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Usage des symboles dans Syngué Sabour Pierre de patience d’Atiq Rahimi

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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA

RECHERCHE SCIENTIFIQUE

UNIVERSITE ABDELHAMID IBN BADIS MOSTAGANEM FACULTE DES LETTRES ET DES ARTS

DEPARTEMENT DE LA LANGUE ET DE LA LITTERATURE FRANÇAISES

Mémoire de magistère option Sciences des textes littéraires

Présenté par Nadia Fatima Zohra SATAL

Sous la direction de Miloud BENHAIMOUDA, M.C.A, Université de Mostaganem

Jury : - M. MELLAK Djillali. M.C.A. Président. U. Sidi Bel Abbes.

- M. BENHAIMOUDA Miloud. M.C.A. Rapporteur. U. Mostaganem.

- M. BOUTERFAS Abbés. M.C.A. Examinateur. CU. Ain Temouchent. - Melle. MOUSSADEK Leila. M.C.B. Examinatrice. U. Mostaganem.

Année universitaire : 2011-2012

Usage des symboles dans

Syngué Sabour Pierre de patience

d’Atiq Rahimi

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Usage des symboles dans Syngué Sabour

Pierre de patience

d’Atiq Rahimi

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Remerciements

Je tiens tout particulièrement à remercier toute ma famille, sans qui, ce travail n’aurait même pas eu une ombre : ma maman pour sa ténacité, mon mari pour sa patience, ma sœur pour son encouragement et mes adorables enfants ; Nesrine, Ryham et Mohamed pour leur constante bonne humeur.

Un remerciement spécial à mes enseignants, qui de l’école primaire à l’université n’ont jamais cessé ni hésité de transmettre et de partager leur Savoir.

Mille mercis à mes amis qui me remettent sans cesse sur les rails (quand je déprime et quand me gagne le découragement).

Merci à vous tous pour votre précieuse aide et assistance qui en fin de compte demeurent les meilleures armes que j’ai jamais pu avoir.

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« Le symbole exprime ce qui ne peut - être dit que par lui »

André Malraux

« La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers »

Charles Baudelaire

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SOMMAIRE

Sommaire ... 7

Introduction ... 9

Chapitre I : Entre symbole et symbolisme ... 22

1- Au fait, qu’est-ce qu’un symbole ? ... 23

1-1- Définitions et cadre épistémologique ... 23

1-2- Signe et symbole, symbiose ou disparité ? ... 27

1-3-Caractéristiques, fonctions et pouvoir du symbole ... 31

2- Le symbolisme, le mouvement ... 37

2-1- Le manifeste du symbolisme ... 39

2-2- Les décadents, pionniers du symbolisme ... 41

Chapitre II : Lecture symbolique du roman ... 44

1- Attention un mot peut en cacher un Autre ! ... 45

1-1- L’enclenchement du processus interprétatif ... 45

1-2- Les indices textuels ... 47

1-2-1- Indices syntagmatiques : une récurrence frappante ... 49

1-2-2- Indices paradigmatiques ... 51

2- Symboles et société : vers une interprétation socio-symbolique du roman ... 59

2-1- La sociocritique ... 60

2-2- Lecture de la socialité et symboles ... 66

2-2-1- Sociogramme de l’oppression ... 72

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2-2-3- Médiations entre réalité et fiction... 89

2-2-4- Le sociogramme du conflit : Le silence ... 93

Chapitre III : L’acte herméneutique entre intentio operis et intentio auctoris ... 106

1- Un symbole, un message ... 107

1-1-L’intentio operis ... 107

1-2-L’intentio auctoris ... 118

Conclusion ... 124

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Au commencement était « un symbole ». Le terme est chargé de sens, de messages et d’énigmes. Créer un symbole a été depuis toujours un souci humain. En effet, dès son apparition, l’homme a ressenti incessamment le besoin de dire et de communiquer ce qu’il pensait. Il lui fallait attribuer à l’idée pensée aussi abstraite qu’elle soit une image concrète pouvant représenter au mieux sa Pensée. Ce fut les formes primitives de l’écriture.

Il est clair que l’humanité n’aurait été telle sans la découverte de l’écriture. Il était enfin possible à l’homme de matérialiser sa pensée, la rendant ainsi perceptible à tous. La communication était désormais assurée grâce aux symboles graphiques qu’il avait créés.

Bien que ne constituant que de simples caractères représentant des animaux, des humains ou des scènes de la vie quotidienne, ces symboles n’en demeuraient pas des plus faciles à interpréter. Leurs significations étaient si complexes que l’homme moderne essaye jusqu’à présent d’en cerner les principales modalités et mécanismes de fonctionnement.

Prenons pour exemple l’un des systèmes d’écriture des plus riches en formes d’expression et en envergure du sens qu’il pouvait exprimer « les hiéroglyphes » utilisés par les anciens Egyptiens. Les caractères produits par ces derniers ont été la preuve concrète de la complexité et de la richesse que pouvait avoir une simple forme graphique.

Quand Champollion1, perça l’énigme du système hiéroglyphique de l’Egypte ancienne ; on comprit que non seulement les figures utilisées exprimaient des mots, des idées et des sons et qu’ils constituaient de vrais signes mais aussi que chacun de ces signes pouvaient être figuratif, symbolique ou phonétique.

Ainsi, comme il nous l’explique dans Egypte ancienne2

: un signe figuratif exprime exclusivement l’idée de l’objet qu’il représente graphiquement. Un signe symbolique est plutôt relatif à l’expression d’une idée métaphysique au travers d’une image ayant des qualités analogiques avec l’idée voulue, à ce titre il cite l’exemple

1 Egyptologue français, premier à avoir déchiffré les hiéroglyphes égyptiens. 2

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qui stipule que : « L’abeille était le signe symbolique de l’idée roi ; des bras élevés,

de l’idée offrir et offrande ; un vase d’où l’eau s’épand de la libation.» (221), le signe

phonétique exprime quant à lui un son.

Dès lors, nous pourrons dire que l’homme ancien est parvenu à représenter une idée abstraite par le biais d’un symbole pouvant joindre grâce aux traits qui le caractérisaient deux concepts nettement différents.

Au fil du temps, ce symbole a évolué et a pu prendre place dans tous les arts : musique, peinture, poésie, théâtre et littérature ont tous adopté cette forme si particulière et subtile de dire les choses qui ne pourraient- être dites autrement.

Pour plusieurs artistes, le symbole était devenu un moyen fort et puissant en matière de transmettre une idée sans même avoir recours aux mots la désignant directement. Richard Wagner, Claude Debussy3, Apollinaire, Verlaine, Baudelaire et Mallarmé pour n’en citer que ceux-là ont chacun tiré profit de cette faculté de liberté, de suggestion et d’évasion que détient irrévocablement le symbole.

En effet, Gustave Moreau (1862-1898), peintre et sculpteur français peint dans son illustre tableau Sémélé et Jupiter4 les concepts de la mort et de l’immortalité : la partie inférieure du tableau est caractérisée par la dominance du noir, de créatures et de monstres de la nuit symbole de la mort. Les bras levés de Sémélé vers le ciel bleu symbolise le passage de cette dernière à l’état de l’immortalité.

En matière de musique, Debussy, dans ses opéras évoque avec virtuose des thèmes qui ne pouvaient-être jusque-là présents dans l’art musical. Par d’extraordinaires arrangements, d’étranges gradations de notes et de merveilleux accords musicaux, il arriva à faire allusion à la mer, à la fraicheur, aux senteurs de la nuit et à l’amour. Ses symphonies étaient une succession d’émotions devant lesquelles

3 Compositeur Français, connu pour ses œuvres symbolistes dont son opéra Pelléas et Mélisande

composé en 1902, est le plus illustre.

