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Le juge des enfants dans son environnement : à la recherche des équilibres

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-00835115

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Submitted on 18 Jun 2013

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Le juge des enfants dans son environnement : à la recherche des équilibres

Benoit Bastard, Christian Mouhanna

To cite this version:

Benoit Bastard, Christian Mouhanna. Le juge des enfants dans son environnement : à la recherche des équilibres. Questions pénales, CESDIP, 2008, XXI (3), pp.1-4. �hal-00835115�

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es préoccupations que suscitent la délinquance juvénile mais aussi les interventions en assistance éducative ont amené de nombreux débats, souvent critiques, à l’encontre de la justice des mineurs. Les juges des enfants en particulier ont vu leurs pratiques fortement mises en cause, et notamment le primat donné à l’éduca- tif, symbolisé par l’ordonnance du 2 février 1945. Plusieurs lois ont introduit des modifications notables dans la justice des mineurs.

Des réorganisations de structure sont à l’œuvre, confiant notam- ment davantage de responsabilités aux conseils généraux1. À l’inté- rieur même des juridictions, la position du juge des enfants s’est trouvée affaiblie par la place croissante prise par le parquet dans le traitement des affaires, et par le poids des économies budgétaires qui s’imposent à tous les tribunaux.

Dans ce cadre mouvant, quelle est désormais la place du juge des enfants ? Plusieurs projets de transformation sont aujourd’hui à l’é- tude. C’est en partant des pratiques locales de chaque juge, dans son environnement, que nous chercherons à comprendre ce que fait ce juge et ce qui fait de ce juge un magistrat si particulier.

Le travail du juge des enfants : concilier droit et écoute

À travers les entretiens et les observations menées, on peut faire ressortir les principaux traits qui fondent aujourd’hui le métier de juge des enfants. Tout d’abord, une première particularité tient au fait que ce magistrat statue aussi bien au civil qu’au pénal, qu’il traite des mi- neurs victimes en assistance éducative comme des mineurs auteurs, et qu’il cumule au pénal des fonctions assurées, pour les majeurs, par plusieurs juges : instruction, décision, et application des peines. Magistrat indépendant comme tous les juges, il dispose d’une plus grande faculté d’organisation, notamment parce qu’il gère son propre audiencement. Mais indépendance ne signifie toutefois pas qu’il prend ses décisions de manière autocratique. Il passe une grande partie de son temps en présence des familles suivies et avec de multiples partenai- res : les services sociaux, les structures d’hébergement, les divers intervenants du secteur médical. Il vise à mobiliser tous les moyens afin de parvenir à des décisions bonnes pour l’enfant, auteur ou victime. De cette structure, il ressort plusieurs traits essentiels qui guident son action.

En premier lieu, les juges des enfants s’affirment comme des magistrats à part entière, qui fondent leur action sur le droit. En revendi- quant leur attachement au droit, ces juges entendent se distinguer de l’image, trop souvent accolée à leur fonction et à leur yeux dépassée, d’un magistrat marginal qui exercerait ses fonctions sans se soucier du cadre légal :

« Il y a un changement qui est quand même manifeste, c’est que le juge des enfants est aujourd’hui plus soucieux de faire du droit qu’il y a quinze ans.

Ça ne change rien pour moi, parce que ma manière de travailler n’a pas changé, j’ai toujours fait du droit. (…) Les juges font du droit et ils sont là pour ça. Alors c’est un magistrat qui a certes une position particulière mais c’est avant tout un magistrat » (juge des enfants).

Ce souci d’inscription dans le droit correspond également à une logique de positionnement vis-à-vis de leurs interlocuteurs, que ce soit les familles ou les partenaires. Le droit permet, selon les juges, de rester impartial et de pouvoir prendre des décisions plus sereinement. Il est à la fois une ressource pour assurer son autorité et un outil permettant pour lui une mise à distance :

« Il y a des règles de droit (…). Ça nous donne un cadre et ça nous permet de ne pas être omnipotents. C’est un guide qui permet de rester cohérent et les pieds sur terre » (juge des enfants).

