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L a p r a t i q u e e n s e i g n a n t e : son sens et ses e n j e u x

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HATIER PÉDAGOGIE

L a p r a t i q u e e n s e i g n a n t e : son sens et ses e n j e u x

Préparation à l'« épreuve orale d'admission » du concours de professeur des écoles :

épreuve d'exposé et d'entretien

Préface de P h i l i p p e Meirieu

Bruno Barthelmé,

Maître de conférences de philosophie, IUF,,II de Lyon

Marc P r o u c h e t ,

Professeur d'école, maître-formateur, IUFi1¡ de Lyon

HATIER

(3)

0 RATIER, Paris, octobre 1997 - ISBN 2-218-72100-7

Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction même partielle, par tous procédés, en tous pays, faite sans autorisation préalable est illicite et exposerait le contre- venant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957, alinéas 2 et 3 de l'article 41.

Une représentation ou reproduction sans autorisation de l'éditeur ou du Centre Français d exploitation du droit de Copie (20, rue des Grands-Augustins 75006 Paris) constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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S o m m a i r e

Préface de Philippe Aleirieu 7

Présentation de l'ouvrage : son organisation 11 P a r t i e 1 : P h i l o s o p h i e d e l ' é d u c a t i o n 15

CHAPITRE 1 : L'ÉDUCATION 16

1. Faites votre diagnostic 16

2. Apports théoriques 18

- Éduquer, c'est instituer l'humanité dans l'homme 18 - Le paradigme de l'« enfant sauvage » 19

- Le pari de l'éducabilité 20

3. Débats et controverses 22

L'éducation : en rupture ou en continuité

avec la nature ? 22

4. À la rencontre des pratiques 30

5. S'exercer 35

6. Pour approfondir 37

CHAPITRE 2 : LE CITOYEN 38

1. Faites votre diagnostic 38

2. Apports théoriques 40

- Le « citoyen » est d'abord un concept

juridico-politique 40

- Du « citoyen » aux « citoyennetés » 42 - De 1'« éducation civique »

(Bernard Durand, Inspecteur de l'Éducation nationale

à Bellegarde (Ain) 44

3. Débats et controverses 51

- Les pratiques de citoyenneté permettent-elles

de former le citoyen ? 51

- L'enfant peut-il être considéré comme un citoyen ? ... 52 4. À la rencontre des pratiques ... 56

5. S'exercer 62

6. Pour approfondir ... 64

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CHAPITRE 3 : LA LAÏCITÉ 65

1. Faites votre diagnostic 65

2. Apports théoriques 67

- La laïcité en France

(Jacques Roussel, Professeur d'histoire à l'IUFM de Lyon) 68

- La laïcité scolaire à son origine 75

5. Débats et controverses 80

La laïcité en question 80

4. À la rencontre des pratiques 86

5. S'exercer 93

6. Pour approfondir 97

P a r t i e II : C o n n a i s s a n c e d e l'École 98 CHAPITRE 1 : QU'EST-CE QU'UNE ÉCOLE ? 99

1. Faites votre diagnostic 99

2. Apports théoriques 101

- L'École : une institution 101

- L'École : une création historique 102

- L'École : un système éducatif 102

3. Débats et controverses : L'École est-elle nécessaire ? 106

4. À la rencontre des pratiques 110

5. S'exercer 115

6. Pour approfondir 118

CHAPITRE 2 : LE PROBLÈME DES FINALITÉS DE L'ÉCOLE 119

1. Faites votre diagnostic 119

2. Apports théoriques 121

- L'« intégration » 122

- L'« insertion » 122

- La « gestion » 122

3. Débats et controverses : L'école doit-elle intégrer

culturellement ou insérer professionnellement ? ... 124

4. À la rencontre des pratiques 128

5. S'exercer 132

6. S'exercer 139

7. Pour approfondir ... 141

(6)

CHAPITRE 5 : LE FONCTIONNEMENT DE L'ÉCOLE 142

1. Faites votre diagnostic 142

2. Apports théoriques 144

- L'organisation de la scolarité en cycles 145

- Les compétences transversales 149

- Le projet 152

3. Débats et controverses : Pour la « clôture scolaire »

ou pour une école « ouverte » ? 155

4. À la rencontre des pratiques 160

5. S'exercer 165

6. Pour approfondir 172

P a r t i e III : C o n n a i s s a n c e d e l ' e n f a n t 173

CHAPITRE 1 : L'IDÉE D'ENFANCE 174

1. Faites votre diagnostic 174

2. Apports théoriques 176

- De l'enfant à l'idée d'enfance 176

- De la naissance d'un « sentiment de l'enfance » 178

- L'idée d'enfance dans notre société 179

3. Débats et controverses : L'enfant-artiste 180 (Isabelle Ardouin, Professeur agrégée d'arts plastiques

à /'IUFM de Lyon)

4. À la rencontre des pratiques 190

5. S'exercer 197

6. Pour approfondir 199

CHAPITRE 2 : L'ENFANT ET SON DÉVELOPPEMENT 200

1. Faites votre diagnostic 200

2. Apports théoriques 202

La théorie de Jean Piaget du développement de l'enfant

3. Débats et controverses : Piaget en question 218

4. À la rencontre des pratiques 235

5. S'exercer

6. Pour approfondir ...-."-" 248

(7)

Partie IV : Approches de l'apprentissage 249

CHAPITRE 1 : QU'EST-CE QU'APPRENDRE ? 250

1. Faites votre diagnostic 250

2. Apports théoriques 254

- Qu'est-ce qui distingue l'apprentissage scolaire

de toute autre forme d'apprentissage ? 254

- Quel rapport les élèves entretiennent-ils au savoir quand celui-ci est dispensé en situation

d'enseignement ? 256

- Comment nos élèves apprennent-ils ? 263

3. Débats et controverses : Transmettre le savoir ?

Construire ses savoirs ? 289

4. À la rencontre des pratiques 295

5. S'exercer 302

6. S'exercer 309

7. Pour approfondir 310

CHAPITRE 2 : L'APPRENTISSAGE SCOLAIRE FACE À SES

INTERROGATIONS 311

1. Faites votre diagnostic 311

2. Apports théoriques 314

- L'échec scolaire 314

- Différencier 323

3. Débats et controverses : Autorité du maître ?

Liberté de l'élève ? 333

4. À la rencontre des pratiques ... 345

5. S'exercer 352

6. Pour approfondir 354

Postface de Gérard Guillot 355

Annexe ... 358

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P r é f a c e

L 'épreuve d'exposé et d'entretien, comme l'ensemble du concours de professeur des écoles, revêt un caractère particulier ; elle est, pour ainsi dire, une « épreuve intermédiaire ». Ni examen acadé- mique vérifiant les connaissances du candidat en matière de philosophie ou d'histoire de l'éducation, ni épreuve professionnelle devant attester de la maîtrise des compétences nécessaires à l'exercice du métier d'ensei- gnant, elle se veut un moyen de savoir si l'étudiant a bien entendu les enjeux spécifiques de ce métier et s'il est prêt à engager une formation dont il perçoit le sens, comprend l'inscription historique, politique et sociale, mesure la portée, inscrit les questions techniques dans une perspective plus générale.

Cela n'aurait, en effet, aucun intérêt particulier que de faire subir au futur professeur des écoles un nouvel oral de baccalauréat ou de l'en- tendre réciter de manière livresque et dogmatique quelques résumés de cours sur Condorcet et Jules Ferry. Mais cela serait également absurde d'attendre de lui qu'à l'issue d'une première année de formation, et sans avoir engagé un travail systématique sur les pratiques, il soit en mesure de préparer une séquence de classe et d'expliquer par le menu comment il faut s'y prendre pour faire face à telle ou telle difficulté avec des élèves. C'est pourquoi, ce qui constitue l'axe essentiel de cette épreuve n'est ni dans la maîtrise exhaustive des théories de l'éducation et de l'ap- prentissage, ni dans la seule description de pratiques, mais bien dans la capacité à comprendre en quoi, pourquoi et comment les théories et les pratiques sont articulées en matière d'éducation. Ce que l'on demande au candidat c'est de montrer qu'il peut faire un aller-retour entre les unes et les autres : discerner de quelle théorie s'inspire telle ou telle pra- tique, à quelles représentations de l'École, de l'enfant, du savoir, de l'éducation elle renvoie... Et de comprendre que, réciproquement, il ne suffit pas d'annoncer des finalités générales et généreuses pour poser des actes susceptibles de les incarner. L'enjeu, au fond, est assez simple : il s'agit d'explorer avec un esprit le plus lucide et critique possible, les rap- ports qu'entretiennent en éducation « le dire » et « le faire ».