4 Peinture mythologique réalisée en 1895, représentant la mort de Sémélé et son passage à l’état

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le public ne pouvait que céder à la tentation de complicité pour aller au-delà du son vers la recherche du sentiment caché.

Mais c’est en poésie que le symbole s’épanouit le plus. Les poètes furent de tous temps séduits par la richesse de significations qu’il apporte dans leurs vers. Ces derniers trouvent là, une source généreuse et inépuisable rassemblant beauté du mot et sens transcendant, le symbole parvient aisément à atteindre le sentiment et pousse vers le chemin de la rêverie et de la liberté.

Il n’est plus bel exemple que celui de Baudelaire dans L’ennemi 5

« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage / Traversé ça et là par de brillants soleils / Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage / Qu’il reste en mon jardins bien peu de fruits vermeils

[...]. » Il n’est pas à démontrer du pouvoir de rapprochement exercé dans ces vers. Tant d’images représentant les escales de la vie, ses moments de bonheur, ses peines et ses embuches et du mal qui en résulte se voient ainsi, représentés par des phénomènes de la nature.

En littérature, le symbole est apparu très tôt, avec les fables. Ainsi, dans ses fables, Esope6 (fabuliste Phrygien du VIIe siècle av. J.-C, considéré comme le père de la fable) exploite au plus petit détail l’analogie qui existe entre l’image que donne ses animaux-personnages et certains défauts ou qualités de l’homme. De part leurs aspects physiques, leurs comportements ou la place qu’ils occupent dans le monde animal, ces bêtes symbolisent chacune un caractère humain.

Esope se servit du symbole, un moyen sûr et implicite de dire en évoquant. Il le mobilise pour parler du vice, de la bêtise ou de la sagesse humaine ; sans pour autant citer ou nommer, l’on reconnaissait par ce subterfuge d’allusion à qui le personnage renvoyait. Ainsi fit-il pour parler de Pisistrate (Homme d’état Grec du VIIe siècle av. J.-C) quand il raconta aux Athéniens mécontents de leur gouverneur sa fable Les

grenouilles demandant un roi7.

5 Baudelaire(1857). Baudelaire : Œuvres complètes, texte établi et présenté par Claude Pichois. Paris :

Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1975.

6 Esope. Fables, texte établi et traduit par Emile Chambry. Paris : Les belles lettres, 1960. 7

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Depuis, le symbole ne cesse de prendre de l’ampleur ; son pouvoir émeut encore le lecteur et l’entraine au-delà du sens propre. Plusieurs siècles après Esope, les auteurs continuent à faire du symbole leur instrument d’expression, pourvu d’un extraordinaire pouvoir de suggestion, il transporte là, où les simples mots ne pourraient parvenir.

Germinal8, une œuvre classée comme appartenant au naturalisme, où le

réalisme est des plus marquants ne manque pas de recourir aux symboles et demeure l’une des plus belles manifestations du symbole; l’histoire de Germinal est axée autour d’un symbole puisque la révolte des mineurs et leur désir de changer leurs conditions de vie sont symboliquement liés à l’arrivée du printemps connu pour être la période du renouveau et de la régénération de la nature, telle la germination des plantes au printemps, les mineurs vont voir leurs destins évoluer vers un monde meilleur. Dans la même perspective, il est clair que Camus, dans son roman La peste9, ne voulut en aucun cas parler de la peste en tant qu’épidémie mais faisait allusion à l’invasion allemande de l’Europe. Le mal qui rangeait la population oranaise était la représentation de la souffrance des Français face au nazisme et face aux horreurs de la guerre mondiale.

Notre roman-corpus encore, rend compte dans ses moindres mots de la puissance du symbole en littérature ; motif qui nous poussa à étudier la récurrence du symbole et sa fonction représentative des personnages, du temps et des lieux qu’il occupe dans notre corpus Syngué Sabour Pierre de patience10.

8 Zola, Emile(1885). Germinal. ENAG (2ème édition), 1995. 9 Camus, Albert. La peste. Paris : Gallimard, 1999.

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Objet d’étude

Promu prix Goncourt de l’année 2008, Syngué sabour pierre de patience est le premier roman d’expression française de son auteur d’origine afghane Atiq Rahimi11

. En effet, l’auteur produisit jusque-là, trois romans en langue persane.12

Notre corpus raconte le combat et les confessions d’une femme ; une Afghane, restée au chevet de son mari mourant, blessé gravement à la nuque lors d’une dispute entre amis, la balle installée dans son corps le fit sombrer dans le coma, seules des perfusions d’eau sucrée-salée le maintiennent à la vie.

L’épouse ne l’abandonne pas et tente de le faire revenir à la vie en le soignant et en lui parlant. Elle lui raconte ses secrets enfouis depuis sa jeune enfance ; faisant ainsi, du corps inerte de son mari une « Syngué sabour » .Une pierre censée contenir les peines des gens jusqu’à en éclater elle-même ; les débarrassant ainsi du mal qui les range.

Face à cette entité réduite à l’état végétatif, la femme révoltée, outrée de sa malheureuse condition arrive enfin à se confesser .Elle avoue ses torts, ses péchés et son mal de vivre. C’est la première fois de sa vie qu’elle se permet de raconter ses envies cachées et de partager les haines qu’elle avait éprouvées. Dans un monologue touchant, sincère et parfois violent, se mêlent courage féminin et cruauté masculine, une langue se dénoue, celle de la femme, divulguant ainsi ce qui était resté secret. Tombé le voile, quand la peur n’est plus là et quand une femme désemparée, indignée se décide de dire.

11 Atiq Rahimi est né en 1962 à Kaboul en Afghanistan, issu d’une riche famille libérale, il fait ses

études au lycée franco-afghan Elistiqlal. Rahimi obtiendra un doctorat de communication audiovisuelle à la Sorbonne. Cinéaste, il adapte l’un de ses romans Terre et cendre à l’écran en 2004.

12 Rahimi, Atiq. Terre et cendre. Paris : P.O.L, 2000.

Les mille maisons du rêve et de la terreur. Paris : P.O.L, 2002.

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Tout au long du récit, l’héroïne du roman fait des allés-retours entre ses souffrances d’antan, témoins d’un passé lamentable et celles du vécu qui lui rappellent un présent douloureux. Elle narre à son mari (et aux lecteurs) tout ce qui la faisait souffrir, tout ce qu’elle n’osait jadis dire, tout ce dont elle avait honte et peur, tout ce qu’elle aurait aimé que son homme sache, mais rien de ces révélations n’atteint l’homme, il demeure inerte et inconscient, pas de réaction, ni face aux dires impensables de sa femme ni même face à la douleur, rien ne le fait réagir, il accumule, il encaisse, mais un jour, et pareil à la pierre de patience ; Syngué sabour éclate et libère, l’homme quitte son long sommeil et tue la femme, enfin, elle repart libérée, débarrassée de son fardeau, elle tend désormais vers la quiétude.

Syngué sabour Pierre de patience témoigne de la condition féminine en

Afghanistan et la dénonce. Un pays où la femme est sous l’emprise d’un système religieux radical, d’une part. Et subissant des lois et des contraintes instaurées par les hommes, d’une autre part.

Le roman donne la parole à une Afghane la laissant crier son état déplorable, un statut social fait par, et, au service de la gente masculine, la réduisant à l’objet de désir, l’objet reproducteur.