Le juge des enfants dans son environnement : à la recherche des équilibres

XXI.3 Juin 2008

Q P

CESDIP

Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit

et les Institutions Pénales www.cesdip.org

1 La loi du 28 mars 2003 a confié aux collectivités territoriales la faculté de se substituer à l’État dans certaines de ses prérogatives. Quatre départements ont usé de cette faculté pour s’engager dans la mise en œuvre intégrale des mesures prononcées par le Juge des enfants, lui retirant de facto la faculté de désigner l’établissement ou le ser- vice auquel il confie le mineur.

Sociologue, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Institut des Sciences Sociales du Politique de Cachan, Benoît BASTARD a publié de nombreux travaux sur l’activité de justice et sur l’intervention sociale dans la famille, parmi lesquels Les démarieurs (2002, Paris, La Découverte). Sociologue et chargé de re- cherches au CNRS/CESDIP, Christian MOUHANNA a effectué de nombreuses recherches sur la justice pénale et la police. Il a notamment publié Une justice dans l’urgence (2007, Paris, Presses Universitaires de France, avec Benoît Bastard) et Police : des chiffres et des doutes (avec Jean-Hugues Matelly).

A c t u a l i t é d e l a r e c h e r c h e

Une enquête portant sur quatre juridictions des mineurs

L’enquête réalisée en 2006 et 2007 a porté sur quatre sites, des tribunaux de différentes tailles – deux tribunaux pour en- fants comptant une dizaine de juges et deux tribunaux de taille moyenne, comportant trois ou quatre juges des enfants. Elle a reposé sur des entretiens avec ces juges des enfants, les mem- bres du parquet des mineurs et les autres magistrats concer- nés, ainsi qu’avec l’ensemble des partenaires institutionnels des tribunaux pour enfants : la Protection judiciaire de la jeunesse, les services du conseil général et les associations habilitées. Le recueil d’informations s’est fait principalement à travers des entretiens semi-directifs individuels, complétés par des pério- des d’observation des pratiques. Ces données ont fait l’objet d’une analyse visant à reconstituer le système d’action à tra- vers lequel agissent les juges des enfants. À partir de ces analy- ses, on s’est attaché à rendre compte aussi bien de l’état ac- tuel du métier de juge des enfants, tel qu’on a pu l’observer sur le terrain, que de la dimension plus générale de leur ins- cription dans leur spécialité professionnelle.

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Toutefois, ce légalisme ne s’oppose pas à l’action éducative qui reste toujours cen- trale dans l’activité de ces magistrats.

« Il y a des mineurs que l’on voit tous les mois, donc on est plus sévère tout en es- sayant de rester logique et que ce soit adapté et cohérent pour eux. Mais on ne peut pas perdre de vue que l’on a à faire à un mineur et qu’avant tout il faut faire de l’éducatif – même si en parallèle les mesu- res sont répressives. Les deux ne sont pas contradictoires : il faut que ça se com- plète… » (juge des enfants).

Le deuxième trait essentiel qui se re- trouve chez la grande majorité des juges concerne l’interaction avec les jeunes et leur famille. Il correspond à un change- ment de paradigme qui marque actuelle- ment l’ensemble du secteur social et qui s’est traduit dans la loi. Ainsi, le juge ne se positionne pas – ou plus – dans un rapport d’autorité. Il cherche à faire participer la fa- mille à l’élaboration de la décision, à obte- nir son adhésion, et a minima à faire œuvre de pédagogie :

« Ce qui est important c’est que la fa- mille comprenne bien pourquoi elle est là, le but des mesures, à quoi sert la décision, et qu’au point où on en est, la décision est autoritaire mais légitime » (juge des enfants).

« Notre rôle, c’est de travailler sur la défaillance de l’autorité parentale, mais pour travailler là-dessus, on est censé tra- vailler avec les parents, qu’ils soient tenus informés, en mesure de s’expliquer, pou- voir répondre à ce qu’on leur reproche, et c’est uniquement comme ça qu’on peut travailler avec eux pour pouvoir essayer de faire évoluer la situation » (juge des enfants).

Cet exercice est long et difficile car il faut amener les justiciables à changer de vision.

