoirs en tant qu’outils de développement de l’élève/de l’étudiant 5.4.3b Catégories d’analyse spécifiques à l’approche didactique des devoirs à domicile

6. au terme De cette étuDe...

7. bibliographie Accès aux données de recherche:

https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/donnees/professionnalisation-enseignants/

(5)

6 7

Devenir professeur D’instrument ou De chant…

En Suisse, pour être considéré comme un professeur d’instrument ou de chant professionnel, un musicien doit faire valoir des compétences acquises dans des études spécialisées. Le Master of Arts in Pedagogy, par exemple, est ga- rant d’une formation spécifique et est exigé pour enseigner dans les écoles de musique subventionnées par l’Etat. Délivré par les Hautes écoles de mu- sique, ce diplôme fournit quelques clés du processus de professionnalisation des enseignants de musique: le plan d’études prévoit notamment des cours de didactique, des stages ou encore l’élaboration d’un mémoire traitant d’un sujet pédagogique. Mais le processus de professionnalisation «en actes», qui contribue à transformer un étudiant en professionnel laisse des zones d’ombre…

En d’autres termes, l’action conjuguée des acteurs de cette professionnalisation n’a pas encore été décrite de façon systématique, en partant des pratiques effec- tives. La traduction, dans les faits, des prescriptions des plans d’études, nous a semblé intéressante à explorer, voire indispensable à aborder.

Comment les professeurs de didactique s’y prennent-ils pour assurer et conduire le développement professionnel de leurs étudiants?

Comment tentent-ils d’en faire des pédagogues autonomes?

C’est à partir de ces questions que nous avons élaboré un projet de recherche dont nous livrons les principales étapes et les résultats dans le présent rapport.

Pour traiter ces questions, nous avons fait un choix méthodologique très parti- culier… Nous nous sommes inscrits dans un courant: la modélisation de l’agir professionnel. De quoi s’agit-il?

Ces trente dernières années, rien n’a semblé échapper à la modélisation – et, partant, à la codification – de l’agir professionnel. Sans emphase, on peut avancer que la modélisation de phénomènes scientifiques ou humains a révolutionné les méthodologies de recherche! Les tsunamis, les éruptions volcaniques et autres catastrophes naturelles, mais aussi la disparition d’espèces animales ou les popu- lations atteintes par telle ou telle maladie ont fait l’objet de modèles statistiques.

Le but étant bien sûr de comprendre les phénomènes concernés, mais aussi de suivre, et surtout de prédire leur évolution, Même le sport a été touché! A cet égard, le film de Bennett Miller (2011) «Moneyball» («Le stratège», en français) fournit une excellente approche de la codification de l’agir professionnel, même s’il traite… de baseball! Ce film est basé sur l’histoire vraie d’un manager des Oakland Athletics, qui cherche à constituer une équipe compétitive en dépit de difficultés financières… Et pour cela, il passe par la codification de l’agir profes- sionnel de joueurs de base-ball externes ou internes à son équipe.

Comme Billy Beane, le manager en question, nous avons codifié des gestes professionnels effectués dans un contexte «ordinaire», qui existe indépendam- ment du chercheur. Mais contrairement à Billy Beane, pour qui l’argent et le gain étaient l’objectif visé, notre objectif est de comprendre ces pratiques «ordinaires»,

ou «effectives»… Comprendre leur logique interne et leur fonctionnement, dans le processus de professionnalisation des futurs professeurs d’instrument et de chant. Une compréhension qui passe par la collaboration avec les acteurs pro- fessionnels. Parmi celles et ceux qui nous ont ouvert leur porte, certains se sont essayés au codage et à l’analyse des pratiques observées. La distance favori- sant l’objectivité, nous avons toutefois estimé qu’il valait mieux ne pas être le

«codificateur» de ses propres pratiques. Cependant, à tout moment, chaque acteur de la formation a pu s’enquérir de l’état d’avancée de la recherche et intervenir, s’il le souhaitait.

Un immense merci à ces formateurs et toute notre gratitude aux institutions de formation, qui nous permettent d’explorer de concert la nature des pratiques effectives en formation des enseignants de musique!

objectif et structure Du rapport OBJECTIF

Le présent rapport est le reflet d’un travail collaboratif effectué entre 2014 et 2016. Il a engagé, d’une part, des professeurs de didactiques instrumentales et vocale des Hautes écoles de musique (hem) de Genève, Berne, Lugano et Bâle et leurs étudiants, et d’autre part, des chercheurs du laboratoire DAM (Didac- tique des arts et du mouvement) de l’Université de Genève. La collaboration entre les professeurs et les chercheurs fut soutenue et enrichissante, et nous espérons que le contenu de ce rapport permettra d’en rendre compte sous au moins trois angles:

• celui de la récolte des données empiriques, une récolte volumineuse, com- portant 104 vidéoscopies, soient 57 leçons et respectivement 47 séances de feedback filmées1. Ces chiffres en disent long non seulement sur la disponi- bilité et le désir de coopération des professeurs concernés, mais aussi sur leur intérêt pour notre projet de recherche, une des conditions essentielles de tout travail de recherche collaboratif;

• celui des logiques d’enseignement et / ou de formation, mises en évidence grâce à des outils de recherche spécifiques aux didactiques des arts. Ainsi que nous le verrons au fil des pages de ce rapport, le principal bénéfice de notre étude pour les enseignants qui ont accepté d’être filmés, observés et analysés, est la mutualisation

- de méthodologies de recherches en didactique disciplinaire et

- de démarches d’analyse clinique permettant le décryptage de processus de formation professionnelle.

• enfin, la dissémination de cette recherche, dans des manifestations scienti- fiques réunissant chercheurs et collaborateurs à la recherche.,

Nous avons soigneusement défini notre objet. Il s’agit, pour nous, de déceler des phénomènes relatifs à la professionnalisation difficilement décelables au prime abord.

1 l’ensemble de ces données est accessible sur le site de l’équipe dam (didactique des arts et du mouvement, Université de Genève), en suivant le lien: https://www.unige.ch/fapse/dam/recherche/

donnees/professionnalisation-enseignants

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8 9 Pourquoi? Parce que nous avons fait le choix de mettre sous la loupe des pra-

tiques effectives, c’est-à-dire des situations ordinaires d’enseignement, qui existent indépendamment de toute recherche. Des cours de didactique instrumentale ou vocale inscrits dans des plans d’études de Master, dans lesquels se déroulent notamment des leçons données par les étudiants musiciens à un élève novice, en présence d’autres étudiants et sous la supervision du professeur de didactique.

Un contexte qui paraît «naturel» à beaucoup d’acteurs et d’observateurs, dès lors qu’il est pérenne et communément partagé. Toutefois, un contexte «naturel»

n’est pas nécessairement lisible quant à ce qui le structure.