Guerre, violence, religion, souffrances, marginalisation de la femme et enfin révolte et châtiment de celle-ci; autant de thèmes qui alimentent le feu du roman et lui donnent toute sa raison d’être. Tant d’images, de scènes, nous font voyager là où la vie est synonyme de silence, et où toute révolte est mortellement sanctionnée.

Atiq Rahimi a écrit son roman à la mémoire de Nadia Ajuman, jeune poétesse afghane de vingt-cinq ans, tuée par son mari. C’est avec les mots suivants que l’auteur avait préfacé son roman :

« Ce récit, écrit à la mémoire de N.A.

-poétesse afghane sauvagement assassinée Par son mari-, est dédié à M.D. »

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Pourquoi Syngué sabour Pierre de patience

Il serait mentir de dire que le choix de notre corpus résulte du roman lui-même car dans un premier temps, notre intérêt porta sur deux articles que nous avons rencontrés par hasard sur le net ; donnés immédiatement après l’annonce du prix littéraire, ces deux articles, correspondaient aux avis qu’eurent deux critiques-littéraires à l’égard de notre roman. En effet, nous fûmes frappée par la divergence et l’écart des propos de ces derniers. Le premier critique décrivit le roman comme manquant de singularité, le qualifiant de simple marchandise politique, un objet de marketing dans le marché occidental13. Selon Georges Stanechy (le premier critique),

Syngué Sabour Pierre de patience ne serait qu’un concentré d’images émouvantes,

chargé de descriptions fortuites n’ayant pour but que de suivre la tendance dont la guerre, le sang, la haine et la souffrance constituent la pièce motrice ; des thèmes qui suscitent un attrait parmi les lecteurs. Parallèlement, le deuxième critique trouva le roman comme authentique « porte-voix » de la femme afghane, témoignant à Rahimi tout le talent mobilisé dans l’écriture de ce roman14

.

Cette polarisation des avis fut pour nous des plus révélatrices, elle suscita chez nous une telle curiosité que nous nous mîmes à lire et à relire le roman afin de répondre aux questions suivantes: À quoi est due cette opposition des avis sur un roman de 155 pages? Qu’est-ce qui pouvait-être perceptible chez les uns et qui ne le serait pas chez les autres dans ce roman ?

Après plusieurs lectures du roman, nous nous sommes aperçue que nous- mêmes, simples lecteurs curieux et avides de découvertes littéraires ne percevions pas le roman de la même manière que nous le percevons maintenant. Chaque nouvelle lecture du corpus laissait en nous une nouvelle impression, de nouvelles pistes d’interprétation s’offraient à nous, de telle manière que nous ne pouvions mettre de

13Stanechy, Georges, A contre courant, « Prix littéraire et littérature coloniale » [en ligne]. novembre

2008. http://stanechy.over-blog.com/article-25236992.html (consulté le 21 mai 2010).

14 Laval, Martine, Télérama, « “ Syngué sabour, pierre de patience“, un hymne à la liberté et à

l’amour » [enligne]. 20 mars 2009.

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limites aux éventualités de sens qui s’en dégageaient. A chaque fois que nous nous attardions sur une expression, nous lui découvrions de nouvelles dimensions et nous comprenions qu’elle exprimait bien plus qu’elle ne contenait de mots. En somme, la signifiance finale que nous donnions au roman était sensiblement variable et mouvante à cause de toute une gamme de termes et d’expressions chargés de valeurs symboliques qui fonctionnent telle une machine sémantique en perpétuelle production.

Problématique

Dès notre première lecture du roman, nous nous sommes rendue compte de l’absence totale de tout indice spatio-temporel ou onomastique dans le roman, cependant, cette omission d’indices a été compensée par un emploi renforcé et abondant de symboles pouvant-être d’un usage très significatif. A aucun moment, il n’a été question dans le roman d’un nom de personnage, d’un nom de ville ou d’une valeur temporelle quelconque. Tout a été parfaitement régi par une mise en action très particulière des symboles. Notre présente étude s’assigne pour objet l’analyse de cet agencement et l’émiettement des modalités de cette mise en action qui constituent à eux deux le pivot même de notre modeste recherche.

Notre travail aura pour objectif de répondre à plusieurs questionnements dont celui-ci : Pourquoi Rahimi omet-il de mettre un moindre repère dans son roman (noms de personnages, de lieux, de temps…) qui permettrait au lecteur de situer les évènements relatés mais, il introduit en parallèle, des indices implicitement évocateurs de sens ayant le pouvoir de constituer un moyen de repérage pour le lecteur ?

Il s’agira principalement de montrer comment l’auteur aurait construit son roman autour de symboles ? De quelle manière, les simples détails d’une description pourraient représenter les points-clé d’un récit ? Nous tenterons éventuellement d’expliquer les mécanismes par lesquels la symbolisation aurait permis à Rahimi de parler de toute une société sans pour autant s’y référer directement.

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Afin de répondre à ces questions, nous supposons une hypothèse qui pourrait éventuellement répondre à nos attentes : nous admettons que les symboles suivent un mouvement tracé par l’auteur, ce dernier aurait voulu guider les lecteurs vers un objectif précis. Par un emploi très fréquent des symboles, et grâce à leurs pouvoirs de suggestion, Rahimi incite les lecteurs à la réflexion et par conséquent à se pencher davantage sur les thèmes qu’ils proposent ; une quête du sens caché serait impérativement accompagnée d’une connaissance plus vaste du sujet traité et convierait le lecteur à s’intéresser de plus prêt au débat soulevé.

Au terme de notre travail, nous espérons arriver à répondre à deux questions fondamentales : Quels sont les enjeux de l’abondance symbolique dans un écrit ? Et quelles sont les véritables intentions de l’auteur au travers de cet emploi ? Notre souci sera d’une part, d’analyser ce que nous avons perçu comme symboles dans le roman et d’en expliquer la valeur significative qu’ils y occupent. Et d’autre part, d’examiner les modalités de leurs mises en fonction dans le roman.

Méthodologie et cadre théorique

De par la complexité du thème de notre étude soit celle du symbole, nous avons été amenée à avoir recours à plusieurs méthodes d’approche du texte. Outre une analyse thématique du roman, nous porterons un grand intérêt sur les techniques de narration de Rahimi et de leurs relations avec la mise en œuvre des symboles dans le roman. En effet, une analyse narrative sera tout à fait à propos pour rendre compte de la façon par laquelle le texte fait effet sur le lecteur, nous soulignons que l’objectif final de notre recherche est de mettre en évidence les degrés d’imprégnation que pourrait laisser une écriture symbolique sur celui qui la lit. Autrement dit, notre but sera de dévoiler les stratégies narratives prises par l’auteur pour diriger le lecteur quant à la perception des symboles.

La sociocritique semble être la plus adéquate quant à l’étude de l’aspect social du roman. Nous préconisons cette approche dans la mesure où notre interprétation des symboles se veut d’ordre social ce qui signifie que notre herméneutique sera consacrée à retrouver le social dans le symbolique. Nous tenterons par ce faire de montrer comment le roman raconte la société et quelles sont les raisons qui font que

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certains thèmes prédominent le texte. Notre choix pour l’herméneutique sociale relève de notre désir de nous éloigner de toute interprétation qui relèverait de la spéculation et de la pure subjectivité. Loin de prétendre une étude exhaustive des symboles et de leurs interprétations, nous voudrions simplement donner à notre étude un aspect assez tangible et indubitable.

