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Les pratiques d'assistance publique en Valais (1900-1930) : dans les communes de Sion et Bramois

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Dans les communes de Sion et Bramois

IntroductIon

par

rebecca crettaz

Mémoire de Master en histoire, soutenu à l’Université de Fribourg en 2012.

Si nous exceptons quelques études relatives à cer-taines institutions (notamment l’Hôpital des bourgeois de Sion) ou des mémoires de fin d’études, l’histoire sociale valaisanne possède encore des lacunes historio-graphiques. Ainsi, à notre connaissance, il n’existe pas d’étude générale et récente sur le thème de l’assistance publique en Valais, à la différence de plusieurs autres cantons suisses. Notre article vise donc à approfondir la connaissance historique de cette thématique et à l’insé-rer dans le contexte du début du XXe siècle.

A l’issue d’une première recherche sur le sujet de l’as-sistance1, l’analyse des dispositions législatives

concer-nant les assistés était demeurée assez théorique. Nous nous sommes alors demandé dans quelle mesure les communes suivaient ces directives et si, concrètement, elles disposaient d’une certaine marge de manœuvre face aux divers cas de personnes à assister. Nous avons aussi cherché à savoir si toutes les communes, malgré leurs situations économiques, sociales, politiques et

géographiques différentes, mettaient en place des pra-tiques d’assistance similaires.

Partant de ces réflexions, le dépouillement de la littéra-ture secondaire sur l’assistance publique a révélé qu’un certain nombre d’études récentes menées en France s’appuyaient sur des dossiers d’enfants placés dans différents départements. Ce constat a constitué une première piste de réflexion en vue de trouver des sources intéressantes, encore peu étudiées et adaptées à notre recherche sur le Valais. L’ analyse de dossiers d’assistés présente en effet plusieurs intérêts pour l’historien : la majorité des documents qui composent ces dossiers (correspondances, rapports de police ou décisions de justice) sont datés et, malgré quelques trous chronolo-giques, il est généralement possible de récolter de nom-breuses informations sur les assistés et sur les mesures prises par les communes. En revanche, les dossiers ne donnent pratiquement jamais la parole aux assistés eux-mêmes, reflétant ainsi une vision de l’assistance

publique en Valais (1900-1930)

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« par le haut », et l’utilisation de ces sources est limitée par un délai de protection de cent ans ( sauf autorisa-tion spéciale) ainsi que par le respect de l’anonymat. Ajoutons que peu d’études comparatives existent pour l’instant en Suisse.

Le choix d’étudier les dossiers d’assistance des com-munes de Sion et Bramois (fusionnées en 1968), et plus spécialement ceux situés entre 1900 et 19302, a

été orienté par la consultation des inventaires des fonds d’archives de l’Etat du Valais, les communes valaisannes n’ayant pas toutes conservé ce type de document. L’ idée principale de cette double analyse est de comprendre la mise en place d’une politique d’assistance concrète au sein d’un même cadre législatif: comment deux com-munes voisines, possédant des réalités socio-écono-miques et un nombre d’habitants différents, ont-elles mis en place des mesures pour aider leurs indigents ? La limite chronologique de 1900 a été définie par le nombre significatif de dossiers conservés dès cette période dans les deux communes ; elle correspond à la mise en application de la loi de 1898 sur l’assistance publique. Les sources concernant Bramois ont déter-miné 1930 comme borne finale, d’autant plus qu’une nouvelle loi sur l’assistance entre en vigueur en 1928, ce qui aurait nécessité un développement supplémentaire dans notre étude.

Nous aborderons les dossiers en deux étapes : une pre-mière pour définir qui sont les assistés (notamment l’âge, le sexe et la situation familiale), une seconde pour essayer de saisir les perceptions des autorités envers ceux-ci et déterminer dans quelle mesure les

aides sont influencées par ces perceptions (ou d’autres facteurs, tels que le coût des mesures ). Nous nous in-téresserons ensuite aux acteurs qui interviennent dans le processus de l’assistance, pour mieux comprendre le fonctionnement concret de celle-ci au sein d’une com-mune et saisir les problèmes soulevés. Nous essaierons de déterminer également dans quelle mesure et avec quels moyens l’Etat intervient dans les processus gérés par les deux communes. Enfin, le placement des assis-tés constituant une mesure d’assistance souvent mise en place, nous utiliserons les fonds d’archives de deux institutions sédunoises ouvertes dans les années 1920 – l’Asile Saint-François (1926) et la Pouponnière valai-sanne (1929) – afin d’étudier leur mise en place, leurs difficultés et leurs rapports avec les personnes assistées. Le sujet crucial du financement de l’assistance n’étant pas toujours traité dans les dossiers, notre corpus de sources sera complété par les comptes et budgets com-munaux de Sion et Bramois, de même que par les comptes rendus des conseils de bienfaisance et des conseils communaux des deux communes3, car les actions

entreprises par les comités de bienfaisance dépendent des moyens alloués par la commune. Ces sources per-mettent aussi de cerner les personnalités œuvrant dans ces différents organes et de comprendre l’importance de la question de l’assistance publique dans la société. Les rapports des préfets et différents débats thématiques du Grand Conseil (sanatorium cantonal, élaboration des lois sur l’assistance, etc.) intègrent également le corpus étudié, tout comme les législations cantonales de 1898 et 1926, qui posent le cadre juridique de ce travail.

2 Cent quatre-vingt-cinq dossiers ont été conservés aux Archives de la Ville de Sion, et cent cinquante-six sont exploitables. Nous avons finalement retenu cinquante et un dossiers, dont quarante-huit ont une date d’ouverture entre 1900 et 1930. Soixante-six dossiers ont été ouverts entre 1930 et 1939, vingt-neuf entre 1940 et 1949 et un entre 1950 et 1955.

3 Globalement, les sources relatives à la capitale sont plus complètes que celles de Bramois. Elles livrent une plus grande quantité d’informations et recouvrent une période plus large ; elles ont aussi

été conservées de manière plus systématique ( notamment les comptes et débats des conseils communaux ).

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Le cadre LégIsLatIf cantonaL vaLaIsan

La LoI sur L’assIstance pubLIque du 3 décembre 1898

En Suisse, les pratiques d’assistance sont du ressort des cantons. Selon Ernst Anderegg, il n’y a aucun autre domaine où les communes sont plus autonomes au début du XXe siècle4. En Valais, la première loi sur

l’assistance date de 1898. Avant cette loi, pour re-prendre les mots du député Charles Haegler, le Canton ne dispose que d’un « embryon d’assistance légale »5,

c’est-à-dire de lois et décrets relatifs à la mendicité et aux enfants illégitimes6.

Le texte de 1898 pose des principes de base, même si certains sont repris des lois sur la mendicité. Les dispositions générales énoncent l’idée de soutenir les personnes dans le besoin en raison de leur âge, d’une maladie ou d’une difficulté financière temporaire. Les articles 13 et 147 sont consacrés aux enfants. Les buts

énoncés ne semblent cependant pas vraiment spéci-fiques à des mesures d’assistance. A notre sens, dans le contexte de l’époque, il s’agit plutôt de principes souhaitables pour tous les enfants : éducation reli-gieuse, instruction et enseignement professionnel. Le texte insiste en revanche sur le rôle de la parenté dans l’assistance. Convoquée par la voie du Bulletin officiel 8, la famille doit en effet aider ses membres en

difficulté, du moment qu’elle se trouve dans l’aisance9 :

« Sont tenus de secourir les indigents de leur famille, les parents et les alliés jusqu’au 8e degré inclusivement,

quel que soit leur domicile. »10 Le cercle des parents

appelés à participer (4e ou 8e degré) a été un sujet

très débattu au moment de l’élaboration de la loi11.

Le texte marque même un recul par rapport à la loi sur la mendicité de 1827, puisque celle-ci évoquait une par-ticipation des parents seulement jusqu’au 4e degré12.

A défaut de famille, les charges se reportent sur les communes d’origine des assistés. Les communes de domicile ne sont en effet pas tenues à l’assistance, sauf pour les cas d’urgence13. Elles se contentent de

défi-nir ces situations et de récupérer ensuite l’argent avan-cé. De son côté, l’Etat se borne à surveiller et soutenir « […] par des subsides les institutions de bienfaisance et d’éducation de l’enfance malheureuse »14.

En résumé, l’organisation concrète de l’assistance s’établit en bonne partie avec la loi de 1898. Les com-munes doivent alors constituer un fonds des pauvres et un comité de bienfaisance (trois à cinq membres) chargé de la surveillance et de la répression des abus et mauvais comportements15. Le système se veut assez

répressif envers les assistés et ceux qui pourraient le devenir : « L’ assisté n’a droit à aucune prétention, il ne peut émettre aucun désir, aucune volonté. L’ assisté a le droit de se taire, d’accepter ce qui est décidé pour lui, c’est-à-dire pas grand-chose. »16

4 anderegg 1908, p. 1.