Car nous savons bien que toute activité éducative n est pas sponta- nément cohérente avec les projets qu'elle se donne. L écart entre les

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déclarations d'intention des « projets d'école ou d'établissement » et les pratiques au quotidien est parfois vertigineux... au point qu'un observa- teur mal intentionné pourrait se demander si certaines finalités ne seraient pas affirmées, non pour inspirer les pratiques, mais pour les camoufler. Le consensus inévitable sur quelques notions passe-partout (l'autonomie, le respect, la prise en compte des différences, l'épanouis- sement, la réussite de tous), cache souvent mal des actes qui, au quoti- dien, démentent ces belles finalités. Parfois, pour éviter le caractère trop voyant de la contradiction, on laisse entendre que les objectifs du projet d'école trouvent naturellement à se réaliser dans des pratiques plus ou moins extrascolaires, dans des sorties, des classes vertes, jaunes ou bleues, dans la préparation de la fête de l'école ou la participation à des opérations humanitaires. Cela permet de ne point toucher aux pratiques de classe, à la transmission même du savoir qui reste inchangée et reproduit les modèles les plus archaïques.

C'est que, quiconque connaît un peu le système éducatif sait que ce qui fait défaut, bien souvent, ce sont les interrogations les plus simples et les plus banales : « Pourquoi ne fait-on pas ce que l'on annonce ? Pourquoi ne dit-on pas ce que l'on fait ? ». Et quiconque a réfléchi sur ce déficit de cohérence a mesuré à quel point il renvoyait à un déficit de for- mation : celle-ci laisse trop souvent, en effet, l'étudiant avec un double bagage, théorique et inutilisable d'un côté, pratique et ininterrogeable de l'autre.

Or la leçon majeure des pédagogues, de Pestalozzi à Freinet, de Montessori à Korczak, c'est bien que tout éducateur doit être attentif au

« moindre geste », comme le disait Fernand Deligny : parce que le moindre geste est porteur d'intentions et que ce sont ces intentions-là qui font œuvre éducative, bien plus que nos propos toujours trop facile- ment généreux. Rien n'est neutre dans l'enseignement, ni la manière de faire une leçon, ni celle d'évaluer ou de traiter des problèmes de disci- pline, ni le choix des exemples, ni même la façon de s'adresser à cha- cun, de se déplacer dans la classe ou de collaborer avec les parents. Rien n'est neutre et il faut s'entraîner à débusquer les principes implicites de nos actions, les modèles politiques et sociaux qui les sous-tendent inévi- tablement, les conceptions de l'homme et du savoir dont ils sont por- teurs, les effets éducatifs qu'ils sont susceptibles de produire. À l'inverse, il n'est nullement possible de déduire mécaniquement, à partir des prin- cipes auxquels on dit adhérer, des propositions d'action, des dispositifs didactiques, des attitudes pédagogiques : affirmer que l'on est partisan

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de la laïcité, et pour autant que l'on soit au clair avec l'acception dans laquelle on entend ce terme, ne dit rien de la manière dont il faut réagir, dans l'instant, à l'égard de tel ou tel élève et de sa famille ; croire néces- saire de « mettre l'enfant au cœur du système éducatif » ne dicte pas la méthode pour apprendre à faire une division ou enseigner la biologie.

Entre les principes et les actes, il n'y a pas de continuité qui serait don- née ; il n'y a qu'une cohérence à construire et à sans cesse remettre en chantier.

C'est ainsi que l'on peut sommairement définir ce qui serait l'ob- jectif de l'épreuve d'entretien : savoir référer les actes aux principes qui les inspirent vraiment et, réciproquement, engager la réflexion sur les pratiques susceptibles d'incarner les finalités auxquelles on adhère.

« Voilà à quelle conception de l'École renvoie cette pratique de l'évalua- tion... Voilà quelles méthodes sont vraiment capables, dans le concret de la vie quotidienne, de former les élèves à l'autonomie, à telle ou telle forme d'autonomie, qui, elle-même, s'inscrit dans tel ou tel projet pour l'homme... Voilà quelle forme de rapports humains je privilégie à tra- vers les exercices que je mets en place... Voilà quelle conception de la mémoire et de la mémorisation est cohérente avec les représentations de l'intelligence et de l'apprentissage qui sont les miennes... ».

Interrogations ouvertes et sans cesse à reformuler dans une vraie dyna- mique personnelle. Interrogations qui témoignent tout à la fois d'une culture philosophique, historique et pédagogique, d'une lucidité à l'égard des pratiques, d'une volonté de ne pas s'en tenir aux clichés et d'une détermination à l'inventivité. Interrogations qui sont le gage d'une entrée bénéfique dans la deuxième année de formation, proprement professionnelle celle-là.

Le mérite du présent ouvrage est ainsi de former à cette attitude cri- tique et ouverte, arc-boutée sur une connaissance forte des probléma- tiques théoriques, particulièrement bien présentées et construites avec des chapitres toujours éclairants « à la rencontre des pratiques ». On ne peut que recommander au lecteur de faire systématiquement l'aller-retour entre les unes et les autres et de ne pas s'en tenir à une simple juxtaposition. Ainsi utilisé, comme un véritable outil de travail sur la cohérence pédagogique des théories et des pratiques, cet ouvrage est beaucoup plus qu'un manuel pour préparer un concours, c est un véritable outil de formation dont il convient de féliciter et remercier les auteurs.

Qu'on me permette pourtant, en conclusion, d'oser une recom- mandation supplémentaire au lecteur. Un danger nous menace, en

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effet : que la multiplication des manuels et des ouvrages de synthèse détourne les étudiants et les praticiens de la lecture de véritables

« livres ». Or on ne saurait trop le rappeler : la préparation à un métier comme l'enseignement ne peut s'effectuer avec la simple consultation d'ouvrages de synthèse, aussi bien faits soient-ils.

Elle requiert, au contraire, une fréquentation de « livres d'auteurs » avec lesquels on entretient une véritable interlocution. La lecture d'un ouvrage qui développe de manière suivie et détaillée le point de vue d'un auteur, reste à cet égard un exercice intellectuel irremplaçable ; il permet de se frotter à une pensée, de s'exercer à en comprendre la démarche, à entrer dans sa logique pour en percevoir les enjeux, les présupposés, les conséquences. À cet égard, aucun manuel ne saurait dispenser de la fréquentation des philosophes et des pédagogues à tra- vers des œuvres complètes. Rien ne remplace l'effort d'une intelligence qui se coltine avec un texte long et se forme en cherchant à en com- prendre la richesse, à en repérer les points forts et à en discuter les élé- ments plus fragiles... C'est pourquoi il faut lire des ouvrages complets comme y invite le présent manuel. On ne saurait réussir vraiment l'épreuve d'entretien, on ne saurait enseigner sans avoir rencontré des livres et cheminé avec eux ; on ne saurait faire œuvre d'éducation sans, simultanément, faire sa propre éducation par la lecture rigoureuse des textes originaux. C'est un des mérites de cet ouvrage que d'y inviter.

Philippe Meirieu, Professeur à l'université Lumière-Lyon 2.