L’analyse didactique que nous avons effectuée a notamment débouché sur une modélisation des pratiques de formation à l’enseignement musical, vues sous l’angle des cultures professionnelles qu’elles véhiculaient. Cette importante en- treprise s’est essentiellement appuyée sur l’étude minutieuse de cinq domaines d’observables (que nous passons ici rapidement en revue, mais sur lesquels nous reviendrons en détail dans la partie consacrée à la méthodologie):

• les types d’activités / tâches proposées par les étudiants à leurs élèves (exer- cices de détente corporelle ou d’échauffement vocal ou instrumental; exer- cices techniques, en lien ou non avec l’œuvre musicale convoquée; lecture de partitions ou de textes; interprétation de l’œuvre-partition; écoute; improvi- sation…) et leurs enjeux d’apprentissage, déclarés ou implicites;

• les milieux d’étude mis en place par les étudiants dans le cadre de leurs dis- positifs d’enseignement, ou par les formateurs lors de leurs feedbacks ou cours collectifs, avec leurs différentes ressources sémiotiques (matérielles, discursives, corporelles, musicales, iconiques);

• les types de savoirs ou savoir-faire (savoirs à enseigner et/ou savoirs pour enseigner), négociés et/ou construits à travers les leçons des étudiants ou les feedbacks des formateurs;

• les référentiels (institutionnels, expérientiels…) convoqués (le plus souvent de manière implicite);

• les effets de formation / professionnalisation détectables dans les pratiques d’enseignement des étudiants.

structure

Le rapport est structuré en six grandes parties.

• Nous exposerons brièvement le contexte et les enjeux du projet (notamment l’intérêt qu’il présente pour les diverses collectivités concernées). Puis nous présenterons de manière relativement synthétique les principaux résultats de recherche, en examinant ce que chacun des sous-groupes de l’équipe a trouvé. Les perspectives qui s’ouvrent au vu de ces résultats, en didactique de la musique, seront évoquées.

• La problématique de départ et les questions de recherche à partir desquelles nous avons travaillé permettront au lecteur de saisir dans quel système, dans quel rayon d’action et dans quel espace cette recherche se situe. Nous y avons balisé le champ de nos investigations et désigné les outils qui nous permettront, selon nous, de l’arpenter en didacticiens – c’est-à-dire en nous intéressant à ce qui s’enseigne, à comment c’est enseigné et à ce qui se construit – ou pas – grâce aux acteurs, aux interactions, aux milieux, aux modèles d’enseignement et de professionnalisation… Il s’agit d’adopter des points de vue résolument didactiques et de prendre nos distances d’avec le sens commun. Car, à l’instar de beaucoup de phénomènes de transformation humains, le processus qui conduit d’un état (plus ou moins novice) à un autre (plus ou moins expert) ne se donne pas à lire spontanément.

• Dans la partie théorique, nous présenterons (i) les cadres nécessaires à nos approches des processus de professionnalisation des enseignants de musique en formation initiale en Suisse, mais aussi et surtout (ii) nos apports théori- ques, alimentés par les travaux de nos prédécesseurs et de nos contemporains, dans une revue de la littérature scientifique passée au filtre de nos observa- tions. Une attention particulière sera accordée aux modèles professionnels que laissent entrevoir les pratiques d’enseignement et de formations analysées.

• Dans la partie méthodologique, nous décrirons essentiellement la construction des outils (quantitatifs et qualitatifs) d’analyse didactique des pratiques d’ensei- gnement et de formation observées. La construction des indices de profession- nalisation et les démarches de leur analyse didactique, à travers les différents systèmes d’observables y occuperont une place privilégiée.

• La partie la plus dense du présent rapport sera consacrée aux analyses et à la présentation détaillée de la culture scientifique que nous avons construite à travers elles, et de nos apports les plus importants au patrimoine de re- cherches qui traitent de la professionnalisation des enseignants de musique en formation initiale, dans une perspective didactique.

• La partie conclusive, quant à elle, entend aller au-delà de la présentation des grandes classes de conclusions de nos recherches, pour décrire la princi- pale perspective de recherche à l’horizon de ce projet soutenu par le FNS.

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10 11 Le projet qui a donné lieu à notre recherche fut élaboré à un moment

où on peut encore constater le nombre réduit de recherches effec- tuées sur les aspects didactiques de la formation à l’enseignement instrumental et vocal (depuis la grande réforme du système des Hautes Ecoles spécialisées (HES), amorcée en 1998 et achevée après 2010).

Dans cette perspective, la contribution de l’ensemble des recherches que nous avons menées dans le cadre de ce projet peut être décrite comme un apport didactique à l’analyse de la professionnalisation des enseignants de musique en formation initiale.

1. contexte et enjeux

Du projet

soutenu par le FNS (REQUÊTE NO 100019-156730)

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12 13 12

L’état des lieux en matière de recherches sur les aspects didactiques de la for- mation des enseignants de musique montre que la professionnalité a été abor- dée plutôt sur le versant de l’explicitation de l’identité professionnelle par les acteurs concernés2 que sur celui de l’analyse didactique de pratiques d’ensei- gnement in situ.

Aussi le projet s’est-il consacré aux enseignements de didacticiens de la musique des Hautes Ecoles de Musiques (HEM) de Genève, Lausanne, Bâle, Lugano et Berne, enseignements appréhendés comme susceptibles d’éclairer l’évolution récente de la formation des formateurs et la nature de l’évolution des dispositifs.

Nos recherches s’inscrivent dans le champ de l’analyse didactique des pratiques enseignantes dans les formations supérieures à visée professionnalisante; en particulier, dans le cadre des études sur les processus de tertiarisation du sys- tème des Hautes écoles. Nous cherchons à déceler la manière dont émergent, sont formalisés et sont transmis des savoirs experts3 concernant la formation didactique des enseignants. Il s’agit de saisir comment se manifeste l’expertise didactique disciplinaire des formateurs et comment se construit celle des futurs enseignants d’instrument ou de chant.

Par rapport aux travaux de recherche déjà réalisés dans le cadre de cette pro- blématique, l’originalité de ce projet consiste dans le fait de s’appuyer, pour l’analyse, sur:

• un corpus empirique ayant fait l’objet de peu d’études. L’expertise des forma- teurs en didactique instrumentale ou vocale est, par certains aspects, proche de celle du «praticien-expert», dans la mesure où la nomination de ces for- mateurs se base sur leur expertise professionnelle comme musiciens et comme enseignants de musique. En même temps, la pratique professionnelle de ces musiciens-formateurs n’est pas simplement le fruit de conceptions et de pratiques pédagogiques héritées, imitées et transférées aux situations de formation.

• un cadre théorique didactique, relatif à l’activité didactique d’enseignement dans un contexte disciplinaire. Ce qui implique d’inclure dans le champ- même de l’exercice du métier, des conceptions et des pratiques liées à la transmission des savoirs (Merchán, 2013; Mili, Rickenmann, Merchán Price &

Chopin, 2013). En effet, une particularité marquante de l’approche didacti- que est celle de découpler analytiquement les savoirs à enseigner des savoirs pour enseigner, mais sans les cloisonner dans des domaines disciplinaires différents (la discipline de référence pour les premiers, la pédagogie pour les seconds).

