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La détermination du concept de jus cogens

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La détermination du concept de jus cogens

KOLB, Robert

KOLB, Robert. La détermination du concept de jus cogens. Revue générale de droit international public , 2014, vol. 118, no. 1, p. 5-29

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44915

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LA DETERMINATION DU CONCEPT DE JUS COGENS

Par Robert KOLB

Professeur de droit international à 1 'Université de Genève

C'est peu dire que le concept de jus cogens continue à susciter des interrogations et des incompréhensions. De plus, nombre d'auteurs formulent à son égard des exigences qu'il ne peut guère remplir et satisfaire. L'objet de la présente contribution est de tenter de clarifier quelque peu les linéaments du concept. Il est vrai que l'auteur de ces lignes a du jus cogens (ou droit impératif) une conception qui s'écarte de celle de la majorité des auteurs et qu'on peut en ce sens appeler idiosyncrasique. Pour rappel, le jus cogens est ordinairement perçu comme un mécanisme de nullité d'une norme conventionnelle contraire, voire comme mécanisme de priorité hiérarchique octroyée à des normes de droit international général protégeant les intérêts ou les valeurs de la communauté internationale dans son ensemble. Ces normes « supérieures » auraient une pluralité d'effets juridiques1 : ici la nullité d'une norme contraire; là la nullité ou l'inapplicabilité d'une loi interne; là encore la mise à l'écart de l'immunité juridictionnelle d'un Etat; encore ailleurs l'aggravation du régime de la responsabilité internationale pour tort causé ; etc. Le jus cogens a avancé ainsi au rang d'une «super-légalité» internationale, mettant en danger la sécurité juridique du droit positif reçu. La lecture proposée ici permet de donner au droit impératif une signification différente, satisfaisante et opérationnelle, tout en évitant de s'engager dans des constructions intellectuelles dont l'une des caractéristiques est de susciter des attentes que l'observation de la vie politique et juridique internationale ne pourra pas satisfaire. A cet égard, il sied particulièrement de réfuter ou de redimensionner toute une série de prises de position sur ce que le jus cogens serait ou devrait être. Les ayant tour à tour analysées et du moins partiellement rejetées, il siéra de dire en toute brièveté ce qu'est le jus cogens. Le temps sera alors venu de conclure sur la nécessité d'un droit impératif international et aussi sur ses dangers. L'appareil sera maintenu au 'strict minimum, avec comme seul but d'étayer telle ou telle affirmation par des sources immédiatement disponibles. L'origine orale de la

1 Sur ces effets et leurs dangers, cf. C. FOCARELLI, /mernllliona/ l-aw as a Socwl C'onslrucl, Oxford,

2012, p. 312ss.

R.G.D.I.P. 2014-1

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1. UNE PHILOSOPIIΠN~:GATIVE:

CE QlΠLE JUS COGENSN'EST l'AS

Il y a six affirmations courantes sur le jus cogens qu'il s'agit d'analyser.

Aucune n'est fausse dans le sens technique de ce terme, mais chacune se présente comme étant superflue ou comme prêtant le flanc aux critiques d'un certain point de vue pertinent. Dès lors, il s'avère utile, sinon de les abandonner, du moins de les repenser de manière plus critique que tel n'est le cas jusqu'à ce jour chez un grand nombre d'auteurs et d'opérateurs.

1. Le droit impératif ne repose pas sur une hiérarchie normative

S'il y a une vérité canonique en matière de droit impératif, c'est bien celle selon laquelle les normes possédant cette qualité se situent au sommet de la normativité internationale et sont en ce sens hiérarchiquement supérieures aux autres normes du droit international. Les prises de position en ce sens ne se comptent plus2Aux débuts de sa carrière, le droit impératif, incorporé dans des règles de droit international général (notamment dans le droit international coutumier), était souvent censé constituer quelque part un droit supérieur aux traités. Selon l'miicle 53 et l'article 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, une norme conventionnelle ne peut pas déroger à une norme impérative de « droit international général ». Dès lors, on a vite fait de conclure que la norme coutumière itl)pérative doit être « supérieure » à la norme conventionnelle non impérative, puisqu'elle «l'emporte» sur cette dernière en cas de contradiction, et qu'elle l'emporte même de manière très radicale, non pas simplement par une priorité d'application en ce de collision (comme par exemple dans le cas de l'article 103 de la Charte des Nations Unies), mais par la nullité de la norme conventionnelle contraire (article 53 CVDT) ou par son extinction ex nunc (atiicle 64 CVDT, ce dernier cas étant réservé aux normes impératives s'étant établies postérieurement à l'entrée en vigueur de la norme conventionnelle contraire). De ces fondements initiaux apparemment assurés, le droit impératif a butiné dans toutes les directions. L'argument de la hiérarchie a tout patiiculièrement gagné en ampleur. Toute une série d'auteurs ont fini par lui donner une potiée générale : selon eux, le droit international aurait été réorganisé dans un sens progressivement vertical ; l'ancienne horizontalité des

2 Voir par exemple M. MILANOVIC, « Norm Conflict in International Law: Whither Human Rights? >>, Duke Joumal of Compara/ive and lnremarional !"aw, vol. 20, 2009, p. 74. Voir également: CD!, l·i·agmenlalion du droil inlemalional: Uifliculrés découla nf de la diversificalion er de 1 'expansion du dmil inlernalional, Doc. A/CN.4/L.682 du 13 avril 2006, §§ 19, 86, I 94, 361, 365, 380, 407, 493. Voir aussi, généralement, R. KOLB, Théorie du ius cogcns inlernalional, Paris, 2001, p, 1 24ss.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DE.JUSCOGHNS 7

sources, où chaque expression normative possédait la même valeur juridique du fait qu'elle exprimait toujours quelque part la volonté ou le comportement des Etats, aurait ainsi été remplacée par une verticalité progressive où certaines normes sont supérieures à d'autres. Le vecteur de cette supériorité réside dans un facteur politico-juridique: celui-ci résiderait dans le fait qu'il y aurait des valeurs fondamentales de la communauté internationale dans son ensemble ou encore des valeurs hmnanitaires premières; quand ces valeurs s'incorporent dans des normes de droit international, ces normes, au regard de leur contenu éminent, obtiendraient une force formelle accrue; elles se placeraient au-dessus des normes traitant de l'administration ordinaire des intérêts des Etats, c'est-à- dire du domaine grouillant du do ut des, de l'archipel émietté des nonnes à dignité réduite.

De cette conception d'ensemble est tirée, dans un pas argumentatif supplé- mentaire, la conception selon laquelle la hiérarchie signifierait qu'en cas de conflit la norme impérative doive l'emporter sur toute norme non impérative.

La norme supérieure a priorité sur la norme inférieure : lex superior derogat !egi inferiori. Peut-être n'ira-t-on dans ce cas pas jusqu'à tenir la norme contraire pour nulle et non avenue. Ainsi, si le droit d'accès des victimes à la justice est une norme impérative (ce qui est douteux) et que l'immunité juridictionnelle des Etats ne l'est pas (elle ne l'est effectivement pas), il faudra selon d'aucuns conclure que la norme impérative doit primer. Le droit d'accès à la justice 1' emporte sur 1' immunité juridictionnelle, du moins dans le cas d'espèce.

