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De ces a g i s s e m e n t s •••

Jean a été nommé dans l'école élémentaire qu'il souhaitait. Que de fois pendant ses vacances - finissantes à ce jour - a-t-il pensé sa classe ! Après l'accueil chaleureux du directeur d'école, Jean s'ins- talle.

Le tableau noir sera rabaissé, les tables disposées en demi- cercles concentriques, un coin-regroupement délimité par trois bancs et une petite estrade, son bureau-table repoussé au fin fond rencogné de la salle, des espaces d'activités (point-infos, journal de classe, coopérative, coin-lecture...) originalement aménagés, des ateliers de recherche et d'expérimentation institués. Jean déplace et redéplace ce lourd matériel, toujours insatisfait des espaces limités de déplace- ment permis, tant pour ses élèves que pour lui-même. Découvrant avec stupeur le contenu de l'armoire, les manuels d'élèves seront mis au placard ; Jean ne peut se résigner à les utiliser : les écrits sociaux, dit-il, et des documents informatifs divers et appropriés jalonneront au fil des jours la vie de sa classe...

. . . A u t e r m e d e l a p r e m i è r e j o u r n é e d e c l a s s e , J e a n s e « p o s e r a » ,

analysera à partir de ses observations les comportements et autres performances de ses élèves, programmera les activités à leur propo- ser par la suite. Peut-être sera-t-il même surpris de recevoir un appel téléphonique37 d'un parent interpellé par les propos tenus par son enfant et demandant par là-même des comptes : « Mon fils m'a dit qu'il n'avait rien fait aujourd'hui. Est-il vrai que le tableau est resté désespérément vide toute la journée, que vous avez demandé aux élèves pourquoi ils étaient à l'école et ce qu'ils comptaient y apprendre, que vous n'avez pas encore donné de cahier, qu'il n'y aura pas de livre de lecture, que des services coopératifs ont été imagi- nés...? À quand les conjugaisons, les leçons à la maison, le Vrai travail ? »

Il n'est pas dans notre intention de prendre parti, mais de faire émer- ger, à travers les agissements de Jean, les choix qui leur sont sous- tendus.

Par la création d'espaces de parole et de questionnement (développant l'esprit critique, encourageant à la coopération, valorisant solidarité et responsabilité), par la confrontation des idées, des stratégies voire des connaissances, ne contribue-t-on pas à l'éducation des élèves ? Certes oui,

57. Jean a bien sûr donné son numéro de téléphone aux élèves.

mais la finalité de l'École est-elle seulement d'éduquer ? Est-elle alors uni- quement d'enseigner ? Assurément non !

Comment donc concilier éducation et instruction, éducation et ensei- gnement ?

Peut-on rendre éducative la mission intellectuelle d'instruction de l'École? En d'autres termes, peut-on faire des savoirs scolaires que l'École se doit d'enseigner un objet et un instrument d'éducation ?

1 • UNE VIEILLE GUERRE

Le temps n'est pas à la modération, à la dialectisation. Il est plutôt à la radicalisation des prises de position, à la cristallisation des idées, aux extré- mismes même. L'École n'y déroge guère.

Si tentés seriez-vous de rappeler avec insistance le rôle d'instructeur 38 de l'enseignant, vous devriez provoquer chez certains méfiance voire rejet. À référer l instruction à la transmission unilatérale de savoirs entre un ensei- gnant et un enseigné, il est de bon ton de la récuser : on se dresse alors contre le traditionalisme pédagogique, on prône l'activité des apprenants, on reven- dique des têtes bien faites ; on insiste alors sur ces situations éducatives39 et autres activités-projets largement tournées sur la Vie visant à développer et à renforcer chez les élèves ces attitudes, ces comportements attendus du citoyen d'aujourd'hui.

Quoique fort louables, ces intentions ne doivent pas nous empêcher d'en pointer les dérives. Quel crédit accorder - toute compassion dépassée - à cet enseignant qui, en mathématiques, faisant voter ses élèves sur des stratégies d'apprentissage, ferait adopter à la majorité des voix ladite stratégie « élue » et l'imposerait à tous comme seule utilisable ? À cet autre qui, par le biais de services coopératifs, transformerait le lieu d'émergence de la loi en un lieu d'application de règlements ? À ce dernier qui, prétextant le débat d'idées, n'animerait en fait que des verbiages stériles ou des discussions pseudo- intellectuelles ?

Au-delà des perversités qu'il faut dénoncer et combattre, l'on se doit de signaler ces méprises.40 À ne pas les prévenir, il serait à craindre tant une perte de sens de la Chose scolaire (l'enfant ne voyant plus où l'on va, sur quels objets porte sa réflexion, les enjeux de son apprentissage

38. Ce terme d'« instructeur » (personne chargée de montrer l'exercice) est tombé de nos jours en désuétude. Simple effet de mode ou prise de position idéologique ?