5 Nouvelliste valaisan, 14.05.1921, p. 1.

6 Lois sur la mendicité : 30 mai 1803 et 23 mai 1827 ; décret sur les en-fants illégitimes : 18 mai 1810 ; décret sur la mendicité : 29 juillet 1850.

7 Loi sur l’assistance publique de 1898, art. 13-14.

8 Idem, art. 24.

9 Idem, art. 3.

10 Loi sur l’assistance publique de 1898, art. 5.

11 Vanay 2002, p. 11.

12 Salamin 1976, pp. 14-15.

13 Loi sur l’assistance publique de 1898, art. 7 et 9.

14 Idem, art. 12.

15 Idem, art. 23.

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InsuffIsances de La LoI de 1898

et probLèmes d’appLIcatIon rencontrés L’ assistance pratiquée selon le texte de 1898 est fondée sur l’origine des assistés. Ce principe ne correspond cependant plus « aux besoins d’une société où les habitants sont de plus en plus nombreux à vivre hors de leur commune d’origine. […] or les communes répugnent de plus en plus à soutenir des personnes n’ayant souvent jamais résidé sur leur territoire. »17

Pour les observateurs de l’époque, ce système d’assistan-ce par la commune d’origine, appliqué par la majorité des cantons, est dépassé : « L’ assistance communale à dis-tance est devenue, à tous les points de vue, un phénomène tellement anormal et pitoyable, dans l’administration publique, que sa suppression n’est plus qu’une affaire de temps.»18 Un déséquilibre financier entre les communes

de montagne, souvent considérées comme les communes d’origine, et celles de plaine est également souligné. La motion de révision de la loi de 1898, lancée en 1919 par Raphaël Troillet, rejoint ces critiques : « L’ assistance bourgeoisiale a le grand défaut d’être faite à distance et ainsi un temps précieux, même sans mauvais vouloir, est perdu au grand dommage de tous les intéressés, avant qu’arrivent sur place les secours de la commune d’ori-gine, souvent très distante. »19 La recherche des parents,

parfois fastidieuse, constitue une difficulté supplémen-taire à l’application du texte de 1898. Beaucoup de dis-cussions en vue de renouveler les lois cantonales d’as-sistance ou de conclure des concordats intercantonaux (toutefois sans la participation du Valais) ont ainsi lieu.

Les préfets, à l’image de celui de Saint-Maurice, Charles de Bons, relèvent également le problème des coûts de l’assistance : « La loi sur l’assistance donne lieu à beau-coup de récriminations [...] Il est à dessein qu’elle soit modifiée, changée. »20 Notons par ailleurs que le

financement de l’assistance peut sembler vague. La loi indique par exemple simplement que « chaque com-mune doit posséder une Caisse de bienfaisance ou un Fonds des pauvres dont l’importance doit répondre aux besoins »21, sans préciser ce qui pourrait se passer si les

communes n’arrivaient plus à payer pour leurs assistés. De manière générale, le texte de 1898 apparaît plutôt répressif. De rares allusions à des mesures préventives existent, mais on perçoit dans celles-ci un certain inté-rêt de la part des communes. Il s’agit avant tout de four-nir du travail à ceux qui peuvent travailler ou d’aver-tir l’autorité lorsque des personnes sont susceptibles de tomber à sa charge22. Un chapitre est consacré aux

dispositions pénales en cas d’infraction ; il s’adresse notamment aux mendiants et aux vagabonds.

Deux éléments extérieurs au canton vont obliger l’Etat du Valais à entreprendre un changement législatif : l’entrée en vigueur du Code civil suisse23 en 1912, puis

un Arrêté du Tribunal fédéral en 191624. Les autorités

cantonales prennent acte : « Le Tribunal fédéral estima que cette disposition [ réduction de la participation des parents au 4e degré de parenté après l’entrée en

vigueur du Code civil suisse ] était contraire au code civil suisse, attendu que l’obligation de subvenir à l’en-tretien des parents pauvres s’arrêtait en ligne collatérale aux frères et sœurs […] et qu’il n’était pas permis aux

17 Histoire du Valais 2002, p. 701. Selon Jean-Pierre Tabin, « la solidarité fondée sur l’origine est caractéristique des sociétés préindustrielles et celle basée sur le domicile typique des sociétés modernes » . tabin 2010, p. 55.

18 SChmid 1916, p. 346.

19 Motion Troillet 1919, p. 297.

20 AEV, DI 397, 23.04.1910.

21 Loi sur l’assistance publique de 1898, art. 17.

22 Idem, art. 13.

23 Code civil suisse 1912, p. 352.

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cantons de légiférer dans ce domaine sans empiéter sur les droits de la Confédéra-tion. »25 Dès lors, selon Marcelle

Mayor-Gay, l’Etat n’a plus le choix : « ou il tente une meilleure répartition des frais entre les communes, ou il éponge lui-même les déficits des communes pauvres »26. Ainsi,

en 1917, à l’image des propos du préfet de Saint-Maurice, Eugène de Cocatrix, il apparaît de plus en plus urgent de réviser la loi : « L’ assistance grève de plus en plus les fonds des communes [...], toutes les communes estiment qu’une révision de la loi de l’assistance s’impose depuis l’arrêt du Tribunal fédéral, supprimant en fait l’application des échelles de répartitions déjà réduite jusqu’au 4e degré. »27

projet de révIsIon de 1921 et LoI du 20 novembre 1926

Les députés se mettent au travail dès la fin de la guerre. La motion de Raphaël Troillet for-mule notamment le grief de la destruction des structures familiales traditionnelles : « Les familles exerçaient une surveillance sur leurs parents en danger de tomber à l’assistance et cette surveillance était généralement des plus heureuses, surtout dans les communes rurales à population peu cosmopolite […] Malheureusement, la législation actuelle tend toujours

davan-tage à la destruction de la famille en lui Une du Walliser Bote, samedi 3 décembre 1921.

25 « Message accompagnant le projet de loi sur l’assistance publique », daté du 13 avril 1920, in Protocoles des débats du Grand Conseil valaisan, session de mai 1920, annexe 2, p. 2.

26 mayor-gay 1978, p. 48.

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enlevant, un à un, tous les liens qui l’ont créée et qui devaient servir à la mainte-nir. »28 Elle montre aussi comment l’Etat

tente de se dégager d’une partie de sa responsabilité.

Un projet de loi est accepté par les députés le 3 septembre 1920, mais il est ensuite refusé lors du vote populaire29. Trois

facteurs d’échec peuvent brièvement être évoqués. Tout d’abord, le Walliser Bote est le seul journal du canton à avoir ouverte-ment prôné le non, laissant apparaître un clivage entre le Haut-Valais et le Bas-Valais : rejet de l’ensemble du Haut-Valais et du district de Sierre et acceptation insuffisante dans le bas du canton, en raison d’une forte abstention, pour compenser le rejet30.

De plus, les Haut-Valaisans « se montrent réticents à l’égard d’une organisation cen-tralisée de l’assistance, qui remplacerait la charité chrétienne par une obligation fiscale supplémentaire »31. Enfin, les

bour-geoisies craignent de perdre leurs privi-lèges et d’être davantage contrôlées avec un système d’assistance « mixte »32.

A la suite de cet échec, un nouveau texte, dont le contenu ressemble à celui de 1920, est élaboré. Il est accepté le 20 novembre 1926 par le Grand Conseil et le 18 décembre 1927 par le peuple.

Quelles sont les nouveautés de ce texte ? Le premier élément est que les desti-nataires valaisans de l’assistance sont

désormais subdivisés en deux catégories, Une du Nouvelliste valaisan, jeudi 15 décembre 1927.

28 Motion Troillet 1919, p. 292.

29 L’objet est soumis au référendum obligatoire (en vigueur dès 1913).

30 Crettaz, Quarroz 2011, pp. 30-31.

31 Histoire du Valais, 2002, p. 701.

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en fonction de leur domicile (situé à l’intérieur ou à l’ex-térieur du canton). Surtout, pour l’assistance « perma-nente » (c’est-à-dire durant plus d’une année), l’organi-sation de l’assistance n’est plus basée uniquement sur l’apport de la commune d’origine, mais devient mixte, à l’image des lois de Soleure, des Grisons et de Bâle- Campagne33 : les frais sont répartis entre les communes

d’origine et de domicile, selon le nombre d’années de résidence. En revanche, « l’assistance temporaire » reste « entièrement à la charge de la commune de domicile »34.

L’ organisation de la bienfaisance repose d’ailleurs sur les mêmes bases qu’en 1898, avec notamment l’action de comités de bienfaisance35.