Théoriquement, nous conforterons nos dires avec des données théoriques diverses qui aboutissent chacune au besoin en échéance. Nous appuierons notre façon de faire par le recours à la théorie du symbole émise par Todorov, notamment pour repérer les symboles et éventuellement les classer, nous recourrons, également, aux théories sociocritiques développées par Claude Duchet quant à l’interprétation des symboles :

-Les travaux de Todorov15 sur le sujet, et les réflexions de ce dernier sur le symbole, semblent être applicables à notre corpus. En effet, Todorov développe une théorie de la symbolique du langage qui traite des différentes manifestations linguistiques du symbole. Le théoricien met en place une stratégie de repérage des symboles qui consiste à repérer des énoncés qui contiendraient des indices textuels ne répondant pas aux lois de pertinence, ces unités linguistiques vont alors paraitre comme des irrégularités sémantiques autour desquelles, se formeront des questions qui visent à en expliquer l’anomalie. Ces indices sont respectivement classés sur deux axes : Un axe syntagmatique sur lequel seront placés tous les indices dont l’emploi semble ne pas concorder avec le texte, des critères tels que la contradiction, la répétition ou la tautologie entre autres sont susceptibles d’être des indices de la non-pertinence. Un axe paradigmatique où seront relevés des indices qui semblent contradictoires vis-à-vis d’une mémoire collective. De l’identification de ces indices découlera la résolution d’entreprendre une tentative d’interprétation symbolique.

Les stratégies interprétatives qui peuvent-être entreprises se subdivisent en deux catégories16 : 1-Une interprétation finaliste de laquelle l’objectif ou le dessein est

15 -Todorov, Tzevetan. Théories du symbole. Paris : Seuil, 1977.

-Todorov, Tzevetan. Symbolisme et interprétation. Paris : Seuil, 1978.

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préalablement défini. 2- Une interprétation opérationnelle au cours de laquelle, le texte subit les conséquences générées par le type d’opérations auxquelles, il se soumet.

- Claude Duchet fonde sa théorie de la sociocritique au début des années soixante-dix où, il lui affectera la fonction de lecture du discours social dans l’œuvre littéraire. Duchet suggère alors que l’œuvre ne reflète pas la société telle quelle mais qu’elle la reproduit dans son contenu. Ses théories, principalement introduites lors de colloques ou de conférences, vont se faire objet de définir les notions de : 1- socialité comme étant l’inscription du discours réel dans le texte littéraire. 2- sociotexte comme substitut au texte dans lequel se développe une microstructure de la société. 3- hors-texte, les circonstances qui auraient devancé l’œuvre et les conditions socio-historiques qui l’auraient précédée, des conditions desquelles, l’œuvre sera manifestement dépendante et tributaire. 4- co-texte, les conditions qui vont suivre l’œuvre durant tout son parcours (allant du premier moment de sa conception jusqu’au moment où elle se prête à la lecture). 5- sociogramme, grille analytique relative au processus de métamorphose du discours social à l’énoncé littéraire.

Nous faisons note que nous reviendrons sur ses théories de manière beaucoup plus éclairée au cours de notre étude.

Cette méthodologie de travail ainsi que ces outils opératoires feront le cheval de bataille de nos trois chapitres qui s’intituleront :

CHAPITRE I: Entre symbole et symbolisme

Il y sera question, d’abord, de définir le symbole et d’en apporter des éclaircissements nécessaires à sa totale compréhension. En le mettant dans son cadre encyclopédique et épistémologique, nous souhaiterions approcher le concept de symbole de tous les angles. Suite à quoi, nous proposerons de présenter le symbolisme en tant que mouvement littéraire français.

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CHAPITREII: Lecture symbolique du roman

Le deuxième chapitre constitue la lecture symbolique proprement dite : Dans un premier temps, notre tâche sera de repérer les symboles et d’expliquer les raisons qui auraient mené au déclenchement du processus interprétatif. Ultérieurement, nous procèderons à leur interprétation, où, nous leur attribuerons une certaine interprétation qui aille en parallèle avec le vécu social.

CHAPITREIII : L’acte herméneutique entre l’intentio operis et l’intentio

auctoris

Ce dernier chapitre sera consacré à étudier l’ampleur de l’impact porté par l’intention du texte et de l’auteur sur l’interprétation. Il y sera principalement question de montrer comment notre interprétation s’est trouvée considérablement conditionnée par ce que le texte et l’auteur auraient voulu dire.

Nous soulignons que nous aurons énormément recours à la schématisation, dans la mesure où, nous jugeons qu’elle représente le meilleur moyen de conceptualiser l’idée et de la simplifier.

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Chapitre I : Entre

symbole et symbolisme

1- Au fait, qu’est-ce qu’un symbole ?

1-1-Définitions et cadre épistémologique. 1-2-Signe et symbole, symbiose ou disparité ?

1-3-Caractéristiques, fonctions et pouvoir du symbole

2- Le symbolisme

2-1-Manifeste du symbolisme

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Bien qu’ayant constitué l’essence de plusieurs travaux, le symbole baigne encore dans la confusion et la mécompréhension, il n’est guère aisé de le définir ni d’en cerner les véritables dimensions à cause du caractère abstrait qu’il revêt, néanmoins nous essayerons de rassembler les plus pertinentes des définitions que nous avons pues trouver. Dans ce chapitre, nous proposons de rendre plus explicite le concept de symbole, nous lui accordons dans ce travail une certaine définition (non que nous la jugions comme juste mais du moins, c’est celle qui réponde le mieux à nos attentes).

Le symbole a été depuis tous temps assujetti à la disparité puisqu’il a été synonyme de signal, d’allégorie, de métaphore, de figure et d’icône, de telle manière que sa lexicographie est l’une des plus fructueuses mais aussi des plus confuses. Nous avons jugé indispensable dans la première partie de ce chapitre, de prêter un grand intérêt aux cadres encyclopédique et épistémologique dans lesquels s’est inscrit ce concept.

La deuxième partie du chapitre sera consacrée au symbolisme français exclusivement, nous y présenterons les principaux fondements et fondateurs et y éclairerons les motivations de son avènement.

1- Au fait, qu’est-ce qu’un symbole ?

1-1- Définitions et cadre épistémologique

Qu’en disent les dictionnaires ?

L’Encyclopædia Universalis en ligne17

nous a permis d’inventorier trois significations du terme « symbole » : 1- un sens étymologique, 2- un sens courant, 3- un sens relatif au symbole logico-mathématique.

17 Jameux, Dominique, « Le symbole », Encyclopædia Universalis [en ligne]

http://www.universalis-edu.com/statiques/extention_recherche/ext_recherche_v15_web_titre_CL.php?p=R171431SI2(consulté le 31 mai 2010).

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1-Etymologiquement le mot symbole vient du mot latin symbolus qui signifie « signe de reconnaissance » ou encore du verbe grec symballein qui veut dire jeter ensemble d’où dérive sumbolon, objet coupé en deux et qui constitue un signe de reconnaissance. En Grèce antique, le sumbolon était le morceau d’une poterie brisé en deux et, qu’on donnait aux ambassadeurs de deux cités alliées afin qu’ils se reconnaissent dans un temps ultérieur. Cette courte définition du dictionnaire apporte une information primordiale se basant sur la reconnaissance, en effet, un symbole doit être reconnaissable au moins par les deux protagonistes le maniant. Dans le cas échéant (celui relatif à la Grèce antique), chacun des deux émissaires est en mesure d’identifier l’autre morceau par compatibilité des formes et par conséquent de remettre ensemble les deux morceaux, ainsi, la validation de l’authenticité est garantie.

2-Couramment le terme symbole est en étroite relation avec toute analogie emblématique, l’Encyclopédie propose l’exemple de la colombe symbole de paix et du lion symbole de courage.

3-Le symbole au sens logico-mathématique est un signe graphique qui indique soit une grandeur ou prescrit une opération sur ces grandeurs.