La norme sur l'immunité juridictionnelle n'est cependant pas nulle; elle est simplement écartée dans le domaine de la collision des normes. Dans cette argumentation, on se situe très loin du schéma de la CVDT de 1969. Il s'agit en réalité d'un tout nouveau droit impératif. La nonne sur l'accès à la justice est une norme de droit conventionnel et coutumier. La norme sur l'immunité des Etats est une norme de droit conventionnel et surtout coutumier. En somme, la collision a lieu avant tout entre deux normes de droit international général.

L'effet juridique consiste en une priorité d'application du droit impératif.

Comme l'on voit, on se situe davantage dans un schéma tel que celui de l'article 103 de la Charte que dans le schéma classique du droit impératif. La preuve en est que l'effet de la nullité disparaît. Il est remplacé par celui de la priorité d'application dans le cas d'espèce, une conséquence juridique étrangère à la doctrine classique du droit impératif(d'aucuns diront même qu'elle est étrangère au concept d'ordre public).

Or, les fauteurs de cette conception devront se rendre à 1 'évidence que la pratique internationale ne s'oriente pas souvent dans le sens d'une telle priorité, suivie d'une mise à l'écart de la norme contraire. L'affaire des Immunités juridictionnelles de 1 'Etat (20 12)3 devant la CIJ en est emblématique.

3 Jugement du 3 février 2012.

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une réparation) sur la norme non impérative de 1 'immunité juridictionnelle.

La Cour a écarté cet argument4, estimant que le jus cogens ne s'appliquait pas de cette manière. Selon la Cour, le droit impératif n'empiète pas sur la norme de l'immunité, celle-ci ayant dans ce contexte une valeur procédurale plutôt qu'une valeur substantielle; elle emporte dès lors l'absence de compétence de tribunaux internes saisis des demandes des victimes. D'aucuns pourraient douter du prononcé de la Cour et affirmer qu'elle s'est égarée, qu'elle a mal jugé, mal compris le droit applicable. Mais il est également possible de mettre en doute sa propre conviction et de reconsidérer le point de savoir si et dans quelle mesure la doctrine de la hiérarchie rend véritablement compte du phénomène.

A bien regarder, l'argument du droit impératif comme une forme de hiérarchie juridique est mal fondé. D'un côté, il ne suffit pas en lui-même pour tirer des conclusions sur la priorité d'application d'une des normes en conflit. Il faut à chaque fois des considérations supplémentaires pour fonder une telle priorité dans le cas concret, voire pour déterminer l'effet juridique d'une telle priorité là où le droit positif 1 'admet. En d'autres termes, 1 'argument de la hiérarchie est techniquement concevable mais n'est en tout cas pas suffisant pour affirmer une priorité d'application en cas de conflit entre normes.

La lex superior n'est pas automatiquement applicable prioritairement par rapport à la lex iF?ferior. On verra ci-après pourquoi il en est ainsi. En second lieu, dans la mesure où il est possible de parler d'une hiérarchie, il ne s'agit pas d'une hiérarchie entre normes du système juridique en général, mais d'une priorité 1 nullité (ou toute autre conséquence juridique prévue) entre des normes concrètes dans un rapport précis. En d'autres termes, la norme de droit impératif n'est supérieure, en un certain sens de ce terme, qu'à la norme dérogatoire qu'elle empêche de se former, qu'elle frappe de nullité ou qu'elle rend inapplicable.

La supériorité, si 1 'on veut absolument garder ce terme, est ainsi purement relative : elle se situe dans le rapport concret entre les deux normes en cause relativement à la capacité de dérogation d'une norme par rapport à 1 'autre ; elle ne s'étend pas au rang des normes dans l'ordre juridique international objectif. Ces deux considérations méritent qu'on les serre d'un peu plus près.

C'est une erreur courante, spécialement chez les non-juristes, que de croire que le droit « supérieur» 1 'emporte toujours et automatiquement sur le droit

«inférieur», c'est-à-dire que l'adage lex superior derogat legi iF?feriori soit d'application générale dans chaque cas d'espèce, qu'il constitue en quelque sorte une norme d'application directe. Il n'en est nullement ainsi. En droit, il n'est pas rare qu'une norme supérieure soit contredite par une norme inférieure sans que cette dernière ne subisse une nullité ou une inapplicabilité.

'Voir les§§ 92ss du Jugement.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DE JUS COG/iNS 9

Ainsi, dans les systèmes juridiques internes sans tribunal constitutionnel pouvant annuler une loi qui enfreindrait la constitution, la loi votée par le parlement ou adoptée par le peuple reste en vigueur et demeure applicable aussi longtemps qu'elle n'est pas modifiée ou abrogée par le législateur. C'est le cas en Suisse.

De même, dans le domaine dans lequel la Constitution helvétique reconnaît une autonomie aux communes, le droit communal peut primer le droit cantonal contraire. C'est dire que le droit inférieur l'emporte sur le droit supérieur en vertu d'une norme constitutionnelle fédérale octroyant une autonomie juridique à certaines entités. En somme, même si l'on voulait s'attacher à l'effet hiérarchique, il faudrait encore prouver qu'en la matière qui nous intéresse la conséquence issue de la hiérarchie et admise dans le droit positif est bien celle de la nullité ou de l'inapplicabilité de la norme coutumière non impérative contraire. Cela suppose au fond de rechercher si cette nullité ou inapplicabilité découle du caractère impératif de la norme ou d'autre norme du droit international. La hiérarchie n'est à cet effet d'aucun secours tangible et peut être écartée, à l'instar des constantes lors d'une opération de dérivation mathématique. La seule chose certaine est qu'une norme de droit impératif ne peut pas être dérogée par une norme conventionnelle contraire (et a fortiori par un acte normateur unilatéral, comme une promesse). Mais cela ne signifie pas qu'elle aura nécessairement en tant que telle une place généralement et abstraitement supérieure dans 1 'édifice d'ensemble du droit international objectif. En effet, il se peut également que la norme impérative l'emporte dans le cas d'une collision (et seulement dans ce cas circonscrit) sur une norme conventionnelle contraire, en vertu d'un adage lex cogentis . derogat legi di5positiva. Cette opération, qui découlerait du caractère impératif de la norme, implique aussi peu une construction hiérarchique que l'adage lex specialis derogat legi generali. Ce dernier ne signifie nullement que la loi spéciale soit en tant que telle hiérarchiquement supérieure à la loi générale (c'est non rarement plutôt le contraire). En d'autres termes, tout rapport de priorité (ou même de nullité) n'implique pas par nécessité la supériorité hiérarchique bien que cette dernière puisse être une explication du phénomène observé.

La « hiérarchie» entre la norme impérative et la norme non impérative soumise à la première relève donc plutôt d'un rapport juridique spécial entre ces deux normes, et seulement entre ces deux normes. Ce rappmi spécial se manifeste en une priorité d'application, en une nullité, en un obstacle dirimant à la formation d'une norme contraire, en l'inapplicabilité de la norme contraire ou en d'autres effets juridiques analogiques selon la situation en cause.

