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Le 1er juin 1958, Charles de Gaulle devint le dernier président JACQUES RUEFF, L ÉCONOMISTE QUI MURMURAIT À L OREILLE DU GÉNÉRAL DE GAULLE

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Texte intégral

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QUI MURMURAIT À L’OREILLE DU

GÉNÉRAL DE GAULLE

Annick Steta

L

e 1er juin 1958, Charles de Gaulle devint le dernier pré- sident du Conseil de la IVe République. Rappelé au pou- voir afin de sortir le régime de l’impasse dans laquelle il s’était enfoncé, l’homme qui avait sauvé l’honneur de la France lors de la Seconde Guerre mondiale forma un gou- vernement d’union nationale et obtint les pleins pouvoirs, ce qui l’auto- risa notamment à légiférer par ordonnance durant six mois. Le général de Gaulle lança immédiatement trois grands chantiers : la rédaction d’une nouvelle Constitution, la mise en œuvre d’une politique d’apai- sement dans les territoires algériens et l’assainissement de la situation financière du pays. L’économie française était en effet gangrenée par la hausse du niveau général des prix, qui atteignit 15 % en 1958. L’infla- tion était nourrie par le décalage entre une demande très dynamique, soutenue par un crédit abondant et une croissance économique voisine de 5 % par an depuis le début des années cinquante, et une offre bridée par la vétusté de l’appareil productif ainsi que par l’archaïsme de la régle- mentation existante. Le déficit budgétaire, qui se résorbait depuis 1948, recommença à se creuser à partir de 1956. La balance des paiements affi-

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chait quant à elle un déficit de 1 500 millions de dollars en 1957. Enfin, les réserves de change disponibles le 1er juin 1958 n’équivalaient qu’à un mois d’importations. Sortir la France de cette ornière était d’autant plus urgent qu’elle devait se préparer à trois événements : la disparition, pré- vue pour la fin du mois de décembre 1958, de l’Union européenne des paiements, un accord qui avait pour but

de faciliter le règlement des transactions commerciales entre les pays participants par un système de paiements multilaté-

raux ; l’entrée en vigueur du Marché commun le 1er janvier 1959, qui se traduirait par un premier abaissement des droits de douane ; enfin, à la même date, la libéralisation des échanges de la France avec les pays de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) ne faisant pas partie du Marché commun ainsi qu’avec les États-Unis et le Canada. Il fallait donc atténuer la dépendance de l’économie française à l’égard des prêteurs étrangers et lui donner la capacité de faire face à une concurrence accrue.

Le général de Gaulle souhaitait confier cette mission délicate à Fran- çois Bloch-Lainé, qui avait été directeur du Trésor de 1947 à 1952.

Celui-ci refusa le poste et suggéra au chef du gouvernement de nom- mer Antoine Pinay. Plusieurs fois ministre sous la IVe République, Pinay avait été président du Conseil en 1952 et candidat à la présidence de la République en 1953. De Gaulle, voyant, non sans avoir hésité, les avantages du ralliement de l’homme qui avait symbolisé la réconcilia- tion entre la France de la Résistance et la France de Vichy, accepta une proposition qui avait par ailleurs le mérite, ainsi que le note Michel- Pierre Chélini, de « rassurer les milieux économiques et financiers » (1). Lors de son passage à Matignon, Antoine Pinay avait en effet fait reculer l’inflation et lancé un emprunt national gagé sur l’or qui avait connu un très grand succès. Le premier mouvement du nouveau ministre des Finances consista à reproduire la stratégie qui avait si bien fonctionné en 1952. Dès juin 1958, il lança un emprunt porteur de 3,5 % d’intérêts et indexé sur l’or. Cet emprunt rapporta 325 milliards de francs, ce qui correspondait à 6 % environ des recettes budgétaires. Il était accompa- gné d’autres mesures, parmi lesquelles la légalisation de la dévaluation de fait de 20 % opérée en 1957.

Annick Steta est docteur en sciences économiques.