Ces trois significations du symbole nous permettent de dresser le tableau ci-dessous, nous faisons remarquer que dans un souci de dénomination, nous empruntons à Eco18 le terme de symbolisant pour nommer l’objet qui désigne un concept (la partie palpable et vue du symbole, soit le signifiant symbolique), et celui de symbolisé pour qualifier le concept auquel renvoie le symbolisant (sa partie abstraite, soit le signifié symbolique).

18Eco, Umberto. Sémiotique et philosophie du langage. Paris : P.U.F, 1984, p. 213.

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Symbole Lien

symbolisant/symbolisé

Caractère symbolisant/symbolisé

Au sens étymologique Analogique concret concret

1er morceau de poterie un seul morceau réuni

Conventionnel concret abstrait

les deux morceaux de poterie union/accord

Au sens courant Arbitraire Conventionnel

concret abstrait

colombe paix

Analogique concret abstrait

lion force/courage Au sens logico-mathématique Arbitraire Conventionnel abstrait abstrait −∞ < 𝑥 < +∞ abstrait concret H2O eau

Le Robert ajoute encore : Objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque,

par sa forme ou sa nature, une association d’idées « naturelle » dans un groupe social donné avec quelque chose d’abstrait ou d’absent19

. Cette autre définition éclaire davantage notre perception du terme ; d’abord, le symbole y est identifier à un objet ou à un fait naturel, ce qui diffère des trois premières définitions ; ensuite, elle met en évidence l’aspect d’appartenance du symbole, selon cette définition, un symbole est relatif à un ensemble fini de personnes, qui par une opération de rassemblement peuvent joindre un objet ou un fait à quelque chose d’abstrait.

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Enfin le dictionnaire de philosophie Dictionnaire de la langue philosophique20 de Paul Foulquié, définit le symbole comme étant « image ou objet matériel qui

donne un certain sentiment d’une réalité invisible ».

Qu’en disent les théoriciens ?

Le symbole recouvre des définitions diverses dont certaines tendent vers le rapprochement et d’autres se révèlent nettement contradictoires. Philosophes, psychanalystes, théologiens, linguistes et anthropologues se sont tous assignés la tâche de le définir, chacun avança une vision théorique propre à sa discipline et répondant à une problématique spécifique. Ces visions sont loin d’être unanimes et univoques mais du moins elles offrent d éventuelles voies d’exploration. Nous en proposons quelques unes afin d’avoir une plus ample idée du concept de symbole tel qu’il a été défini dans divers champs culturels.

En psychanalyse, la psychologie des profondeurs et précisément l’interprétation des rêves chez Freud est principalement fondée sur l’étude des symboles qui y sont présents. Le symbole constitue un moyen de défense du conscient d’un individu, refoulant désirs et pulsions sexuels, ce dernier, les reconfigure dans le rêve (inconscient) sous forme de symboles. Le psychanalyste (Freud) définit le symbole comme suit : « Nous donnons à ce rapport constant entre l'élément d'un rêve et sa traduction le nom de symbolique, l'élément lui-même étant un symbole de la pensée inconsciente du rêve.»21Ce-dernier élabore une méthode d’analyse du rêve en le considérant comme un ensemble cohérent et compréhensible de symboles, il est traité tel un langage qui pourrait être déchiffré, une fois les significations des symboles oniriques connues, le rêve serait systématiquement décodé. Nous ajouterons que le psychanalyste prédéfinit les symboles selon un modèle obéissant aux lois d’analogie notamment avec les organes sexuels.

En parallèle, Jung met en exergue l’aspect universel du symbole onirique résultant lui-même d’un inconscient collectif. Ce dernier introduit le terme

20 Foulquié, Paul. Dictionnaire de la langue philosophique. PUF, 1969.

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27

d’archétype22

qu’il définit comme étant des symboles-types qui prennent leurs essences dans un patrimoine universel. Le symbole ferait partie d’un ensemble commun que partagerait toute une société voire toute l’humanité.

En philosophie, le symbole prend encore un autre itinéraire non pas opposé aux définitions données dans d’autres disciplines mais où il prend encore plus d’ampleur en matière de signification, Paul Ricœur note à ce sujet :« J’appelle par symbole toute

structure de signification où un sens direct, primaire, littéral, désigne par surcroit un autre sens indirect, secondaire, figuré, qui ne peut être appréhendé qu’à travers le premier .»23 Ricœur suggère que le symbole est une base de significations qui renvoient outre le sens immédiat à un sens plus profond, pour Ricœur, un symbole est tout ce qui a la faculté de détourner le sens avoué vers un sens caché.

Ortigues propose encore : « D’une manière générale les symboles sont les

matériaux avec lesquels se constituent une convention de langage, un pacte social, un gage de reconnaissance mutuelles entre des libertés. »24 Ceci dit, le symbole dans ce cas est considéré comme un apanage propre à un groupe s’en servant en guise de référence visant la reconnaissance.

1-2- Signe et symbole, symbiose ou disparité ?

L’une des ambigüités qui rende la définition du symbole des plus compliquées est le fait que ce dernier ne soit jamais défini indépendamment du signe. Une question s’impose : Pouvons-nous considérer le symbole comme signe ou existe-t-il des particularités qui différencieraient chacun ?

Pour pallier cette difficulté, nous relevons dans ce qui va suivre l’intérêt que portèrent quelques études à distinguer entre le symbole et le signe : C’est en linguistique que nous trouverons un premier argument de cette distinction. Saussure,

22 Koberich, Nicolas, « l’archétype » dans Merlin, l’enchanteur romantique. Paris : L’Harmattan,

2008, pp. 37-38.

23 Ricœur, Paul. Le conflit des interprétations. Paris : Seuil, 1969, p.16. 24

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concepteur-même du signe (signifiant/signifié) explicite la majeure divergence qui sépare le symbole du signe, dans ce qui suit, il explique que:

On s’est servi du mot symbole pour désigner le signe

linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. Il y a des inconvénients à l’admettre, justement à cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractéristique de n’être jamais tout à fait arbitraire ; il n’est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié.25

Ceci signifie que le symbole a ce caractère de rassembler un signifiant-symbolique et un signifié-signifiant-symbolique ayant toujours un trait de ressemblance ou d’analogie, tandis que le signe n’engage en rien une ressemblance entre un signifié et un signifiant. Le fait que la linguistique confère au signe le caractère arbitraire existant entre le signifiant et le signifié rend l’acception du symbole = signe tout à fait inconcevable ; afin qu’il ait un symbole, il est indispensable d’associer (par référence à la terminologie saussurienne), un signifié que nous appellerons symbolisé à l’image renvoyée par un signifiant autrement dit symbolisant.

Jung, également, met en évidence quelques caractéristiques séparant signe et symbole, il écrit à ce sujet : « Le signe est toujours moins que le concept qu'il

représente, alors que le symbole renvoie toujours à un contenu plus vaste, que son sens immédiat et évident […] En outre, les symboles, sont des produits naturels et spontanés. »26 Jung met ici l’accent sur le fait que ,comparé au symbole, le signe est plus restreint que le concept qu’il signifie alors que le symbole proclame un champ beaucoup plus étendu de significations.

Umberto Eco s’identifie le symbole dans une mouvance où ce dernier (le symbole) ne soit plus en rivalité avec le signe mais où, au contraire, il représenterait une variante du signe ayant des signifiés diverses dans la mesure où chaque signifié

25 Saussure, Ferdinand de (1916). Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1972, p.101. 26 Jung, Carl Gustav. L’homme et ses symboles. Paris : Robert Laffont, 1964, p. 55.

