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b Harpe: l’œuvre comme source des apports techniques L’enseignement de la harpe contraste sur plusieurs aspects avec celui du

De l’agir professionnel Du formateur

5.1 technique et interprétation, un binÔme

5.1.2 b Harpe: l’œuvre comme source des apports techniques L’enseignement de la harpe contraste sur plusieurs aspects avec celui du

violon-celle. Concernant la leçon de référence L0, sur des durées sensiblement proches (37 minutes pour le violoncelle, 31 minutes pour la harpe), la distribution des savoirs abordés par les étudiantes-enseignantes dans leurs gestes de définitions est sensiblement différente. Pour la harpe, les savoirs Mi constituent le 42.2%

des occurrences, contre 22.6 % en moyenne des occurrences au violoncelle-IA. Bien que, dans les deux cas, ce pourcentage d’occurrences est largement distri- bué sur plus des deux tiers finaux des leçons, dans ce deuxième cas il y a des moments de la leçon consacrés à la dimension «interprétation musicale»

(histogramme 11, min 9, 12 à 22), avec des occurrences articulées Mi/Mt qui

indiqueraient un travail sur le technique articulé à cette dimension interprétative (par exemple, histogramme 11, minutes 16, 19, 22), comme nous le montrerons plus loin en abordant l’analyse des transcriptions.

Une construction de l’interprétation orientée par l’œuvre

L’analyse de l’ensemble des leçons données par cette enseignante permet de constater que son projet d’enseignement s’organise à partir de la conception

«interprétation ET technique», et que ses leçons suivent en conséquence une version particulière de la structure tripartite: «échauffement-exercices-interpré-tation». Les données analysées mettent en évidence deux grands ensembles dans le rapport Mt/Mi, qui correspondent par ailleurs aux deux topoï abordés en introduction de ce texte: un premier ensemble, proportionnellement le plus important en nombre d’occurrences, concerne les savoirs Mi comme construc-tion d’un rapport interprétatif aux œuvres; un deuxième ensemble concerne les savoirs Mi développés à partir de tâches d’improvisation musicale qui visent la construction d’un rapport de l’élève à son instrument en termes d’expressi-vité du jeu musical. L’importance du premier ensemble signe une particularité remarquable quant à l’enseignement dans ces leçons.

Construction d’un rapport à l’œuvre en termes d’interprétation Cette particularité tient justement à la stratégie de travail basée sur l’interpréta-tion d’œuvres, certainement choisies par l’enseignante en foncl’interpréta-tion de certains défis techniques qu’elle souhaite faire travailler à son élève. Dans le cas de cette leçon L0, le défi premier consiste à effectuer des suites d’arpèges en évitant des pauses ou des interruptions liées aux déplacements des doigts ou à l’enchaîne-ment main gauche-main droite (L0, min 16’00). Ces visées techniques, abordées par l’enseignante à partir des contraintes propres à l’œuvre choisie, ne sont pas découplées d’attentes concernant son interprétation. Le travail autour de la phrase musicale en 17’13 est un moment de passage et d’articulation entre ces attentes techniques et des attentes concernant «l’idée musicale» que l’on peut faire émerger comme enjeu gestuel/corporel de cet instrument.

En situation d’enseignement, sur quel type d’activités s’appuie la construction des gestes d’interprétation/technique?

Le choix de l’œuvre semble être très judicieux en termes de milieu didactique.

Dans sa structure même, cette œuvre implique de faire des choix interprétatifs qui vont au-delà des informations de surface de la partition: en particulier, comme le fait remarquer l’étudiante-enseignante en 7’54 avec l’injonction «tu t’arrêtes avant la fin», de par le fait que la cadence est ici partagée entre les deux voix. Ainsi, les phrases se construisent sur la base des deux instruments, ce qui implique la construction d’attaques et de suspensions spécifiques du jeu, assurant le passage sans ruptures d’une voix à l’autre. Cette dimension contraignante du milieu (Brousseau, 2011) émerge ici comme un enjeu entre la lecture de la partition et le partage topogénétique de la tâche «jouons en-semble», ce qui octroie à l’élève un espace pour la construction de son jeu

