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Résumé (20 points) c. Propositions de résumé. Format Centrale :

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PSI1-PSI2

Corrigé du devoir surveillé mars 2021

Corrigé rédigé à quatre mains, avec Madame de Boisgrollier.

Résumé (20 points)

a. Situation d’énonciation

- Emploi de la première personne du pluriel dans la première partie de l’extrait, qu’il fallait conserver.

- Énonciation assez impliquée : la critique de la notion de résilience est clairement exprimée à la toute fin du texte (et beaucoup de copies ont laissé de côté, mystérieusement, ce dernier argument du creusement des inégalités), mais la critique est présente dès le début de l’extrait, dans le ton et le vocabulaire, comme ici par exemple : « Ceci a pour conséquence que les attitudes passives, comme la tristesse, l’ennui, le silence, la répétition et plus encore la posture de la « plainte » et la position de « victime » sont dévalorisées, voire rendues incompréhensibles au prétexte de leur improductivité. » lignes 14 à 17.

b. Structure argumentative de l’extrait : l’enchaînement des idées vous permet de conserver le squelette du texte, indispensable pour conserver la cohérence de l’argumentation.

- Après avoir lu Cyrulnik, les lecteurs s’accordent à penser que la résilience est une manière d’être actif face au malheur, selon les capacités que chacun possède, par opposition à une attitude passive face aux événements lignes 1 à 14.

- Ainsi, ces attitudes passives sont dépréciées, au profit de l’action personnelle et de la responsabilité individuelle. L’abandon à une force supérieure ou l’idée que le malheur n’a aucun sens sont écartées lignes 14 à 31.

- Cela crée un changement de perspective : chacun se doit d’être actif , et attend la même chose des autres lignes 32 à 44.

- Plus encore, chacun doit transformer son malheur en expérience individuelle pour le transfigurer, comme par magie lignes 45 à 60.

- Cette capacité à transformer de manière bénéfique son malheur, et de se transformer soi- même, est désormais distinctive, c’est-à-dire qu’elle est un critère d’évaluation de soi et des autres. La valeur de la vie lui est corrélée : une vie qui a de la valeur est une vie dont on est responsable, malgré l’adversité lignes 61 à 88.

- Le rapport à autrui s’en trouve également modifié : aider l’autre revient à le rendre actif, et non à être empathique. Cette attitude ne va pas sans difficulté puisque dans le paysage politique, elle favorise les inégalités, rendant caduque la cohésion sociale, ce qui est largement critiquable.

c. Propositions de résumé Format Centrale :

La résilience est vue comme une riposte personnelle au malheur, un refus de le subir plaintivement. Elle participe de l’idéologie démocratique car elle postule que nous pouvons tous réagir ; par contrecoup elle récuse les postures victimaires ou dépressives, pour leur inefficacité.

L’abandon de Job à la volonté de Dieu est désuet, autant que la vision portée par Simone Weil du

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2 malheur comme non-sens. La résilience montre que l’autonomie est aujourd’hui consacrée comme valeur première, les amateurs de développement personnel s’interrogent sur leurs moyens d’action et non sur l’origine du mal. 96

Boris Cyrulnik dépasse même cette idée de responsabilité active en faisant du malheur une chance, un destin singulier qui nous obligerait à devenir plus forts. Se sentir résilient ce n’est plus alors se sentir apaisé, réparé, mais prouver qu’on est capable de dépasser le traumatisme— ceux qui n’y parviennent pas se dépréciant alors. 55

La résilience permet ainsi de distinguer les hommes et les vies — la vie valable étant celle qu’on peut pleinement revendiquer pour sienne, malgré les épreuves. La compassion en est changée : il s’agit non de porter secours, mais de rendre l’individu actif. L’extension de ce critère aux aides sociales subit de vives critiques car il vient écorner l’idée de solidarité. 65 (214 mots) Format CCINP : (10 points)

La résilience prône l’autonomie ; les amateurs de développement personnel s’interrogent sur leurs moyens d’action et non sur / l’origine du mal. Cyrulnik dépasse cette idée de responsabilité, faisant du malheur un destin singulier qui nous obligerait à / devenir plus forts. Être résilient, c’est prouver notre capacité à dépasser le traumatisme.

