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Comment ce poème traduit-il la "double postulation" vers le ciel et vers l'enfer qui structure les Fleurs du Mal?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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La cloche fêlée : Introduction :

"La cloche fêlée" se situe dans la section "Spleen et Idéal" des Fleurs du malde Charles Baudelaire. Il est le 74 ème poème de l’œuvre et précède les quatre poèmes du "Spleen".

Le poème se présente sous la forme d'un sonnet en alexandrins. Le premier et le second quatrains sont en rimes croisées (abab), le premier et le second tercet, en rimes suivies (ccddee) Il épouse le mouvement intérieur d'une rêverie dont l'élément déclencheur est le "chant" des cloches en hiver.

L'âme du poète éprouve le contraste douloureux entre l'impression

"religieuse" produite par le chant des cloches et son propre sentiment de faiblesse et d'impuissance.

Comment ce poème traduit-il la "double postulation" vers le ciel et vers l'enfer qui structure les Fleurs du Mal ?

Nous étudierons dans une première partie la rêverie du poète, puis l’impression "religieuse" produite par le chant des cloches et enfin le passage d’un sentiment d’enlisement et de faiblesse à une vision de cauchemar.

I. La rêverie du poète

La première strophe est rédigée au présent de vérité générale (présent gnomique) : "il est amer et doux…" Le poète évoque le sentiment mêlé ("amer et doux") que l'on peut éprouver à se remémorer le passé, assis près d’un bon feu de bois. 

Les verbes à infinitif : "écouter", "s'élever" – évoquent la réalisation imaginaire du désir.  Le poète se projette mentalement dans une situation rêvée, idéale. Les infinitifs soulignent la valeur intemporelle et durative du procès.

Le verbe "écouter" peut surprendre s’agissant de souvenirs. On "n’écoute pas" des souvenirs, on les évoque ou bien ils surgissent d’eux-mêmes. La mémoire est ici involontaire : les souvenirs sont déclenchés par "le bruit des carillons" auquel ils s’associent, c’est pourquoi le poète dit qu’il les

"écoute".

Ils sont à la fois  "doux" et "amers" car ils se détachent des moments heureux qui ne reviendront plus ("lointains"). Noter le jeu sur les consonnes liquides : "Les souvenirs lointains lentement s'élever"  et l’allitération sur l'occlusive bilabiale : bruit/brume.

Cette première strophe est organisée autour de sensations auditives :

"écouter", "le feu qui palpite et qui fume", "le bruit des carillons". Les cloches sont utilisées comme des instruments de musique, organisées en carillon : un ensemble d'au moins quatre cloches (quadrillon) couvrant tout ou partie de la gamme.

La première syllabe du mot "carillon" porte l’accent tonique du vers, tandis que l’allitération des plosives ("p") et des labiales ("f") ("qui palpite et qui fume") produit une "harmonie imitative" qui fait littéralement "entendre" les

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craquements du feu de bois qui chantille, personnifié dans le verbe

"palpiter" qui l’assimile à un cœur humain.

Cette première strophe est construite par ailleurs sur une opposition entre l’intérieur et l’extérieur. L’intérieur : la maison où se tient le poète. La maison est un motif récurrent chez Baudelaire, associée aux thèmes de la chaleur, du confort, de la rêverie. L’extérieur : les nuits d’hiver, le bruit des carillons, la brume. Nous avons donc deux éléments "euphoriques" : le feu, les carillons et trois éléments dysphoriques : le froid, la nuit et la brume.

II. Le chant de cloches

La deuxième strophe nous transporte à l’extérieur de la maison dans une dimension verticale et  religieuse : le cocher d’une église. Le poète envie la cloche "au gosier vigoureux" qu’il qualifie de "bienheureuse".

"Bienheureuse" est synonyme de "sainte", mais aussi l'antonyme de

"malheureux" et de "maudit" (damné). Le poète maudit, fatigué et malade envie la cloche multiséculaire, mais toujours alerte et bien portante.

