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LES FEMMES. La femme est le jugement dernier de l'homme (Proverbe scandinave)

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Academic year: 2022

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LES FEMMES

La femme est le jugement dernier de l'homme

(Proverbe scandinave)

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A TRAVERS LE MONDE

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LES FEMMES

par Micheline Amar François Balsan Alain Bosquet Claire Clouzot Jeanne Cuisinier Camille Drevet Michel-Droit André Falk Michel Grey Patricia Guillermaz Jean-Clarence Lambert Imre Laszlo

Françis Mazière Jean Neuvecelle Claude Orcival Léonce Peillard Michel Ragon Maurice Toesca Claude-Hélène Valabrègue Betty Villeminot

COLLECTION DIRIGÉE PAR JEAN-CLAUDE IBERT

HACHETTE

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© Librairie Hachette, 1960.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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AVERTISSEMENT

c E LIVRE pourrait avoir comme sous-titre : La Vie quoti- dienne des Femmes dans le Monde. En effet le lecteur y verra se dérouler, sous la orme d'une succession de portraits, de reportages et d'études brèves, le film de la condition féminine telle qu'elle se présente aujourd'hui dans les principales régions du globe. Types physiques, éducation, vie sentimentale, activités ménagères et familiales, goûts vestimentaires, problèmes budgé- taires, conception de l'existence, autant de points particuliers qui sont évoqués dans ce volume.

En donnant toute liberté aux auteurs qui ont collaboré à cet ouvrage pour traiter comme ils le désiraient le sujet qui leur était proposé, nous avons souhaité qu'ils assument pleinement leur rôle d'observateurs de la réalité féminine; choisissant eux-mêmes les angles d'éclairage qui leur paraissaient les plus favorables, ils ont fait ressortir les éléments les plus frappants qui concourent à élever au rang de spectacle les scènes les moins insolites de la vie des femmes.

Partant de France, l'itinéraire que nous avons adopté pour effectuer ce tour du monde conduit le. lecteur à travers cinq conti- nents. Espagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Scandinavie, Alle- magne, Italie, Yougoslavie, Pologne, U.R. S. S., Hongrie, Turquie, Pays arabes, Afrique noire, Inde, Chine, Japon, Malaisie, Indo- nésie, Australie, Polynésie, Amérique du Nord et du Sud, telles sont les étapes de ce grand voyage qui permettra à chacun de découvrir le vrai visage des femmes de notre temps.

JEAN-CLAUDE IBERT.

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Une femme est obligée de plaire comme si elle s'était faite elle-même. (MONTESQUIEU.)

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LA FRANÇAISE

L

ORSQUE m'est échu le privilège de tirer le portrait de la Française, une crainte m'a envahi. Ah! je connais trop les femmes de mon pays pour feindre d'ignorer à quel point elles sont diverses ! Je vis aussitôt ce qui différenciait la Bretonne de la Provençale, la Lorraine de la Basquaise, l'Au- vergnate de l'Alsacienne.... Songeant à un assemblage folklo- rique, j'imaginai un beau défilé où la coiffe d'une Bigouden oscillerait à côté du grand nœud papillon de la Strasbourgeoise non loin du bonnet de la Sanfloraine et par-dessus le capulet de l'Arlésienne. Je me perdais dans l'histoire du costume. J'allais oublier les cœurs, croyant avoir trouvé l'âme sous des coiffures.

L'habit ne fait pas le moine. La coiffe ne fait pas la femme, bien que la Française ait, comme on dit, la tête près du bonnet.

Nous avons la chance, ou la malchance, que notre pays soit très centralisé. En somme Paris représente la France. La capi- tale attire tous les Français. Des quatre points cardinaux ils y viennent, ne serait-ce qu'un temps de leur vie, ou rêvent d'y venir — ce qui revient au même. Le développement des moyens de communication, le cinéma et surtout la télévision ont accen- tué cette fusion des caractères provinciaux, si bien que la Parisienne a, en fin de compte, donné ses traits généraux à la provinciale. Les provinciales ont renvoyé aux Parisiennes des images de miroir. Ainsi s'est modelé une sorte de visage type de la Française.

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Depuis 1900, il y a eu deux guerres auxquelles la France a participé durement. Cela n'a pas été sans modifier la situation de la Française. C'est pourquoi je ne parlerai pas des femmes dont la jeunesse s'est déroulée avant la guerre de 1914. Je vais essayer de démêler quelles sont les caractéristiques de celles qui ont atteint leur majorité à la moitié du XX siècle.

L'aspect physique d'abord : mince sans être élancée, la Fran- çaise étire assez habilement sa petite taille. Les couturiers partent de ce problème à résoudre pour établir leurs modèles. Il y a dans toute jeune Française un mannequin en puissance. Elle aime à se renouveler chaque année. « La mode, disait Girau- doux, est le seul moyen de rajeunir chaque année d'une année l'humanité. » En se donnant la forme et le style de la mode nouvelle, la Française a compris qu'elle lutte contre le plus terrible ennemi de la femme : le Temps.

Par cet artifice, elle corrige les menus désavantages de la nature. Peu de femmes ont autant qu'elle le sens de l'adap- tation aux jeux du vêtement et de la chevelure. Chacune en tire pour elle-même le parti le plus favorable. Le maquillage, elle l'apprend dès l'adolescence comme une leçon de peinture.

En sortant de chez elle, la Française a inconsciemment l'im- pression qu'on ne va pas cesser de la regarder, et qu'elle a, en conséquence, une sorte de mission permanente à remplir : celle de paraître élégante et de servir d'exemple aux femmes de la terre entière. Elle se sent gravurine d'exportation. On l'éton- nerait beaucoup en lui disant que Paris n'est plus le centre rayonnant du bon goût universel.

