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La vie est à nous : penser l auteur d une œuvre collective

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Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma

 

84 | 2018 Varia

La vie est à nous : penser l’auteur d’une œuvre collective

La vie est à nous : understanding authorship within a collective artwork La vie est à nous : la questione dell’autorialità in un’opera collettiva Aurélian Michon

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/1895/6046 DOI : 10.4000/1895.6046

ISSN : 1960-6176 Éditeur

Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC) Édition imprimée

Date de publication : 1 avril 2018 Pagination : 68-87

ISSN : 0769-0959 Référence électronique

Aurélian Michon, « La vie est à nous : penser l’auteur d’une œuvre collective », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 84 | 2018, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 08 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/1895/6046 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.6046

© AFRHC

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L’e´quipe technique deLa vie est a` nous(1936), avec Maurice Thorez, Paul Vaillant-Couturier et Jacques Duclos. Renoir se trouve derrie`re Thorez

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La vie est a ` nous : penser l’auteur d’une œuvre collective

par Aure´lian Michon

Pour les 80 ans du Front Populaire, le filmLa vie est a` nousa e´te´ l’objet d’une nouvelle restauration accompagne´e de nouveaux de´bats et approches critiques. Œuvre collective, re´alise´e en 1936 sous la direction de Jean Renoir et sur commande du Parti Communiste Franc¸ais, ce film est devenu un des symboles des « lendemains qui chantent ». Film militant, film perdu puis rede´couvert et aujourd’hui film restaure´, il cristallise beaucoup de questionnements. Comment aborder un tel film ? Que faire du sujet de´licat de sa paternite´ ? Les interrogations nombreuses autour du film, notamment sur la signature d’auteur et, inversement, celle du collectif, renvoient a` la manie`re d’appre´hender une œuvre hors normes. Si les re´ponses sont inscrites dans l’histoire, ces questions ne le sont pas moins.

Comment donc interpre´ter la diversite´ et le renouvellement re´gulier des points de vue surLa vie est a`

nous, selon les e´poques et selon les pays ?

« Un cine´ma libe´re´ » ?

Une fois le film termine´ en mars 1936 et rapidement approuve´ par la direction du PCF1, la promotion du film commence re´ellement le 29 mars. Un myste´rieux encart est publie´ dansl’Humanite´, avec pour seule mention la phrase

« La vie est a` nous ». Des encarts similaires paraissent spora- diquement dans les e´ditions suivantes. Aucune explication, uniquement ce titre-slogan, pour aguicher la curiosite´ des lecteurs. Le 3 avril, un grand article vient enfin expliquer ce titre, photographie de plateau a` l’appui : il s’agit d’un film, mais d’un film « ve´ritablement populaire »2qui ne vise pas a`

« endormir » ses spectateurs, une œuvre « commune » re´alise´e par une e´quipe de « techniciens, d’artistes et d’ouvriers » qui ont tenu a` rester anonymes. On insiste sur cette volonte´ de reprendre un peu de terrain aux « capitalistes du cine´ma »3. Aucun nom n’est pre´sent, seul le collectif est mis en avant. Il s’agit de remettre en question la manie`re meˆme dont on appre´hende la conception un film. La campagne publicitaire continue les jours suivants. Le compte rendu de la premie`re projection

L’Humanite´, 29 mars 1936

1. Il est pre´sente´ devant les membres du Comite´ Central. Malgre´ des critiques de certains membres, il est de´fendu par Maurice Thorez. Voir Ce´lia Bertin,Jean Renoir, Monaco, E´ditions du Rocher, 2005, p. 157.

2. [Anon.], «La vie est a` nous»,l’Humanite´, no13622, 3 avril 1936, p. 4.

3. Ibid.

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publique, a` la Bellevilloise le 7 avril, est publie´ deux jours plus tard. Si l’on fe´licite l’e´quipe, on acclame particulie`re- ment « le principal artisan de cette œuvre »4, Jean Renoir. Le lendemain, un nouvel article en pages cine´ma del’Humanite´

est publie´. Il s’agit cette fois de la critique « officielle » du film, par Paul Vaillant-Couturier, qui s’attarde sur ses qua- lite´s esthe´tiques. Il reconnaıˆt ne´anmoins certaines critiques, politiques, justifie´es5. De´sormais, la re´ussite du film est mise au cre´dit du talent de Jean Renoir, « l’animateur du film »6. Avec ce re´alisateur de´ja` prolifique, le PCF s’assure ainsi un appui fort dans la promotion du film, notamment aupre`s d’un public plus large que le seul public militant. Vaillant- Couturier e´voque a` nouveau l’aspect politique de la produc- tion : le film donne a` voir ce que peut eˆtre un film populaire, un cine´ma de´gage´ du pouvoir de l’argent. On retrouve d’ail- leurs la mise en avant du terme d’ouvriers pour de´finir l’e´quipe technique. L’avenir qu’ouvre un tel film dans le champ du cine´ma est ainsi beaucoup discute´, peut-eˆtre plus que ses qualite´s intrinse`ques. Beaucoup le conside`rent comme une œuvre de propagande et, en conse´quence, assu- ment le fait que l’on ne peut pas l’en blaˆmer7. La presse du Front Populaire s’en fait l’e´cho : dans Regardson parle de visage humain du communisme...8 En rattachant le film a` des valeurs universelles,

« humanistes », le PCF espe`re ainsi le rendre plus universel et se de´marquer de la seule propagande9. Un article de Pierre Bost dansVendredivante « le premier film-essai »10, s’inte´ressant ainsi au me´lange

Ge´ne´rique deLa vie est a` nous(1936)

4. [Anon.], « La premie`re de ‘‘La vie est a` nous’’ a obtenu un gros succe`s »,l’Humanite´, no13628, 9 avril 1936, p. 4.

5. « Si par certains aspects de son sce´nario,La vie est a` nouspeut donner lieu a` quelques critiques de de´tail » e´crit-il, relayant probablement ici certaines critiques formule´es au sein du Comite´ Central, portant notamment sur la sce`ne de l’usine : le PCF y monte une action relevant davantage du mouvement syndical (Paul Vaillant-Couturier, « Un film profonde´ment humain :La vie est a` nous »,l’Humanite´, no13629, 10 avril 1936, p. 4).

6. Ibid. De meˆme dans le court article que lui consacre Georges Sadoul en juin dansRegardsou` il parle de « Jean Renoir et ses collaborateurs » et exalte l’enthousiasme qui a anime´ « cette e´quipe d’excellents techniciens » (Regards, no125, 4 juin 1936, p. 17).

7. Voir Jonathan Buchsbaum,Cinema Engage´ : Film in the Popular Front, Urbana, University of Illinois Press, 1988, p. 144.

8. « Le communisme y apparaıˆt, non pas comme une chime´rique lueur d’espoir, mais avec son visage fraternel et humain » (I. Le Drimeur, «La vie est a` nous»,Regards, no117, 9 avril 1936, p. 17). A` ce moment, Renoir n’est pas encore cite´, on parle des « re´alisateurs du film », et l’article va dans le sens de l’ide´e d’un « film unique » et de l’espoir d’un nouveau cine´ma.

9. Pour Georges Sadoul, «La vie est a` nousest un film de propagande, mais en meˆme temps une œuvre d’une valeur artistique conside´rable » (art. cit.).

