G ERGONNE
Optique. Essai théorique sur les couleurs accidentelles
Annales de Mathématiques pures et appliquées, tome 21 (1830-1831), p. 284-301
<http://www.numdam.org/item?id=AMPA_1830-1831__21__284_1>
© Annales de Mathématiques pures et appliquées, 1830-1831, tous droits réservés.
L’accès aux archives de la revue « Annales de Mathématiques pures et appliquées » implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation (http://www.numdam.org/conditions). Toute utilisation commerciale ou impression systématique est constitutive d’une infraction pénale.
Toute copie ou impression de ce fichier doit contenir la présente mention de copyright.
Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques
http://www.numdam.org/
284
faitement exacts , et que
conséquemment
il en est de même desvaleurs
de 03B3
etde z ,
cequi
n’a pas lieu réellement. Pour l’é- valuation de l’erreurte-tale
duc àl’inexactitude
de laproportion
et à celle des
logarithmes ,
on peut consulter une note de M.Vincent ,
; insérée à la pag. ig du XVI.me volume desAnnales ,
ou dans
la 7.me
édition del’Algèbre
de M.Reynaud.
OPTIQUE.
Essai théorique
surles couleurs accidentelles;
Par M. G E R G O N N E.
J Al déja insinué ,
enplus
d’un endroit de cerecueil , qu’au point
où les sciences sont
présentement
parvenues, et encombrés comme nous le sommes de vérités d,edétail ,
un de nos besoins lesplus
pressans et les
plus impérieux
estbeacoup
moins d’en accroîtreencore le nombre que de
rapprocher
ces vérités les unes des au-tres, de les comparer et de les grouper suivant leurs
analogies
etleurs
différences,
etd’essayer
ensuite de lesremplacer
par un moindre nombre de véritésplus générales, qui
en soient une sorted’abrégé ,
etdesquelles
ellespuissent
toutes êtres facilement dé- duites. Cen’est ,
eneffet,
que par un tel artifice quel’esprit
humain ,
borné comme ill’est ,
peut sepromettre
de n’êtreja-
niais arrêté dans la culture du
champ
dessciences ,
dont l’é-tendue est tout-à-fait sans limite,
On ne saurait donc vouer trop de reconnaissance aux hommes
qui
consacrent leurs méditations et leursveilles,
non à faire desdécouvertes
nouvelles ,
mais à rattacher àquelques principes gé-
néraux et
peù nombreux ,
ou même à desimples hypothèses,
lesACCIDENTELLES.
285découvertes
diverses dues à leurs devanciers.C’est ,
par exem-ple,
d’un service de ce genre que nous sommes redevables audocteur ’Veels. Avant cet
ingénieux physicien ,
lesphénomènes auxquels
donne naissance la formation de la rosée avalent dequoi
nous
décourager
par leurnombre ,
leur variété et leurapparente
bizarrerie. M. Weels aposé quelques principes
fortsimples ,
etdès lors il a pu nous être
permis
desoulager
notre mémoire detous ces faits de détails dont elle était
surchargée ,
bien certainsde les retrouver à
volonté,
commeconséquences rigoureuses
deces
principes ,
et même dedeviner , à l’avance ,
sans aucun ef- fortd’esprit,
cequi
devrait résulter de tel ou tel concours de cir-constances dont la nature n’aurait encore
jamais offert
la réunionaux
regards
de l’observateur.Il est en
physique
desphénomènes
d’un autre ordrequi
n’of-frent pas moins
d’intérêt ,
etqui
ne sont ni moins nombreux ni moins variés ni moinsbizarres ,
en apparence , que ceuxqui
nais-sent de la formation de la rosée ; ce sont les
phénomènes
que Buffon a ,je crois , désigné
lepremier
sous le nom dephénomè-
nus des couleurs
accidentelles ,
etqui
seraientpeut-être plus
exac-tement caractérisés par la dénomination de
phénomènes
des coti-leurs
apparentes
ou relatives. Cesphénomènes
ont étéparticulière-
ment étudiés par Léonard de
Vinci, Jurin,
le P.Scherffer ,