Le second élément est que les ressources financières sont désormais bien mieux détaillées pour les communes, les bourgeoisies et l’Etat (« Fonds cantonal de réserve et de secours pour l’Assistance »36). En outre, lorsque les

com-munes n’arrivent plus à faire face aux dépenses (malgré les taxes, collectes, dons ou remboursements des assistés revenus en meilleure situation), le Canton peut accor-der des subsides « pour les aiaccor-der à couvrir les dépenses résultant du placement des indigents dans les établisse-ments hospitaliers, les asiles, les orphelinats, les colonies

de travail, les maisons de discipline ou de relèvement moral »37.

Ces mesures révèlent déjà un certain changement d’es-prit, avec une volonté de prévenir l’extension de la pauvreté et un souci d’aider les gens à retrouver une vie normale, grâce à la mise en place d’institutions assu-rant une prise en charge de longue durée (supérieure à un an). Cette forme de centralisation de l’assistance accroît l’implication de l’Etat. Dès le projet de révision de 1921, le Canton est en effet conscient de ses lacunes : « Dans ce domaine, nous nous sommes laissé devancer par la majeure partie des cantons suisses et il est de toute importance de combler cette lacune dans la mesure du possible. »38 L’ action du Canton devient nécessaire,

surtout avec la création d’institutions censées servir l’ensemble d’une population.

Le dernier changement important à souligner dans le texte de 1926 est l’attention particulière accordée aux enfants39. Les autorités valaisannes se sentent investies

d’un devoir moral et matériel envers eux, tout particuliè-rement lorsque les parents n’ont pas un comportement correct (mendicité, vagabondage, mauvais traitements, ivrognerie ou condamnation criminelle)40.

33 delaChaux 1938, p. 44.

34 Loi sur l’assistance publique de 1926, art. 14.

35 Les femmes sont admises dans ces comités. Voir Loi sur l’assistance publique de 1926, art. 24. Lors des débats parlementaires, c’est en effet plutôt la présence d’un ecclésiastique qui est discutée, radicaux et socialistes y étant plutôt réticents. Voir Crettaz, Quarroz 2011, pp. 26-27.

36 Loi sur l’assistance publique de 1926, art. 35.

37 Idem, art. 38.

38 « Message accompagnant le projet de loi sur l’assistance publique », daté du 13 avril 1920, in Protocoles des débats du Grand Conseil valaisan, session de mai 1920, annexe 2, p. 4.

39 Pour certains historiens, cette prise de conscience générale, non spécifique au Canton du Valais, remonte à l’entrée en vigueur du Code civil suisse. Voir leuenberger, SegliaS 2009, p. 76.

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Le portraIt type des assIstés de sIon et bramoIs

L’ échantillon des dossiers étudiés (vingt-sept dossiers pour Bramois et cinquante et un pour Sion) permet de dresser un portrait type des assistés. Celui-ci doit toutefois être considéré comme une tendance géné-rale et non comme une vision absolue et définitive, d’autant plus que tous les dossiers de Bramois s’arrêtent en 1930, alors que certains dossiers de Sion demeurent ouverts après 1930.

Il convient également de souligner la différence impor-tante de population entre les deux communes étudiées. sexe et âge des assIstés

Nous observons une légère majorité de femmes parmi les dossiers analysés, mais dans l’absolu, pour nos deux communes, les différences d’effectif restent assez peu significatives41.

Les dossiers individuels de Sion illustrent différentes confi-gurations familiales. Souvent, ils renvoient à plusieurs

personnes ; à deux exceptions près, il s’agit d’une mère seule avec un ou plusieurs enfants. Les femmes seules établies dans la capitale semblent donc devoir plus souvent assumer une charge familiale. Ceci nous conduit à penser que Sion attire surtout les femmes en raison des nombreuses offres d’emploi dans la domesticité ou le travail à domicile42 ; cette meilleure employabilité ne

signifie toutefois pas une bonne rémunération, d’où, peut-être, un recours plus important à l’assistance. Parmi les assistés de Sion, nous observons également une inver-sion des proportions hommes-femmes entre les Sédunois (majorité d’hommes) et les Valaisans (majorité de femmes). Cela confirme la différence d’attrait de la capitale selon le sexe des migrants, les femmes étant plus attirées par des travaux à domicile et les hommes par d’autres activités (travail agricole ou en usine par exemple). Il convient cependant de nuancer ce constat : en considérant unique-ment les assistés, il est impossible de tirer de conclusion absolue sur l’attractivité d’une ville pour toute une popu-lation ; en outre, les mineurs sont aussi englobés dans les Tableau 1 : Population résidente des communes de Sion et Bramois entre 1850 et 1930 (en chiffres absolus).

1850 1860 1870 1880 1888 1900 1910 1920 1930

Sion

2926 4203 4879 4868 5424 6048 6513 6951 7944

Bramois

381 503 577 632 675 703 741 691 713

Population

totale 3307 4706 5456 5500 6099 6751 7254 7642 8657

41 Cette situation se retrouve cependant dans les résultats des recense-ments fédéraux de la population sédunoise ( OFS 2002, pp. 252-253 ).

42 Cette tendance se vérifie en Valais, où deux tiers, voire 70 %, des personnes employées dans le travail à domicile restent des femmes

entre 1900 et 1930 : en 1905, 122 personnes vivent du travail à do-micile ; il en reste 99 en 1910, dont 64 femmes, et 63 en 1929, dont 45 femmes. Voir Siegenthaler 1996, p. 653.

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effectifs des hommes et femmes, alors qu’ils dépendent de leurs parents et ne décident pas eux-mêmes de migrer. En ce qui concerne l’âge des assistés, la classe d’âge la plus représentée (environ 40 % des situations) est celle des 25-65 ans43, qui correspond aux personnes considérées

comme actives. Elle est généralement prise en charge par des établissements généralistes (hôpitaux ou sanatoriums), qui accueillent les personnes âgées comme les plus jeunes, à la différence des autres classes,

sou-vent reliées à des institutions spéci-fiques. La classe des 16-25 ans, inter-médiaire entre l’enfance et l’âge adulte, représente pour sa part 10 % des cas. La proportion d’enfants – près de 25 % – est plus importante que celle des personnes de plus de 65 ans, qui varie entre 10 et 15 %. Ce constat peut par-tiellement s’expliquer au travers de la situation démographique. Entre 1900 et 1930, un tiers de la population valai-sanne a en effet moins de 14 ans44 ; un

souci accru à l’égard des enfants existe donc peut-être au sein de l’assistance publique. Enfin, environ 10 % des cas mentionnés dans nos dossiers ne per-mettent pas une identification exacte. Des estimations sont parfois possibles en reliant les assistés à des institu-tions, les conditions d’admission des orphelinats précisant l’âge limite pour l’admission et le séjour (16 ans, en Valais). Il est en revanche plus difficile

de se déterminer pour les personnes dites « âgées ». L’ Asile Saint-François, par exemple, n’indique pas nécessairement d’âge limite ; il prend en compte d’autres facteurs, comme le domicile, l’état de santé ou la place disponible.

Du point de vue de la comparaison entre nos deux com-munes, l’âge ne semble pas être une caractéristique permettant de distinguer les assistés de Sion de ceux de Bramois.

Orphelinat, Sion, vers 1920. (Pantaléon Binder, Médiathèque Valais - Martigny)

43 La limite supérieure a été fixée au chiffre habituel de 65 ans. Selon le pro-jet fédéral d’assurance vieillesse de 1931, une personne obtiendrait une rente dès le début de l’année civile de ses 66 ans. Voir « Loi fédérale sur

l’assurance-vieillesse et survivants ( du 17 juin 1931 ) », in Feuille fédérale, vol. 1, cahier 25, 24.06.1931, p. 1032.

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Sans surprise, la tendance observée dans nos dossiers est que la majorité des assistés réside dans la commune qui les prend en charge. Ces chiffres témoignent certai-nement d’une volonté de contrôle quant à l’utilisation des aides accordées, les autorités souhaitant éviter les abus. D’ailleurs, si le placement, parfois nécessaire (ma-ladie, âge, problèmes moraux ou de comportement), ne permet pas une surveillance directe, il est censé offrir une certaine sécurité par le biais des directions des ins-titutions.

Dans près de 85 % des cas, nos assistés sont originaires soit de la commune qui les prend en charge, soit d’une autre commune valaisanne, ce qui correspond à la sta-tistique fédérale de 1911-1912 qui évoque environ 90 % d’assistance aux individus du canton46. Et, en toute

logique, les bourgeois de la commune représentent la majeure partie des assistés.

