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Des nombres en noms : représentation linguistique en français et en anglais

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français et en anglais

Bertrand Richet

To cite this version:

Bertrand Richet. Des nombres en noms : représentation linguistique en français et en anglais. Res

per Nomen II, May 2009, Reims, France. pp.387-401. �halshs-00661987�

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Des nombres en noms :

Représentation linguistique en français et en anglais

Bertrand Richet

Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle Bertrand.Richet@free.fr

Résumé / Abstract

Le nombre concentre projection sur le réel d’un même et perception d’une pluralité. Objet culturel (on ne pense pas identiquement le nombre dans les langues) et représentation abstraite à vocation universelle, il est un élément discret et fondamental du discours. Nous examinerons les formes d’intégration linguistique du nombre, des préfixes comme tri- ou hémi- aux noms de nombres précis (cent, thousand). On étudiera le lien entre degré de complexité du nombre et variété formelle en représentation pour tenter d’expliquer les formes linguistiques particulières des deux extrêmes du spectre de 1 à l’infini.

Number is the combination of a projection of sameness upon the world and the perception of plurality. A cultural object (as shown by the fact that number is not conceptualised identically in all languages) as well as an abstract form of representation aiming at universality, number is a fundamental element of discourse that somehow goes unnoticed. We shall examine the forms of its linguistic integration, from prefixes such as tri- or hemi- to precise number nouns (cent, thousand). More specifically we shall study the link between the complexity of number and the variety of its represented forms in an effort to explain the specific linguistic forms encountered at both ends of the 1-to-the-infinite spectrum.

Introduction

Tout a commencé par une note, l’équivalent en anglais britannique de notre quadruple croche, cette poussière de musique qui doit son nom français à l’alignement des crocs qui en ornent la queue. Au lieu d’une logique quadruple quaver, d’une quadri- ou quatra- ou tetra- ou encore fourth- quaver, le mélomane outre-Manche se voit imposer l’extraordinaire hemidemisemiquaver, combinaison de trois préfixes diviseurs. Son homologue américain dispose lui d’une formule simple, rationnelle, avec la sixty-fourth note, sixième division de la ronde, plus facile à manipuler par les amoureux des puissances de 2.

Si la musique est un lieu privilégié de l’apparition des nombres en sa qualité d’organisation fractionnée du temps, ce n’est pas le seul et l’examen des ressources lexicales des langues est très instructif. Nous nous proposons d’explorer ici

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deux domaines après une réflexion sur les raisons de l’apparition des nombres dans le lexique, d’une part les modalités d’intégration des nombres, de la composition nominale à la préfixation et, stade ultime de cette intégration, l’effacement de la dimension numérique, d’autre part les réalisations contrastives du nombre dans deux langues, le français et l’anglais, à travers l’analyse d’un corpus bilingue fondé sur la dernière édition du Robert & Collins.

1. Nombre et représentation du monde

Thomas Crump, dans Anthropologie des nombres, évoque dans une note deux peuples de Zambie, les Bembas et les Bantous

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, et souligne que les premiers « ont peu d’intérêt pour les grands nombres,

1 Dans un article de la revue Cercles, nous avions examiné la présence des cardinaux et ordinaux dans le British National Corpus et dans les dictionnaires, uniquement sous forme de morphèmes libres. Voir Richet 2005.

2 En fait, les Bembas sont une ethnie bantoue.

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contrairement aux Bantous, possesseurs de bétail » (Crump 1992 : 68). Posséder du bétail implique d’être en mesure de compter les animaux lors de transactions commerciales ou simplement pour s’assurer au quotidien qu’aucun n’est perdu ou mort. Les variations observées d’une langue à l’autre dans des contextes socio-économiques et culturels éloignés du monde occidental

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suggèrent que loin d’être un absolu, le nombre, tout comme, peut-être, les mathématiques

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, est le produit pragmatique d’une interaction avec le monde dont la langue, comme système de représentation, se fait l’écho.

Qu’est-ce qui justifie au départ l’apparition conjointe d’un objet et d’une forme de quantification ? Qu’est-ce qui justifie, au delà, l’intégration du nombre dans le signe lui-même ? Le rapport que nous entretenons au monde se fonde sur un jeu entre analyse et synthèse, séparation et réunion des expériences et des choses, à partir de l’observation ou de l’imposition de formes de similarité et de dissimilarité. Transcendant les variations de surface des objets, qui leur confèrent leur singularité essentielle, nous construisons une référence plurielle et une forme de détermination va accompagner ce rassemblement d’entités par des articles ou des quantificateurs variés, dont les adjectifs numéraux.