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en appellera un autre, allant ainsi, de l’imminent au latent, Eco explique qu’ « On a un

symbole chaque fois qu’une séquence donnée de signes suggère, au-delà du signifié qui leur est immédiatement assignable à partir d’un système de fonctions de signe, un signifié indirect27».

Corollairement, nous déduisons que le signe précise ; il indique une chose particulière de telle façon que sa signification ne puisse-être qu’unanime ; le symbole quant à lui, n’indique en rien mais il suggère plusieurs significations, il est multi-significatif28. Ce qui revient à dire que le signe encadre et délimite alors que le symbole détache et ouvre des horizons quasi-inépuisables29. Nous serons donc amenée à opposer l’univocité du signe à l’équivocité du symbole30.

L’autre critère qui distingue le signe du symbole est relatif à la manière par laquelle ces deux éléments sont perçus ; l’un entièrement didactique, proclame la raison et l’intellect, l’autre plutôt émotionnel et auquel, seul le sentiment peut convenir. Claude-Gilbert Dubois explique nettement comment s’enracine cette distinction aux fins fonds du l’individu puisqu’ « Un signe laisse froid et n’a qu’une

valeur intellectuelle. Le symbole a une valeur émotionnelle, soit parce qu’il est symptôme qui recouvre le fantasme […] soit parce qu’il est la manifestation visible d’un archétype31

».

Ce court détour épistémologique où les acceptions du symbole sont fort variées, et ce foisonnement terminologique rendent compte de la difficulté de prétendre à une définition univoque du symbole. Toutes ces définitions tentaculaires sont traduites

27 Eco, Umberto. Le signe. Histoire et analyse d’un concept. Trad. Jean-Marie Klikenberg. Bruxelles :

Labor, coll. « médias », 1988, p. 203.

28

Richard, Jean, « Symbolisme et analogie chez Paul Tillich », in Laval théologique et philosophique, vol. 32, n°1, 1976, p. 48.

29 Scouarnec, Michel. Les symboles chrétiens : Les sacrements ne sont pas étranges. Paris : De

l’Atelier, coll. « Vivre, Croire, Célébrer », 1998, p. 12.

30 Watthee- Delmotte, Myriam. Littérature et ritualité. Bruxelles : P.I.E. PETER LANG

S.A, 2010, p. 39.

31 Dubois, Claude-Gilbert, « Image, signe, symbole », in J. Thomas (sous la direction de), Introductions

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dans cette déclaration de Jean Chevalier : « Un symbole échappe à toute définition. Il

est de sa nature de briser les cadres établis et de réunir les extrêmes dans une même vision.»32Ce qui signifie en d’autres termes qu’il n’appartient pour ainsi dire à aucune

discipline de le délimiter ni de le définir, néanmoins, toutes se rejoignent sur le fait qu’il joint deux entités bien distantes.

Cependant, la multitude de définitions que propose chaque discipline ainsi que la dualité qui règne entre signe et symbole ne représentent pas un obstacle pour notre travail puisqu’elles relèvent d’un ordre définitionnel et non d’un ordre fonctionnel. En nous positionnant dans un croisement de chemins et en prenant compte des différentes acceptions du symbole, nous parvenons à établir la synthèse suivante :

Qu’il appartienne à l’ordre des signes ou pas, qu’il adhère plus ou moins à telle ou telle discipline, un symbole est : Au sens large et général (englobant tous les domaines de la vie quotidienne), tout objet, tout être (réel ou imaginaire) ou fait naturel qui peut être associé à quelque chose d’absent. Au sens linguistique, il est tout mot ou expression qui supposent un ou plusieurs sens que celui qu’ils prononcent littéralement.

32 Chevalier, Jean, Gheerbrant, Alain. Dictionnaire des symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes,

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Un symbole associe en tout cas deux parties, l’une connue puisqu’elle est vue ou communiquée et une autre inconnue et devrait être recherchée. En référence au sens large et au sens linguistique proposés précédemment, nous adoptons le schéma suivant (schéma qui épouse de manière générale notre perception du symbole) :

Au sens large Au sens linguistique

1-3-Caractéristiques, fonctions et pouvoir du symbole

● Caractéristiques

Est-il décelable ? Quelles spécificités font de quelque chose un symbole ? Existe-t-il des caractéristiques relatives à tous les symboles ?

Les symboles ne se laissent pas facilement appréhender et ne peuvent répondre à une règle de prototype, cependant tous semblent satisfaire les critères que nous relèverons dans ce qui suit :

1- La polysémie

Un symbole est nécessairement polysémique; il peut avoir plusieurs sens qui engendrent eux-mêmes d’autres valeurs sémantiques et qui supposent un large

Symbole

Objet/fait quelque chose (Observable) d’abstrait

Expression déclarée sens cachés (Sens littéral)

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éventail d’interprétations. Son foisonnement de sens est tel qu’Eco emploie le terme de « nébuleuse de propriétés possibles »33 pour nommer ce caractère de polysémie dont il dispose. Les significations qu’il véhicule ne sont pas limitables et sont quantitativement infinies. Concernant cette multitude de significations que le symbole offre, Wunenburger souligne qu’

« Une forme physique ou langagière apparaît comme

symbolique dans la mesure où elle suggère à la conscience, un feuilletage, une hiérarchie, de significations emboîtées, qui sont orientées vers une hauteur ou une profondeur, et qui conduisent vers des contenus de pensée élargis par rapport à leurs déterminations particulières et contingentes de départ 34 ».

C’est dire que d’une seule manifestation symbolique, la conscience d’un individu est conduite à faire défiler un nombre infini de significations qui s’y rapportent toutes de prime abord par analogie et ensuite par transcendance.

Le schéma que nous proposons ci-dessous, n’est qu’une conceptualisation réduite du foisonnement de la signification symbolique, pris dans ses proportions réelles, il s’étalerait sur plusieurs pages.

33 Eco, Umberto, op.cit.

34 Wunenburger, Jean Jacques, « Les ambigüités de la pensée sensible : Contribution à une approche de

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2-L’ auto-dynamisme

Il possède un pouvoir intrinsèque qui lui est propre. Ceci signifie qu’il véhicule en lui-même toute sa signification : un symbole ne peut prendre effet que si un rapprochement est établi entre ses deux composantes ; un symbolisant et un symbolisé (le symbolisant avant cette opération n’est qu’un signe qui désigne un objet ou autre), son pouvoir lui est immanent, il relève de son fondement même35, pris à part, le symbolisant n’a aucune valeur significative symbolique, seule une combinaison de celui-ci avec le symbolisé constituerait un symbole, selon Ortigues, le principe du symbolisme serait « une liaison mutuelle entre des éléments distinctifs dont la

combinaison est significative 36».

35 Richard, Jean, « Symbolisme et Analogie chez Paul Tillich(II) », Laval théologique et philosophique

[en Ligne], 1977, vol. 33, n°1, pp. 39-60.

http://www.erudit.org/revue/ltp/1977/v33/n1/705593ar.html?vue=resume (consulté le 17 juin 2011).