78 79 instrumental. Comme le souligne Bosseur (2005)

au sein de la pratique musicale, il est un phénomène qui échappe aux principes de la notation, c’est la cadence, cette «composition dans la composition», qui sente dans le concerto un des terrains de prédilection pour l’interprète. (p.80) En ce sens, le projet enseignant de construire un topos d’interprète chez l’élève, basé sur la performance, fait de l’œuvre le milieu didactique et de la partition un élément de ce milieu qui cèdera rapidement sa place à la performance elle-même. Ce déplacement du milieu semble être confirmé par le recueil des données des leçons suivantes. D’une part, de 17.5% des occurrences en L1, les indices ML (lecture de partitions) tombent à 8.5% en L2, et 4.4 % en L3, pour remonter légèrement à 11 % en L4. D’autre part, les histogrammes de L2 et L3 (tableau 15) montrent «en creux» d’importantes zones durant lesquelles l’enseignante n’introduit ni ne développe de nouveaux savoirs et qui corres-pondent à des moments de plus en plus longs de dévolution de la responsabi-lité du jeu instrumental à l’élève.

Quant au topos concernant le rapport interprète-instrument, le milieu didactique est ici davantage symbolique et prend appui notamment sur une stratégie de découverte des dimensions expressives de l’instrument…, via une activité d’exploration des effets des gestes instrumentaux. Cependant, soulignons qu’il ne s’agit pas d’une exploration libre: l’enseignante délimite et contraint symbo-liquement l’empan des actions de l’élève.

5.1.2c Violoncelle: l’interprétation comme rapport personnel au jeu instrumental

Le troisième cas étudié présente quelques particularités qui nous permettront, lors de l’analyse comparative, de faire la part de deux aspects remarquables de cette étude. Un premier aspect concerne les spécificités de l’enseignement qui peuvent être en rapport avec l’âge des élèves débutants. Le deuxième aspect, concerne le contraste de l’enseignement destiné aux élèves débutants et aux élèves avancés. Le cas Violoncelle-IB nous permet d’aborder ces deux aspects, puis de les comparer aux deux autres, car les leçons observées de l’étudiant Sth ne concernent pas toujours le même élève.

L0, L2 et L4 portent sur le même élève, un jeune élève débutant de 9 ans. L1 concerne un adulte de niveau débutant et L3 un adulte de niveau avancé.

La durée des leçons varie entre 28 et 29 minutes, sauf pour L3 qui dure 16 minutes. Ces discontinuités concernant l’âge et le niveau des élèves auprès desquels Sth s’exerce comme enseignant, pourraient être considérées comme une limite méthodologique de l’étude. Nous considérons, au contraire, qu’elles nous permettent d’approcher les profils d’enseignement de Sth par rapport à un élément clé des processus de professionnalisation: la capacité de l’ensei-gnant à résoudre des «problèmes professionnels situés» (Abbott, 1988) et d’adapter son agir aux caractéristiques spécifiques des contextes d’activité.

En ce sens, l’analyse de ce cas et sa comparaison avec les deux antérieurs apporte des éléments de réponse très importants concernant une probléma- tique classique, et toujours d’actualité, propre à la formation d’enseignants:

celle des rapports entre la personnalisation des processus d’apprentissages des étudiants, d’une part, et la généricité de l’agir professionnel, d’autre part.

Le statut de «débutant» des élèves dans les leçons L0, L1, L2 et L4 peut constituer une explication de la prépondérance observée de la conception «technique PUIS interprétation» guidant les choix didactiques de cet enseignant tout comme ceux de l’enseignante du premier cas étudié. L’apprentissage du jeu avec des instruments non tempérés comme le violoncelle marque ainsi une nette dif-férence d’avec la harpe qui se manifeste, notamment, par une approche plus

«tendue» aux savoirs de type interprétatif. C’est ce même aspect qui explique le profil très différent des rapports Mt/Mi que présente la leçon 3 de cet étu-diant menée auprès d’une élève avancée.

L’interprétation comme choix personnel

Dans L3, il y a une inversion des proportions entre Mt et Mi. Malgré cette inversion des rapports, cette leçon constitue un exemple de continuité de la conception «technique PUIS interprétation», par rapport à laquelle, à partir d’un certain niveau de maîtrise technique de l’instrument, l’enseignant donne la possibilité à l’élève de ’’performer’’ ses interprétations des œuvres.

