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DE GAULLE ET LA FOI CHRÉTIENNE

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Texte intégral

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DE GAULLE

ET LA FOI CHRÉTIENNE

PHILIPPE DE SAINT ROBERT

n ne parviendra pas, quoi qu’on en ait, à dissiper la grande ombre que le général de Gaulle continue de porter sur nous et certaines de nos querelles. Son rapport avec le catholicisme, avec l’Église, ne faisait pas plus débat que son rapport avec la France, bien qu’il fut plus discret. Malraux confiait à André Brincourt qu’aux yeux du Général, les valeurs suprêmes étaient, dans la pensée comme dans l’action qui la fait entrer dans l’histoire, la nation, le catholicisme, et une sorte de stoïcisme qui gardait ses passions de tout fanatisme ; il acceptait les valeurs autres que les siennes, mais non l’absence de valeurs (d’où son moment de désarroi en mai 1968).

O

La visite de Benoît XVI et l’accueil qui lui a été réservé ont une fois de plus réveillé en France de vieilles controverses. Rien pourtant dans cet événe- ment ne déroge à la tradition discrète que le général de Gaulle a su rétablir dès son retour au pouvoir en 1958. Rappelons que sous la IVe République Vincent Auriol, en vertu d’une tradition remontant à la monarchie, tint à remettre lui-même la barrette cardinalise à Mgr Roncali, le futur Jean XXIII.

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En 1959, le Général confie au journaliste américain David Schoenbrunn : « Pour moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui don- nèrent leur nom à la France. Avant Clovis, nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L’élément décisif pour moi, c’est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs. (1)»

Mais l’allégeance religieuse se double d’une sévérité mar- quée pour les errances de l’épiscopat, notamment au temps de Vichy. Il s’en était inquiété en pleine guerre au point d’écrire secrètement de Londres, le 27 mai 1942, à Mgr Salièges, connu pour son hostilité au régime de Vichy et aux lois antijuives : « Je crois très sincèrement que l’attitude – fût-elle d’apparence – prise publiquement par une partie de l’épiscopat français à l’égard de la politique et des hommes dits “de Vichy” risque d’avoir des consé- quences graves en ce qui concerne la situation du clergé et peut- être de la religion en France après la Libération. Je souhaite de toute mon âme que [...] la voix de messeigneurs les évêques s’élève assez clairement et fortement pour que le peuple de France perde l’impression qu’il a d’une sorte de solidarité entre les préférences du clergé et l’entreprise des gens qui ont proclamé, accepté et aggravé la défaite de la France (2). »

Lorsqu’il se rendra à Notre-Dame en août 1944 pour y célé - brer le Magnificatde la Libération, il fera prier le cardinal Suhard, qui avait cru devoir présider les obsèques de Philippe Henriot, de rester chez lui. Les rancunes, de part et d’autre, furent tenaces.

Alain Peyrefitte relate à ce sujet l’incident qui marqua la visite faite à Lyon, le 29 septembre 1963 par le général de Gaulle : « Non seu- lement le cardinal Gerlier, primat des Gaules, n’attend pas le Général sur le parvis de sa cathédrale, mais il est absent sans même avoir prévenu, ni s’être excusé. [...] Bien plus : une déclara- tion ronéotée distribuée aux fidèles explique cette absence de manière si cavalière qu’on peut seulement l’interpréter comme un désaveu de la politique du Général. » Ce que le Général commente avec tristesse à son ministre : « Le cardinal Gerlier, ce n’est pas le gallicanisme qui l’étouffe. L’Église de France non plus, dans sa majorité, ni le patriotisme. Vichy l’attirait davantage… Vichy, c’était

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la France selon son cœur. [...] Que voulez-vous que j’y fasse ? C’est ainsi (3). »

Ce « c’est ainsi » signifie que rien n’altère les « fondamentaux » du Général. À peine revenu aux affaires, il adresse, le 21 juin 1958, ce télégramme à Pie XII : « Très Saint Père, la mission vient de m’être donnée de diriger à nouveau la France en une période grave de son destin. Au moment où j’assume cette lourde respon- sabilité, ma pensée respectueuse se porte vers Votre Sainteté. En toute piété, j’appelle son soutien spirituel sur mon action en lui demandant de bénir la France (4). » En octobre suivant, à la mort de Pie XII, le Général développe une discrète action d’influence auprès des cardinaux français afin qu’ils veillent à l’élection d’un pape proche de la France, comme en témoigne une lettre adressée le 18 octobre au cardinal Grente : « [...] le cardinal Feltin, comme M. Wladimir d’Ormesson et M. Roland de Margerie, feront part à Votre Eminence de mes préoccupations à la veille d’une élection capitale pour la France, pour la catholicité. (5)»