10. Pierre Bost, «La vie est a` nous»,Vendredi, 16 mai 1936.

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d’actualite´s et de fiction et a` son impact sur la structure de l’œuvre. C’est le seul texte critique a` voir dans le film une re´elle dialectique visuelle.

La the´matique de la censure fait ensuite rapide- ment son apparition, de`s le 17 avril : on repro- che au gouvernement en place d’avoir interdit des projections. L’Humanite´ demande des comptes au radical Jean Zay, de´ja` au gouverne- ment depuis janvier 193611. Apre`s les e´lections, on invitera le gouvernement frontiste en cours de formation a` s’engager sur le sujet, « en attendant que le gouvernement que pre´sidera notre camarade Le´on Blum accorde le visa »12.

Regards, 9 avril 1936

L’Humanite´, 23 avril 1936

Regards, 4 juin 1936

11. [Anon.], « Le gouvernement interdit l’utilisation du poste d’e´mission de Strasbourg »,l’Humanite´, no13636, 17 avril 1936, p. 1 Jean Zay a e´te´ nomme´ au sous-secre´tariat d’E´tat a` la Pre´sidence du Conseil en janvier 1936.

12. [Anon.], « MM. Saraut et Guichard voudraient interdire ‘‘La vie est a` nous’’ mais tole`rent des films monar- chistes »,l’Humanite´, no13670, 21 mai 1936, p. 2 ; et Georges Sadoul : « Il faut que bientoˆt, tre`s vite, le gouvernement de demain autorisela Vie est a` nous. Ce film est la voix de millions de Franc¸ais, une grande voix qui ne doit pas eˆtre e´touffe´e dans le huis-clos des se´ances prive´es. » (art. cit.).

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Pour contourner l’absence de visa, le film est pre´sente´ en se´ances prive´es aux adhe´rents de l’association Cine´-Liberte´. Il est ainsi montre´ en province, au sein d’un programme de films militants, dontGarches 1936etla Jungle. Au moins six copies 35 mm du film sont mises a` disposition, plus des copies en 16 mm utilise´es par des voitures e´quipe´es d’un projecteur portatif13. De`s l’e´te´ 1936, les courts encarts faisant la promotion des projections du film en province re´duisent le ge´ne´rique au seul nom de Jean Renoir. En de´cembre, celui-ci rec¸oit le premier prix Louis-Delluc pourles Bas-fonds. Un argument supple´mentaire pour la promotion du film et une raison de plus pour mettre le nom de son animateur en avant14. Au sein de la presse communiste, le collectif s’est rapidement efface´ au profit de la mise en avant d’un homme symbolisant le ralliement des artistes et des intellectuels au Parti Communiste.

Pour autant, la notion de collectif n’est pas oublie´e, mais elle subit un de´placement. Du collectif dans la production, on passe au collectif dans la re´ception, notamment via l’association Cine´-Liberte´. Sur le mode`le de Radio Liberte´, il s’agit de fe´de´rer les spectateurs dans une organisation de masse communiste, pour en faire des « spectateurs militants ». Il n’est donc plus question d’une re´volution dans la produc- tion, mais d’un changement tout aussi radical dans la manie`re derecevoirun film. Pour autant, le futur d’un cine´ma de´gage´ du pouvoir de l’argent n’est pas oublie´, notamment du fait des nombreuses productions collectives qui suivrontLa vie est a` nous,tant sous l’e´gide du PCF que de la CGT.

Une rede´couverte place´e sous la figure de Renoir

La fin du Front Populaire en 1938, la guerre et l’interdiction du PCF en 1939 rendent le film invisible. Il est alors aise´ d’imaginer que des copies sont de´truites comme l’ont e´te´ de nombreux documents du parti. L’Occupation aurait par la suite engendre´ « la destruction de tous les films des organisations de gauche par les autorite´s allemandes »15. De me´moire, certains historiens incluent l’œuvre dans les filmographies de Renoir, comme Pierre Leprohon qui cite, en 1957, un « court me´trage de propagande communiste »16. De´ja`, un ge´ne´rique a e´te´ reconstitue´ en 1954 par Maurice Barde`che, connu pour son engagement a` l’extreˆme-droite. Il ne cache pas son me´pris pour Renoir, un

« e´nergume`ne avise´ »17. Celui-ci, interroge´ par des jeunes cine´philes en 1959, reste confiant quant a`

l’existence de copies18. Ne´anmoins, sa prise de position par rapport au film est de´ja` davantage nuance´e, il se pose en «producer »19 et superviseur, non-communiste mais porte´ par l’enthousiasme de 1936.

13. [Anon.], [Encart publicitaire],l’Humanite´, no13962, 9 mars 1937, p. 4.

14. Un exemple parmi beaucoup d’autres dans la presse militante re´gionale cite le « grand metteur en sce`ne ».

[Anon.], « Grande soire´e cine´matographique »,Rouge Midi, 5 fe´vrier 1937, p. 3.

15. Lettre de Jean-Paul Le Chanois a` Jacques Charrie`re, 26 juillet 1969 (Fonds Jean-Paul Le Chanois, Cine´ma- the`que franc¸aise). Cette affirmation est a` nuancer puisque certains films furent emmene´s a` Berlin.

16. Pierre Leprohon,Pre´sences contemporaines : cine´ma, Paris, Debresse, 1957.

17. Maurice Barde`che, Robert Brasillach,Histoire du cine´ma, tome 2, Paris, Andre´ Martel, 1954.

18. [Anon.],URCJ Informations – Bulletin de liaison des cine´-clubs de jeunes de l’acade´mie de Toulouse, 1959, p. 7.

19. Ibid.

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Le film est finalement rede´couvert en URSS, dans les collections du Gosfilmofond, en 1968 et c’est la revuel’Avant-Sce`ne Cine´maqui le re´ve`le en France. Il est pre´sente´ une premie`re fois en novembre aux membres du Cine´-club des Invisibles20. Malgre´ les sollicitations, ni Renoir, ni Le Chanois, l’un des core´alisateurs, ne participent a` la se´ance. Jacques Charrie`re, re´dacteur en chef de la revue, e´crit alors a`

Le Chanois. Le film a e´te´ accueilli avec un « vif inte´reˆt »21et Charrie`re se prononce pour une sortie du film « hors de la clandestinite´ »22, en y rajoutant « un de´roulant en guise de ge´ne´rique »23. L’inte´reˆt d’un tel ge´ne´rique est important car il met en avant les figures de´sormais ce´le`bres qui ont participe´ au film24. Mais cette demande d’un ge´ne´rique est plus qu’une initiative de communication. Il semble inconcevable, au sein de la critique franc¸aise, qu’un film ou` Jean Renoir a e´te´ implique´ demeure sans auteur. Les textes fondateurs de la « politique des auteurs » ne sont pas si lointains, et le re´alisateur, ainsi que Jacques Becker, en e´taient justement parmi les premiers be´ne´ficiaires. Ainsi, a` partir de la re´ponse de Le Chanois, le ge´ne´rique est e´tabli. En 1969, une fois passe´e les formalite´s administratives (obtention d’un visa) et mate´rielles (obtention d’une copie pour tirage), le film sort enfin en salles graˆce a` la Coope´rative de Production et de Diffusion du Film. En 1970, la CPDF e´crit a` la socie´te´

SovexportFilms, charge´e de distribuer les films sovie´tiques hors de l’URSS :

Je confirme l’inte´reˆt que nous attacherons a` pouvoir recevoir 2 et au moins une copie 16 mm du film franc¸aisLa vie est a` nous, dont le ne´gatif, ou en tout cas un contretype, doit exister a` Moscou. [...] Nous croyons pouvoir assurer que le mate´riel de tirage doit eˆtre a` Moscou puisque la Cine´mathe`que sovie´tique a envoye´ une copie 35 mm a` la Cine´mathe`que de Toulouse25.