La résilience permet ainsi de distinguer /les hommes et les vies — la vie valable étant celle qu’on peut pleinement revendiquer, malgré les épreuves. La compassion / en est changée : il s’agit non de porter secours, mais de rendre l’individu actif. Sur le plan social, /cela vient écorner l’idée de solidarité. (107 mots)

Rédaction (20 points)

« La vie qui vaut la peine d’être vécue n’est pas la vie sans difficultés ou sans souffrances. […] C’est la vie dont on peut répondre. »

[Amorce]Ulysse malgré la vie idyllique qu’il pourrait mener auprès de la divine Calypso, préfère revenir à sa vie de mortel et choisit par conséquent de reprendre la mer. Fidèle à sa ville et à sa famille, il connaît par avance les difficultés qu’il devra affronter avant de retrouver Ithaque et les siens mais celles-ci ne sont pas un obstacle au départ. [Présentation du sujet et analyse] Nicolas Marquis dans un article publié dans un ouvrage collectif Aller mieux, paru en 2016, définit ce qui rend la vie bonne : « La vie qui vaut la peine d’être vécue n’est pas la vie sans difficultés ou sans souffrances. […] C’est la vie dont on peut répondre. » Le philosophe estime que certaines vies sont supérieures à d’autres, valent davantage la « peine d’être vécues ». Contrairement à ce dont on convient habituellement, une vie bonne n’est pas forcément une vie heureuse. Aspirer au bonheur et au calme, à la paix comme peuvent nous y encourager certaines philosophies n’est pas un critère d’évaluation suffisant pour donner à la vie toute sa valeur, d’après Nicolas Marquis. Cela ne signifie

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pas pour autant que le philosophe prône une vie malheureuse et douloureuse. La seule vie qui vaille, à ses yeux, est celle « dont on peut répondre », à savoir une vie dans laquelle on est pleinement engagé, consciemment, qui reflète ce que l’on est, y compris dans nos actes (il s’agit bien d’une vie

« vécue » et donc incarnée). C’est cette vie qui « vaut la peine d’être vécue », y compris si elle comporte des épreuves, y compris si elle nous met en difficulté, difficultés qu’il nous faudra affronter pour répondre de cette existence. Ainsi, Marquis met l’accent sur la nécessité morale d’agir pour mener une vie qui soit celle que nous assumons parfaitement, une vie dont nous pouvons répondre et dans laquelle nous n’aurions donc rien à renier. Les aléas de l’existence doivent être vécus de la même manière que ses moments les plus heureux, sans constituer des freins à la vie, sans être évités ou diminués. C’est la manière de vivre qui importe, plus que les événements qui constituent notre vie, c’est-à-dire notre manière de réagir et de nous situer face à ce qui nous arrive, de « répondre de » la vie telle que nous la fabriquons au fur et à mesure que nous vivons.

[Problématisation]Être responsable de tous les éléments de notre existence ne va pourtant pas sans difficulté. Est-ce la seule capacité à vivre pleinement l’existence qui en fait une existence digne de ce nom ? La vie n’est-elle pas toujours digne d’être vécue, n’est-elle pas porteuse d’une valeur qui lui est propre ? [Présentation des œuvres] Notre réflexion s’appuiera sur les livres IV et V du recueil Les Contemplations, de Victor Hugo, sur le livre IV de l’essai Le Gai Savoir de Nietzsche ainsi que sur la préface ajoutée à la seconde édition, et sur le « roman des voix » La Supplication d’Alexievitch. [Annonce du plan] Se sentir responsable de sa vie est une situation gratifiante, qui permet de mieux traverser les épreuves. Pourtant, la vie nous échappe parfois, tant les bouleversements sont intenses : notre vie n’aurait-elle alors plus de valeur ? On verra que les auteurs ont plutôt tendance à répondre de la valeur de la vie en général, construisant une approche moins pratique mais peut-être plus humaine.