Le nombre est alors à considérer comme extérieur à l’objet, même si son existence trouve son origine dans la perception des caractéristiques récurrentes de celui-ci lorsqu’il apparaît en plusieurs exemplaires. Un processus similaire au multiple est à l’œuvre en cas de fractionnement, par projection interne plutôt qu’externe d’un principe d’homogénéité. Les fractions, comme les entiers naturels, connaissent une représentation diverse, d’une langue à l’autre, fort logiquement

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, mais aussi d’un individu à l’autre, notamment en termes d’acquisition du langage chez l’enfant.

Pour Ellen Bialystock et Judith Codd par exemple : « The concept of fractions and the ability to produce a notational representation for fractions is obviously a later development than the corresponding achievements with whole numbers and even zero » (Bialystock & Codd 2002 : 119).

La récurrence des opérations de combinaison / segmentation associée de manière stable avec des entités aboutit, à l’échelle du développement de la langue, à l’intégration progressive des caractéristiques d’essence numérique attachées aux objets et, partant, aux moyens linguistiques employés pour les représenter

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. Ainsi, les deux lits qui contextuellement meublent une chambre d’hôtel la transforment en chambre à deux lits avant d’en faire une chambre double. Quant à un ruban adhésif dont les deux côtés sont traités, il sera dit double face et, finalement, biface. C’est à la fois la diversité des morphèmes marqueurs de nombre, les modalités de leur sélection et leur effet sémantique qui seront l’objet d’étude de la prochaine partie.

2. Morphologie numérale

2.1 La diversité des formes

Nous parlerons du français mais ce qui suit s’applique aussi à l’anglais. Les marqueurs de nombre se divisent en trois catégories, les numéraux cardinaux (deux, trois, etc.) et ordinaux (premier, cinquième, etc.), les multiplicateurs et diviseurs comme morphèmes libres (double, moitié, etc.) et les morphèmes liés (tri-, hémi-, etc.). À la différence des deux autres, la troisième catégorie se caractérise par une grande variété formelle

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dont le tableau suivant rend compte. Dans la colonne Type, la lettre M signifie Multiple et F signifie Fraction.

3 Notre monde occidental est, lui, particulièrement friand de chiffres, d’opérations et de résultats.

4 Voir à ce propos Matière à pensée, le passionnant dialogue entre le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux et le mathématicien Alain Connes portant, entre autres choses, sur la question de savoir si l’objet mathématique existe indépendamment du cerveau de l’homme.

5 Ainsi la langue des Indiens Chamulas du Mexique, le tzotzil, ne possède qu’une fraction, qui exprime la moitié (Crump 1992 : 146).

6 Les formes de marquage varient d’une langue à l’autre. Ainsi, le kham, une des langues du Tibet, intègre normalement la quantification sous forme de préfixe. Voir Watters 2002 : 189 pour plus de détails.

7 L’ordinal de rang 2 est une exception, avec la co-existence de la forme régulière deuxième et de second, qui signifie

« celui qui vient après, qui suit ». Ce n’est pas le seul cas où la forme d’un nom est d’essence définitoire, même si la

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Nb Type Préfixes

1 - Mono-, Prim-, Sing-, Soli-, Uni-

2 M Ambi-, Bi-, Deuter-, Di-, Duo-, Duplo-, Géme-, Stéréo- F Amphi-, Demi-, Hémi-, Médi-, Méso-, Mi-, Semi-

3 M Tri-

F Ter-, Tier-

4 M Cart-, Quadra-, Tétra- F Quart-

5 M Penta-, Quinqua-, Quint- 6 M Hexa-, Sext-, Se- 7 M Hepta-, Hebdo-, Sept-

8 M Octo-

9 M Nova-, Nona- 10 M Déca-

F Déci-

12 M Dodéca-, Duodéci- 100 M Cent-, Hecto-

F Centi- 1000 M Mille-, Kilo-

F Milli-

Etc. M/F Méga-, Micro-, Nano-, Pico-, etc.

On note que la richesse formelle est variable en fonction du nombre considéré et que la diversité est parallèlement due, en partie, à l’origine étymologique des préfixes.