Un an apre`s mai 1968, le film connaıˆt une abondante presse. L’e´mission Allez au cine´ma est pre´sente´e depuis le studio Gıˆt-le-Cœur26ou` le film est projete´. On y insiste sur la non-appartenance de l’e´quipe au PCF. Ainsi justifie-t-on d’autant plus l’ide´e d’une grande vague populaire emportant artistes, intellectuels et ouvriers sur son passage. Pour contrebalancer la figure de Renoir, l’e´mission met en avant Jean-Paul Le Chanois, pre´sente´ comme e´tant a` l’origine du film. Mais pour ce dernier, interviewe´, le film n’est pas tout a` fait une œuvre collective, mais bien une œuvre originale d’un petit groupe d’individus avec un homme, Jean Renoir, « qui a vraiment mis sa marque a` ce film, tre`s profonde´ment, dont nous avons e´te´ les assistants ». La pre´sentatrice tempe`re cette affirmation en rappelant encore la non-appartenance au PCF de Renoir et de ses come´diens. Le de´bat est amorce´

entre Jean Renoir et Jean-Paul Le Chanois, afin de de´terminer a` qui des deux appartient le film – car le film se devrait d’avoir un « auteur ». De`s lors, la question du collectif semble provisoirement e´carte´e.

20. Voir Michel Marie, « Pourquoi une Cine´mathe`que universitaire ? »,1895, no43, 2003.

21. Lettre de J. Charrie`re, du 14 novembre 1968 (fonds Le Chanois, Cine´mathe`que franc¸aise).

22. Ibid.

23. Ibid.

24. « Beaucoup d’acteurs et de techniciens qui devaient devenir ce´le`bres ». (Robert Chazal, «La Vie est a` nous», France Soir, 13 novembre 1969)

25. Lettre de la CPDF a` SovexportFilms, 1970 (archives Cine´-Archives).

26. Allez au cine´ma, diffuse´e le 17 novembre 1969 sur la deuxie`me chaıˆne de l’ORTF.

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Pour la presse, le film est surtout a` envisa- ger pour son inte´reˆt historique. Ce serait une

« image d’E´pinal du Front Populaire »27, vu avec le recul d’aujourd’hui. Cette notion re´currente ane´antit ainsi toute analyse poli- tique ou esthe´tique. Si beaucoup saluent un film unique, qui tiendrait autant du cine´ma sovie´tique que « des grands e´lans de´mocrati- ques de certains cine´astes de l’e`re roosevel- tienne »28, et admirent son montage, on reconnaıˆt souvent une certaine faiblesse dans les passages fictionnels, qualifie´s de « sayne`tes idylliques »29 ou encore de « boy-scoutisme politique »30. On reproche fre´quemment au film sa « naı¨vete´ » : l’opposition trop simpliste de son discours en serait la cause. Pourtant tous fe´licitent Renoir d’avoir su « de´passer » l’œuvre de propagande. Le film prendrait alors sa « ve´ritable dimension »31. Le sceau de Renoir permettrait d’aller au-dela` de la propa- gande et on se fe´licite de connaıˆtre encore plus son œuvre : dans la presse communiste, on y reconnaıˆt bien sa « patte ferme »32. En effet, en le rattachant a` son suppose´ auteur principal, le film peut eˆtre lu en regard de ses œuvres pre´- ce´dentes et suivantes : c’est la vision meˆme de´fendue par les initiateurs de la politique des auteurs. Franc¸ois Truffaut e´voquera d’ail- leurs le film33. Qu’il soit pris dans un diptyque avecla Marseillaise34ou comme brouillon dela Re`gle du jeu35, le film est toujours rattache´ a` Renoir et a` son œuvre. Meˆme le communiste Georges Sadoul de´crit le film comme un travail brillant certes, mais de Renoir. La pre´sentation du film dans un

E´missionAllez au cine´ma, 1969. INA

Jean-Paul Le Chanois en 1969. INA

27. Michel Perez, «La vie est a` nous»,Combat, 29 novembre 1969.

28. Ibid.

29. Jean de Baroncelli, « 29/36 au Studio Gıˆt-le-Cœur »,le Monde, 18 novembre 1969.

30. Ibid.

31. Ibid.

32. Samuel Lachize, «La vie est a` nousde Jean Renoir »,l’Humanite´, 6 janvier 1969.

33. Franc¸ois Truffaut dans Andre´ Bazin,Jean Renoir, Paris, Ge´rard Lebovici, 1989, pp. 208-209.

34. Michel Capdenac, «La vie est a` nous »,les Lettres franc¸aises, 12 novembre 1969.

35. Marcel Reguilhem, « Les anne´es trente (films politiques) »,Re´forme, 22 novembre 1969.

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programme incluant Nogent, Eldorado du dimanche de Marcel Carne´ renforce encore plus cette approche auteuriste.

Cette logique, a priori schizophre´nique, se retrouve a` maintes reprises : si l’on reconnaıˆt l’originalite´

de son processus de fabrication collectif, on lui pre´fe`re l’attribution et le sauvetage par son auteur, Jean Renoir.

Pour certains, le film permet d’opposer le monde du cine´ma contemporain a` celui des anne´es 1930, suppose´ moins mercantile. Le film devient ainsi un symbole d’un cine´ma libre mais martyr, victime des lois du commerce cine´matographique36. L’image d’E´pinal, tant utilise´e, se retrouve dans la repre´sentation meˆme que les critiques se font du film.

Rapidement, les articles de´rivent : on ne parle plus tant du film que d’une e´poque re´volue. La dite prouesse de Renoir aurait ainsi e´te´ de « filmer l’esprit du temps »37. L’image d’une e´quipe technique

« emporte´s par le grand e´lan unitaire »38, « since`res »39 ne fait que rajouter au pittoresque de cette e´poque et son « charme de´suet »40. Pierre Billard, dansl’Expressen constitue un bon exemple :

Une kermesse he´risse´e de poings dresse´s, chœurs...[...]. Plane`te lointaine de nos songes enfuis, que vous eˆtes belle a` la lumie`re du souvenir41.

Tout est pardonne´ au film de ce fait. Cette « aura de poe´sie »42l’emporte sur le contenu politique (date´ ?) et l’esthe´tique (non-conventionnelle, voire imparfaite ?).

Jean Renoir (au fond) dansLa vie est a` nous(1936). Julien Bertheau et Jean-Paul Dreyfus (Le Chanois) dansLa vie est a` nous(1936)

36. Michel, Perez, «La vie est a` nous», art. cit.

37. Claude-Jean Philippe, « 29/36 Le Front Populaire vu par Renoir et Carne´ »,Te´le´rama, no1053, 2 novembre 1969, pp. 59-60.