• une méthodologie mixte. La revue de la littérature a montré qu’en majorité, les recherches sont de nature qualitative et mettent en évidence la variété et la complexité des éléments en jeu dans les systèmes didactiques. Mais, comme le soulignent Bru, Altet et Blanchard-Laville (2004), ces recherches abordent plus rarement la façon dont ces éléments et ces processus sont – ou ne sont pas – en relation.

Savoirs à enseigner / pour enseigner

L’approche didactique de notre projet se justifi e par la nécessité de décrire les articulations, entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner (Hofs- tetter & Schneuwly, 2009)4. Les savoirs à enseigner étant de nature «savante», scientifi que, technique… Et les savoirs pour enseigner relevant de la pédago- gie, de la didactique, de la psychologie… Ceci dans des domaines de formation supérieure où de nombreux formateurs se forment «sur le tas», à partir d’ex- pertises qui sont certes reconnues, mais pas nécessairement spécifi ées.

Certes, le renouveau des recherches dans des champs comme la pédagogie universitaire (De Ketele, 2011) apporte des éléments de réponse sur les proces- sus de formation (Coulon et alii, 2004; Lindblom-Ylänne et alii, 2006), notam- ment en explorant la fi gure de «l’enseignant-chercheur» typique des forma- tions universitaires. Mais ces mêmes études mettent en évidence les limites, en termes de qualité de l’enseignement, de l’articulation «recherche académique vers pratiques de formation». Dans le système HES, nous assistons souvent à des situations dans lesquelles le processus de transfert de compétences est inversé: les enseignants sont souvent promus «didacticiens pour la formation des enseignants» à partir de l’hypothèse d’un transfert des «pratiques profes- sionnelles d’enseignement» vers des «pratiques académiques de formation».

Il nous faut donc:

• décrire les processus sous-jacents d’éventuels transferts d’expertises d’ensei- gnement vers la confi guration d’expertises de formation, en termes de savoirs à enseigner et de savoirs pour enseigner;

• analyser la reconfi guration, en termes de transpositions didactiques, des sa- voirs à enseigner;

• formaliser des savoirs pour enseigner qui émergent au sein des pratiques de formation, ceci compte tenu de l’absence de formations spécifi ques à la fonction de formateur.

2 Cf. par exemple, le Colloque international sur les identités professionnelles des professeurs de mu- sique, tenu en décembre 2014 au Conservatoire national supérieur de musique (CNsm) de Paris (http://www.conservatoiredeparis.fr).

3 au sens de Johsua (1996). Le concept de transposition didactique n’est-il propre qu’aux mathé- matiques? in C. raisky et m. Caillot (eds), au-delà des didactiques, le didactique. débats autour de concepts fédérateurs. Perspectives en éducation. de boeck université, pp. 61-74

4 Hofstetter & schneuwly (2009) placent les savoirs au centre des «professions de l’enseignement et de la formation» et distinguent entre «les savoirs à enseigner» et «savoirs pour enseigner», les pre- miers constituant «les objets» du travail des enseignants–formateurs, et les seconds «les outils de leur travail» (pp.17-18).

(9)

14 15

1.1 principaux apports De l’étuDe (présentation sYnthétique)

Les analyses (notamment qualitatives) du processus de professionnalisation des enseignants de musique ont pu mettre en évidence le rôle primordial du «ma- gister». Autrement dit, le principal référentiel qui émerge dans les dispositifs de formation est la relation au magister (ici le formateur en didactique instru- mentale ou vocale), à travers les savoirs qui structurent son expérience (savoirs

«construits dans l’expérience», cf. Vanhulle, 2009, p. 248) ou «savoirs empi- riques» (Mialaret, 2011). La professionnalité se construit donc comme trans- mission in situ d’outils disciplinaires et didactiques (i.e. «savoirs à enseigner» et

«savoirs pour enseigner»), processus s’appuyant essentiellement sur les savoirs experts des formateurs. Si la principale source de ces savoirs semble être l’ex- périence empirique, une autre source, en revanche, est la sédimentation des pratiques (cf. Dolz & Schneuwly, 2009) propre à la forme scolaire (Eliou, 1994).

L’étude des référentiels chez les formateurs de Suisse romande et de Suisse alémanique montre une tendance des formateurs de Suisse alémanique à s’ap- puyer sur des référentiels d’ordre philosophique, ainsi que sur différentes mé- thodes d’enseignement de l’instrument (par exemple de violon). Alors qu’en ce qui concerne les pratiques des formateurs romands, celles-ci sont orientées par ce qu’on appelle une «théorie de la pratique». Ce qui permet de mettre en lumière le fait que les différentes articulations des savoirs à enseigner et savoirs pour enseigner sont fonction des pratiques professionnelles d’enseignement des formateurs.

Comme le souligne Vanhulle (2009), «[…] les étudiants apprennent le métier à partir de formes de validation et d’invalidation de leurs actions par les en- seignants qui les accompagnent dans leurs stages. Enfin, les étudiants ap- prennent de leur expérience immédiate, ancrée dans des situations, marquée d’interactions et d’événements non anticipés, d’actions et de décisions sur le vif» (p. 248). De telles pratiques laissent entrevoir leurs modèles professionnels sous-jacents, essentiellement orientés vers la construction de ce qu’on pourrait globalement appeler le corps technique ou le corps-instrument.

On pourrait ici penser au contexte des grandes écoles du XVIIème siècle, qui étaient découplées des universités. Dans notre cas, qui est celui des Hautes Ecoles de Musique (HEM), du fait que les enseignants ne sont majoritairement pas formés à l’université, l’analyse des modèles de formation professionnali- sante passe inévitablement par une démarche de conceptualisation à partir des données empiriques. Dans cette perspective, nos travaux (cf. notamment Mili et al. 2016; Jacquin, 2016; Grivet-Bonzon, 2016; Grivet-Bonzon et Jacquin, à paraître; Rickenmann à paraître; Martin-Balmori, 2014 et à paraître; Bodea, 2016, Bodea & Thivolle, 2016) s’efforcent de mettre en évidence l’importance que présente cette démarche de construction d’outils théoriques à partir des données empiriques pour la recherche clinique en didactiques disciplinaires.

La contribution de Grivet-Bonzon & Jacquin (2016), orientée sur «le déve- loppement d’outils théoriques et méthodologiques, tant pour construire de nouveaux objets de recherche que pour mieux appréhender le didactique ordi- naire», est, à cet égard, typique du comparatisme en didactique.

En outre, nous avons essayé de repérer la manière dont les formateurs eux- mêmes ont pensé leur formation, ce qui augmente à nos yeux l’intérêt de notre projet pour la communauté de formateurs à l’enseignement musical vocal et instrumental, première concernée par les résultats de notre étude.