Il amène également le juge à modifier son opinion et à souvent n’arrêter sa décision qu’au cours de l’échange qui a lieu lors des audiences – souvent des audiences de cabi- net2. Dès lors, le juge est contraint d’inves- tir dans la connaissance de l’environne- ment des justiciables afin de disposer d’ar- guments dans la discussion et de ne pas être trompé par les familles. Il en découle des temps de travail très longs et très éprouvants. Les conséquences des éven- tuelles erreurs peuvent en effet être très graves, et le juge est souvent confronté à des dilemmes :

« La loi nous fait prescription de re- cueillir l’adhésion des familles dans les mesures que l’on prend. L’expérience m’a appris que quand une famille est très en défiance ou n’a pas compris, elle refuse l’intervention et met en échec ce qui a été décidé. C’est très compliqué à gérer : si on a vraiment des certitudes absolues sur un danger très fort pour l’enfant, on fait ce qu’on a à faire, on retire l’enfant. Mais la plupart du temps, ce n’est pas aussi mar- qué. Ce sont des suspicions, des choses qu’il faudrait corriger, ce n’est pas un en-

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fant maltraité au point que sa vie est en danger. Alors, quand les familles refusent leur accès aux travailleurs sociaux, on est très embêtés : on n’a pas suffisamment d’éléments pour retirer l’enfant et le mettre à l’abri. Or, s’il n’y a pas ce danger si fort, placer brutalement un enfant peut avoir des conséquences graves. En même temps, on est quand même inquiet » (juge des enfants).

Ceci nous conduit à un troisième trait qui caractérise les juges des enfants : l’investis- sement fort dans le territoire et le partena- riat. En effet, ils ont besoin d’éléments leur permettant de prendre la meilleure déci- sion, ce qui suppose une connaissance du milieu dans lequel vivent les familles, et de l’histoire des mineurs dont le cas leur est soumis. Bon nombre de juges des enfants sont ainsi sectorisés, c’est-à-dire attachés plus particulièrement à une partie du res- sort du tribunal, ce qui leur permet de mieux la connaître. Les échanges indispen- sables avec les partenaires demandent éga- lement un temps considérable.

Le partenariat est d’autant plus nécessaire que le travail du juge des enfants ne se res- treint pas à la prise de décision. Contraire- ment à la plupart des autres magistrats qui interviennent de manière séquentielle et li- mitée dans le processus judiciaire, qu’il soit civil ou pénal, le juge des enfants se trouve investi dans une mission qui l’implique dans le suivi au long cours des dossiers. Il n’est ainsi pas rare qu’ils suivent des en- fants – et leur famille – pendant plusieurs années. Il en résulte une remise en cause périodique des décisions prises, qui tien- nent compte des évolutions des publics concernés. Non seulement, pour le juge, chaque enfant est un nouveau cas particu- lier qui doit faire l’objet d’une décision par- ticulière, mais de surcroît en fonction du parcours de cet enfant et de sa famille, de nouvelles décisions vont être prises.

De ce fait, le travail du juge s’apparente à une recherche permanente d’une meilleure solution, suivie d’une évaluation de facto des conséquences de chaque décision prise.

Dans ce cadre, le partage rigide entre édu- catif et sanction a peu de sens, car les deux peuvent être mobilisés à des moments dif- férents s’ils débouchent sur un progrès pour l’enfant. Pour le juge, ses choix ne peuvent être définitifs et demandent en permanence des retours sur soi. Par rap- port à une justice qui rend des jugements fermes et définitifs, et qui peine à recon- naître ses propres erreurs, comme l’ont montré plusieurs affaires médiatisées, la justice des mineurs paraît relativement ou- verte au doute et à la remise en cause. Une décision n’a pas vocation à être intangible.

Cet exercice est d’autant plus difficile que le travail de juge des enfants est très rare- ment un travail collégial. Si le juge tient des audiences qui sont de vrais procès, avec des assesseurs, l’essentiel de son activité se passe dans son cabinet, en tête-à-tête avec les enfants et leurs familles. Les modes d’é- laboration des décisions font que celles-ci, produit de l’interaction dans le cabinet, ne sont pas reproductibles ni automatiques, et par conséquent difficiles à apprécier par les collègues. Même s’il y a des divergences de

styles, certain s’appuyant plus sur la répres- sion et d’autres sur le caractère éducatif, ces différences sont respectées, et suscitent peu de commentaires :

« C’est un travail en interaction avec les familles, avec les jeunes, mais c’est plutôt solitaire… Chacun est quand même, je trouve, beaucoup "chez soi"… Chacun gère ses dossiers et est quand même assez solitaire. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une vie commune, mais la vie com- mune n’intègre pas forcément une dimen- sion collégiale de l’appréhension des dos- siers et des situations » (juge des enfants).