Commençons par cette deuxième caractéristique. Le plus souvent coexistent des préfixes d’origine grecque (Amphi-, Tétra-, Hecto-, etc.) et d’autres d’origine latine (Semi-, Quadra-, Centi-, etc.). Le phénomène n’est pas limité aux nombres mais couvre l’ensemble du lexique français (il suffit pour s’en convaincre de comparer Sympathie et Compassion). L’exploration du corpus nous dira s’il existe des différences sémantiques ou de registre.

La richesse formelle est surtout visible pour 1 et 2 et la double origine grecque et latine ne suffit pas à l’expliquer. Elle tient en fait à la spécialisation du préfixe et, par extension, aux raisons pour lesquelles le nombre à l’arrière-plan est employé. L’examen de 1 est peu probant car par delà la donnée numérique factuelle et la différence entre ordinal et cardinal (qui permet de séparer Prima- du reste), c’est la valeur contrastive de 1 qui est surtout mise en avant, avec la différence entre l’attendu et l’effectif : un véhicule monoplace, un cavalier solitaire et un organisme unicellulaire ont en commun de sortir de l’ordinaire, dans tous les sens du terme, c’est-à-dire de mettre en avant leur singularité qualitative et quantitative.

2 est plus intéressant car, outre la distinction entre multiple et fraction, il met en avant la nature de la relation entre les éléments rassemblés. Le multiple latin bi- et le grec di- sont indicatifs (à l’image de Bicolore / Dichromatique), duo- et ambi- soulignent la présence d’un « deux » à la place du

« un » attendu (Dualité, Ambiguïté), duplo- marque la répétition à l’identique à partir d’une base unique (Duplicata) tandis que géme- (et son équivalent jume-) pose la répétition comme fondement caractéristique de l’objet (Jumelles). Enfin, stéréo- s’emploie plutôt pour des réalités à la fois parallèles et indépendantes (Stéréophonie).

Pour les fractions, on distingue ce qui est coupé en deux (Amphithéâtre, Hémisphère), ce qui n’a pas les qualités requises par un objet complet (Demi-portion, Semi-liquide), ce qui se place dans un entre- deux (Médiéviste, Mésoderme) ou ce qui est centré (Mi-Carême, Minuit).

Au delà de 2, les choses sont plus simples : le thème de la série prend le pas sur l’unité (avec 1) et l’association (avec 2). Les objets s’alignent et la récursivité des nombres peut se mettre en place,

chose est rare. Les noms de nombre anglais pour 11 et 12, eleven et twelve, signifient « one left » et « two left », c’est-à- dire ce qui reste au delà de la base dix (voir Danon-Boileau 1993 : 118-119).

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celle-là même qu’on trouve dans la définition des nombres dans le dictionnaire (« Quatre : qui vient après trois », « Cinq : qui vient après quatre », etc.).

2.2 Représentation statistique

Considérons la répartition des formes à composante numérique (plus seulement les préfixes). Les chiffres ont été établis à partir des mots français relevés dans la huitième édition du Robert &

Collins, qui date de 2006. Nous séparons chaque mot. Ainsi Monarchie, Monarchiste et Monarchisme comptent pour trois. Les nombres sont regroupés au delà de 4.

Tranches Mots % Tranches Mots % Tranches Mots %

1 344 18% 10-19 81 4% 100-999 36 2%

2 722 37% 20-29 13 1% 103 58 3%

3 204 11% 30-39 10 1% 106 122 6%

4 149 8% 40-49 11 1% 109-∞ 21 1%

5-9 132 7% 50-99 27 1% Total 1930 100%

Les trois premiers nombres regroupent les deux tiers des mots et les quatre premiers couvrent les trois quarts du total. Dans cet ensemble, 2 compte la moitié des occurrences, ce qui n’est pas surprenant au vu de la variété des relations que code la binarité. Plus généralement, ces nombres élevés sont autant la conséquence d’un système de représentation qui favorise la simplicité que d’une simplicité initiale du monde lui-même.

Prenons l’exemple de Latéral. Dès qu’une chose, réelle ou conceptuelle, a un côté, c’est qu’elle en a au minimum un deuxième

8

. Unilatéral est perçu comme une anomalie tandis que Bilatéral rétablit l’équilibre dans un monde binaire. Trilatéral complexifie le schéma mais celui-ci reste accessible.