Les périodes de la leçon sont un indice intéressant: non seulement les élèves avancés ont plus de moyens pour comprendre rapidement les attentes de l’étu-diant-enseignant mais, de plus, la définition du travail à faire en dehors de la leçon se trouve également être aussi plus rapide et efficace. De ce fait, le travail de l’étudiant-enseignant consiste, essentiellement, à définir la nature et l’em-pan du travail interprétatif que l’élève prendra en charge en dehors du temps de leçon. Dans L3, les occurrences Mi largement majoritaires se répartissent sur tout l’espace de la leçon, chaque regroupement étant suivi par une plage de dévolution importante. Parfois, l’enseignant et son élève se trouvent dans des rapports horizontaux (1’50) proches de l’échange entre experts.

Pour conclure, l’étudiant témoigne d’une conception de l’apprentissage tech-nique qui prend son sens dans les possibles de l’interprétation d’une œuvre, mais en privilégiant amplement une dimension personnelle des choix du musicien ins-trumentiste. Dans ce cas, la tendance à l’articulation entre apports techniques et interprétatifs se constitue entre l’option de proposer des solutions qui opèrent comme une référence (min 7’35, 9’10) et le fait de laisser l’élève faire des choix…

80 81 5.1.3 conclusion de l’analyse qualitative:

Définir des milieux pour l’enseignement de la technique et de l’interprétation

Les trois cas présentés sont contrastés du point de vue du type de savoirs qui sont définis par ces enseignants en formation, avec une tendance à privilégier les savoirs de la technique instrumentale dans les trois cas, mais selon des conceptions d’articulation technique-interprétation qui diffèrent entre les deux cas de violoncelle et celui de la harpe.

Ces constats d’analyse ont été faits sur la base d’occurrences de savoirs qu’in-troduits dans les milieux didactiques par ces enseignants en formation à travers différents types d’actions de définition (Sensevy, 2010) que nous avons éga-lement codés dans cette analyse. Au vu des spécificités de leçons observées, notamment le fait de s’adresser à des élèves débutants jeunes et adultes, cela semble expliquer la prépondérance des trois premiers types de gestes dans la liste du tableau 37.

L’orientation vers un travail sur les techniques instru-mentales, concernant principalement la prise en main de l’instrument et, secondairement, celle de l’écriture musicale, explique la prépondérance de tâches (Dt). La nécessité d’aborder la «prise en main» de l’instrument, généralement complexe et assez éloignée d’une ges-tualité quotidienne, explique également le nombre relativement important de pointages (gestuels et dis-cursifs) de la part des enseignants (26.4% de Dp).

Tableau 37. Moyenne des occurrences de types de définitions, les trois cas confondus

Dt 28.6%

Dp 26.4%

Dd 19.5%

De+ 16.6%

De- 5.5%

Dm 3%

Exemples des propositions discursives des enseignants débutants 02’30 Dd De+/

MT /Ste Mais déjà est-ce que tu es vraiment bien installé? Est-ce que le violoncelle est pas un peu bas, non? Tu sens bien tes pieds, tu pourrais te lever? (il se lève). Et puis avant de partir, tu te mets comme ça, les bras, les mains tournées vers l’extérieur, détends tes épaules (geste), on se grandit (geste). Moi je me demande si ton siège n’est pas un peu haut. Il faut se grandir à partir du bassin aussi, et de sentir bien les pieds et le dos en même temps.

Après, tu détends tes épaules (geste) tu détends tes bras, tu les tournes vers l’extérieur et puis (geste) là tu les portes vers l’avant, le plus loin possible, tu sens bien que ça part de là (elle touche le dos de l’élève) et là tu ramènes tes avant-bras.

Violoncelle-IA L3 (38a)

Harpe-IA (38b)

(touche la main de Pi) Attention à gauche, mets-toi sur les bonnes cordes à gauche, surtout.

03.18 Dd Dp MT Sti Violoncelle-IB L2 (38c)

Imagine le tempo dans ta tête.