› asteta@hotmail.fr

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Alors qu’Antoine Pinay venait tout juste de prendre ses fonctions, il reçut une note rédigée par une des personnalités les plus en vue du monde économique français : Jacques Rueff. Intitulée « Éléments pour un programme de rénovation économique et financière », cette note identifiait les causes de la montée de l’inflation et détaillait les moyens d’y remédier. Au moment où Jacques Rueff remit ce document au ministre des Finances, il était depuis six ans juge à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), qui avait été créée sur la base de la Cour de justice de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Il n’était donc pas associé à la gestion financière et monétaire du pays. Mais son expérience en la matière était incomparable. Né en 1896, Jacques Rueff entra à l’École polytechnique après avoir com- battu de 1915 à 1918. Alors qu’il se destinait à la recherche en biolo- gie, il découvrit, lors de sa deuxième année d’études, les Éléments d’éco- nomie politique pure de Léon Walras, que Joseph Schumpeter qualifia de « plus grand de tous les économistes ». Cette lecture convainquit Rueff de s’intéresser sérieusement à l’analyse économique, qui avait en France la particularité d’être plus largement enseignée dans les écoles d’ingénieurs qu’elle ne l’était à l’université. C’est après avoir suivi le cours de Clément Colson à Polytechnique qu’il décida de se consacrer à l’étude des phénomènes économiques. La publication en 1922 de son premier essai, Des sciences physiques aux sciences morales, précéda de quelques mois son entrée à l’Inspection générale des finances. Il mena dès lors des activités de recherche et d’enseignement parallèlement à sa carrière de haut fonctionnaire.

Les lignes directrices de la pensée économique de Jacques Rueff apparurent nettement dès les années vingt. La clé en est l’impor- tance attachée au libre fonctionnement du mécanisme des prix. Les prix sont « des signaux envoyés à l’ensemble de l’économie pour lui indiquer quoi produire et comment le produire » (2). Son libre fonc- tionnement permet d’organiser les actions des agents économiques et de parvenir à l’équilibre. Alors que Jacques Rueff avait la convic- tion que les prix étaient flexibles et accordait le primat à la recherche de l’équilibre, John Maynard Keynes considérait que les prix étaient généralement visqueux et que l’économie était en perpétuel déséqui- libre. Héritier de la tradition libérale et hostile à l’interventionnisme

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étatique, Rueff batailla contre Keynes tout au long de sa vie : son dernier article de presse, paru en 1976, s’intitulait « La fin de l’ère keynésienne ».

Du début des années vingt à la Seconde Guerre mondiale, Jacques Rueff connut une ascension rapide au sein de la haute fonction publique.

Il se forgea très tôt une réputation d’excellent connaisseur des questions monétaires et financières. Comme Keynes, Rueff avait compris que la publication d’articles destinés à un public de non-spécialistes consti- tuait un excellent moyen de gagner en notoriété et en influence. C’est pourquoi il n’hésita pas à sortir de la réserve attendue d’un inspecteur des finances débutant en publiant en 1925, dans la Revue politique et parlementaire, un article intitulé « Les conditions du salut financier ». Il y plaidait notamment en faveur de la stabilisation du franc, qui s’effon- drait face à la livre sterling et au dollar. Redevenu président du Conseil en 1926, Raymond Poincaré appela à son cabinet ce jeune polytechni- cien dont l’autorité intellectuelle l’avait impressionné et lui demanda d’identifier le cours optimal du franc au cas où le gouvernement choisi- rait de ne pas ramener la monnaie nationale à sa valeur d’avant-guerre.

Rueff proposa en novembre 1926 une « zone de parité » comprise entre 120 et 145 francs pour une livre sterling. Le 25 juin 1928, Poincaré annonça que le franc était dévalué des quatre cinquièmes de sa valeur d’avant-guerre, ce qui portait sa parité à 125,21 francs pour une livre sterling – valeur qui se trouvait dans la zone de parité définie par Rueff près de deux ans plus tôt.

Après avoir passé trois ans à la section financière du secrétariat de la Société des Nations, puis quatre ans au poste d’attaché financier à l’ambassade de France à Londres, Jacques Rueff devint en 1934 direc- teur général adjoint du Mouvement général des Fonds, l’ancêtre de la direction du Trésor, avant d’en prendre la tête en 1936. Sous l’autorité de Paul Reynaud, nommé ministre des Finances en novembre 1938, il mit en œuvre un plan de redressement dont Alfred Sauvy écrivit qu’il avait déclenché « la reprise la plus brillante et la moins connue de notre histoire économique » (3).

Fort de ces faits d’armes, Jacques Rueff proposa dès juin 1958 à Antoine Pinay de concevoir un plan de stabilisation et de redressement allant très au-delà des premières mesures adoptées par le ministre des

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Finances. Mais Pinay se montra sourd à ses arguments des mois durant.