Au delà en revanche, Quadrilatéral (absent du R&C) perd son sens de relation entre parties pour se concentrer sur le décompte de côtés. Il en va de même des exotiques Pentaléral et Hexalatéral, d’un emploi particulièrement rare

9

. Si on veut conserver le sens de mise en relation des éléments constitutifs du groupe, c’est Multilatéral qui la prendra en charge en délaissant au passage un décompte devenu fastidieux.

De même, il y a plus de différence visible (et représentée) entre une plante à trois feuilles, dite trifoliée, et un trèfle à quatre feuilles, qu’entre deux plantes comportant un nombre plus élevé de parties. Comme le soulignent Stanislas Dehaene et Jacques Mehler (1992 : 15),

Numerical regularities in the environment seem to be incorporated in language only if they concern a small enough numerosity. For instance, we have number-prefixed words for plants or flowers with three leaves […], but not for many other plants or flowers with a fixed but large number of leaves and petals.

Revenons au tableau. Après le creux des dizaines, la remontée dans les quatre dernières tranches est moins due à l’étendue du spectre couvert (les nombres intermédiaires ne sont pas productifs) qu’à la présence de préfixes actifs, comme Kilo- (10

3

), Méga- et Micro- (10

6

), qui, pour les deux derniers, sont souvent employés avec un sens non mathématique. Mégatonne et Micron remplissent leur fonction mais pas Mégaphone ni Microbrasserie, qui n’entretiennent avec leurs radicaux qu’un approximatif rapport de grandeur. On retrouve, à une autre échelle, le phénomène observé avec le paucal, souvent fondé dans les langues sur les nombres 3 ou 4, mais aussi avec les nombres censés représenter l’infini (36, 40, 50, 1001, etc.), qui n’ont plus de valeur numérique factuelle précise

10

.

8 Ce qui explique pourquoi Half, qui désignait au départ « côté », en est venu à signifier « moitié ».

9 La Toile se révèle un bon outil pour dégager des tendances. Les composés de Latéral en Uni- et Bi- comptent 342 000 et 565 000 occurrences dans une recherche sur Google, Tri- culmine à un peu plus de 30 000, Quadri- est à moins de 9 000, Penta- aux alentours de 250 et on ne trouve que deux exemples de Hexalatéral.

10 La place nous manque pour l’étude des groupes non numériques (pléthore, flopée, etc.), très intéressants.

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2.3 Univers formels et sémantiques

La représentation du nombre dans les mots comprend les morphèmes liés, les cardinaux (un moteur deux-temps), les ordinaux (un nombre premier), les multiples (un triple-sec) et les fractions (démarrer au quart-de-tour), qui se retrouvent en concurrence. Les recouvrements abondent mais il est possible de dégager des tendances. Par manque de place, nous limiterons notre analyse aux avatars fractionnels et multiples de 2, pour un total de près de 700 mots (les occurrences ordinales ne sont pas prises en compte ici) répartis comme suit :

Multiple Mots % Fraction Mots %

AMBI 15 4% AMPHI 6 2%

BI 128 34% DEMI 101 34%

DEUTER 1 0% HÉMI 10 3%

DEUX 49 13% MEDIA 28 10%

DI 38 10% MÉSO 9 3%

DOUBLE 95 25% MI 58 20%

DUO 13 3% MOITIÉ 24 8%

DUPLO 14 4% MOYEN 28 10%

GEME 19 5% SEMI 29 10%

STÉRÉO 10 2%

Total 382 100% Total 293 100%

Pour les multiples comme les fractions, deux formes latines (Bi- / Double et Demi- / Mi-) produisent plus de la moitié des mots. Les préfixes grecs, peu productifs, se concentrent dans le discours spécialisé, comme Di- par rapport à Bi- et Méso- par rapport à Média-. L’âge des mots n’influe pas, au sens où Bicyclette n’est pas plus un mot latin que Diacide n’est grec. Mais l’invasion latine a laissé plus de traces quotidiennes de son passage et, d’une certaine manière, le grec, et les ressources linguistiques qu’il propose, a maintenu ses distances avec ce quotidien, pour demeurer le point de départ de formes plus savantes.