La doctrine la plus attentive a bien saisi la différence entre une hiérarchie normative objective et une quasi-hiérarchie limitée à des rapports normatifs bilatéraux. Ainsi, selon M. Yirally, le jus cogens n'est pas un phénomène de hiérarchie normative, étant donné que le droit impératif n'est pas placé « au- dessus» du droit dispositif, mais à ses côtés. Si l'on peut parler de hiérarchie

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particuliers dérogatoires. La hiérarchie se limite au rapport interne jus cogens 1 accord particulier et ne touche pas au rapport externe ju~· cogens 1 normes du droit international général5. C. Rozakis rapproche davantage ce mécanisme spécifique de priorité 1 nullité des sources générales du droit international, mais il n'insiste pas moins sur sa nature limitée au droit impératif dans ses rapports avec le droit particulier : « The novel vertical scheme introduced in international law consists ( ... ) of the hierarchically superior norms of jus cogens and the hierarchically inferior nonns of particular law. Ail other categories of rules are not affected by the superiority of the jus cogens norms vis-à-vis particular treaties or rules ; consequently the international legal system remains basically horizontal with ali rules of law in a linear formation, side by si de with the jus cogens norms »6. Il s'agit donc ici d'une« hiérarchie relative», qui n'est au fond pas autre chose que le concept d'indérogeabilité exprimé par un terme différent.

Cette dernière conception, soutenue par M: Virally et C. Rozakis, parmi d'autres, exprime de manière correcte le rapport juridique en cause. Etant donné que le terme de hiérarchie sans épithète tend à connoter une hiérarchie générale des sources (et parfois en plus une primauté automatique en vertu de 1 'adage lex superior) et provoque ainsi souvent des confusions, il vaudra mieux l'éviter.

Le jus cogens n'est pas en soi un phénomène de hiérarchie. C'est un phénomène de priorité spécifique de certaines normes, pouvant se manifester selon des modalités diverses, mais centré toujours sur la notion clé de dérogation ou plutôt d'indérogeabilité. On y reviendra plus loin.

2. Le droit impératif n'est pas nécessairement lié à l'ordre public des« valeurs fondamentales de la communauté» internationale

Dans la vision courante et dominante du droit impératif, celui-ci a pour but d'assurer un statut juridique supérieur aux normes du droit international qui expriment des valeurs fondamentales de la communauté internationale des Etats et 1 ou de l'humanité, voire aussi de. l'environnement naturel. D'où la question difficile de la détermination des normes pmteuses de telles valeurs fondamentales. Le plus souvent, on fait état des normes fondamentales liées au maintien de la paix, à 1 'autodétermination des peuples, au droit des droits de l'homme (y inclus le droit des réfugiés), au droit international pénal (interdiction du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, par exemple), au droit international humanitaire (notamment au droit dit de Genève sur la protection des victimes actuelles ou potentielles des conflits armés) et à la protection de l'environnement naturel. Nombre de questions subsistent toutefois

5 M. VIRALLY, « Réflexions sur le jus cogens », Al• Dl, vol. 12, 1966, p. 18.

6 C. ROZAKIS, 'lï1e Concèpl oj'Jus Cogcns in/he raw of'J'realies, Amsterdam 1 New York 1 Oxford, 1976, p. 22.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DEJUSCOCJ/iN,\' Il

quant à l'ampleur exacte du caractère impératif de ces normes, étant entendu que chacune d'entre elles n'est pas nécessairement impérative dans toutes ses expressions. Ainsi, par exemple, des accords relatifs à l'usage de la force ne sont pas nécessairement contraires à la règle impérative sur le non-recours à la force contenue dans l'article 2, § 4, de la Charte des Nations Unies ou dans le droit international coutumier. L'exception de la légitime défense contenue dans 1 'atticle 51 de la Chatte et dans le droit coutumier correspondant ne signifie pas seulement qu'un Etat peut agir par la violence en légitime défense, mais encore qu'il peut valablement contracter dans la sphère d'application de cette exception7

Il n'est pas ici contesté que de telles normes protectrices de «valeurs fonda- mentales » donnent lieu à du droit impératif. Il est uniquement contesté que de telles valeurs fondamentales soient les seules à générer des régimes de droit impératif. Si les normes d'ordre public mentionnées plus haut tiennent assez naturellement le haut de pavé en la matière, elles ne devraient pas cacher que le phénomène de l'impérativité est plus large. En d'autres termes, le rocher ne doit pas faire perdre de vue la montagne. Les normes d'ordre public universel ne constituent qu'un secteur du droit impératif, peut-être le plus important, mais pas le seul.

Comme on le verra ci-après, le droit impératif se manifeste en une technique de non-dérogation due à un intérêt collectif dans le maintien de 1 'intégrité normative d'un certain régime. On comprend aisément que dans le cadre des normes d'ordre public mentionnées, le « législateur international » ne veuille pas concéder un droit de dérogation. Il serait absurde d'argumenter qu'un accord sur la commission d'un génocide conclu entre deux ou plusieurs Etats les lierait juridiquement et permettrait à chacun d'entre eux d'en réclamer l'application, le cas échéant même de faire valoir la responsabilité internationale de l'Etat n'ayant pas coopéré comme prévu à la perpétration de ce crime. L'impossibilité de dérogation signifie concrètement la mise à l'écart ou la stérilisation juridique de la règle lex .specialis derogat /egi generali: l'accord patticulier conclu entre cettains Etats pour commettre un génocide contre un groupe ethnique qui les gêne tous ne prévaudrait pas en droit sur la règle générale interdisant le génocide, comme il le ferait d'ordinaire à cause de la règle sur la loi spéciale. L'intégrité

« impérative» de la norme générale frappe de nullité juridique la nonne particulière ayant tenté de lui apporter une dérogation. Le droit impératif signifie reconnaître que l'ensemble de l'ordre juridique ne peut pas contenir que des règles dispositives (dérogeables) et que tout acte illicite (voire tout crime) ne devient pas légal simplement parce qu'il est fait l'objet d'un accord.

7 Pour une détermination précise de l'ampleur du caractère impératif de l'article 2, § 4, ct du droit coutumier correspondant, voir O. CORTEN, I.e droit contre la guerre, Paris, 2008, p. 293ss, avec des renvois à la doctrine.

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recherchant à cette fin le maintien de l'intégrité normative. Le législateur aura dans ce cas recours à cette même technique de verrouillage qu'est l'indérogeabilité de la norme« protégée». Or, si la technique de non-dérogation pour toute cause d'intérêt collectif est l'essence du droit impératif, et non les valeurs fondamentales de la communauté internationale qui n'en sont qu'une expression particulière, alors Je jus cogens s'applique à d'autres phénomènes normatifs. Les conséquences de son application pourront de surcroît varier, en fonction des besoins de la matière. C'est dire en même temps que l'article 53 et l'article 64 de la CVDT de 1969 ne codifient qu'un type de droit impératif;

ils ne sont pas exhaustifs en matière d'impérativitéjuridique internationale.

Dans quels autres domaines devient-il possible d'imaginer du droit impératif? En d'autres termes, dans quelles autres situations l'intégrité du régime normatif général impose-t-il une protection contre toute dérogation juridiquement valide? Divers exemples peuvent être donnés.

L'un d'entre eux concerne des règles logiquement ou axiologiquement indérogeables. Il en va ainsi pour les principes pacta sunt servanda et la bonne foi. Le principe sur la fidélité aux traités ne peut pas être dérogé, parce que toute tentative de dérogation confirmerait le principe plutôt que de l'écarter.

