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Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1946

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PREMIÈRE PARTIE

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I

LE CONTRAT

Il y a queue devant le bureau militaire, 71, rue Saint-Domi- nique. Des hommes de toutes conditions, de tous âges, parlant français, hongrois, yiddish, italien, attendent et discutent sans

animation.

Un pas en avant, vers l'entrée. Les murmures s'arrêtent.

Un jeune Martiniquais en uniforme prend la pièce d'identité.

Vous serez convoqué.

A la Source, chez Capoulade, dans le hall de la bibliothèque Sainte-Geneviève, discussions entre partisans et adversaires de l'engagement volontaire. B. Hongrois, en France depuis 1925, ne se battra pas pour un pays qui, lui ayant refusé le droit de travailler, « l'a condammé à mourir de faim ».

Le Français défendra son pays, son honneur, ses droits.

Et moi, j'irai me battre pour.

Pour prouver que vous n'êtes pas étranger. Je vois que

vous l'êtes.

Pour la liberté de regarder les autres manger.

Les « autres » Un touriste sur terre. Se croit étranger parce qu'on lui dit qu'il l'est. Se défend en. souhai- tant la bienvenue aux coups qu'il attrape au vol. Il est ce que trois braillards et quatre épiciers veulent qu'il soit.

Vous faites bien. Vous faites bien de vous engager il n'y aura pas de guerre. Les Allemands jouent les maîtres chanteurs. Ils n'attaqueront pas. Vous serez ancien combattant sans avoir fait la guerre.

Allez signez le contrat, si l'on veut bien de vous.

D'ailleurs, B. est un sot on ne sait jamais pourquoi on va à la guerre, pourquoi on va se battre; mais, après, quand tout est fini, on sait pourquoi on s'est battu.

L'agitation est particulièrement forte chez les étudiants en médecine qui voudraient bien s'engager, mais à condition d'être

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COMME SI C'ÉTAIT FINI

soumis au même régime que leurs collègues français servir dans un corps sanitaire. Ils viennent d'envoyer une délégation au recteur de l'Académie de Paris. Bon accueil et promesses.

Au Ministère de la guerre, refus. Un étranger ne peut choisir

son corps.

» r

Que va t-on faire de nous? Radio P.T.T. lance la nouvelle de la formation de régiments de marche, et assure que les étrangers seront traités sur un pied d'égalité avec les Français même régime pour tous les combattants. Ceux qui iraient à la légion ne seraient pas incorporés à la vraie Légion étrangère.

Il s'agit d'une formation semblable mais non identique la légion pour la durée de la guerre.

De toutes façons, il n'est pas question de nous envoyer dans des régiments français.

Une Française, épouse d'un étranger en France depuis 1919 s'indigne contre l'incorporation éventuelle de son mari à la Légion étrangère, pour être, dit-elle, envoyé en première ligne, toujours et partout. L'un des rédacteurs de. répond à la lettre que lui a adressée la protestataire

C'est le plus grand honneur pour un serviteur de la France que d'être envoyé en première ligne.

Les inscriptions continuent nombreuses. Au 71, rue Saint- Dominique, à la rue de Reuilly, à Vincennes et à la caserne de Clignancourt partout queues interminables.

9 septembre.

Premières convocations à la visite médicale. Très peu d'inaptes. Da. qui s'était vu, en 1937, refuser la naturalisation pour inaptitude au service armé, vient d'être reconnu apte à faire la guerre. Prz, à qui on a failli découvrir une maladie de coeur, a protesté énergiquement et réussit à se faire accepter.

Nouvelles contradictoires du front polonais. Lodz pris, perdu, repris, reperdu? Bombardement de Varsovie.

PARIS. Vraies nuits. Nuits noires, opaques. Boulevard Sébastopol, des hommes à peine visibles cheminent vers la gare de l'Est. On entend dans l'obscurité le balancement d'une mallette, ou de plusieurs à la fois. Deux heures du matin, à la gare de l'Est. Des hommes, en casquette pour la plupart, assis, adossés au mur, des deux côtés de l'entrée des voyageurs.

Ils cassent la croûte en silence. Fromage, pain et couteau, sur une minuscule valise. On entend grignoter. On entend peu,

et on ne voit rien.

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LE CONTRAT

13 septembre.