Avoir le sentiment que nous assumons notre vie telle qu’elle est, que nous en choisirions à nouveau les difficultés est gratifiant et donne le sentiment d’avoir vécu une bonne vie, une vie « qui vaut la peine d’être vécue. » C’est en affirmant des choix, y compris lorsqu’ils sont difficiles, que nous répondons de notre vie. Hugo dans « Écrit en 1846 » revient sur les décisions qui ont orienté son existence, montrant la coïncidence entre ses actes et ses convictions, alors même que cela entraîne une rupture avec les siens et avec son passé royaliste. Il exprime sa conviction profonde d’être sur la bonne voie, sa conscience « Marche, sereine, indestructible et fière ». Les difficultés qu’il pourra rencontrer ne l’effraient en rien. Le poète attend « les périls, l’épreuve, les revers », il est « toujours prêt » à se diriger vers une « humanité meilleure ». Nietzsche admire les hommes de Gênes qui ont su, par la force de leur regard, « conquérir » le paysage, faisant de leur existence une vie dont ils peuvent répondre, « la subjuguant au moyen de ses pensées architecturales et en la transformant en quelque sorte en panorama délicieux pour sa maison » (« Gênes »). Le philosophe ne nous rappelle-t-il pas l’importance d’habiter « [s]a propre maison » en épigraphe du Gai Savoir ? C’est une « chose » qui est « nécessaire » : « que l’homme parvienne à être content de lui-même ».

Dans La Supplication, le chœur des villageois montre la volonté des habitants de ne pas être dépossédés de leur existence, de ne pas être réduits à subir les directives gouvernementales, et construisent du mieux qu’ils peuvent une vie qui leur convient, malgré les difficultés matérielles accrues et les risques que fait peser la radiation : « Plus personne ne va nous tromper. Nous ne partirons plus de chez nous. Il n’y a ni magasin ni dispensaire. Pas plus que d’électricité. Nous vivons avec des lampes à pétrole et des torches à pile. Mais nous sommes heureux ! Nous sommes chez nous. » (p. 51)

La satisfaction de vivre pleinement sa vie est amplifié par la conviction de faire les choix justes, et de trouver en soi la force de les affronter. Nesterenko se démène pour alerter ses semblables du danger de la radiation et de la nécessité d’agir vite pour protéger tout le monde, « inondant de lettres et de rapports » les responsables politiques, consignant les faits, dressant la « première carte des régions contaminées » avec l’aide de ses collèges de l’Institut. Nesterenko a agi conformément à ses convictions, sans hésiter à prendre des risques, ce qui lui permet dans un témoignage-

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4 réquisitoire de dénoncer « une guerre contre des innocents ». L’exil est pour Hugo la conséquence assumée de ses choix politiques. Il vit pleinement cette situation, en assumant toutes ses

« difficultés » et ses « souffrances », qui redoublent par ailleurs la douleur du deuil de Léopoldine.

Auguste et Charles Vacquerie sont liés à ces deux épreuves, l’une imposée par le destin, à laquelle il faut faire face, l’autre choisie « dans l’ombre du devoir », celui de défendre les plus humbles. Mais Hugo ne recule pas devant ces épreuves, tout comme le voyageur « Du fond de la septième solitude » refuse de s’arrêter et de se reposer, pour « continuer à soulever le pied, ce pied fatigué et blessé ». Voilà la « sagesse » dont il faut faire preuve « dans la douleur » (aphorisme 318), celle des

« hommes héroïques » qui « n’ont jamais le regard plus fier, guerrier et heureux que lorsque la tempête se lève ».

Si la vie ne doit pas nécessairement revenir à souffrir, affronter les obstacles rencontrés permet de renforcer sa force de vivre, parce que nous pouvons nous sentir plus forts en parvenant à surmonter les épreuves auxquelles nous sommes confrontés, à « répondre de » notre propre existence. Nietzsche exprime dans la préface du Gai Savoir sa gratitude à l’égard de la maladie. Après une période de résistance intense, il peut désormais affirmer combien la douleur lui a permis de s’approfondir. Ce n’est pas autre chose qu’il écrivait quelques années auparavant, dans l’aphorisme

« Brèves habitudes », reconnaissant combien la maladie lui a permis de multiplier les habitudes et les expériences : . La vie est bien un moyen de connaissance et cette pensée « grande libératrice » permet enfin de « non seulement vaillamment, mais même gaiement vivre et gaiement rire ! » L’amour inconditionnel d’Elena pour son époux mourant est encore renforcé par cette épreuve qu’ils traversent ensemble : « Je lui disais “Je t’aime”. Mais je ne savais pas encore à quel point je l’aimais…