Buf-fon , Beguelin , OEpinus, Prieur , Meusnier , Hassenfratz ,
Rurn-fort,
etc. ,qui
les ont très-exactementdécrits ,
soit dans les col-lections
académiques ,
soit dans des traitésspéciaux ;
mais on nes’est que faiblement
occupé
de leurs causes et duprincipe
com-mun
auquel
ils viennent tous serattacher ,
et encore cequ’on
en a
dit ,
paroccasion ,
est-ilprésenté
avec une sorte desepti-
cisme
qui permettrait
de croire que ceuxqui
cherchaient à re- monter à la causepremière
de cesphénomènes
n’avaient pas eux- mêmes une foi bien entière dans lesexplications qu’ils
enpré-
sentaient. -
Dans les
premiers temps où j’enseignais
laphysique ,
ce n’était286
pas une
petite
affaire pour moi que defixer,
dans mamémoire,
de tous temps très - rebelle pour des faits sans
liaison ,
une sigrande
variété de résultats en apparence si incohérens entre eux , etje jugeai qu’à plus forte
raisonl’auditoire,
devantqui je
les ex-posais ,
en retiendrait fort peu de chose. Je fus donc sollicité parma paresse à réfléchir sur les
explications qui
en avaient étéhasardées ,
etje
ne tardai pas àjuger
que cesexplications ,
biensaisies ,
méritaientplus
de confiance que leurs auteurs ne pa- raissaient leur en avoir accordé. Des lorsje
visqu’un
ou deuxprincipes,
bienévidens ,
suffisaient pour mediriger
sûrement dansce
qui, jusque-là ,
m’avait paru undédale ;
etprésentement ,
detoutes les
parties
de1 optique ,
cellequi
concerne les couleurs ac-cidentelles me semble la
plus
facile àenseigner.
Je vaisexpli-
quer ici de
quelle
manièreje 1 envisage , c’est-à-dire ,
écrire à peuprès
laleçon que ai pris
leparti
de faire sur cepiquant sujet.
Je suivrai d’ailleurs une marche
synthétique , c’est-à-dire , qu’au
lieu de décrire d’abord les
phénomènes,
pour remonter ensuite à leurs causes ,je poserai ,
aucontraire , quelques principes
des-quels
cesphénomènes
se déduiront ensuite comme desimples
co-rollaires. On peut remarquer , en
effet,
que, bien quedepuis
environ un
demi-siècle , l’analyse
soit fortprisée
par des hommes mêmequi. ,
pour laplupart ,
ne savent pastrop bien , peut-être,
en
quoi
elleconsiste ,
il est une multitude de circonstances où lasynthèse
lui est debeaucoup préférable (*).
Pour rendre
plus simples
lesdéveloppemens
danslesquels je
vais entrer ,
je supposerai
constammcntqu’il
n’existe que troiscouleurs
primitives ,
le rouge, lejaune
et le bleuqui , mélangées
ou combinées deux à
deux , produisent
trois autres couleursqu’on
.
peut appeler secondaires ,
savoir :le’vert ,
leviolet , l’orangé;
et(*) Voy. ,
surcela,
la pag.345
du tom. VII.e duprésent
recueil.287
-
ACCIDENTELLES.
lue le
mélange
ou la combinaison des trois couleursprimitives ,
dans de convenables
proportions , produit
leblanc ;
tandis que de l’absence absolue de toute lumière résulte le noirqui
en estl’opposé.
J’aiprouvé ,
eneffet,
à lapag. 228
du X.me volume duprésent recueil , qu’il
ne résultait pas invinciblement desexpé-
riences de Newton que les couleurs
primitives
-dussent être au nom-bre de
plus
detrois ,
et lapratique
des arts n’en reconnaît pasdavantage,
Iln’y aurait ,
ausurplus,
quetrès-peu
de modifica-tions à faire à la théorie
qui
va êtredéveloppée ,
si l’on voulait absolument admettreplus
de trois couleurssimples.
.
Il y
a entre les couleursprimitives
et les couleurs secondaires:cette différence essentielle que les
premières
sontabsolues,
et nonsusceptibles
deplus
ou demoins,
tandis que , suivant les pro-portions
variées des composans , ilexiste
, entre deux couleurspri-
mitives
données ,
une infinité de nuances d’une même couleursecondaire ,
allant de lapremière à
la seconde par unedégrada-
tion continue.
