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LE MÊME OU UN AUTRE : L’EXPRESSION DE L’IDENTITÉ ET DE LA DIFFÉRENCE EN DISCOURS

Pascal Amsili, Claire Beyssade

De Boeck Supérieur | « Travaux de linguistique »

2016/1 n° 72 | pages 11 à 28 ISSN 0082-6049

ISBN 9782807390836

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2016-1-page-11.htm --- Pour citer cet article :

--- Pascal Amsili, Claire Beyssade« Le même ou un autre : l’expression de l’identité et de la différence en discours », Travaux de linguistique 2016/1 (n° 72), p. 11-28.

DOI 10.3917/tl.072.0011

---

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LE MÊME OU UN AUTRE : L’EXPRESSION DE L’IDENTITÉ

ET DE LA DIFFÉRENCE EN DISCOURS

Pascal amsili* et Claire beyssade**

1. Introduction

On oppose souvent les indéfinis aux définis, en disant que les premiers sont associés à une condition de nouveauté1 – et introduisent un nouveau référent de discours – alors que les seconds sont associés à une condition de familiarité – et ont donc des emplois soit présuppositionnels, soit ana- phoriques (Heim, 1982). D’où le contraste entre [1a], où i = j, et [1b], où on interprétera préférentiellement les deux indéfinis comme distincts (i ≠ j) :

[1] a. (Un homme)i est entré, tenant un jeune garçon par la main.

(L’homme)j fumait.

b. (Un homme)i est entré, tenant un jeune garçon par la main. (Un homme)j fumait.

Les indéfinis sont utilisés soit en première mention pour introduire un nouveau référent de discours, comme dans [2a], soit dans un contexte où

on a déjà introduit un référent de discours (le plus souvent via un GN). La condition de nouveauté s’applique trivialement quand les deux entités sont de types distincts parce que les nom-têtes des deux GN sont différents [2b].

Quand les nom-têtes sont les mêmes, comme dans [1b], on s’attend aussi à

ce que la condition de nouveauté s’applique, mais nous voulons justement étudier ces cas dans cet article.

* Laboratoire de Linguistique Formelle, Université Paris Diderot & CNRS.

Adresse : Université Paris Diderot, UFR de Linguistique, 8, place Paul Ricoeur, 75013 Paris. Courriel : amsili@linguist.univ-paris-diderot.fr.

** Université Paris 8 – UMR 7023 “Structures Formelles du Langage”. Adresse : bureau D 324, 2 rue de la Liberté, 93200 Saint-Denis, France. Courriel : claire.beyssade@

gmail.com.

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[2] a. (Un homme)i est entré.

b. (Un homme)i est entré. (Une femme)j le suivait.

Quant aux définis, ils peuvent être utilisés en première mention et sont alors présuppositionnels, comme en [3a], qui n’est interprétable que si le locuteur et l’interlocuteur acceptent de partager la connaissance que Jean a une femme. Les GN définis peuvent aussi être utilisés de façon anaphorique et dans ce cas ils renvoient à un référent de discours déjà introduit dans le contexte par un autre groupe nominal. L’anaphore peut être directe, quand les deux GN partagent le même nom-tête comme en [3b], ou quand le nom- tête du premier GN est un hyponyme du nom-tête du second GN, comme en [3c]. Elle peut être associative, comme en [3d] : la description définie introduit un nouveau référent de discours, qui est toutefois lié au référent introduit par l’antécédent. Enfin, il y a des cas où dans le contexte aucun GN ne peut servir de base à une anaphore associative, mais où c’est un autre type d’expression qui génère une inférence permettant d’ancrer une telle anaphore. En [3e], on lie la description définie la lettre avec l’objet, resté implicite, du verbe écrire.

[3] a. (La fille de Jean)i est venue me voir.

b. Il reste un homme et (une femme)i dans la salle d’attente. (La femme)i a l’air de beaucoup souffrir.

c. Jean s’est fait renverser par (une Mercedes)i. (La voiture)i n’allait pas vite heureusement, l’accident est bénin.

d. Jean est allé (au concert)i hier soir et après le spectacle, il est allé

boire une bière avec (le pianiste)j. (= le pianiste du concert)

e. Jean a écrit à sa mère. La lettre était courte mais sans ambiguïté.

(= la lettre écrite par Jean)

Il est communément admis que la contribution sémantique des définis et des indéfinis se distingue entre autres choses par la nature des contenus véhiculés, qui peuvent relever du posé (appelé aussi contenu asserté ou at-issue meaning), du présupposé, voire des implicatures (Hawkins, 1991).

On va s’attacher dans ce travail à préciser scrupuleusement la contribution sémantique des deux déterminants un et le, pour pouvoir ensuite étudier leur interaction avec les adjectifs autre et même.

On utilisera les notations introduites par Sauerland (2008 : 581) qui permettent de distinguer les contenus présupposés (au-dessus de la barre) des contenus assertés (en dessous). La notation s’inscrit par ailleurs dans la tradition de la DRT (Kamp et Reyle, 1993) en séparant un univers de dis- cours contenant les référents de discours et une liste de conditions portant sur ces référents.

