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LES DÉTERMINANTS DE LA MOBILITÉ DES POPULATIONS ET LES DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES LOCALES : QUELLES INTERACTIONS ? LE CAS DES POPULATIONS RURALES LOBI DU NORD-EST IVOIRIEN pp. 5-19.

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LES DÉTERMINANTS DE LA MOBILITÉ DES POPULATIONS ET LES DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES LOCALES : QUELLES INTERACTIONS ? LE

CAS DES POPULATIONS RURALES LOBI DU NORD-EST IVOIRIEN

KOLI BI ZUÉLI, KAMBIRE SAMBI, KOFFIE-BIKPO CÉLINE YOLANDE

- Institut de Géographie Tropicale, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire

les productions domestiques régionales Lobi. Cette menace sur la sécurité alimentaire a des origines multifactorielles. La première en est la rupture du fragile équilibre entre la fertilité naturelle des sols sur topographies hautes, vite érodées, et le système cultural fait de polyculture vivrière qui appauvrit les sols. D’autres facteurs favorisants ou incubateurs sont résumés dans l’afflux des migrants qui provoque dans les zones d’immigrations une extension de la culture marchande de l’igname précoce (Dioscorea cayenensis) mettant, de fait, en cause l’équilibre du terroir et du système de culture traditionnel d’une part et d’autre part, dans les limites techniques et tech- nologiques ou encore les barrières idéologiques qui réduisent considérablement les surfaces cultivables, ces deux derniers facteurs se traduisant par l’exis- tence de bas-fonds rarement utilisés pour compenser la surexploitation des zones de topographies hautes..

Mots-clés : Disponibilités alimentaires, Côte d’Ivoire, Nord-est, Lobi, mobilité spatiale, utilisation des terres.

RÉSUMÉ

L’analyse des disponibilités alimentaires d’une population se trouve corrélée ses capacités en matière d’accès à la nourriture. Cet accès, à l’ali- mentation doit être adéquat, suffisant et permanent.

L’étude s’intéresse donc aussi au maintien de la stabilité des approvisionnements et à la réduction des fluctuations de l’offre et des rendements. Ces variables permettent de mieux cerner le problème de la capacité productive des ménages Lobi liée à leur mobilité spatiale et aux déterminants qui sous- tendent leur migration. Si l’offre alimentaire couvre un ensemble de produits de base variés faisant l’objet de culture sur le territoire régional, il reste que la situation alimentaire peut être un réel souci pour les populations Lobi. L’évolution de la production vivrière à la baisse, les gaps de production et les dépenses de consommation peu importants ainsi que la réduction du nombre de repas journaliers aux périodes de sou- dure post-semis permettent d’établir que la menace sur les disponibilités alimentaires pèse sur toutes

INTRODUCTION

L’analyse, des disponibilités alimentaires qui se trouve généralement corrélée à la production agri- cole, se situe à deux niveaux différents : à l’échelle macro ou à l’échelle nationale et au niveau micro ou à l’échelle des ménages. Au premier niveau, il s’assure des disponibilités adéquates des denrées alimentaires par une croissance de la production vivrière domestique et le recours au commerce inter- national quand cela est possible. L’aide alimentaire peu compléter l la production en cas d’urgence.

Dans ce premier cas, les disponibilités alimentaires renvoient à la sécurité alimentaire conçue comme

« la capacité des pays déficitaires ou des régions

déficitaires à l’intérieur de ces pays à atteindre des niveaux de consommation souhaitable sur une base annuelle » (VALDES A, 1981). Ici, le facteur « niveau de consommation » est l’élément déterminant. Au deuxième niveau, assurer les disponibilités alimen- taires au niveau des ménages, c’est assurer outre l’accès aux approvisionnements alimentaires, leur stabilité dans le temps et dans l’espace et la possi- bilité d’accéder matériellement et économiquement à ces denrées. Si la production ne suffit pas à assurer les disponibilités alimentaires, elle est nécessaire.

Un autre facteur important entre en ligne de compte dans cette définition : la capacité des individus à acquérir ces biens.

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A ces deux niveaux majeurs de l’analyse s’ajoute un niveau subsidiaire, le niveau individuel qui est d’assurer les disponibilités alimentaires au niveau individuel, c’est assurer une répartition adéquate de la nourriture au sein des ménages. La sécurité alimentaires ne sont pas antinomiques est ici entendue comme « l’accès de tous les individus à tout moment à suffisamment de nourriture pour mener une vie saine et active » (BANQUE MONDIALE, 1986).

En définitive le concept de disponibilité alimen- taire est lié à deux éléments majeurs. Le premier est l’accès aux approvisionnements alimentaires (qui se réfère à la capacité physique de produire sa propre alimentation et donc de disposer des moyens à le faire, ou à la capacité économique d’accéder à la nourriture). Le second est la permanence des denrées alimentaires (qui implique la production domestique suffisante d›aliments et en adéquation constante avec la demande alimentaire.

A l’échelle de la Côte d’Ivoire, l’analyse de la situa- tion alimentaire aboutit au constat d’un bilan alimen- taire à tendance excédentaire (MINAGRA, 2014).

Selon cet organisme, au nord de la Côte d’Ivoire, sur certaines spéculations telles que l’igname le bilan est excédentaire. Pour d’autres cependant comme le maïs et le riz, le bilan est déficitaire à cause des exportations illicites vers le Mali, le Niger, le Burkina Faso. Le déficit alimentaire constaté se traduit pré- cisément en pays Lobi par une période de soudure post-semis de juin à août, particulièrement difficile, dans laquelle les chefs de ménage sont contraints à l’achat de riz en ville ou à un repas unique journalier.