Ainsi ,
iln’y
apas, à proprement parler ,
diffé-rentes sortes de rouges, différentes sortes de
jaunes ,
différentessortes de
bleus ; mais ,
entre lejaune
et lebleu
parexemple,
il
peut y
avoir une infinité de nuances de verts, tirantplus
oumoins sur l’une ou sur l’autre de ces deux couleurs.
Ce
qui
vient d’êtreobservé ,
relativement à deux couleurspri- mitives , peut
êtreégalement appliqué
au blanc et aunoir ,
en-tre
lesquels
on peut concevoir une infinitéde gris , plus
ou moinsclairs , plus
ou moins foncés.On
peut
même dire de toutes les autrescouleurs,
soitsimples
soit composées ,
cequi
vient d’être dit du blanc. Une couleurquelconque
que 1 on combine avecplus
ou moins deblanc ,
endevient ainsi
plus
ou moinspâle ,
tandis que , si 1 on en diiiii-nué
graduellement
lalumière ,
elle deviendra deplus
enplus fon-
cce.
Ainsi ,
au lieu de passer du blanc au noir par une suite degris ,
on peut y passer par unesuite
de roses, d’abordtrès-pâle,
et ensuite de
plus
enplus sombres ;
et c’est à peuprès
cequi
288 COULEURS
arrive au fer incandescent . à mesure
qu’il
se refroidit. C’est sous cette restriction formellequ’-*Il
fau! entendre ceque j’ai
ditci-dessus ,
sur la différence
qu’on
remarque enfre les couleursprimitives
etles couleurs secondaires. La vérité est
qu’il
peut fort bien existerune infinité de nuances de chacune des
premières
entre le blancet le
noir ;
mais toutes ces nuances sonttoujours
la même na-ture de couleur
(*).
Dans tout ce
qui
vasuivre, je dirai ,
avec tous lesphysiciens
,que deux couleurs sont
complementaires
l’une de l’autrelorsqu’el-
les seront de nature à
produire
le blanc par leurmélange
ou com-binaison. En
conséquence ,
en ne considérantsimplement
que lescouleurs
primitives
et les couleurssecondaires,
les couleurs com-plémentaires
l’une de l’autre seront :Le ROUGE et le VERT ,
Le JAUNE et le VIOLET , Le BLEU et
l’ORANGÉ.
Dans tout ce
qui précède
et dans tout cequi
vasuivre
il nersaurait être
question
que de cequi
se passe chez les personnesqui
ont la vueparfaitement
saine. Demême,
eneffet, qu il
estbeaucoup
de personnesincapables d’apprécier ,
dans les sons , ladifférence
du grave àl’aigu,
ou cequ’on appelle l’intonation ,
et pour 1 oreille
desquels
iln’existe ,
pour ainsidire ,
que des(*)
Il résulte de tout ce qui vient d’être ditqu’avec
du blanc , dujaune,
du rouge , à Il bleu et du noir, bien purs, non
susceptibles
de se combinerchimiquement,
on peut parvenir, par desmélanges
divers, à imiterparfai-
tement toutes les teintes variées que l’art ou la nature offre à nos
regards
et c’est ce que les peintres savent
parfaitement.
Le blanc serait même su-perflu ,
si nouspouvions ,
avec nos poudresgrossières ,
le faire résulter des- couleursprimitives ,
comme on lefait ,
an moyen d’unelentille
, avec les couleurs du spectre.ACCIDENTELLES. 289
sons forts et des sons
faibles ,
on en rencontre aussiquelquefois
dont1’0153il ne
distingue ,
dans lescouleurs ,
que du clair et dufoncé,
jet
qui
neconçoivent
pas , parexemple, qu’il
soitplus
facile d’a-percevoir
des cérises sur un cerisier que des olives sur un oli- vier. Il est manifeste que, pour des personnesorganisées
de la sorte ,tout ce que nous écrivons ici doit être
complètement inintelligi-
ble
(*).