Qu'on ne croie pas à quelque attitude prétentieuse de sa part! Non. Rien là que de très logique, de très naturel. Cette tendance lui est congénitale. Mais peut-être convient-il de se méfier des apparences....

. . .

Ces beaux cheveux, cette gorge hautaine, ces longs cils, ce teint appartiennent à une personne un peu factice. Il ne faut

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Une femme mariée qui a une voiture à elle est une femme honnête. (BALZAC.)

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pas non plus regarder de trop près la qualité de l'étoffe, le fini de la robe. On serait souvent déçu : c'est l'effet qui compte.

Dans la vie comme en art : l'impressionnisme a le plus grand charme.

La Française ne l'ignore pas. Aussi a-t-elle adopté une démarche plutôt vive : les gestes, les pas, les regards, les réflexes sont rapides. « En marchant vite, ça ne se voit pas... » — voilà l'une des règles de la psychologie courante. A s'approcher d'elle, on s'attend bien à des surprises, mais plaisantes. On ne songe pas à un être mystérieux, mais plutôt à un esprit joueur.

Les relations avec les Françaises commencent souvent par une sorte de comédie ou de jeu. Et cela confère aux jeunes filles une légèreté qui a beaucoup nui à leur réputation. Les peuples qui affichent de la gravité taxent nos femmes de frivoles. Ils ont raison et tort tout à la fois.

La frivolité de la Française reste plus une attitude de défense qu'un signe de facilité. Par cette grâce à accueillir elle se donne la possibilité de mieux refuser ce qu'elle ne veut pas accorder.

Cela lui donne également la possibilité d'observer tout à son aise l'assaillant. Celui-ci, naïf, s'apercevra bientôt qu'il a été pris au piège, et qu'il aura été le seul à se découvrir.

Certes la Française joue, mais elle n'oublie jamais que le jeu est chose sérieuse, avec des règles qu'on ne doit pas transgresser.

Même si l'amour revêt l'aspect d'une partie de cartes, ceux qui aiment y jouer ne trichent pas. En général, la Française est bonne joueuse, et l'amour reste sa grande affaire, le jeu de sa vie.

Si la femme est au sein du couple le merveilleux instrument de l'amour — on peut le supposer —, je comparerai sans chau- vinisme la Française à un piano de concert. L'artiste reste l'homme ; mais il ne saurait se passer de l'instrument. Il. y a là un lien nécessaire. En définitive, la femme chante toujours l'air que l'homme lui fait chanter. Ici, on entre au plus secret du caractère de la Française.

Elle a le cœur sensible. Sa pudeur naturelle, masquée par un penchant extérieur pour la plaisanterie, la moquerie ou la feinte

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innocence, lui interdit l'emploi d'un vocabulaire sentimental.

Alors, elle use volontiers de son charme physique ou du silence, qui « en dit long ». Les aveux par gestes conviennent à son tempérament. Elle s'exprime par dons et abandons. Ses refus sont graves.

Comme, chez elle, l'amour-propre se mêle aisément à l'amour, il est malaisé de regagner sa confiance une fois qu'on l'a perdue.

Cette sensible n'est pas exempte d'une certaine susceptibilité, d'autant plus difficile à combattre qu'elle la cache sous les mimiques d'une gentille désinvolture. Attitude qui est à l'âme ce que l'élégance est au corps : quelque chose de superficiel, mais aussi d'inséparable.

A l'égard de telles femmes qui ne rêvent au fond que de bonheur, comment manier le compliment ou le blâme? Voilà le point délicat. La Française ne se laisse pas « manœuvrer » comme une barque docile. A moins qu'elle n'ait subi l'envoûte- ment de l'amour, elle résiste, elle ruse, elle oppose, elle met son esprit au service de son cœur. Elle a tendance à être intelli- gente, à tempérer sans cesse les élans passionnels par de pro- fonds retours sur elle-même : elle réfléchit. Je pense que tous les compliments font mouche sur un cœur aussi pensant — à la condition qu'ils soient formulés d'une manière indirecte.

Faire la cour à une Française peut paraître la chose la plus simple et la plus désespérante à la fois. Tout lui fait plaisir dans l'instant. Hélas ! l'effet de ce plaisir s'efface vite. Elle n'accorde pas toujours à un cadeau l'attention que son prix lui vaudrait. Tous les cadeaux lui sont merveilleux tant qu'elle aime. L'un des meilleurs qu'on puisse lui faire, c'est de la combler de gentillesses, de caresses, de mots spirituels, d'allu- sions à la joie qu'on éprouve — en un mot la gratifier sans cesse du bonheur comme d'un diamant aux facettes innom- brables. Le bijou, le vrai — celui du joaillier —, notons-le, ne gâtera point une telle atmosphère sentimentale. Mais il ne faut pas qu'il ait l'air de payer quelque chose. La Française ne vend pas son amour. Je crois qu'il n'y a pas de sensation qui

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lui soit plus désagréable. Remarque qui ne vaut point dans les entreprises consolatrices de l'amour, lorsque par exemple une femme se laisse apparemment séduire par un homme beaucoup plus âgé qu'elle.... Là, nous retombons dans la psychologie banale.

Je ne saurais mieux dire, pour être sérieux, que la Française joue le jeu de l'amour d'une manière astucieuse qui provoque souvent des malentendus : elle désire qu'on lui fasse la cour certes ; mais l'homme ne doit pas s'y tromper : c'est elle qui veut conquérir. Ayons une formule hardie : bien faire la cour à une Française, c'est lui donner mille occasions de vous faire la cour à vous, homme.