Dans ce qui suit, nous présentons une synthèse des principaux apports de nos recherches, selon les trois grandes dimensions de l’étude que sont:

• le système de formation

• le système d’enseignement

• les apports de démarches méthodologiques mixtes.

1.2 apports concernant le sYstème De formation

Les apports relèvent, principalement, de DIMENSIONS GENERIQUES des systèmes de formation (i.e., qui font écho à d’autres systèmes de formation d’enseignants). Les études menées ont ainsi pu mettre en lumière trois caracté- ristiques.

• Pour l’ensemble des données recueillies dans notre étude, l’on ne peut pas établir de liens de cause à effet entre les feedbacks donnés par les profes- seurs de didactique et l’évolution des pratiques pédagogiques des enseignants en formation. Ceci invite à explorer d’autres variables. C’est donc aussi au cœur de la formation disciplinaire que l’on doit chercher les éléments qui constituent les conceptions didactiques et les savoirs experts qui sont à la base des profils professionnels des futurs enseignants.

• Les limites observées de feedbacks effectués par le professeur de didactique sont dues à l’absence d’une systématisation et formalisation de ce type de dispositif dans la formation. Au niveau qualitatif, nous avons pu observer des progressions plus marquées chez les étudiants lorsque les formateurs a. donnaient des tâches précises à réaliser après le feedback et

b. présentaient aux étudiants des référentiels pédagogiques et disciplinaires explicites.

• Des différences de culture institutionnelle marquées ont été constatées, notam- ment en ce qui concerne le rapport entre deux formes différenciées: «feedbacks-

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16 17 cours collectifs» versus / «feedbacks isolés». Ainsi, dans les «feedbacks-cours»,

les observations sont réarticulées par les formateurs à un projet de formation appréhendé comme un ensemble – ensemble, davantage théorisé et référencé.

Alors que lors de feedbacks isolés, le discours formateur est davantage lié aux phénomènes localement observés, c’est-à-dire à ce qui vient de se produire dans la leçon donnée par l’étudiant. Avec à la clé une description resserrée et des commentaires circonstanciés et conjoncturels sur une leçon – un épisode du passé proche.

1.3 apports concernant le sYstème D’enseignement

Les apports concernent des dimensions SPECIFIQUES à l’enseignement instru- mental et du chant, qui constituent les fondements des pratiques disciplinaires à la base de l’agir professionnel observé chez les professeurs de didactique et chez les enseignants en formation.

• Nous constatons une nette différence concernant le type d’engagement corporel nécessaire à la maîtrise de l’instrument entre les «souffleurs»

(chant, instruments à vent) et les «non-souffleurs» (instruments à cordes et piano). Cette différence se dessine notamment grâce à l’analyse des modes de définition utilisés pour la construction des gestes techniques.

• Pour tous les cas étudiés, nous constatons la tendance, chez les enseignants débutants, à privilégier des savoirs de type technique instrumentale, géné- riques et plutôt décontextualisés. Tout se passe comme si c’était la base, la condition au jeu instrumental, reléguant le rapport aux œuvres dans une fonction seconde. Autrement dit, le rapport aux œuvres, comme «levier» de l’apprentissage instrumental ou vocal est quasiment inexploité.

• Pour tous les cas étudiés, des systèmes explicatifs basés sur des processus psychologiques de l’apprentissage (donc centrés sur l’apprenant) sont privi- légiés par rapport à des référentiels didactiques qui prennent en compte des interactions de l’ensemble des éléments du système didactique enseignant- savoirs-élève.

• En conséquence, pour tous les cas étudiés, ce sont les performances des élèves qui sont systématiquement évoquées comme guidant la conduite de la leçon, voire de la prochaine leçon. A une exception près, l’amélioration de ces performances, grâce à:

– une planification (plus longitudinale) de l’enseignement et

– la définition des conditions didactiques à déployer pour favoriser la progres- sion et le développement des élèves n’est pas thématisée.

Pour tous les cas étudiés, nous avons observé une prééminence des gestes dia- gnostiques, tant chez les enseignants en formation que chez les formateurs en situation d’observation. L’importance des occurrences de ce type de geste dans notre corpus de données laisse penser qu’il s’agirait d’actions définitoires de l’agir professionnel disciplinaire, méritant dès lors des études plus approfondies.

1.4 apports méthoDologiques concernant l’analYse DiDactique Des pratiques

Dans cette partie, nous développons les apports et limites de la recherche mixte concernant les concepts et méthodes mobilisés pour l’analyse didactique. Nous relevons principalement la robustesse d’une approche basée sur les catégories descriptives de l’action enseignante produites par la recherche en didactique des disciplines, notamment par les modélisations de la théorie des situations di- dactiques (Brousseau, 1990) et par la Théorie de l’action didactique conjointe, TADC (Sensevy & Mercier, 2007). Leur transférabilité pour l’étude du fonction- nement didactique dans d’autres champs disciplinaires d’enseignement et de formation fait ici ses preuves. Du point de vue quantitatif, cette robustesse a été avérée dans:

• la capacité à rendre compte statistiquement de phénomènes jusqu’ici étu- diés uniquement d’un point de vue clinique et qualitatif, avec les avantages non-négligeables de la généralisation possible des conclusions;

• la possibilité de mener des analyses comparatives sur un ensemble numéri- quement important de données ayant amené à des descriptions très fines des comportements des systèmes didactiques de formation et d’enseignement.

En termes de limites, s’agissant d’une recherche exploratoire, la nomenclature utilisée pour coder les gestes professionnels de définition des professeurs de didactiques et de leurs étudiants (futurs professeurs d’instrument ou de chant) s’avère perfectible. Cette nomenclature nous a certes permis d’établir les bases statistiques que nous escomptions; elle a permis ensuite le traitement statistique des gestes professionnels de définition rencontrés dans l’ensemble du corpus de données. Cependant, dans une prochaine étude de ce type, nous devrons modéliser les rapports entre les variables explicatives, au terme de plusieurs

«exercices 0» (codages des gestes professionnels en amorce de l’étude). En effet, certains éléments de cette nomenclature ont révélé, à l’usage, que les frontières entre les catégories de définition n’étaient pas toujours nettes, au vu de certaines des situations observées. Des télescopages entre les variables définitions discursives (Dd) et les définitions à partir de pointages (Dp)* étaient possibles, à partir du constat effectué par les chercheurs que souvent les

«pointages» étaient effectués à travers le discours. Un phénomène similaire

* cf p. 58: six modalités d’actions de définition

(11)

18 1919 se présente avec les exemples «positifs» (Dm+) ou les contre-exemples (De-)

donnés oralement par les professeurs de didactique. Nous reviendrons sur la nomenclature des gestes professionnels observés dans deux parties de ce rapport: la 2ème partie, consacrée à la problématique et aux questions de re- cherches, et la 4ème partie, consacrée à la méthodologie de recherche que nous avons employée.

Quant au codage des gestes en tant qu’outil de recherche, il nous a permis de saisir les spécifi cités relatives aux champs disciplinaires observés. Ils confi rment deux particularités des systèmes observés dans le champ de l’enseignement de l’instrument et du chant.