Si certaines parties s'accordent de ne plus reconnaître le principe dans cet1aines situations ou même généralement, de deux choses l'une : ou bien les parties n'appliquent pas leur accord dérogatoire et alors le principe reste inaltéré ; ou elles appliquent leur accord dérogatoire, mais alors celui-ci suppose lui- même le respect du principe. Il en va de même pour la bonne foi : la mise en œuvre de l'accord dérogatoire supposerait pour lui-même la bonne foi. C'est ici en quelque sorte le domaine de ce que le vice doit invariablement à la vertu.

Certes, il est possible d'argumenter que les deux principes mentionnés participent des valeurs fondamentales de la communauté internationale (stabilité des traités, minimum de loyauté), si bien qu'ils seraient absorbés par les normes ordre public. Il n'en demeurerait pas moins que l'indérogeabilité repose ici sur des facteurs situés en amont de 1 'ordre public. Les deux principes ne sont pas dérogreables, plus que pour des raisons de valeurs fondamentales, déjà à cause des lois de la logique. Il ne faut donc pas s'interroger sur le point de savoir si les valeurs fondamentales qu'ils incorporent ont donné lieu à des normes impératives et quelle ampleur celles-ci possèdent. La question se pose sur le plan distinct des possibilités logiques. Dès lors, nous nous situons ici dans une catégorie à part de droit impératif.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DE JUS COU ENS 13

Un autre exemple est celui des actes constitutifs d'organisations ou d'organes internationaux. Nous avons soutenu ailleurs8 que les traités instituant des organisations internationales ou des organes internationaux reposent sur un type (distinct) de droit impératif. En effet, ces textes reposent sur un concept d'intégrité normative qui leur est propre. L'organe ou l'organisation en cause ne peut fonctionner qu'en relation avec un ensemble de règles données, liant également les Etats membres (organisation) ou les Etats admis à comparaître (organes notamrhent judiciaires). Ainsi, en matière de réserves, celles-ci sont soit totalement exclues9, soit subordonnés à 1 'acceptation par 1 'organe compétent de l'Organisation10Pour ce qui est de ce dernier, à défaut d'indication expresse, il s'agira de l'organe possédant les compétences résiduelles. Au sein des Nations Unies, ce serait 1 'Assemblée générale, article 10 de la Charte11 Il en va analogiquement d'accords dérogatoires entre quelques membres. Ces accords ne peuvent en aucun cas affecter le fonctionnement de l'instrument constitutif et ne peuvent s'imposer à l'organe de l'Organisations, qui n'appliquera que les règles de son instrument constitutif (voir à cet effet l'article 41 de la CVDT). Ainsi, deux Etats ne peuvent conclure un accord pour induire la Cour internationale à leur indiquer comment elle entend décider, en violation du secret du délibéré12 ; ils ne peuvent pas davantage conclure un accord imposant à la Cour de leur donner un avis consultatif13. La Cour ne peut exercer ses compétences que conformément au Statut. Même si l'accord des Etats fait patiie des sources qu'elle est tenue d'appliquer en vertu de l'atiicle 38, § 1, lettre a, du Statut, ces mêmes accords ne peuvent pas valablement déroger aux autres règles du Statut, qui s'imposent toujours à la Cour. Il y a dès lors ici un mécanisme de non- dérogation ou de stérilisation de la règle de la lex specialis; si on voit en cela l'aspect fondamental du droit impératif, nous nous situons bien dans un cas d'application du droit impératif. Certes, il y a deux variations majeures par rapport aux normes impératives d'ordre public. Premièrement, il nes 'agit pas de valeurs fondamentales de la communauté internationale ; les règles des instruments constitutifs ou du Statut de la CIJ sont des règles neutres à cet égard.

Toutefois, elles reposent sur un intérêt à la protection de 1' intégrité de leur régime normatif: le régime en cause ne peut pas fonctionner, sauf à rester indérogeable et donc unitaire. A notre sens, cela suffit pour mettre en branle un ce1iain type de droit impératif. Deuxièmement, il est constant que l'accord dérogatoire conclu, disons par des Etats à une procédure devant la CIJ, n'est pas

"Théorie du ius cogens internalionai, Paris, 2001, p. 209ss.

9 Article 120 du Statut de la CP! ( 1998).

10 Article 20, § 3, de la CVDT de 1969.

11 Mis à part l'article lü de la Charte des Nations Unies, voir aussi l'affaire du Statut du Sud-Ouest Af/-icain, CIJ, /lecueil, 1950, p. 137.

12 Voir R. KOLB, Théorie du ius cogcns international, Paris, 2001, p. 304-305, mentionnantl'aftàire des

?,ones ji-anches en 1929.

1.1/bici., p. 305ss, avec la mention de la jurisprudence pertinente.

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phénomène de droit impératif. La nullité ne s'impose pas dans ce cas au regard du fait que l'accord ne cherche pas à déroger à des règles reposant sur des valeurs fondamentales (par rapp01t auxquelles aucun écmt par voie d'actes juridiques pmticuliers ne peut être admis). Toutefois, comme le montre la jurisprudence de la Cour, les accords dérogatoires ici en cause seront et resteront inapplicables. La Cour n'en tiendra aucun compte, du moins dans le domaine où ils contrastent avec le Statut ou le Règlement (sauf dans le contexte de l'article 101 de ce dernier). Comme ces accords n'ont pour objet que l'exercice de certaines facultés pendant la procédure devant la CIJ, le fait que la Cour refuse d'en tenir compte équivaut à les priver de tout effet juridique. Cette absence totale d'effet juridique correspond très largement à une nullité. L'inapplicabilité de ces accords les rend de fait et de droit caducs. C'est un cas très particulier d'inefficacité d'un accord, que la CVDT n'a pas envisagé.

Si l'on suit l'argumentation précédente, il appert que des phénomènes de droit impératif existent en dehors du domaine des normes incorporant des valeurs fondamentales de la communauté internationale. Il faut alors élargir le concept de droit impératif, étant donné que sa différence spécifique ne peut plus résider dans ces valeurs. Celles-ci ne sont plus que des expressions du principe, mais pas sa cause. La cause doit résider ailleurs, à savoir dans la volonté du législateur de protéger l'intégrité normative d'un régime en ne permettant pas à des actes dérogatoires de déployer leur effet ordinaire en fonction de la règle relative à la lex specia!is. Il en est ainsi quelle que soit la cause de cette volonté de protéger 1 'intégrité normative. Les valeurs fondamentales ne sont qu'une cause, sans doute la plus éminente; mais il y en a d'autres.

3. Le droit impératif n'est pas nécessairement universel

Selon un dogme découlant d'une lecture lexicale de l'article 53 de la CVDT, interprété de surcroît comme étant exhaustif (c'est-à-dire comme contenant 1 'ensemble du droit impératif international, en conjonction toutefois avec l'article 64 de la même Convention), tout le droit international impératif relève du droit international général ou universel. D'aucuns14 en ont tiré la conclusion que le droit impératif repose nécessairement sur la coutume générale, seule apte à créer des règles d'application universelle à tous les Etats, voire à tous les sujets du droit international. En effet, l'article 53 est libellé comme suit:« Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative de droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme

14 Cf. C. MAJA, /,e concept de jus cogens en droit i/1/emationa/ public, thèse de J'Université de Bourgogne, 2006, p. 275ss. Sur la question des sources, voir aussi A. ÜRAKHELASHVILI, Perempory Norms in/ntemational l-aw, Oxford, 2006, p. 1 04ss.