Je n’avais pas idée… » C’est un « sourire » qui clôt le poème « Dolorosae » : « Sans trembler, sans fléchir, sans haïr les écueils », le poète et son épouse voient leur amour renforcé par les « fortunes diverses ». Léopoldine n’est pas oubliée par ses parents aimants qui l’aiment sans relâche, refusant l’oubli, mais refusant aussi d’oublier « les trois enfants » qui « restent », et la nécessité du courage et de l’amour. La révolte et le ressentiment ne sont pas de mise : il faut dire oui à la vie, éternellement, grâce à la pensée de « l’éternel retour » qui fait peser le « poids le plus lourd » sur chacun de nos actes et chacun de nos choix. C’est par la force de la pensée, puisque l’on « doit apprendre à aimer » que l’expérience désagréable ou étrangère peut devenir une expérience non seulement acceptable, mais désirable qui « désormais ne cesse d’exercer sur nous sa contrainte et son enchantement » (« Il faut apprendre à aimer »). L’existence qui est la mienne devient alors toujours plus belle, mystérieuse et désirable comme l’est la vie pour le philosophe du Gai Savoir (« In media vita ».) Dans Les Contemplations, le poète après avoir été mordu rejette le crabe « dans la vague profonde », en rappelant « Que l’homme rend le bien au monstre pour le mal. »

Une vie dont nous répondons malgré les douleurs et les aléas, est une vie qui est valorisée, en ce qu’elle nous correspond entièrement et en ce qu’elle nous permet de nous transformer, au gré de ces aléas. Elle est alors cette vie « qui vaut la peine d’être vécue ».

Pourtant, les événements d’une vie se bousculent au risque de nous rendre vulnérables, enclins à la passivité voire à l’apathie : la vie nous échappe parfois alors même que c’est nous qui sommes en train de la vivre. Pouvons-nous être vivants sans vivre notre vie pour autant ? Sans en répondre systématiquement ? La catastrophe qui nous met sens dessus dessous n’ôte pas forcément la vie, mais souvent la possibilité d’en répondre, de la vivre pleinement. Dans « Monologue sur l’homme qui n’est raffiné que dans le mal, mais simple et accessible dans les mots tout bêtes de l’amour », un homme s’est « enfui du monde » a oublié sa « propre vie » et ne sait pas exactement où il s’en est allé : « C’est ainsi. Et cela m’est indifférent : je peux vivre comme je peux ne pas vivre. La vie de l’homme est comme l’herbe : elle pousse, se dessèche et brûle. » Hugo souffre intensément, errant sur la grève, ne considérant l’horizon que comme un deuil infini. Bel et bien vivant, une partie de lui est pourtant morte, dans l’étiolement du désir de vivre : « Et je reste parfois couché sans me lever / Sur l’herbe rare de la dune, / Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver / Les yeux sinistres de la dune. » (« Paroles sur la dune ») C’est pourtant dans l’abandon à la nature qu’il

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se sent suffisamment vivant pour entrevoir la possibilité de se ressaisir de son existence : « Et je pense, écoutant gémir le vent amer,/ Et l’onde aux plis infranchissables ; / L’été rit, et l’on voit sur le bord de la mer / Fleurir le chardon bleu des sables. » Plutôt que de s’assommer par le travail, en

« dépensant son esprit jusqu’à l’épuisement », il faudrait pouvoir s’abandonner « à la vita contemplativa […] sans mépris pour soi-même et mauvaise conscience » (« Loisir et oisiveté »).