Les cloches rythment la vie quotidienne tant profane que sacrée : matines, angélus, messe, vêpres, mariage, baptême, enterrement… Comme le dit le poète, "elles jettent fidèlement leur cri religieux".

Le dernier vers "Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente" a été diversement interprété et parfois critiqué. On peut le comprendre de la manière suivante : le battant de la cloche est comparé à un soldat qui veille sous la tente. Le motif de la tente étant suggéré par la forme de la cloche. A l’époque de Baudelaire, les tentes militaires avaient la forme de cloches et on parle encore dans les pays anglo-saxons de "Belt Tent".

La musicalité du poème provient d'un jeu savant sur les assonances et les allitérations : assonance sur la voyelle "o" : cloche/gosier, assonance sur la voyelle "i" : Bienheureuse/gosier/vigoureux/qui/vieillesse - "cri religieux"

(religieux = diérèse :  re-li-gi-eux), allitération sur l'occlusive dentale "t" : alerte/bien portante/jette, allitération sur la fricative labiodentale

"v" : vieux/veille

III. Du spleen au cauchemar

La strophe est dominée par le champ lexical du "spleen" qui s’abat brusquement sur l’âme du poète : "fêlée", "ennuis", "froid", "nuits",

"affaiblie". Le poète compare "l’âme vigoureuse, alerte, bien portante et fidèle" de la cloche à son âme à lui qu’il qualifie de "fêlée".

Au gosier vigoureux de la cloche s’oppose le manque d’inspiration, l’impuissance poétique, l’impossibilité d’écrire, à la vieillesse "alerte et bien portante" de la cloche s’oppose la fatigue et la maladie du poète, à la fidélité religieuse de la cloche s’oppose la conscience du péché.

Le mot "ennui" (lorsqu’en ses ennuis) renvoie aux multiples difficultés que connut Baudelaire : conflits familiaux, difficultés financières, démêlés judiciaires avec la publication des Fleurs du Mal, mais aussi la maladie

"métaphysique" dont il souffrit toute sa vie et qui ne s’explique par aucune cause objective : le sentiment insupportable d’une durée qui ne passe pas, la sensation de solitude, de noir, de froid, l’insensibilité à la nature…

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Voulant "peupler l’air des froids des nuits", le poète s’essaye à écrire. Son chant à lui n’est pas "le cri religieux de la cloche au gosier vigoureux" ni celui d’un "vieux soldat qui veille sous la tente", mais celui d’un soldat blessé et mourant. Et ce cri d'agonie est cela même que nous lisons.

Rédigée au présent de description (ou de caractérisation), les deux derniers quatrains évoquent le glissement d’un sentiment d’enlisement et de faiblesse (le "spleen") vers  une scène  de cauchemar.

Le jeu des assonances et des allitérations contribue à créer ce glissement dysphorique : allitération sur la nasale bi-labiale "m" : "moi mon âme", accent tonique sur le mot  "fêlée", placé de surcroît à la césure de l'hémistiche, jeu sur les diphtongues : "peupler l'air froid des nuits" (eu, oi, u) -  "il arrive souvent que sa voix affaiblie" (ou, oi, ai), jeu sur la sifflante : souvent/sa, jeu sur les labiales et les plosives et accentuation de la fricative uvulaire voisée "r" : "le râle épais d'un blessé, la suite de monosyllabes : "au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts", les assonances : bord/morts - lac/tas, les rimes internes : amer/hiver, ainsi que le jeu sur les sonorités paronymiques des champ sémantiques : morts/meurt.

Le dernier tercet se termine par une hypotypose (description qui parle vivement à l'imagination) qui tire le poème vers le genre fantastique, amplifiée par deux hyperboles : un lac de sang, un grand tas de morts. La multiplication des appositions, le rejet en hyperbate de la relative précédée d'un coordonnant ("Et qui meurt"), disloquent la phrase, en ralentissent le rythme, suggérant la suffocation du soldat blessé, ses vains efforts, son agonie.