Ces
préliminaires
ainsiétablis ,
noos allons poser deuxprinci-
pes
généraux
que chacun pourra aisément vérifier par sa propre ex-périence,
et dont le second n estmême,
àproprement parler , qu’une conséquence
forcée dupremier.
On verra ensuite tout cequi
con-cerne les couleurs accidentelles s’en déduire sans effort.
Le
premier
de ces deuxprincipes
consiste en ce que l’actioncontinue ,
ou mêmefréquemment répétée,
dequelque objet
extérieursur l’un
quelconque
de nos organes ,finit
par le blaser surl’impres-
sion
qu’il
enreçoit,
aupoint d’03B3
devenir presque entièrement in- sensible.Les preuves
d’expérience
seprésentent
ici enfoule,
et nous n’a-vons , en
quelque
sorte, que l’embarras du choix.La
première
foisqu’on porte
immédiatement un vêtement de laine sur la peau , on en est d’ordinairesingulièrement
incom-modé,
onéprouve
desdémangeaisons
fortgênantes;
mais avec unpeu de
persistance
on en vient bientôt àn’y plus
faire aucuneattention.
Le
palais
des personnesqui
font habituellement usage d’alimens peusopides
estvivement
affecté par des mets dont 1 assaisonnement(*)
J’ai souvent pensé queDescartes,
quiprétendait expliquer
la diversitédes couleurs par une
plus
ou moinsgrande
intensité de lumière , devait être affecté de quelque vice organique du genre de celui queje
viens de men-tionner.
Tom. XXI. 38
290
est tant soit peu relevé ; tandis que celles
qui ,
aucontraire ,
sesont
habituées ,
delongue main , à
des alimens d’un très-hautgoût
unissent par les trouver
insipides
Lorsqu’on
entre dans lemagasin
d’unparfumeur
ou dans unepharmacie,
on est très-vivement affecté de l’odeur desparfums
oudes
drogues qui
y sontétalés ,
tandis que les personnesqui
sontlà tout le
jour ,
pour servir lepublic, n’y
font aucune attention.Le bruit d"un moulin ne trouble aucunement le sommeil du meunier
qui
se réveillesubitement ,
aucontraire ,
aussitôt que le bruit cesse.Enfin ,
lapremière
foisqu’on
fait usage de lunettes vertes, tous lesobjets qui
sont à laportée
de la vue semblent se revêtir d’uneteinte vcrdàtre
qui paraît
s’évanouirgraduellement
par un usageprolongé
de cet instrument.Le second
principe
que nousétablirons ,
etqui ,
comme nousl’avons
déjà annoncé,
résulte tout naturellement dupremier ,
c’estque, si
un organereçoit
simultanément deuximpressions ,
sur l’unedesquelles
il soitdejà blasé
il ne sera sensiblequ’à
celle-là seule-ment
qui
sera nouvelle pour lui.Ainsi ,
parexemple , si
outre lapression atmosphérique qui agit
sans cesse sur tous lespoints
de la surface de notre corps,nous recevons
l’impression
d’un ventléger ,
ce vent nous affec-tera comme s’il
agissait seul ,
et que lapression atmosphérique
fût tout à fait nulle.
Que quelqu’un , après
avoir tenulong-temps
dans sa bouche del’eau de fleur
d’orange , y
introduise ensuite unmélange
d’eau de fleurd’orange
et d’essence degirofle,
la saveur de ce dernierliquide
l’af-fectera
seule ,
et celle de l’autre sera pour lui comme non avenue.Si ,
dans une chambre fortementparfumée
delavande,
on vientà
présenter
àquelqu’un , qui
l’habitedepuis long-temps ,
un sachetrempli
de lavande et dethym ,
l’odeur de cette dernièreplante
l’affectera
seule;
il ne sera aucunement sensible à l’odeur de l’aurre.Quelqu un qui
habite sur lerivage
de la mer ou dans levoi-
ACCIDENTELLES. 29I
sinage
d une chuted’eau ,
s’accoutume bientôt au bruit des va-gues ou à celui du
liquide qui s’écoule,
etparvient
ensuite à sai- sir facilement leplus léger
bruit différent de celui-là.Si ,
tandis quequelqu un
porte attentivement sesregards
surun
grand
carton d’un rougetrès-vif , exposé
aux rayons du so-leil,
on vient àjeter
subitement sur ce carton un rubanviolet ,
ce ruban lui semblera
bleu ,
attendu que , blasé surl’Impression
du rouge, par la
con templation
du carton , son 0153il ne verra ; dansle violet du
ruban , mélange
de rouge et debleu ,
que la dernière de ces deuxcouleurs ;
le ruban luiparaîtrait
rouge , aucontraire ,
si le carton était bleu. Dans cette nouvelle
hypothèse ,
si l’onje-
tait sur le carton un ruban vert , ce ruban semblerait
jaune
auspectateur ; ce même ruban lui
paraîtrait bleu ,
aucontraire ,
si le carton était de couleurjaune.