Nous ne pouvons répondre de notre existence lorsque nous ignorons tout de la manière dont elle va tourner. Les liquidateurs de La Supplication ignorent ce qui les attend, et pourtant, poussés par une force qu’ils n’arrivent eux-mêmes pas très bien à définir, ils s’élancent vers un horizon incertain, s’en remettant, pour beaucoup, à leur « bonne étoile ». Avancer aveuglément, de manière irresponsable dirait peut-être Marquis, n’est pas toujours une mauvaise idée. Dans « Plaisir pris à la cécité », Nietzsche rappelle combien il est nécessaire d’« aimer l’incertitude sur l’avenir », sans en avoir peur. Les « professeurs de morale » qui prônent la « maîtrise de soi » privent l’individu de la possibilité de se « perdre soi-même pour quelque temps », étape indispensable « si l’on veut apprendre quelque chose de ce que l’on n’est pas soi-même. » Hugo s’interroge sur la nature de l’ange qui lui apparaît : est-ce la mort ? Ou est-ce l’amour ? L’important est pourtant de distinguer

« Les astres à travers les plumes de ses ailes », et pour cela être capable de voir sans interprétation préalable. À la différence du marin, du berger ou de l’astronome, le poète cherche ce qu’il ne distingue pas encore, ou à peine, « en ce ciel vaste et pur ».

Les souffrances et les difficultés imposées par l’existence ne présagent en rien de la suite des événements. À la manière de la vague qui « s’insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés », l’homme vit malgré les obstacles, dans un débordement de vitalité qui lui échappe (« Volonté et vagues »). S’y abandonner en les vivant, soit en les supportant, soit en tentant de s’en protéger, est une manière passive d’en répondre, qui peut s’avérer nécessaire aussi parce qu’elle permet de laisser se dérouler le temps. L’égarement, le désespoir, la révolte ou la remise en cause des croyances peuvent être ces étapes indispensables au retour d’une vie plus forte et assumée que l’on croyait disparue à tout jamais. Le livre IV et le livre V des Contemplations rendent compte des différentes étapes qui ont conduit Hugo du désespoir à l’acceptation du malheur, dans une soumission à l’ordre divin rendue possible par le temps et la contemplation. La ligne de points du 4 septembre 1843, rendant visible « l’abîme du tombeau » est désormais dépassée. Ce ne sont plus ceux qui « meurent en sursaut » qui sont « heureux » ( « À qui donc sommes-nous ? ») mais bien ceux qui ont souffert et qui peuvent dépasser leurs souffrances, à la manière des « souffrants » dont le poète fait l’énumération dans « Les Malheureux » qui sont désormais « splendides / Satisfaits, radieux, doux, souverains, candides,/ Heureux, la plaie au sein, la joie au cœur, les uns/ Jetés dans la fournaise et devenant parfums, ». S’abandonner aux difficultés et aux souffrances est parfois une étape nécessaire, en les supportant malgré tout, à la manière du stoïcien qui « s’entraîne à avaler pierres et vermines, éclats de verre et scorpions et à ne pas éprouver de dégoût ; son estomac doit devenir indifférent à tout ce que le hasard de l’existence déverse en lui. » (« Stoïciens et épicuriens »).

Quant aux liquidateurs, ils s’habituent au danger au point de vivre normalement, pêchent, se baignent et rient entre amis. Ce que certains peuvent considérer comme du déni peut aussi être interprété comme une protection indispensable, qui a pour conséquence une désappropriation de sa propre existence. « Répondre de sa vie » pour avoir le sentiment de mener une vie digne de ce nom n’est pas toujours possible, et plus encore, s’en détacher momentanément peut être une forme d’action nécessaire, même si elle semble passive. Elle permet probablement de renaître à une autre forme d’existence. Il est alors difficile de considérer que certaines vies ont moins de valeur que d’autres en fonction de la manière dont elles sont investies.

En effet, chaque vie participe d’un mouvement plus vaste, dans laquelle sa valeur ne pose pas question. On peut tenter, en prenant conscience de cela, d’accroître son sentiment que la vie « vaut la peine d’être vécue », quelle qu’elle soit. Les trois auteurs célèbrent unanimement « la vie », la force de vie, d’autant plus saisissante qu’elle est inconsciente. La vie n’a pas besoin d’une conscience

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6 qui « répond » de sa valeur, elle est, glorieusement, miraculeusement, et pour Nietzsche, surgie du néant et du hasard. Dans la vie des Génois, « que de jouissance, d’impatience, de désir, que de vie assoiffée et d’ivresse de vivre » ! (278) Et cela sous le regard mélancolique du philosophe, qui est conscient de la fuite du temps et du caractère inéluctable de la mort. Mais l’inconscience même de cette vie est son atout, sa vigueur, c’est le témoignage de la « volonté de puissance », de la

« surabondance ». Les « penchants et pulsions » de l’homme devraient pouvoir s’exprimer librement, sans que des hommes grossiers, des « calomniateurs de la nature » (294) les déshonorent, et sans que par contrecoup les morales les interdisent. En effet, ce qui rend la vie digne d’être vécue est la jouissance qu’on peut y éprouver sur l’instant, sans les arrières pensées qui la dévalorisent.