Ce problème alimentaire devrait s’aggraver avec le rythme de l’accroissement de la population (3,3%

selon le dernier recensement de la population en 1998) et les pesanteurs liées à la mobilité spatiale des populations paysannes Lobi En dépit du manque de statistiques précises sur l’évolution de la demande alimentaire rurale, le poids des déterminants liés à la mobilité spatiale des populations paysannes laisse supposer une augmentation de cette demande.

Le problème est alors de savoir si les difficultés de sédentarité des Lobi dans le nord-est ivoirien et les facteurs favorisant leur mobilité ne constituent-ils pas des menaces sur les disponibilités alimentaires régionales.

En effet, on constate que les terres agricoles se dégradent par suite de la rupture du fragile équilibre entre le taux d’occupation des terres par les hommes sur topographies hautes et les troupeaux, la fertilité naturelle des sols et la production alimentaire. La mobilité spatiale Lobi et l’augmentation de l’intensité de culture (nombre de cycles culturaux par an) d’un côté et les pesanteurs idéologiques (stratégies et pratiques d’adaptations physiologiques, psycholo- giques et culturelles développées par les sociétés et qui guident l’utilisation préférentielle de tel ou tel type de sol ou de portion spécifique de paysage ) qui diminuent les surfaces cultivables de l’autre côté, semblent rendre cette situation d’autant plus préoc- cupante que toutes les simulations, en l’absence de projections alimentaires précises, montrent que le pays Lobi connaîtra un déficit alimentaire qui ira bien au-delà des périodes de soudure, actuellement les plus déficitaires. Dès lors, existe-t-il des interactions entre les disponibilités alimentaires et les facteurs de mobilité des Lobis ?

L’objectif de cet article est d’abord d’analyser les interactions entre les déterminants qui conditionnent la mobilité des populations paysannes et les disponi- bilités alimentaires. On espère ensuite pouvoir appré- cier la nature et l’importance de ces déterminants dans la sécurité alimentaire déjà entamée dans le nord-est ivoirien Lobi.

DONNÉES ET MÉTHODES

LES CADRES D’UNE INVESTIGATION : DES SECTEURS- TÉMOINS

Nos investigations, sur la sécurité alimentaire en corrélation avec la migration Lobi, s’inscrivent d’abord dans le cadre territorial de la région administrative du Bounkani (Nord-est ivoirien). Mais dans l’impossibilité d’effectuer un recensement exhaustif de ces données dans toute la région, nous avons opté dès le départ pour le choix raisonné de deux secteurs-témoins autour de deux villages (figure 1).

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Figure 1 : Situation des espaces-témoins

des scènes LANDSAT UTM-WGS 84-résolution 30 mètres (images 195-54 du 18 janvier 2002 et 196-53 du 12 février 2002 aux échelles approximatives de 1/50000). On obtient, grâce à ces techniques, une série de cartes: une carte des segments de paysage et une carte de l’occupation du sol en 2002 pour chacun des deux secteurs étudiés .La mise en œuvre ultérieure d’un système d’information géographique permet de fusionner les cartes d’occupation du sol avec les cartes des segments de paysage pour obtenir les aires d’occupation du sol par segment de paysage dans chaque secteur à l’étude. On dispose aussi sur la région du Bounkani de données pédo- logiques précises. Ainsi, les travaux de Rougerie (1964), de Perraud A. (1971), du Ministère de l’Agri- culture en partenariat avec la Direction du BNETD (ex-DCGTX, 1987) et de l’UNESCO-PNUD (1991) peuvent être exploités de façon satisfaisante.

Projetées sur les segments de paysage pré- cédents, ces données permettent l’analyse et le diagnostic des contraintes et des potentialités de mise en culture du cadre physique dans les secteurs prospectés. Afin de contrôler la fiabilité des données, des observations directes de terrain sont entreprises.

Sur le terrain, les données directement perceptibles Le secteur de Nyamoin, entre les latitudes 9°32’

et 9°40’ nord et les longitudes 3°21’ et 3°31’, est compris dans la zone d’occupation Lobi ancienne ou

« autochtone », située grossièrement au nord-ouest de Bouna. Celle-ci correspond aux principaux foyers de départs pour les Lobi qui veulent migrer vers le sud de la région. Situé plus au sud, entre 9°8’- 9°15’

de latitude nord et 2°56’ - 3°6’de longitude ouest, le secteur d’Assoum est implanté dans la zone de colonisation Lobi récente ou actuelle, entre les rivières Kolodio et Binéda. Ces deux secteurs sont représentatifs à la fois des modes de gestion des milieux naturels et de la mobilité spatiale qui carac- térisent la région du Bounkani et ses conséquences sur les disponibilités alimentaires locales.

COLLECTE ET TRAITEMENT DES DONNÉES PHYSIQUES

La reconnaissance et la cartographie des formes topographiques ont été réalisées par photo-interpré- tation des prises de vue aériennes HAUTS-MONTS INC-CIV-96-015 à 016 du 24 février 1996 et CIV 96–015 à 017 du 01 mars 1996 à 1/50000. Les états de surface du sol ont été étudiés par télédétection sur

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de la surface du sol sont relevées. Des informations complémentaires sur les horizons inférieurs du profil du sol, ceux utilisés dans les travaux de labour, sont fournies sur place par chaque paysan enquêté. Des essais de correspondance sont ensuite établis avec les résultats des travaux de références.

On dispose ainsi d’éléments d’approche corréla- tive unités topographiques-utilisation des terres dans la perspective d’appréhender les rapports sociétés agraires-paysages. On peut par la même démarche apprécier le poids des facteurs liés à la migration interne Lobi dans la menace sur les disponibilités alimentaires.