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LA DÜERMINATION DU CONCEPT DE.Jl!SCOGFNS 15

impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise ... ». Selon cette disposition, le droit impératif apparaît donc dans une norme de «droit international général ».

L'autre dogme, relatif aux valeurs fondamentales de la communauté internationale, entretient tout autant cette idée de nécessaire universalité.

Le maintien de la paix, l'autodétermination des peuples, les droits de l'homme fondamentaux, l'interdiction du génocide, et d'autres catégories du même genre, reposent sur et supposent des normes universelles. On peut difficilement supposer que de telles normes relèvent du droit particulier, voire soient seulement régionales et qu'elles s'imposeraient à des normes universelles (pour autant qu'elles existent) uniquement sur la base chétive de la lex specia/is.

Il ne s'agit pas ici de contester ce point, mais une fois de plus d'insister sur sa portée limitée. Un certain droit impératif, le plus important sans doute, est universel, c'est-à-dire repose sur des normes à portée générale (c'est le cas du droit impératif d'ordre public, au sens déterminé ci-devant). Or, il y a d'autres normes de droit impératif, d'un type différent, où cet élément d'universalité n'est pas nécessaire et fait défaut.

Il en va ainsi des normes de jus cogens régional. Nous avons tenté de montrer dans une autre contribution15 à la fois que les travaux préparatoires de la CVDT de 1969 montrent que les rédacteurs de la Convention n'entendaient pas exclure un droit impératif régional (mais n'ont simplement pas traité le point) et aussi qu'un tel droit impératif régional existe. Il en est ainsi, par exemple, de cetiains principes du Conseil de l'Europe. Des principes relatifs à la prééminence du droit, à la démocratie, à la bonne gouvernance et aux droits de l'homme (y compris de minorités) ont ici un enracinement plus développé que dans d'autres parties du monde et ont probablement donné lieu à certaines normes impératives qu'on ne rencontre pas de manière identique ailleurs.

On peut évoquer notamment la question de la démocratie, c'est-à-dire d'un gouvernement issu du suffrage universel16

Un tel droit impératif régional ne pose pas des problèmes conceptuels particuliers. Il ne s'applique qu'aux Etats patiies au système de droit particulier qui les porte et il déroge au droit international général en tant que lex ~ïJecia/is.

·route tentative de dérogation par un droit sous-particulier, applicable à quelques patiies au système « régional », serait frappé de nullité- par exemple un accord entre deux Etats européens dans lequel ils s'obligent à abolir chez eux la démocratie. Les articles 53 et 64 de la CVDT seraient applicables par analogie.

15 «The Formai Source of lus Cogens in Public International Law», Zeitschri(i .fiïr ii[fèntliches Recht (Zii/1), vol. 53, 1998, p. 69ss.

"' Voir généralement L. A. SICILIANOS, CONU et la démocratisation de 1 'Hl at: .1ystèmes régionaux et ordre puh/ic universel, Paris, 2000, p. 46ss.

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là un argument valable contre la qualification de ces normes comme étant impératives. Dans les relations des Etats « régionaux » avec des Etats « extra- régionaux» s'applique en effet le droit international général et non la norme régionale impérative. Le caractère de la norme impérative ne suppose pas qu'elle s'applique dans tous les cas, c'est-à-dire qu'aucune déviation ne soit jamais possible. Cela n'est vrai que pour le droit impératif d'ordre public universel. C'est une pétition de principe que de 1 'exiger automatiquement pour la définition de tout droit impératif quelconque. Ce qui paraît décisif, c'est plutôt l'opération spécifique de la norme impérative, à savoir son code génétique.

La norme régionale impérative s'oppose à toute dérogation par du droit pariiculier à l'intérieur de son champ d'application personnel; elle frappe de nullité la norme contraire ; et elle repose sur la nécessité de protéger 1' intégrité normative du régime juridique dont elle ne permet pas la dérogation.

Ces caractéristiques font de cette norme assurément une norme impérative.

Elles révèlent dès lors un type de droit impératif. Si un tel type de droit impératif existe, il faut en prendre acte et le classer parmi les phénomènes de l'impérativité en droit plutôt que de le nier pour des raisons dogmatiques.

Qui plus est, une petite expérience mentale peut permettre de renforcer l'argu- mentation sur ce point. L'interdiction du génocide fait partie du droit impératif universel (droit impératif d'ordre public). Or, il serait absurde d'argumenter que cette norme cesserait d'être impérative pour le droit de l'humanité parce qu'elle aurait cessé d'être universelle, par exemple du fait que des aliènes auraient débarqué sur terre et que nous aurions réglementé certains rappo1is avec eux par un système juridique plus général encore que notre droit international public général actuel. Du coup, ce dernier serait devenu un système « régional ». A supposer que la norme sur l'interdiction du génocide ne figure pas dans ce nouveau corps du droit, par exemple parce que ces aliènes ne peuvent matériellement pas subir des actes du type de ceux interdits par le génocide, faudrait-il conclure que le droit international applicable aux rapports entre être humains ne serait plus universel dans le sens susindiqué et que dès lors il ne pourrait plus contenir aucune norme impérative? Cette conclusion paraît quelque peu déraisonnable. Le présent exemple, malgré son caractère hypothétique et construit, montre que l'universalité ne peut pas être le critère décisif. Le critère déterminant doit être plutôt celui de 1 'intérêt et 1 ou de la volonté de maintenir 1 'intégrité normative d'un régime et de la protéger contre la fragmentation juridique qui s'ensuivrait de la reconnaissance de normes prioritairement applicables entre certaines pariies du fait de l'application de l'adage lex specia!is. Une telle manière de voir ouvre sans doute la voie à la conception et à 1 'analyse de normes impératives régionales.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DE.JUSC!XiliNS

4. Le droit impératif n'est pas limité à la dérogation par du droit conventionnel

17

Les articles 53 et 64 de la CVDT de 1969 définissent le droit impératif universel par rapport aux traités. L'acte dérogatoire est contenu dans un accord;

cet accord est frappé de nullité (article 53) ou prend fin ex nunc (article 64).

Toutefois, ces dispositions ne sont pas exhaustives dans le sens que le droit impératif ne pourrait s'appliquer qu'au droit international conventionnel.

La CVDT possède simplement son propre champ d'application : elle porte sur les traités et s'occupe dès lors de leur conformité au droit impératif. La doctrine et la pratique internationales ont toutefois étendu la notion de droit impératif à d'autres domaines. Cetiains restent dans l'aire traditionnelle du droit impératif, à savoir la faculté ou l'absence de faculté d'une dérogation et les effets juridiques de celle-ci, concernant des actes autres que des traités; d'autres domaines dépassent cette aire reçue en s'aventurant vers des effets que la norme impérative déploiera quand elle aura été violée, c'est-à-dire vers les conséquences de 1 'acte illicite contre une norme impérative (voir notamment les articles 41 et 42 des Articles sur la responsabilité internationale des Etats de 200117). La première de ces amplifications du champ d'application ne peut être mise en cause généralement, étant donné qu'on reste dans le cadre de la

«logique» inhérente au droit impératif: celui de la validité de l'acte normatif contraire. Les conséquences du fait illicite résultant d'une violation de la norme impérative ressortissent à une autre logique, qui n'est pas d'emblée propre au droit impératif. Ces conséquences spéciales sont par ailleurs confinées à une seule catégorie de droit impératif, à savoir celui résultant de normes d'ordre public universel. Si un tel élargissement du droit impératif est techniquement possible, c'est une autre question de savoir dans quelle mesure il est heureux ou adéquat.