Chez la Française, le cœur a ses raisons que la raison connaît bien. Le charme reste son arme secrète, qu'elle affûte bien.

Un tel penchant à introduire la réflexion dans les choses qui en demandent le moins la conduit tout naturellement aux situa- tions les plus complexes. Rien ne l'effraie : elle a une aptitude particulière à dénouer les intrigues, aussi enchevêtrées soient- elles. D'ailleurs, ça l'amuse. C'est pourquoi elle est une parte- naire redoutable en amour. Et, j e le répète, l'amour demeure l'axe réel de son existence.

Même les femmes qui ont un métier, même celles qui affi- chent le plus grand désintéressement sentimental, ne songent en secret qu'à la satisfaction de leur cœur. La Française s'est fort bien adaptée à l'état nouveau créé par l'accession de la femme à l'égalité avec l'homme. Cette victoire a rendu inutile le combat pour les places à conquérir; elle n'a pas résolu cepen- dant le problème du bonheur — son problème.

La Française croit au mariage — vieille tradition qui évolue.

Près de trois cent mille unions sont célébrées chaque année en France.

S'il fut un temps où le mariage était une fin, il est aujour- d'hui, au contraire, un commencement. La jeune fille veut se marier dès qu'elle en a atteint l'âge. En général, autour de la vingtième année. Et, tout de suite, elle désire l'enfant.

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La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne. (CORNEILLE.) La plupart des Françaises admettent d'avoir une profes- sion — du moins se sont-elles préparées à cela... —, et l'avenir, avec ou sans mari, ne leur fait pas peur. Elles ont la sensation qu'un désaccord sur le plan sentimental ne serait pas une catastrophe. Du même coup, on peut admettre que la Française mariée ne redoute plus autant que ses parents, et surtout que ses grands-parents, le divorce (un couple sur dix divorce).

Non qu'elle le recherche ! Loin de là, au contraire. Elle y répu- gne même. Toutefois si l'éventualité devait se produire, cela ne tournerait pas au drame. Affaire d'éducation, semble-t-il, ou plutôt d'un relâchement dans l'éducation. La Française a subi l'influence des principes anglo-saxons de self-government.

Deux guerres en vingt-cinq ans, de quatre ans et plus chacune, ont démoli la digue familiale. La liberté se prend dès l'adoles- cence. Phénomène si collectif que les rares parents qui vou- draient tenir les filles en laisse jusqu'à leur mariage s'exposent aux pires mécomptes : fugues, fuites, tentatives de suicide, maternités précoces! Contagion de l'indépendance. La Fran- çaise n'y a pas échappé. Mais les vertus profondes et les défauts cachés qui sont les siens n'en ont pas été modifiés. On le voit

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bien quand l'adolescente s'engage dans le mariage et devient mère de famille. Elle ne cédera à ses enfants sur le point de la liberté qu'autant qu'elle se sentira contrainte par les mœurs de l'époque.

Il n'y a point seulement du désagréable en cette conception de l'existence. La dissolution des coutumes a pour corollaire la tolérance dans les opinions. La Française, croyante ou incroyante, a abandonné l'esprit de classe. Non qu'on ne dis- tingue encore la bourgeoise riche de l'ouvrière. Cependant, il se répand sur les êtres et les choses un style uniforme : le cos- tume, la façon de parler, le mélange des jeunes filles dans les écoles, la médiocrité supportée et la similitude des logements, les objets fabriqués en série — réfrigérateurs, machines à laver, automobiles, vélomoteurs, postes de radio, de télévision, etc. — nivellent nos sociétés modernes. Les caractères se ressentent de ce nivellement.

Nous allons, crois-je, vers un type d'homme, de femme modelé par les mécaniques. La Française ne gardera en propre que les secrètes vertus dont j'ai parlé et les défauts apparents, souvent pure création des étrangers qui sont choqués par un comportement différent du leur.

Ces changements dans le comportement ne choquent pas d'ailleurs uniquement les étrangers; ils surprennent aussi les gens âgés dont le défaut principal est souvent de se comporter en étrangers à leur temps. Un des écrivains français les plus célèbres, M. François Mauriac, prix Nobel de littérature, né en 1885, s'en tient aux portraits de la femme française qu'il a tracés dans ses livres. Des jeunes filles françaises de la moitié du XX siècle, il parle avec hargne et mépris; elles l' effraient.

« Songez, écrit-il au mot de l'Education sentimentale : « La

« vue de votre pied me trouble. » Comment ferait donc le jeune homme pour désirer ces jeunes filles dont plus rien n'est secret?

Ce sont elles qui doivent maintenant faire la cour aux mâles 1. Revue Franchise, n° 4.

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La femme a un langage à part. (MICHELET.)

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que, par bêtise, elles ont privés de désir vrai. Ce sont des biches qui courent après des chiens. Je vois sans cesse des jeunes filles venir rendre visite à des garçons, s'enfermer tout un après-midi dans leur chambre. On m'assure qu'il ne se passe rien; mais naturellement, il ne se passe rien. Il ne peut plus rien se passer, que par lassitude....

«... Une dame m'écrivait il y a peu de temps pour me prier de mieux considérer ce fait — bien réconfortant à son avis et à l'avis de beaucoup — que les femmes présentement multi- plient leurs activités sociales, font irruption dans tous les domaines naguère dévolus au mâle, et qu'il y a là le signe d'une très bénéfique évolution.

« J'aurais dû répondre à cette dame que cette invasion me faisait songer à la précipitation des phagocytes autour d'une plaie qui vient de s'ouvrir : que ce n'est point signe de guéri- son, mais signe d'alarme; peut-être, hélas! un phénomène cancéreux ».