59. La confection d'un goûter, la préparation d'une classe transplantée, l'organisation d'une visite, l'élaboration de certaines enquêtes, l'accueil des correspondants sont autant d'activités pouvant poursuivre de manière dominante le développement de savoir-être chez les élèves.

40. Un dispositif ne peut montrer sa pertinence qu'en fonction de l'utilisation qui en est faite : combien de stagiaires, à la première vue de l'organisation matérielle et spatiale d'une classe, « cata- loguent » ainsi l'enseignant ? Comme si la présence dans cette classe de ces bons vieux objets sym- boliques (estrade, tables frontales, bureau centraL..) dénotait de ,faclo le sanctuaire de l'instruction ! Tout comme les coins-lecture, les Bibliothèques Centres Documentaires (BCD), etc., ne deviennent que ce que l'on en fait !

scolaire) qu'un renforcement des inégalités (la parole et le pouvoir étant pris par ceux qui osent ou savent déjà).

Si tentés seriez-vous de rappeler avec insistance le rôle d'éducateur de l'enseignant, vous pourriez raviver chez certains la thèse d'une éducation dissociable de l'instruction, préalable ou réitérée, dévolue à la famille ou à des professionnels qualifiés d'« éducateurs »41 et censée préparer ou aména- ger le terrain au cognitif42 : on rappelle que la mission de l'École est bien de mettre les élèves en rapport avec la Connaissance. Apologie faite des nobles vertus, on se dresse contre les errances de ces novateurs et autres pédagos- camarades dans des œuvres pseudo-éducatives au sein desquelles seraient confondus libéralisme et libertarisme, non-directivité et non-intervention- nisme, activité de l'élève et activisme ; on dénonce la prédominance des savoir-être sur les savoirs (voire les savoir-faire), rappelant que la poursuite d'objectifs comportementaux ne peut constituer la seule visée d'activités spé- cifiques instanciées dans le cadre scolaire.

N'est-il pas dès lors à craindre tant un renforcement de la mission d'ins- truction de l'École (considérant l'acquisition des connaissances comme sa seule finalité) qu'un attentisme excluant à l'égard de certains élèves (dévo- luant la part éducative à des instances spécifiques) ?

2 . D'HIER À AUJOURD'HUI Éduquer, instruire...

L'évolution des idées et des courants de pensée en matière d'éducation est instructive d'un mouvement de balancier qui, alternativement, retient l'attention du pédagogue tantôt sur l'un tantôt sur l'autre. « Dans les années post-68 ont prévalu, non pas dans la pratique, mais dans la doctrine péda- gogique, des courants d'inspiration non directive43 (...) critiques de ce qui était alors considéré comme l'hyper-intellectualisme de l'École, comme un culte abusif, voire exclusif, de l'acquisition des connaissances. Or peu à peu, à la fin des années 70, ce mode de pensée a perdu du terrain.44 (...) Dès lors, on a peu à peu vu se développer à nouveau une valorisation des objectifs d'ordre intellectuel et de l'acquisition du savoir, officialisée au milieu des

41. Le terme d'« éducateur » n'est-il pas de nos jours associé à la fonction de celles et de ceux qui se voient confier - partiellement ou non - l'éducation de jeunes enfants, d'adolescents ou d'adultes et spécifique de tâches visant à l'intégration préventive (éducateur pour jeunes enfants) ou la réinser- tion remédiante (éducateur de rue) de ceux dont ils ont la charge ?

42. Le terme « cognitif » est à la mode. Il est parfois opposé à « affectif », « social », « moteur », tantôt référé à la cognition, désignant aussi l'activité d'élaboration de la connaissance (les proces- sus psychiques qui entrent en jeu dans cette élaboration). Son utilisation sans cesse grandissante tend à l'assimiler à un vaste fourre-tout dans lequel chacun puise en fonction de ses besoins et de ses intérêts. Il est vrai que sa définition et ses significations sont problématiques du fait de son ori- gine et de son usage.

43. « (...) qui se réclamaient plus ou moins ouvertement de Rogers, même s'ils ont été reçus dans un sens qui n'était pas nécessairement orthodoxe par rapport aux théories de référence (...). » 44. Cf. la publication, en 1975, de École, classes et lutte de classes de G. SNYDERS, qui comportait une critique très forte de la non-directivité.

années 80 et suivantes lorsque M. Chevènement était ministre de l'Éduca- tion nationale. La fonction de l'École, soutint-on vigoureusement alors contre une certaine manière d'entendre la non-directivité, c'est d'apprendre à lire, écrire et compter ; ce n'est pas de se disperser ou de se distraire en activités subalternes. »45

Comment l'Institution se positionne-t-elle aujourd'hui ?