Pour rester dans le domaine de l'élargissement incontesté, il paraît entièrement fondé d'appliquer l'impérativité de la norme à tout acte Uuridique) normateur dérogatoire, quelle que soit sa source. La seule condition à première vue nécessaire est que cet acte normateur relève du droit particulier. Quelques Etats ou sujets peuvent chercher à s'affranchir du régime normatif impératif par voie d'accords inter se ; ceux-ci sont alors frappés de nullité ou autrement rendus inapplicables. Un Etat peut aussi tenter tout seul de s'affranchir, dans un contexte donné, d'un régime juridique plus général et impératif, quand le droit international lui reconnaît abstraitement le pouvoir d'ainsi s'en affranchir à travers un acte unilatéral. Il est manifeste qu'il ne faut pas prendre en considération les actes unilatéraux de fait, c'est-à-dire les actes ou omissions matériels, qui ne peuvent, quand à eux, être que conformes ou non conformes à la norme; ils s'analysent dès lors soit comme actes conformes à la norme soit

17 Resolution de J'AGNU no 56/83 (2001).

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la norme applicable, pour voir s'il est compatible ou non avec elles. Certes, un tel acte pourrait être placé sous le sceptre du droit impératif dans le second sens indiqué ci-devant, à savoir pour déterminer des conséquences spéciales découlant du fait qu'il aura violé une norme impérative. Nous nous situons toutefois ici dans le domaine de la responsabilité des Etats et non dans celui des sources du droit, en particulier de la validité d'un acte juridique. Or, tout acte unilatéral n'est pas un acte matériel, tels que le sont l'invasion d'un territoire, l'utilisation d'une certaine arme, l'implantation d'un drapeau, etc. Il y en a qui sont également des actes normatifs, c'est-à-dire des actes auxquels l'ordre juridique reconnaît l'effet de modifier les droits et les obligations des parties concernées dans le sens de la déclaration de volonté qu'ils formulent (actes juridiques). Dans la mesure où de tels actes sont susceptibles d'influer sur les droits et les obligations subjectifs des parties, c'est-à-dire d'être des sources du droit ou pour le moins de situations juridiques subjectives, l'ordre juridique peut se poser légitimement la question de leur validité, avant même de s'interroger sur leurs effets. De tels actes unilatéraux à caractère normatif existent tant dans le domaine conventionnel que dans le domaine coutumier.

Dans le premier domaine, on fera état des réserves à un traité: il s'agit d'actes unilatéraux formulés par une partie à un traité au plus tard au moment de sa ratification ou de son accession au traité, à travers lesquels cette partie entend modifier l'application des droits et devoirs reconnus par la convention dans ses relations avec les autres parties au régime conventionnel. Le droit international conventionnel reconnaît assez généreusement à chaque signataire ou partie de formuler de telles réserves. Il contient à leur égard aussi des conditions de validité ou pour le moins d'opposabilité (voir les articles 19-23 de la CVDT de 1969). En toute logique, la doctrine et la pratique admettent qu'une réserve ne peut pas prétendre déroger à une norme de droit impératif8. Il en va de même dans le domaine du droit coutumier, quand le droit international reconnaît à un acte juridique unilatéral la faculté de modifier les droits et les devoirs applicables (source d'obligations). Il en va ainsi, par exemple, de la reconnaissance ou de la promesse. Une reconnaissance ou une promesse dont le contenu s'écarterait du droit impératif aurait deux conséquences juridiques cumulatives : en premier lieu, la dérogation qu'elle prétendrait imposer au droit impératif pour ce qui est de la situation juridique subjective de l'Etat reconnaissant ou promettant ne serait pas valide, et l'acte de la reconnaissance ou de la promesse seraient par conséquent nul et non avenu ; en second lieu, si cet acte s'accompagnait d'une violation d'une norme impérative par la mise en œuvre de certains actes matériels incompatibles avec elle, les conséquences

" Voir par exemple A. ÜRAKHELASHVILI, l'eremptmy Norms in International Law, Oxford, 2006, p. 176ss.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DE JUS COGENS 19

aggravées de 1 'acte illicite prévues dans les miicles précitées sur la responsabilité des Etats de 2001 seraient applicables (dans la mesure où on leur reconnaît une valeur de droit international coutumier).

Il faut encore une fois particulièrement souligner que la validité d'un acte unilatéral (et donc tout le volet de la dérogation, typique pour le droit impératif) ne peut être en cause que si l'acte en question se voit doter par le droit international de la capacité de modifier les droits et les obligations des parties en cause. Ce n'est pas souvent le cas, mais c'est parfois le cas. Dans l'affirmative, cet acte a une force normatrice et il peut être soumis à l'analyse du droit impératif au sens classique du terme. Un acte unilatéral purement matériel ne peut au contraire pas modifier les droits et les devoirs en cause, car l'ordre juridique ne permet pas normalement à un sujet d'altérer ses droits et ses obligations envers les autres sujets à son bon plaire. Par conséquent, de tels actes non normateurs ne peuvent être soumis qu'au volet du droit impératif résultant des conséquences de la responsabilité. La conclusion est donc que le droit impératif doit s'appliquer dans son volet classique validité 1 dérogation aux actes juridiques même autres que conventionnels. Si une dérogation n'est pas permise par accord, à plus f01ie raison une dérogation ne peut être permise par des actes juridiques unilatéraux.

Au contraire, un élargissement analogue ne peut pas être admis en matière de droit coutumier. Nous avons considéré cet aspect des choses de manière assez détaillée dans une autre contribution I9

. Il faut distinguer en la matière entre le droit coutumier universel ou général, et le droit coutumier régional ou particulier. Par rapport à la norme impérative, le premier n'est pas un droit particulier. La norme impérative est elle-même normalement une norme de droit international coutumier universel ou général ; tel est certainement le cas s'agissant des normes impératives d'ordre public universel. La norme

« dérogatoire » est ici une norme issue de la même source de droit international général. Or, le mécanisme de la validité 1 dérogation ne joue qu'entre droit général et droit particulier ; il ne porte que sur les relations entre la norme juridique impérative et l'acte juridique contraire. L'une et l'autre de ces conditions font ici défaut. La norme coutumière est une norme reposant sur un fait juridique au sens étroit, non pas sur un acte juridique. Elle est basée sur une certaine pratique et une certaine opinion. Un conflit réel entre une nonne coutumière impérative et une norme coutumière non impérative ne peut pas se présenter en dehors du contexte de l'ajustement et de l'interprétation des normes coutumières, c'est-à-dire de la pratique et de l'opinion juridique qui les porte.

En effet, la pratique et l'opinion ne peuvent se contredire- et si elles paraissent le faire, il faut résorber la difficulté par l'interprétation. Ainsi, une norme impérative établie empêche normalement une norme non impérative contraire

"«Nullité, inapplicabilité ou inexistence d'une norme coutumière contraire du Jus cogens universel?», Ji(]IJ/1', vol. 117,2013, pp. 281-298.