La dame qui écrivait à M. Mauriac avait raison contre l'au- teur de Thérèse Desqueyroux.

Pour la Française, il se trompe : c'est plutôt vers une totale franchise que son caractère la porte, vers la libération des préjugés. Le travail lui offre une première libération et s'éclaire de cette perspective heureuse, claire. Je donnerai ici l'opinion d'une femme, Mme Françoise Giroud. Autre son de cloche, vraiment! Écoutons : « ... il y a des jeunes femmes qui sont en train de tracer, au prix de beaucoup de larmes et de fatigue, une voie différente. Elles aiment. Et elles travaillent. Parce qu'elles ont acquis l'indépendance matérielle, elles n'existent plus, socialement, à travers un homme. Parce qu'elles ont une activité parfois harassante mais qui se traduit par des satis- factions et des résultats concrets, elles n'attendent plus de l'homme qu'il soit seul la source de toutes les joies et elles sont moins pesantes.

« Il ne peut pas davantage être la source de tous les échecs.

Alors, quand leur vie sentimentale est malheureuse, quand elles sont blessées, souffrantes, angoissées, elles y pensent et elles pleurent, avant le travail, après le travail. Mais pendant, elles sont requises, absorbées, utiles. »

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Elle a une façon d'être bonne, très méchante. (JULES RENARD.) La femme française devine qu'elle s'adaptera à la civilisation si mouvante de son époque. Quant à son comportement dans l'amour, jeune fille, elle subit la loi de l'adolescence : ce laisser- aller que note M. Mauriac appartient à la mélancolie romantique de la jeunesse. Musset, Baudelaire et Rimbaud sont ses poètes favoris. Mais elle n'en ressent pas les accents morbides; elle

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s'en tient à l'expression mélancolique de l'un, à la révolte des deux autres. Au cinéma, elle préfère les films tristes. Au théâtre, les pièces qui posent des problèmes de conscience. Les hautes vertus l'exaltent, et l'on a vu de jeunes spectatrices pleurer aux représentations du Cid. Pour la Française, l'acteur type était Gérard Philipe — brillant, chevaleresque, beau de corps et d'âme. Sa mort prématurée les a attristées sincèrement.

Il y avait quelque chose de très sain dans une telle admiration.

J'en trouve une sorte de preuve par neuf dans le fait que ces mêmes femmes, ferventes d'un romantisme exaltant et non déprimant, puisent un contentement parfait dans le sport — que ce soit sport d'hiver ou d'été — et dans la danse, ce sport de toutes les saisons.

Sans doute sont-ce là des traits de caractère qu'on recon- naîtra à d'autres femmes d'autres nations.

La Française, en ce milieu du XX siècle, est particulièrement sensible aux influences venues du monde anglo-saxon, des États-Unis d'Amérique surtout. Son vocabulaire s'en ressent.

Tout le clinquant des expressions dérivées du langage d'outre- Atlantique la séduit. La partie de plaisir s'appelle une « boom », ou une « surboom », après avoir eu nom « surprise-party »;

on participe à des « rallyes » ; le « strip-tease » est une des formes de la licence. La femme fait du « shopping », ce qui corres- pond à l'expression d'autrefois : faire des achats, etc. On multi- plierait les exemples, en les choisissant dans les domaines les plus divers de notre activité sociale. Mais l'américanisation du langage n'entraîne pas chez elle le désir de ressembler à la femme américaine.

Le type de la femme française reste à l'abri des influences, du côté des mœurs. La réaction la plus sensible joue à partir des coutumes des générations féminines antérieures. L'exis- tence a pris, pour la Française, un tour plus actif que celui que sa grand-mère a connu en 1900. Un problème nouveau est né : harmoniser le travail avec les tâches normales de la femme.

Ne négligeons pas de noter qu'une Française, neuve pour

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Les femmes n'ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d'autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles. (MONTAIGNE.)

ainsi dire, dégagée des principes statiques dans lesquels vivait la femme d'avant les deux guerres mondiales, est née en 1945.

Admise au monde de l'action, elle s'y est installée avec joie.

Autrefois la femme française cédait volontiers au goût des reven- dications; elle se confinait dans le dévouement. Depuis cette révolution consécutive aux bouleversements humains des combats, de l'occupation, des déportations, des brassages de races, la Française a choisi l'activité en tous les domaines, la recherche de la santé, la pratique des sports — et a adopté moralement une grande réserve. Fini le temps de la récrimination et d'une conquête des places par la galanterie ou une excessive coquetterie! La femme française s'est sentie administratrice-

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née (40 pour 100 de Françaises exerçaient en 1956 une activité professionnelle). C'est, disent les hommes d'affaires, une colla- boratrice excellente. Et elle ne tarde pas à se révéler ensuite directrice dans l'âme, aussitôt que les problèmes lui sont deve- nus familiers.

Dès lors une morale nouvelle va s'instaurer. Il faudra attendre qu'elle ait pris ses formes fixes pour que soient réin- ventés des proverbes, formules de la sagesse reconnue. Pour l'instant, nous sommes en pleine genèse. La Française par- ticipe de toute son âme à la création du monde moderne.

Dans le monde en évolution de notre XX siècle, chaque groupe social s'évertue à rechercher une stabilité, au moins mo- mentanée, non pas en contrariant le progrès, mais plutôt en se faisant porter par le courant. Voilà qui est nouveau en France.

On le doit en grande partie à la femme. Chez nous, les hommes, dès qu'ils parvenaient à une situation confortable, avaient le souci majeur de la conserver et pour cela ils n'hésitaient pas à réagir contre les tendances nouvelles. D'où l'importance, dans notre pays, de ces gens qu'on a désignés sous le nom de

« réactionnaires ». Or, la Française au seuil du monde qui se prépare chaque jour, n'a pas du tout des réflexes de réaction- naire. Même si elle a obtenu ce qu'elle désirait, elle regarde toujours avec curiosité vers d'autres horizons.