« Où peux-tu t’étendre au soleil de manière que tu jouisses, toi aussi, d’une surabondance de bien- être et que ton existence se justifie » ? Dans le § 341, un seul « instant formidable » permet de répondre oui à la proposition de l’éternel retour. C’est la pure adhésion, c’est le « gai savoir ». Et Nietzsche trouve dans des métaphores naturelles une évocation de cette force, de cette pure jouissance de vivre : celle des vagues par exemples, montre le mouvement perpétuel de la vie toujours avide et jaillissante. La nature est beaucoup plus présente chez Alexievitch et Hugo, et les animaux en particulier sont là pour montrer que la vie vaut par sa présence et sa luxuriance : des fourmis, un chat, un caniche noir dont on porte le regret éternel montrent que la vie est fascinante en elle-même. Ponto, « c’est la vertu », dit Hugo. Heureux de vivre et fidèle à son maître, il ne soupçonne même pas l’existence du mal raffiné que sont susceptibles de commettre les hommes.

Le rapport aux enfants est plus significatif encore : l’épisode du nouveau-né défenestré par les Tadjiks, plonge la jeune infirmière dans une dépression, lui fait perdre toute envie de « donner la vie ». Pourtant, cette existence qui n’a pas duré au-delà de quelques minutes n’a pas encore de sens, cet être minuscule ne peut pas « répondre de sa vie ». Mais chaque naissance plonge une communauté humaine dans une joie collective, elle fait éprouver le miracle du jaillissement de la vie. Il n’est donc pas question de « valeur » ici.

Peut-être nos auteurs sont-ils plus préoccupés par le fait de « répondre de la vie », de son caractère essentiel, face aux atteintes qu’elle subit sans cesse, que du fait qu’une vie en particulier

« vaut la peine d’être vécue ». Face aux mensonges d’un régime et à l’impéritie de fonctionnaires incompétents, Alexievitch présente des pièces à conviction . Des responsables cyniques et ignorants de la science ont sciemment sacrifié des vies. « C’est une guerre contre des innocents » dit Nesterenko (p. 217) ; « et personne n’a encore répondu de cela » ( 216). C’est « pire que la Kolyma », dit Polenskaïa : « avec une hache ou un arc, ou même avec un lance-grenades et des chambres à gaz, l’homme ne peut pas tuer tout le monde. Mais s’il a l’atome à sa disposition… » (p. 182). Chacun est solidaire de toute vie, et les responsables politiques ont plus que tout la charge de les préserver. Par le témoignage, Alexievitch donne également une voix aux vieux, traités comme des primitifs, aux enfants chétifs, malades, qui peuplent les hôpitaux et ne sont même pas reconnus comme des victimes. Elle écoute le « petit homme » et nous fait comprendre que chacun investit sa vie, l’aime, que pour chacun elle « vaut la peine d’être vécue ». Le drame vient du fait que personne, parfois, n’écoute ces voix. Un ancien liquidateur laisse en suspens les questions de sa mère : « Je me tais. Personne ne trouve les mots qui me feraient répondre. Dans ma langue à moi…

Personne ne comprend d’où je suis revenu… »(p. 86). Elle nous les fait écouter. De même, Hugo rend hommage à la vie de Claire Pradier, atrophiée par la maladie, une vie qui a eu, et a toujours rétrospectivement de la valeur, au pauvre dans « Les malheureux » ou encore au mendiant, exemples parmi de nombreux autres. Dans « Les malheureux », Hugo nous met en garde contre l’orgueil, contre le malheur qui valorise : le martyre dans la gloire, c’est facile. Ce qui est difficile, c’est le malheur dans l’obscurité, c’est Job sur son tas de fumier. Quant à Nietzsche, pour qui la pitié n’est pas une attitude constructive, il défend la vie contre les atteintes des morales : pourquoi s’évertuer à se maîtriser, à brider ses penchants, pourquoi disqualifier la passion et avoir l’air de trouver la vie douloureuse (§ 326) ? Pourquoi faire d’un « au-delà », ou d’un « en dehors » de la vie le critère de sa valeur ? (Pr 2) Se l’approprier avec plaisir et à propos est la meilleure attitude à avoir.