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P r é s e n t a t i o n d e l ' o u v r a g e :

s o n o r g a n i s a t i o n

L « épreuve orale d'admission », comme toutes celles du concours de recrutement de professeur des écoles, est régie par des textes officiels émanant du ministère de l'Éducation nationale. On ne saurait trop inciter les candidats à prendre connaissance de ces textes au carac- tère prescriptif. À cet effet, on consultera en annexe (en fin d'ouvrage) l'arrêté du 18 octobre 1991 fixant les modalités du concours de recrute- ment de professeur des écoles, de même que son nouveau commen- taire fait dans la note de service n° 94-271 du 16 novembre 1994 en remplacement de celle n° 92-069 du 27 janvier 1992.

L'arrêté du 18 octobre 1991 précise que l'« épreuve orale d'admis- sion » doit permettre au candidat « de démontrer son aptitude à articu- ler ses connaissances, sa réflexion et son expérience dans le domaine de l'éducation : philosophie de l'éducation, développement physiologique et psychologique des enfants et des adolescents, approche psycholo- gique et sociologique des processus d'apprentissage et de la vie à l'éco- le et dans la société ». Sans décliner là, à proprement parler, un programme, les modalités officielles de l'épreuve indiquent avec préci- sion dans quels domaines le candidat devra orienter sa préparation : celui-ci est invité à la faire porter sur les notions fondamentales que sont l'« éducation », « l'École », « l'enfant » et « les apprentissages ».

C'est pourquoi nous proposons une organisation de l'ouvrage en quatre parties :

I. PHILOSOPHIE DE L'ÉDUCATION II. CONNAISSANCE DE L'ÉCOLE III. CONNAISSANCE DE L'ENFANT IV. APPROCHES DE L'APPRENTISSAGE

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Cette organisation n'est pas simplement conjecturale. Le métier d'enseignant ne peut prendre le sens d'une pratique raisonnée et réflé- chie qu'au carrefour d'une interrogation sur :

- les principes et les finalités de l'éducation ;

- l'institution qui a charge de l'organiser et de la dispenser ; - le sujet qui doit être éduqué ;

- l'acte même d'apprendre rendant possible son éducation.

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PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE

O r g a n i s a t i o n d ' u n c h a p i t r e

L 'économie d'un chapitre s'inscrit dans la progression suivante de préparation à l'« épreuve orale d'admission » :

1. Faire son diagnostic

Nous conseillons aux candidats de commencer par faire le point sur leurs représentations de la notion abordée à l'intérieur de chaque cha- pitre. Il n'est en effet pas inutile de considérer « ce qu'on pense de », de prendre en compte les pensées immédiates et les lieux communs, car c'est de leur interpellation et de leur mise à l'épreuve qu'une démarche de réflexion pourra être engagée. C'est pourquoi, dans cet ouvrage, nous avons fait le choix de commencer chaque étude d'une notion-clé par l'énoncé de quelques questions suivi de la prise en compte de ce qu'on entend couramment sur elle et de ce qu'on peut se voir objecter.

2. S'instruire : apports théoriques

Rompre avec l'immédiateté et le lieu commun suppose d'abord l'ap- titude à mettre en perspective - aussi bien historique que théorique - la notion abordée dans un chapitre. Aussi, un travail d'information est-il nécessaire pour s'approprier les références culturelles indispensables à l'approche des problèmes éducatifs.

3. Apprendre à débattre et à argumenter : débats et controverses Les références culturelles dont le candidat peut disposer n'ont de sens qu'à la condition de faire apparaître de véritables enjeux éducatifs.

C'est pourquoi nous nous attacherons tout particulièrement aux débats, aux controverses qui, dans toute leur actualité, traversent les grandes questions de l'éducation. L'aptitude d'un candidat à faire preuve de liberté de pensée et de jugement, à n'être le prisonnier d'aucun dogme, suppose une familiarité avec le sens des débats et des problèmes.

4. S'engager dans une démarche de professionnalisation : à la rencontre des pratiques

Vous vous préparez à exercer un métier. Même si l'« épreuve orale d'admission » n'est pas une épreuve supposant la maîtrise de la pratique

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enseignante* elle n'en exige pas moins la capacité à se projeter dans un avenir professionnel. Aussi, la maîtrise des références théoriques et des enjeux éducatifs doit-elle être en résonance avec des situations de pra- tique enseignante. C'est à cette exigence-là que nous nous conforme- rons ici en faisant nôtre le principe de la circularité de la théorie et de la pratique.

Un tel principe conduit à aller à la rencontre des pratiques sans pour autant décrocher cette partie des apports théoriques précédents, cela non seulement parce qu'elle ne les contredit pas mais s'en inspire, mais encore et surtout parce qu'elle ne saurait se réduire au seul domaine de l'exem- plification et de ce qu'on appelle trop précipitamment « la mise en pra- tique ». Quoiqu'on dise, la pratique « pure » n'existe pas ; n'existe que la confrontation d'apports théoriques à l'épreuve des faits, à des situations concrètes et particulières qui interpellent quotidiennement le métier d'en- seignant. De telles situations ne s'analysent et ne s'élucident que par la réflexion que l'on porte sur elles. En ce sens, nous refusons tout clivage de la théorie et de la pratique, du dire et du faire, et en affirmer le principe de circularité, c'est affirmer que cette partie « à visée professionnalisante » vise essentiellement à la poursuite de la réflexion engagée dans les parties précédentes.

5. S'exercer... en situation de concours

Nous proposerons, pour chaque notion abordée dans un chapitre, des exemples de sujets donnés à cette épreuve orale d'admission : cer- tains se rapportent à des dossiers-jurys dont nous présenterons des extraits, d'autres sont à l'exemple des questions posées aux candidats à partir de leurs dossiers personnels.

Des éléments de réponse sont proposés sous forme de pistes de réflexion.

6. Approfondir

Une bibliographie succincte, placée en fin de chaque chapitre, invite le lecteur à approfondir sa réflexion par la lecture de quelques ouvrages de référence, voire de passages délimités.

* Rappelons à ce propos que le dossier, « support » de cette épreuve, n'est pas qualifié dans les textes officiels de dossier « professionnel », cela d'ailleurs à la différence du mémoire profes- sionnel de seconde année. On ne saurait, en conséquence, faire de cette « épreuve orale d'ad- mission » une épreuve qui porterait à l'essentiel sur les éléments d'une expérience professionnelle.

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P a r t i e 1

P h i l o s o p h i e d e l ' é d u c a t i o n

Présentation

On peut appeler « philosophie de l'éducation » l'exigence d'une démarche de pensée qu'on caractérisera comme « critique » au sens phi- losophique du mot1 : « La philosophie de l'éducation sera donc avant tout une interrogation ; non pas un corps de savoirs, mais une mise en question de tout ce que nous savons ou croyons savoir sur l'éducation.2 » En ce sens, l'« épreuve orale d'admission » n'a, pour ainsi dire, qu'un seul objet : la philosophie de l'éducation.

On peut en un sens plus restrictif appeler « philosophie de l'éduca- tion » l'étude qui, dans le domaine de l'éducation, nous fait rencontrer un certain nombre de questionnements sur les fondements, les finali- tés et les valeurs de l'éducation et de l'École en particulier. Ce sens, que nous retenons dans cette partie, nous amène alors à nous interroger sur trois notions-clés :

a L'éducation : chapitre 1 a Le citoyen : chapitre 2 a La laïcité : chapitre 3

1. Philosophiquement, l'attitude critique consiste à ne recevoir aucune affirmation sans s'être assuré de sa légitimité ; elle nous apprend en ce sens à ne rien admettre sans raison et a distinguer un savoir d u simple opinion; elle ne saurait pour autant se réduire à l'esprit de critique au sens or dmau-c u mot conduisant à une attitude de doute et de suspicion systématiques.

2 . Olivier REBOUL, La Philosophie de l'éducation, Éd. PUF, Paris, 1989, p. 3.

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L ' é d u c a t i o n

1. FAITES VOTRE DIAGNOSTIC

P r e n e z du temps pour apporter des éléments de réponse aux ques- tions posées ci-dessous et pour analyser les opinions communes qui sui- vent :

1 • DES QUESTIONS QUE VOUS POUVEZ VOUS POSER SUR LE MOT « ÉDUCATION »

• Quel sens donnez-vous au terme « éducation » ?