Au niveau de la répartition cantonale, la situation reflète bien les migrations intérieures que connaît le canton au début du XXe siècle et confirme l’idée que la capitale est

intéressante d’un point de vue économique : parmi les trente Valaisans assistés à Sion, huit sont originaires du Valais central, six du Haut-Valais et cinq du Bas-Valais. Ils sont bourgeois de communes limitrophes ou plus éloignées, allant de Münster (six cas) à Saint-Maurice (un cas) en passant par Savièse (cinq cas). Un tiers des Valaisans assistés à Sion viennent ainsi de Münster et de Savièse. Ces cas font état d’une assistance de longue, voire de très longue durée (vingt et un ans au maximum) et de liens familiaux entre assistés (surtout des mères seules avec leurs enfants). De la même manière que pour les personnes assistées hors du canton, les Valai-sans assistés à Sion et originaires d’une même commune domIcILe et orIgIne des assIstés

Selon la loi en vigueur (essentiellement le texte de 1898), l’origine des assistés peut prendre toute son importance. Comme ce paramètre est en principe stable au cours de la vie (sauf pour les femmes mariées), et même s’il n’y a « pas encore de véritable distinction, au niveau de l’assistance sociale, entre non-bourgeois et étrangers »45, nous avons

pris en considération les personnes de la commune, du canton et les autres (Confédérés ou étrangers). Si la loi de 1926 tient compte des migrations, en distinguant les Valaisans domiciliés à l’intérieur ou hors du canton, dans cette recherche, nous avons estimé préférable de nous en tenir à une subdivision du domicile en « commune » et « hors commune », afin d’éviter des effectifs trop faibles pour permettre une interprétation pertinente.

Bramois, entre 1920 et 1930. (Charles Krebser, Médiathèque Valais - Martigny)

45 tabin 2002, p. 345.

46 Statistique de l’assistance intercantonale en Suisse en 1911 et 1912, 1916, p. 20. La Deuxième statistique suisse de l’assistance officielle,

publiée en 1901, évoque en revanche 37 Sédunois assistés pour 74 non-Sédunois assistés (t. 1, p. 1212).

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font donc souvent partie de la même famille. Du côté des neuf assistés valaisans à Bramois, nous retrouvons également une diversité d’origine, mais dans des propor-tions plus faibles ; sept personnes proviennent du Valais romand.

Globalement, la migration des assistés hors de la Suisse reste un comportement minoritaire (cinq départs en France, deux en Argentine, un en Autriche) ; la plu-part des assistés sédunois et bramoisiens émigrés se sont en effet établis dans un autre canton suisse. Cela est particulièrement flagrant pour Sion, puisque tous les assistés domiciliés hors de la commune habitent à l’extérieur du canton, tandis que parmi les dossiers de Bramois quelques personnes sont restées en Valais. Nous remarquons aussi qu’à Bramois, les cas d’assistance hors canton concernent des individus seuls, sans soutien familial suffisant pour rester en Valais, alors qu’à Sion une partie de la migration est collective (famille).

Les migrations en Suisse concernent 30 à 40 % des as-sistés. Tant à Sion qu’à Bramois, le lieu de destination est généralement une ville alémanique ou romande importante et possédant une activité industrielle. Ainsi, entre 1900 et 1930, le canton de Vaud comptabilise le plus de Valaisans assistés47 hors du Valais : sur les 4714

Valaisans domiciliés dans le canton de Vaud lors du Recensement fédéral de population de 1910, 293 sont assistés en 1911 et 307 en 1912. Cette tendance migra-toire se retrouve en fait pour l’ensemble de la population valaisanne. Selon Gérald Arlettaz, la période 1888 -1910 est marquée par une augmentation de 151 % des migra-tions de Valaisans hors du canton. 41 % de la population valaisanne résidant hors canton est alors établie dans le

canton de Vaud48. Il s’agit donc clairement d’une

migra-tion économique.

Il faut également dire quelques mots sur les assistés étrangers, que nous regroupons avec les assistés suisses mais non valaisans. Ils représentent environ 10 % des cas. A Sion, un seul assisté est étranger, mais la femme concernée était sédunoise avant son mariage49. A Bramois

aussi, les deux étrangers assistés ont un lien antérieur avec la commune (un de ces cas est celui d’un enfant dont la mère décédée était originaire de Bramois avant de se marier)50. Pour leur part, les Confédérés sont concentrés

à Sion (neuf cas contre un à Bramois). D’après nos obser-vations, ceux-ci sont membres de mêmes familles. Ainsi, la capitale ne semble pas être un lieu très attirant pour les Confédérés, au contraire d’autres localités ou régions valaisannes plus industrielles.

Marché, Sion, vers 1933. (Raymond Schmid, Bourgeoisie de Sion, Médiathèque Valais - Martigny)

47 Statistique de l’assistance intercantonale en Suisse en 1911 et 1912, 1916, p. 53.

48 arlettaz, PaPilloud 1976, pp. 21-22.

49 AC Sion, Ass. 7.

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durée de L’assIstance et fLuctuatIons chronoLogIques

Sans surprise, nous observons des durées d’assistance moins longues pour les dossiers individuels que pour les dossiers collectifs, l’aide étant logiquement plus éta-lée pour ces cas étant donné qu’elle concerne plusieurs personnes.

Pour expliquer le prolongement des dossiers, il faut rap-peler que nos sources comportent parfois des périodes où le dossier n’est plus étoffé pendant plusieurs mois, voire années, sans comporter forcément d’explication. Cela rend certains dossiers insuffisamment complets pour suivre le parcours de l’assisté. Le recours à une institution peut aussi rallonger la procédure, entre les formalités pour l’admission, les échanges concernant l’état de santé ou les rappels pour payer la pension. Ces tendances s’observent dans nos deux communes, bien que la période couverte par un dossier sédunois soit généralement plus importante. Ce rallongement aug-mente évidemment le nombre de situations que chaque commune doit gérer en même temps.

Les interactions, parfois conflictuelles, entre com-munes et parents influent également sur la durée de l’assistance, tout comme la recherche des parents, même si les assistés sont majoritairement valaisans. La ques-tion est d’autant plus épineuse avant les modificaques-tions de 1912, puis de 1916 (Code civil suisse et Arrêt du Tribunal fédéral), puisque les parents aisés doivent entretenir leurs indigents jusqu’au huitième degré. Certains d’entre eux sont alors tentés de traîner les pieds, car « les frères et sœurs ne peuvent être re-cherchés que lorsqu’ils vivent dans l’aisance »51. Le

même raisonnement s’étend aux communes d’origine.

Il faut en effet parfois plusieurs demandes pour qu’une commune consulte ses registres bourgeoisiaux, et elle le fait seulement si les indications fournies sont suffisantes. Une étude portant sur le canton de Vaud de la fin des années 1920 résume ce type d’attitude et est applicable au Valais : en cas de soupçon, « le principe sera de faire attendre le plus longtemps et de donner le moins pos-sible. Certaines municipalités ne répondent jamais aux premières requêtes. »52

Un autre paramètre en lien avec la durée de l’assistance doit être considéré. Entre 1900 et 1930, les demandes d’aide varient de manière chronologique. Le début du siècle, marqué par une période favorable pour l’industrie (ouverture des grandes usines), montre ainsi un recours faible à l’assistance, même si le nombre de dossiers ou-verts est plus élevé à Bramois qu’à Sion. Cela reste le cas entre 1910 et 1920. Par comparaison suisse, l’économie valaisanne est donc probablement plus épargnée, même si « la Première Guerre a entraîné une augmentation du coût de la vie qui n’a pas été suivie d’une hausse sala-riale »53. Pour Bramois, le début de la guerre constitue le

moment où la population recourt le moins à l’assistance ; le seul dossier ouvert en 1915 renvoie à la procédure la plus longue dans la commune : vingt-deux ans54. Durant

ces années difficiles, la population est peut-être plus so-lidaire et recourt donc moins à l’assistance. Les mesures liées au ravitaillement, en tout cas à Sion, ont probable-ment égaleprobable-ment des effets positifs.

Les années 1920 marquent ensuite un net contraste. Malgré quelques inévitables variations, la tendance générale quant aux ouvertures de dossiers est à la hausse, surtout à Sion. Entre 1915 et 1930, le nombre de dossiers sédunois passe de un à vingt-neuf, avec une hausse significative entre 1920 et 1925 (passage de six à

51 SChmid 1916, pp. 84-85.

52 mayer 1931, p. 135.