38. Pierre Billard, « Les hiers qui chantent »,l’Express, 17 novembre 1969.

39. Ibid.

40. Jean-Louis Bory, «La vie est a` nous»,le Nouvel Observateur, no260, 3 novembre 1969, p. 50.

41. Pierre Billard, « Les hiers qui chantent », art. cit.

42. Michel Capdenac, «La vie est a` nous», art.cit.

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Pour autant, des critiques de cine´ma plus engage´s refusent cette nostalgie. Issu de la gauche non- communiste, Jean-Louis Bory, dans le Nouvel Observateur, a bien conscience de ce mal, en reniant le

« douteux pe`lerinage sentimen- tal »43de ses confre`res, tout en ne proposant pas de re´elle alternative.

Quelques-uns se risquent a` une analyse culturelle, relevant presque de la sociologie. Albert Cervoni, dans France nouvelle, hebdoma- daire communiste, semble ainsi eˆtre le premier a` se poser une ques- tion simple – et pourtant ne´cessi- tant une prise de recul : pourquoi ce film fascine-t-il encore ?44Il s’appuie sur deux se´ances du film, en fin d’apre`s-midi et en soire´e, dont il note, non sans une certaine exage´ration, le succe`s populaire. S’il conside`re certes le « prestige acquis d’avance a` toute œuvre de Renoir »45, l’attrait du Front Populaire est e´galement une explication : certains l’ont ve´cu, d’autres en sont curieux. L’approche auteuriste et une approche plus nostalgique du Front Populaire se retrouvent encore ici. Vient ensuite l’analyse formelle du film. Cervoni prend le film entier comme un te´moignage historique. Les sce´nettes sont, de`s lors, une repre´sentation de la manie`re dont la socie´te´ franc¸aise de 1936 se de´peignait. L’e´volution du style oratoire l’inte´resse e´galement, prenant pour comparaison les discours du film et les discours actuels, te´le´vise´s – ce qui lui permet ainsi de noter l’inventivite´ du Parti Communiste.

En effet, en 1969, le PCF est alors un des grands partis politiques franc¸ais, rassemblant 21, 27 % des voix a` l’e´lection pre´sidentielle de cette meˆme anne´e sur la candidature de Jacques Duclos – qui figure dans le film de 1936. Ainsi, la re´ception du film se fait e´galement au prisme de la politique actuelle de son commanditaire. L’absence de censure de la part du parti est note´e : a` l’heure de la de´stalinisation, on s’exclame de voir le portrait de Staline aux coˆte´s de Maurice Thorez46. Pour l’Humanite´, la rede´couverte du film reste un grand moment. Pre´sente´ comme « le film de Jean Renoir »,La vie est a` nous est qualifie´ de cine´ma-te´moin (« cine´ma ve´rite´ »47?). Le quotidien commu-

Jacques B. Brunius en patron dansLa vie est a` nous(1936)

43. Jean-Louis Bory, «La vie est a` nous», art. cit.

44. Albert Cervoni, «La vie est a` nous»,France Nouvelle, 12 janvier 1969.

45. Ibid.

46. Guy Hennebelle, «La vie est a` nous»,Jeune Cine´ma, no37, mars 1969, p. 27 et Marcel Martin, «La vie est a`

nous»,Cine´ma 69, no141, de´cembre 1969, p. 110.

47. Samuel Lachize, «La vie est a` nousde Jean Renoir », art. cit.

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niste en veut pour preuve l’analyse inter- nationale porte´e par le film, de´nonc¸ant Hitler et Mussolini, avant la guerre. On doit noter ici l’absence de toute mention du colonel de La Rocque, maintes fois raille´ dans le film et pre´sente´ aux coˆte´s d’Hitler et de Mussolini, mais dont l’engagement dans la Re´sistance durant l’Occupation rend la position beaucoup plus complexe et le propos du film par- tiellement errone´48. Le journal nuance toutefois grandement le film, en le quali- fiant e´galement de naı¨f et en l’ancrant dans son temps. Cette prise de distance permet d’exclure toute proximite´ du PCF

actuel avec certaines figures bien pre´sentes dans le film. Le PCF a donc duˆ mal a` s’approprier cet objet et semble toujours re´ticent a` faire des compromis au nom des ne´cessaires raccourcis de la cre´ation. En somme, la ligne du parti semble donc de´termine´e de la sorte : le film, re´alise´ par Renoir, est un te´moin historique du caracte`re d’avant-garde et de la continuite´ des positions du PCF. Le film montrerait ainsi que « les communistes avaient raison »49. Ce film me´langeant fiction et documentaire devient de`s lors l’e´nonciation d’une ve´rite´, marqueur historique du discours des communistes.

Enfin, d’autres font un lien avec l’actualite´. DansFrance Soir, Robert Chazal relie ce film avec ceux sur la guerre du Vietnam, eux aussi victimes de censure50. On rapproche l’imagerie du film de celle de mai 1968. Guy Hennebelle, dansJeune Cine´ma, convient du caracte`re propagandiste du film et, en conse´quence, de sa ne´cessaire simplification. De la sorte, il ne´glige le contexte historique de production du film. Au demeurant, cela reste pour lui « un film ou` court une belle flamme re´volutionnaire que l’on n’a sans doute retrouve´e en France qu’au cours du joli mai dernier »51. Le film aura visiblement

Maurice Thorez dansLa vie est a` nous(1936)

48. Le rattachement du mouvement politique de masse du colonel La Rocque, les Croix de feu (interdit en juin 1936, il devient le Parti social franc¸ais) au fascisme est en de´bat entre les historiens franc¸ais et e´trangers. Parmi ces derniers Zeev Sternhell et Robert Soucy – qu’a soutenus Robert O. Paxton – conside`rent que ce parti antiparlementa- riste, nationaliste, anticommuniste et anti-Francs-mac¸ons stigmatisant l’invasion de la France, « par une fausse et criminelle conception du droit d’asile », d’« une multitude inde´sirable », d’« Israe´lites sans feu ni lieu », qui soutint le re´gime de Vichy et proˆnait, en 1941, un « appareil militaire fonde´ sur la doctrine d’unite´ nationale et de collaboration continentale ainsi que sur la conception d’un e´quilibre intercontinental », repre´sentait bien une forme de fascisme franc¸ais (plus proche du fascisme italien que du nazisme). Voir : Robert Soucy,French Fascism : the First Wave (1924- 1933), Yale, Yale University Press, 1986 [Le Fascisme franc¸ais 1924-1933, Paris, PUF, 1989], French Fascism : the Second Wave (1933-1939), Yale, Yale University Press, 1995 etFascismes franc¸ais ? 1933-1939. Mouvements antide´mo- cratiques, Paris, Autrement, 2004 (NdR).

49. Samuel Lachize, «La vie est a` nous»,l’Humanite´ Dimanche, 23 novembre 1969.

50. Robert Chazal, « 1929-1936, trois films retrouve´s »,France Soir, 13 novembre 1969.

51. Guy Hennebelle, «La vie est a` nous», art. cit., p. 27.

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marque´ Hennebelle qui, outre ses e´tudes nombreuses et pionnie`res sur la vide´o militante, intitulera pendant des anne´es sa rubrique consacre´e a` ce sujet dans la revueE´crans« La vie est a` nous »52, premier pas vers une transformation du film en un simple titre symbolique.