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différente que celle prévue dans la norme coutumière impérative, la pratique et l'opinion en faveur de cette dernière auront périclité, avec comme effet l'extinction de la norme impérative. Si au contraire une norme devient impérative ou s'établit postérieurement à la norme coutumière non impérative, soit la pratique aura aménagé une nouvelle exception à la nonne coutumière non impérative antérieure, soit cette norme s'éteindra avec 1 'émergence de la nouvelle norme impérative, soit enfin la nouvelle nonne impérative aura un champ d'application limité par le domaine de 1 'ancienne coutume non impérative. Exemple : il existe une norme coutumière non impérative sur 1' immunité juridictionnelle des Etats ; une nouvelle norme coutumière émerge portant sur l'accès des victimes de crimes de guerre à la justice, aux fins d'obtenir réparation; cette nouvelle norme devient impérative. Il faut ici interpréter la pratique et l'opinion pour dégager la sphère d'application des deux normes. Soit la norme sur l'accès à la justice a porté à extinction l'ancienne norme sur l'immunité, si cet effet ressort des actes pertinents des Etats (il s'agirait dans notre contexte d'un résultat déraisonnable); soit le droit d'accès a modifié l'ancienne norme sur l'immunité en lui aménageant une exception nouvelle pour les victimes de crimes de guerre (il faudrait conclure ainsi si la pratique internationale s'orientait dans ce sens); soit enfin le droit d'accès à la justice sera tempéré par l'ancienne norme sur l'immunité, qui lui imposera une exception (il faut conclure ainsi tant dans le cas d'une exception expresse que dans le cas où la pratique ne montre pas que les Etats entendaient renoncer à leur immunité, étant donné que la renonciation aux droits ne se présume pas et que 1 'applicabilité d'une norme coutumière persiste aussi longtemps qu'une exception ne s'est pas établie). Cette perspective place le problème du rapp01i entre les deux normes générales sur un plan adéquat.

Il s'agit de déterminer leurs sphères respectives d'application de manière à dégager une résultante.

Au contraire, la technique traditionnelle du droit impératif produirait dans ce contexte des résultats entièrement déformés. Si l'on appliquait par analogie lejus cogens de la CVDT aux normes de droit international coutumier, plutôt que d'ajuster les nonnes par l'interprétation de la pratique et de l'opinion, on conclurait que l'une d'entre elles l'empo1ie sur l'autre au point de la rendre nulle. Le conflit serait résolu par une technique entièrement disproportionnée, car il serait manifestement déraisonnable d'affirmer qu'à cause de la règle impérative sur l'accès des victimes à la justice (à supposer qu'elle existât) cette autre règle du droit international général qu'est l'immunité serait frappée de nullité. Il faudrait plutôt se replier sur une primauté d'application similaire à celle codifiée par l'miicle 103 de la Charte des Nations Unies. En définitive, ce serait ainsi revenir à la question de l'ajustement ou de l'interprétation des

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LA DI2TERMINATION DU CONCEPT DE.Jl!SCOGHNS 21

champs d'application des normes. Il demeure cependant que le caractère impératif d'une norme coutumière peut influer sur la formation de nouvelles coutumes contraires en élevant le seuil de la pratique et de l'opinion requis pour admettre l'effacement de l'ancienne norme impérative20. De même, le caractère impératif d'une norme coutumière peut influer sur le processus interprétatif quand il s'agira d'assigner à chacune des normes en cause une sphère d'application lui étant propre. Le « poids » de la norme impérative pourrait lui permettre un rayonnement patiiculièrement fort. Il n'y a pas en l'occurrence un effet direct du droit impératif, effet qui culminerait dans l'impossibilité juridique d'une dérogation. Il n'y a pas de dérogation entre dispositions du même niveau de généralité ratione personarum. Par ailleurs, dans aucun ordre juridique les normes de droit impératif ne sont censées opérer une nullité ou une inapplicabilité vis-à-vis de normes objectives suprêmes de l'ordre juridique. L'effet du droit impératif pOtte toujours sur une relation entre droit général et droit particulier «dérogatoire», dont précisément l'effet de dérogation est stérilisé.

Il n'est pas possible d'en dire de même pour le droit coutumier régional ou particulier. Dans ce cas, il y a bien un rapport entre droit général (impératif) et droit patticulier (non impératif). Le mécanisme de la dérogation jouerait donc pleinement, n'était le droit impératif. En d'autres termes, entre les Etats liés par la coutume particulière, celle-ci prévaudrait sur le droit coutumier général (lex specialis derogat /egi genera/i). La fonction spécifique du droit impératif est de l'empêcher. La doctrine admet par voie de conséquence très généralement une telle application du droit impératif à la règle coutumière particulière21

Mais il reste le deuxième problème : cette règle coutumière régionale ou particulière n'est pas un acte juridique, que l'ordre juridique peut donc tenir pour nul. La coutume patticulière reste un fait juridique au sens étroit, c'est-à- dire un processus de fait (fondé sur une pratique èt une opinion) auquel l'ordre juridique reconnaît certains effets de droit, en l'occurrence ceux de créer des normes juridiques objectives (fait de production juridique). C'est la raison pour laquelle il sera ici difficile d'admettre la nullité de la coutume régionale contraire. A bien regarder, cette difficulté peut toutefois aisément être tournée en prenant exactement en compte les données réelles du problème. En effet, soit la règle universelle impérative est antérieure à la prétendue règle coutumière particulière ; ou alors la règ;le impérative universelle est postérieure (soit en tant que telle, soit seulement son caractère impératif) à la règle coutumière particulière. Dans le premier cas de figure, la règle coutumière universelle de nature impérative empêche la formation de la coutume particulière. L'effet du

20 Voir parmi d'autres G. ABI-SAAB, "Cours général de droit· international public», /ICA/JI, vol. 207, 1987-VIl, p. 378; M. KOHEN, <<The Use of Force by the. US alter the End of the Cold War, and its Impact on International Law», dans: M. BYERS 1 G. NOLTE (cds.), Uni!ed Shi/es Hegemony and 1he Foundalions o(Inlerna/ional Law, Cambridge, 2003, p. 228.

21 Voir par exemple A. VERDROSS 1 B. SIMMA, Universelles Vôlkerreehl, 3'"" éd., Berlin, 1984, p. 359.

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l'opinion régionale ou particulière la faculté de créer une norme coutumière, c'est-à-dire ne les traitera pas comme des faits de production juridique.

La prétendue norme régionale ou particulière soit ne se sera jamais formée, en l'absence d'une pratique et d'une opinion concluantes; soit elle reposera sur une pratique et une opinion en soi suffisantes pour former ordinairement une règle coutumière, mais qui n'auront pas ici cet effet à cause du caractère impératif de la norme de droit international général. Le résultat est dans les deux cas que la règle coutumière particulière est inexistante au regard du droit. Dans la seconde hypothèse mentionnée, le droit impératif empêche« l'existence» de la règle. L'effet du droit impératif n'est pas celui de la nullité, étant donné que celui-ci ne convient qu'aux actes juridiques; l'effet correspondant pour un fait juridique tel que la coutume est celui de 1 'inexistence de la norme de droit particulier contraire. Si nous envisageons maintenant le deuxième cas de figure, celui où la norme régionale préexiste à la norme universelle impérative, l'effet de l'émergence de cette dernière s'articule en analogie avec l'article 64 de la CVDT de 1969. Comme le traité antérieur incompatible prend fin (ex nunc), la coutume régionale contraire s'éteint (extinction). En d'autres termes, l'émergence d'une règle coutumière universelle de caractère impératif est une cause d'extinction d'une règle coutumière régionale ou pmiiculière contraire.