• Faites-vous une différence entre « éduquer » et « instruire » ? Si oui, laquelle ?

a Selon vous, l'École doit-elle « éduquer » ? « instruire » ? Pour vous, l'une de ces deux fonctions doit-elle prendre le pas sur l'autre ?

2 . CE Q U ' O N PEUT COURAMMENT ENTENDRE SUR LE MOT

« ÉDUCATION »

« L'éducation, c'est ce qui permet d'acquérir un savoir-vivre, de n'être pas un sauvage. »

« L'éducation, c'est ce qui permet de partager des règles de vie sociale, de bien s'intégrer dans la société. »

« L'éducation, c'est ce que nous apportent l'École, les maîtres et ce qu'ils nous apprennent. »

« L'éducation, c'est la science qui nous apprend comment de l'en- fance on passe à l'état d'adulte. »

3 . CE Q U ' O N PEUT SE VOIR OBJECTER

- Bien sûr, on dit de quelqu'un qu'il a « de l'éducation ». Ce sens de l'éducation renvoie à un autre terme : la politesse. Mais n'est-ce pas là un sens faible du mot, réduisant l'éducation à la simple acquisition d'un ver- nis social ? Plus, si l'éducation revient à se donner une apparence, un savoir-vivre traduisible en termes de « bonnes manières », peut-on

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même aller jusqu'à dire qu'elle nous libère de la sauvagerie ou de la barbarie ? U« éducation » ne saurait-elle être qu'une technique du paraître social ?

- L'éducation renvoie volontiers aujourd'hui à ce qu'on appelle un processus de « socialisation ». Mais n'est-ce pas restreindre le sens de l'éducation que de la référer au seul domaine de l'acquisition de pra- tiques de socialisation ou d'intégration sociale ? Faut-il exclure de l'édu- cation toute idée d'instruction, c'est-à-dire d'abord de transmission et d'acquisition des connaissances ? Les savoirs élémentaires - lire, écrire et compter - ne sont-ils pas indispensables à la construction de l'être humain et donc à son éducation ?

- L'École est sans doute un lieu privilégié d'éducation, mais est-elle la seule instance éducative ? La famille, la société en dehors de l'École, l'expérience personnelle, ne sont-elles pas aussi source d'éducation ?

- Le terme de « science » appliqué à l'éducation pose problème.

Certes, il y a des « sciences de l'éducation », mais est-ce une raison pour en conclure que l'éducation est une science ? Peut-on en effet admettre que l'éducation « détermine » au sens scientifique du mot le devenir d'un individu ? Que deviendrait la liberté de l'homme si l'éducation était une science ? L'éducation ne repose-t-elle pas plus sur des choix que sur des lois ?

Se mettre à distance de :

- l'idée qu'être éduqué, c'est « a v o i r de l'éducation » ; - l'idée qu'être éduqué, c'est être « socialisé » ;

- l'idée que l'éducation est la seule affaire de l'École ; - l'idée que l'éducation est une science.

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2. APPORTS THÉORIQUES

ÉTYMOLOGIE : du latin educatio, action de conduire (ducere) hors de (e) : action d'élever des plantes et des animaux, par extension, avoir soin des enfants. Dans le Nouveau dictionnaire étymologique et historique, (Éd. Larousse, Paris, 1971, p. 255), l'utilisation du verbe

« éduquer » est attribuée à Voltaire en 1761. Littré cite une lettre de Voltaire adressée à Linguet et datant du 15 mars 1769 dans laquelle

« éduquer » est employé au sens d'un néologisme. On a souvent dé- noncé le caractère peu éclairant de cette étymologie : quel rapport l'éducation a-t-elle avec l'homme si elle se réfère d'abord au soin apporté aux animaux et aux plantes ?

En réalité, l'étymologie est porteuse de sens dans sa dimension métaphorique même. Éduquer, c'est élaguer, émonder, tailler, en un mot « dresser » au sens étymologique du mot anglais qui signifie civili- ser, rendre propre à paraître, polir. On n'oubliera pas en effet la force symbolique que représentait la présence d'un jardin potager dans les anciennes Écoles Normales d'Instituteurs. L'éducation en son sens ori- ginel ne saurait alors s'opposer au terme plus ancien d'instruction, ins- tructio, signifiant « construire », « élever ».

1 . ÉDUQUER, C'EST INSTITUER L'HUMANITÉ DANS L'HOMME

La réflexion sur l'éducation est d'abord une réflexion sur ce qu'est l'homme et sur ce qui le différencie de l'animal. « L'homme est la seule créature qui doive être éduquée », disait Kant3. L'éducation commen- ce en effet quand la nature s'arrête, quand le monde des instincts et des mécanismes héréditaires ne suffit plus à éclairer le développement d'un individu. L'homme doit apprendre des autres, se développer par voie d'héritage culturel pour parvenir à l'état d'humanité, au lieu de ne deve- nir que par la nature fixée héréditairement en lui.

L'éducation, en son sens premier, signifie alors :

- que l'humanité, portée par tout son patrimoine culturel, ne se reconstitue pas spontanément à la naissance de chaque homme, mais que chaque homme, par l'éducation, doit faire l'effort de sa reconquête :

« La société se trouve donc, à chaque génération nouvelle, en

3. KANT, Réflexions sur l'éducation (trad. Philoncnko), Éd. Vrin, Paris, 1980, p. 69.

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présence d'une table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveaux frais. (...) Voilà quelle est l'œuvre de l'éducation, et on en aperçoit toute la grandeur. Elle ne se borne pas à développer l'organisme individuel dans le sens marqué par sa nature, à rendre apparentes des puissances cachées qui ne demandaient qu'à se révéler. Elle crée dans l'homme un être nouveau. »4

- que l'homme n'a d'existence que sociale, en ce sens que la socié- té seule, par l'éducation qu'elle rend possible, élève l'homme au-delà de son existence animale pour en faire un être proprement humain :

« L'être nouveau que l'action collective, par la voie de l'éducation, édifie ainsi en chacun de nous, représente ce qu'il y a de meilleur en nous, ce qu'il y a en nous de proprement humain. L'homme, en effet, n'est un homme que parce qu'il vit en société. »5

2 . LE PARADIGME DE L'« ENFANT SAUVAGE »

C'est au XVIIIe siècle que les hommes ont commencé à s'intéresser à ces enfants abandonnés précocément par leurs familles, découverts dans les bois et forêts et ne présentant en apparence aucun signe de ce qui fait l'humanité de l'homme. Le plus célèbre d'entre eux fut celui pris en charge par un médecin, le docteur Itard, qui donna à l'enfant capturé le nom de Victor.

L'« enfant sauvage » représente d'abord un enjeu philosophique6 qui justifie pleinement l'intérêt que le xviir siècle lui a porté. La philosophie empiriste postule que toutes nos connaissances viennent de la sensation et que nous n'apprenons rien que de l'expérience. Si l'homme n'est à sa naissance qu'une table rase, tout ce qu'il est, il le doit alors à l'éducation.

En ce sens, l'empirisme philosophique a pour corollaire obligé le postu- lat de la toute-puissance de l'éducation : « L'éducation peut tout », disait Helvétius.7 On comprend alors aisément l'intérêt porté à l'« enfant sau- vage » : celui-ci permettrait d'apporter la preuve concrète que l homme est ce qu'il est par l'éducation et, par conséquent, de fonder scienti- fiquement les principes de la philosophie empiriste.

Mais peut-on admettre avec pertinence l'idée même d'« enfant sauvage » ?

4. Émile DURKIIEIM, Éducation et sociologie, Éd. PUF, Paris, 1992, p. 52.

5. Ibid., p. 55.

6. Bien avant la psychologie, c'est la philosophie qui s'est emparée de l'« enfant sauvage » pour interroger la nature de l'homme.