Il fallut plusieurs explosions de colère du général de Gaulle pour le convaincre de créer, le 30 septembre 1958, un comité d’experts piloté par Rueff. Des travaux de ce comité naquit le plan Rueff, transcrit sous forme de plusieurs ordonnances, dont les deux principales parurent au Journal officiel du 31 décembre 1958. Il comprenait des mesures des- tinées à ramener l’inflation à un niveau supportable et à libéraliser les échanges internationaux. Le franc était par ailleurs dévalué de 17,55 % et redevenait convertible. Était enfin prévue la création d’un « nouveau franc » équivalant à cent « anciens francs ». Également appelé « franc lourd », il fut mis en circulation le 1er janvier 1960.

De Gaulle et Rueff : un coup de foudre intellectuel

Avant la préparation de ce plan d’assainissement financier, le géné- ral de Gaulle et Jacques Rueff ne s’étaient que brièvement rencon- trés. Cette première collaboration donna lieu à un véritable coup de foudre intellectuel. De Gaulle rendit un vibrant hommage à Rueff dans ses Mémoires d’espoir : « À ce théoricien consommé, à ce praticien éprouvé, rien n’échappe de ce qui concerne les finances, l’économie, la monnaie. Doctrinaire de leurs rapports, poète de leurs vicissitudes, il les veut libres. Mais, sachant de quelles emprises abusives elles se trouvent constamment menacées, il entend qu’elles soient protégées.

(4) » Jacques Rueff avait la conviction que la réforme de 1958 ne se suffisait pas à elle-même. Il considérait que « si elle restait ce qu’elle était – une réforme purement financière, sans prolongement écono- mique et social, sans conséquence sur notre politique de crédit – elle était vouée à l’échec » (5). Il écrivit donc au général de Gaulle pour lui proposer de mener une réflexion en profondeur sur les obstacles à l’ex- pansion de l’économie française. Soucieux de faire le meilleur usage des compétences de celui qui l’avait familiarisé avec les questions éco- nomiques, le premier président de la Ve République demanda à son Premier ministre, Michel Debré, de confier dès l’automne 1959 une nouvelle mission à Rueff : il s’agissait de constituer un comité d’experts

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chargé « d’examiner les situations de fait ou de droit qui constituent d’une manière injustifiée un obstacle à l’expansion de l’économie et de proposer les réformes de nature à mettre fin à ces situations ». Achevés en 1960, ses travaux furent publiés sous la forme d’un rapport sou- vent appelé « Rueff-Armand », du nom des deux vice-présidents de ce comité d’experts (6). Selon Jean-Claude Trichet, qui fut le lointain successeur de Jacques Rueff dans certaines fonctions, « si ce rapport est resté dans toutes les mémoires, c’est parce qu’il constitua le dernier grand effort de radiographie de l’économie française destiné à iden- tifier les obstacles à la croissance et les moyens de les éliminer. Beau- coup des indications et des orientations du rapport Rueff-Armand demeurent extrêmement actuelles, ce qui est à la fois un hommage à la lucidité de Rueff et une critique sévère de l’insuffisance des poli- tiques poursuivies depuis lors » (7). Jacques Rueff avait en effet une vision d’ensemble des réformes nécessaires à l’expansion organisée de l’économie française. À ses yeux, le plan de stabilisation et de redres- sement adopté en 1958 aurait produit des résultats plus satisfaisants s’il avait été accompagné du renforcement des mécanismes de marché dans le fonctionnement du système de crédit et de l’atténuation des rigidités de l’économie française. Mais, en dépit de la confiance que lui accordait le général de Gaulle, il ne parvint pas à obtenir le large soutien administratif et politique indispensable à la réalisation d’aussi vastes projets. Rueff eut gain de cause en 1958 parce que le péril était imminent et que le Général disposait des pleins pouvoirs. Lorsque la tempête s’apaisa, l’élan modernisateur qu’il avait impulsé se heurta aux conservatismes de tout poil. Est-ce à dire que l’économie française ne saurait être réformée qu’en période de crise ?

1. Michel-Pierre Chélini, « Le plan de stabilisation Pinay-Rueff, 1958 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 48-4, 2001, p. 104.

2. Gérard Minart, Jacques Rueff. Un libéral français, Odile Jacob, 2016, p. 50.

3. Cité par Gérard Minart, op. cit., p. 116.

4. Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, in Mémoires, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 1003.

5. Jacques Rueff, De l’aube au crépuscule, Plon, 1977, p. 245.

6. Polytechnicien et ingénieur du corps des Mines, Louis Armand fit l’essentiel de sa carrière dans le sec- teur des transports. Il fut notamment directeur général de la SNCF et président de l’Union internationale des chemins de fer.

7. Jean-Claude Trichet, « Jacques Rueff a inspiré le courant de modernisation de l’économie française », revuedesdeuxmondes.fr, 27 mai 2016.

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