L'Ambassadeur de Pologne s'adresse dans un discours radio- diffusé à tous les Polonais résidant en France. Il annonce la

création d'une armée polonaise sur le territoire de la République

française. Consternation dans les milieux juifs polonais dont la plupart ont perdu leur nationalité peu avant l'agression allemande, en application d'une récente loi faisant déchoir de sa citoyenneté tout Polonais dont l'absence sur le territoire national aurait dépassé la durée de cinq ans. (En fait, cette loi visait surtout les Juifs). Seront-ils à présent déclarés Polonais

pour servir dans la nouvelle armée?

Foule devant le Consulat de Pologne pour retirer le certificat de déchéance de la nationalité polonaise. Foule grossissante'

devant les bureaux de recrutement.

Sous le drapeau des pogromistes, jamais

Volontaire pour la France, déserteur pour la Pologne 15 septembre.

Convoqué à la visite médicale, caserne de Reuilly. Alignés par deux, dans la grande salle de l'école. Anciens Russes, Polonais, nombreux Italiens. On monte par deux. Mon compagnon né en Pologne 48ans vécu en Allemagne et en Suisse depuis 1920; arrivé en France il y a deux mois.

Dois-je déclarer que j'ai déjà fait du service militaire ou dire plutôt que je ne connais rien

Dites la vérité; de quoi avez-vous peur?

C'est peut-être mauvais de dire que j'ai été soldat?

Alors, pourquoi vous engagez-vous?

Je suis expulsé.

Il est ajourné et s'en va satisfait d'avoir manifesté sa bonne

volonté.

Pour 89 inscrits, 7 inaptes. Des 7 refusés, 5 protestent et réclament une contre-visite.

17 septembre.

La Pologne semble perdue. Sur le front de la Sarre, énig.

matique et lent. Le Général Gamelin, dit-on, va bientôt dévoiler ses arcanes. Une grande offensive en vue. Bombardement de Varsovie. Massacres parmi la population civile. Le gouver- nement polonais se serait réfugié en Roumanie.

Premières convocations à partir. Le premier départ aura lieu le 4 octobre. Au quartier Latin, rien que des étrangers, tous les sursitaires ayant déjà été appelés.

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COMME SI C'ETAIT FINI

3 octobre.

Reçu la convocation se présenter lundi matin, muni d'un

repas froid.

Mme T. ne croit pas à une prochaine offensive Gamelin.

Ni à une attaque allemande.

Vous faites bien de partir. Il n'y aura pas de guerre.

Un contrat engage toujours les deux parties. Vous reviendrez ancien combattant sans avoir senti la poudre. Vous faites une

bonne affaire.

9 octobre.

A la caserne de Reuilly. Formalités, appels, contrôles, appels. Enfin, la cérémonie de la signature. Un contrat d'enga- gement texte imprimé signé devant un officier repré- sentant l'Autorité Militaire Française. Avant de signer, ques- tions rituelles « Voulez-vous servir », etc. Attendu jusqu'à six heures, avec la mallette et le repas froid. A six heures, contre- ordre le départ est ajourné. Distribution de feuilles enga- gement contracté le 9 octobre 1939, etc. Des bruits l'Ambassadeur de Pologne serait intervenu contre l'admission de personnes susceptibles d'être mobilisées dans l'armée polo- naise. Autre version l'armée française manque de camps d'ins- truction militaire.

27 octobre.

Convoqué à la caserne de Reuilly.

On vous ferait résilier le contrat d'engagement si vous manifestez le désir de servir sous le drapeau.

Je ne suis plus Polonais depuis 192.

Je ne l'ai jamais été. Je suis seulement né en.

Deux cents non. Le contrat reste valable.

Vous partirez très bientôt.

Novembre.

Mme Peyrault me prépare un gros chandail noir et un passe- montagne, même couleur. Je lui propose le prix de la laine, elle refuse. B. termine le cache-nez bleu et velouté. Elle a déjà deux filleuls et ne sera pas à même, dit-elle, de m'envoyer de colis.

« Un petit mandat de temps à autre, si vous êtes à court. » Dans Paris-Midi, un article sur la maroquinerie de luxe.