1. Contrairement à d’autres disciplines dans lesquelles les actions de défi nition des enseignants sont localisées et resserrées autour des phases de pré- activité des élèves, on constate ici une distribution de ces actions de DEFI- NITION des tâches et contenus à enseigner sur l’ensemble de la durée des leçons !

2. Dans ce cadre, la mobilisation fréquente du DIAGNOSTIC, basé sur l’obser- vation systématique des activités de l’élève, est également distribuée sur l’ensemble des leçons. Un geste typique et défi nitoire de l’action de l’ensei- gnant de musique.

L’intervention, sous forme d’actions diagnostiques, notamment chez les en- seignants débutants, est fonction des plans de leçon ou, plus rarement, de séquences d’enseignement et planifi cations à long terme plutôt vagues et gé- nérales. Il en résulte, pour les élèves mais aussi pour les étudiants eux-mêmes, une absence de visibilité et d’explicitation des articulations entre

• ce qui résulte des diagnostics localement produits dans chaque leçon et dans chaque feedback et

• des effets sur la conduite – à moyen et long termes – de l’enseignement (visant des progressions dans les apprentissages et un développement signi- fi catif des élèves).

(12)

20 21

2. problématiques et questions De recherches

2.1 l’étuDe Du geste De Définition comme entrée Dans l’iDentification Des savoirs

La description des gestes de défi nition des contenus et des tâches d’apprentissage par les formateurs (Sensevy, 2007) constitue une entrée privilégiée pour identifi er les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner ainsi que leur articulation, dans des contextes de formation où cette problématique n’a fait l’objet que d’un nombre très restreint de recherches.

(13)

22 23 Au sein de l’équipe DAM, la conceptualisation de la définition en tant que geste

d’enseignement, mais aussi et surtout en tant qu’outil de recherche, a été dé- veloppée au cours des dix dernières années, en lien étroit avec les observations d’enseignements dispensés par des professeurs débutants ou chevronnés dans différentes institutions d’enseignement romandes. Ces enseignements étaient pour la plupart organisés en fonction d’œuvres de référence appartenant à l’environnement culturel proche des élèves. On a pu observer, notamment à travers de nombreuses analyses a priori de tâches d’élèves (Leutenegger, 2009;

Ligozat, 2009 et 2015; Dolz et Leutenegger, 2015), que le geste de «définition du jeu didactique» (Sensevy, 2006) pouvait se décliner en fonction du contenu sur lequel il portait et gagner ainsi en opérationnalité. L’enseignant peut définir une tâche en se focalisant sur l’explicitation du «faire» de l’élève (i.e. le type d’activité que l’élève est appelé à effectuer), mais il peut également définir une situation, le milieu pour l’action, le but de l’activité envisagée, les règles de l’action ou «les variables de commande» (Amade-Escot, 2007), des moyens à employer (procédures ou pistes procédurales), des critères de réussite, des repères, des notions… à travers différentes ressources sémiotiques. Parmi ces ressources, citons des ressources langagières, iconiques (images, pictogrammes ou autres objets à visualiser), ressources corporelles, artefacts (objets fabriqués et portant trace de la conception et réalisation humaine; ce qui les rend parti- culièrement complexes du point de vue sémiotique)5.

Quel que soit son degré de transparence (ou d’hermétisme), le geste de défi- nition vise à baliser le terrain d’apprentissage de l’élève, de sorte que celui-ci comprenne, sans ambiguïté, les contenus et les règles du jeu, ainsi que le sou- lignait entre autres Sensevy (2006).

Autrement dit, la définition, c’est l’entrée dans la construction didactique de la référence commune, à propos des objets de savoir en jeu. Vu sous cet angle, ce geste d’enseignement a une double fonction, celle de fournir aux élèves:

• des indices concernant la tâche qu’ils doivent réaliser (que doivent-ils faire et comment?)

• des indices concernant les enjeux de savoir liés à cette tâche (dans quel but doivent-ils faire ce qu’on leur désigne comme étant à faire?).

Dans la perspective de notre projet de recherche, l’entrée dans l’approche de l’agir didactique par le geste de définition devenait particulièrement intéres- sante, dans la mesure où elle concernait l’articulation entre les savoirs discipli- naires et respectivement les savoirs didactiques, dans le cadre d’un système de formation enchâssé, comportant leçons dispensées par l’étudiant et séances de feedback organisées par le formateur. Par ailleurs, nous avons inclus cette problématique dans celle de la professionnalisation des étudiants en forma- tion initiale à l’enseignement musical. Ce qui nous a amenés à considérer le

fonctionnement didactique de la définition comme un important indicateur de développement professionnel (sous des conditions que nous allons expliciter plus loin, aussi bien dans la partie théorique que dans la partie consacrée à la méthodologie).

En effet, dans le cadre de la formation aux enseignements artistiques et musi- caux, les savoirs disciplinaires (techniques et interprétation) et les savoirs sur leur transmission (méthodes, praxéologies didactiques) font souvent partie de l’expertise professionnelle des musiciens, sans que l’on sache toujours com- ment ils sont discriminés puis articulés dans les pratiques.

Pour cette étude, nous avons ainsi retenu les concepts proposés dans le mo- dèle didactique de l’action conjointe (TADC) (cf. Sensevy & Mercier, 2007), dans la mesure où celui-ci propose une conception dynamique des articula- tions entre des processus d’enseignement et des processus d’apprentissage.

Parmi les concepts didactiques qui sont mobilisés pour l’analyse des situations d’enseignement/de formation, le modèle de la TADC propose quatre concepts génériques permettant de décrire fonctionnellement l’action enseignante: les gestes de définition (de la situation, des contenus, de la tâche), de dévolution (la cession de la responsabilité de la tâche à l’élève), de régulation (de l’activité de l’élève) et d’institutionnalisation (des contenus construits par les élèves).

Dans la perspective d’étudier les pratiques didactiques des formateurs, le mo- dèle de la TADC nous permet de formuler comme hypothèse que les fonctions concernant les quatre gestes d’enseignement (définir, dévoluer, réguler et insti- tutionnaliser) devraient, en principe, faire partie des savoirs qui sont thématisés et mobilisés: a) dans la formation et b) en termes d’effets sur les apprentissages des étudiants, mobilisés dans leurs discours ou leurs pratiques d’enseignement avec les élèves. Par rapport au modèle de Bucheton (2009), il présente l’avan- tage de centrer l’objet d’analyse sur le système didactique et non pas sur l’une seule de ses composantes (l’enseignant), mais tout en produisant des données qui permettent néanmoins de caractériser l’agir de l’enseignant. Comme nous l’avons déjà souligné, l’avantage de l’approche de la TADC est de ne pas lier l’analyse de ces gestes à l’enseignant en tant que sujet individuel, mais à l’en- seignement en tant que système de fonctions dans les situations didactiques.