Dans cette dernièrehypothèse,
un ruban orange ,
jeté
subitement sur le carton , luiparaîtrait
rouge ; ce même ruban lui
paraîtrait jaune ,
aucontraire , si ,
comme dans la
première hypothèse ,
le carton était de couleur rouge. Dans tous ces différens cas , la couleur du ruban est com-posée
de la couleursimple
du carton , surlaquelle
l’0153il est blaséet d’une autre couleur
simple,
parlaquelle
seulementl’organe
peut
être affecté.Il ne faudrait
point
êtresurpris ,
ausurplus ,
si lesexpérien-
ces de ce genre ne réussissaient pas
également
bien à toutes sor-tes de personnes , ni même à la même personne à différentes
épo-
ques ; il
peut
très-bien se faire, eneffet ,
que d’individu à in-dividu,
il y ait différences assez notables dans letemps
nécessaire pour blaser un organe sur uneImpression qu’il reçoit,
et les mê-mes différences
peuvent exister,
d’uneimpression
à une autre ,pour le même
individu ,
à la mêmeépoque ,
tandisqu’au contraire,
chez le même
Individu , l’âge
ou d autres circonstancespeuvent
faire varier le temps nécessaire pourque organe
soitcomplète-
ment blasé sur une même
impression
donnée.Ajourons
encoreque ,
quand
lesexpériences
seprolongent
au-delà d’un certain292 COULEURS
terme ;
l’organe
sefatigue
et ne se trouveplus conséquemment
dans la
déposition
où il étaitquand
on les a commencées. Ces remarques sontapplicables
auxexpériences qu’il
nous reste à dé-crire, comme à celles que nous avons
déjà
décrites.Les détails dans
lesquels
nous sommes entrés peuvent servir à rendrecompte
d’ungrand
nombre dephénomènes optiques
quenous avons
journellement
l’occasion de remarquer.Que ,
par exem-ple,
les fenêtres d’une chambreexposée
au midi soientgarnies
de rideaux rouges , fermés. Pour
qui
entrera subitement dans cettechambre,
aucunobjet
ne seprésentera
sous ses couleurs effec-tires. Les
ohjets
rouges sembleront d’un rougeplus intense ,
leblanc sera
rosé,
le bleu semblera violet et lejaune orangé.
Maisces apparences ne
subsisteront,
paslong-temps ,
et , du momentque, par l’effet d’un
séjour
suffisammentprolongé,
l’0153il du spec-tateur se sera blasé sur
l’impression
du rouge , il ne seraplus
affecté que des
différences ,
et tous lesobjets
lui sembleront dès lors avoirrepris
leur teinte naturelle. Desphénomènes analogues
auraient lieu si les
rideaux ,
dont nous supposons les fenêtres gar-nies,
au lieu d’étre de couleur rouge , étaient de couleurjaune
ou de couleur
bleue,
ou même d’une couleurcomposée quelconque.
On
peut
aussi faire desexpériences analogues
avec des verrescolorés
transparens, Si ,
parexemple , je place
entre mes yeux etles
objets
extérieurs un verre transparent coloré en rouge, tousces
objets
meprésenteront ,
aupremier
aspect , les mêmes appa-rences que me
présentaient
lesobjets
de l’intérieur de la chambre dontje supposais ,
tout àl’heure ,
les fenêtresgarnies
de rideauxrouges , au moment
où j’y
suisentré ;
mais cette apparence sera de peu dedurée , et j’en
viendrai bientôt àjuger
de la couleurdes
objets
commeje
le ferais à la vuesimple.