Je suis frappé par le fait que les Françaises acceptent de plus en plus l'idée de se composer une existence où le travail rémunéré et la vie familiale se marient, si j'ose dire. Il y a en effet chez un grand nombre d'entre elles, à présent, un double ménage : le « conjugal » et le « laborieux » (une femme mariée sur trois travaille, et l'effectif de la population féminine active comprend 48,9 pour 100 de femmes mariées selon le recense- ment général de la population effectuée en 1954 : ajoutons que les femmes représentent 39,7 pour 100 de la population active). En voici deux témoignages. Une jeune fille, employée de banque à qui l'on demande : « Pensez-vous à votre propre vie de famille? » répond :

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La femme ne peut être supérieure que comme femme, mais dès qu'elle veut émuler l'homme, ce n'est qu'un singe. (JOSEPH DE MAISTRE.)

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« Je dois dire qu'une véritable vie de famille me semble diffi- cilement conciliable avec ma profession en raison de l'intérêt même du travail et de la foule de détails qu'il implique. Mes collègues mariées ne rentrent pas déjeuner chez elles; elles reviennent tard le soir. Je n'appelle pas ça une vie de famille.

Mais je sais bien qu'on ne fait pas toujours ce qu'on v e u t » Une autre, journaliste, répond à la même question :

« Il semble que la collaboration à un hebdomadaire ou à un mensuel, féminin ou non, permette à une femme de conci- lier plus facilement ses obligations personnelles et profession- nelles. La journaliste peut mener à la fois la vie passionnante et active de journaliste, et en même temps la vie normale de la femme qui s'occupe de son foyer. »

Quelle que soit l'attitude, je constate qu'elle mentionne son travail comme un facteur essentiel de la vie moderne (L'intérêt même du travail, dit la première; la vie passionnante et active, dit l'autre). Le foyer apparaît plutôt comme une obligation, un devoir auquel on sacrifie par raison.

C'est là un changement profond dans le caractère de la Française qui était, par tradition, un être assez facilement effarouché par l'aventure. Que l'on songe un instant aux traits que lui attribuait, au milieu du XIX siècle, Mme de Girardin — Alias Delphine Gay — : « ... Etre faible, ignorant, craintif et paresseux, qui ne pourrait vivre par lui-même, qu'un mot fait pâlir, qu'un regard fait rougir, qui a peur de tout, qui ne connaît rien.... »

Il aura suffi de rapprocher ces quelques lignes des déclarations de nos jeunes Françaises d'aujourd'hui pour qu'on comprenne que ces dernières sont d'une étoffe bien différente, et neuve.

La Française doit apparaître, aux yeux du monde, comme une femme d'avant-garde — dont l'ardeur est tempérée par les qualités de la race —, un être en qui s'est déjà réalisé l'équilibre de la sensibilité, de l'énergie, de l'audace, de la raison et de la grâce.

MAURICE TOESCA.

1. Revue Secrétaires d'Aujourd'hui, n° 39.

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2 LES ESPAGNOLES

La dame dont ici j'ai dessein de parler Était de ces beautés qu'on ne peut égaler : Sourcils noirs, blanches mains, et pour la petitesse De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse....

c

'EST ainsi qu'en 1830 Musset décrit la femme espagnole, et par la suite d'innombrables touristes la verront avec les mêmes yeux. Cils et cheveux noirs, peau nacrée, ardeur des yeux et volubilité de la bouche : qui cherche ce type idéal en Espagne l'y trouve. Une certaine permanence physique existe en effet au travers des races diverses qui composent le peuple ibérique, permanence qui permet de différencier à coup sûr l'Espagnole non seulement des Scandinaves et des Anglo- Saxonnes, mais encore des Provençales et des Italiennes, races méditerranéennes pourtant très proches. Qui évoque l'Espa- gnole ne peut s'empêcher de prononcer, les yeux mi-clos, les expressions de « beauté ténébreuse, noblesse naturelle, épa- nouissement précoce, dignité de mise et de maintien, art de séduire... » etc. « Sinistre et belle à rendre fou... », disait Théophile Gautier.

Le romantisme est responsable de ce portrait schématique que toutes les littératures du XIX siècle ont exploité, depuis la Paquita Valdes de Balzac et la marquise d'Amaegui de Musset jusqu'à la Carmen de Mérimée (« elle s'avançait en se balançant sur ses hanches comme une pouliche du haras de

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Cordoue... »), cette Andalouse d'exportation dont l'art choré- graphique a lui-même de la difficulté à se débarrasser.

Il y a cependant du vrai dans tout cela. L'Espagnole est incontestablement belle, d'une beauté « primordiale », à l'état brut. L'antisophistiquée. Et, contrairement à ce que pensaient les romantiques, ce n'est pas la noblesse qu'elle possède en naissant, mais la grâce, l'allure. Elle n'est pas naturellement distinguée, mais sa démarche et son port de tête font oublier ce qu'il y a en elle de vulgaire. Cible des regards masculins, elle passe avec un air de majesté, tour à tour arrogante ou pudique.

L'âme de l'Espagnole a d'ailleurs suscité autant de poncifs que son corps. On la dit passionnée.

Toute femme qui aime ne l'est-elle pas?... Sensuelle, noncha- lante, capricieuse, fière, ardente en amour? Sans doute....

Mais un mot suffit qui contient à lui seul ces qualificatifs : FEMME. L'Espagnole est la plus féminine des Européennes.