Au même prélat – peut-être parce qu’il était homme de lettres et académicien – le Général avait écrit le 17 septembre pré- cédent, en réponse à une sollicitation concernant les rapports de l’Église et de l’État : « À moins que l’État ne soit ecclésiastique, je ne vois pas – non plus, j’en suis sûr, que Votre Éminence –, qu’il puisse être autre chose que laïque. Toute la question est de savoir comment, dans quel esprit, il sera cela ? Pour qu’il le soit comme il le faut, je crois bon, en toute conscience, qu’il reçoive le baptême de l’Église de France (6). » On voit que la notion de « laïcité positive » s’inscrit dans la tradition même du fondateur de la VeRépublique.

Si l’élection de Jean XXIII comblera les vœux du Général, il ne s’inquiétera pas moins, en 1965, des effets du concile au point de charger Edmond Michelet d’une mission : « Étant donné les changements que le concile prescrit dans la liturgie, que va- t-il advenir de la prière faite au terme des messes solennelles : Domine salvum fac Republicam ? Il y a là pour l’État et, je crois, pour l’Église aussi quelque chose d’important (7). » À vrai dire, le Général exprime quelques réserves à l’endroit du concile.

Alain Peyrefitte rapporte : « Je crains qu’il [Jean XXIII] soit allé trop vite. Il fallait donner un coup de neuf. Mais il a subi l’in-

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fluence d’une coterie qui prétendait tout révolutionner d’un seul coup. (8)»

À la mort de Jean XXIII, le Général recommence son jeu d’influence. L’élection de Paul VI le comble à nouveau. En visite à Rome, le 31 mai 1967, il lui déclare : « Comment la France pour- rait-elle méconnaître une histoire qui a fait d’elle la fille aînée de l’Église ? Or, les liens privilégiés tissés entre le Siège apostolique et la France, l’harmonie qui en procède bien souvent, quant aux sen- timents, aux pensées, aux actions, combien de signes vivants les attestent aujourd’hui ! C’est avec un intérêt passionné que le peuple français a suivi l’immense confrontation, l’examen de cons- cience sans précédent, que vient d’être pour toute la catholicité le XXIe Concile œcuménique inauguré par Jean XXIII et conduit à son terme par Votre Sainteté. Depuis lors, ce même peuple fixe son attention sur l’inlassable effort consacré par Votre Sainteté à traduire en actes les maximes de Vatican II, à unir dans un juste équilibre ‘‘nova et vetera’’, à promouvoir dans la pratique, c’est-à- dire dans la mesure et la raison, cette mise à jour spirituelle, cet approfondissement doctrinal, ce perfectionnement pastoral, exigés par notre époque. (9) » On sait, et les litotes qu’il emploie ici le confirment, que le général de Gaulle était réservé, sinon craintif, quant aux effets de Vatican II (on trouve l’écho de cette réserve dans ses entretiens avec Alain Peyrefitte). C’est lors de la même visite à Rome que, s’exprimant devant la communauté ecclésias- tique française, le Général lui dit : « Quels que soient les dangers, les crises, les drames que nous devons traverser, toujours nous savons où nous allons ; même s’il nous faut mourir, nous allons vers la vie. » Tout ce à quoi je me suis jusqu’à présent référé pour- rait faire penser à une instrumentalisation de l’Église au profit d’une « certaine idée de la France ».