Le paralle`le avec mai 1968 n’est toutefois pas uniquement une source d’optimisme :

Apre`s l’e´chec des mises en sce`nes somptueuses de mai 1968 tendant a` faire de´vier la politique du sillon des jours ennuyeux et faciles, apre`s La vie est a` nous et ses vise´es prome´the´ennes ; a` quel point paraissent fades et tristes les films officiels de campagne e´lectorale53.

Par ailleurs, l’histoire sociale re´cente n’est peut-eˆtre pas en faveur du mouvement communiste. On note ainsi la question de l’acce´le´ration des cadences, bien pre´sente dans la sce`ne de l’usine, et qui aurait pourtant e´te´ escamote´e par la CGT en 196854. C’est, sans surprise,Positifqui proce`de a` une critique politique du film. Goffredo Fofi s’en prend violemment a` lui. Il note l’absence de toute matie`re re´volutionnaire. Les re´fe´rences au socialisme sont rares, « et celles a` la Russie sovie´tique parfaitement absentes – suˆrement pour ne pas trop e´pouvanter les e´lecteurs possibles des ‘‘classes moyennes’’ »55. Cette re´flexion de Fofi est ne´anmoins tre`s incomple`te – et pour cause : elle date de 1966. Mais cette absence de contenu politique se retrouve dans les critiques de la presse militante. Jean Morel, membre du Parti Socialiste Unifie´ (PSU), reproche au film de « jouer sans cesse le re´flexe contre la re´flexion »56, en proposant les grandes teˆtes du PCF comme des vedettes de cine´ma.

Le film politique d’un parti qui se re´clame du mate´rialisme historique doit aussi appliquer a` l’analyse de cette situation concre`te qu’est le film qu’il veut fabriquer les concepts qu’il applique a` d’autres situations. Faute de quoi, il se de´fend ou attaque avec les armes ide´ologiques de l’ennemi de classe57.

Morel reproche aussi au film, trop consensuel, de favoriser l’adhe´sion de personnes qui pourraient avoir des ide´es discordantes sur d’autres sujets d’importance. Quelques anne´es plus toˆt, Marcel Oms, alors du meˆme parti, critiquait violemment le film et l’engagement de Renoir. Dans le contexte d’une Ve re´publique ou` le PCF est l’un des acteurs dominant de la vie politique institutionnelle, Oms cherche a` de´cre´dibiliser le cine´aste :

Renoir est de´sormais un chef de file pour les cine´astes de la Ve. Avec le stalinien qu’il fut et les mystifications du Front Populaire, la contradiction n’est qu’apparente58.

52. Rubrique apparue de`s le no22 de la revue (fe´vrier 1974), d’abord consacre´e au « cine´ma paralle`le ».

53. Marcel Reguilhem, « Les anne´es trente (films politiques) », art. cit.

54. Goffredo Foffi, «La vie est a` nous»,Positif, no113, fe´vrier 1970, pp. 43-47.

55. Ibid.

56. Jean Morel, «La vie est a` nous»,Tribune Socialiste, 25 de´cembre 1969.Tribune Socialistee´tait l’hebdomadaire du Parti Socialiste Unifie´ (PSU).

57. Ibid.

58. Marcel Oms, « Renoir, revu et rectifie´ »,Premier Plan, no22-23-24, mai 1962, p. 51.

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La vision desCahiers: film e´tendard de la the´orie critique

Ces premie`res analyses politiques amorcent une grande question : comment parler de nos jours d’un film militant de 1936 conc¸u et produit dans ce contexte social si particulier ? C’est la` le sujet de l’ana- lyse qui va eˆtre la plus connue et la plus de´terminante : le texte-manifeste collectif desCahiers du cine´ma.

Suite a` mai 1968, la revue s’est pose´e plusieurs fois la question de son engagement politique. En 1969, son comite´ de re´daction de´cide d’adopter une

« the´orie critique [...] fonde´e sur la science marxiste du mate´rialisme historique et les principes du mate´rialisme dialectique »59. Le film apparaıˆt en couverture du nume´ro 217, et est e´tudie´ dans le suivant. L’analyse de la re´ception du film est faite afin de distinguer l’attitude d’une presse « bourgeoise » face a` celle, cri- tique, desCahiers:

La plupart des critiques ne se soucient pas tant de la nature militante du projet – sinon sur un mode nostalgique, [...] qu’elles ne privile´gient curieusement la seule e´tude des modalite´s de la fabrication du film60.

C’est en effet la posture consistant a` e´tablir un ge´ne´rique et questionner sans cesse l’implication de Renoir, en prenant pour preuve le lien du film avec ses autres re´alisations. Les auteurs notent tre`s justement que « la critique a parle´ de ce qui semblait justifier son inte´reˆt pour le film – c’est-a`-dire l’entreprise collective, le ge´nie de Renoir, l’e´vocation sentimentale de l’e´poque – mais non du film lui- meˆme »61.

La contribution de Renoir n’est pas occulte´e, mais elle est donne´e a` lire selon un axe historique.

Ainsi, l’analyse desCahiersreprend le discours de Maurice Thorez, « l’Union de la nation franc¸aise », comme base the´orique du film. En cela, les auteurs veulent faire de Renoir une figure majeure de l’art militant, a` la rencontre de Dziga Vertov et de Bertolt Brecht. Ce lien est d’ailleurs de´veloppe´ par Jean Narboni et Jacques Rivette surFrance Culture: les sce´nettes permettent ainsi, selon eux, d’« illustrer l’objectivite´ du processus historique »62. L’analyse des Cahiers accorde beaucoup d’importance a` la

Couverture du nume´ro 217 desCahiers du cine´ma

59. Jean-Claude Biette, « E´ditorial »,Cahiers du cine´ma, no218, mars 1970, pp. 3-4.

60. Pascal Bonitzer, Jean-Louis Comolli, Serge Daney, Jean Narboni, «La vie est a` nous, film militant »,Cahiers du cine´ma, no218, mars 1970, pp. 44-51.

61. Ibid., p. 46.

62. E´missionArt et esthe´tiquediffuse´ le 3 de´cembre 1969 sur France Culture.

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construction du film, et a` son rapport au documentaire et a` la fiction. Par exemple, au de´but du film : des prises de vues docu- mentaire avec commentaire en voix off, mais qui s’ave`rent eˆtre en fait une lec¸on d’e´cole, dont le contenu est tourne´ en ironie par le professeur. Le film poserait donc un questionnement meˆme sur sa forme, ce qui, pour les Cahiers, le distingue de beaucoup d’autres productions militantes.

Enfin, la troisie`me partie, sou- vent attribue´e a` Renoir, est analy- se´e. Dans celle-ci, le protagoniste n’est pas un militant, mais un jeune homme qui va le devenir. Ce « passage d’un e´tat de conscience a` un autre »63est crucial pour les Cahiers. Au lieu des ouvriers et des paysans du reste du film, ce segment s’adresse a` la petite- bourgeoisie. Il s’agirait ainsi de convaincre cette fraction de la population et c’est pour eux, selon les Cahiers, que le film est re´alise´. De´couper la « masse », notion somme toute assez abstraite, en un vrai destinataire, tel aurait e´te´ l’enjeu majeur.La vie est a` nousserait donc un film-outil, et son appel a` voter serait un appel au spectateur a` prendre la parole.