Les gestes professionnels en question nous permettent de décrire:

• l’activité des formateurs dans les dispositifs étudiés;

• l’activité des étudiants/enseignants en formation lors des phases d’interaction avec leurs propres élèves;

• une partie des contenus de la formation, notamment celle relative aux savoirs pour enseigner.

5 Notre système de codage des actions de définition tient compte de la variété sémiotique de leurs conte- nus (cf. système de codage, dans la 4ème Partie de ce rapport, intitulée: méthodologie de recherche)

(14)

24 25 La nature descriptive du modèle de l’action didactique conjointe et le foison-

nement des ressources sémiotiques mobilisées dans les leçons nous mettent donc face à un objet très riche, permettant de postuler un certain nombre de corrélations. Le nombre relativement important de variables en jeu, ainsi que la palette des indicateurs mobilisés pour les décrire, nous incitent à recourir au champ de l’analyse statistique régressive ou multivariée permettant de les traiter.

Notre projet part de deux principales questions de recherche:

• Quelles distinctions et articulations entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner les formateurs en didactique de l’instrument/du chant font-ils dans le cadre de leurs interventions?

• Comment ces savoirs sont-ils didactisés et avec quels effets observables sur les apprentissages des étudiants?6

Avec ces deux questions de recherche, nous cherchons aussi à déterminer si le geste didactique de définition du formateur (professeur de didactique) permet d’expliquer l’évolution du nombre d’occurrences caractérisant l’agir profession- nel des étudiants (variables expliquées: «mobilisation (croissante / décroissante) de gestes didactiques d’enseignement»), ainsi que la nature du processus de professionnalisation (agir imitatif versus / agir mimétique).

Les réponses à la première question nous permettront dans un premier temps d’établir les processus de didactisation des savoirs dans le domaine de la didac- tique instrumentale ou du chant, en repérant les modes d’organisation des savoirs à enseigner et les types d’activités à travers lesquelles ils peuvent être enseignés. Pour les savoirs à enseigner, nous retenons deux grandes catégories:

savoirs relatifs à la technique instrumentale/vocale et savoirs concernant l’inter- prétation musicale. Concernant les savoirs pour enseigner, nous retiendrons deux types d’indicateurs: a. les types d’objets d’enseignement et d’activités d’apprentissages comme indicateurs relatifs à l’organisation de l’enseigne- ment et b. les quatre gestes d’enseignement7 comme indicateurs relatifs à la conduite de l’enseignement. Ceci en sachant que l’organisation de l’enseigne- ment implique une certaine organisation de la conduite de l’enseignement.

2.2 la Déclinaison De la problématique centrale à travers les principales thématiques De recherche

La recherche qualitative a été organisée en deux grands groupes:

• un qui s’est attaché aux indicateurs du processus de professionnalisation

eux-mêmes (cf. la partie du rapport consacrée à l’explicitation des indices de professionnalisation);

• un qui s’est proposé de mettre sous la loupe les relations entre les définitions portant sur les domaines de l’interprétation et de la technique – y compris les phénomènes qui relèvent de l’incorporation des savoirs.

Les thématiques de nos recherches (la place de la planification et des devoirs à domicile dans l’enseignement musical et dans la formation à cet enseigne- ment; le rapport entre technique et interprétation; le fonctionnement des res- sources sémiotiques – langagières et / ou corporelles; les modèles d’analyses et de professionnalisation) étaient toutes subordonnées à notre objet central: les logiques de professionnalisation. Mais nous n’avons pas postulé, a priori, un lien causal de facto entre la formation et la pratique des étudiants concernés.

Modèles fournis par le formateur et indices du développement des enseignants en formation

En cherchant à mettre en évidence les modèles professionnels sous-jacents aux pratiques des formateurs et à en observer les traces dans les leçons données par les étudiants à leurs élèves, nous avons formulé le système de questions de recherche suivant:

• Quels savoirs / dimensions des savoirs (musicaux, didactiques), enseignés en formation sont repris dans les leçons dispensées par les étudiants et comment?

En quoi le formateur met-il en place un milieu didactique professionnalisant à l’intention de son étudiant?

• Quelles sont les traces de procédés/postures modélisant-e-s du formateur dans la leçon?

• Quelles visées praxéologiques (pour l’action, l’opérationnalisation…) recèlent ces procédés/postures?

• Dans quelle mesure le type de savoirs du formateur (savant, professionnel en tant que musicien, d’expérience...) et les gestes de définition mobilisés en lien avec un objet donné déterminent-ils la reprise de cette objet et les gestes de définition par l’étudiant dans ses leçons?

– La source d’expertise d’où proviennent les savoirs du formateur (savoirs savants, d’expérience…) joue-t-elle un rôle dans la transposition par l’étu- diant? (p.ex.: un savoir déclaré d’expérience a-t-il plus de chance d’être investi par l’étudiant qu’un savoir qui fait appel à une référence théorique?)

– Le geste de définition utilisé par le formateur a-t-il une influence sur la reprise de l’objet par l’étudiant?

6 Cette question, qui concerne la partie qualitative de la recherche, est reformulée en deux sous- questions pour la partie quantitative.

7 à savoir: définir, dévoluer, réguler, institutionnaliser (sensevy, 2007)

(15)

26 27

• De quelle nature sont les modèles rencontrés en formation et de quelle manière les étudiants se les approprient-ils ? Quelles sont les transformations que subissent les savoirs enseignés en formation lorsqu’ils sont transposés dans l’enseignement?

• Quels sont les outils didactiques spécifiques, visant la construction de l’auto- nomie de l’élève, présentés en cours de formation et repris par l’étudiant-e?

• Quels outils de planification traités en cours de formation sont repris par l’étudiant-e?

• Quelles sont les ressources sémiotiques mobilisées dans les séances de for- mation / leçons? En particulier… Quel recours à la verbalisation et / ou à la corporéité l’étudiant a-t-il avant et après le feedback? Quels documents, supports? Quelles articulations entre discours, corps, supports d’enseignement (manuels, textes, inscriptions au tableau…?

• Comment se construisent les savoirs, sous l’angle des ressources langagières mobilisées, et quels «modèles» le formateur donne-t-il à voir à ce sujet?8 Quelle référence commune au plan des savoirs est visée par le formateur?

• Quels sont les indices de validation / invalidation des actions des étudiants par les formateurs (cf. à ce propos Vanhulle, 2009)? Quels modèles sous-jacents de professionnalité laissent-ils entrevoir?

Nous avons tenté de répondre à ces questions à partir d’études de cas, portant sur la formation à l’enseignement du chant (à Genève et à Lugano), du trombone (à Bâle), du piano (à Genève), du violoncelle (à Genève et Lausanne), de la rythmique Jaques-Dalcroze (à Genève) ou encore de la harpe (à Genève). Le traitement des modèles professionnels en formation et de leurs effets sur le développement des pratiques enseignantes a impliqué la clarification d’un certain nombre de concepts (modèle professionnel d’un enseignant de musique visé en formation; modèle sous-jacent à la formation en didactique de la musique; développement professionnel et indicateurs de celui-ci)9 que nous avons considérés comme centraux dans nos analyses.