COLLECTE ET TRAITEMENT DES DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES

Des structures et organismes nationaux four- nissent des données sur l’accès aux approvision- nements alimentaires, la disponibilité alimentaire et l’évolution des approvisionnements, autant d’élé- ments nécessaires à l’analyse de la sécurité alimen- taire. Les résultats des travaux du Recensement Na- tional de l’Agriculture (RNA), de l’Enquête Nationale du Vivrier (ENVI) et du Ministère de l’Agriculture et des ressources Animales (MINAGRA), jointes à nos enquêtes auprès des grossistes et des coopératives agricoles des principaux centres urbains et ruraux du Bounkani, permettent d’apprécier l’offre alimentaire et de préciser l’évolution du ravitaillement en viviers du pays Lobi, dans ses volumes, au cours d’une période donnée.

Les statistiques ivoiriennes ne livrant pas de données satisfaisantes à l’échelle régionale ni sur les techniques et les modes de gestion des terres d’une part, ni sur la répartition journalière des repas d’autre part, qui sont aussi des indicateurs analy- tiques importants de la sécurité alimentaire, une enquête socio-économique peut y être substituée.

Une enquête exhaustive par questionnaire est alors réalisée, à cet effet, sur les 521 chefs de ménage des deux secteurs-témoins (de 2010 à 2013 et en 2014).

Le questionnaire a souvent été un prétexte, per- mettant l’ouverture d’une interview centrée à partir d’interrogations sur un certain nombre d’informations qualitatives : choix culturaux, cycles culturaux qui ne s’expliquent que par rapport à un environnement social ou un projet particulier et qui relèvent de per- ceptions individuelles ou collectives non mesurables.

Lorsqu’il s’agit de l’enquête quantitative, des calculs de pourcentage sont effectués qui per- mettent de décrire, entre autres, quelle proportion de l’ensemble des individus possède une modalité particulière de chaque caractère. Mais dans le cas où l’on désire rechercher des corrélations entre les variables, notamment le choix agricole en fonction des unités morphopédologiques, l’analyse bi-variée des données est effectuée. Mais dans le cas de l’en- tretien, où les données sont difficilement mesurables, on fait ressortir les idées principales ou les opinions des enquêtés à travers des tableaux synoptiques.

RÉSULTATS ET ANALYSES LA SITUATION DE LA MIGRATION ET DIAGNOSTIC DE LA SITUATION ALIMENTAIRE RÉGIONALE

La situation migratoire dans le nord-est

Le secteur d’Assoum enregistre 95 % des immigrants issus des zones plus septentrionales (tableau I), signe que la plupart des mouvements se dessinent du nord de la région, au-delà de la rivière Kolodio, vers la ZKB au sud.

Tableau I : Itinéraires migratoires à Assoum et à Nyamoin

Secteur d’Assoum Secteur de Nyamoin

Sens nord-sud interne Sens sud-nord interne

Effectif % Effectif % Effectif % Effectif %

99 95 5 5 23 31 50 69

(Source: Kambiré, Enquêtes 2012)

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La raison est que la ZBK était, jusqu’à une époque récente, une zone vide dont le peuplement résulte d’une politique administrative de fixation des populations Lobi, qui en provenance du Burkina- Faso, effectuent depuis la fin du XIX e siècle, une migration lente et continue en direction du sud, dans une région peuplée de Koulango à l’origine. La mise à disposition de terres vierges propices à la culture de l’igname sur les croupes altéritiques et les plateaux arénacés attirent les Lobi, principaux producteurs de cette spéculation agricole, vers le sud de la région.

LES DISPONIBILITÉS EN TERRES AGRICOLES CULTIVABLES

L’analyse de la problématique de l’offre alimen- taire passe avant tout par une appréciation de la nature des sols et une disponibilité de l’information sur les aptitudes culturales de ces sols. Les unités morphopédologiques (segments de paysage et asso- ciations de sols) inventoriées dans les deux secteurs sont répertoriées dans le tableau II.

Tableau II : Unités morphopédologiques inventoriées dans les secteurs de Nyamoin et d’Assoum

Segments de paysage

Association des sols

Typologie des sols (ORSTOM) Secteur

prospecté

Unités de sols de l’association dominante secondaire Sommet

cuirassé et/ou rocheux

Nyamoin 2.1 6.0 6.11

2.1 - Sol peu évolué

2.4 -Sol peu évolué d’apport alluvial hydromorphe

2.7 - Sol peu évolué d’apport colluvial modal

2.8 - Sol peu évolué d’apport colluvial hydromorphe

5.5 -Sol ferrugineux remanié induré 6.0 - Sol ferrallitique typique modal 6.2 - Sol ferrallitique typique appauvri

6.3- Sol ferrallitique typique induré 6.6 - Sol ferrallitique appauvri modal 6.7 - Sol ferrallitique appauvri induré 6.9 - Sol ferrallitique appauvri remanié

6.11 - Sol ferrallitique remanié modal 6.18 - Sol ferrallitique rajeuni

remanié

6.20 - Sol ferrallitique remanié colluvionné modal

7.8 - Sol hydromorphe peu humifère à pseudogley de surface

Assoum 2.1 6.0 6.11

Sommets gravillonnaires ou sableux

Nyamoin 5.5 - 6.3 6.0 - 6.9- 6.11 Assoum 5.5 - 6.0

6.6 6.3 - 6.9- 6.11 - 6.2 Sommets

gravillonnaires- sableux et/ou cuirassés

Nyamoin 5.5 - 6.3 6.0 - 6.2 6.11 - 6.18 Assoum 5.5 - 6.0 6.3 - 6.9- 6.11- 6.18

Corniches

Nyamoin 2.1 - 6.0

6.18 6.2

Assoum 2.1 - 6.2 6.0 - 6.2 6.18

Versant

Nyamoin 5.5 – 6.3 6.11- 6.6

6.20

6.2 - 6.7 6.9 - 6.18

Assoum 5.5 – 6.6 6.11

6.2 - 6.3 6.7 - 6.9 6.18 -

6.20

Bas-fond

Nyamoin 2.4 - 2.7

2.8 7.8

Assoum 2.4 - 2.8 7.8 2.7

(Source: Données de l’ORSTOM modifiées ou complétées par nos enquêtes de terrain, 2010 - 2012)

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Les deux secteurs de référence se développent essentiellement sur des granites alternant avec des bandes schisteuses plus importantes dans le secteur de Nyamoin que dans celui d’Assoum. Les sols sont très variés, leur répartition est en étroite relation avec les segments de paysage. Cependant, des nuances apparaissent selon que le substrat est granitique ou schisteux.