36 Ortigues, Edmond, op. cit. p. 86.

Symbolisant: sens littéral Symbolisé n°1: 1ère signification évoquée Symbolisé n°3: 1ère signification dérivée de la 1ère signification évoquée Symbolisé n°4: 2ème signification dérivée de la 1ère signification évoquée Symbolisé n°2: 2ème signification évoquée Symbolisé n°5: signification dérivée de la 2ème signification évoquée

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34

3-La relativité

Un symbole est relatif dans la mesure où, premièrement, le lien entre un symbolisant et un symbolisé varie d’un contexte à un autre ; un symbolisant peut renvoyer à tel symbolisé dans un contexte donné et à tel autre dans un autre contexte. Deuxièmement, la perception du symbole varie également d’un sujet à un autre car la part de subjectivité relative à son interprétation est extrêmement conséquente, la corrélation entre le symbole et la personne qui l’aborde fait qu’il soit variablement interprété. En effet, l’interprétation du symbole dépend entièrement de celui qui en fait l’expérience, José Antonio Antón explique que : « Il y a un symbole pour chaque

conscience […] la manifestation de l’univers symbolique s’établit par la subjectivité. » 37

4-L’ obscurité

Un symbole est également obscur, il n’est pas claire et il est entouré de mystères, il est énigmatique et révèle le secret et le dévoile, Durand écrit : « Le

symbole […] est l’épiphanie d’un mystère. »38 Ce qui signifie que le symbole perce le mystère et en donne une possible résolution.

5-La hauteur

Un symbole est obligatoirement orienté vers la hauteur, il tend toujours à dépasser une signification première, il est dit vertical car il est en perpétuelle progression par rapport à ce à quoi il se référait au départ, ainsi, une ascension du sens lui est toujours associée, Carole Lager décrit le symbole comme étant « vertical, il

donne du relief à la vie humaine 39 ».

37 José Antonio Antón, « Symbolique et métaphysique », in Les cahiers de Recherches et d’Etudes

Traditionnelles, n°5, Printemps-Eté 1994. Article traduit et adapté à partir de la revue Symbolos par

Jean-Luc Spinosi.

38 Durand, Gilbert. L’imagination symbolique. Paris : P.U.F, 1976, p.13. 39

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● Fonctions et pouvoir

Un symbole exerce au moins trois fonctions : Il montre, Il réunit, Il enjoint.40 Ces trois fonctions feront en sorte qu’il soit doté d’un énorme pouvoir ne pouvant laisser quiconque indifférent, le sujet qui l’approche n’en sera qu’imprégné :

D’abord, le symbole montre ce qui n’était pas perceptible à première vue, il éclaire ce qui était obscur et il exprime ce qui était hostile à l’expression. Le symbole est en étroite liaison avec l’indicible, il se charge principalement de communiquer les choses dont la charge sémantique dépasse les mots et le langage. Cette première fonction du symbole consiste à véhiculer les réalités que le langage ordinaire ne pourrait transmettre et dont la perception est susceptible de demeurer cachée à l’infini41

. Le langage-symbolique s’approprie toutes « ces entités » restées à l’abri du discours et dont la représentation reste lexicalement insuffisante sinon inexistante, sous l’aile du symbole, toutes ces réalités restées jusque-là inconnues et inexprimées parviennent à se dégager et s’offrent à l’interprétation.

Les symboles montrent dans la mesure où, ils se substituent à toutes ces réalités n’ayant dans le langage d’équivalents, ils seraient « […] des images pour traduire ce

qui est indicible, parler d’une réalité autre pour laquelle il n’existe pas de langage »42.

Ensuite, le symbole réunit un signifiant concret à un signifié absent. Le signifiant vu et communiqué va être lié à un signifié abstrait et non-vu ; ce procédé d’association revient à réunir le conscient et l’inconscient. Le symbole a la faculté d’insinuer à la conscience des signifiés ayant été forgés dans l’inconscience. Selon René Fernet, le symbole serait perçu comme « médiateur entre notre conscient et

notre inconscient 43 », cette fonction d’intermédiaire entre le conscient et l’inconscient

40 Jameux, Dominique, op.cit.

41 Abel, Olivier, « La corrélation religion-culture dans la théorie du symbole chez Paul Tillich », in

Religion et culture : colloque du centenaire Paul Tillich 1986, Québec : Les Presses de l’Université

Laval, Ed. Du Cerf, 4ème trimestre, 1987, p. 142.

42 Dolghin, Marie-Claire. Les saisons de l’âme. Paris : Séveyrat, 1989, p. 34. 43

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relie en fait deux dimensions parallèles du psychisme humain où dans l’une, l’individu est maitre de ses activités puisqu’il les contrôle et il les régit tandis que dans la deuxième, l’individu n’a plus aucun pouvoir de contrôler le déroulement de ses opérations cognitives.

Son statut de trait d’union entre conscient et inconscient émane du fait qu’il puise une grande part de son dynamisme dans l’inconscient de l’individu et que par conséquent, il se voit ancré dans son psychisme et ne pourrait-être dissocié de lui, à ce propos, Jean Chevalier dit : « Le symbole exprime le monde perçu et vécu tel que

l’éprouve le sujet, non pas selon sa raison critique et au niveau de sa conscience, mais selon tout son psychisme, affectif et représentatif, principalement au niveau de l’inconscient.»44

Cette manière dont il use pour rapprocher conscience et inconscience s’avère-être fondamentale dans l’établissement de l’équilibre affectif et émotionnel de tout être, ceci, est dû au lien qu’il implique avec l’affectivité d’un sujet qui, par la nature inconsciente de l’association symbolique, demeure incapable de la gérer et qu’il ne lui revient pas de s’en passer ni de l’éviter puisque tout s’opère essentiellement dans l’inconscience de la personne. Son importance réside dans le fait qu’un symbole représente dans l’inconscient tout ce qu’un individu aurait ressenti comme inconfortable en état de conscience (moments de bonheur ou de douleur) ou même les appréhensions que pourrait avoir une personne , Desoille avait écrit à ce sujet : « Nous pouvons donc définir l’image symbolique comme le moyen par lequel

l’inconscient représente à la conscience une situation, vécue ou non, pour exprimer un sentiment vécu, ou simplement possible. »45

Enfin, il enjoint, il somme celui qui s’en approche à aller à la rencontre du sens qu’il dissimule, l’intrigue qu’il installe, pousse inévitablement à s’abandonner à une quête du sens estompé par son caractère implicite.

Sa fonction d’enjoindre découle de sa propension à se vouer littéralement à l’obscurité, et à sa tendance à feindre de camoufler son fond. Il n’est pas de doute que le symbole tente celui qui s’y aventure puisqu’il ne donne pas d’explication mais qu’il la proclame, il n’éclaire guère mais incite à trouver une clarté, Ricœur l’avait

44 Chevalier, Jean, « Introduction au dictionnaire des symboles », op.cit., p. XIX. 45 Desoille, Robert. Le rêve éveillé en psychothérapie. Paris : P.U.F, 1945, p. 289.

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annoncé : « Le symbole donne à penser »46, car il ne représente pas la fin ou l’aboutissement d’un processus sémantique mais, il constitue plutôt un départ dans un infini herméneutique. Le symbole a la capacité de stimuler la pensée et de l’activer car il suscite une quête du sens non-prononcé. Le sens auquel il renvoie n’est pas direct (facile) mais au contraire, il ne peut-être que ardument conquis, il doit-être recherché et trouvé. Le symbole convie l’individu à la découverte du sens dissimulé, c’est dans ce sens qu’il donne à penser.

Ces trois qualités (montrer, réunir, enjoindre) pourvoient le symbole d’un énorme pouvoir duquel, rebelle, il affectera indéniablement celui qui tentera de l’appréhender par la pléthore de significations qu’il suppose et par l’ambigüité sémantique qu’il crée.

Un pouvoir aussi grand et certain ne saurait passer sans faire de bruit, le symbole ne laisse pas indifférent, la puissance qu’il procure au langage devait faire profiter la création humaine, il fallut le mettre en œuvre, et ainsi, en faire promouvoir l’art et notamment la littérature ; un mouvement le consacre : le symbolisme.

2-Le symbolisme, le mouvement

« Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole », écrit Mallarmé.