Conclusion

Le poème épouse tout d'abord le mouvement intérieur d'une rêverie dont l'élément déclencheur est la sonnerie des cloches en hiver. L'âme du poète constate avec douleur le contraste entre l'impression religieuse, tonique, salubre produite par la sonnerie des cloches et son propre sentiment de faiblesse et d'impuissance.

On glisse donc d'une rêverie euphorique, joyeuse dans les deux quatrains vers une vision d'enlisement et de cauchemar dans les tercets..

Le poème est construit sur une série d'oppositions entre le présent et le passé, l'intérieur et l'extérieur, l'âme bienheureuse de la cloche et l'âme

"fêlée" du poète..

L'hypotypose hyperbolique, la dislocation syntaxique du dernier tercet, la scission médiane ("Moi, mon âme est fêlée")  ne sont pas des défauts de composition, mais des effets volontaires, comme ces "dissonances recherchées" de la musique moderne.

Image même, par sa construction,  d'une cloche fêlée, le poème évoque la

"fêlure" de l'âme, "l'ennui", le spleen, la souffrance de l'âme exilée, mais aussi  l'impuissance, la stérilité, la paralysie de l'inspiration.

L'oxymore "cloche fêlée" est le symbole même de  la double postulation vers le ciel et vers l'enfer qui structure - et déstructure - le recueil des Fleurs du Mal.

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Le Dormeur du val

Vallon : petite vallée, dépression allongée façonnée par un cours d'eau ou un glacier.

Haillons : (origine chiffon) vêtements en loques, guenille.

Un somme : une sieste

Parataxe : juxtaposition de phrase sans mot de liaison exprimant le rapport qui les unit (Il fait beau, je vais me promener)

Métonymie : procédé par lequel un concept un concept est désigné par un terme désignant un autre concept (une fine lame pour un bon escrimeur, il s'est fait refroidir pour il est mort).

Plan

1-Une nature féérique

2-La position inattendue du soldat 3-Une berceuse hésitante

4-Une mort omniprésente Conclusion

Commentaire composé

On a tous appris par cœur à l'école le célèbre sonnet encore bien sage de Rimbaud. Mais derrière ce poème se murmure un cri de révolte contre l'horreur de la guerre, l'assassinat des jeunes soldats, le massacre de toute une jeunesse. Une lente approche dans un vallon ensoleillé conduit peu à peu le lecteur devant une découverte macabre qu'on assimilerait à un sommeil paisible. 

Une nature féerique 

Le premier quatrain dresse un cadre enchanteur dans une féerie de couleurs et d'illuminations. Le vallon parcouru par un cours d'eau est ici présenté par une périphrase « un "trou de verdure"

endroit généralement propice aux idylles, aux rêves. Le mot "trou" du premier vers prépare déjà le dernier pour lui faire écho. La rivière, discrètement personnifiée comme la

montagne, chante comme en signe de joie, d'allégresse. La joie de vivre de la rivière se manifeste en accrochant des objets aux herbes comme des guirlandes. L'audacieux rejet, "D'argent" met l'accent sur la richesse des jeux d'eau et de lumière. L'apparition du soleil, symbole avec l'eau de la vie pour la nature métamorphose les lignes et les volumes : la montagne est "fière" d'observer à ses pieds ses bienfaits comme ceux d'une mère nourricière. Le second rejet "luit" donne une sorte de gros plan, de synesthésie, de vertige des mouvements que la nature personnifiée fait éclater, l'eau mousse sous les rayons de soleil. Les rimes croisées, et non pas embrassées, les nombreux enjambements ou rejets, l'assonance en "ou" participent à ce bouillonnement visuel et sonore.