Dans tous les cas, sur tous les segments de paysage, dans les deux secteurs prospectés, les sols ferrugineux remaniés indurés (5.5) joints aux sols ferrallitiques remaniés modaux (6.11) et ferralli- tiques appauvris modaux (6.6), dominent. Hormis les bas-fonds où les sols peu évolués d’apport alluvial hydromorphe (2.4) et peu évolués d’apport colluvial hydromorphe (2.8) sont plus répandus.

Dans le premier cas, les principales contraintes sont la présence d’une forte proportion d’éléments grossiers, l’appauvrissement en argile et l’existence d’un horizon induré dans le profil des sols. Le Ministère de l’Agriculture et la Direction du BNETD (ex-DCGTX, 1987) classent leur aptitude médiocre à toutes les cultures envisageables dans la région.

Dans le second cas, les contraintes sont liées à la texture sableuse et à l’hydromorphie. Les sols sont classés moyens pour toutes les cultures envisa- geables dans la région.

LES DISPONIBILITÉ DES

APPROVISIONNEMENTS DOMESTIQUES EN NOURRITURE

L’offre alimentaire contient une gamme de produits variés et couvre l’ensemble des produits de base qui font l’objet de culture sur le territoire régional. On entend par produits de base les mêmes produits autour desquels s’organise presque toujours l’alimentation des populations de façon à couvrir l’essentiel des besoins énergétiques. On note la prédominance des surfaces consacrées à la culture de l’igname (tableau III) et des bovins dans de l’éle- vage du bétail (tableau IV).

Tableau III : Production vivrière dans la région du Bounkani

Superficies développées en vivriers Cultures Sup. (en ha) %

Igname 9161 33,36

Mil 6695 24,38

Maïs 5392 19,64

manioc 886 3,23

Riz pluvial 319 1,16

Manguier 40 0,15

Autres 4967 18,08

Total 27460 100

(Source: RNA, 2003)

Tableau IV : Production animale dans la région du Bounkani

Effectifs du cheptel Formes

d’élevage Nombre de têtes %

Bovins 89798 54,09

caprins 32480 19,56

Ovins 30927 18,63

Porcins 12826 7,72

Volailles Np -

Total 166031 100

(Source: RNA, 2003)

Dans la zone du secteur de Nyamoin, principal foyer d’émigration, l’offre alimentaire est caractérisée par la prééminence des céréales. Dans la zone du secteur d’Assoum, aussi principale direction des migrants Lobi, on note au contraire la suprématie de l’igname dans l’offre (tableau V).

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Tableau V : L’offre de vivriers dans le nord-est de la Côte d’Ivoire (août 2013 - février 2014)

Cultures principales

Somme en milliers de CFA (multiplié par 1000) Zone du secteur de

Nyamoin Zone du secteur d’Assoum Cultures

principales Total zone

Cultures

principales Total

zone Total région 1ere

récolte 2eme

récolte 1ere

récolte 2eme récolte

Igname précoce 910 301 1211 2057 368 2425 3636

Igname précoce (+tardive) 614 203 817 605 271 876 1693

Igname tardive 506 - 506 - - 627 1133

Maïs 897 - 897 - - 476 1373

Sorgho 391 - 391 - - 96 487

Mil 606 - 606 - - 201 807

(Source : Registres de commerce locaux, 2014) Néanmoins tous les produits alimentaires ne suffisent pas à la consommation locale.

DES DÉFICITS DE PRODUCTION VIVRIÈRE INQUIÉTANTS

Les gaps de production, représentant la différence entre la production et la consommation, fournis par l’ENVI (2002) et de la RNA (2002) permettent d’établir que le nord-est est excédentaire en maïs et en mil mais déficitaire en riz local et en igname (tableau VI).

Tableau VI : Répartition régionale des gaps de consommation à partir de l’ENV 2002 et de la RNA 2002 dans le nord-est

Riz local Maïs Mil Igname Arachide

-48803 3738 16044 -422 -5384 (Source : DISDI/MINAGRI, 2008 (Estimation))

De plus, la stabilité des principales cultures, qui entrent en ligne de compte dans le diagnostic des disponibilités alimentaires dans l’ensemble nord-est, est fortement mise en cause. . On observe une chute progressive des quantités et des aires de produc- tions pour toutes les denrées (tableau VII) : le mil et le sorgho, par exemple, enregistrent un taux de régression global de leur production de - 6,7 % pour le premier et -33,5 % pour le second entre 2001 et 2006. La réduction des quantités produites en igname précoce est des plus drastiques au cours de cette période: 94, 98 %.

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Tableau VII : Evolution de la production et des superficies des principales cultures dans le nord-est entre 2001 et 2006

2001 2002 2003 2004 2005 2006

Igname précoce

Production 90196 77912 66626 56546 52864 4523

Sup. (ha) 14343 12173 10331 8768 6704 6704

Igname

tardive Production 135803 129919 124046 118804 123841 124569

Sup. (ha) 15791 15107 14424 13814 12973 13049

Riz irrigué Production 1359 1236 1119 1021 976 861

Sup. (ha) 633 575,6 521,6 475,7 409,7 361,5

Sorgho Production 5250 5025 3785 3641 3435 3492

Sup. (ha) 3202 3065 2309 2221 2326 2364

Mil Production 8093,5 8131,5 6623,2 6806,8 6914,5 7545,2

Sup. (ha) 5261 5285 4305 4424 4989 5444

Maïs Production 19674 17833 16124 14826 15059 13323

Sup. (ha) 8319 7541 6818 6269 5737 5075

Arachide Production 287 192 160 132 119 95

Sup. (ha) 316 212 176 146 118 94

(Source : DISDI/MINAGRA, 2008

Face à cette situation, dans les deux secteurs étudiés, moins du tiers des ménages peut s’offrir trois repas journaliers (tableau VIII). 22 % des ménages enquêtés dans le secteur de Nyamoin et 28 % dans celui d’Assoum doivent de réduire le nombre de repas à un par jour (tableau VIII).