Dans ce formalisme, le déterminant indéfini un, qui n’est pas porteur de présupposition, est représenté comme suit : P sera remplacé par le N’

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qui se combine avec le déterminant (« restriction »), Q correspondant au reste de la phrase (« portée »).

[4]

Pour le déterminant défini le, les options sont plus nombreuses.

Minimalement, on s’accorde sur le fait que le porte une présupposition d’existence, ce qui pourrait se traduire ainsi :

[5]

Pour des raisons qui viennent aussi de la tradition DRT, on peut préférer rendre explicite le fait que l’article le manipule deux référents de discours : l’un, z, qui est présupposé et qui a la propriété P ; l’autre, x, asserté, qui lui est identifié (et qui a les propriétés P et Q). Cela donne la représentation [6], qui a été proposée par Grønn et Sæbø (2012). Si on considère, ce qui est courant depuis Frege et Strawson, que le défini présuppose non seulement l’existence de son référent, mais aussi son unicité, alors la représentation appropriée sera celle donnée en [7].

[6]

[7]

Reprenons les exemples [3] pour détailler leur traitement compositionnel.

Dans le premier cas, on dira, en reprenant les termes de van der Sandt (1992), que la présupposition de la description définie est accommodée, c’est- à-dire que son contenu est ajouté aux connaissances partagées (common ground). Dans les cas [3b] et [3c], la présupposition est liée. Un référent de discours x a été introduit par le GN indéfini de la première phrase ; le défini introduit au niveau des présuppositions un référent de discours y et une condition de liage y = ?, condition qui se résout en identifiant y avec le référent de discours x déjà présent dans le contexte. On a donc le liage x = y. La même chose se produit en [3c], même si le nom-tête n’est pas le même. Une Mercedes, c’est une voiture, donc le liage est possible. En [3d], la situation est légèrement différente puisqu’on aura deux référents de discours bien distincts, l’un pour le concert x, l’autre pour le pianiste y.

Mais le défini conduit à introduire une condition qui associe le pianiste au concert (concert(x) ∧ pianiste(y) ∧ R(x, y)). On a accommodé le contenu R(x, y) qui correspond à la relation entre un concert et son exécutant. Enfin en [3e], on peut considérer qu’il y a un liage indirect entre la lettre et ce que Jean a écrit. On aura la condition ((ecrit (j, sa_mere, x) ∧ lettre (x)).

un →λ P λ Q

x/P(x), Q(x) /

le →λ P λ Q

/Q(z) z/P(z)

le →λ P λ Q

x/P(x), Q(x), x = z z/P(z)

le →λ P λ Q

x/P(x), Q(x), x = z z/P(z), card(P) = 1

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On voit apparaître dans les représentations du défini [6] et [7] une équation analogue aux équations anaphoriques de la DRT, comme si le défini pouvait être vu comme un marqueur d’identité : l’individu dénoté

par une description définie est identique à un individu déjà présent dans le contexte. Or l’adjectif même semble chargé en français d’exprimer précisément ce contenu.

Quant à l’indéfini, on a vu qu’il est chargé d’introduire un référent nouveau, donc présenté comme distinct des référents déjà présents dans le discours. On peut donc le rapprocher de l’adjectif autre, qui semble jouer un rôle analogue.

Ce constat nous conduit, et c’est l’objet principal du présent article, à étudier la relation entre ces deux façons d’exprimer l’identité (le N ou le même N) et la différence (un N ou un autre N).

2. Marquage de l’identité

2.1. Lectures interne, comparative et externe

Dans la mesure où on s’intéresse aux processus discursifs et à la différence entre l’introduction de nouveaux référents de discours et la reprise de référents de discours déjà présents dans le contexte, on exclura les exemples dans lesquels même reçoit une lecture interne comme en [8] (cf. Carlson (1987) pour l’anglais et Van Peteghem (1997) ou Charnavel (2015) pour le français), ou une lecture comparative comme en [9], pour ne conserver que les exemples de même anaphorique, dont l’antécédent est à chercher dans le contexte précédent, comme en [10] (lecture externe).

[8] Lecture interne

a. Max et Léa habitent dans la même rue.

b. Chaque élève aura le droit au même temps.

La lecture dite interne (à la phrase) a été très largement étudiée car les condi- tions de légitimation de l’adjectif sont délicates à formuler2 de même que l’analyse compositionnelle dans le cas général. L’analyse de Carlson (1987) qui fait autorité pose que ces lectures internes nécessitent la disponibilité

d’une pluralité d’évènements (ou d’éventualités) reconstructibles dans la phrase, qui fournissent les éléments d’interprétation de l’identité.

[9] Lecture comparative

a. Max a trouvé en solde le même costume que celui que j’ai eu à

Noël.

b. Jean a consulté le même docteur que moi.