7. HELVÉTIUS, De l'Homme, Livre X, chap. 1, titre de chapitre : « L'éducation peut tout ».

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Le problème reste de savoir si cet enfant peut être nommé ainsi par déficit de vie sociale, de tout contact avec la société des hommes, ou par handicap congénital : « Mais il apparaît assez clairement des anciennes relations que la plupart de ces enfants furent des anormaux congéni- taux, et qu'il faut chercher dans l'imbécillité dont ils semblent avoir à peu près unanimement fait la preuve, la cause initiale de leur abandon, et non, comme on le voudrait parfois, son résultat. »8

- Considérer un enfant comme « sauvage », par manque de civilisation ou par débilité mentale, revient à l'exclure de l'humanité, à oublier qu'un enfant est d'abord un sujet humain : « Un enfant sauvage, comme un débile ou un fou, reste un être humain ; et nous admettons que, si la science écar- te par méthode la nature humaine, l'éthique l'affirme comme inaliénable. »9 L'enfant « sauvage » n'est sans doute pour ces raisons qu'un mythe, mais il nous permet de faire ressortir avec un relief particulier le paradoxe même de l'éducation : l'éducation doit instituer l'humanité en l'homme ; elle suppose donc déjà entre être et humain l'existence d'un être humain qu'elle se propose cependant d'amener à l'humanité.

On peut alors dire de l'éducation qu'elle est intrinsèquement liée à un pro- jet pédagogique que Philippe Meirieu appelle le « moment pédagogique » :

« Le moment pédagogique est donc l'instant où, tout à la fois, l'enseignant est porté par l'exigence de ce qu'il dit, par la rigueur de sa propre pensée et des contenus qu'il doit transmettre et où, simultanément, il aperçoit un élève concret, un élève qui lui impose un décrochage, un décrochage qui n'est, en rien, un renoncement. »10

L'éducation n'est en définitive de l'homme que parce qu'elle accepte et assu- me la rencontre avec l'Autre, avec ses résistances et ses refus, cet autre dont 1'« enfant sauvage » n'est finalement que l'expression exacerbée et qu'elle révèle alors à chacun de nous cette exigence d'avoir à bâtir ensemble.

3 . LE PARI" 1 DE L'ÉDUCABILITÉ

Cette expression12 s'inspire du fameux pari pascalien. La notion même de pari s'oppose à la notion de preuve : nous ne pouvons prouver,

8. LÉVI-STRAUSS, Les Structures élémentaires de la parenté, Éd. Mouton & CO, La Haye, 1967, p. 5.

9. O. REBOCL, La Philosophie de l'éducation, op. cit., p. 21.

10. Philippe MEIRIEU, La Pédagogie entre le dire et le ,f(iire, Éd. ESF, Paris, 1995, p. 56.

11. La notion de « postulat » est équivalente si elle est prise au sens où Kant l'emploie pour désigner une idée qui, sans être donnée par un savoir - ainsi en est-il des postulats de la raison pure pratique - n'en est pas moins exigée par la raison, et qui, en ce sens, possède à la fois un caractère subjectif et un rondement rationnel.

12. On lira à ce propos de Philippe MEIRIEU : Itinéraires des pédagogies de groupe, Apprendre en groupe, vol. 1, Chronique Sociale, 1996, pp. 139-163.

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selon Pascal, que Dieu existe, mais nous ne pouvons nous dérober à parier sur son existence. Si la force des démonstrations ne peut emporter l'adhé- sion, ce n'est pour autant nullement à un jeu de hasard que nous nous livrons en pariant sur l'existence de Dieu. C'est sous la conduite de la rai- son, par la force de l'argumentation quand l'infini et le fini sont en balance, que se fait le pari : « À l'impossible démonstration qui ferait de l'existence de Dieu une vérité rationnelle, le pari substitue une argumentation qui en fait l'objet d'un choix raisonnable. »13

Qu'en est-il alors du « pari de l'éducabilité » ? Pourquoi ne pouvons- nous que parier ? L'enfant n'est un sujet humain que pour autant qu'il est reconnu dans sa liberté. L'éducation ne peut donc se décider par décret : il y a en effet contradiction à prétendre décider de l'avenir d'un être doué de liberté ! L'obligation scolaire, même si elle signifie bien une obligation d'éducation, n'a jamais signifié que l'éducation pouvait se commander.

Tout projet éducatif ne peut en conséquence se fonder que sur un simple pari étranger au monde des preuves et des démonstrations. « Toute édu- cation est un art », disait Kant.14 Parce que l'éducation interpelle un être qui peut toujours se refuser à ce qu'on veut lui apprendre, qui n'appren- dra jamais de force mais de lui-même, par consentement libre et volon- taire, elle ne peut se décliner comme se décline une science, elle ne peut en appeler à des lois ; en un mot, elle ne peut que « parier » sur l'avenir de l'enfant.

Le « pari de l'éducabilité » signifie d'abord qu'il nous faut bien renon- cer à l'idée d'une toute-puissance de l'éducation : l'action pédagogique

« n'est donc possible que dans une éthique de la finitude où l'acceptation de notre impuissance sur l'autre est au centre même de ce qui nous fait agir sur lui. »15

Mais nous devons parier. Cela est raisonnable et en un sens néces- saire. Pourquoi ? Parier, c'est faire un choix de valeurs que la force des preuves ne contraint pas. C'est donc au nom même de l'éthique qu'il nous faut faire le pari de l'éducabilité.

13. Henri GOUHIER, Blaise Pascal, Commentaires, Éd. Vrin, Paris, 1971, p. 258.

14. KANT, Réflexions sur l'éducation, op. cit., p. 79. Au sens kantien du mot, il y a « art » quand il ne suffit pas de « savoir » pour « pouvoir » (à la distinction de la science pour laquelle vaut l adage : « Si on le sait, on le peut »).

15. Ph. MEIRIEU, La Pédagogie entre le dire et le faire, op. cit-, pp. 253-254.

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3 . D É B A T S E T C O N T R O V E R S E S

1 . L!ÉDUCAlriON : EN RUPTURE O U EN CONTINUITÉ AVEC LA NATURE16 ?

C'est d ' u n e c e r t a i n e façon le p a r a d o x e de l ' é d u c a t i o n qui conduit à ce débat. L'idée q u e l ' é d u c a t i o n institue l ' h u m a n i t é e n l ' h o m m e p e u t e n effet a i s é m e n t se d u r c i r e n d e u x propositions inverses : soit l'on affirme q u e l ' é d u c a t i o n fait l ' h o m m e contre et e n opposition avec sa n a t u r e , soit l'on affirme a u contraire q u e l ' é d u c a t i o n fait l ' h o m m e e n p e r m e t t a n t l ' é p a n o u i s s e m e n t de la n a t u r e qui est e n lui. Le p a r a d o x e est levé faute de p e n s e r e n s e m b l e , d i a l e c t i q u e m e n t - c'est-à-dire dans l e u r t e n s i o n m u t u e l l e - les d e u x t e r m e s : l ' h o m m e et l'institution de l ' h u m a n i t é .