On obtiendrait desrésultats analogues
enemployant
des verrestransparens de
touteautre
couleur, simple
oucomposée.
Enfin,
les mêmes chosespeuvent
se remarquer denuit ,
lors-qu’on
éclaire lesobjets
avec desfeux diversement colorés ;
et ,ACCIDENTELLES. 293
c’est
parcequ’il
est rare de trouver une lumière artificielle par- faitementblanche , qu’on juge généralement
si mal de nuit de lacouleur réelle
des objets.
On
pourrait dire , d’après
cela .qu’il
n’est pas absolument cer- tain que la lumière solaire soitparfaitement
blanche.Si ,
en ef-fet,
cette lumière était décidément rouge, nous nous trouverionsexactement sur cette terre comme dans la chambre
garnie
de ri-deaux rouges , dont il a été
question ci-dessus ;
et notre0153il , frappé
seulement des
différences , jugerait
exactement de la couleur desobjets
comme il enjuge lorsque
cesobjets
sont éclairés par la lu- mière blanche. On voit même que la lumière solairepourrait
va-rier de
couleur ,
d’unjour
àl’autre ,
ou même passergraduelle-
ment d’une nuance à une autre , dans le cours d’une même
jour-
née,
sans que nous nous en doutassions aucunement.Lorsqu’au
commencement de ce siècle on chercha à faire re-vivre
l’hypothèse , long-temps délaissée ,
à l’aide delaquelle Huy-
gens avait tenté
d expliquer
lesphénomènes
que la lumière nousprésente ,
etqui consiste ,
comme l’onsait ,
à assimiler lesphé-
nomènes
optiques
auxphénomènes acoustiques ,
maplus
forte ob-jection
contre cettehypothèse ,
etqui
me tenait encore attaché àcelle de
Newton ,
consistait en ce que le rouge , lejaune ,
le bleuet toutes les couleurs
qui
résultent dumélange
decelles-là ,
sonttelles ,
absolument et enelles-mêmes,
tandisqu’un
son , au con-traire,
n’est grave ouaigu
querelativement ;
de telle sortequ’un
même son peut être indistinctement un ut, un mi ou un
sol,
ou même tout autre sonintermédiaire ,
suivant latonique ,
tout à faitarbitraire ,
àlaquelle
on voudra lerapporter.
Les réflexions quej’ai
faitespostérieurement
sur lephénomène
des couleurs relatives m’ont paru , si nonrépondre complètement
à cetteobjection ,
dumoins lui ôter une
grande partie
de saforce ,
en montrant queles
couleurs ,
comme les sons , ne nousprésentent
souvent telou tel aspect que relativement. A la
vérité
, comme dans la sé-rie
des sonsperceptibles
àforeille,
on rencontre une suited’ut ,
294
une suite de
mi ,
une suite desol,
les unsplus
graves et les au- tresplus aigus,
il resteraittoujours
àexpliquer,
dans leparallèle qu’on
voudrait établir entre les sons et les couleurs ,pourquoi ,
dans la série des couleurs
perceptibles
àl’0153il ,
on ne rencontre pasplusieurs
rouges ,plusieurs jaunes
etplusieurs
bleus , et pourquoi conséquemment l’expérience
duprisnle
ne nousprésente
pasune série de spectres , comme celle du monocorde nous
présente
une série de gammes. La
réponse
laplus plausible qu on
pour- rait opposer à cetteoljection ,
consisterait à admettre que les on-dulations de
l’éther,
comme celles del’air,
ont des limites de ra-pidité
et delenteur,
au-delàdesquelles
lespremières
cessent d’êtreperceptibles
à l’0153il comme les derniers cessent de l’être àl’oreille ,
mais que ces limites sont
beaucoup plus
resserrées pour les ondu- lations de l’éther que pour celles de l’air. Onconçoit,
eneffet,
que
si ,
parexemple ,
pourqu’un
son futperceptible
àl’oreille ,
il était nécessaire que le corps sonore n’exécutât ni moins de I00
ni
plus
de 200 vibrations parseconde ,
nous ne connaîtrionsqu’une
gamme
unique
enacoustique ,
comme nous ne connaissonsqu’un
spectre unique
enoptique.