Tableau VIII : Répartition des repas pendant la période de soudure en 2013 à Nyamoin et à Assoum

Secteur de Nyamoin Secteur d’Assoum

Matinée Mi-journée Soirée Matinée Mi-journée Soirée

Effectif % Effectif % Effectif % Effectif % Effectif % Effectif %

Un repas 0 0 0 0 61 22 0 0 0 0 69 28

Deux repas 0 0 130 48 130 48 0 0 113 45 113 45

Trois repas 81 30 81 30 81 30 67 27 67 27 67 27

(Source : Kambiré, 2014)

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Plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte pour estimer les disponibilités alimentaires en pays Lobi

Facteurs influençant les disponibilités alimen- taires dans le pays Lobi

LES CHOIX AGRICOLES ET LES MODES D’EXPLOITATION DU MILIEU

Le potentiel des surfaces cultivables n’est pas totalement exploité. Dans les deux secteurs étudiés,

les versants font principalement recette auprès des paysans Lobi et Koulango : Les champs et les jachères représentent respectivement 10 et 45 % de la surface cartographiée à Nyamoin, 11 et 64 % à Assoum. Au contraire, les bas-fonds sont évités (tableau IX).

Tableau IX : Espaces de résidence et de production par segments de paysage en 2002 à Nyamoin et à Assoum

Occupation

humaine Secteur de Nyamoin Secteur d’Assoum

du sol Superficies (en

ha) % Superficies (en

ha) %

Sommets champs 1033 7 979 6

Jachères 4935 32 2683 15

Villages 140 1 163 1

Versants champs 1539 10 1975 11

Jachères 6918 45 11618 64

Villages 75 * 50 *

Bas-fonds champs 29 * 49 *

Jachères 603 4 451 3

Villages 0 0 0 0

Total 15272 100 17968 100

(Source: Kambiré, Enquêtes 2012)

Comparé à celui des autres régions de savane de la Côte d’Ivoire, le système de production dans le nord-est reste dépendant de la disponibilité en terre pour les jachères à cause de son caractère

traditionnel et extensif (tableau X). En outre, il est en déséquilibre avec les conditions et les facteurs de production (perturbations climatiques, pressions foncières très fortes).

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Tableau X : Systèmes de production et perspectives par région de savane Régions Système de cultures Mode de culture Contraintes

majeures Approvisionnement

des marchés Perspectives d’évolution Nord*Odienné

*Boundiali

*Korhogo

*Riz-coton- maïs

*Igname-coton- arachide-jachère

*Manuel et itinérant

*attelé et stabilisé

*manque de terre

*perte post- récolte élevées

Alimente les marchés urbains en igname

Intensifier les systèmes de production

Nord-est

*Bondoukou

*Tanda

*Bouna

*igname+

Anacardier -anacardier+

Maïs-anacardier

*manioc+maïs – manioc - jachère

*igname+

Maïs+ mil-maïs + sorgho-anacardier

*Manuel, extensif et itinérant

*manque de terre

*Perturbation climatique

*perte post- récolte élevées

Approvisionne les marchés urbains en igname (grande zone de production d’igname précoce)

*intensifier

*sécuriser la production

Centre

*Bouaké

*Dabakala

*Katiola

*igname - riz/

arachide - igname + manioc -jachère

*manuel et extensif

*pluviométrie aléatoire

*main d’œuvre insuffisante

*La production de Bouaké est quasiment autoconsommée

*diversifier la production

*igname+ maïs + aubergine – riz +

maïs - jachère *attelé *manque de terre

*Dabakala approvisionne les marchés

*sécuriser la production Source : Données rectifiées du plan directeur du développement agricole 1992-2015, 1998 LA FAIBLESSE DES MOYENS FINANCIERS

Comparée à d’autres régions de savane, notamment en matière d’achat de denrées, le Nord-est est peu dépensier (tableau XI).

Tableau XI : Répartition régionale des dépenses de consommation alimentaire en milliers de FCFA(données arrondies)

Igname Banane Arachide Manioc Riz local Riz pop. importé Riz luxe import. Mil Centre/

centre-nord 126740 18017 44191 186168 52730 95441 18444 28536

Centre-est 5509 40767 6024 54000 19561 67191 4044 40328

Nord 88916 13922 32452 24258 149628 195809 4322 820492

Nord-est 10484 1619 5545 56609 10718 34844 3580 1373

Nord-ouest 24220 836 8989 19948 32763 14364 802 1078

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Ce faible volume de dépenses répond moins à l’autosuffisance alimentaire qu’à la faiblesse des revenus. D’une façon générale la pauvreté est gran- dissante en Côte d’Ivoire. En 2002, l’on a enregistré une accentuation de la pauvreté qui atteint un niveau inégalé (38 %). Dans le nord-est, trois personnes sur cinq sont pauvres (RNA, 2003).

DISCUSSIONS

L’IMPACT DES DIFFICULTÉS DE

SÉDENTARITÉ SUR LES DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES

Dans toute la région, le système traditionnel de culture est caractérisé par la culture associée et assolée de plantes variées au sein d’une exploitation. Les céréales, qui l’em- portent nettement, couvrent 64 % des superficies. Ce sont surtout le maïs, le mil et le sorgho ; le riz tient une place anecdotique. L’igname, deuxième culture en superficie, occupe plus du tiers des superficies cultivées, avec de nombreuses variétés dont la plus connue et la plus prisée est l’igname kponan. Au total, igname et céréales occupent l’essentiel de l’espace cultivé et les autres cultures n’ont qu’un rôle secondaire.