53 Crettaz, Quarroz 2011, p. 11.

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vingt-quatre dossiers ouverts). Si les comptes de la Caisse des pauvres, désignée à l’époque sous le terme d’« Elémosinaire »55, sont équilibrés (l’excédent des

dé-penses est couvert par la commune), dans le détail, les dépenses liées aux pensions, placements et hospitalisa-tions augmentent durant cette décennie (30 à 50 % des dépenses), même en prenant en considération l’infla-tion. A Bramois, les valeurs sont plus fluctuantes, en rai-son des circonstances économiques, sociales, sanitaires, mais aussi du plus faible échantillon. Les raisons de cette évolution des coûts peuvent s’expliquer par l’augmen-tation de la tuberculose et des maladies respiratoires, courantes en raison de facteurs comme le manque d’hy-giène, l’insalubrité, l’alcoolisme ou la pollution de l’air56.

Mais c’est aussi durant les années 1920 que le système de santé commence à se structurer57, entraînant des frais

de pensions plus élevés (selon la répartition des coûts des pensions par institution, ce sont les sanatoriums et les hôpitaux qui ont le plus grand impact). Une hausse marquée intervient notamment entre 1928 et 1929, avec le montant des pensions à la charge de la commune de Sion qui passe de 5594.90 francs à 10 626.65 francs58.

Le début des années 1920 fait état d’une crise écono-mique. Sion met alors en place des travaux de chômage, signalant une certaine prise de conscience. Le nouveau président, Joseph Kuntschen, souhaite en effet pour-suivre « les œuvres de progrès et de prévoyance sociale entreprises par ses prédécesseurs »59. Si ces mesures ne

règlent pas le problème de la pauvreté, l’esprit général peut se résumer ainsi : « Ni les débuts de la révolution industrielle, ni les progrès agricoles ne suppriment la pauvreté, voire la misère, pour une fraction importante de la population. La période de la guerre, la grippe de 1918-1919 ainsi que les difficultés de la reprise écono-mique ont aggravé les conditions matérielles des plus dé-munis. Dans tous les milieux, on ressent le devoir de leur venir en aide. »60 La décennie 1920 est aussi marquée par

l’ouverture de deux institutions : l’Asile Saint-François et la Pouponnière valaisanne. Celles-ci ne sont pas direc-tement portées par l’Etat, mais par des milieux religieux et des bienfaiteurs. Dans le même temps, hormis l’achat d’un bâtiment au Bouveret pour y déplacer l’Institut des sourds-muets, implanté dès 1894 sur la colline de Géronde, les projets étatiques sont freinés par la crise. C’est le cas du projet du sanatorium cantonal, voté en mai 1920, mais qui ne se concrétise qu’en 194161.

Soulignons encore ici que, parallèlement à l’assistance publique, différents organismes privés agissent pour ai-der les indigents. L’ assistance publique dispose certes de moyens supérieurs, mais la lenteur des processus et la bureaucratie de ce système rendent parfois les situations problématiques62. Pour Carl Alfred Schmid, le système

public et le système privé ont tous deux des défauts : « Si cette dernière [ l’assistance légale ] est souvent inhu-maine et routinière, l’assistance privée souffre d’éparpil-lement et du manque de compétences disciplinaires. »63

55 Ce mot dérive du grec et du latin « elemosina » ( aumône ). Les autori-tés sédunoises ne définissent pas précisément ce qu’elles entendent par Elémosinaire bien qu’elles utilisent ce mot dans leurs comptes ou bons d’assistance. D’après les sources, il nous semble qu’il faut considérer l’Elémosinaire comme un organe émanant de la Com-mune de Sion et s’occupant de régler les frais d’assistance. Il s’agit donc d’une caisse des pauvres.

56 Histoire du Valais 2002, p. 702.

57 Vouilloz-burnier, barraS 2004, p. 53.

58 AC Sion, CB 80, comptes 1928-budget 1929, p. 25 et CB 81, comptes 1929-budget 1930, p. 25.

59 AC Sion, PV des séances du Conseil municipal, A1-6, séance du 15.06.1920, p. 55.

60 Salamin 1978, p. 261.

61 Vouilloz-burnier, barraS 2004, pp. 102-105.

62 bruChez 1994, pp. 21-24.

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mesures mIses en pLace par sIon et bramoIs : de L’assIstance à domIcILe aux pLacements Quelles pratiques sont le plus souvent adoptées par les communes envers leurs indigents ? Autrement dit, quelle est la mesure pratiquée le plus longtemps ou la plus discutée, puisque les communes ne mettent que rarement en place un type d’aide unique sur une période d’une dizaine d’années ou plus ? Selon C. A. Schmid, « le traitement du cas particulier n’est nullement limité au don d’argent et d’objets de première nécessité ; tout acte d’assistance doit être une combinaison de secours accordés à bon escient, de directions pratiques, d’ensei-gnement bienveillant ou sévère »64. Généralement, des

formules standardisées expriment les décisions, d’au-tant plus lorsque les mesures sont déjà concrétisées. Certaines différences se perçoivent néanmoins. A Sion, les autorités réfléchissent souvent à des alternatives avant de se décider. Des discussions ont parfois lieu sur les actions à entreprendre, ce qui est problématique lorsque la personne se trouve dans une situation nécessitant une aide urgente. Nos sources sont lacunaires pour Bramois à ce sujet, ce qui ne signifie pas forcément que les auto-rités bramoisiennes sont plus décidées. Une constante ressort toutefois : les pourparlers ont lieu entre autori-tés, institutions et parfois le Département de l’intérieur, sans solliciter l’assisté. Au-delà des mesures mises en place, les autorités semblent généralement soucieuses des situations de leurs ressortissants, même si elles s’ap-puient sur le cadre légal, sans toujours l’exprimer expli-citement, et ne veulent pas payer plus que nécessaire. Des communes peuvent ainsi se rappeler leurs responsa-bilités mutuelles lorsque cela est nécessaire.

Au sein des dossiers, les aides en nature (bois, bons ou vêtements) représentent une faible proportion des me-sures d’assistance, car elles s’appliquent sur un temps déterminé. La loi de 1926 ne considère pas qu’il s’agit là d’assistance permanente, mais d’une aide complémentaire pour les personnes assistées à domicile, avec une charge de famille et / ou un état de santé précaire. Selon une statistique de 1911-1912, « ce sont notamment les fa-milles nombreuses qui recourent à l’assistance temporaire ; les vieillards et les malades à l’assistance permanente »65.

A la longue, les communes s’aperçoivent que le cumul des aides peut leur poser problème, l’idée étant qu’une famille ou un individu n’accapare pas tous les secours : « Comme notre administration ne peut pas distribuer à la même famille du travail et les secours de l’assistance, nous vous informons que […] nous ne vous occuperons plus sur nos chantiers et vous invitons à ne plus chercher des occasions de travail dans nos bureaux. »66 De plus, il n’y aurait pas de

sens que les communes accordent des secours en nature à une personne placée en institution.

Sous l’appellation « aide en argent », les communes rappellent parfois qu’il ne s’agit pas pour elles de ver-ser des liquidités directement à une personne, ceci afin d’éviter les abus. Elles choisissent en effet plutôt de ga-rantir le paiement du loyer. Cette mesure révèle quelques différences de pratiques entre Sion et Bramois. Sion, possédant davantage de biens immobiliers, peut utiliser ses locaux pour loger certains assistés à des prix modiques, voire gratuitement. Avant de recourir à des solutions plus contraignantes, la commune peut donc octroyer une aide financière concrète, ce qui a l’intérêt d’avoir des effets sur plusieurs personnes lorsque l’assisté a une charge de famille.

64 SChmid 1916, p. 81.

65 Statistique de l’assistance intercantonale en Suisse en 1911 et 1912, 1916, p. 13.

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Certaines aides ne sont ni en nature, ni en argent, ni constituées par un placement. Elles représentent environ 30 % des cas à Bramois et seulement 10 % à Sion. Ces si-tuations renvoient par exemple à un rapatriement, une fin de dossier sans issue ou encore la convocation d’un conseil de famille. Les villages possédant un tissu communau-taire a priori plus fort, nous pouvons penser que parfois les familles interviennent avant la décision communale. La convocation du conseil de famille ne semble pourtant pas systématique, probablement parce que les enquêtes préalables ne permettent pas de retrouver suffisamment de parents aisés. Cette procédure peut aussi poser des dif-ficultés d’organisation, puisque si la commune d’origine se charge de l’assistance en cas de défaut parental, c’est à la commune de domicile de convoquer le conseil de famille. Les rapatriements restent rares, mais une fois décidés, ils demeurent fermes. Des accords peuvent toutefois avoir lieu avant l’exécution de cette mesure, souvent pour des motifs financiers. Le rapatriement sert ainsi de moyen de pression envers les communes qui tardent à payer l’assis-tance. Les autorités cantonales disent être généralement opposées aux rapatriements : « Nous avons cru de notre devoir d’interdire en principe le rapatriement d’un indi-gent, sauf pour une cause d’abus ou si l’intérêt de la com-mune et de l’indigent l’exige. Très souvent, les comcom-munes de montagne ne comprennent pas les circonstances et les besoins de leurs assistés dans les villes et demandent le rapatriement de ces assistés. »67 Cette procédure nécessite

néanmoins de connaître la bourgeoisie de l’assisté et de savoir si celui-ci possède des papiers valables pour savoir où le rapatrier.