Ce sens aigu de la féminité est certainement sa plus grande qualité, qualité d'où découle tout son comportement physique et moral : cette place qu'elle sait si bien tenir et cette absence totale d'attitude garçonnière. L'Espagnole n'oublie jamais comment un homme aime que soit une femme.

Cette féminité endémique a sa contrepartie : la femme n'a que peu d'intérêt pour le monde extérieur, l'univers social ou politique dans lequel elle vit et où les Espagnoles modernes n'ont pas encore cherché à se faire une place.

Féminines et superstitieuses...

Il est peu de circonstances de la vie qui ne donnent à l'Espa- gnole l'occasion de conjurer le mauvais sort : elle se signe dix fois par jour : le matin en sortant de chez elle, en autobus, en train ou en voiture lorsque le véhicule démarre, l'été avant d'en- trer dans l'eau, etc. Le monde est un ennemi contre lequel elle ne cesse de se protéger. Les neuvaines, ex-voto et cadeaux faits à la Vierge n'ont pas d'autre origine que le besoin de se conci- lier les faveurs d'En-Haut afin d'éviter malheurs et calamités.

On sait que l'Espagnole est pieuse mais on ignore en général la nature de sa religiosité, mélange indissociable de mysticisme

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et de superstition. La religion est aussi bien pour elle occasion de poésie que de pénitence. N'oublions pas qu'à Séville les femmes ont le droit de composer et de chanter en public les saetas, ces « flèches » ou improvisations lyriques inspirées par la vue des pasos, les statues de la Semaine sainte.

Tous ces traits situent l'aspect éternel de l'Espagnole, celui qu'elle a hérité des Maures. La vie lui a donné un double visage, sorte de Janus plein de contradictions. Contrainte à la fidélité absolue, à l'obéissance et à la soumission à l'homme, elle est en même temps rétive et indisciplinée; passive, voire paresseuse, elle est aussi nerveuse et diligente; cherchant à plaire, très soucieuse de sa beauté, elle connaît aussi la réserve.

C'est pourquoi elle donne souvent l'impression d'une certaine hypocrisie, car elle doit « composer » pour essayer de concilier ces deux faces d'elle-même. C'est ainsi que j'ai vu des jeunes filles pomponnées et fardées à outrance enlever rouge à lèvres et bijoux avant de se rendre à la messe. Séduire, briller au-dehors, mais, à l'église, rester humble et discrète.

Tel est le portrait type de l'Espagnole, avec ses nuances et ses oppositions. Mais, en réalité, il y a autant d'Espagnoles en Espagne qu'il y a de provinces et d'îles rattachées à la Pénin- sule. Un rapide tour d'horizon nous montrera combien varient du nord au sud les aspects et les tempéraments.

Cheveux dorés, yeux verts, nez retroussé, la Catalane, qui ressemblerait à l'Arlésienne, est, avec la Basquaise, la moins espagnole des Espagnoles. C'est qu'elle est fille d'une région ouverte au monde extérieur (Barcelone est tout de même la ville la plus moderne d'Espagne après Madrid) et singulièrement à la France, mais qui, farouchement séparatiste, a toujours été mise à l'écart de l'Espagne, l'Espagne una, grande y libre de Franco. Pleine de bon sens, croyante mais non superstitieuse, la Catalane, qui est certainement la plus évoluée des Espa- gnoles, ne se contente pas d'être nourrie par son mari, elle cherche à avoir un métier et à gagner sa vie. Réaliste, c'est une « Nordique » : plus froide que passionnée et plus cérébrale que sensuelle. Les Castillans prétendent reconnaître une Catalane rien qu'en l'embrassant parce qu'elle ne s'abandonne jamais tout à fait.

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Aussi travailleuse et gaie que la Catalane, mais moins cas- tiza, la Basquaise est, selon Pio Baroja, avant tout « euro- péenne », à l'encontre des autres Espagnoles qui sont d'Afri- que. Elle a la taille et la cheville fines, et l'on dit que si elle a le nez long et mince, elle sera bonne nourrice.

De race celtique, la Galicienne est têtue, énergique et robuste.

Dans sa province, où l'homme émigre souvent par vocation, quelquefois par simple goût du vagabondage, le matriarcat domine. La femme est le seul élément stable, et elle règne sur la maison et sur les champs, fauche, moissonne, abat autant de travail — si ce n'est plus — que l'homme présent.

La Castillane a deux visages opposés qu'on ne peut réunir : celui de la paysanne des plateaux de la Vieille Castille, rongé de soleil et de froid, et celui de la citadine vivant à Valladolid, Salamanque ou Madrid.

On peut difficilement cerner la Madrilène, fille d'une capitale.

Les autres Espagnoles la trouvent coquette, snob, extrêmement attentive à ce qu'on dira d'elle. Elles prétendent que les Madri- lènes mènent une vie de parade (« elles offrent un apéritif à tout le monde, puis empruntent quelques douros pour aller manger un sandwich au comptoir... »).

Plus on descend vers le sud, plus le type sarrasin s'accentue.

Méditerranéenne, la Levantine reflète le paradis dans lequel elle se meut. Elle a la grâce des palmiers d'Alicante, la force généreuse de la Dama del Elche, elle est avenante, serviable, riante comme le climat de cette huerta qu'elle habite.