Cependant, tant que le système cultural est resté près du modèle traditionnel (culture associée et assolée), les cultures sont été diversifiées et les produits d’appoint n’ont pas manqué, même après le semis des cultures nourricières. Aucun problème important n’était alors posé, susceptible de menacer les disponibilités alimentaires régionales. Mais avec la migration, le système traditionnel de culture évolue.

Le mobile des migrations est la recherche des terres à igname précoce, une culture marchande Lobi. Cela correspond à une orientation économique nouvelle.

L’importance de l’igname dans les circuits commer- ciaux est un phénomène relativement récent car cette culture occupait autrefois, une place secondaire dans les systèmes de production Lobi. Les denrées prisées et valorisées sont des produits sacrés dits «amers»,

“diÍkpalwɔ (de “diÍyɛ“, denrées et “kpalwaka“, amer, enchanté).Ils ne peuvent être vendus que par les chefs de maisonnée qui ont «gagné la daba» c’est- à-dire qui ont été émancipés par leur père (ou leur oncle) et qui ont reçu de lui la houe (la “daba“), et après l’observance des rites initiatiques appropriés.

Peu vendus ils sont donc réservés à l’autoconsom- mation familiale et aux sacrifices aux divinités. Dans

les années 20, Labouret H. (Labouret1931) ne classait l’igname qu’au huitième rang des plantes cultivées. Il constatait par lamême occasioncons- tate sur les marchés sa place réduite, signe d’une commercialisation limitée. Mais depuis l’explosion urbaine et la recrudescence de la demande citadine des années soixante, l’igname, rattachée à la caté- gorie des produits «froids» (“diÍtobwo“), traditionnel- lement peu consommée et ne faisant surtout l’objet d’aucun interdit susceptible d’entraver sa vente, a pu devenir la première culture marchande Lobi et, chez les jeunes, un puissant moyen d’émancipation par entrées monétaires qu’elle permet.

On comprend dès lors que tant qu’il leur reste des espaces à défricher et que la demande urbaine se maintient, les Lobi continuent à pratiquer cette culture extrêmement rémunératrice. Toutefois, à terme, cette orientation culturale butte inévitablement sur le manque de terre et la désorganisation du système cultural traditionnel. C’est dans ce contexte que doivent s’analyser les évolutions récentes de l’agriculture dans le pays Lobi.

La proportion des immigrants qui adoptent l’igname est importante ; elle atteint 98 %. Il s’agit de gros exploitants et la culture de l’igname ne donne pas forcément l’esprit d’initiative et l’aptitude à mobi- liser la force de travail nécessaire à l’extension des superficies des cultures de base :la faible importance du mil et du sorgho, dont les cultures sont limitées dans biens des régions d’immigration, menace de fait la sécurité alimentaire qui se traduit par l’indisponi- bilité de certains aliments à des périodes données, notamment la période de soudure post-semis de juin à août. Après quelques années d’installation les communautés villageoises issues d’une migration collective, peu soucieuses du respect des terres, laissent derrière elles des sols épuisés. Certaines jachères proches des villages sont remises en culture. D’autres moins anciennes sont reprises par les Lobi qui manquent de terre et viennent y cultiver beaucoup d’igname et peu de céréales dont les ren- dements déclinent assez rapidement après quelques années de culture. Ce qui se traduit en partie par la chute des productions observée t entre 2001 et 2006.

La migration des Lobi, en tant que telle, n’est pas le seul facteur de la précarité alimentaire. Des éléments incubateurs sont à rechercher dans les facteurs favorisant leur mobilité.

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LES EFFETS DIRECTS OU INCUBATEURS DES FACTEURS LIÉS À LA MOBILITÉ SPATIALE LOBI

Le rôle des déterminants écologiques Les Lobi exploitent les versants pour l’agriculture, les sommets d’interfluve et les bas-fonds pour le pâturage et rarement les bas-fonds également pour l’agriculture. La teneur en argile, la texture des hori- zons supérieurs en corrélation avec la position sur la pente sont deux critères déterminants dans les choix agricoles. La terre (buruko) des plus fréquentes sur les versants est “la terre blanche“ (bur-bũgo) ; très sableuse, elle est favorable à la culture de l’igname car facile à butter, à celle du mil à condition qu’il pleuve assez et à celle du maïs si elle est plus argi- leuse. La terre noire (bur’ brié) et la terre rouge (bur’

bãyãka) plus argileuses, localisées la première sur les sommets d’interfluve et la seconde sur les col- lines, sont favorables à la culture du mil et du maïs, sauf en cas de sécheresse, mais elles sont trop lourdes à travailler pour la culture de l’igname. Sur les terres gravillonnaires (wassabiɛ) de versants ou de sommets d’interfluve, on peut cultiver l’igname et le mil, y compris entre les affleurements de cuirasse sommitaux (kpatikpɔriwɔ), pour le mil et le maïs, si la profondeur du sol le permet, mais en aucun cas l’igname. Les terres de bas-fond (l’taka) sont exclusi- vement réservées à la riziculture. Or l’igname passe pour la plus grande culture de commercialisation des Lobi. On comprend donc aisément l’intérêt des paysans pour les versants.

Tout le problème réside dans la rupture du fragile équilibre entre la fertilité naturelle des sols sur les versants, vite érodés et appauvris, et le système cultural. Dans la région étudiée, ce sont, en effet, les sols ferrugineux et ferrallitiques typiques-mo- daux, remaniés et appauvris issus essentiellement de granites qui doivent supporter les processus d’exploitation agricole caractérisés par des cycles culturaux relativement longs (en moyenne 5 à 6 ans).

