• Aucun résultat trouvé

Médecine et douleur : une histoire de leur relation

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Médecine et douleur : une histoire de leur relation"

Copied!
1
0
0

Texte intégral

(1)

0 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 29 janvier 2014 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 29 janvier 2014 215 Le flou qui entoure les termes de souf­

france et de douleur, plus précisément l’absence relative de distinction entre l’une et l’autre notion dans le langage commun, et peut-être aussi en méde- cine, est instructif en soi. Il nous invite à ré- fléchir sur la dimension historique de ce qui représente, selon les définitions et perspec- tives adoptées (par les biologistes, les méde- cins, les philosophes, les théologiens…) un fait physiologique objectif (sinon objectiva- ble) et tout à la fois une dimension constitu- tive de l’expérience humaine. On ne s’éton- nera pas de retrouver dès les premiers textes qui nous renseignent sur la douleur et la souffrance (et qui se situent, du point de vue de la civilisation occidentale, en Grèce antique), une interrogation qui s’avérera cons- tante au cours de l’histoire sur la manière dont l’objectivable, en la matière, se rapporte au subjectif, même s’il a pu arriver que cette relation soit celle d’un refus, d’une exclu- sion mutuelle : ce reproche fut en effet sou- vent adressé, au cours de l’histoire récente, à la médecine précisément, à savoir que cette dernière se serait contentée de ne ré- duire la douleur qu’à ses strictes données matérielles, plutôt que de chercher à em- brasser tout le spectre de la souffrance.

Ce que la médecine ancienne démontre en tous les cas, face à un objet aussi diffi- cile à saisir et à décrire, c’est une préoccu- pation importante de la douleur comme ma-

nifestation clinique, accompagnée d’une riche terminologie, de moyens de soulage- ment qui ne furent pas négligeables (no- tamment une pharmacopée surabondante), et une spéculation renouvelée tant sur la si- gnification diagnostique que sur le statut organique, ou encore sur le sens profond, quasi philosophique de la douleur, conçue selon les cas comme une modalité senso- rielle spécifique, un pur symptôme, une émo tion fondamentale.

L’époque contemporaine (qui, pour les historiens, commence il y a deux siècles) a vu se déployer un ensemble extraordinaire- ment riche de tentatives visant à dégager la douleur comme un objet d’étude proprement scientifique, dans toute sa complexité (un exemple parmi d’autres en est l’histoire com- pliquée de la recherche, par les histologis- tes et physiologistes du 19e siècle, des dif- férents récepteurs périphériques et de leurs spécificités). Certaines de ces recherches, bien oubliées depuis, continuent pourtant de constituer le socle des neurosciences con- temporaines, y compris dans l’effort de ces dernières d’articuler douleur proprement physique et affectivité.

Cet développement conceptuel accom- pagne une évolution des pratiques médi- cales de la douleur qui, loin d’être une his- toire linéaire de progrès et d’améliorations continues, adopte des contours heurtés et parfois surprenants : ainsi, la découverte des produits anesthésiants a lieu dès le début du 19e siècle, mais il faudra laisser s’écouler un temps très long (plus d’un de- mi-siècle) avant que s’en impose l’usage en chirurgie, et que naisse une spécialité médi- cale com me l’anesthésiologie ; l’émergence

de l’anesthésie locale à la fin du 19e siècle, bien plus tardive que l’anesthésie générale, passe par une maîtrise difficile à acquérir des techni ques d’injection et des produits de la pharmacologie.

Dans l’ensemble, et jusqu’à ces dernières décennies, la profession médicale est mar- quée par une grande ambivalence face à la douleur, que soulignent différentes doctri- nes en la matière tout au long du 20e siècle, depuis le dolorisme médical (aux accents non dénués de morale chrétienne), qui valo- rise la douleur comme auxiliaire indispensa- ble du médecin, jusqu’au refus radical de l’ex- périence douloureuse (le con cept d’hôpital sans douleur) qui caractérise les tendan- ces récentes. Les rapports que la méde- cine entretient avec la douleur sont aujour- d’hui encore traversés d’énigmes à la fois mora les, philosophiques, physiologiques, voire politiques (à quoi la douleur sert-elle ? comment comprendre le phénomène du pla- cebo ? les médecines non conventionnelles peuvent-elles défier la médecine scientifi- que sur ce terrain ?…), et il ne fait guère de doute que de nouveaux développements nous attendent. Ne serait-ce que pour cette raison, il n’est pas inintéressant d’en com- prendre leur histoire.

Médecine et douleur :

une histoire de leur relation

Quadrimed 2014

Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 215

V. Barras

Pr Vincent Barras

Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique CHUV, 1011 Lausanne

vincent.barras@chuv.ch

Bibliographie

• Carol A. Les médecins et la mort. Paris : Aubier, 2004.

• Le Breton D. Anthropologie de la douleur. Paris : Métailié, 2006.

• Rey R. Histoire de la douleur. Paris : La Découverte, 1993.

07_37703.indd 1 22.01.14 09:21

Références

Documents relatifs

 Cette  comparaison  entraîne  plusieurs  réflexions... sensations  comme  le

Cependant, il faut le souligner, si la reconnaissance de l’intrication des effets physiques et psychiques de la douleur – recon- naissance qui se manifeste par la né- cessité sans

- sa localisation sa localisation : précise ou non, fixe ou changeante, superficielle ou : précise ou non, fixe ou changeante, superficielle ou profonde, avec ou sans

Madame B, 37 ans, sans antécédent particulier si ce n’est des allergies mal précisées, présente une céphalée hémi-cranienne itérative depuis plusieurs mois qu’elle qualifie

âgé de 62 ans qui consulte pour douleur du pied gauche avec plaie entre les orteils. n Douleur intense majorée la nuit avec à l’examen intertrigo et orteils noirâtres et

 Comment raisonner et se comporter Comment raisonner et se comporter devant un patient douloureux chronique. devant un patient

Mais nous avons aussi pu constater que malgré le lien entre l’origine culturelle et la manifestation de la douleur, ce lien n’est pas aussi déterminant comme je l’ai supposé

la prise en charge de la douleur est inscrite dans le code de la Santé publique : « toute personne a le droit de.. recevoir des soins visant à soulager