9.01 Dd MT Sth

Les pourcentages d’occurrences concernant ces trois types d’actions de défini- tion concernent principalement les zones et dynamiques du corps de l’élève ainsi que celles de l’instrument, visant la construction a. d’une corporéité spé-cialisée afin d’aboutir également à celle b. d’un système corps-instrument au service de la production musicale.

Curieusement, lorsque l’on compare les résultats moyens des types d’actions de définition, les valeurs des cas Violoncelle-IA et Harpe-IA s’avèrent être très proches, notamment en ce qui concerne les Dt, Dp, Dd (tableau 39). Le cas Vio-loncelle-IB, même lorsque l’on ne prend en compte que les leçons données aux débutants, présente un nombre sensiblement plus important d’occurrences de pointages (Dp) et d’explications basées sur des métaphores ou des analogies (Dm) par rapport aux deux autres cas.

Se dessine ainsi un enseignement fait de nombreuses petites tâches qui décou- pent les postures, les positions (de la main sur la touche, de la tenue de l’archet, des doigtés dans la harpe, etc.) et les mouvements destinés à construire le geste de jeu instrumental. Le pourcentage moyen d’occurrences discursives (Dd) est de 19.5%.

Ces Dd accompagnent ces tâches par des indications et des explications, le plus souvent à caractère technique et très local descriptif (exemple 38a), injonctif (exemple 38b), ou pour nommer des phénomènes qui ne sont pas visibles (38c).

82 83 Violoncelle-IA

Leçons Dt Dd De+ De- Dp Dm Occurrences

L0 18.3 19.7 23.9 9.8 26.7 1.4 71

L1 37.0 25.9 18.5 3.7 11.1 3.7 27

L2 19.6 24.2 24.2 6 25.7 0 66

L3 40.8 18.3 14.2 6.1 18.3 2 49

L4 35.1 24.3 10.8 5.4 21.6 2.7 37

moyenne 30.1 22.5 18.3 6.2 20.7 2

Harpe-IA

Leçons Dt Dd De+ De- Dp Dm Occurrences

L0 42.4 19.6 9 3 25.7 0 66

L1 25 20 21.6 0 31.6 1.6 60

L2 35.7 28.6 11.9 2.3 21.4 0 42

L3 29.2 34.1 7.3 2.4 26.8 0 41

L4 41.6 25 14.6 0 14.5 4.1 48

moyenne 34.8 25.5 13 1.5 24 1.1

Violoncelle-IB

Leçons Dt Dd De+ De- Dp Dm Occurrences

L0 30 17.5 7.5 2.5 40 2.5 40

L1 28.6 9.5 19 23.8 19 0 21

L2 10.3 13.8 17.2 6.9 48.2 3.4 29

L3 16 12 28 12 28 4 25

L4 20.8 0 20.8 0 37.5 20.8 24

moyenne 21.1 10.5 18.5 9 34.5 6.1

Moyenne 22.4 10.2 16.1 6.8 36.1 6.6 débutants

Tableau 39. Histogrammes de la distribution des actions de définition entre L0 et L4 pour les trois cas étudiés, en pourcents.

Concernant la progression des enseignements pour les trois cas, le nombre d’occurrences par leçon tend à diminuer avec le temps, ce qui peut être consi-déré comme un indice d’enrichissement du répertoire d’actions enseignantes vers d’autres gestes qui laissent une place plus importante à l’apprenant: par exemple, la diminution du nombre de tâches par leçon indiquerait que les actions de l’élève sont beaucoup moins découpées par l’enseignant, plus com-plexes et nécessitant plus de temps pour être réalisées.

Cependant, il faut également souligner des dynamiques en «dent de scie», notamment pour les Dt, Dp et Dd: comme pour tout apprentissage, l’évolution est rarement linéaire et régulière, et elle implique de nombreux allers-retours.

Ici aussi, les cas Violoncelle-IA et Harpe contrastent avec celui du Violoncelle-IB, ce dernier étant celui dans lequel le nombre d’occurrences des trois principaux gestes diminue notoirement entre L0 et L4, alors qu’il augmente pour les deux autres (tableau 39).

5.1.4 chant: des techniques du corps et de l’expression