Cette approche porte a` la fois une vision critique sur les autres analyses du film et propose l’analyse politique la plus pousse´e. Fin 1971, lesCahiers du cine´machangent de ligne politique, en se de´clarant pour la « Re´volution Culturelle » chinoise. La « compromission » avec le PCF, taxe´ de re´visionniste, devient impossible. L’article est renie´, pour avoir repris « la the`se du film (les the`ses du PCF a` l’e´poque du Front populaire et aujourd’hui, sur le Front populaire) »64. Cette dernie`re notion fait e´merger une nouvelle critique : celle de la re´appropriation du film par le PCF pour construire son discours actuel sur le Front Populaire.

L’essai des Cahiers du cine´ma et son rapide reniement ferment la porte a` toute autre analyse.

Renforce´s en cela par l’opposition avec Positif, les critiques des Cahiers interdisent de´sormais a` tout chercheur et toute « de´marche critique » d’e´tudier le film. On pourra toutefois rappeler que Jean Narboni enseignera de`s 1971 au centre universitaire expe´rimental de Vincennes, universite´ ou` la notion de collectif irriguera plusieurs re´alisations en film et vide´o dans les anne´es 1970.

L’instituteur deLa vie est a` nous, interpre´te´ par Jean Daste´

63. «La vie est a` nous, film militant », art. cit., p. 50.

64. [Anon.], « E´ditorial, Politique et lutte ide´ologique de classes »,Cahiers du cine´ma, no234-235, de´cembre 1971/

janvier-fe´vrier 1972, pp. 5-12

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L’e´ternelle « image d’E´pinal »

Passe´e sa rede´couverte, les lectures du film semblent donc le re´duire a` donner une vision e´ternelle du Front Populaire. Quelques auteurs l’exhument dans le cadre d’e´tudes du cine´ma de propagande comme repre´sentant de « toute une production de films ou` se retrouvent les meˆmes types, silhouettes et personnages »65, ou sinon pour sa valeur de te´moignage historique, le film e´tant souvent cantonne´ a` une version illustre´e du discours de Maurice Thorez. Il est de`s lors rele´gue´

aux comme´morations : en 1986, pour les 50 ans du Front Populaire, il ressort une nouvelle fois en salles et en vide´o. Depuis 1969, la repre´sentation publique du PCF a bien change´ ; en pleine explo- sion libe´rale, l’image du Front Populaire aussi. On retrouve toujours le film taxe´ de « naı¨vete´ »66, tout en excluant Renoir de ce discre´dit. Meˆme pour l’Humanite´, il faudrait se « recueillir »67 devant ce film, et non plus s’engager ou re´fle´chir. On note ne´anmoins tous les noms des participants, car leur participation « a valeur d’engagement sur les pro- positions des communistes »68. Certains se servent du film pour critiquer le PCF contemporain, pour de´noncer l’« immobilisme ide´ologique d’un PC devenu archaı¨que »69, dont le discours serait tou- jours le meˆme aujourd’hui. Meˆme critique ne´ga- tive a`Te´le´rama, pour qui le film a vieilli, qui n’y retrouve plus la moindre trace de Renoir qui pourrait en justifier l’inte´reˆt70. Le titre du film devient progressivement un slogan-symbole du Front Populaire, qu’on retrouve dans des livres

Des e´coliers de Drancy dansLa vie est a` nous(1936)

65. Marcel Oms, « L’inextricable »,les Cahiers de la Cine´mathe`que, no18-19, printemps 1976, pp. 9-15.

66. M.B.[Michel Boujut], «La vie est a` nous»,l’E´ve´nement du jeudi, no84, 12 juin 1986.

67. C.S., «La vie est a` nous»,l’Humanite´ Dimanche, 13 juin 1986.

68. J.R. [Jean Roy], « Le cœur et la raison »,l’Humanite´, 28 mai 1986, p. 17.

69. Dominique Jamet, « Une campagne de parti »,le Quotidien de Paris, 4 juin 1986.

70. Gilbert Salachas, «La vie est a` nous»,Te´le´rama, no1898, 28 mai 1986.

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ou des documentaires71, signe ultime de ce basculement de l’œuvre dans une image que l’on veut

« typique » de la pe´riode. Malgre´ cette « popularite´ », le film en tant que tel demeure absent des tre`s nombreux ouvrages consacre´s a` son animateur apre`s sa mort72. Les rares qui l’e´voquent se bornent a`

un contexte strictement historique et s’essaient a` recre´er la ge´ne´alogie du film.

« The People of France » : l’approche anglo-saxonne

Cependant, un renouveau dans l’e´tude du film va venir de chercheurs anglo-saxons moins obnu- bile´s par la question de sa paternite´. Le film fait partie de plusieurs e´tudes importantes consacre´es a`

Renoir et est traite´ comme n’importe quelle autre œuvre. Peut-eˆtre cela est-il duˆ a` une approche moins lie´e a` la tre`s franc¸aise « politique des auteurs ». Peut-eˆtre aussi cela vient-il d’une meilleure connaissance de l’œuvre ame´ricaine de Jean Renoir, elle-meˆme pouvant eˆtre perc¸ue comme souvent collective, ne serait-ce que du fait du syste`me de production ame´ricain. Lorsque Renoir, en France, tente de de´finir son implication dans La vie est a` nous, il se de´finit, on l’a vu, comme un «producer »73. Longtemps envisage´e comme une habile manie`re de renier sa paternite´, cette citation devrait peut-eˆtre eˆtre interpre´te´e comme le commentaire d’un habitue´ du fonctionnement hollywoodien, dans lequel le re´alisateur n’est qu’un technicien aux ordres du studio – et du producteur. Rappelons ici les nombreux de´meˆle´s de Renoir avec ses producteurs ame´ricains... Cette pe´riode ame´ricaine (1941-1952) est e´galement marque´e par plusieurs films de propagande, dont This Land Is Mine (Vivre libre, 1943) qui connaıˆt le succe`s aux E´tats-Unis74. La figure ame´ricaine de Renoir est donc de´ja` celle d’un re´alisateur engage´. Il ne faut pas non plus oublier que La vie est a` nousa e´te´ diffuse´, de`s 1937, aux E´tats-Unis et en Angleterre. Il a e´te´ projete´ a` Londres par la London Film Society le 18 avril 193775, tandis qu’il est sorti le 4 de´cembre 193776 a` New York au Squire Theater, graˆce au travail de l’exploitant et distributeur Matthias Radin, spe´cialise´ dans le cine´ma sovie´tique. Ainsi, le film a-t-il e´te´ montre´ dans le monde anglo-saxon et de`s le de´but rattache´ au cine´ma politique et d’avant-garde.

De plus, cette diffusion, en 1937, offrait une prise de recul par rapport aux e´ve´nements : le titre choisi

71. Danielle Tartakowsky,le Front Populaire. La vie est a` nous, Paris, Gallimard, 1996, mais aussi le documentairele Front populaire : a` nous la vie, de Jean-Franc¸ais Delassus (2011).

72. Des exemples ou` le film n’est pas meˆme cite´ : Daniel Serceau,Jean Renoir, l’insurge´, Paris, Le Sycomore, 1981 ; Pierre Haffner,Jean Renoir, Paris, Rivages, 1987.

73. [Anon.],URCJ Informations – Bulletin de liaison des cine´-clubs de jeunes de l’acade´mie de Toulouse, 1959, p. 7.