Dans les constructions comparatives, l’élément avec lequel établir l’identité

est donné (directement ou indirectement) par la clause comparative. Il n’y

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a donc pas de mécanisme anaphorique au sens strict, contrairement à ce qui se produit pour les lectures externes où même apparaît dans la seconde phrase et prend son antécédent dans la première.

[10] Lecture externe

a. On m’a conseillé un docteur que j’ai consulté une première fois.

Je suis retourné voir le même docteur deux mois après et il a fait un tout autre diagnostic.

b. Jean s’est acheté un nouveau téléphone. Je rêve d’avoir le même.

2.2. Données

Pour préciser ce qui rapproche et ce qui différencie le de le même, commençons par regarder si ces deux expressions peuvent se substituer l’une à l’autre. Si l’on reprend les exemples [3], on voit que l’insertion de même n’y est jamais possible [11]. En revanche, dans les exemples [12], le et le même commutent aisément. On trouve aussi des cas, comme [13], où

le est inapproprié alors que le même rend l’exemple acceptable.

[11] a. #La même fille de Jean est venue me voir.

b. #Il reste un homme et une femme dans la salle d’attente. La même femme a l’air de beaucoup souffrir.

c. #Jean s’est fait renverser par une Mercedes. La même voiture n’allait pas vite heureusement, l’accident est bénin.

d. #Jean est allé au concert hier soir. Après le spectacle, il est allé

boire une bière avec le même pianiste.

e. #Jean a écrit à sa mère. La même lettre était courte mais sans ambiguïté.

Il n’est pas surprenant que même ne soit pas possible dans [11a], car l’absence de contexte empêche son fonctionnement anaphorique. En effet, même si l’on se place dans une perspective où les présuppositions et les anaphores partagent beaucoup de mécanismes (van der Sandt, 1992 ; Kamp, 2001), il reste une différence fondamentale entre présupposition et anaphore : la présupposition peut donner lieu à une accommodation alors que l’anaphore exige un antécédent linguistique qui ne peut pas être accommodé.

Cette explication ne vaut pas pour les exemples [11b-e]. La présence d’un antécédent potentiel est une condition nécessaire, mais ce n’est pas une condition suffisante. On peut s’inspirer des nombreux travaux qui portent sur la lecture interne de même et soutenir que si les exemples [11b-e] sont mauvais, c’est parce que même exige qu’il soit fait référence à une pluralité

d’évènements distincts mais comparables, comme le dit Carlson (1987).

À la différence de [11c], [12b] présente deux événements distincts, et en [12c] il est fait référence à deux événements comparables, deux concerts, réalisés à des moments différents, hier soir et auparavant.

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[12] a. Il reste un homme et une femme dans la salle d’attente. Lui, je le reconnais, il est venu avec (? la / la même) femme la semaine dernière.

b. Jean s’est fait renverser par une Mercedes. (La / La même) voi- ture a ensuite brûlé un feu 200 mètres plus loin.

c. Jean est allé au concert hier soir. Il avait déjà entendu (le / le même) pianiste auparavant.

d. A. Est-ce que tu connais le chemin ?

B. J’allais justement te poser (la / la même) question.

Les exemples précédents ont donc en commun la présence de plusieurs événements comparables mentionnés dans le contexte, et la lecture de même se rapproche alors de la lecture interne. Du point de vue de l’anaphore, aucune contrainte spécifique ne semble porter sur l’adjectif, puisqu’on retrouve des cas d’identité du nom-tête, de relation hypo-hyperonymique, d’anaphore associative. On peut aussi trouver des cas comme [12d], où il existe une relation anaphorique entre le nom question et la question posée par A. Il ne s’agit pas ici d’une anaphore associative, mais de ce qu’on pourrait appeler une anaphore « mentionnelle ». Le nom question reprend le contenu de la question posée par A. L’anaphore indique l’identité de contenu, mais pas l’identité des référents abstraits : la question posée par A et la question posée par B sont deux entités différentes.

[13] a. Paul a eu du mal à s’adapter en arrivant ici. Léa a eu la (#Ø / même) difficulté.

b. Jean a commandé un risotto aux câpres. Ca me faisait envie, mais je n’ai pas voulu choisir le (#Ø / même) plat. J’ai essayé les pâtes aux cèpes.

En [13], l’emploi de même est obligatoire et permet de passer d’une interprétation du nom comme dénotant des tokens à une interprétation en termes de types. En [13b], il est fait référence non pas au risotto de Jean, mais au type de plat commandé par Jean. L’emploi du défini seul dans ce type d’exemple ne permet pas cette montée de token à type, il ne sert que pour une anaphore directe, ou pour une anaphore associative. Comme on a deux commandes distinctes, la commande de Jean et ma commande à moi, le défini seul est inapproprié.