Ausurplus ,
tout en hasardant cetteexplication,
nous ne dissimulons pasqu’une analogie rigoureuse
entre les sons et les couleurs nous
paraîtra toujours
très-difficile à bien établir.Après
cettedigression ,
revenons à cequ’on appelle proprement
couleurs accidentelles. Nous allons voirqu’à
l’aide de nosprin- cipes,
il devient extrêmementfacile, je
ne dis pas seulement d’ex-pliquer,
mais même deprévoir
à l’avance les résultats desexpé-
riences
qui
leur sont relatives.Retournons d’abord à notre chambre
garnie
de rideaux rouges.Supposons
que , ces rideaux étantpercés
detrès-petits
trous , assezdistans les uns des autres, on
reçoive
lesimages
de ces trous surun
grand
cartontrès-blanc,
et dernandons-nous dequelle
cou-leur ces
images doivent
nousparaître ?
A C C I D E N T E L L E S. 295
vLa
réponse
à cettequestion
est extrêmement facile. Lesimages
des trous sont réellement
blanches ,
c’est-à-direqu’elles
offrent unmélange
de rcuge et de vert ; mais comme tout le reste du car- tonparaît
et esteffectivement
de couleur rouge, l’0153ilqui
le con-temple
assezlong-temps
pour se blaser sur cette couleur et laju-
ger
blanche ,
ne voitplus,
dans lesimages
réellement blanches des trous , que la couleur verte excédante. Lesimages
des trousdoivent donc
paraître
vertes , et elles leparaissent
eneffet.
Des résultats tout à fait
analogues
auraient lieu si les rideauxétaient de toute autre
couleur;
la couleurapparente
desimages
des trous serait constamment
complémentaire
de celle des rideaux.C’est en cela que consistent les
expériences
de Meusnier et de Hassenfratz.Voici des
expériences
du même genrequi
neparaissent point
avoir été
décrites ,
et des résultatsdesquelles
on se rend aisémentraison
à 1 aide des mêmesprincipes.
Si ,
à travers un verretransparent coloré,
onregarde
assezlong-
temps
ungrand
carton blancexposé
ausoleil ,
pour que la couleur du verre n’aitplus
d’influence etn’empêche plus conséquem-
ment de
juger
le carton de couleurblanche ,
etqu’alors ,
sanscesser de
diriger
sonregard
vers le carton , on retire subitement le verre , ce carton ,pendant
un tempsplus
ou moinslong,
sem-blera,
à l’0153il duspectateur ,
de la couleurcomplémentaire
de celledu verre. C’est
ainsi,
enparticulier,
que les personnesqui
fonthabituellement usage de lunettes vertes, voient tous les
objets
sousune apparence
rougeâtre ,
au moment où ils lesquittent.
Il
faut ,
ausurplus ,
pour obtenir unplein
succès de ces sor- tesd’expériences ,
se tenirsoigneusement
engarde
contre les re-flets latéraux et toutes les autres causes
étrangères qui pourraient
en
compromettre
les résultats.Les détails dans
lesquels
nous sommes entrésjusqu’ici
tendentà prouver
qu’un article ,
sur lesujet qui
nous occupe ,pourrait
n’ê-tre
point
du toutdéplacé
dans le Journal des modes. Il fautdire,
296
COULEURSau
surplus, qu’en ceci ,
comme enbeaucoup
d’autreschoses ,
l’ins-iinct des femmes les sert merveilleusement
bien ,
etbeaucoup
mieux ,
peut-être,
que nepourraient
le faire les conseils desplus
habites
physiciens.
C’estprobablement
cet instinctqui
a mis envogue,
parmi elles ,
leschapeaux
verts doublés en rose. Celle com-binaison de couleurs est , en
effet ,
extrêmement heureuse. La couleur rose de la doublure réfléchit une couleurpareille
sur leurvisage ;
et l’oeil des personnesqui
lesabordent ,
bientôt blasésur le vert de l’extérieur de leur
coiffure,
en devient d’autantmoins sensible à ce
quïl pourrait
y avoird’analogue
dans leurcarnation. Ce
qu’elles pourraient
faire deplus
contraire à l’incar-nat de leur
teint ,
serait deporter
deschapeaux violets ,
doublesen
jaune ,
ou deschapeaux
rouges, doublés en vert ; aussi très- peu d’entre elles s’en sont elles avisées(*).