L'Andalouse, enfin, est, sans conteste, la moins libre, la moins évoluée. C'est elle qui répond le mieux à l'image clas- sique de l'Espagnole telle que l'ont répandue les écrivains romantiques et leurs descendants. Elle est gaie et ouverte, aime chanter et danser. Elle est coquette, extrêmement sen- sible aux compliments masculins et fait du mariage le mystère central de sa vie. Sourcils et cheveux noirs de jais, cambrée, de carnation pâle, de quelque milieu qu'elle soit, l'Andalouse ne sort pas de chez elle. Les filles d'âge à être mariées restent dans le patio à coudre, à broder ou à ne rien faire. Une fois

1. Mot intraduisible qui signifie : « Espagnol de caste, de pure race. »

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l'an, pendant la Semaine sainte et la Feria de Séville, une liberté exceptionnelle leur est accordée. Elles s'en donnent alors à cœur joie, allant et venant à leur guise, paradant dans leurs robes à volants et caracolant sur des chevaux de loca- tion. Puis, tout rentre dans l'ordre et le visage de l'Andalouse se devine de nouveau, strié d'ombre, derrière la reja (grille), secrète et traditionnelle....

L'énoncé de ces variantes ethnologiques dit bien que l'unité de l'Espagne n'est pas encore faite. Il existe cependant une constante morale qui rapproche les Espagnoles et les condi- tionne pareillement, de quelque classe, de quelque province et de quelque origine qu'elles soient : l'éducation. Cette éduca- tion repose sur deux impératifs inébranlables : la religion et la restriction des libertés.

La religion est le premier enseignement que reçoit la fillette.

L'école primaire d'État lui enseigne le catéchisme comme on apprend ailleurs à lire et à écrire. La communion solennelle est un événement aussi important que les noces. (On ne peut s'empêcher de rapprocher ces deux « grands jours » en voyant les extraordinaires robes de mariées que portent les petites communiantes.) Les pratiques religieuses telles que : messe, vêpres, confession, neuvaines, retraites, pèlerinages font partie de la vie la plus quotidienne au même titre que la toilette du matin ou la merienda (goûter). Devenues habitudes, elles pèsent sur l'adolescente, puis sur l'adulte qui a souvent beaucoup de peine à s'en débarrasser. Au moindre petit péché, l'on se pré- cipite à l'église. Aucun écart qui ne soit sanctionné par le prê- tre, sorte de tuteur moral sans l'approbation duquel la jeune fille n'ose rien faire. Elle vit donc perpétuellement en état de culpabilité plus ou moins conscient qui l'empêche de se com- porter librement.

Hors du foyer, point de salut....

Hors de l'Église, point de salut, enseigne la religion. Hors du foyer, point de salut non plus, dit la mère. C'est l'autre prin- cipe fondamental de l'éducation espagnole. Toute « bonne mère » qui se respecte donne à sa fille un enseignement dont les com- mandements pourraient être formulés ainsi :

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— Tu resteras femme avant tout et ne chercheras à imiter les hommes ni dans tes gestes, ni dans ton habillement, ni dans ton attitude (sous-entendu « tu ne porteras pas de pantalons, tu ne fumeras pas, tu ne feras pas d'études trop poussées... »).

— Tu n'iras jamais seule dans un lieu public au risque de paraître une mala mujer (fille publique).

— Tu ne verras jamais un homme sans m'en parler.

— Tu ne sortiras jamais seule avec un homme, à moins que ce soit ton novio.

— Tu resteras pure jusqu'à ta nuit de noces.

— Tu te feras respecter de ton novio et ne toléreras aucun geste déplacé.

— Tu seras modeste dans ton habillement pour te rendre à l'église; par contre, au paseo, tu feras tout ce que tu peux pour mettre ta féminité le plus en valeur.

— Tu exigeras que les hommes soient galants avec toi. Perds plutôt ton gant que de le ramasser.

— Tu ne te baigneras pas en maillot deux-pièces....

Ces principes établis sur un mélange d'interdits moraux et de conseils de coquetterie peuvent surprendre : ainsi le paseo (pro- menade) véritable foire-exposition de l'Espagne où l'Espagnole, à qui l'on apprend par ailleurs à ne pas s'afficher, s'offre aux enchères masculines. Une jeune fille bien élevée ne doit pas sortir seule, mais à Madrid — où les mères demandent seulement que les filles soient rentrées pour dîner — elles s'assoient dans les cafeterias ou aux terrasses des cafés, attendant l'homme qui paiera leurs consommations ou... les demandera en mariage.

Aucune liberté physique, matérielle n'est laissée en principe à la j eune fille. La mère a droit de regard sur ses allées et venues, ses sorties et le choix du fiancé; quant au père, au frère — ou à plus forte raison au fiancé —, il a droit de regard sur l'avenir culturel ou professionnel de la jeune fille. Car si, pour se libérer du joug familial, celle-ci choisit de poursuivre des études ou d'embrasser une carrière, neuf fois sur dix, il s'y oppose. (Il n'y a que 11 pour 100 d'Espagnoles qui exercent un métier.) Certaines cependant choisissent les études. Or, sur cent étu- diants, on compte seulement seize filles réparties principalement dans les Facultés d'art, de lettres et de philosophie, et — côté

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sciences — dans les Écoles de chimie et de pharmacie. Mar- quée, engagée pour ainsi dire par son éducation, l'Espagnole s'oriente spontanément vers les professions où l'instinct mater- nel est requis, les professions de « dévouement » où elle pourra exercer — en restant à sa place — ses facultés féminines : pro- fessorat, carrières médico-sociales. Les jeunes « intellectuelles » ne jouissent pas d'une bonne réputation. Les hommes ne les trouvent pas « vivables » et prennent leur zèle pour un désir d'émancipation.