2.3. Analyse sémantique

Quel est donc le contenu sémantique associé à même ? Tout d’abord, on soulignera que même n’est pas un adjectif intersectif. Il n’apparaît jamais en position d’attribut (*la voiture est même). Il se comporte plutôt comme un prédicat de second ordre, qui se combine avec un prédicat nominal

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(p.ex. homme) pour former un nouveau prédicat (même homme) qui a une dimension anaphorique comme illustré en [14] :

[14] même homme

λ x

/H(x), x = z z/H(z)

λ P λ x

/P(x), x = z z/P(z)

même homme

λ y /H(y)

/

Même présuppose l’existence dans le contexte d’un référent qui a la propriété décrite par le nom avec lequel il se combine, et asserte que le référent dénoté par le GN et le référent présupposé sont identiques. Mais il y a différents types d’identité (cf. Geach, 1962 ; Moltmann, 2013).

On distingue l’identité référentielle, dite aussi absolue, de l’identité

relative, qui correspond au partage par deux entités différentes d’une même propriété. On peut utiliser l’expression le même N aussi bien pour exprimer l’identité absolue [12b], [12c], que pour exprimer l’identité

relative, comme dans C’est le même livre, mais pas le même exemplaire.

Référence est faite au même livre-type, mais pas au même livre-token, d’où l’expression d’identité relative au type (sortal-relative identity). Le GN le même N est intrinsèquement ambigu : il peut indiquer soit l’identité

absolue soit l’identité relative au type. Selon nous cette ambiguïté ne vient pas d’une ambiguïté de l’adjectif même, mais d’une ambiguïté du nom, qui réfère soit à un ensemble d’individus, soit à un ensemble de types. La thèse d’une ambiguïté du nom a été proposée, entre autres, pour rendre compte des lectures génériques (cf. Kleiber et Lazzaro, 1987). McNally et Boleda Torrent (2004) l’ont formalisée en distinguant deux types d’entités, les individus notés ei et les types ou espèces notés ek, et en utilisant la relation de réalisation R(ei,ek) pour indiquer qu’une entité individuelle est une instance d’une espèce. L’ambiguïté du nom est illustrée en [15] et le passage des tokens au type est représenté en [16].

[15] a. La baleine est en voie de disparition.

b. Malgré tous nos efforts, la baleine a fini par mourir hier.

[16] Soit N un nom commun, ∃xk∃yi (N(xk)∧N(yi)∧R(yi,xk))

La formalisation proposée en [14] pour même laisse ouverte la possibilité

de le combiner à la fois avec un défini et avec un indéfini, ce qui est effectivement possible, comme le montre l’exemple [17].

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[17] J’ai eu un haut-le-cœur en découvrant « la culture est l’inversion de la vie » badigeonné. Comment peut-on trouver à redire contre des livres ? J’ai éprouvé un même choc en voyant Philippe lire Asphyxiante culture, le pamphlet du peintre Dubuffet, quelques mois plus tôt. (Frantext, Arnaud C., Qu’as-tu fait de tes frères, 2010, p. 96)

Nous reviendrons au § 4 sur les prédictions que la formalisation [14] permet de faire sur les conditions d’emplois des formes définies et indéfinies. Mais auparavant, examinons les contraintes qui pèsent sur l’emploi de autre, qui indique la différence et se présente comme la contrepartie négative de même.

3. Marquage de la différence

3.1. Les différentes lectures de autre

Pour les mêmes raisons que précédemment, nous laissons de côté les emplois comparatifs de autre, où la clause en que fournit l’élément avec lequel faire la comparaison, soit directement [19a], soit indirectement [19b] (la clause en que étant vue comme elliptique)3. On ignorera aussi les emplois illustrés en [20] où autre n’est suivi d’aucun nom et prend une valeur humaine indéfinie. Enfin, seront écartés les exemples du type un(e) N... un(e) autre (N), où la construction elle-même indique l’antécédent de l’adjectif autre, et pour lesquels on peut parler d’emploi interne [21].

[19] a. Brignolles ne s’arrêta qu’à Menton. Il avait voulu certainement y arriver par un autre train que le train de Paris (...) (Frantext, Leroux G, Le parfum de la dame en noir, 1908, p. 67)

b. Paul a visité la Chine à un autre moment que toi.

[20] Il se tut un instant avant d’ajouter, mais avec une moue d’admira- tion : – Sûr que Butillon, c’était pas un dégonflé ! – D’ailleurs, dit un autre, leur foutre son fourniment à travers la gueule, c’était bien son expression. (Frantext, Clavel B, Celui qui voulait voir la mer, 1963, p. 100)

[21] a. ... d’un trou à un autre trou...

b. ... une couche après une autre Ø...

Les emplois qui nous intéressent sont les emplois externes ou anaphoriques, où l’adjectif autre est employé avec un nom-tête et où il est en relation anaphorique avec un antécédent situé dans un autre domaine syntaxique.

Cet antécédent est soit un groupe nominal, indéfini [22a], ou défini [22b], partageant le même nom-tête, soit un groupe nominal avec un hyponyme [22c], soit enfin une portion de texte plus large, lorsque le nom-tête est lui- même un nom abstrait [22d].