« Les pratiques des JE ont toujours été très individuelles, ce n’est pas d’aujourd-

’hui. On disait : "Autant de juges que de juridictions". Mais, globalement, ils sont peut-être tous davantage dans un même courant… Il y a encore quelques excep- tions, mais moins marquantes qu’à une époque où des gens avaient des positionne- ments très différents » (directeur d’un foyer).

Des partenariats complexes

Nous avons souligné combien le juge avait besoin de ses partenaires institution- nels afin de gérer les situations auxquelles il doit faire face. Ces partenaires intervien- nent en amont de la décision, en faisant des enquêtes et en fournissant au magistrat des éléments d’appréciation indispensables dans l’échange avec les familles. Ils inter- viennent aussi en aval puisque c’est eux qui mettront à exécution les décisions du juge et lui signaleront les évolutions positives ou négatives chez le mineur suivi.

Trois grands types de partenaires travail- lent avec les juges des enfants : la PJJ, les services du conseil général chargé de la pe- tite enfance, et les associations qui sont im- pliquées à diverses étapes du processus. La Protection Judiciaire de la Jeunesse, service extérieur du ministère de la Justice est à coup sûr le meilleur allié du juge dans la plupart des juridictions. Mais la PJJ souffre d’une crise qui revêt plusieurs aspects. Elle manque de moyens, surtout en personnel, pour assurer toutes les missions qui lui sont confiées. Les ressources sont mobili- sées prioritairement pour répondre aux de- mandes d’effectifs dans les nouveaux éta- blissements – Centre éducatif fermé ou établissement pénitentiaire pour mineurs.

Plus généralement, les inclinations de plus en plus fortes à cantonner la PJJ dans le pénal ne correspondent pas aux attentes et à la réalité du métier de juge des enfants, ni à celles des éducateurs :

« Le jeune a commis un délit, et il est dans une telle galère familiale que c’est du civil. Si on nous enlève ça, la possibilité d’avoir des jeunes qui ont commis des dé- lits et qui sont confiés au civil, parce qu’il faut faire un travail en amont, c’est dom- mage ! On risque de transformer en pénal des choses qui devraient se faire au civil » (responsable de la PJJ).

Pour les professionnels de la PJJ comme pour les juges, le paradoxe est que, faute de moyens suffisants, les premiers ne parvien- nent pas à répondre assez rapidement aux demandes, et voient empirer les situations

2À cette occasion, l’avocat peut jouer un rôle perti- nent quand il est présent. BÉNECH-LE ROUX P., 2006, Les rôles de l’avocat au tribunal pour enfants, Déviance et Société, 30, 2, 179-202.

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des mineurs qui devraient être suivis, don- nant par la suite raison aux partisans des méthodes répressives, par ailleurs grandes consommatrices de budget et de personnel.

Le second grand groupe de partenaires relève du monde politico-administratif. Les services du conseil général qui ont en charge l’enfance et l’action socio-éducative peuvent avoir des relations tendues avec les juges des enfants parce qu’ils doivent intégrer dans leurs pratiques des données budgétaires que ne veulent pas connaître les magistrats qui privilégient eux l’intérêt intrinsèque de l’enfant. Sommés d’exécuter des décisions sur lesquelles ils n’ont pas prise, les services traînent parfois les pieds.

Depuis 2006, certains départements ont expérimenté le transfert de certaines com- pétences du juge en leur faveur. Il s’agit, selon le projet d’expérimentation, d’ôter à l’autorité judiciaire la faculté de confier un enfant directement à une association ou à la PJJ. Le conseil général deviendrait, au terme de cette réforme, le responsable di- rect des mesures. À terme, certains envisa- geraient un cantonnement des juges au pé- nal et une mainmise totale des conseils gé- néraux sur les placements au civil. Face à cette évolution, les juges des enfants dispo- sent néanmoins d’atouts. S’appuyant sur sa qualité de gardien du droit et de porte- parole des familles, le juge s’impose comme un partenaire incontournable et un repère essentiel.