Je
passe à
desphénomènes
d’un autreordre,
enapparence,
dont on se rendégalement raison ,
à l’aide des mêmesprincipes.
Si l’on
regarde long-temps
et fixement unepetite
tache rougesur un carton blanc
exposé
ausoleil t
on la verra bientôt bor- dée d’un liséré vert ,plus
ou moins étroit. Si alors onporte
su- bitement sonregard
sur un autre endroit du carton , on croira(*)
Voici encore desphénomènes
du même genre que cenx quej’ai
décrits
plus
haut , quej’ai
eulong-temps
l’occasion d’observer. Les rayons du so-leil neparviennent
le matin ,l’été ,
dans une des classes deMathématiques
du
collége
deMontpellier,
exposée aulevant, qu’après
avoir traversé le feuil-lage
des accacias dont la cour estplantée. Quand
on entre dans cetteclasse,
tous les
objets
intérieurs se présentent sous une teinte verdâtrequi ,
peu à peu , semble s’effacer ; mais alors un autrephénomène
succède ; toutes lestraces de craie , sur la
planche
noire , semblent se revêtir d’une teinteplus
ou moins rosée. Le même
phénomène
se remarque , au milieu dujour ,
dans
l’Amphithéâtre
de la Faculté dessciences ,
dont lesfenêtres exposées
au
midi ,
sontgarnies
dejalousies
récemmentpeintes
ea vert.A C C I D E N T E L L E S.
297y voir une tache de même
grandeur,
de mêmefigure
et de mêmesituation ,
colorée en vert.Expliquons
d’abord la secondepartie
duphénomène.
La tacherouge du carton affecte une
portion
déterminée de larétine ,
la-quelle,
par l’effet d’unecontemplation
suffisammentprolongée,
finit par se blaser sur
l’impression
du rouge.Lorsqu’ensuite
l’ceilse
dirige
subitement vers une autrepartie
du carton , cette mêmeportion
de la rétine se trouveimpressionnée
par la lumière blan-che , c’est-à-dire ,
par une combinaison de rouge et de vert ; mais les extrémités nerveuses étant alors devenues insensibles à l’im-pression
de la couleur rouge , la couleur verte doit seule les affecter.On voit aisément par là que , si
l’oeil,
encontemplant
d’abordla tache rouge,
pouvait
demeurerrigoureusement immobile ,
iln’y apercevrait
aucunebordure ,
mais il ne saurait en êtreainsi ;
et ,
quoi qu’aient
pu dire certains.physiologistes ,
del’existence
dans les muscles cles hommes et des
animaux ,
deje
ne saisquelle force
de situationfixe ,
la vérité estqu’au
contraire la fixité estpour les
muscles ,
un état tout à faitcontraint ,
danslequel
ilsne sauraient
persister quelques
instans que d’une manièreimpar-
faite. Lors donc que nous
dirigeons
nosregards
vers une tacherouge, située sur un fond
blanc ,
notre tête oscilletoujours plus
ou
moins ;
de telle sortequ’il
n’est pas vrai de direque la
tachese
peigne
sur uneportion
tout à fait déterminée de larétine ,
ellevacille
un peu , en tous sens , sur cette membrane. Iln’y
adonc
proprement
que laportion
de la rétine commune a toutesles
images
de la tachequi
doive être constamment affectée de l’im-pression
du rouge , tandis que les bords de cetteportion reçoi-
vent, d’instant en
instant , 1 impression
du blancqui ,
commeil a été
expliqué plus haut ,
doit s’offrir sousl’aspect
du vert ;et de là le liséré vert que Ion remarque autour de la
tache ,
li-séré d autant
plus large
etpâle
que la tête osci!ledavantage.
Onvoit même que la tache
pourrait
être de tellementpetites
dimen-sions
qu’clle parût
verte en totalité,Tom. XXI.