Face aux attaques dont l'École est l'objet - y compris en son sein même46-, l'Institution réaffirme et insiste sur la mission d'instruction de l École ; en témoignent les programmes officiels47 (par une limitation et un recentrage de leurs contenus, par une explicitation des savoirs à enseigner) ainsi que les orientations générales données (par u n souci de cohérence et de suivi des apprentissages relevant de la mise en place des cycles).

Mais l'École ne peut surseoir aux exigences de notre société contempo- raine. L'accent porté sur les compétences transversales, la volonté de placer l'élève au cœur des apprentissages et d'inscrire les activités scolaires dans des projets signifiants (projets d'école, de classe), les incitations - quoiqu'en- core timides - à l'éducation cognitive par le développement de l'activité de réflexion accompagnant les acquisitions (études dirigées, pratiques méta- cognitives, etc.) sont autant d'injonctions institutionnelles accréditant la thèse d une indispensable éducation sociale et intellectuelle des apprenants assurée par et dans l'école.

3 . ESSAI DE DIALECTISATION

Comment l'École peut-elle éduquer en instruisant... et instruire en éduquant48?

À la recherche de conditions censées favorisantes, certains préconisent l'accroissement de l'hétérogénéité des élèves (classes multi-âges), d'autres l'instanciation de fonctionnements originaux (pédagogies institutionnelles et coopératrices, pratiques de tutorat), d'autres l'ouverture de l'École (pédago- gies de projets, classes culturelles...). Tous agissent pour « mieux comprendre la question du rapport au savoir et la question du rapport à la loi des élèves. »49

Mais, au-delà des dispositifs et des fonctionnements, n'y aurait-il pas aussi - et peut-être d'abord - dans l'objet de savoir tout comme dans l'ac- tivité d'apprentissage occasions d'éducation ? Certaines bonnes vieilles leçons ne pourraient-elles pas devenir aussi éducatrices que les meilleurs des exercices ?

45. Guy AVANZINI, conférence à l'IUFM de Lyon sur « Les pédagogies de la médiation », février 1996.

46. Les évaluations « médiatisées » semblant attester qu'un grand nombre d'élèves ne savent ni lire ni écrire à leur entrée en 6", les propos polémiques sur le nombre sans cesse grandissant d'élèves en difficulté, les plaintes d'enseignants qui déclarent recevoir des élevés qui n'ont rien appris aupa- ravant, les affirmations de certains pédagogues annonçant que la première leçon que les élèves tirent de l'École, c'est la confusion.

47. Brochure Les Cycles à l'école primaire, CNDP, Éd. Hachette, Paris, 1991.

48. N'est-ce pas cette interrogation fondamentale qui nourrit originellement les débats actuels sur compétences et connaissances, apprentissage et enseignement, exercice et leçon, école maternelle et école élémentaire ?

49. M. DEVELAY, Donner du sens à l'école, Éd. ESF, Paris 1996, p. 117. 33

Amener l'apprenant à réfléchir en exerçant ses activités de pensée sur la prise de conscience des stratégies et autres procédures de résolution des tâches, sur la nature et l'histoire des savoirs en jeu, sur les liens et les rela- tions entre les phénomènes, entre les disciplines..., sont autant des occa- sions d'éducation (pratique de l'effort intellectuel, développement de la motivation intrinsèque, distanciation...) que les moments de tutorat entre pairs, de conseils de coopérative ou autres projets de classe. Il reviendrait dès lors à tout enseignant-éducateur (personne intervenant sur un dévelop- pement pour le faciliter) de « s'interroger, à travers les contenus d'ensei- gnement d'une discipline donnée, à propos de l'éducation qu'ils facilitent au regard de l'instruction qu'ils dispensent ».50 Ainsi pensé, l'ancrage réflexif sur des savoirs à enseigner51 devrait contribuer à éviter les pertes d'horizon, de cap, reprochées maintes fois à certains enseignants.

Puisse l'École - ce lieu d'instruction et d'éducation -, voir œuvrer en son sein ces enseignants « néo-directifs émancipateurs »52 qui, en organisant l'environnement pour le rendre éducatif, imposeront à leurs élèves ces ren- contres libératrices !

50. M. DEVELAY, Donner du sens à l'école, op. cit., p. 25.

51. On peut rapprocher cette intention d'une lecture des Instructions Officielles (10) dans Les Cycles à l'école primaire, op. cit., p. 51 : « L'élève sera capable de comprendre et de respecter, à l'école et hors de l'école, les règles de vie qu'auront développées l'éducation à l'environnement, l'éducation à la santé, à la consommation, à la sécurité. Ces domaines, qui ne sauraient être érigés en disci- plines, sont abordés dans le cadre de plusieurs champs disciplinaires, notamment en sciences, his- toire, géographie, EPS, éducation civique. » On peut bien évidemment supposer que d'autres disci- plines sont concernées !