U n tel d é b a t traverse toute l'histoire de la p é d a g o g i e :

« P o u r l a p é d a g o g i e traditionnelle, la n a t u r e de l'enfant est originel- lement c o r r o m p u e et la tâche de l'éducation est de d é r a c i n e r cette sauva- gerie naturelle qui caractérise l'enfance. L a p é d a g o g i e f r a n ç a i s e d u XVIIe siècle illustre bien cette conception de l'enfance. (...) P o u r elle, est pédagogique, précisément, ce qui est anti-naturel. D a n s une telle optique, l'éducation s'efforcera a v a n t tout de discipliner l'enfant et de lui inculquer des règles. (...) L a pédagogie nouvelle se représente a u contraire la n a t u r e de l'enfant comme innocence originelle et cherche à p r o t é g e r le n a t u r e l enfantin. Elle p r o c l a m e l a dignité de l'enfance et la nécessité de respecter l'enfant. »17

La t h è s e d e l a r u p t u r e

C'est a u xvir siècle que, sous l'impulsion de l'ordre religieux des jésuites, l'école devient u n e n j e u d'éducation : « On substitue l'école à l'apprentissage traditionnel, u n e école t r a n s f o r m é e , i n s t r u m e n t de disci- pline sévère, q u e p r o t è g e n t les cours de justice et de police. Le déve- l o p p e m e n t e x t r a o r d i n a i r e de l'école a u xviie siècle est u n e c o n s é q u e n c e de ce souci n o u v e a u des p a r e n t s à l ' é g a r d de l'éducation des enfants. »18 La n a i s s a n c e d u s e n t i m e n t de l'infirmité de l'enfance, à la r é s o n a n c e ô c o m b i e n théologique, fait de l'école a u xvir siècle u n i n s t r u m e n t

16. Ce qu'on appelle « nature - ne doit pas être pris au sens de l'enregistrement d'un fait objectif, mais à celui d'une représentation sociale de l'enfance. Ce point sera développé plus précisément dans la troisième partie : Connaissance de l'enfant.

17. Bernard CHARLOT, La Mystification pé dagogique, Éd. Payot, Paris, 1977, pp. 100-101.

18. Philippe ARIÈS, L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Éd. du Seuil, Paris, 1973, p. 313.

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essentiellement disciplinaire : « La discipline scolaire provient de la dis- cipline ecclésiastique ou religieuse. »19

La thèse de la rupture conduit à considérer l'éducation comme ins- titution de l'humanité par le déracinement de nos impulsions naturelles ; ce qui amènera Kant à définir l'éducation dans sa partie négative par la discipline : « La discipline est ainsi simplement négative ; c'est l'acte par lequel on dépouille l'homme de son animalité. »20

La thèse d e la continuité

C'est sous l'impulsion de Rousseau que s'est développée ce qu'on peut appeler la pédagogie moderne. Celle-ci trouve son idée séminale dans cette affirmation : « Il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain.21 » La résonance religieuse de l'idée d'innocence originelle de l'homme inscrit la pédagogie moderne dans un contexte de pensée théo- logique. On ne s'étonnera donc pas que les grands noms représentatifs de ce courant de pensée pédagogique (et dont se réclament encore aujour- d'hui bien des maîtres de l'école républicaine et laïque) aient été influen- cés, consciemment ou non, par une approche religieuse de l'enfant. Ainsi, Maria Montessori 22, partant de l'idée que l'éducation ne peut modifier la nature profonde de l'individu, postule que celui-ci se développe selon un plan immanent de la nature qui obéit à des lois divines : « Lorsque l'on découvre les lois de développement de l'enfant, l'on découvre l'esprit et la sagesse de Dieu qui agit dans l'enfant.

La thèse de la continuité conduit à considérer l'éducation dans les termes privilégiés d'un respect de la nature humaine présente dans l'en- fant. L'éducation ne vise en ce sens qu'à permettre l'épanouissement de l'enfant pour qu'il puisse croître conformément à sa nature ; elle connaît alors son point d'orgue dans le non interventionnisme pédagogique limitant l'éducation au spectacle admiratif de l'éveil des potentialités naturelles de l'enfant : « Je crois intimement que l'enfant est naturellement sagace et réaliste et que, laissé en liberté, loin de toute suggestion adulte, il peut se développer aussi complètement que ses capacités naturelles le lui permettent. Fidèle à cette logique, Summerhill reste un lieu où ceux qui ont les capacités naturelles et la volonté

19. Ph. ARIÈS, L'Enfant et la vie familiale soiis l'Ancien Régime, op. cit., p. 212.

20. KANT, Réflexions sur l'éducation, op. cit., p. 71.

21. ROUSSEAU, Emile ou de l'éducation, Éd. Garnier Frères, Paris, 1964, p. 81.

22. Pour une connaissance des pédagogues modernes, on consultera : Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, sous la direction de Jean 1I0CSSAYE, Éd. Armand Colin, Paris, 1994.

23. Cité par J. HOUSSAYE, p. 156.

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nécessaire pour devenir savants le deviendront, alors que ceux qui n'ont de capacités que pour balayer les rues les balaieront. »24

Rupture ou continuité ? Cette alternative est-elle dépassable ? Elle l'est peut-être à condition d'assumer pleinement le paradoxe de l'éduca- tion : l'éducation doit « humaniser » l'enfant, mais c'est en prenant appui sur lui qu'elle le fera advenir au-delà du sujet humain qu'il est : « Donnez- moi un point d'appui dans le sujet et je l'aiderai à apprendre, à s'appro- prier de la nouveauté, à comprendre un peu plus le monde et lui- même. »25

Deux dérives guettent toujours toute tentation de sortir d'un tel paradoxe :

Celle qui, niant l'enfant comme sujet humain, fait de l'éducation un instrument de pouvoir qui, s'exerçant dans la seule contrainte discipli- naire, ne saurait produire que des « corps dociles. »26

Celle qui, respectant l'enfant jusqu'à sacraliser la nature qui est en lui, l'empêche de devenir pour fmalement l'enfermer à jamais dans la pire des dépendances : celle du « je fais comme je veux », source de tous les conformismes.

2 . INSTRUIRE OU ÉDUQUER ?

Il n'y a guère de débat plus d'actualité que celui qui porte sur la question de savoir si l'école doit se fonder sur un projet d'éducation ou sur un projet d'instruction. Tout se passe comme si elle se trouvait aujourd'hui confrontée à une nouvelle mission : celle d'avoir à éduquer, mission, non seulement distinguée de sa mission traditionnelle d'ins- truction, mais parfois même considérée comme pouvant entrer en conflit avec elle : « instruire, ce n'est pas éduquer », « éduquer d'abord ».

Les conditions historiques d'apparition d'un tel débat se trouvent dans le constat fait sur l'état de notre société : la décomposition du tissu familial et social, la perte des valeurs, le chômage et son cortège d'ex- clusion, amènent à l'opposition des deux thèses suivantes.

La thèse d e l'instruction

Elle proclame qu'on va à l'école pour accéder à des savoirs et non pour autre chose. Seuls les savoirs que dispense l'école, et d'abord les

24. A. S. NEILL, Libres enfants de Summerhill, Éd. François Maspero, Paris, 1981, p. 22.

25. Ph. MEIKlEU, éprendre... oui, mais comment, Éd. ESF, Paris, 1992, p. 43.

26. On lira, à ce propos, de Michel FOUCAULT : Surveiller el punir, naissance de la prison, IIIe partie, chap. 1, Éd. Gallimard, Paris, 1975.

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savoirs élémentaires - apprendre à lire, à écrire et à compter - rendent possible l'exercice de la raison, de la faculté de penser et de juger libre- ment, de discerner le vrai du faux. En ce sens, l'instruction est ce qui rend possible l'autonomie intellectuelle dans laquelle s'exprime l'huma- nité de l'homme :

« Qu'est-ce qui fait, p a r exemple, qu'un illettré ne jouit d'aucune auto- nomie en regard de celui qui sait lire et écrire (...)? C'est que le premier est obligé de faire « une confiance aveugle » à celui qui lit et qui écrit à sa place ; il n'a aucun moyen de contrôle sur le contenu d'un document. (...) D'une façon générale, l'exercice critique de la raison, acquis à l'école, per- mettra à quiconque voudra en user de juger de la vraisemblance d'une opinion, de douter, de différer une décision, de prendre des avis multiples et autorisés, enfin de garder en toutes circonstances sa propre dignité. »27 Cette thèse, répandue aujourd'hui dans les milieux intellectuels, se réclame de Condorcet pour opposer son projet d'instruction publique au projet d'éducation nationale de son contemporain Rabaut Saint-Étienne.