La plus grande différence des pratiques d’assistance entre nos deux communes réside dans la politique des place-ments68. Dans les faits, Bramois recourt moins

fréquem-ment aux placefréquem-ments : environ 40 % des cas, contre 65 % à Sion. La capitale met en effet sur pied des solutions plus institutionnelles, ce qui a des conséquences sur les coûts de l’assistance. Dans les dossiers de Sion, la part d’hospi-talisations représente 64 % des placements, alors qu’à Bra-mois peu de différences existent entre les hospitalisations et les internements. Notons cependant que l’hospitalisa-tion touche tous les âges, à la différence des internements, centrés sur certaines personnes. L’état de santé des assistés sédunois est peut-être moins bon, mais le domicile ex-plique aussi cette situation, puisque près de 90 % des cas d’hospitalisation concernent des personnes domiciliées à Sion, qu’elles soient bourgeoises ou non. De plus, comme tous les organismes d’assistance de la région sont implan-tés dans la capitale, nous pouvons imaginer un certain lien entre les institutions et leur utilisation par une commune, sans toutefois aller jusqu’à associer une commune et la fréquence de son recours au placement avec la proximité géographique des institutions.

Le rôle particulier de l’hôpital

Selon notre analyse, il apparaît que l’hôpital sert de lieu d’accueil pour les gens malades ou accidentés, en pre-mier lieu des bourgeois, mais aussi pour des personnes que les communes n’arrivent pas à aider à domicile ou à placer ailleurs. L’ institution est ainsi polyvalente : « L’ hospice-hôpital est conçu pour s’adapter à toute une gamme de besoins, à la fois de soin et d’assistance et,

67 « Message accompagnant le projet de loi sur l’assistance publique », daté du 13 avril 1920, in Protocoles des débats du Grand Conseil valaisan, session de mai 1920, annexe 2, 1920, p. 8.

68 Ce terme général nous a paru plus adapté que la notion d’« internement »,

qui comporte une connotation de contrainte, de décision de l’autorité, et se réfère à des institutions spécifiques, comme la colonie de travail ou l’asile pour buveur. Ceci n’est pas tout à fait adéquat pour une per-sonne hospitalisée suite à une maladie ou un accident.

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dans les limites qui sont les siennes, celles d’un can-ton parmi les plus démunis de la Suisse. »69 De manière

générale, pour C. A. Schmid, l’hospitalisation est aussi souvent choisie comme solution, car « elle est la plus avantageuse, parce que la plus économique et la plus simple »70. Pour la commune, les secours à domicile

im-pliquent une surveillance directe, ce qui a un coût, tan-dis qu’avec un placement la surveillance est déléguée. Cette polyvalence se perçoit surtout avant 1930, le Valais connaissant une médicalisation de l’hôpital plus tardive qu’ailleurs. L’ Hôpital des bourgeois de Sion en tant qu’établissement de soins généraux est mis en place en 1935. La réorganisation des soins, la formation du

69 droux 1996, p. 78.

70 SChmid 1916, p. 90.

71 Vouilloz-burnier, guntern anthamatten 2003, pp. 84-86.

72 Vouilloz-burnier, barraS 2004, p. 243.

73 D’autres recherches arrivent à des constats similaires pour les hô-pitaux de différentes villes suisses, mais à des périodes antérieures. donzé 2000, p. 149.

74 SChmid 1916, p. 90.

75 AC Sion, Ass. 136, 17.03.1927.

76 AC Sion, Ass. 184, 05.03.1928.

77 Crettaz 1949, p. 175.

Ancien hôpital, rue de la Dixence, Sion, 1930-1940. (Raymond Schmid, Bourgeoisie de Sion, Médiathèque Valais - Martigny)

personnel (des religieuses)71 ainsi que la création

d’éta-blissements spécialisés permettent alors d’accueillir un public plus ciblé et de mettre sur pied un réseau hospitalier72. Il est dès lors possible de mieux distinguer

l’hôpital, lieu de soin pour les malades, de l’asile, insti-tution pour les indigents73.

Avant les années 1920-1930, les informations issues des dossiers d’assistance donnent l’impression que l’hôpi-tal est parfois une solution « fourre-tout ». C’est d’ail-leurs l’avis de C. A. Schmid : « D’après les idées en cours en certains lieux, il y suffit d’une maison quelconque, où tout ce qui est pauvre, dans la commune ou au dehors, peut être mis pêle-mêle à l’abri du besoin. »74 Des

personnes tuberculeuses peuvent s’y trouver : « Cette jeune fille ne peut être reçue à Leysin pour le moment. Comme le rapatriement est urgent […] il faudra peut-être la placer provisoirement à l’Hôpital de Sion. »75

Des personnes d’un certain âge y sont également placées : « Nos démarches en vue d’obtenir une place à l’asile des vieillards […] n’ont pas abouti. Il ne reste plus d’autre solution que le placement à l’hôpital de Sion ou le rapatriement. »76 Des « assistés chroniques », dont les

communes ne savent plus trop que faire, peuvent aus-si être acceptés. Sulpice Crettaz résume la aus-situation en disant que « l’absence d’un établissement spécialisé faisait qu’on se contentait de l’hôpital »77.

Dans certains dossiers, le placement à l’hôpital appa-raît presque comme une menace pour inciter les assis-tés à gagner leur vie et à ne pas être à la charge de leur commune : « Nous constatons que N. N. accepte du travail de chantier. Tant qu’il le fera pendant l’hiver où

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il existe des chantiers, son sort sera réglé comme celui des autres chômeurs. Par contre, s’il refusait […] N. N. devra, s’il ne se débrouille pas lui-même, être assisté à l’Hôpital. »78 Ainsi, même une personne soignée doit

faire preuve d’un comportement irréprochable.

Faute d’autres sources, cette vision « par le haut » des assistés permet difficilement de savoir comment ceux-ci vivent leur placement. Le système d’assistance reste répressif et moralisateur, afin d’éviter des abus, même pour les personnes placées à l’hôpital : « La prénommée a été internée pour cause d’inconduite […] elle doit tou-jours être considérée comme internée et défense abso-lue doit lui être faite de sortir de l’hôpital. »79 Raymond

Delachaux souligne pour sa part que le placement n’est pas forcément l’idéal, mais plutôt une solution par dé-faut et coûteuse du point de vue financier : « Il crée chez la plupart des assistés un état d’esprit que nous qualifie-rons de malsain, car le changement de milieu, la certi-tude dans laquelle ils sont de ne pas manquer du néces-saire et la promiscuité d’indigents “professionnels” ont tôt fait de leur ôter tout désir de se recréer une situation indépendante. L’ assistance publique est alors presque assurée d’avoir à subvenir à l’entretien de ces individus jusqu’à leur mort, et elle risque de manquer son but. »80

Sous la loi de 1926, l’attitude moralisatrice des auto-rités vis-à-vis des assistés existe toujours, cependant une visée plus préventive, notamment à l’égard des mi-neurs, laisse progressivement transparaître un peu plus d’humanité. Certains dossiers évoquent par exemple des visites à domicile ( qui sont aussi un moyen de

contrôle pour les communes ). Cette sensibilité se ressent également à l’égard des enfants sur lesquels les parents exercent une mauvaise influence : « Nous avons toujours reculé devant le rapatriement de cette famille […] Aujourd’hui l’éloignement de la mère des enfants devient inévitable. »81 Pourtant, même si un certain

souci de protection de l’enfance est réel, les communes ne sont pas toujours si désintéressées, comme le montre un cas de Bramois : « Notre Conseil communal ne veut plus, à l’avenir, contribuer à l’entretien de cet enfant dans les mêmes conditions [...] il demande que l’enfant soit amené ici à Bramois, où nous trouverons certaine-ment la possibilité de lui fournir les moyens d’existence nécessaires avec le moins de frais possibles. »82 Selon

les situations et les coûts en jeu, un examen des alter-natives d’assistance est donc effectué.

Les procédures menant aux décisions ( assez souvent un placement, puisque les dossiers traitent d’assistance permanente ) restent plus ou moins longues, la ques-tion du coût revenant souvent sur le tapis. Bien que les communes soient conscientes de devoir s’impli-quer pour les « bons assistés », l’assistance conserve un volet répressif exprimé au travers des dossiers. Gérald et Silvia Arlettaz arrivent à la même conclusion : « En 1914, il n’y a pas de droit reconnu à l’assistance et les mesures répressives continuent d’exister. L’ indigent est encore perçu comme un péril pour la paix sociale ; il convient de le surveiller et de ne pas le conforter dans un état souvent analysé comme une conséquence de la paresse ou de vices. »83

78 AC Sion, Ass. 160, 01.12.1933.

79 AEV, AC Bramois, Suppl. 2, 268, 17.10.1930.

80 delaChaux 1938, p. 52.