« Ce que j’observe, c’est que les usagers, les familles, cela leur semble plus clair d’a- voir le magistrat, la justice qui intervient dans le cercle plus privé de la famille, parce qu’il y a quand même l’idée que le droit est respecté. Sur une approche admi- nistrative, ce n’est pas la même chose, ils ont l’impression qu’il y a plus d’abus, c’est très étonnant… Ils ont l’impression que la mesure judiciaire est plus protec- trice des droits que la mesure administra- tive. C’est différent : la mesure adminis- trative, c’est l’adhésion. Le juge peut déci- der sans adhésion. Il y a l’appel qui est possible en judiciaire, et l’assistance de l’a- vocat. En administratif, vous n’avez pas tout ça » (responsable d’association d’action sociale).

« Il y a un mouvement général qui vou- drait donner la maîtrise des placements aux conseils généraux et que le juge des enfants ne soit plus là que pour trancher les conflits entre l’administration et les pa- rents. On est opposé à cette conception, parce que souvent, on fait entendre la voix des parents et on pense qu’une procédure parfaitement contradictoire, où le conseil général reste partie au même titre que les parents, c’est laisser chacun à sa place.

Surtout qu’on est confronté à des parents parfois très démunis qui ne feraient pas le poids face à l’administration. Et ce serait une fonction beaucoup moins intéres- sante » (juge des enfants).

Le troisième type d’acteur est le secteur associatif qui prend en charge de manière effective les mesures décidées par le juge.

Au civil, les habilitations sont délivrées par le conseil général, et par la PJJ au pénal, toute une partie des associations bénéfi-

ciant d’une double habilitation. On a donc affaire à un rapport à trois – voire à quatre – impliquant le Juge et la PJJ, le conseil général et les associations qui se trouvent dans une situation de double dé- pendance : ce sont les magistrats qui or- donnent les mesures, et les départements qui les financent. D’où un enjeu essentiel pour elles : maintenir de bons liens avec tous les autres acteurs, ou à la rigueur s’ap- puyer sur les juges pour convaincre les autres.

« On est quand même toujours confron- té à ce problème de conflit qu’il peut y avoir entre trois logiques, économique, po- litique et éducative. On est dans cet anta- gonisme, et les juges le sont aussi. Ce sont les places disponibles dans les structures, les problèmes de coût, les problèmes de place, etc. La question de la gestion finan- cière des mesures se pose face à l’intérêt éducatif, des familles : est-ce qu’on pro- longe ou non ? On est confronté à ça. Les mesures éducatives, si on n’est plus dans une notion de danger, on arrête. Est-ce que le département a les moyens de mettre une AED (aide éducative à domi- cile) en articulation à ça pour que la cou- pure ne soit pas brutale ? Les juges sont aussi confrontés à ces problèmes et à cette réalité. Les questions de coût nous vien- nent du conseil général, de notre autorité de tutelle. Le conseil général nous inter- roge sur la durée des mesures, pour l’AEMO – étant entendu que, plus le turn over est important en AEMO, moins il y a de listes d’attente, moins il y a d’insatisfaction. Il y a une pression constante. On est toujours dans la problé- matique d’avoir un décideur et un payeur, c’est une problématique constante, que ne supporte pas le conseil général et que ne supportent les magistrats. Les magistrats voudraient que toutes leurs décisions soient suivies d’effet et le conseil général voudrait qu’il y ait une mesure raisonnable par rapport aux moyens dont il dispose » (chef de service, association d’ac- tion sociale).

Aujourd’hui, malgré tous ces change- ments, le juge des enfants reste au cœur du système, il en est le pivot, la référence. Au sein d’un système extrêmement variable se- lon les sites, le juge construit son réseau et s’appuie sur les uns et les autres pour faire appliquer ses décisions. Restant en posi- tion centrale, le juge des enfants voit néan- moins son pouvoir limité par le relâche- ment de ses liens avec les travailleurs sociaux.

« À une époque, je l’ai entendu dire, il y avait une synthèse au sein du cabinet, à laquelle étaient associés les travailleurs so- ciaux. La famille n’était reçue qu’après.

Maintenant, on n’est plus dans cette col- lusion, on est dans le contradictoire et les débats se font systématiquement avec la famille. Les droits des usagers sont davan- tage préservés et le droit est appliqué » (juge des enfants).