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[22] a. Il avait déjà un crayon à la main, et il prit machinalement un autre crayon en partant.

b. Le couteau se cassa sur une côte, alors Mehdi s’empara d’un autre couteau et frappa encore. (Frantext, Brière-Blanchet C., Voyage au bout de la révolution : de Pékin à Sochaux, 2009, p. 210)

c. La gêne subsistait, elle tendait à disparaître ; un autre sentiment naquit, la douceur (...) (Frantext, Sartre J.-P., Merleau-Ponty – Portrait, 1961, p. 1115)

d. Si nous étions au Kriegspiel, déclarai-je à Eisenhower, je pour- rais vous donner raison. Mais je suis tenu de considérer l’affaire sous un autre angle. (Frantext, de Gaulle C., Mémoires de guerre, 1959, p. 147)

3.2. Données

Quand on compare les conditions d’emploi de un et de un autre, on observe d’abord que l’emploi de autre n’est possible que si le contexte fournit un antécédent. Dans le cas contraire, on obtient des énoncés mal formés, comme le montrent les exemples [23], construits à partir de [2] en y insérant autre :

[23] a. #Un autre homme est entré.

b. #Un homme est entré. Une autre femme le suivait.

Si l’on considère maintenant les contextes fournissant un antécédent à autre, c’est-à-dire fournissant un référent vérifiant la propriété N, on s’attend à ce qu’il mette le locuteur face à une alternative : exprimer la différence avec un autre, ou exprimer la nouveauté avec un. Examinons les différents cas de figure en distinguant la nature du lien entre l’expression anaphorique un autre N et son antécédent.

Quand le référent est introduit par un hyponyme [24], par un groupe nominal avec le même nom-tête mais plus spécifique comme dans [25] (un homme de 55 ans/un homme, exemple adapté de Grønn et Sæbø, 2012), ou de façon implicite comme dans [26], les deux formes un et un autre alternent librement.

[24] Un garçon est entré. Un (Ø / autre) enfant le suivait.

[25] Un homme de 55 ans, habitant au Mans, a reconnu être coupable d’un viol qui avait conduit à tort il y a plus de quinze ans un (Ø / autre) homme en prison.

[26] Jean a d’abord écrit à sa sœur. Puis il a rédigé une (Ø / autre) lettre pour ses parents.

Si l’antécédent est introduit par un hyperonyme, la cooccurrence d’un hyponyme de N avec autre génère l’inférence que le N est en fait un N’ : en [27], l’enfant qui est entré est un garçon.

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[27] Un enfant est entré. Un autre garçon le suivait.

C’est le mécanisme de résolution anaphorique induit par la présence de autre qui force à faire cette inférence, qui n’est pas produite si l’indéfini est employé seul.

La situation est différente si l’antécédent est introduit par une ana- phore associative. Considérons les discours suivants, adaptés d’exemples cités par Heim (1991) puis par Grønn et Sæbø (2012) :

[28] Jean a écouté un trio de jazz hier soir.

a. Plus tard il est allé boire une bière avec un pianiste.

b. Plus tard il est allé boire une bière avec le pianiste.

Dans [28a], l’indéfini est préférentiellement interprété comme introduisant un référent nouveau, donc différent du pianiste du trio, et cet effet peut être attribué à la compétition entre un et le. Le défini permet par anaphore associative de faire référence au pianiste du trio [28b]. En [28a], on a un cas typique d’antiprésupposition (Percus, 2006) : puisque l’emploi du défini serait possible, le choix de l’indéfini conduit à l’inférence (pragmatique) que la présupposition liée au défini n’est pas satisfaite. Dans un tel contexte, malgré la disponibilité d’un antécédent potentiel (par anaphore associative), l’utilisation de autre produit un effet d’étrangeté [29] et donne une version dégradée par rapport à la version avec l’indéfini seul [28a] :

[29] # Jean a écouté un trio de jazz hier soir. Plus tard il est allé boire une bière avec un autre pianiste.

Terminons ce tableau des données avec le cas le plus fréquent: celui où

l’antécédent est introduit par un groupe nominal de même nom-tête. Si un exemple comme [30a] est acceptable, il est cependant peu probable en discours. Ippolito (2004) va même jusqu’à dire que l’emploi de autre est, dans ce type de contexte, obligatoire.

[30] a. ? Un homme a pris un café. Puis un homme a payé l’addition.

b. Un homme a pris un café. Puis un autre homme a payé l’addition.

(Ippolito, 2004)

[30a] devrait être correct si la condition de nouveauté s’appliquait dans ce cas et, par implicature, un homme devrait être capable de référer à un homme différent de celui de la première phrase. Mais ce n’est pas le cas.

En revanche [30b] qui véhicule le même contenu d’information est bien meilleure. C’est que l’expression de la différence est réalisée non pas par implicature, mais par assertion. Nous reviendrons au § 4 sur ces situations où la forme un autre est nettement préférée à la forme un.