C’est là, le fondement-même du symbolisme, ne pas nommer, ne point expliciter, n’opérer qu’indirectement, suggérer. En effet, le symbolisme est né en France, à la fin du XIXème siècle, alors que Zola s’empare largement de la scène avec ses théories du naturalisme et que le romantisme social d’Hugo accaparait toute la

46 Ricœur, Paul, « Le symbole donne à penser », in Finitude et culpabilité II : La symbolique du mal.

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place artistique, de jeunes poètes se révoltent contre le naturalisme et le rationalisme auxquels ils reprochent une description jugée trop objective et un excès de réalisme qualifié d’insensible, les symbolistes se soulèvent contre la substitution de la science à la littérature et révoquent toute sorte de pratique romanesque réaliste de laquelle ils dénoncent un manque d’imagination lassant, et où, l’œuvre est sous l’égide de la littérature documentaire, au contraire, le symbolisme favorise la rêverie et l’imagination et prône le symbole et la suggestion.

Voulant donner un nouveau souffle à l’art, les symbolistes réclament haut et fort l’existence d’un monde caché, parallèle au concret, refusant de se soumettre à l’emprise de l’évolution industrielle et au progrès scientifique, ils s’intéressent davantage aux profondeurs de la pensée, notamment avec l’avènement de la psychanalyse et les découvertes de la personnalité (Freud), de la philosophie du conscient et de l’inconscient (Bergson), de telles trouvailles innovatrices ne pouvaient que donner du renouveau à l’esprit humain en le conviant à explorer des horizons restés jusque-là inconnus.

Bannissant toute intrusion réaliste et objective dans leur création, c’est principalement vers la poésie que se tournèrent les symbolistes, car ce fut là, où l’imagination et l’individualisme s’épanouissaient le plus, mais bientôt, ils conquirent tous les domaines de l’art.

L’école symboliste s’emporte contre le conformisme qui, contraignant l’écrivain à se tenir enclavé à l’intérieur des dogmes établis va lui ôter toute perspective de création par laquelle, il aurait pu ressortir toute son originalité, Rémy de Gourmont qualifie ces dogmes de crime contre l’écrivain, il dit à ce propos : « Le crime capital

pour un écrivain c’est le conformisme, l’imitativité, la soumission aux règles et aux enseignements. »47

47Cité par Michelet Jacquod, Valéry dans Le roman symboliste : Un art de l’ « extrême conscience ».

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De leurs théories parues principalement dans des revues telles que : La Vogue,

Le Symboliste, La Revue Indépendante, La nouvelle rive Gauche (Lutèce), va naitre

un manifeste synthétisant tous les principes et les revendications du mouvement.

2-1-Le manifeste du symbolisme

C’est Jean Moréas, jeune poète d’origine grecque qui consacre le mouvement symboliste en publiant Le manifeste du symbolisme le 18 septembre 1886 dans le supplément littéraire du Figaro. D’une part, le manifeste revendique ses prédécesseurs tels que Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et Mallarmé, qui tous, dans des écritures précédentes avaient usé d’une plume symbolique ingénieuse.

[…] disons donc que Charles Baudelaire doit être considéré

comme le véritable précurseur du mouvement actuel ; M. Stéphane Mallarmé le lotit du sens du mystère et de l'ineffable; M. Paul Verlaine brisa en son honneur les cruelles entraves du vers que les doigts prestigieux de M. Théodore de Banville avaient assoupli auparavant48.

D’autre part, Le manifeste du symbolisme éclaire les principes et les fondements de l’école symboliste, Moréas y définit les principales priorités du mouvement.

C’est d’abord, une rupture avec l’objectivisme et le recours démesuré au réalisme que prône Moréas, l’homme proclame de permettre au langage de dire sans pour autant étaler la signification, ainsi, la forme symbolique demeurerait éternellement indécise et constituerait constamment l’objet d’intérêt et de

48 Moréas, Jean, « Le symbolisme », Chronologie littéraire 1848-1914 [en ligne], texte établi à partir

de l’original par Francesco Viriat http://www.berlol.net/chrono/chr1886a.htm (consulté le 13 juillet 2011).

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questionnement. C’est principalement, contre le positivisme naturaliste que se soulève Moréas et tout le cénacle symboliste en déclarant que le symbolisme serait :

Ennemi de l’enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective, la poésie symbolique cherche à vêtir l’idée d’une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l’idée, demeurait sujette49

.

Moréas élit les symboles comme seuls révélateurs de la vérité, leur pouvoir étant condensé dans leur aptitude à faire transparaitre l’infini dans le fini ou encore par leur subtilité à manifester l’immense par le moindre.

Tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester en eux-mêmes ; ce sont là de simples apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec des idées primordiales50.

Bien que le manifeste consacre l’essentiel de son contenu à la poésie, il ne manque pas de souligner les ambitions du symbolisme à propos du roman, selon Moréas, le roman symboliste ne constituerait plus une réincarnation de la société ni sa description mais qu’il tiendrait plutôt à paraitre comme roman de singularité reflétant l’écrivain lui-même avec toute sa volonté de se soustraire au monde extérieur et de se créer un monde reformé ou déformé comme le note Moréas, c’est encore cet esprit de refus qui hante le programme romanesque des symbolistes, le manifeste exprime l’aspiration du symbolisme à faire du roman un lieu de propagande du monde intérieur, contraste au réel et désiré par l’auteur :

La conception du roman symbolique est polymorphe […] Lui-même est un masque tragique ou bouffon d’une humanité toutefois parfaite bien que rationnelle […] le roman

49 Ibid. 50

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symbolique-impressionniste édifiera son œuvre de déformation subjective.51

2-2-Les décadents, pionniers du symbolisme

Déjà plusieurs années avant la parution du manifeste, de grands hommes de lettre avaient pressenti la nécessité de l’avènement d’une nouvelle forme d’écriture et avaient eux-mêmes fait preuve d’un penchant voire d’une obstination à affranchir leur écriture du réalisme et de donner libre cours à l’imagination et de profiter pleinement du pouvoir suggestif du langage. C’est précisément à l’époque des décadents que se voient éclore les premières manifestations de ce qui sera appelé ultérieurement symbolisme.

La publication de Les Fleurs du mal de Baudelaire en 1857 a été sans doute l’étincelle qui marqua à jamais les esprits et fut pour beaucoup d’autres artistes un point de départ dans la voie de l’innovation symboliste. La théorie des Correspondances que Baudelaire développe, fait de lui le précurseur indélébile du mouvement symboliste, ses contemporains lui témoignent ce statut tel que nous l’explique le numéro 148 de la revue Mercure de France paru en 1902 : « Mais avant

tout manifeste, avant tout art poétique, un profond artiste avait, en Précurseur, usé de la technique nouvelle, merveilleusement […] les Correspondances de Baudelaire demeurent primordiales et initiatrices des tentatives similaires.»52

Verlaine avec L’art poétique, poème écrit en 1874 et publié en 1884, trace déjà les premiers pas du symbolisme et lui assigne toute son essence, ce poème s’avère beaucoup plus didactique qu’esthétique et constitue un vrai enseignement de l’écriture symbolique. Ainsi, il dira dans ses vers : « Car nous voulons la Nuance encor, / Pas la couleur, rien que la nuance !/ Oh ! la nuance seule fiance/ le rêve au rêve et la flûte au

51 Ibid.

52 Segalen, Victor, « Les synesthésies De l’Ecole Symboliste », in Mercure de France, n°148, avril

1902, p.65, Gallica Bibliothèque numérique[en ligne] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105516q/f71 (consulté le 13 juillet 2011).

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