La place de la planification et celle des devoirs à domicile dans l’enseignement musical et dans la formation à cet enseignement ont constitué deux impor- tants axes d’analyse de la professionnalité enseignante en musique10. Outils de construction de l’autonomie de l’élève dans ses apprentissages instrumentaux (une autonomie à situer idéalement dans la zone proximale de développe- ment de l’élève (Vygotski, 1997)), la planification didactique et la dévolution de devoirs à domicile ont dû être traitées en lien étroit l’une avec l’autre, à travers notamment le concept d’aménagement didactique du milieu d’étude pour l’élève (cf. Johsua & Félix, 2002; Rayou & Sensevy, 2014).

Les savoirs relevant des processus de planification ou programmation didactique révèlent souvent des variations (ou «tensions»), entre savoirs de référence institutionnels, savoirs académiques et savoirs d’action / «pratiques effectives» (Vanhulle, 2009, p. 65).

Le travail d’anticipation / planification / préparation constitue une composante essentielle du métier d’enseignant (cf. Mathéron, 2001). Des études récentes mettent en évidence que cette composante influe sur la «transformation professionnelle» ou le «développement professionnel» (cf. par exemple Lebouvier, 2010; Weiss & Monnier, 2009; Musial & Pradère & Tricot, 2012).

Le regard que porte le chercheur sur la planification en tant que processus de projection/anticipation d’un enseignement et en tant qu’outil permettant l’adaptation de l’enseignant à des situations «imprévues» ou «non prévues»

(cf. Bodea, 2016) permet de saisir la distinction qu’opère Vanhulle (2009) entre «apprentissage professionnel» et «développement professionnel».

Dans le contexte d’enseignements musicaux, où les phénomènes de régu- lation sont extrêmement prégnants, on pourra alors interroger, avec Bourg (2011), «la nature du travail de planification de l’enseignant en musique, face à des situations où les processus de régulations interactives déterminent en grande partie la forme et les contenus du cours» (p. 38).

Voici les principales questions qui ont orienté nos études sur la place de la planification dans les enseignements musicaux:

– Que signifie planifier un enseignement / des enseignements dans notre contexte? (préparer? / anticiper...articuler?)

– Sur quoi portent les transactions formateur-étudiants relatives à la prépa- ration de classe? Quels modèles de formation annoncent / induisent-elles?

– Comment l’étudiant anticipe-t-il l’agir projeté (cf. Bodea, 2015) de l’élève, et avec quels effets mesurables sur les apprentissages de l’élève?

– De quelles intentionnalités sont marquées les interventions discursives du formateur codées DPL (définition portant sur des savoirs de planification)11, vues dans leur rapport aux leçons données par l’étudiant-e? Quelle est la méthodologie qui structure ces interventions?

Le fonctionnement des devoirs interroge de notre point de vue l’agir enseignant sur deux versants de la professionnalité:

– l’articulation des devoirs aux contrats didactiques,

– le potentiel des tâches sur le plan de la construction d’outils d’autonomie dans les apprentissages / dans le travail.

8 Cf. à ce propos, la notion de «communauté discursive» (bernié & Jaubert & rebière, 2004).

9 Cf. la partie théorique du rapport.

10 Cf. la partie du rapport qui explicite de manière exhaustive les indicateurs de professionnalisation que nous avons établis au fur et à mesure de nos recherches.

11 Cf 4ème partie du présent rapport: «méthodologie de recherche/ le volet quantitatif»)

(16)

28 29 Donner des devoirs aux élèves amène ainsi le chercheur à interroger:

• la nature des contenus sur lesquels ils portent, les savoirs qu’ils impliquent de la part de l’élève;

• la forme qu’ils revêtent (comment / sur quel mode énonciatif sont-ils donnés?)

• leur éventuelle articulation avec l’amont et l’aval qui les entourent, ce qui amène le chercheur à les analyser en lien étroit avec le contrat didactique;

• leurs visées en termes de progression des élèves dans les apprentissages / leur rôle sur le plan de la construction de l’autonomie de l’élève (au sens que nous lui avons donné: assumer de manière individuelle un certain type de travail déjà configuré en classe, mais aussi et surtout construire à domicile des stratégies de résolution de tâches spécifiques sur la base d’outils construits en classe). Dans cette perspective, nous avons trouvé pertinent de nous intéresser aux propriétés didactiques du terrain aménagé par l’enseignant en amont de la dévolution des devoirs à domicile (d’où l’importance de la définition de la tâche concernée; de la manière dont l’enseignant investit l’espace dévolutif en revenant – ou pas – sur le contenu des devoirs ou sur les procédures engagées par l’élève / par l’étudiant, selon le niveau auquel on situe l’analyse);

• la place des devoirs dans les transactions formateur-étudiant: outil de for- mation / développement professionnel ou «outil de reproduction» (Darnon, 2016).

Trois questions principales de recherche ont été formulées:

• Sous quelle forme énonciative les devoirs se présentent-ils et comment cette forme oriente-t-elle l’analyse des enjeux didactiques sous-jacents?

• Quels sont les éléments matériels et symboliques qui accompagnent les de- voirs ? Dans quelle mesure jouent-ils ou pas un rôle de milieu didactique ? En quoi ce milieu est-il en adéquation avec le contrat didactique (cf. Cariou, 2013)?

• Qu’impliquent les devoirs - vus sous cet angle - pour l’élève, du point de vue des savoirs dont il a besoin pour remplir la tâche concernée? (Ce qui nous amène à sonder la dimension implicite des devoirs tels qu’ils sont donnés à l’élève);

Nous avons considéré que les éléments de réponse à ces trois questions nous permettraient de cerner dans quelle mesure la configuration et le mode de circulation des devoirs dans l’économie des séquences observées (leçons et/ou feedback) constituaient – ou non – des outils d’apprentissage / progression / développement / autonomisation / professionnalisation.

Outre le fonctionnement des différentes ressources sémiotiques et / ou des différents supports, le rapport entre savoirs techniques et savoirs interprétatifs a donné lieu à des analyses fouillées.

Problématique de fond

Si, comme le précise Marchand (2009, p.50): «le vécu musical est considéré non comme un reflet invariant de “l’œuvre objet“ chez le sujet, mais comme un “vis-à-vis“ sans cesse renouvelé entre l’œuvre, “objet intentionnel“, et l’au- diteur qui la saisit dans son “acte de perception“»; alors se pose la question de l’articulation entre

• une didactique des savoirs musicaux (savoirs solfégiques, musicologiques, acoustiques, historiques…) et

• une didactique d’un art musical (performatif).

Autrement dit, l’articulation entre une didactique des savoirs musicaux et une didactique d’un art musical fait partie de ce qui se construit dans les appren- tissages.