74. 1 400 000 $ de recettes en 1943 (Cf. [Anon.], « Top Grossers of the Season »,Variety, vol. 153 no4, janvier 1944, p. 54, et une bre`ve information duHollywood Reporterdu 1erjuin 1943 (p. 3), qui note un record de recettes pour un premier jour. On sait qu’il n’en a pas e´te´ de meˆme en France ou` la vision donne´e de l’Occupation a rencontre´

l’incompre´hension et la se´ve´rite´ d’Andre´ Bazin («Vivre libre.La re´sistance franc¸aise a` l’usage des Chinois »,l’E´cran franc¸ais, no55, 17 juillet 1946, p. 7).

75. Diffusion au sein d’un cycle autour de films censure´s et de films sovie´tiques. Voir la collection de la Film Society au BFI, Item 15 (Douzie`me saison, 1936-1937, no95).

76. [Anon.], « Benny Is Placed In Never Say Die », Supple´ment auNew York Times, 4 de´cembre 1937, p. 21.

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pour la sortie ame´ricaine, «The People of France », connotait de´ja` d’un certain folklore, une distanciation par rapport au projet annonce´ par le titre franc¸ais. Cette diffusion, un an apre`s la sortie franc¸aise, permet aussi de tisser des liens avec d’autres films politiques. De`s 1937, un critique le rapproche deTerre d’Espagnede Joris Ivens77, tandis que Radin prend une option sur la distribution dela Marseillaise78. La circu- lation du film dans un milieu baigne´ d’avant-garde et de socialisme va peut-eˆtre influencer des re´alisateurs militants ame´ricains, notamment un court me´trage, Time to Act, produit autour de la campagne de Henry Wallace a` l’e´lec- tion pre´sidentielle de 194879. De ce fait, le film est plus souvent cite´ dans des e´crits en anglais, alors qu’il est quasi- ment oublie´ en France – la rupture est moins grande de l’autre coˆte´ de la Manche et de l’Atlantique.

En 1939, le film est e´tudie´ dans plusieurs pages du livre The Film Answers Back, d’Emanuel Walter Robson et Mary Major Robson. L’analyse intervient apre`s celle de Kuhle Wampe (1932) de Slatan Dudow, Bertolt Brecht et Ernst Ottwald, et la comparaison est re´currente. Les auteurs y regrettent les longs passages de discours, montrant, selon eux, que les communistes ne re´ussissent pas a` s’e´manciper « du subjectivisme et de la me´thode introspective »80. Les passages s’attaquant aux ennemis (bourgeois et dictateurs) sont en revanche, selon eux, porte´s par le re´alisme franc¸ais et la satire, loin de la lourdeur trop se´rieuse du film de Brecht. L’e´tude se termine sur la divergence majeure entre les deux œuvres : « dansLa vie est a`

nous, le proble`me, malgre´ une analyse the´orique, n’est pas abstrait, mais totalement concret et ancre´

dans un monde re´el »81. Si les the`ses des Robson, par moments pre´curseurs de quelques anne´es d’un Siegfried Kracauer, sont aujourd’hui oublie´es, il faut noter les re´e´ditions successives du livre, en 1947 puis dans les anne´es 1970 par leNew York Times. Le film est e´galement cite´ quelques anne´es plus tard, en 1964, par Peter Wollen dans la New Left Review82. Cet effort pour rattacher Jean Renoir a` la gauche est particulie`rement significatif dans cette revue emble´matique de la nouvelle gauche (post- )marxiste anglaise, regroupe´e autour du pionnier descultural studies, Stuart Hall.

Film Daily, 14 mai 1937

77. B.C, «The People of France, an ‘‘anti-Fascist film’’ », [magazine inconnu], Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive, 6 de´cembre 1937.

78. [Anon.], « Radin to Handle French ‘‘Popular Front’’ series »,The Film Daily, 14 mai 1937, p. 7.

79. Charles Musser, « Carl Mazani and Union Films »,The Moving Image, vol. 9, no1, printemps 2009, p. 123.

80. Emanuel W. Robson, Mary M. Robson, The Film Answers Back : An Historical Appreciation of the Cinema, Londres, John Lane the Bodley Head, p. 236.

81. Ibid.

82. Sous le pseudonyme de Lee Russell : L. Russel, « Jean Renoir »,New Left Review, vol. 1, no25, mai-juin 1964.

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Comme en France, la rede´couverte du film renouvellera les e´tudes. Mais c’est moins une rupture, qu’un regain d’inte´reˆt. Le terrain avait e´te´ pre´pare´ parla Marseillaise en 1967, le film faisant l’ouver- ture du festival de Londres. Conse´quence possible de la rede´couverte rapproche´e de ces deux titres, les e´crits anglais s’attachent moins a` la figure de Renoir qu’a` celle du cine´ma du Front Populaire et du cine´ma politique. C’est le cas de la plupart des ouvrages traitant du film, au contraire des mono- graphies consacre´es a` la seule œuvre de Renoir en France.

Ainsi, Christopher Faulkner e´tudie le film a` deux reprises : une fois en 1979 en se consacrant a` son historique83, puis une autre, en 1986, pour son esthe´tique, dans son ouvrageThe Social Cinema of Jean Renoir84. Une fois encore, l’analyse brechtienne est reprise. Il replace l’œuvre dans son contexte de production et de diffusion militant, posant cela comme une pratique porteuse d’un sens plus impor- tant que son contenu politique. Au lieu de tomber dans l’anecdotique, il s’agit bien de penser politiquement la production. Faulkner e´tudie e´galement l’oubli de la dimension politique du film comme e´tant due a` son caracte`re de´rangeant, bousculant les formes de la fiction bourgeoise. Alexander Sesonke, en 1980, dans une tentative de meˆler les deux approches, essaie de lier le film aux autres œuvres de Renoir, tout en renouvelant sa vision par une analyse tre`s structure´e85. Pour d’autres, le film est e´galement cite´ comme n’importe quel autre titre, dans des ouvrages consacre´s au cine´ma franc¸ais d’avant-guerre.

En 1986, pour les 50 ans du Front Populaire, le film est, comme nous l’avons vu, boude´ et durement critique´ en France. C’est pourtant cette anne´e qu’un ve´ritable renouveau dans la re´ception du film se produit. Le British Film Institute publie un dossier, justement titre´ La vie est a` nous86, consacre´ au cine´ma du Front Populaire. Outre deux articles traduits, dus a` Pascal Ory et Jean-Pierre Jeancolas, le chercheur Keith Reader s’applique a` retracer cette histoire de la re´ception de ce cine´ma.

Le travail de Jonathan Buchsbaum, publie´ en 198887, est probablement le texte le plus significatif sur le sujet. Fort d’un travail historique important et de nombreuses recherches ine´dites dans les archives, Buchsbaum, dont les travaux ont e´galement porte´ sur le cine´ma politique en Ame´rique latine, e´tudie les motifs qui parcourent l’œuvre. Il s’agit ainsi de retrouver par l’analyse du film une analyse du discours du milieu militant de 1936 : la place de la machine, la repre´sentation de l’extreˆme-droite franc¸aise... Le film re´utilise, selon lui, toute une imagerie du Front Populaire. Tirant vers l’histoire culturelle, cette analyse poursuit et approfondit le travail amorce´ par Ory quelques anne´es plus toˆt. De meˆme, il propose la premie`re analyse de la re´ception du film et, au lieu de discuter de l’implication de Renoir, pre´fe`re e´tudier son engagement durant le Front Populaire. S’appuyant sur ses nombreux e´crits

83. Christopher Faulkner,Jean Renoir : a Guide to References and Resources, Boston, G.K. Hall, 1979, pp. 12 et 95-96.

84. Christopher Faulkner,The Social Cinema of Jean Renoir, New Jersey, Princeton University Press, 1986.

85. Alexander Sesonke,Jean Renoir : the French Films 1924-1939, Cambridge-Londres, Harward University Press, 1980, pp. 222-223.