81 AC Sion, Ass. 184, 13.02.1928.

82 AEV, AC Bramois, Suppl. 2, 48, 19.05.1920.

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La perceptIon des assIstés par Les autorItés communaLes de sIon et bramoIs

motIfs conduIsant à L’assIstance : une combInaIson de facteurs économIques, socIaux et sanItaIres

Le recours à l’assistance publique est rarement le résultat d’un facteur unique, mais bien plutôt d’une combinai-son de plusieurs éléments. L’ analyse de la perception des assistés par les communes est éclairante à ce sujet. Sans surprise, le facteur dominant du recours à l’assis-tance est d’ordre économique : manque d’argent pour son loyer, impossibilité de nourrir sa famille ou métier mal rémunéré. L’ incapacité de subvenir à ses besoins, pour une raison ou pour une autre, définit donc un assisté. Des mots récurrents, tels « pauvre » ou « indi-gent », reflètent des sentiments d’empathie et de charité, mais nous n’avons trouvé aucun chiffre définissant les in-dividus à aider, preuve qu’il s’agit d’un facteur subjectif, une sorte de « nébuleuse »84. Des critères moraux,

com-portementaux ou des valeurs comme le travail influencent également les décisions. Il existe ainsi une sélection pour « différencier les bons et les mauvais pauvres, qui méritent ou non l’assistance »85. Rappelons en effet,

même si l’application ne semble pas systématique, que la loi de 1926 autorise les refus d’assistance dans certaines conditions. Selon Albert Wild, des procédés similaires sont appliqués par l’assistance volontaire : « L’assistance est refusée […] aux ivrognes, aux professionnels de la mendicité, aux vagabonds notoires, à ceux qui se refusent à tout travail, aux débauchés, aux gens vicieux, aux

personnes qui font des dépenses de luxe […], qui ont fait des déclarations reconnues comme fausses, aux faiseurs de dettes, à ceux qui ne remplissent pas leurs devoirs envers leur famille et sur qui l’on a obtenu de mauvais renseignements. »86

Les autorités mentionnent peu le terme « chômage », à la différence de notions générales liées aux difficultés financières (l’assisté « se trouve dans la gêne »87, « dans la

plus profonde misère »88 ou « complètement à la charge

de la commune »89). Comment l’expliquer ? Le Valais

semble tout d’abord moins touché que d’autres cantons par la crise économique, et ce malgré les licenciements dans les usines (2000 chômeurs au printemps 1921, 4500 en décembre 1921, et 1000 en décembre 1923)90 ;

Hans-Ulrich Jost évoque en effet 100 000 chômeurs au niveau suisse en février 192291. Les comptes communaux

sédunois de 1921 révèlent cependant que les autorités ont conscience du problème et qu’elles créent une com-mission de trois membres dès 192292. Jusqu’à la fin de

1923, le Conseil communal note le nombre de chômeurs et organise des travaux de chômage (il y a alors vingt chômeurs en ville de Sion)93, pour faire comprendre au

bénéficiaire qu’il « a un intérêt majeur à ne pas devenir un oisif-assisté »94. Les autorités se félicitent du bilan de

leurs actions qui ont coûté 2747 francs : « Ces chiffres démontrent que la Commune a voulu exclure l’oisiveté et a procuré aux chômeurs tout le travail nécessaire pour leur permettre de gagner leur pain. »95 Le travail est donc

un aspect mis en avant dans les politiques d’assistance.

84 SaSSier 1990, p. 8. 85 head, SChnegg 1989, p. 74. 86 Wild 1916, p. 23. 87 AC Sion, Ass. 173, 23.06.1922. 88 AC Sion, Ass. 11, 29.03.1923. 89 AC Sion, Ass. 7, 04.04.1928. 90 Histoire du Valais 2002, p. 691. 91 andrey 2004, p. 697.

92 AC Sion, PV des séances du Conseil municipal, A1-6, séance du 23.01.1922, p. 222.

93 Idem, séance du 01.07.1921, p. 173.

94 AC Sion, CB 73, comptes 1921-budget 1922, p. 13.

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De manière générale, nos dossiers montrent que la période 1900-1930 est marquée par des difficultés économiques périodiques, même pour les personnes actives. La perte d’un emploi, du conjoint ou un acci-dent peuvent obliger certains individus « à la limite », ne bénéficiant pas ou plus d’un soutien familial suffisant, à demander une aide publique.

L’ état de santé est aussi récurrent pour expliquer un recours à l’assistance. Lors d’une admission en institu-tion, le bilan de santé est en effet souvent obligatoire. Une pension privée de Montana refuse par exemple une enfant tuberculeuse, en raison de son état jugé trop grave, tout en se recommandant « pour des cas préventifs » à l’infirmière visiteuse de Sion96. La santé peut également

être invoquée lors des interactions entre communes, pour signifier qu’une personne a vraiment besoin d’aide. Mais les formules utilisées sont parfois assez générales et ne précisent pas la maladie dont il s’agit, les autorités n’ayant pas le même but, ni les mêmes connaissances et logiques de réflexion que les médecins. Il est donc dif-ficile de savoir jusqu’à quel point et pour combien de temps l’assisté ne peut pas gagner sa vie. Les autorités incitent en tout cas leurs assistés à faire le maximum pour s’en sortir, surtout lorsque le soutien parental fait défaut. Les maladies citées dans les dossiers sont assez similaires à Bramois et à Sion. Il s’agit généralement de pathologies chroniques, qui peuvent se cumuler. Les individus se re-trouvent ainsi de manière prolongée dans une situation les empêchant de travailler. Pour les personnes déjà assis-tées avant leur maladie, la situation se détériore encore. Il arrive aussi qu’un individu soit d’abord traité sur une L’Ecole Plein-Air de Montana, vers 1910. (Nathalie Lachenal,

Bibliothèque de Genève)

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courte période, avant de tomber dans le cercle de la ma-ladie chronique. La tuberculose représente typiquement une pathologie nécessitant de longs soins et dont les taux de décès en Valais sont élevés97. Parmi les assistés de Sion,

seuls trois cas de maladies respiratoires sont mentionnés, mais la lutte contre ce type de maladies n’en est alors qu’à ses prémices et les pathologies respiratoires sont encore mal connues et pas forcément bien classifiées dans les statistiques98. Le petit nombre de médecins présents dans

le canton (32 en 1900, 37 en 1910, 48 en 1920 et 78 en 1930) peut également rendre le diagnostic difficile à poser99 et par conséquent diminuer les cas recensés.

Lors de l’adoption du décret pour l’implantation d’un sanatorium valaisan à Montana, le rapport de la com-mission chargée d’étudier la question indique d’ailleurs qu’en 1917, 30 % des décès dans le canton ont eu lieu sans attestation médicale100.

La capacité à gagner sa vie se restreignant avec l’âge101,

certains assistés vieillissants ne parviennent plus à se libérer de l’assistance publique, surtout si des facteurs familiaux et économiques s’ajoutent aux soucis de san-té. Ces circonstances peuvent expliquer les appels désespérés de certaines personnes, qui ne rencontrent pas toujours la compassion souhaitée. Un assisté dont les problèmes s’accroissent avec les années ( âge, infir-mité, épouse impotente, sans formation professionnelle ) finit ainsi par écrire au président de la Confédération, Marcel Pilet-Golaz. Sion répond alors aux autorités fédé-rales que l’assisté « a un peu la manie d’écrire des lettres à des autorités et à des notabilités politiques »102.

Les hospitalisations concernent 45 % des cas à Bramois et plus de 60 % à Sion. Il est certain que les moyens financiers des communes ont une influence concernant

Enfant radiographié par des sœurs hospitalières, Montana, 1930-1950. (Oscar Darbellay, Médiathèque Valais - Martigny)

le recours à ce type de pratiques. En effet, dans une com-mune pauvre, pour qu’un assisté à la santé défaillante soit hospitalisé, il est nécessaire que l’individu « en vaille la peine », que sa guérison soit envisageable et que les risques de contagion, par exemple, qui entraîneraient des frais encore plus élevés à la communauté, soient écartés. Le dernier facteur majeur de recours à l’assistance, après la situation économique et l’état de santé, est la situation familiale. Il concerne des hommes, des femmes ou des mineurs et les cas peuvent être très divers :

97 Par exemple, suite à la Grande Guerre, le taux valaisan passe de 1,499 ‰ entre 1916-1920 ( 1,432 ‰ au niveau national ) à 1,459 ‰ entre 1926-1930 ( 1,025 ‰ au niveau suisse ) ( OFS 2013 ).