Cette branche de l'industrie parisienne, réputée par sa qualité et ses goûts, menace ruine. M. Lévy-Fribourg, président du

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LE CONTRAT

Syndicat de la maroquinerie de luxe parisienne, déclare

« Notre métier a eu beaucoup à souffrir d'un terrible fraction- nement. Depuis la guerre de 14, près de 1.500 israélites polonais

se sont établisà leur compte. N'ayant pas de frais généraux,

ils vendent à des prix très bas. De nombreux Chinois aussi se sont installés à Paris et font de la maroquinerie, cameloteuse sans doute, mais si invraisemblablement bon marché qu'elle nous nuit tout de même. Ces gens vivent de rien. Ils sont garçons. Ils n'ont aucun besoin.

» Il est à penser que la guerre nous débarrassera, en partie, de cette concurrence étrangère dans le pays même. »

Le Boulevard Saint-Michel paraît animé, surtout quand la nuit tombe, du fait des agents de police, en uniforme et en bourgeois, qui, depuis la mobilisation, fréquentent beaucoup le quartier des Ecoles. Des groupes d'agents stationnent devant

les deux sorties du métro Saint-Michel, devant Cluny, au coin de la rue Monsieur-Le-Prince, devant le café Capoulade. De la

fontaine Saint-Michel à l'entrée de la bibliothèque Sainte- Geneviève, les papiers d'identité peuvent être demandés quatre, cinq ou six fois. Il est très indiqué de monter le boulevard les papiers à la main.

Engagement contracté le. Ça va!

La carte d'identité semble dévalorisée, seul compte l'enga- gement, la situation militaire, et ceux qui hésitent encore doi- vent des explications. Il est souvent question du « pain que vous avez mangé en France ».

Quelques départs de la caserne de Reuilly. A destination de La Valbonne ou du Barcarès, selon qu'on est Polonais, Ita- lien ou Roumain, etc.

Sur le front, les nuit sont calmes et les jours n'apportent rien de nouveau.

Les volontaires? quelle opération avantageuse Ils n'iront jamais au front parce qu'il n'y aura pas de guerre. Sinon, qu'attendrait-on pour vous faire partir. Vous aurez tous les avantages des combattants sans avoir combattu.

Décembre.

Les départs sont fréquents. Un convoi d'environ cent cin- quante hommes part chaque soir.

Ce matin, rencontré D. au restaurant grec de la rue Saint- Jacques. Parti avec le convoi du sept décembre, il est rentré le onze parce que « Inapte au service spécial de la Légion ».

Des cent quarante-deux dont se composait le convoi, quatre- vingt-huit ont été renvoyés. Le conseil de révision à Vancia

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COMME SI C'ETAIT FINI

demande de vrais légionnaires, les « crevards » ne l'intéressent pas. En revanche ceux du Barcarès ne reviennent pas. Conclu- sion (?) les régiments de marche en foimation au Barcarès sont des régiments réguliers La Valbonne, c'est la Légion.

Sur le front calme sur l'ensemble du front.

Les Allemands se sont usés en Pologne ils ne peuvent plus prendre l'offensive.

On les aura par le Blocus. Vous avez bien fait de signer le contrat d'engagement. Vous ne risquez rien.

Le vingt-six décembre m'apporte la convocation pour le trois janvier 1940. Se munir d'un repas froid.

Bourbier? Cloaque? Comment nommer cette immense remise qui s'étend sur un lagon de boue glaireuse et luisante et qui va nous tenir lieu de gîte pendant notre séjour à Sathonay? Tout légionnaire doit passer par ici (immatriculation), mais, assure- t-on, il n'est pas question d'y rester deux ou trois jours, et nous repartirons.

A l'intérieur de « l'étable », même boue, chichement cou- verte d'une fine couche de paille pourrie. Un millier d'hommes en partance pour le fort de Vancia. Quelques vieux légionnaires qui ont froid, eux aussi, assurent l'ordre dans cette tour de Babel. Vieux « clochards » grisonnants au masque raviné; usés, décorés, point méchants. Le sordide est rarement malveillant.

Mais c'est la Légion, la vraie. Et puis, après! Pourtant, ru- meurs et discussions. « Le sang d'un étranger vaut-il celui d'un Français? »

A Sathonay, dans la rue, chocolat chaud, pain beurré et belote. Légion, hangar, boue, sang étranger fumée d'un feu

d'artifice.

Retour de la ville. Rassemblements, appels, visites médi- cales, photos un numéro à la main, deuxième bureau, retrait des pièces d'identité, et encore deux appels. Prêts pour Vancia (convoi de cent quarante moins trois inaptes).