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3.3. Analyse sémantique

Le déterminant indéfini en lui-même n’indique donc pas la différence, il déclenche seulement une implicature de différence. Un autre N signifie un N différent d’un N déjà identifiable. Le GN un autre N ne peut donc s’interpréter que dans un contexte où un premier référent ayant la propriété

N est déjà saillant. Un autre N n’introduit pas les deux référents distingués l’un de l’autre, mais compare le référent qu’il introduit (notons le x) à un référent (notons le z) dont l’existence est un préalable à l’interprétation. Un autre N n’asserte donc pas seulement l’existence d’un référent de discours ayant la propriété N, il présuppose4 aussi l’existence d’un premier référent qui sert de point de comparaison. D’où la représentation [32] pour un autre N, qui présuppose l’existence d’un z qui a la propriété N, et asserte que x existe, que x a la propriété N et que x est différent de z. Si on distingue la contribution de chacun des mots un et autre, cela conduit à la représentation [33] pour autre. C’est l’indéfini un en tant que tel qui introduit l’existence de x. On verra au § 4 quand et pourquoi autre N se combine avec un article défini.

[32]

[33]

4. Prédictions

4.1. Quand un autre s’oppose à l’indéfini seul

Nous avons vu plus haut qu’il y a des configurations où les formes le et un semblent également disponibles, et où un prend, par implicature, le sens de un autre. Mais il y a aussi des cas où un est exclu, et où le locuteur doit choisir entre le (s’il veut exprimer l’identité) et un autre (s’il veut exprimer la différence) :

[34] Alors Mehdi bondit sur elle avec un couteau. Les coups se succédèrent très vite et Dora, renversée sur le dos, hurlait. Le couteau se cassa sur une côte, alors Mehdi s’empara d’un (*Ø / autre) couteau et frappa encore. (Cf. [22b])

[35] [Après avoir déjà commandé un café au même garçon]

Je voudrais (*le / *un / un autre) café.

[36] Ce matin, la boutique est restée vide jusqu’à 9h, quand un client est entré. Je suis allé au dépôt pour passer un coup de fil, et quand je suis revenu. . .

un autre N →λ Q

x/N(x), z ≠ x, Q(x) z/N(z)

autre →λ P λ x

/P(x), z ≠ x z/P(z)

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a. . . . un autre client était en train de sortir.

b. . . . le client était en train de sortir.

c. ? . . . un client était en train de sortir. (Eckardt et Fränkel, 2012) Ce dernier exemple est pris par Eckardt et Fränkel (2012) comme illustration d’un principe général de « gestion du discours » (discourse management) selon lequel il serait obligatoire, pour qu’un discours soit bien formé, de manifester clairement non seulement le fait que l’on reparle d’individus (ou d’événements) déjà mentionnés – marquage d’identité – mais aussi le fait qu’on parle d’individus nouveaux – marquage de la différence.

Ce caractère obligatoire de autre serait, selon ces auteurs, à mettre sur le même plan que les présuppositions obligatoires introduites par Amsili et Beyssade (2010).

Mais, comme le notent Grønn et Sæbø (2012), et comme nous l’avons montré plus haut, autre n’est pas systématiquement obligatoire : il faut d’abord que le contexte rende saillant un référent vérifiant la propriété N – condition nécessaire pour utiliser autre – et ensuite que le contexte laisse ouvertes les deux possibilités : que le référent soit nouveau ou qu’il soit identifié à un référent déjà donné. C’est ce qui explique, selon Grønn et Sæbø (2012), l’exemple [25] repris ci-dessous, où autre est possible sans être obligatoire.

[25] Un homme de 55 ans, habitant au Mans, a reconnu être coupable d’un viol qui avait conduit à tort il y a plus de quinze ans un (Ø / autre) homme en prison.

Ce que les auteurs cités n’expliquent pas, à notre avis, c’est pourquoi l’indéfini, qui peut exprimer la nouveauté, n’est pas toujours suffisant pour marquer la différence [34], [35]. Or nous avons vu que si un et un autre expriment la différence, un le fait par le biais d’une implicature alors que un autre le fait par le biais d’une assertion. C’est dans cette différence de statut informationnel que réside, selon nous, l’explication du phénomène : l’obligation pour le locuteur de marquer la différence (et l’identité), mise en avant par Eckardt et Fränkel (2012), implique que ce marquage soit pleinement assumé par le locuteur, et pas simplement à la charge de l’allocutaire comme c’est le cas en général pour les implicatures. Il n’est donc pas possible de compter sur la condition de nouveauté associée à

l’indéfini, qui ne véhicule la différence que via une implicature.

Par ailleurs, il y a une autre raison qui explique que la compétition ne se fasse pas entre un et le mais entre un autre et le. Selon Amsili et Beyssade (2012), l’obligation qui pèse sur les locuteurs lorsqu’ils produisent un discours n’est pas simplement de maximiser la présupposition (thèse défendue par Heim (1991) et par plusieurs continuateurs dont Singh (2011)), mais plus généralement de maximiser la cohérence discursive, et

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même plus spécifiquement la cohésion discursive. Or les deux expressions en compétition un autre et le sont toutes les deux anaphoriques : le l’est intrinsèquement, un autre l’est puisque l’adjectif autre est anaphorique.