Ici encore, le droit n'a pas recours à la nullité. En effet, la coutume particulière n'est pas entachée d'un défaut qu'elle avait au moment de sa création; elle n'est devenue incompatible avec la norme impérative que par la suite. Dès lors, la nullité (ex tune) fait place à l'extinction (ex nunc).

En somme, l'on voit que le droit impératif s'applique à d'autres actes que des traités. En même temps, il ne s'étend pas à toutes les expressions normatives quelconques, notamment aux normes du droit objectif général.

Comme l'on sait, il n'est pas davantage impossible que l'ordre juridique interne de tel ou tel Etat fasse place à la notion de droit international impératif, soit en renvoyant au concept tel qu'il existe en droit international général, soit en construisant un concept autonome de droit impératif international, calqué plus ou moins significativement sur le concept tel qu'il est utilisé dans l'ordre juridique international. Tel est le cas de la Constitution suisse (voir par exemple son article 139). Elle rattache au droit impératif international certaines conséquences concernant des sources de droit interne, par exemple l'invalidation par 1 'Assemblée fédérale d'une initiative populaire contraire à ces normes internationales impératives. Il s'agit ici d'un effet du droit impératif au niveau du droit interne, et non pas au niveau du droit international. Le droit impératif international peut donc dans certains cas avoir des conséquences aussi dans d'autres ordres juridiques que le droit international, mais uniquement en fonction de dispositions de ces autres ordres juridiques.

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LA DÉTERMINATION DU CONCEPT DE JUS COGENS

5. Le droit impératif ne doit pas nécessairement avoir comme effet la nullité de la norme contraire.

23

Suivant les termes de l'article 53 de la CVDT de 1969, un traité qui tente de déroger au jus cogens international est frappé de nullité. Aussi, la nullité est souvent considéré par la doctrine comme 1 'effet essentiel du droit impératif2,

à tel point que lorsque l'effet d'une norme (fût-elle impérative) n'est pas celui de frapper de nullité l'acte ou la norme contraire, cette relation juridique n'est pas perçue comme une,application du jus cogens. Toutefois, même dans le cadre des actes conventionnels, l'article 64 de la CVDT montre que la nullité n'est pas le seul effet possible de la norme impérative. Il est vrai que le texte de cette disposition n'est pas très explicite, ni d'ailleurs très réussi. Dire qu'un traité contraire à la nouvelle norme de droit impératif« devient nul et prend fin » ne qualifie pas exactement l'effet juridique en cause. Un accord qui devient nul, est un traité qui prend fin ; car si le traité était déjà nul, il ne «deviendrait» pas nul et ne prendrait pas davantage fin ; si au contraire le traité prend fin, il ne peut pas être nul, car pour prendre fin, son existence juridique doit être supposée.

Le terme le plus exact est ici « prend fin». Il correspond à ce que la CDI avait voulu dire à travers la formule alambiquée évoquée. A un effet de nullité (ex tune) dans le cadre de l'article 53, se joint ainsi un effet d'extinction (ex nunc) dans le cadre de l'article 64.

Si l'on accepte notre classification du Statut de la CIJ ou d'autres actes constitutifs d'organisations ou d'organes internationaux comme une forme de droit impératif, la conséquence en est que 1 'effet de ce droit impératif est également modulé. Il n'y a pas nullité de l'accord contraire au Statut (à la différence des accords contraires au droit impératif d'ordre public), mais simple inapplicabilité de cet accord vis-à-vis de la Cour. Au regard de son objet même, cet effet de non prise en compte par la Cour équivaut du point de vue pratique à une nullité.

Cette diversification des effets se confirme aussi dans le domaine des autres actes normatifs ou normes juridiques auxquels le droit impératif trouve à s'appliquer. Nous avons vu comment le droit impératif agit vis-à-vis du droit coutumier pour inhiber ou rendre plus difficile la formation d'une norme coutumière générale contraire, et pour rendre inexistante ou pour porter à extinction une norme coutumière régionale contraire (selon que la norme impérative universelle lui préexiste ou non). Nous avons vu également qu'en matière de responsabilité des Etats, le droit impératif a des effets encore une fois différents. Il en est ainsi, par exemple, du devoir de non-reconnaissance de certaines situations illicites créées en violation de la norme impérative

22 Sur cette question, voir les références dans R. KOLB, iï1éorie du ius cogens inrernational, Paris, 2001, p. 83ss.

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d'actes juridiques, à 1 'instar des traités. D'où la même conséquence juridique dans les deux cas, selon une technique juridique éprouvée et consolidée.

Le résultat de ce qui précède est que le droit impératif ne peut pas se définir par ses effets (en tout cas si l'on confine ceux-ci à la nullité), mais qu'il se définit par son fonctionnement technique (avant tout assurer l'inefficacité d'un régime dérogatoire contenu dans une norme de droit particulier). Il reste évidemment possible d'exiger l'effet de la nullité pour admettre une norme de jus cogens, à l'instar de celle prévue par la CVDT à son ariicle 53. Mais il faudra alors admettre qu'il existe une série d'autres phénomènes d'impérativité juridique. Il siéra de les additionner aux normes impératives de 1 'article 53, reflétant unjus cogens de mouture étroite. Rien ne force toutefois à cette démultiplication, du moment que la clarté conceptuelle est maintenue.

6. Le droit impératif ne doit pas nécessairement être perçu comme une norme, mais plutôt comme une technique juridique

Il est courant de considérer le droit impératif d'un point de vue substantiel, c'est-à-dire comme une norme, voire comme un contenu (une «valeur»).

Le vocabulaire ambiant, faisant fond sur des « normes de jus cogens », entretient cette manière de voir, comme un fleuve nourrit le lac. Il n'est évidemment ni impossible ni nécessairement erroné de considérer l'impérativité dans son aspect substantiel. Toutefois, il sera souvent plus utile de considérer ce caractère impératif comme une greffe que le droit pose sur des normes juridiques existantes. La preuve en est - contrairement à ce que d'aucuns ont cru23 - que le droit impératif ne forme pas une source de droit international en soi. Il se saisit plutôt de normes fondées sur des sources de droit international reconnues, notamment le droit coutumier. Considéré sous cet angle, le droit impératif repose par conséquent sur une technique juridique visant à assurer l'intégrité de la norme sur laquelle il est greffé. Cette norme est protégée contre la fragmentation qu'elle subirait si l'on appliquait le principe courant lex specia/is derogat legi generali. A défaut de droit impératif, elle se verrait fragmentée en une série de régimes normatifs distincts, prioritairement applicables entre certains sujets. En d'autres termes, la qualification d'une nonne comme étant impérative permet au législateur d'écarter le principe de la lex specia/is. L'impérativité juridique est l'anti-lex :;pecialis, c'est-à-dire la technique opposé à la lex :;pecia/is, la technique qui permet de se garder de l'effet de cet adage. Or, le principe lex specia/is est une règle de droit secondaire relatif à la collision des normes ; telle est dès lors

" Sur ce point, voir par exemple R. MONACO, «Observations sur la hiérarchie des normes du droit international >>, Mélanges Mosu!R, Berlin, !-Ici, New York, 1983, p. 1 06ss.

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