A contrario, Deux compte pour moins d’une occurrence sur huit

11

. Son statut d’adjectif limite son potentiel d’association à la combinaison « deux + Nom » alors qu’un préfixe comme Bi- peut initier un adjectif (Bissectrice), un nom (Bilame) ou un verbe (Bifurquer). En revanche, alors que les formes lourdes soulignent l’aspect numérique du mot, les préfixes autorisent un allègement qui peut aller jusqu’à rendre inaperçu cet aspect. Quel locuteur voit un nombre dans Ambition, Biscornu ou Diode ? Ce phénomène, marginal, s’observe, et pas seulement pour le nombre 2, à l’instar de Décimer, dont le sens moderne a presque entièrement fait oublier qu’il signifiait au départ « tuer un dixième d’un groupe ».

3. Étude contrastive français-anglais

Allons maintenant voir au delà du français pour voir si la variété observée se retrouve dans la langue anglaise et dans les équivalences proposées par le dictionnaire bilingue de référence qu’est le Robert & Collins. Pour établir le tableau ci-dessous, nous avons rassemblé les mots qui, au départ (F pour Français) et/ou à l’arrivée (A pour Anglais), comportaient un élément numérique, ce qui n’est pas toujours le cas (ainsi, l’un des sens de Doublure est Lining tandis que Borgne donne One-eyed), d’où la présence du code XX pour désigner les formes non-numériques. Nous avons fonctionné par tranches à partir de 5 (cette première tranche allant de 5 à 9), pour limiter le nombre de colonnes et de lignes.

F\A XX 1 2 3 4 5 10 20 30 40 50 100 103 106 109 Total

XX 90 122 12 28 13 6 1 4 1 4 281

1 32 307 2 1 2 344

2 96 3 615 3 1 4 722

11 Nous verrons dans la partie suivante qu’il existe cependant une différence entre français et anglais.

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3 20 1 1 174 6 1 1 204

4 23 1 3 1 119 1 1 149

5 12 1 5 111 1 130

10 2 1 1 76 1 81

20 3 1 9 13

30 2 7 1 10

40 2 9 11

50 29 29

100 1 35 36

103 7 1 50 58

106 7 115 122

109 21 21

Total 207 403 750 190 155 127 87 10 8 10 31 42 51 119 21 2211

Considérons la diagonale qui fait se correspondre les tranches identiques dans chaque langue. Si on compare la somme des mots de cette configuration (soit 1675) au total général (amputé des 488 occurrences comportant un XX au départ ou à l’arrivée), on arrive à 97% de ce total. En d’autres termes, lorsqu’il y a présence dans les deux langues, les mots restent de même nature numérique, ce qui n’est pas surprenant pour deux raisons, d’une part l’existence d’emprunts d’une langue à l’autre, d’autre part la réalité extralinguistique identique et, partant, une perception logiquement semblable (Trident devenant ainsi Three-pronged fork).

Deux phénomènes méritent qu’on s’y intéresse : la diffusion et l’effacement. Par diffusion, nous entendons les variations de nombre dans une langue à partir d’un ensemble homogène dans l’autre langue. Par exemple, outre les 119 mots de type 4 que l’on trouve en français et en anglais, on remarque la présence d’un First time pour rendre le Quart-de-tour (quand il s’agit de démarrer), on retrouve notre quadruple croche transformée en sixty-fourth note et la quadratic equation n’est plus que du second degré, même si la relation entre 2 et 4 est intime

12

. Ces variations sont marginales et se concentrent autour des petits nombres (l’impression de nuage en haut à gauche du tableau).

Les mots concernés par cette variation appartiennent à deux catégories, soit ils renvoient à une classification culturelle spécifique, à l’instar des grades militaires (First mate pour Second par exemple) ou civils (comme les niveaux scolaires, avec First form pour Sixième), soit ils correspondent à deux visions complémentaires du monde. Alors que Trimestriel et Semestriel sont fondés sur la multiplication d’une unité de rang bas, Quarterly et Half-yearly font appel au fractionnement (de même que Midlife crisis par rapport à Crise de la quarantaine) tandis que les variantes anglaises Once a term et Biannual partent de la multiplication avec une unité de rang supérieur. On peut d’ailleurs observer le phénomène inverse avec Midi comme équivalent de Twelve o’ clock.