98 bonVin 1994, pp. 18-19.

99 Idem, p. 29.

100 Sanatorium populaire 1920, p. 84.

101 Pahud 1981-1982, vol. 2, pp. 431-432.

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séparation, famille nombreuse, veuvage. C’est pour ce facteur familial que les différences sont les plus marquées entre nos communes. Il représente deux tiers des cas à Bramois et environ 45 % à Sion ; 70 % des cas impliquent des femmes à Sion ( 50 % sans compter les mineures ) et plus encore à Bramois. Ainsi, même si le tissu familial est a priori plus stable dans un village agricole, la situa-tion peut aussi y être critique pour une femme seule, en fonction du nombre d’enfants et des moyens finan-ciers des parents. Ceci révèle les difficultés rencontrées par une femme lorsqu’elle perd son

mari, celui-ci apportant l’essentiel de l’argent nécessaire au ménage. Jean-Pierre Tabin rappelle en effet que « le travail industriel de certaines femmes […] n’est pas leur destinée normale. Leur destinée, c’est d’être des épouses à condition bien sûr que leur mari puisse les entretenir […] Les femmes élevant seules des enfants sont pour leur part considérées comme des in-valides incapables de subvenir à leur entretien. »103 En charge du ménage et

de ses enfants, la femme peut difficile-ment occuper un emploi à l’extérieur, et si elle travaille, son salaire reste bien inférieur à celui d’un homme. Lors-qu’elle est soudainement privée du sa-laire du père, la famille doit donc faire face à un bouleversement important, surtout lorsque celui-ci est conjugué

à un « déracinement » social ( femmes ayant perdu leur bourgeoisie en se mariant).

L’ illégitimité renforce l’inégalité entre hommes et femmes. Ce paramètre socio-familial a aussi été pris en considé-ration, même si les effectifs sont plus faibles, puisqu’ils ne renvoient qu’à des mineurs et que les sources ne permettent pas toujours de bien classifier les enfants. En général, c’est la femme qui doit assumer la charge de l’enfant, à l’exception des rares cas où le père reconnaît volontairement son enfant104.

Cueillette des pommes à Bramois, vers 1920. (Charles Krebser, Médiathèque Valais - Martigny)

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Les actIons et comportements de La personne assIstée

Etre assisté implique de respecter certaines valeurs mo-rales. A ce niveau, des ressemblances existent entre Sion et Bramois, que ce soit pour les comportements valorisés ou pour ceux pointés du doigt. Les communes insistent surtout sur ce deuxième volet, preuve en est que la stigmatisation de certains assistés est toujours pos-sible et que les mentalités mettent du temps à évoluer. Heureusement, Sion et Bramois ne font pas que consi-dérer leurs assistés comme des charges financières. Les autorités valorisent aussi les comportements conformes à leurs valeurs, qui définissent l’assisté méritant et qui contribuent à diminuer leurs propres charges.

valorisation du travail et de l’éducation donnée aux enfants

Disposition au travail

La qualité la plus souvent mise en avant par les auto-rités est le fait que l’assisté possède un travail (ou soit disposé à travailler) et qu’il ne vive pas dans l’oisiveté. Le bon assisté ne doit pas refuser un poste proposé. La loi de 1898 indique en effet que le comité de bienfai-sance « procure, autant que possible, du travail à ceux qui sont en état de gagner leur vie »105. Lorsqu’un assisté

trouve un poste, les autorités l’incitent à le conserver et soulignent les bons résultats, car elles veulent favoriser l’autonomie économique chez leurs assistés : « La femme de N. N. est très travailleuse et très brave […] nous ne pouvons que la féliciter pour son courageux travail et sa bonne conduite. »106

En ce qui concerne les enfants, le souhait est qu’un mineur assisté ne retombe pas plus tard à la charge de l’assistance. Un investissement initial est donc nécessaire, c’est-à-dire une éducation et une formation professionnelle, avec une base chrétienne. Cette aide constitue un « placement » plus efficace qu’un soutien en nature ou sous forme d’argent : « Il est évident que ces moyens ne suffisent pas dans une législation que préoc-cupe la prévoyance sociale ; aussi avons-nous prévu que l’assistance doit prévenir le paupérisme par tous les moyens possibles, tant moraux, disciplinaires que financiers. Les conseils, notamment, peuvent souvent être plus efficaces qu’une pièce d’argent pour permettre à une personne de se créer une meilleure situation économique et morale. »107 Les communes cherchent

donc à donner le goût du travail aux enfants assistés et à leur inculquer de bonnes dispositions morales en les plaçant en institution ( et non dans des familles, comme le souhaitait initialement le gouvernement108 ). Une

lettre adressée à un enfant de seize ans, assisté pendant sept années, résume parfaitement la situation : « Depuis plusieurs années, notre Commune a consacré d’impor-tantes sommes à votre formation et à votre éducation. Elle était même décidée à payer votre apprentissage de menuisier […] Nous vous engageons vivement à faire tout votre possible pour donner toute satisfaction à vos patrons, afin que vous conserviez votre gagne-pain. […] nous ne pouvons plus continuer à vous fournir des secours. Vous êtes en âge de gagner votre vie et c’est un devoir pour vous de le faire. Nous espérons donc que vous comprendrez enfin votre véritable intérêt. »109

Il est évident que le résultat n’est pas toujours celui

105 Loi sur l’assistance publique de 1898, art. 23.

106 AC Sion, Ass. 156, 09.09.1935.

107 « Message accompagnant le projet de loi sur l’assistance publique », daté du 13 avril 1920, in Protocoles des débats du Grand Conseil valaisan, session de mai 1920, annexe 2, p. 8.

108 Ibidem.

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désiré par les communes, d’autant plus dans une période économiquement difficile, où une personne peut perdre son revenu sans être fautive. Certains assistés peuvent ainsi retourner à l’assistance, voire devenir délinquants. Un décalage existe donc parfois entre le souhait émis par les communes et la réalité. Des arrangements sont ponc-tuellement trouvés, mais toujours sans que le principal concerné, l’assisté, soit consulté : « Dans ces conditions, il est inutile que N. N. reste plus longtemps dans notre Institut. Il y aurait lieu de lui chercher une petite place comme domestique de campagne […] ce jeune homme n’est pas recommandable à tous points de vue. »110

Si les dossiers n’avancent pas comme le souhaiterait la commune, celle-ci tend alors à émettre des jugements encore plus stigmatisants : « Après les sacrifices que notre Commune s’est imposée […] il n’est guère com-préhensible qu’il ne sache pas mieux en tenir compte. Mais ainsi en est-il lorsque l’éducation première a fait défaut. »111

Les capacités personnelles et la dispo-sition au travail peuvent aussi jouer en faveur des assistés plus âgés et en position plus délicate pour réussir à vivre de leur travail. En effet, les personnes âgées qui, malgré un état de santé fragile, travaillent et le font sans profiter des aides publiques sont bien perçues par les autorités. Citons un cas où la commune de domicile,

Bex, appuie la requête d’une assistée ( 10 francs par mois pour payer le loyer ), car elle estime cette aide « méritée par l’âge et toute une vie de travail exemplaire »112. Il est

évidemment de bon ton que l’assisté soit reconnaissant de l’aide reçue.

Un ensemble de qualités morales et de valeurs liées au travail permet donc de définir un « bon assisté », même si l’idée sous-jacente d’une commune est évidemment de compter le moins d’assistés possibles. Dès la fin de la guerre, les propos du Dr Schmid113, observateur

avisé de l’époque, et des économistes, sont repris par les législateurs valaisans. Trois types d’indigents sont ainsi

110 AEV, AC Bramois, Suppl. 2, 50, 12.12.1927.

111 Idem, 19.12.1927.

112 AEV, AC Bramois, Suppl. 2, 48, 02.09.1921.

113 Médecin ( 1868-1948 ) et secrétaire du bureau d’aide aux pauvres de la ville de Zurich, le Dr Schmid est le fondateur d’un journal consacré

à l’assistance publique ( Der Armenpfleger ) publié dès 1903. Il pré-side la Conférence suisse des institutions d’aide aux pauvres à partir de 1910. C’est à ce titre qu’il est mandaté pour faire un état des lieux de l’assistance légale en Suisse. Son rapport est publié en 1916 (voir SChmid 1916).

Réfectoire d’un foyer pour personnes âgées, Sion, vers 1930. (Oscar Darbellay, Médiathèque Valais - Martigny)

Figure

Tableau 1 : Population résidente des communes de Sion et Bramois entre 1850 et 1930 (en chiffres absolus).

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