Six janvier. Nous partons en chantant, heureux de quitter Sathonay et sa boue.

Arrivés à Vancia à la nuit tombante. Alignés dans la cour du fort, l'appel se fait dans un silence funèbre. Ce n'est pas de la discipline, c'est de la terreur. Quelqu'un vient de remuer ou d'adresser, en murmurant, un mot à son camarade. Le grand adjudant à la tignasse rouge, avec un accent berlinois

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LE CONTRAT

Des Soldats comme vous, j'en chie quatre tous les ma- tins

La cérémonie terminée, les têtes de condamnés à mort s'évanouissent dans d'étroits couloirs sinueux conduisant aux chambrées qui nous sont réservées et où l'on sera quand même, et malgré la terreur, mieux que sur la paille fétide de Sathonay.

Dans ma chambre, cinquante et quelques légionnaires. (A partir de ce jour, se présenter à ses gradés légionnaire Un tel, matricule n° .). Discussions à plusieurs voix, cris, chants,

apostrophes chahut assourdissant où le yiddish, prédomine.

Si on voulait nous faire parler français, on nous aurait envoyés dans des régiments français. Pas la peine de faire l'intelligent quand on est bouché.

Bravo! Une chanson! Bravo! Vive!

Un petit caporal blond entre à l'improviste Ce n'est pas une école « chuife », ici.

Boche crie un jeune homme étendu sur un édredon noir, la tête dans un livre.

Le boche répond

Chtora (Je t'aurai) Chtora tapô (j'aurai ta peau).

Juif 'Un état civil supplémentaire pour temps de guerre il aura vu le jour au fort de Vancia, dans une chambrée bondée d'hommes venus d'au moins trois coins du monde qui, somme toute, veulent seulement faire la guerre.

A deux cents mètres d'ici, il y a un estaminet air méphi- tique, cartes graisseuses, le café sent le vin et la cave, mais les gens sont simples et nous regardent avec bonté.

Corvées, rassemblements, appels, distributions d'effets mili- taires. Tout brille, tout est neuf, sauf les cartouchières.

Habillés en soldats, nous attendons le départ.

9 janvier.

Rassemblés dans un hangar propre, à attendre les autocars qui vont nous emmener au camp de La Valbonne. Un sergent- chef nous commande. Il passe dans les rangs impatient et gre- lottant, lançant des quolibets qui, bien que significatifs, tom- bent dans l'indifférence générale. Silence. Aucune réaction à ce qu'il dit. Il repasse dans les rangs, crache une longue série d'interjections bizarres qui sont accueillies avec la même indif- férence, faite de peur et de mépris. Alors le malcontent se met à barytonner

Des soldats, ça! Des cons! Regardez-moi ces mili-

taires qui défendront la France! Pauvre France! Ils nous

reviennent tous les jours, malades, crevés, pieds gelés, réfor-

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COMME SI C'ETAIT FINI

més. Et ce ne sont pas des Luciani, des Bastiani, ce sont toujours les mêmes les Finklichstène et les Goltchistène Ah! Un peloton de soldats de Hitler, quelques mitraillettes!

Brrrrr. Tac. Tac. Tac. Tac.

Le nouvel état civil Juif prend corps et forme, se pré- cise, s'impose.

Pour tout le monde c'est seulement la guerre, pour nous ça va être le pogrome.

Si ça continuait, je demanderais d'aller dans l'armée polonaise.

Bougre de c. tu as signé un contrat.

Pour me faire insulter?.

Pour te faire enc.

Nous partons en chantant, heureux de quitter Vancia et ses Allemands.

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n

LA LEGION

Le camp de La Valbonne a pour centre les hautes casernes blanches situées aux abords de la petite ville qui porte ce nom et que nos autocars viennent de traverser. Ces casernes qui, après le stage à Sathonay et à Vancia, feraient notre bon- heur, abritent vraisemblablement des soldats déjà instruits..

Quant à nous, on nous installera, à en croire les bruits, dans un des cantonnements improvisés depuis septembre pour servir de lieu de formation aux régiments de volontaires. On cite Pollet, Saint-Maurice de Goudeaux, Dagneux, Bressol, etc.

Les autocars s'arrêtent en. pleine campagne. Un tout jeune sergent, élégant et coquet, rassemble les cent quatre-vingts hommes qui s'alignent en colonnes par trois.