52. Ch. HADJI, « Éducation et développement cognitif : le temps de l'espérance », in Pédagogies de la médiation, Éd. Chronique Sociale, Lyon, 1990, p. 65.

5. S'EXERCER...

à partir de dossiers personnels

Vous parlez d'une mise en commun de travaux d'élèves au cours et au terme de laquelle Madame C. semble apporter le même intérêt (à tous ces travaux) sans souci de discrimination.

«mm Le jury vous propose ces 3 questions

1 - Se centrer sur l'élève : quel choix de pratiques pédago- giques en résulte ?

2 - Pour vous, l'école a-t-elle à s'adapter aux enfants ? 3 - Peut-on concilier le respect dû aux enfants avec la volonté propre à l'école de les élever ?

«mm Pistes de réflexion

1 - Demandez-vous, par rapport au débat (éducation en rupture ou en continuité avec la nature) quelle représentation de l'enfance inspire le choix d'une pédagogie centrée sur l'élève.

2 - Prenez en compte les dérives auxquelles peut conduire l'idée d'une éducation exclusivement centrée sur l'apprenant (ou l'inverse).

3 - Cherchez à éviter les deux extrêmes que représentent une école ne prenant pas en compte l'enfant tel qu'il est et une école qui, le sacralisant, l'abandonne à son état d'enfance.

*

Vous parlez du rituel de la feuille quotidienne d'inscription de vos élèves au repas du restaurant scolaire... un élève étant chargé du métier de responsable de cantine.

mmm Le jury vous propose ces 3 questions

1 - En quoi la mise en place d'un rituel scolaire (appel du matin, gestion des élèves déjeunant à la cantine, service météo...) permet-elle l'apprentissage de la socialisation ?

2 - L'apprentissage de la socialisation à l'école doit-il être uniquement référé à l'acquisition de « savoir-être » ?

3 - L'éducation est-elle pour l'école une mission prioritaire ?

- Pistes de réflexion

1 - Demandez-vous ce qu'est un rituel scolaire et donnez- en des exemples. Cherchez en quoi ces rituels peuvent per- mettre à l'enfant d'apprendre à prendre du recul par rapport à son affectivité, en quoi cette prise de recul construit l'être social de l'enfant.

2 - Par rapport au débat instruction/éducation, prenez en compte le risque que représente pour l'école le « décrochage » de situations éducatives décentrées des apprentissages scolaires.

5 - Demandez-vous pourquoi cette mission d'éducation paraît revenir aujourd'hui à l'école. Interrogez-la par rapport à la mission traditionnelle d'instruction. Complétez votre réflexion à l'aide des apports du chapitre « Le citoyen » et de la partie II.

*

Vous parlez d'une maîtresse qui incite à la pratique du

« tutorat » entre enfants.

s™® Le jury vous propose ces 3 questions 1 - Qui tire bénéfice de ce tutorat ?

2 - La pratique du tutorat a-t-elle une incidence sur les apprentissages scolaires ?

3 - Peut-on dire - et dans quelles limites - qu'une école qui éduque, instruit aussi ?

mmm Pistes de réflexion

1 - Faites la distinction entre « tuteur » et « tutoré » et inter- rogez-vous sur ce que l'un et l'autre retirent de cette pratique du tutorat.

2 - Interrogez-vous sur les objets et les registres qui réfèrent à ces pratiques. N'oubliez pas qu'elles peuvent avoir une visée d'instruction.

3 - Reportez-vous à la controverse instruction/éducation et recherchez ce qui peut permettre d'en dépasser l'opposition.

L'enseignant se doit-il d'être un éducateur ?

Sur quelles valeurs peut-il fonder son enseignement ? Lui faut-il connaître l'enfant pour apprendre à l'élève ?

Face à ce qu'on appelle 1'« échec scolaire », que peut-il faire ?, etc.

Cet ouvrage permet d'entrer dans les questionnements qui, aujourd'hui plus que jamais, interpellent l'enseignant dans l'exercice de son métier.

D'une organisation originale, ce livre est animé par le souci permanent d'implication du lecteur et de mise en lien des apports théoriques et des outils pratiques. Il vise par là à montrer qu'il ne saurait y avoir d'opposition entre la construction d'une pratique réflexive

et l'exercice efficace du métier d'enseignant.

Cet ouvrage n'est pas seulement un outil de formation initiale (destiné aux étudiants préparant le CPRE*) ;

il est aussi une aide précieuse à la formation continue des enseignants.

Bruno Barthelmé est maître de conférences de philosophie à l'IUFM de Lyon ; Marc Prouchet est professeur d'école et maître-formateur à I'IUFM

de Lyon également.

* Concours de Recrutement de Professeur des Ecoles

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