Philippe Meirieu28 fait de l'opposition de ces deux projets la présenta- tion suivante dont nous extrayons ici ces passages : « L'un et l'autre ont proposé un projet complet d'organisation scolaire à quelques mois de distance, en 1792, à l'Assemblée nationale et à la Convention. (...) Le projet présenté par Rabaut Saint-Étienne en décembre 1792 s'intitule, lui, Projet d'éducation nationale et se démarque très fortement de celui de Condorcet. (...) Il distingue ainsi l'« instruction publique », qui trans- met des connaissances, et l'« éducation nationale » qui doit « conduire à la vertu ». Il souligne qu'à l'instar des prêtres qui ont réussi, par le passé, à créer l'adhésion populaire aux valeurs dont ils étaient porteurs, les révolutionnaires doivent diffuser très largement les valeurs de la République (...) : « L'éducation nationale est l'aliment nécessaire à tous ; l'instruction publique est le partage de quelques-uns. »

Le projet d'éducation nationale sert de repoussoir à ceux qui parta- gent la thèse de l'instruction, et ce pour trois raisons :

- Soucieux de créer le lien social, ce projet d'éducation nationale fait appel, par le moyen en particulier des fêtes et célébrations républi- caines, à l'élément extra-rationnel de l'enthousiasme républicain ;

27. Catherine KINTZLER, Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen, Éd. Minerve, coll. « Folio essais », Paris, 1984, p. 197.

28. Ph. MEIlUEU, La Pédagogie entre le dire et le f(iire, op. cit., pp. 40-41.

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- Considérant l'instruction comme source d'élitisme et de division des hommes, il procède d'une méfiance radicale envers toute formation intellectuelle ;

- Prétendant que les valeurs républicaines sont avant tout des valeurs communautaires, il n'accorde pas à l'individu le droit d'exister en tant que tel.

Bref, le projet d'éducation nationale, au lieu de libérer l'homme, l'enchaîne : « Bien entendu, le thème de l'enthousiasme a ses versions douces : le boy-scoutisme et le patronage civique ont plutôt la faveur de Rabaut Saint-Étienne. Mais il connaît aussi ses versions dures : militari- sation, accoutumance au travail, vie en commun, « surveillance de tous les jours et de tous les moments », mépris du travail intellectuel domi- nent le terrifiant Plan d'éducation nationale de Le Peletier, texte post- hume présenté par Robespierre le 13 juillet 1793, alors que Condorcet est déjà contraint de se cacher. »29

La thèse d e l'éducation

Vouloir que l'école « éduque », c'est d'abord chez les partisans de cette thèse prendre acte d'une demande sociale adressée à l'école.

L'école est aujourd'hui conviée à participer de manière privilégiée à la recomposition de la cohésion sociale, surtout là où plus aucune autre instance éducative ne l'assure : « Dans certains quartiers défavorisés - nous le constatons - l'école fait déjà face - seule ou presque, au-delà parfois de ses missions - aux forces centrifuges qui tendent à la frag- mentation sociale et qui mènent à des identités régressives de clans, de sectes, de tribus ou de bandes délinquantes. »30 Cette mission sociale de l'école ne peut que la conduire à prendre ses distances vis-à-vis de tout modèle intellectualiste et, en particulier, de cette idée qu'elle n'aurait qu'à faire accéder à des savoirs.

Mais c'est aussi et surtout parce que l'école offre, de l'intérieur d'elle-même, le reflet d'une société en perte de valeurs fédératrices, jusqu'à ne plus savoir assurer la moindre discipline et rencontrer dans ses murs la violence de la rue, que la tâche de l'éducation s'avère comme une tâche incontournable :

« Face à cette situation inquiétante, les discours sur la transmission ou l'appropriation des savoirs sont quelque peu dérisoires. Le problème 29. C. KI"TZLER, Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen, op. cit., p. 248.

30. A. BOUVIER, M. FORT, B. GÉLAS, Ph. ME1RIEU et J.-P. OBIN, « Oser éduquer », article publié dans Le Monde, vendredi 2 avril 1993.

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prioritaire, parce que préalable à tout enseignement comme à toute étude, c'est de "socialiser" les élèves, c'est-à-dire de leur apprendre à vivre en société, de les faire adhérer aux normes constitutives d'une société. L'école se trouve ici investie, p a r la force des choses, d'une fonction qui n'est plus assurée correctement p a r la famille ou p a r d'autres institutions. »31

L'instruction suppose l'éducation : des enfants déjà éduqués. C'est pourquoi quand l'éducation n'est plus assurée en amont de l'école, celle-ci ne peut plus assumer sa fonction première, elle ne peut plus instruire. On voit donc que la thèse de l'éducation se situe moins dans une opposition radicale à la thèse de l'instruction que dans la prise en compte de ses présupposés. Dans son Discours du 14 septembre 1810, Hegel les dégageait on ne peut plus clairement :

« La discipline proprement dite ne peut pas être un but des institutions scolaires (...). Une institution scolaire n'a pas d'abord à produire cette dis- cipline chez ses élèves, mais elle doit la présupposer. Nous pouvons exiger que les enfants viennent dans notre école déjà éduqués. »32

Et il ne craignait pas d'ajouter qu'au cas où les enfants ne rempli- raient pas les conditions d'entrée dans l'école, celle-ci, après quelques tentatives s'avérant infructueuses, ne devrait pas hésiter à « les rendre aux parents, afm qu'ils s'acquittent de leurs devoirs d'abord auprès de ceux-ci, et les mettre à l'écart d'un établissement dont l'enseignement ne peut fructifier sur un sol grossier. »33

Ce dont Hegel pensait pouvoir faire l'économie à l'école n'est plus possible aujourd'hui, non seulement parce que l'école est devenue obli- gatoire et qu'elle ne peut donc choisir les élèves qui lui conviennent, mais encore parce que si elle se dérobe à cette tâche, qui l'assurera ?

« Se crée ainsi une situation sans précédent, où l'école doit, pour fonc- tionner, commencer p a r créer les conditions qui rendent possible ce fonc- tionnement même. »34

Portée et limites du d é b a t instruction/éducation

Un tel débat fait en un sens émerger l'affrontement entre deux modèles d'école par toute une série d'oppositions :

31. Antoine PROST, Éloge des pédagogues, Éd. du Seuil, coll. « Points Actuels », Paris, 1990, p. 35.

52. HEGEL, Textes pédagogiques, Ed. Vrin (trad. B. BOURGEOIS), Paris, 1978, p. 96.

33. Ibid., p. 97.

34. Antoine PROST, Éloge des pédagogues, op. cit., p. 34.

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« instruction ou éducation entendement ou affectivité savoir ou pédagogie

formation académique ou formation pédagogique institution ou communauté éducative. » 35

Faut-il penser l'école comme un lieu d'études centré sur les seuls savoirs à transmettre ? Faut-il au contraire penser l'école comme un lieu de « socialisation » ayant pour première mission d'apprendre à vivre et à épouser les règles élémentaires de toute vie sociale ? Faut-il une école ne connaissant d'autre langage que celui de la raison parce que pré- occupée de rendre intellectuellement autonome ou, à l'inverse, une école sachant parler le langage du cœur parce que préoccupée d'éveiller le sens moral, de faire sentir les valeurs qui rendent possible la cohésion sociale ? Suffit-il que le maître maîtrise les savoirs pour pouvoir les trans- mettre, ou, au contraire, lui faut-il assumer le moment pédagogique par lequel il accepte d'aller à la rencontre de ses élèves ? Faut-il, en ce sens, une école fondée sur la seule problématique de l'enseignement ou une école fondée sur la problématique des apprentissages ? Faut-il, enfin, une école pensée dans sa dimension institutionnelle d'appareil d'État, affirmant sa rupture d'avec l'immédiateté sociale et protégeant l'enfant en ce sens ? Au contraire, faut-il faire de l'école une communauté édu- cative ouverte sur le monde et sur son environnement local, se donnant par là-même les moyens de la socialisation ?