Il s’ensuit que ces deux expressions, qui introduisent de la cohésion, sont préférables à l’indéfini seul un qui n’en introduit pas.

4.2. Le sens de l’autre

Autre N peut se combiner avec toutes sortes de déterminants, ce qui n’est pas le cas de même.

[37] a. Jean a interrogé (un, quelques, plusieurs, beaucoup d’, la plupart des, l’, les) autre(s) étudiant(s).

b. Jean a interrogé (#un, #quelques, #plusieurs, #beaucoup de, #la plupart des, le, les) même(s) étudiant(s).

Quand autre N se combine avec le défini singulier, on peut déduire que dans le contexte il y a exactement deux référents saillants qui ont la propriété N.

C’est ce que notre analyse prédit. En effet, autre présuppose l’existence dans le contexte d’un référent saillant ayant la propriété N. A cela s’ajoute la présupposition d’unicité associée au défini singulier dans l’autre N qui permet d’inférer qu’il n’y a, dans le contexte, qu’un seul autre N. Donc cela conduit à conclure qu’il y a exactement deux N : le N présupposé par autre et un et un seul autre. Cette contrainte sur l’emploi de l’autre N per- met de comprendre les contrastes ci-dessous.

[38] a. Jean s’est cassé un bras. Heureusement, (#un / l’) autre n’a rien.

b. [Dans un contexte où il y a exactement deux magazines]

J’ai fini ce magazine. Est-ce que tu peux me passer (l’ / #un) autre journal ?

c. [Une pile de livres par terre. Jean et Pierre les rangent dans une bibliothèque. Il n’en reste plus qu’un. Jean demande à Pierre]

Est-ce que tu peux me passer (#l’autre / le dernier) livre ?

4.3. Quand l’indéfini se combine avec même

On a vu que l’indéfini est associé à une implicature de nouveauté et que l’adjectif même asserte l’identité. On pourrait donc penser que ces deux termes sont incompatibles, qu’il serait incohérent de dire simultanément d’un référent de discours qu’il est nouveau et identique à un autre référent. Pourtant tel n’est pas le cas. Une recherche sur Frantext a permis de vérifier que même peut se combiner avec l’indéfini singulier, même si cette combinaison est beaucoup moins productive que celle de même avec le défini.

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[39] Expression Nombre d’occurrences (le/la) même 28 042

(un/une) même 2 621

Notre analyse permet de prédire à la fois la compatibilité de un avec même, le sens que prennent ces GN et leur faible fréquence.

On a repéré deux types de contextes dans lesquels même se combine avec l’indéfini. Il y a d’une part des contextes de lecture interne, incluant très souvent des noms abstraits comme penchant, goût, mais pas unique- ment.

[40] a. Jean et Marie partagent un même penchant pour le vin.

b. Un même amour des voyages les réunissait.

c. Tous sous un même toit.

d. Il n’y avait pas une, mais manifestement trois pages d’un même document : trois photocopies mal imprimées d’une fiche de rensei- gnement... (Frantext, Férey C, Mapuche, 2012, p. 179)

Et d’autre part, il y a des cas, beaucoup plus rares, où même reçoit une lecture externe. Le nom y dénote toujours une propriété d’espèce et non une propriété d’individu : un même N signifie alors ‘un N du même type’

et pas ‘un individu N identique à un individu déjà mentionné’. Quand il se combine avec l’indéfini singulier, même sert donc à exprimer l’identité

relative, l’identité de type, jamais l’identité absolue, l’identité des tokens.

Un même choc signifie ‘un choc de même nature’, un même soin signifie

‘un soin comparable en qualité’. Mais il y a bien deux chocs distincts et deux soins distincts.

[41] a. J’ai eu un haut-le-cœur en découvrant « la culture est l’inversion de la vie » badigeonné. Comment peut-on trouver à redire contre des livres ? J’ai éprouvé un même choc en voyant Philippe lire Asphyxiante culture, le pamphlet du peintre Dubuffet, quelques mois plus tôt. (Frantext, Arnaud C, Qu’as-tu fait de tes frères, 2010, p. 96) = [17]

b. Notre usine n’est-elle pas réputée pour son pâté de pur porc en boites. Et deux de mes oncles ne sont-ils pas charcutiers à Paris ! Un même soin est apporté à la fabrication des andouilles qui seront fumées au cours de l’hiver. (Frantext, Jakez-Hélias P, Le cheval d’orgueil, 1975, p. 383)

Une entité individuelle (un token) ne peut pas être simultanément nouvelle et identique à une autre déjà mentionnée. On évite cette incohérence si on se rappelle que les noms sont ambigus et peuvent dénoter des types (donc des classes d’instances) plutôt que des instances (des tokens). En lecture externe, l’expression un même N force à interpréter N comme dénotant une

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propriété de type, l’adjectif même indique l’identité des types et l’indéfini un indique la nouveauté du token.