Le travailleur social et le juge ont chacun un accès aux jeunes et à leur famille, mais un accès différencié. Il n’en reste pas moins que la relation entre le juge et ses in-

terlocuteurs reste marquée par une com- munauté de vue et par une interdépen- dance extrêmement forte : le travail social s’enracine dans la décision judiciaire et l’ac- tivité du juge – notamment son interaction avec les familles à l’audience et sa prise de décision dans ce cadre – ne peut se réaliser sans le concours des services qui assurent le contact direct avec les enfants, les jeunes et les familles sur le terrain. Néanmoins, si un acteur maîtrise l’ensemble du traitement d’une situation, c’est lui. Il continue de ce fait de bénéficier de l’aura dont jouit tradi- tionnellement le judiciaire.

Les entretiens laissent cependant trans- paraître, vis-à-vis du fonctionnement du système tel qu’on vient de le décrire, le sentiment partagé d’une menace qui pèse- rait sur l’ensemble des acteurs. Menace qui porterait sur la pérennité d’un style de tra- vail, celui qui précisément dépend du rôle central alloué au juge. Cette menace s’ex- prime à travers des mesures partielles : ré- organisations des services, abandon de cer- taines activités ou contingentement des in- terventions, et impossibilité de traiter rapi- dement certaines situations à risque. Par- delà ces manifestations localisées du chan- gement, la transformation d’ensemble du système dessine un avenir flou, difficile à contrecarrer dès lors que le changement procède de l’État et répond, en apparence, à une logique économique. Les acteurs y voient de manière encore confuse, la mar- que d’une volonté politique de restreindre l’autonomie du judiciaire et de limiter la zone d’influence des juges des enfants.

Juge des enfants et parquet : vers la pénalisation de la justice des mineurs ?

Au sein de la magistrature, les juges des enfants conservent une image particulière.

Certes, ils participent à diverses missions qui les font travailler avec d’autres magis- trats, lors des audiences pour majeurs par exemple. De ce point de vue, la collégialité fonctionne. Mais, en tant que juge des en- fants, ils éprouvent des difficultés à déve- lopper des relations avec les autres magis- trats du siège. L’une des explications réside dans l’accroissement des rythmes de travail que connaissent les tribunaux qui voient s’accélérer les procédures au civil comme au pénal. En y regardant plus attentive- ment, on relève que les juges des enfants, du fait même de la nature de leur travail, s’inscrivent dans des logiques qui ne cor- respondent pas à celles de leurs collègues.

Ainsi les échanges sont généralement assez restreints avec les juges d’instruction ou les juges des libertés et de la détention (JLD).

« Parfois, le JLD prend contact avec nous, mais on a l’impression qu’ils sont complètement débordés. Si j’ai un contact avec un JLD, c’est qu’il veut savoir à quelle heure j’aurai rendu mon jugement pour qu’il puisse organiser son au- dience…C’est un peu court. Il n’y a qua- siment pas de travail en partenariat » (juge des enfants).

Au civil également, les interactions sont la plupart du temps limitées, en particulier avec le juge aux affaires familiales. Ce der- nier ne s’inscrit pas dans la logique mixte,

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taux d'élucidation

2001 2003

agressions ordinaires 40,62 30,71

agressions sexuelles 46,67 68,00

vols simples 6,73 7,44

cambriolages 9,51 8,33

vols de voiture 7,43 8,97

vols à la roulotte 4,92 5,11

dégrad/destr. véhicules 8,71 12,63

vols de 2 roues 8,86 8,31

civile et pénale, qui caractérise son collègue des mineurs. Dès lors, les tensions émergent :

« Des frottements, ça peut arriver. No- tre procédure est ainsi faite qu’on peut avoir un juge aux affaires familiales qui ordonne une mesure de garde pour l’en- fant, alors même que le juge des enfants dit l’inverse, a fortiori si le juge aux af- faires familiales est à Versailles ou à Paris – parce que le juge du divorce n’est pas forcément dans le même ressort. Il peut y avoir une déperdition d’informa- tions qui est assez importante notamment dans les cas de divorce qui se passent très mal. En plus, on a aussi au niveau cultu- rel une grosse fracture entre les juges des affaires familiales et nous, pénalistes, et les juges des enfants, donc là encore c’est vraiment différent » (substitut des mineurs).