Quelques isbas, les toits couverts de chaume, les coins des carreaux collés avec du papier journal. Un puits antique: grosse

chaîne couverte de givre et manivelle en bois, et un tout petit temple surplombé d'une minuscule cloche immobile., C'est le hameau qui nous verra naître soldats.

Officiers et sous-officiers qui nous accueillent sont d'une amabilité et d'un abord inespérés. Vancia s'évanouit.

Une maison bourgeoise de deux étages le « Château » une cour, deux étables, ungrenier et une vacherie composent le cantonnement. Distribution de couvertures (le lieutenant s'excuse de n'en pouvoir donner qu'une seule par homme) et nous pénétrons dans la cour où le contingent est divisé en quatre sections de quarante à quarante-cinq hommes; chacune.

Une tête de bœuf sculptée sur bois orne le dessus du cham- branle, à l'entrée de la vacherie. A l'intérieur anneaux rivés au mur, abreuvoirs dans le sens de la longueur, de la paille fraî- che étendue. sur les dalles. Il fait froid. Il fait noir. Je me trouve un coin où placer ma couverture et les hardes civiles, devenues depuis quelques heures inutiles, et je ressors dans 1a cour regarder tomber la nuit.

2

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COMME SI C'ETAIT FINI

Il fait déjà noir dans la cour, mais l'obscurité dans la va-

cherie est moins transparente. Sans importance il ne peut être question de se déshabiller.

On verra demain matin, on parlera au lieutenant, on lui dira que c'est humainement impossible. on gèle. une cou-

verture

Taisez- voua! C'est la guerre.

Matin culture physique dans la neige. Moniteur, le caporal Normand. Courses, saute-mouton, football, etc.

Fonction supplémentaire secrétaire de Prz, nommé chef de chambrée à la vacherie, parce qu'ancien soldat, mais ne sait pas écrire (cause de son humilité qui le rend bon). Listes, bons de soupe, tout ce qui est écriture.

Composition de la vacherie, si la consonance des noms signi- fie quelque chose 35 Juifs, 3 Ukrainiens, 5 Italiens et 2 Alba- nais. Juifs Polonais, quelques Lithuaniens, 2 ou 3 d'origine

russe.

Italiens, Albanais, Ukrainiens parlent français, souvent même entre eux. Les Juifs, bien que sachant la langue du pays, parlent yiddish. Tous ont au moins dix ans de séjour en France, quelques-uns y sont « presque » nés, mais

Pourquoi nous a-t-on mis tous. ensemble?.

Haussements d'épaules après les observations du caporal

Normand.

Parlez fiançais et vous faciliterez la tâche de ceux de vos camarades qui ne comprennent pas le « polonais ».

Et gare à celui de parmi nous qui se permettrait pareille

observation.

Ah Ça ne vous plaît pas, la « Mamé Loschen » la langue que parlait votre mère vous fait mourir de honte

Ma mère parlait une langue étrangère.

Le chef de chambrée empêche l'extension de la querelle la bagarre est évitée de justesse..

13 janvier.

Visité le hameau, ce samedi aprè-midi. Son nom Chânes.

Petites maisons, blanches, grises ou jaunes toujours enfu- mées, noirâtres. Masures croulantes archaïsme, pauvreté ances- trale. Trente et quelques familles dont cinq ont des chevaux.

Sept possèdent seulement des vaches, les autres n'ont rien. Il y a un café dans le pays, « Au Malassis ». Du café au lait à partir de six heures du soir. On fait queue devant la chaumière qui abrite le « Malassis ».

Dimanche, à La Valbonne, à trois kilomètres de Chânes.

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LA LÉGION

Une longue rue, treize cafés bondés de soldats; de vrais sol- dats qui comptent deux mois de service. Ils parlent « Voltige »,

« Mitraille », « Monter en ligne ». Nous sommes de la « bleu- sanle ». Au grand café où s'arrête l'autocar pour Lyon, ça tape en yiddish, un yiddish de guerre où reviennent des ter- mes techniques désormais indispensables « système D. »,

« Perm », « Salle de police », « Niouf » ou « Taule ». Dans la rue, les pointes de capotes relevées, le ceinturon serré, on cla- que des talons même devant les caporaux. Une troupe disci- plinée qui forcerait l'admiration des Allemands de Vancia.

A la vacherie, l'encre ne veut pas sortir de l'encrier pas une goutte ne veut tomber, la plume gratte sur une boulette de glace noire. J'avais pourtant enfoui l'encrier profondément dans la paille.