C'est que la place de la jeune fille — et de la femme — est irré- médiablement au foyer, et nulle part ailleurs. On le lui répétera depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Il n'est pas jusqu'à l'école qui ne l'oriente dès son plus jeune âge vers les tâches domes- tiques. Couture, cuisine, tissage, hygiène, études sociales, décoration, du primaire au bachillerato (baccalauréat espagnol).

telles sont les matières d'option choisies par des milliers d'ado- lescentes. Le Servicio Social vient parachever cette éducation ménagère. Pendant six mois, aux disciplines obligatoires de puériculture et tenue de maison viendront s'ajouter des stages facultatifs dans les crèches ou les cliniques.

Après cela, quelle liberté de choix reste-t-il à la jeune Espa- gnole? On comprend que pour elle la cellule familiale — celle dans laquelle elle vit et celle qu'elle est appelée à former — soit la plus importante et qu'elle n'en imagine point d'autres.

Beauté son seul souci....

L'Espagnole a ce qu'on ne peut acquérir, même si on le voulait : beauté et charmes naturels. Dès l'enfance, elle est considérée comme une madone : on la regarde, on l'admire, on lui apprend à se parer, on ne néglige rien pour elle. A cinq ans, les cheveux bien tirés arrangés en un gracieux mono (chignon) ou le visage encadré de deux nattes luisantes, vêtue d'une robe d'organdi ou de tulle blanc à volants empesés et portant boucles d'or aux oreilles, elle est déjà une petite femme.

Née coquette, elle le sera de plus en plus jusqu'à son mariage.

1. Service civique féminin de six mois obligatoire, institué par le régime fran- quiste.

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Rien d'étonnant alors qu'à quinze ans, l'Espagnole soit au zénith de son épanouissement. A la ville comme dans les cam- pagnes les plus reculées les femmes sont toujours tirées à quatre épingles, souvent montées sur de très hauts talons qui allongent leur silhouette, vêtues de robes simples mais jolies qui soulignent la taille et la poitrine. Pas d'engouement aveugle pour une mode qui fait porter aux femmes les toilettes les plus disgracieuses sans le moindre discernement.

Un petit détail : même les filles évoluées ont l'habitude de porter les bas avec des jarretières au-dessus du genou, ce qui coupe la circulation. Elles considèrent le port des jarretelles comme une sorte de pratique immorale, de pelicula (« bonne pour les films »... ). Autre manie vestimentaire : le port des bas même par grosse chaleur.

Le maquillage est le plus cher allié de la femme espagnole.

Elle ne saurait séduire sans cet artifice, artifice précieux puis- qu'il est vérifié que le fard fait ressortir toutes les qualités physiques des Méditerranéennes, alors que les Scandinaves n'en ont nul besoin. La jeune fille de bonne famille et la criada (domestique) se fardent de la même façon, à peine plus voyante peut-être pour la seconde.... Yeux agrandis, accentués par un trait sur la paupière, cils allongés au rimmel; la bouche sen- suelle et charnue est particulièrement soignée : rouge foncé sur le bord externe, un autre plus clair à l'intérieur. Et, pour compléter, la manucure toujours impeccable qui fait dire des Espagnoles qu'elles sont de « grandes sorcières noires aux ongles rouges ».

Ces longues heures passées devant la glace ont toutes le même but : le paseo. En province, il n'est pas rare de voir une jeune fille traîner en peignoir ou en tablier négligé jusqu'à cinq heures de l'après-midi. A cette heure-là, elle ouvre ses armoires, choisit longuement la robe qu'elle va mettre et commence le rituel du maquillage.

Tant de temps et de peine pour seulement une petite heure de promenade ?

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paseo.

Ce serait donner au mot paseo un sens bien restreint. S'il signifie littéralement promenade, c'est d'une promenade bien particulière qu'il s'agit. Cour, lice où s'affrontent les sexes, foire d'exposition, marché à mariages, le paseo est tout cela.

Sur un trottoir, les filles, riant et se poussant du coude, marchent bras dessus bras dessous. Sur le trottoir opposé, mains dans les poches et cigarettes à la bouche, les garçons les regar- dent et leur lancent ces propos qui tiennent du compliment et du poème, et qu'on appelle piropos : « Tu es le ciel de ma vie »...,

« Une année pour un regard de toi » ..., « Regarde-moi, colombe, que je m'éclaire »...; telles sont les plus banales expressions de l'admiration masculine, ô combien plus poétiques que le siffle- ment cher aux Américains. Or, si ces propos semblent s'adresser indistinctement au groupe féminin tout entier, en réalité chaque jeune fille s'attribue le piropo et répond sans changer de trot- toir.

L'âge du paseo par bande du même sexe précède l'âge des noviazgos (fiançailles). A partir de quatorze ans, l'Espagnole cherche un novio. Mais le choix qu'elle fait d'un garçon n'est pas tout. Avant d'être appelé officiellement novio, le jeune homme a un certain nombre d'étapes à parcourir. Il faut d'abord qu'il se conduise bien. Mais qu'appelle-t-on en Espagne « bien se conduire »?...

Faire la cour à une Espagnole n'est pas chose facile. Elle refuse tout ce qu'un Occidental normalement constitué aurait honte de ne pas offrir à une femme : baiser, cadeau, lettre, ren- dez-vous seul à seule... et exige par contre ce que ce même Occidental n'aurait jamais l'idée de proposer : distance, réserve, respect. Une Espagnole romprait ses fiançailles si on cherchait à l'embrasser contre son gré ou si son novio désirait monter dans sa chambre en l'absence de ses parents. Les fiançailles durant très fréquemment cinq ou six ans, quelle peut être donc la situation sentimentale intérieure de la jeune fille? Elle est

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Imprimé en France par Brodard-Taupin, Imprimeur-Relieur, Coulommiers-Paris.

56167-1-11-1960. Dépôt légal n° 2348. 4 trimestre 1960.

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