La position inattendue du soldat

Ce qui surprend dans la position du personnage c'est d'être allongé dans l'herbe avec la tête à fleur d'eau. L'évocation du soldat nous désigne un être jeune, la "bouche ouverte" et la"tête nue"

qui lui prête un aspect peu réglementaire, un être libre, insouciant, quelque peu naïf. La posture suggère plus l'oisiveté que le devoir militaire. Mais en y regardant de plus près, il nous est décrit comme un être malade "pale" dans un "lit". Il "dort" mais son sommeil est frappé d'ambiguïté car la bouche ouverte pourrait être autant celle d'un mort que celle d'un agonisant, et cette "nuque baignant" qui marque d'inertie, celle d'un corps abandonnéplus qu'un corps qui s'abandonne. Il y a la même ambiguïté tragique dans la position d'un dormeur ou d'un gisant, dans cette étrange pâleur qu'accentuent la verdure et la lumière. La "nue" ajoute à l'indétermination car il peut s'agir d'un ciel de lit ou d'un drap mortuaire. Le "trou" ajoute encore à la confusion en rappelant le tombeau. La multiplication des couleurs froides (bleu, vert, pale, les rimes plus étouffées, moins vibrantes que dans le premier quatrain atténuent l'élan joyeux des premiers vers.

Une berceuse hésitante

Le premier tercet use de répétitions attentives, pleines de sollicitude, "il dort", "il fait un sonne","il a froid". La comparaison du sourire avec celle d'un enfant malade étonne, voire alerte le lecteur.

L'adjectif "malade" détaché par un quasi-rejet à la césure conduit à un surprenant diagnostic "il a froid", La construction parataxique "il dort", "il fait un somme", "il a froid" apparaît pour ce qu'il est ou risque d'être : une litote ou un euphémisme masquant une réalité horrible, se refusant à nommer "l'innommable", c'est à dite La mort. Le mal mystérieux, le froid inexplicable au creux du vallon baigné de soleil, ne relèvent pas en fin de compte d'une inertie passagère mais apparaît être celle d'un être inerte, sans vie. Le premier vers du second tercet qui frissonne de ses allitérations en "r" et en "f" peut redonner un espoir. La position de la main sur la poitrine qui peut être celle du sommeil ou de l'immobilité cadavérique ne peut pas confirmer le diagnostic funeste et lever le doute. Il faut attendre l'ultime vers pour enfin obtenir la révélation. Le mot fatidique n'est pas prononcé, mais l'image s'impose, avec la présence concrète, d'un corps ensanglanté.

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Une mort omniprésente

Par un procédé habile, Rimbaud essaie de nous mettre sur une fausse piste, mais il nous laisse une foule d'indices qui recouvre le thème de la mort. Le "trou" nous l'avons dit peut être assimilé à une tombe creusée, les "glaïeuls" qui ne sont pas des fleurs aquatiques mais celles que l'on dépose dans les cimetières, puis les "haillons" qui sont des vêtements hors d'usage, qui ont fini leur vie, et enfin la nuque qui baigne généralement dans le sang contribuent à nous mettre sur la voie, celle d'un soldat mort.

Conclusion

On relève de nombreuses réminiscences littéraires dans ce poème de Rimbaud. L'essentiel est dans un art consommé du tragique, tout entier agencé en une ascension tragique vers une cassure, une

"chute" dramatique. Rimbaud multiplie les effets rythmiques brisés, les rejets pour mieux rendre compte d'une vie interrompue tragiquement. Le pathétique est aussi plus lourd, plus efficace et plus expressif dans une colère assourdie qui hurle.., en se taisant. L'ironie est rendue plus tragique encore avec le dévoilement progressif des périphrases, des litotes, des euphémismes, que

rythment les rejets successifs. Le lecteur, admirateur des futurs chefs-d'œuvre, reconnaîtra sans peine dans les audaces de cette versification les prémices d'une langue poétique unissant révolte existentielle et révolte esthétique.

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Arthur RIMBAUD     (1854-1891)

Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

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