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On peut donc répondre de la vie, de la force de la vie, et montrer comment intégrer sa vie dans une perspective « de santé, d’avenir, de croissance, de puissance, de vie… » (Pr 2). C’est ce que l’on peut « apprendre des artistes », écrit Nietzsche. On pourra alors utiliser cette « force subtile », et devenir les « poètes de notre propre vie, et d’abord dans les choses les plus modestes et les plus quotidiennes. » Aucun détail ne peut être ignoré lorsqu’il s’agit d’aimer tout ce qui est nécessaire, et de voir « dans la nécessité des choses le beau » (« Pour la nouvelle année »). Comme les improvisateurs, on peut la créer au fur et à mesure : « ils sont entraînés et inventifs, toujours prêts en un instant à intégrer immédiatement à l’organisation thématique la note la plus fortuite à laquelle les pousse une pression du doigt, un caprice, à insuffler au hasard une belle signification et une âme » (§303). Chacun, dans son discours intérieur, revoit sans cesse sa vie et lui donne un sens, rejoue des scènes : Elena en se confiant à Alexievitch raconte ce moment terrible où on lui a arraché sa petite fille morte, son refus et sa révolte : « C’est moi qui ne vous la rendrai pas ! Vous voulez me la prendre pour la science et je hais votre science ! […] Je ne la donnerai pas ! Je l’enterrerai moi-même. À côté de lui… (Silence) » Elle reconnaît, quelques instants plus tard, qu’elle modifie le récit : « Ce ne sont pas les vraies paroles… Non, pas les vraies….Après une hémorragie cérébrale, je ne peux pas crier. Ni pleurer. » De même, alors que la ligne de points suggère l’impossibilité de parler de la mort de Léopoldine, Hugo l’aborde des années après par le prisme du sacrifice héroïque de Charles. Le poème clôt le livre IV, mettant en avant une forme acceptable, poétisée qui éclaire autrement ce qui s’est passé. Le récit d’un dialogue amoureux transfigure la mort et la rend dicible, et audible, malgré la douleur : « Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs. / – Que fais-tu ? disait-elle. – Et lui, disait : Tu meurs ; / Il faut bien aussi que je meure ! – » La parole poétique redonne vie à Léopoldine dans une forme transfigurée. Ainsi la philosophie et la littérature contribuent-elles à approfondir la pensée de la vie, non pas en donnant à chacun les clés de la réussite, comme dans un manuel de développement personnel, mais en en restituant l’ampleur du phénomène vital et l’énigme de nos vies particulières.

Distinguer la « vie qui vaut la peine d’être vécue » selon le critère de la responsabilité n’est donc que partiellement recevable. On comprend bien que, dans la perspective de la résilience, un individu ébranlé ait besoin de se ressaisir de son expérience, et de pouvoir se dire a posteriori qu’il a été acteur de sa vie, plutôt que victime. Mais, comme le signale Nicolas Marquis, si la démarche est féconde pour la vie intérieure de l’individu, elle peut être désastreuse du point de vue du collectif, et laisser pour compte quantité de vies supposées négligeables et sans valeur. La puissance empathique d’œuvres littéraires comme celles de Hugo ou d’Alexievitch permet au contraire nous faire prendre conscience que toute vie a sa valeur, même si les peines l’emportent, même si celui qui la vit est trop bouleversé pour pouvoir s’en ressaisir. Et la puissance créatrice de la philosophie de Nietzsche vient du fait qu’elle fait reconsidérer la vie non selon des « valeurs » sociales bien ancrées, mais selon de « nouveaux soleils » qui permettent à chacun de justifier sa vie, simplement parce qu’il en éprouve la beauté, et non parce qu’il se plie aux diktats d’une société conformiste.

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