Enfin, on peut expliquer la moindre fréquence de l’indéfini avec même. Tout d’abord, quand un nom dénote une propriété d’individu, il ne se combine jamais avec un même. Dans ce cas, en vertu du principe de maximisation des présuppositions évoqué au § 4.1, le locuteur emploiera le défini et non l’indéfini. Donc, le GN un même N n’est produit que quand N peut s’interpréter comme une propriété de type. Or ce n’est pas toujours possible : certains prédicats bloquent l’interprétation de type et certains noms s’y prêtent moins que d’autres. Le nom chose par exemple se prête difficilement à une interprétation de type. On peut le vérifier sur l’exemple [42] : si on substitue au nom choc dans [41a] son hyperonyme chose, alors il faut remplacer l’indéfini par le défini.

[42] [...] J’ai éprouvé (*une / la même chose) en voyant Philippe lire Asphyxiante culture, le pamphlet du peintre Dubuffet, quelques mois plus tôt.

Par ailleurs, on peut toujours remplacer les occurrences de un même N en lecture externe par le même N. Ce changement d’article change légèrement le sens de la phrase car le GN indéfini un même N introduit une nouvelle instance du N-type, alors que le GN défini le même N identifie deux occur- rences de N-type, mais n’introduit pas de nouvelle instance du N-type. En [43] par exemple, construit à partir de [41b], le type de soin mentionné

dans la première partie du discours et le type de soin mentionné dans la seconde partie du discours sont identifiés. Les deux expressions, définie et indéfinie, décrivent donc bien la même réalité, mais sous des aspects différents.

[43] Notre usine n’est-elle pas réputée pour son pâté de pur porc en boites. Et deux de mes oncles ne sont-ils pas charcutiers à Paris ! Le même soin est apporté à la fabrication des andouilles qui seront fumées au cours de l’hiver.

Pour conclure, bien que l’identité et la différence soient des contraires, le GN un même N n’est pas contradictoire. N y dénote toujours une propriété

de type et l’indéfini peut y être remplacé par un défini, qui est alors un défini faible (Beyssade et Pires de Oliveira, 2014).

5. Conclusion

Nous nous sommes intéressés dans ce travail à la paire même/autre, et non à la paire même/différent souvent étudiée dans la littérature. En nous focalisant sur les emplois externes de ces adjectifs, et en étudiant leur

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combinaison avec les articles définis et indéfinis, nous avons proposé

une analyse de ces combinaisons qui spécifie le statut informationnel de chaque contribution. Ce travail nous a permis de proposer une explication à

la rareté relative de la combinaison un(e) + même, et d’expliquer pourquoi, bien que les expressions un N et un autre N puissent véhiculer le même contenu, elles ne le font pas au moyen des mêmes mécanismes sémantico- pragmatiques, ce qui explique qu’elles ne jouent pas le même rôle dans l’établissement de la cohésion discursive. Nous avons distingué deux cas : les contextes de première occurrence, dans lesquels le locuteur doit choisir entre l’emploi du défini et l’emploi de l’indéfini, et où un autre N est exclu ; les contextes de discours dans lesquels un référent ayant la propriété N a déjà été introduit et où le locuteur devra choisir entre l’emploi du défini, qui marque l’identité des référents et l’emploi de un autre N pour indiquer la différence. En conséquence, quand un locuteur utilise une première fois un GN indéfini puis le reprend tel quel dans la suite du discours, s’il ne marque ni l’identité, ni la différence, c’est soit parce qu’il n’est pas en mesure de le faire, soit parce qu’il ne juge pas pertinent de le faire.

L’exemple [44] illustre ce cas et la question souligne l’état d’ignorance du locuteur. L’indéfini n’asserte donc pas toujours la nouveauté du référent :

[44] Un homme est entré. Deux heures plus tard, un homme est sorti.

Etait-ce le même homme ou un autre homme ?

NOTES

1. « I call it the Novelty Condition : An indefinite NP must not have the same referential index as any NP to its left. In other words, an indefinite must always carry a “new” referential index, i.e., one that has not yet been used as the referen- tial index of any other NP earlier in the same text » (Heim, 1982 : 100).

2. En particulier, il ne suffit pas qu’il y ait un argument pluriel : (i) *La même personne a acheté des cadeaux.

3. Voir la discussion de van Peteghem (2000 : 135) sur les contraintes pesant sur les cas directs ou indirects.

4. Pour vérifier que autre déclenche bien une présupposition d’existence, on peut appliquer les tests classiques de la présupposition. De tous les énoncés regroupés sous (i), on infère bien (ii). Qui plus est, si autre ne présupposait pas l’existence de z mais l’assertait, alors on devrait prédire qu’un discours comme (iii) postule l’existence de trois étudiants, ce qui n’est clairement pas le cas.

(i) a. Jean a une autre proposition.

b. Est-ce que Jean a une autre proposition ? c. Jean n’a pas d’autres propositions.

d. Tout le monde sait que Jean a une autre proposition.

(ii) Il y a une proposition saillante dans le contexte.

(iii) Jean interroge un étudiant. Marie en interroge un autre.

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