Face aux représentants du pénal que sont les parquets, les juges des enfants se trou- vent dans une situation décalée. D’une part, le parquet représente la sanction, la répression, mais aussi l’impératif de pro- ductivité de plus en plus prégnant dans les tribunaux3. Les substituts se font aussi l’écho des préoccupations sécuritaires qui émergent tant dans la classe politique lo- cale qu’au niveau national. Ainsi les juges de mineurs reprochent au parquet de leur

adresser des cas qui n’en valent pas la peine.

« Le parquet nous saisit en matière pé- nale de situations qui ne sont pas finale- ment si graves que ça. Ce sont parfois des situations très dégradées, mais qui n’é- taient pas connues en assistance éduca- tive… Là se pose la question de la straté- gie de la politique pénale du parquet. Ils ont leurs impératifs et leurs impératifs ne sont pas forcément ceux de l’assistance éducative. Il y a d’autres paramètres qui jouent – y compris au niveau national…

On se sent sous la pression. On est saisis beaucoup. Le parquet nous saisit, par exemple, pour des défauts de permis de conduire de scooter… On se demande si vraiment ça valait le coup. C’est une ques- tion de stratégie sur laquelle on n’a pas prise. Répondre de telle ou telle façon, c’est une façon pour nous de nous positionner par rapport à cela, sauf qu’on est saisis et qu’on doit statuer, on doit mettre en exa- men, on doit juger… Alors, c’est peut-être une réaction un peu corporatiste de juge des enfants, mais on a le sentiment de moins maîtriser notre saisie par rapport à l’assistance éducative et donc, finalement, on est peut-être plus rétifs par rapport à l’action du parquet et à sa démarche » (juge des enfants).

D’autre part, le parquet, confronté aux exigences politiques et hiérarchiques, adopte simultanément une posture de dé- fense du juge et de ces décisions. Les par- quets des mineurs ou les substituts chargés

Diffusion : Centre d’Aide par le Travail - Fontenay-le-Fleury (78330) Imprimerie : Studio Imaginons... - 52-56 rue Carvès - 92120 Montrouge Dépôt légal : 2ème trimestre 2008 ISSN : 0994-3870 Reproduction autorisée moyennant indication de la source et l’envoi d’un justificatif.

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Bruno Aubusson de Cavarlay

Corinne Balmette Laurent Mucchielli Emmanuel Didier Sophie Névanen Thierry Godefroy Geneviève Pruvost

Fabien Jobard Renée Zauberman

René Lévy Christian Mouhanna Comité de rédaction Laurent Mucchielli

Directeur de la publication

Isabelle Pénin (conception et maquette) Bessie Leconte (relecture) Coordination éditoriale

de ces questions sont les premiers à défendre les positions du juge, parce que celui-ci repré- sente un certain équilibre, et parce qu’il dit le droit. Certes, on constate des tensions, mais beaucoup de parquetiers, notamment parmi les plus anciens se sont rendus compte qu’il leur fallait « protéger » le juge des enfants et par là le principe même de l’autonomie et de l’indépen- dance de la justice. En ce sens, le juge des en- fants conserve une position symbolique très forte : il représente un idéal de justice, même si ce n’est pas une justice idéale.

*

Le juge des enfants qui, jusqu’à une période récente, symbolisait la modernité et l’innova- tion, parce qu’il représentait le modèle vers le- quel devait tendre la justice des majeurs comme celle des mineurs, est aujourd’hui désigné comme le reliquat d’une justice obsolète et in- capable de répondre aux défis d’une société in- quiète de ses jeunes. Ce retournement est, pour les acteurs du système judiciaire et social, la ma- nifestation d’un mouvement plus général qui affecte l’ensemble de la justice et qui remet en cause les équilibres sur lesquels elle se fonde.

Benoît BASTARD (benoit.bastard@free.fr) et Christian MOUHANNA (mouhanna@cesdip.com)

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3BASTARD B., MOUHANNA Ch., 2007, Une justice dans l’urgence : le traitement en temps réel des affaires pénales, Paris, Presses Universitaires de France, Collection

« Droit et Justice ».

Vient de paraître

Pour en savoir plus :

BASTARD B., MOUHANNA Ch., coll.

MAZOYER M.A., PERROCHEAU V., 2008, « Le juge des enfants n’est pas un juge mineur ! ».

Étude sociologique d’un groupe professionnel sous pression, Paris, Centre Sociologique des Organisations.

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