Plus une place debout au « Malassis ». Retour au château, il fait noir. Point d'électricité à Chânes. Cotisation pour l'achat de bougies et querelles pour une répartition « juste ». Il en manque souvent, les bougies disparaissent sans que personne parvienne à éclaircir le mystère.

A la troisième section, au grenier, les Italiens chantent en chœur une ritournelle où il est question de « fleurs qui viennent de la montagne ».

Mon voisin, celui dont le grabat touche au mien du côté gauche, est Italien. Nous sortons souvent ensemble. Plus exac- tement ensemble nous faisons queue devant le « Malassis <>

Toujours avec les Italiens Les Juifs ne lui conviennent

pas.

C'est un antisémite perdu.

Me voici classé et la vacherie divisée en deux clans les

« pour » ceux à qui je sers de scribe, et les « contre » ceux qui ont besoin d'un antisémite et croient l'avoir trouvé.

Stabo explique la chose « très objectivement »

C'est un type du Quartier Latin qui ne se plaît pas avec les gens de Belleville. `

Colosse de quarante ans, tête carrée sans menton, marchand de tout pour hommes et pour dames, vagues prétentions intel- lectuelles. Aimable, trop aimable, il ferme l'oeil gauche et pose affectueusement son bras droit sur l'épaule gauche de son interlocuteur. Il réussit toujours à se mettre d'accord.

J'ai essuyé les premières foudres de Stabo à propos de la liste des numéros des fusils.

Mon nom s'écrit avec T. et non pas avec D. On dit que vous êtes bachelier et vous ne savez pas écrire correctement

un nom. ·

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COMME SI C'ETAIT FINI

Le voici venir se mettre d'accord

Entre eux et vous, c'est une question d'arrondissement

vingtième contre cinquième, Belleville contre Saint-Michel.

Jadis, on se déclarait la guerre de rue à rue, aujourd'hui c'est de pays à pays. Demain, ça se passera entre planètes. Terre contre Lune.

Après dix jours d'école de soldat, le lieutenant commandant la 33e Compagnie croit que nous pourrions commencer à mar- cher, à apprendre le métier de fantassin. Et nous commençons à marcher. Quinze kilomètres pour un début. Point d'éclopés, tout le monde a tenu et tout le monde particulièrement les

cadres est content. A partir de ce jour, nous ne ferons que

marcher, le « métier » de fantassin absorbera quatre cinquièmes de notre activité quinze, vingt ou vingt-cinq kilomètres cinq jours sur sept. Ampoules, engelures, graissage des brodequins, passe-montagne pour se protéger les oreilles nouveaux sujets de conversation depuis que nous marchons sur la route ou à travers champs, toujours dans la neige. Les gradés, jugent les résulats satisfaisants et augmentent, en conséquence, les distances. Mais, malgré les débuts prometteurs, nombre de fantassins s'en vont peupler l'infirmerie.

Grippés, éclopés, gelés couvrent le parquet d'une modeste carrée où l'on respire un air d'asile de nuit. Dehors le thermo- mètre glisse à- 17; à l'infirmerie, la moyenne par malade donne- rait + 39 (on amène souvent des 39,8). Il n'iy. fait pas froid, à l'infirmerie, l'air qu'on y respire est d'une tout autre com- position. au delà du chaud et du froid. Entr'ouvrant seule-

ment la porte, une lame, puis une bouffée de matière asphy-

xiante me cogne au nez, envahit la gorge et va rapidement se réfugier dans le crâne. Ecervelé, perdu, je cherche, comme aux premiers instants qui suivent le réveil au milieu d'un cauchemar, à savoir où je suis, d'où je viens de tomber.

D'autres malades, les « légers », sont rassemblés dans la

cour, devant la Vacherie, autour du brasero qu'ils alimentent avec des branches couvertes de veiglas. Au retour de la marche quotidienne, les « légers » nous accueillent avec des sourires compatissants, quelquefois en tendant un quart de pinard chaud.

Cependant, satisfaction visible chez les gradés des résultats

obtenus après quinze jours d'instruction militaire. « Remar- quable. la rapidité avec laquelle ces braves étrangers s'assi- milent les théories sur les armes automatiques, les gaz, etc. ».

Mon ami O. parle de désertion, de suicide; Né en France,

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