Du point de vue agronomique ces sols sont profonds et bien drainants. Mais « leur potentiel de fertilité est directement lié à la teneur en argile des horizons su- périeurs, les propriétés chimiques sont moyennes » (PERRAUD, 1971). Quand ils sont sableux, « leur

d’apport d’engrais important » (PERRAUD, op. cit.).

Du point de vue mécanique, en zone de savane, la faiblesse de l’écran végétal entraine une protection médiocre des sols contre la variation de température et le ruissellement. Cette protection est plus faible dans les espaces en culture sur versant, la mise à nu du sol favorisant une érosion différentielle par ruissellement entre les buttes d’igname (photo 1) ou les pieds des plants cultivés, et dans le temps par les variations saisonnières considérables : si la couverture des plants peut être dense en saison des pluies, en fin de saison sèche et aux premiers orages le sol est pratiquement dénudé et particulièrement sensible. Le ruissellement est donc un des facteurs d’érosion, érosion qui est particulièrement sensible sur les sols ferrugineux tropicaux sur granite même sur pente faible de 2 à 5 % (PERRAUD, op. cit.).

Photo 1 : Un champ d’igname butté sur versant sableux. La perte des matières orga- niques est accentuée par les techniques agricoles, comme le buttage, qui re- tournent le sol et le laissent à nu. . (Photo Kambiré, 2012)

Le jeu du ruissellement et du caractère très déminéralisant de l’igname, dans un pays où l’on ignore l’usage des intrants, a une triple conséquence.

Les deux premières sont le système d’agriculture itinérante et la migration intra-régionale Lobi. En fait dans les champs de brousse, l’igname précoce vient toujours en tête, la première année après défriche- ment («cobsã»). Des plantes secondaires lui sont associées : légume, arachide, calebasse, manioc.

La sole d’igname est suivie de céréales qui s’inter- calent dans les rotations (maïs-mil, maïs-sorgho) pendant deux à quatre ans. En fin de cycle, de 4 à 5

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et épuisés (photo 2). Le paysan abandonne alors la parcelle défrichée à la jachère dont la durée varie entre 7 à 15 ans.

Ainsi organisé, le champ de brousse se déplace de cette façon, à l’intérieur des limites d’un péri- mètre connu comme étant celui alloué au clan ou à la famille du chef de ménage. Mais il arrive que le manque de terre, en topographies hautes, sur sa parcelle (“bani“), conduise l’agriculteur à remettre en culture plus tôt ses jachères. Il arrive également que les jachères n’autorisent plus la sole d’igname, culture trop exigeante pour des terres insuffisamment reconstituées.

Photo 2 : Un sol érodé après 4 ans de culture sur versant. (Photo Kambiré, 2012)

Du coup, le Lobi, plus attachée à sa culture dont il prend conscience de la valeur marchande, est tenté par la migration : « une migration active vaut mieux qu’une sédentarité passive », dit le dicton Lobi.

L’autre conséquence du jeu du ruissellement et du caractère déminéralisant de l’igname est la chute des rendements en céréales. Ces cultures qui succèdent à l’igname ont des rendements qui paraissent moins bons qu’à ceux des tubercules : l’association maïs-mil qui suit fréquemment la sole d’igname, donne certes des récoltes annuelles supérieures à 1,3 t/ha, signe que les rendements en deuxième année de culture sont encore élevés (CHALEARD, 1990). Cepen- dant il est évident qu’ils diminuent à mesure que le champ est cultivé, ce qui contribue à faire baisser la moyenne, et ce qui explique les faibles résultats en mil et surtout en sorgho, cultures dominantes à partir de la quatrième année.

LE RÔLE DES LIMITES TECHNOLOGIQUES ET DU POIDS DES IDÉOLOGIES

RELIGIEUSES

Les topographies hautes facilitent par leur enver- gure les cultures regroupées en un même bloc sur une seule parcelle, donnée incontournable dans le système de culture Lobi. Non seulement, cette situa- tion a l’avantage de permettre au cultivateur de pou- voir s’occuper de plusieurs parcelles la même journée de travail et d’assurer la surveillance accrue de ses cultures contre les animaux à l’époque de l’épiaison, mais aussi et surtout, cela répond à une exigence religieuse capitale en pays Lobi. Car,« l’harmonie entre l’homme et la terre a une importance certaine et le champ s’habitue à l’homme et produit beaucoup s’il lui rend tout le temps visite ». De ce point de vue, les bas-fonds sont disqualifiés. Ils n’autorisent, en effet, qu’une gamme limitée de cultures du fait de l’hydromorphie: ce sont le riz, le maïs, mais surtout pas l’igname, le mil et le sorgho qui se trouvent être les produits les plus importants dans les circuits économiques ou sociaux. Le paysan qui s’y aven- turerait serait obligé de cultiver, concomitamment, sur topographie haute ces produits indispensables.

Ceci pénalise les Lobi dont les croyances religieuses exigent, dans le même temps, une présence harmo- nieuse dans toutes leurs exploitations.

Un autre problème important, posé par le régime foncier Lobi, est déterminant, c’est l’existence de la brousse dite “inappropriée“ (photo 3). On peut en effet distinguer trois types principaux de tenure foncière : la brousse “inappropriée“ (bãniwarɔ), bien collectif du village, la parcelle avec droit de culture de l’arrivant (bãni) et la parcelle prêtée (bãnihãwa). Les espaces relevant des deux derniers types de tenure foncière sont en général dans l’aire d’influence et de protection de la divinité de la terre (bur’ puni).

Photo 3 : Une forêt sèche sous l’emprise de la brousse inappropriée et du “bãnidjika“

à Nyamoin.