L’effacement est statistiquement plus conséquent (9% des mots français et 13% des mots anglais

« finissent » en XX) et il présente de grandes variations en fonction du nombre, avec une proportion de perte de la marque de nombre qui va jusqu’à 22% pour les mots anglais de base 1 (90 pour un total de 403). On avait vu à l’instant que le borgne effaçait l’unité présente dans one- eyed. Le manchot ne fait pas mieux et prive le bandit du même nom de la référence numérique anglaise (one-armed bandit). Le bouquiniste laisse tomber la deuxième main (secondhand bookseller) tandis que dans l’autre sens les quatre-épices deviennent all-spice et le triple-galop se dit top speed. Il y aurait d’ailleurs lieu d’étudier en détail les formes non numériques qui constituent justement les équivalences observées. Que les faibles nombres soient une fois de plus en première ligne n’a rien de vraiment surprenant : la simplicité des objets décrits (même si le nombre peut permettre de les

12 Elle est historiquement liée à l’association grecque entre calcul et géométrie, la surface d’un carré (4) étant le résultat d’une puissance 2.

(8)

distinguer les uns des autres) et l’intégration sémantique et historique expliquent la possibilité d’une variété de points de vue où le nombre n’est pas la seule forme de caractérisation.

On peut faire remarquer que la diffusion observée est liée statistiquement au nombre d’occurrences des nombres et qu’il est plus logique de constater des écarts sur plusieurs centaines de mots que sur quelques dizaines, écarts qui représentent une faible proportion du total. Cela dit, mis à part Umpteen et Centipede, équivalents respectifs de Trente-six et de Mille-pattes, et les variations de notation musicale, les changements de tranche au delà de 20 sont rares, y compris lorsque le nombre de mots est élevé, comme c’est le cas avec 10

6

(plus de cent exemples).

Si on considère enfin les formes privilégiées, on observe une différence majeure entre français et anglais pour ce qui concerne la place accordée aux numéraux d’origine (Un/One, Deux/Two, Trois/Three, etc.), comme le montre le tableau suivant, limité aux cinq premières tranches :

FR GB

Nb Total % Nb Total %

1 29 252 12% 57 286 20%

2 49 383 13% 81 370 22%

3 21 186 11% 48 162 30%

4 27 94 29% 36 111 32%

5-9 53 117 45% 55 111 50%

Nous n’avons retenu, pour le calcul du total, que les formes cardinales multiples et avons exclu les ordinaux et les fractions. Nb renvoie uniquement au numéral d’origine. On observe que dans les deux langues la proportion de préfixes va en diminuant à mesure que le nombre augmente, ce qui constitue le signe d’une intégration linguistique et représentationnelle moins grande. On note également que le français fait systématiquement plus appel à la préfixation que l’anglais. En fait, l’anglais a tendance à faire plus facilement coexister les deux formes (à l’image de la paire Two- colour/Bicolour), la première appartenant à un registre plus courant et la seconde étant plus technique, ce qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement général de l’anglais, entre composition et préfixation, fonctionnement hérité de son histoire complexe, entre influences latine et germanique.

Conclusion

Fractionnement et multiplication sont le prolongement mathématique de l’analyse et de la synthèse, deux mouvements complémentaires de création et/ou de reconnaissance de l’unité, deux formes de jeu avec l’homogénéité et l’hétérogénéité du monde et de sa représentation. Dès lors, la présence du nombre dans le lexique, au delà ou en deçà de la forme secondaire de quantification que constitue la détermination numérique, n’est pas une surprise. Cristallisation définitoire et contrastive de l’objet considéré ou réutilisation métaphorique de la puissance évocatrice du nombre à fin de description impressive du réel, l’insertion des morphèmes numéraux, libres ou liés, parcourt les langues et nous renseigne sur les modes privilégiés d’appropriation du monde, entre objectivité affichée et subjectivité intrinsèque, universalité extralinguistique et contraintes historico-culturelles.

La fréquence et la diversité des formes en présence, intralangue et interlangue, avec une diffusion

qualitative et quantitative manifeste entre 1 et 5, soulignent le fait que, paradoxalement, la

complexité n’est pas à chercher du côté des nombres élevés mais des faibles nombres. En lieu et

place de l’accumulation, qui n’est qu’une variante verticale de la linéarité, on trouve la richesse

remarquable des combinaisons relationnelles restreintes, où l’objet existe pour ce qu’il est mais

aussi pour ce qu’il n’est pas et que ses voisins immédiats sont, entre essence, complémentarité et

contraste. À ce titre, les variations observées entre français et anglais constituent des indices du

caractère mouvant de cette forme de représentation, qu’il s’agisse du glissement d’un nombre à

un autre ou du choix privilégié d’un morphème plutôt que d’un autre, que d’aucuns auraient pu

décrire par le passé comme signes du « génie de la langue ».

(9)

Bibliographie

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