Il faut cependant bien reconnaître les limites de telles oppositions d'abord parce qu'elles sont toutes les effets d'une dichotomie contes- table de l'éducation et de l'instruction. C'est de manière abstraite qu'on peut poser l'idée d'une école qui instruirait sans éduquer et réciproque- ment. Quand on instruit, on éduque pour au moins deux raisons :

- Parce que l'école, par le simple fait de mettre en présence des élèves qui sont d'abord des étrangers les uns vis-à-vis des autres, ne peut que les socialiser au-delà du cercle familial ;

- Parce que l'instruction elle-même contribue nécessairement à la structuration de la pensée et du jugement et, qu'en ce sens, une formation intellectuelle est bien une éducation. De ce dernier point de vue, c'est dur- cir les thèses de Condorcet en matière d'instruction publique que de les

55. Francis IMBERT, Vers une clinique du pédagogique, Éd. Matrice, Vigneux, 1992, p. 83.

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rendre étrangères à tout projet éducatif : si la possession des savoirs élé- mentaires permet l'autonomie intellectuelle, c'est qu'elle débouche de force sur la formation du citoyen, donc que l'instruction représente bien un enjeu d'éducation civique.

Inversement et réciproquement, quand on éduque, on instruit : parce qu'elle a ses programmes et ses objectifs d'apprentissage, l'école ne peut jamais éduquer que dans le cadre institutionnel du projet d'instruc- tion. Aucun maître, de l'école primaire en particulier, même se disant un

« éducateur », ne pourra se dérober à la tâche d'avoir à apprendre à lire, à écrire et à compter.

Il y a cependant deux risques de dérives sur lesquels notre vigilan- ce doit s'exercer : celui de penser l'école comme lieu de vie, ouverte à toutes les influences sociales, et condamnant l'élève au conditionne- ment d'une éducation moralisante ; celui de penser l'école comme sanc- tuaire voué au seul culte de la science et oubliant que des enfants n'ap- prennent ni ne s'éduquent par le seul fait d'être en situation d'enseigne- ment :

« On ne peut éduquer sans en même temps enseigner ; et l'éducation sans enseignement est vide et dégénère donc aisément en une rhétorique émotionnelle et morale. Mais on peut très facilement enseigner sans édu- quer et on peut continuer à apprendre jusqu'à la fin de ses jours sans jamais s'éduquer pour autant. »36

56. Hannah ARENDT, La Crise de la culture, Éd. Gallimard, coll. « Folio essais », Paris, 1972, p. 251.

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4. À LA RENCONTRE DES PRATIQUES

De ces a g i s s e m e n t s •••

Jean a été nommé dans l'école élémentaire qu'il souhaitait. Que de fois pendant ses vacances - finissantes à ce jour - a-t-il pensé sa classe ! Après l'accueil chaleureux du directeur d'école, Jean s'ins- talle.

Le tableau noir sera rabaissé, les tables disposées en demi- cercles concentriques, un coin-regroupement délimité par trois bancs et une petite estrade, son bureau-table repoussé au fin fond rencogné de la salle, des espaces d'activités (point-infos, journal de classe, coopérative, coin-lecture...) originalement aménagés, des ateliers de recherche et d'expérimentation institués. Jean déplace et redéplace ce lourd matériel, toujours insatisfait des espaces limités de déplace- ment permis, tant pour ses élèves que pour lui-même. Découvrant avec stupeur le contenu de l'armoire, les manuels d'élèves seront mis au placard ; Jean ne peut se résigner à les utiliser : les écrits sociaux, dit-il, et des documents informatifs divers et appropriés jalonneront au fil des jours la vie de sa classe...

. . . A u t e r m e d e l a p r e m i è r e j o u r n é e d e c l a s s e , J e a n s e « p o s e r a » ,

analysera à partir de ses observations les comportements et autres performances de ses élèves, programmera les activités à leur propo- ser par la suite. Peut-être sera-t-il même surpris de recevoir un appel téléphonique37 d'un parent interpellé par les propos tenus par son enfant et demandant par là-même des comptes : « Mon fils m'a dit qu'il n'avait rien fait aujourd'hui. Est-il vrai que le tableau est resté désespérément vide toute la journée, que vous avez demandé aux élèves pourquoi ils étaient à l'école et ce qu'ils comptaient y apprendre, que vous n'avez pas encore donné de cahier, qu'il n'y aura pas de livre de lecture, que des services coopératifs ont été imagi- nés...? À quand les conjugaisons, les leçons à la maison, le Vrai travail ? »

Il n'est pas dans notre intention de prendre parti, mais de faire émer- ger, à travers les agissements de Jean, les choix qui leur sont sous- tendus.

Par la création d'espaces de parole et de questionnement (développant l'esprit critique, encourageant à la coopération, valorisant solidarité et responsabilité), par la confrontation des idées, des stratégies voire des connaissances, ne contribue-t-on pas à l'éducation des élèves ? Certes oui,

57. Jean a bien sûr donné son numéro de téléphone aux élèves.

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mais la finalité de l'École est-elle seulement d'éduquer ? Est-elle alors uni- quement d'enseigner ? Assurément non !

Comment donc concilier éducation et instruction, éducation et ensei- gnement ?

Peut-on rendre éducative la mission intellectuelle d'instruction de l'École? En d'autres termes, peut-on faire des savoirs scolaires que l'École se doit d'enseigner un objet et un instrument d'éducation ?

1 • UNE VIEILLE GUERRE

Le temps n'est pas à la modération, à la dialectisation. Il est plutôt à la radicalisation des prises de position, à la cristallisation des idées, aux extré- mismes même. L'École n'y déroge guère.

Si tentés seriez-vous de rappeler avec insistance le rôle d'instructeur 38 de l'enseignant, vous devriez provoquer chez certains méfiance voire rejet. À référer l instruction à la transmission unilatérale de savoirs entre un ensei- gnant et un enseigné, il est de bon ton de la récuser : on se dresse alors contre le traditionalisme pédagogique, on prône l'activité des apprenants, on reven- dique des têtes bien faites ; on insiste alors sur ces situations éducatives39 et autres activités-projets largement tournées sur la Vie visant à développer et à renforcer chez les élèves ces attitudes, ces comportements attendus du citoyen d'aujourd'hui.

Quoique fort louables, ces intentions ne doivent pas nous empêcher d'en pointer les dérives. Quel crédit accorder - toute compassion dépassée - à cet enseignant qui, en mathématiques, faisant voter ses élèves sur des stratégies d'apprentissage, ferait adopter à la majorité des voix ladite stratégie « élue » et l'imposerait à tous comme seule utilisable ? À cet autre qui, par le biais de services coopératifs, transformerait le lieu d'émergence de la loi en un lieu d'application de règlements ? À ce dernier qui, prétextant le débat d'idées, n'animerait en fait que des verbiages stériles ou des discussions pseudo- intellectuelles ?

Au-delà des perversités qu'il faut dénoncer et combattre, l'on se doit de signaler ces méprises.40 À ne pas les prévenir, il serait à craindre tant une perte de sens de la Chose scolaire (l'enfant ne voyant plus où l'on va, sur quels objets porte sa réflexion, les enjeux de son apprentissage

38. Ce terme d'« instructeur » (personne chargée de montrer l'exercice) est tombé de nos jours en désuétude. Simple effet de mode ou prise de position idéologique ?

59. La confection d'un goûter, la préparation d'une classe transplantée, l'organisation d'une visite, l'élaboration de certaines enquêtes, l'accueil des correspondants sont autant d'activités pouvant poursuivre de manière dominante le développement de savoir-être chez les élèves.

40. Un dispositif ne peut montrer sa pertinence qu'en fonction de l'utilisation qui en est faite : combien de stagiaires, à la première vue de l'organisation matérielle et spatiale d'une classe, « cata- loguent » ainsi l'enseignant ? Comme si la présence dans cette classe de ces bons vieux objets sym- boliques (estrade, tables frontales, bureau centraL..) dénotait de ,faclo le sanctuaire de l'instruction ! Tout comme les coins-lecture, les Bibliothèques Centres Documentaires (BCD), etc., ne deviennent que ce que l'on en fait !

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