(Photo Kambiré, 2013)

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Par contre, le “bãniwarɔ“, espèce de “no man’s land“, abrite la divinité protectrice des villages et de fécondité des terres (bur’ puni) (photo 4).Il ne béné- ficie paradoxalement d’aucune protection, sauf que l’aire relevant de l’influence directe du “bur’ puni “ à l’intérieur du “bãniwarɔ“ est sacrée : le “bãnidjika“.

Photo 4 : A l’intérieur, la divinité protectrice du village :« bur’ puni ».(Photo Kambiré, 2013)

La brousse “inappropriée“ est observée dans la plupart des villages, notamment ceux d’installation Lobi ancienne, où le “bãnidjika“ est vénéré. Le cas échéant, la brousse inappropriée de chaque village est localisée, plus généralement, sur les sommets d’inter- fluve et, rarement, dans les bas-fonds à l’écart des versants consacrés essentiellement à la culture. Ces espaces interstitiels de plusieurs dizaines à centaines d’hectares entre les villages, neutres et le bien de tout le monde, sont traditionnellement non cultivés. Ils étaient jadis, à l’époque des conflits fréquents, le lieu privilégié des batailles, le “bur’ ‘puni “ de chaque village n’autorisant pas le sang versé sur le terroir du village.

De nos jours, ils sont exploités pour la cueillette, le prélèvement de bois d’énergie ou de bois de service et surtout pour le pâturage. Avec la pression foncière, le “bãniwarɔ“, avec en son sein le “bãnidjika“, reste une donnée religieuse qui revêt deux conséquences différentes mais complémentaires sur les ressources alimentaires. D’abord, il réduit considérablement les disponibilités locales en terres qui se raréfient déjà sur les sommets d’interfluves et obligent nombre de paysans à la migration agricole. Ensuite, il contribue à détourner les Lobi des surfaces de bas-fonds sus- ceptibles d’être des supports complémentaires ou d’appoint à une agriculture dont les terres s’épuisent sur les topographies hautes.

En outre, la majorité des Lobi, réfractaires à leur

Les sols à pseudo-gley ou gley argileux (l’taka) des bas-fonds sont, d’une part, difficiles à travailler : ils sont collants, lourds au labour, au buttage ou au sarclage pendant la saison humide et durs pendant la dessiccation saisonnière. D’autre part, les rende- ments en riz sont aléatoires sur les sols sableux ou à pseudogley et vite secs, une mauvaise répartition des précipitations peut les diminuer de moitié. De plus, la récolte du riz a lieu en même temps que celle de l’igname, du mil et du sorgho (novembre-décembre).

Par ailleurs, l’enherbement des champs de bas-fonds est difficilement contrôlable :le paysan est contraint à au moins quatre opérations de sarclage au lieu d’une ou de deux sur topographie haute.

Enfin, avant la survenue d’une inondation, les Lobi mettent en œuvre leurs connaissances ésoté- riques. Des consultations de l’autel du village et de la terre (bur’ puni), suivies de sacrifices aux divinités tutélaires, sont entreprises en vue de prévenir le mal.

Car, l’inondation, quand elle frappe, détruit tout ou une partie des cultures. Autant de raisons qui incitent parfois le paysan Lobi à ignorer l’exploitation des bas- fonds marécageux et inondables « qui ne donnent pas la nourriture et l’argent » au profit des versants et des sommets, même lorsque la pression démogra- phique devenant très forte. Il ne reste plus assez de bonnes terres vacantes sur les topographies hautes (excepté lorsque les femmes et les jeunes dépen- dants économiquement veulent y cultiver du riz et du maïs qu’ils peuvent commercialiser librement).

On se rend compte, dès lors, que les facteurs mi- gration et système cultural, dans bien de domaines, ne suffisent pas à eux seuls pour expliquer d’éventuelles menaces sur les disponibilités alimentaires. Ces dis- ponibilités doivent évidemment être aussi analysées dans le cadre des interférences entre les modes d’exploitation du milieu et les croyances religieuses.

CONCLUSION

Sur la base de l’offre alimentaire présentée ci-haut, on note l’existence d’une gamme assez variée de produits alimentaires entrant dans la constitution des aliments de base dans le nord- de la Côte-d’Ivoire, en pays Lobi. Mieux, le nord-est est excédentaire dans la production du maïs et du mil. Cependant, l’analyse de leur stabilité dans l’approvisionnement dans le temps et l’espace et de leur accessibilité (à travers l’évolution de la production vivrière, les gaps de production et la répartition des dépenses de consommation ainsi

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La principale cause du risque de rupture dans les disponibilités alimentaires demeure la rupture du fragile équilibre entre la fertilité naturelle des sols sur topographies hautes, vite érodées et le système cultural fait de polyculture vivrière qui appauvrit les sols. A cette cause majeure, l’on peut ajouter la migration interne Lobi et les facteurs favorisant ces mouvements de populations dans l’espace. Les mi- grants Lobi, en s’orientant vers la culture de l’igname, devenue principale culture de rente, mettent en cause l’équilibre du terroir et la performance du système traditionnel de culture fondé la culture associée et assolée. Ce qui se traduit par la baisse plus ou moins drastique des superficies cultivées ou des quantités de la production des céréales, cultures nourricières et par des périodes de soudure post-semis particulière- ment difficiles. Les capacités techniques et technolo- giques limitées et les idéologies religieuses ajoutent à la menace sur les productions domestiques. Elles réduisent considérablement les surfaces cultivables, les premières, au fond les bas-fonds (évités du fait de l’hydromorphie, des inondations, de l’enherbement incontrôlables) et les secondes sur les sommets d’interfluves (du fait de l’emprise de la brousse inap- propriée sur des surfaces agricoles potentielles) où les disponibilités foncières se raréfient déjà. C’est surtout dans les grandes zones productrices de l’igname, culture marchande, que les populations rencontrent le plus le premier phénomène alors que les barrières idéologiques sont plus intenses dans les zones de peuplement anciens Lobi où la brousse dite

“inappropriée“ conserve toute son intégrité.

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