Même si les biographes ont été aussi discrets que le Général lui-même sur ses relations avec la foi de son enfance, la religion de son pays et l’Église en général, le regretté Michel Brisacier, dans son livre trop méconnu la Foi du Général (10), a rassemblé suffisamment de témoignages pour en attester. Je n’en citerai que deux. Nous sommes le 15 mai 1940 : l’abbé Bougeon, aumônier militaire, dit avec quelque hésitation (de crainte de paraître indisc- ret) au colonel de Gaulle : « Je célébrerai ma messe demain matin

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à toutes vos intentions, pour vous et pour votre famille, et tout spécialement pour votre petite fille Anne. » De Gaulle lui répond :

« Anne… Oui, monsieur l’aumônier, sa naissance a été une épreuve pour ma femme et pour moi. Mais, croyez-moi, Anne est ma joie et ma force. Elle est une grâce de Dieu dans ma vie. Elle m’aide à demeurer dans la modestie des limites et des impuissances humai- nes. Elle me garde dans la sécurité de l’obéissance à la souveraine volonté de Dieu… » Quelques semaines plus tard, en août 1940, il se dépeint ainsi à Londres : « Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et en l’avenir de ma patrie. »

Les milieux catholiques – à commencer par Mauriac – n’ont, il est vrai, cessé de s’interroger quant au lien réel que le Général établissait entre sa foi et son action. Il était certes, de ce point de vue, plus proche de Richelieu que des démocrates-chrétiens, mais quoi ? C’est bien à tort qu’on l’a dit insensible. Maurice Schumann rappelait à ce sujet qu’à sa nièce, Geneviève de Gaulle, qui lui relatait les épreuves de la déportation, il dit brusquement que ce qu’il avait vu dans les tranchées de la grande guerre lui a « laminé l’âme ». On trouve également, dans le journal tenu par le capitaine Guy (11), de nombreux témoignages sur les préoccupations d’ordre spirituel du Général.

Alain Peyrefitte relève, de son côté, que dans l’église de Colombey, le Général s’asseyait toujours au dixième rang : « Il suffit d’aller s’y asseoir à sa place pour comprendre. Plus près ou plus loin de l’autel, le regard rencontre des vitraux dont le sujet est simple- ment religieux. Mais dans l’axe du dixième rang, se faisant vis-à-vis, Saint Louis et Jeanne d’Arc. Ces deux vitraux-là parlaient à de Gaulle de l’histoire de France. Ils émouvaient le patriote en même temps que le chrétien. Ils inscrivaient dans la prière l’amour du pays. (12)»

Dernier signe, le 29 décembre 1969, le Général prend pré- texte des vœux que lui adresse le père Arnaud de Solages, s.j., ancien résistant, mais qu’il ne connaît pas personnellement, pour rendre un ultime hommage à ses maîtres : «… Si ma vie a pu avoir une signification, ce n’est que par la grâce de Dieu. J’en suis, en outre, reconnaissant à mes anciens maîtres, à leurs leçons et à leur exemple. (13)»

De Gaulle eut toujours un lien particulier avec le domaine spirituel, qui chez lui s’inscrivait dans la tradition catholique de la

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France. Il eut à souffrir dans sa jeunesse de l’hostilité déclarée de la IIIeRépublique à l’égard de l’Église (au point de devoir terminer ses études en Belgique). Son christianisme lui a seul permis de mêler une humilité cachée avec cette idée de la grandeur qui le dépassait tout en l’identifiant à la France.

Une version abrégée de ce texte est parue dansle Figarodu 11 octobre 2008.

1. David Schoenbrunn, les Trois Vies de Charles de Gaulle, Bibliothèque de culture historique, 1959.

2. Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets, t. IV, Juillet 1941-mai 1943, Plon, 1982.

3. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. II, Fallois et Fayard, 1997.

4. Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets, t. VIII,Juin 1958-décembre 1960, Plon, 1985.

5. Idem.

6. Idem.

7. Charles de Gaulle,Lettres, notes et carnets, t. X,Janvier 1964-juin 1966, Plon, 1986.

8. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. II, ed. cit.

9. Charles de Gaulle, Discours et messages, t. V, 1966-1969, Plon, 1970.

10. Michel Brisacier, la Foi du Général, Éditions Nouvelle Cité, 1998.

11. Claude Guy, En écoutant de Gaulle, Grasset, 1996.

12. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. II, ed. cit.

13. Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets, t. XII,Mai 1969-novembre 1970, Plon, 1970.

Philippe de Saint-Robert est juriste et écrivain. Chroniqueur pour Combat, le Monde, Notre République, Témoignage chrétien, le Figaro, Valeurs actuelles, France culture, ancien commissaire général à la langue française, il est membre de la fondation Charles de Gaulle. Derniers ouvrages parus : De Gaulle et ses témoins.

Rencontres historiques et littéraires(Bartillat, 1999) et Pierre Messmer, Ma part de France, entretiens avec Philippe de Saint Robert (François-Xavier de Guibert, 2003).

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