86. Ginette Vincendeau, Keith Reader (dir.),La vie est a` nous ! : French Cinema of the Popular Front, 1935-1938, Londres, BFI, 1986.

87. Jonathan Buchsbaum,Cinema Engage´ : Film in the Popular Front,op. cit.

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dans des revues et journaux, il conclut sur un Renoir davantage antifasciste que communiste ou frontiste. Pour autant, le de´bat continue et la publication par Claude Gauteur des textes e´crits par Renoir dans la presse communiste (Regards,l’Avant Garde,Ce soir)88 permet de retrouver un Renoir communiste, assumant le film et proˆnant la nationalisation de l’industrie du cine´ma89. Plus re´cem- ment, l’engagement de Renoir continue de cliver. Pascal Me´rigeau90et surtout Bertrand Tavernier91 utilisent sa correspondance (prive´e) avec un ministre de Vichy pour lui preˆter un caracte`re antise´mite.

Cette approche semble minimiser le long compagnonnage communiste de Renoir. Pourtant celui-ci se manifeste aussi bien dans sa vie personnelle par son amitie´ avec Maurice Thorez que dans la vie publique a` travers les nombreux articles publie´s dansCe soir, certains de´criant l’antise´mitisme ou le racisme92. Il n’est pas inutile non plus de rappeler la position particulie`rement de´licate des militants et sympathisants communistes apre`s la dissolution du PCF par de´cret le 26 septembre 1939. Par la suite, ses films de propagande ame´ricains ulte´rieurs de´montrent bien la continuite´ sociale et politique de son œuvre93. Ainsi, ces nouvelles interpre´tations en reviennent toujours a` l’image bien connue d’un artiste opportuniste, la doctrine du « bouchon se laissant porter au fil de l’eau » du pe`re Auguste Renoir...

Probablement du fait d’une certaine influence des cultural studies, dans la continuite´ du dossier publie´ en 1988, le BFI re´e´dite une anthologie desCahiers du cine´ma. Le troisie`me volume, consacre´ a`

la politique de la repre´sentation, couvre les anne´es 1969 a` 1972 et comprend notamment la premie`re (et unique a` ce jour) re´e´dition de l’article collectif sur La vie est a` nous. En France, deux livres importants vont e´tablir une histoire croise´e du PCF et du cine´ma franc¸ais, l’un du point de vue de la critique communiste94, l’autre en e´tudiant le cine´ma militant95. Ces e´tudes portent sur une pe´riode de´butant en 1945 et de ce fait n’abordent pas le film. Sa ressortie ulte´rieure n’est que tre`s brie`vement e´voque´e.

En 2016, le film est restaure´ et inte´gre´ dans un corpus de films frontistes, dans le cadre d’une e´dition vide´o ainsi que d’une diffusion en salles. Cette fois, il s’agit notamment de le reprendre et de l’analyser en regard de ce corpus. Au lieu de Renoir, on met davantage en avant d’autres noms comme Jean-Paul Le Chanois ou Alain Douarinou96. On compare l’œuvre aux autres films de la coope´rative et

88. Les chroniques de Renoir dansCe soiront e´te´ publie´es par Claude Gauteur dans Jean Renoir,E´crits 1926-1971, Paris, Belfond, 1974.

89. Voir l’interview du 21 janvier 1937 de Le´on Weisslieb pourl’Avant-Gardedans Claude Gauteur,Jean Renoir la double me´prise (1925-1939), Paris, Les e´diteurs franc¸ais re´unis, 1980, pp. 41-44

90. Pascal Me´rigeau,Jean Renoir, Paris, Flammarion, 2012.

91. Dans son filmVoyage a` travers le cine´ma franc¸ais, 2015.

92. Voir la publication par Jean-Paul Morel des passages du pamphlet antise´mite de Ce´line, Bagatelle pour un massacre, qui prennent pour ciblela Grande Illusionde Renoir accuse´ de philose´mitisme et la re´ponse de Renoir dansCe Soir(1895 revue d’histoire du cine´ma, no63, 2011).

93. This Land Is Mine(Vivre libre) en 1943 etA Salute to France(Salut a` la France) en 1944.

94. Laurent Marie,le Cine´ma est a` nous,Paris, L’Harmattan, 2005.

95. Pauline Gallinari,les Communistes et le cine´ma, Rennes, PUR, 2015.

96. Denis Gravouil, « Le cine´ma du Front Populaire et son apport syndical », dans Laurent Creton et Michel Marie (dir.), « Le Front Populaire et le cine´ma franc¸ais »,The´ore`me, no27, mars 2017, pp. 47-53.

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on retrouve des filiations entre films militants. Plusieurs plans sont repris d’un film a` l’autre :La vie est a` nousre´utilise des images ante´rieures a` sa re´alisation et servira e´galement de source pour des montages ulte´rieurs97. Aux coˆte´s d’autres re´alisations contemporaines, l’analyse permet de trouver une spe´cificite´

franc¸aise. La comparaison se fait aussi avec les films syndicaux, paradoxalement « plus politiques » dans leur message selon Danielle Tartakowsky, mettant en valeur de re´els objectifs militants98.

De sa re´alisation a` sa restauration, l’influence de La vie est a` nous aura e´te´ probablement plus importante qu’on peut le penser. Cette œuvre, souvent ne´glige´e en France, s’inse`re beaucoup plus naturellement et depuis plusieurs de´cennies aux E´tats-Unis dans une filmographie de Renoir meˆlant œuvres de propagande et films de studios. En France, son titre, devenu un slogan-symbole du Front Populaire, a e´te´ re´utilise´ a` maintes reprises, faisant basculer le film dans une sorte d’image d’E´pinal du Front Populaire, sentiment qui n’est pas force´ment refuse´ par un PCF qui a longtemps peine´ a` tout reconnaıˆtre dans ce te´moignage du passe´. Mais au-dela` d’une vision qui cantonne le film au domaine de l’anecdotique, l’œuvre aura probablement marque´ toute une ge´ne´ration post-68, a` la recherche d’un

« cine´ma paralle`le » : Narboni comme Hennebelle, qui reprendra le titre du film pour sa chronique de´die´e au cine´ma militant, plac¸ant ainsi le cine´ma contemporain dans la continuite´ d’une œuvre cle´

dans sa conception du collectif.

97. Vale´rie Vignaux, « Cine´-Liberte´ ou l’autre cine´ma du Front Populaire »,Ibid., p. 60

98. Danielle Tartakowsky, « 1936 : quand le cine´ma faisait politique et que la politique faisait cine´ma »,La vie est a`

nous, le livre, Paris, Cine´-Archives, 2016, p. 10

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