Le «rapport au savoir» dans l’enseignement musical ne repose plus exclusive- ment sur une technique préalablement acquise, au détriment d’une interpréta- tion reléguée en fin de formation. Au contraire, l’interprétation peut interférer diversement dans l’apprentissage technique et ce même chez des débutants.

Technique du corps (dans nos codages: MT, c’est-à-dire savoir musical tech- nique) et interprétation (dans nos codages: MI, c’est-à-dire savoir musical interprétatif) sont certes à distinguer. La technique du corps (Mauss, 1934), se réfère aux «les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps.». Le savoir musical interprétatif, implique une approche de l’œuvre. Mais les observations révèlent bien souvent l’existence d’un lien étroit entre ces deux types de savoirs:

Ce schéma fait écho à ce que Marchand (2009) déclare quant à cette arti- culation: «(…) si l’on admet que les savoirs musicaux sont subordonnés à la musique à laquelle ils se rattachent, le rapport aux savoirs musicaux est alors lui-même subordonné au rapport à la musique. (p. 54)».

Nous tentons ici de dégager dans quelle mesure et sous quelle(s) forme(s) cette dynamique, observée dans un contexte de professionnalisation, est présente dans l’agir enseignant de l’étudiant.

Questions de recherche

1. a. Quels éléments permettent de discerner que le contenu d’enseignement (leçon / feedback) est technique et/ou interprétatif?

œuVRe

Subjectivation

MI

Objectivation

MT

s

s

(17)

30 31 b. Quels outils sont mis en jeu par le formateur / étudiant pour enseigner MT

/ MI?

2. a. Comment l’apprentissage de l’interprétation est-il conditionné par les difficultés techniques instrumentales?

Comment la manière d’aborder l’apprentissage de la technique influence-t- elle l’apprentissage interprétatif, et comment les choix interprétatifs influen- cent-ils le travail technique?

b. Dans ce cas de figure, quels choix entre MT et / ou MI sont proposés par le formateur, et quel(s) usage(s) en fait l’étudiant?

Sur quelle partie de la partition l’action d’apprentissage (MI / MT) a-t-elle lieu, quels sont les savoirs «implicites» absents du discours du formateur?

3. a. En situation d’enseignement, sur quel type de partition s’appuie le geste d’interprétation / technique, dans MI / MT? Quel type de transformation du milieu didactique est observable ? En rapport au choix interprétatif, comment la fixation des savoirs par le professeur (à l’aide de notes prises le plus souvent au crayon) fait que ces choix interprétatifs sont fortement limités ou ne sont plus ceux de l’élève?

b. En fonction du rapport du formateur à cet écrit, quels choix techniques / interprétatifs sont-ils possibles (institutionnellement et / ou ZPD) pour l’étu- diant / élève?

Une problématique commune: quels rapports contenus techniques / contenus d’interprétation dans les leçons d’instrument d’enseignants en formation?

L’apprentissage d’un instrument de musique, notamment à ses débuts, im- plique de la part de l’enseignant qu’il procède à un découplage des contenus relatifs

• à la maîtrise du rapport corporel à l’instrument,

• à la musique qui peut être produite avec cet instrument (répertoire, modes de jeu, improvisation).

Par rapport à la dimension musicale elle-même, il est habituellement admis que «(…) la notation musicale n’est en rien identique au langage musical (…) Le signe musical n’est qu’une instruction donnée à l’exécutant pour qu’il produise par le moyen de sa voix ou de son instrument un son avec une hauteur et une durée particulières, tout en ajoutant, à certaines époques historiques, des suggestions concernant le rythme, la dynamique et l’expression, ou des indications sur le rapport avec d’autres sons (par le moyen de la liaison, du coulé, etc.). Tous ces éléments de la matière tonale ne peuvent être qu’appro- ximativement ordonnés, et la charge d’obtenir les effets indiqués est laissée à l’exécutant. (Schütz, 2006, p. 19)»

Bien sûr, le découplage entre contenus orientés vers le technique et contenus orientés vers l’interprétatif découle d’un besoin d’enseignement (fort utile éga- lement pour l’analyse de ce dernier) qui est voué à être dépassé, dans la mesure où tout enseignant espère que ses élèves instrumentistes puissent jouer des œuvres, jouer de la musique. Cependant, les effets de cette nécessité didactique peuvent être fort variés, en ce qui concerne l’organisation de l’enseignement (contenus et types d’activités d’apprentissage). Par rapport à l’étude de cet aspect, se pose la question centrale de notre analyse: celle du découplage, puis des ré-articulations visant le jeu musical en tant qu’une totalité dans laquelle ces deux aspects s’articulent organiquement. Question que nous abordons en termes a) de découpage et d’aménagement didactique de ces deux types de contenus, b) des types d’activités à travers lesquelles ils sont principalement abor- dés, c) des moments et modalités d’articulation dans les leçons puis, c) des effets en termes de conceptions générales sur l’apprentissage du jeu instrumental.

Ce découplage analytique peut ne pas se traduire systématiquement en un enseignement lui aussi découplé des contenus y relatifs. Il s’agit davantage de se référer à ce découpage comme nous aidant à instaurer des repères qui permettent de qualifier les tendances ou orientations des activités didactiques proposées aux élèves débutants dans le cadre des leçons d’instruments de musique ou du chant. Ainsi, par exemple, ce n’est pas parce que dans une leçon l’enseignant aborde une pièce musicale comme objet principal de sa leçon, que l’activité est orientée par des contenus relatifs à l’interprétation mu- sicale. Dans le même ordre d’idées, un travail sur un aspect considéré comme essentiellement technique, par exemple le piqué des cordes sur le manche du violon ou du violoncelle comme moyen de produire un son à la «bonne hau- teur», peut être aussi orienté par l’enseignant vers des attentes esthétiques liées à la construction d’un «beau son»12.

Comme établi par les recherches documentaires de l’un des auteurs de ce texte13, le terme «d’interprétation musicale» conduit vers un ensemble assez varié de notions et de pratiques, lorsqu’on tente de trouver une définition minimalement commune.

Nous cherchons à identifier les types de savoirs associés à la notion d’inter- prétation musicale et les articulations qu’ils proposent avec les autres types de savoirs travaillés, notamment ceux relevant du technique. C’est ainsi qu’à l’aide de références extrêmement variées (musicologiques, ethnologiques, sociolo- giques, biographiques, etc.), nous construisons une définition «de travail» sur la notion d’interprétation musicale – une définition qui nous aide pour une première approche de nos données d’analyse. En retour, ces dernières nous permettent de tester la solidité et cohérence de cette définition de travail dans le but de décrire et de comprendre les pratiques enseignantes de transmission des savoirs interprétatifs.

12 Ces deux exemples faisant partie des données analysées dans le cadre de ce texte, comme nous le montrerons plus loin.

13 bellu C., la transmission aux enfants débutants des savoirs dits «interprétatifs» en cours de violon- celle, thèse de doctorat en cours, sous la direction d’isabelle mili, Université de Genève.æ

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