A NNALES DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE T OULOUSE
H ENRI L EBESGUE
Sur la théorie de la résiduation de Sylvester
Annales de la faculté des sciences de Toulouse 3
esérie, tome 14 (1922), p. 153-159
<http://www.numdam.org/item?id=AFST_1922_3_14__153_0>
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SUR LA THÉORIE DE LA RÉSIDUATION DE SYLVESTER
Par M. HENRI LEBESGUE.
[1]
Dans un travailrécent(’) j’ai
utilisé cette théoriequi
se résume dans l’énoncé’
suivant : Si
parmi
les3(m + n) points
de rencontre d’unecubique
et d’une courbe dedegré
ni -{- Il, , il y en a 3nqui
sont sur une courbe dedegré
n, les 3m autres sont,
sur une courbe de
degré
m .Au
paragraphe
1 3 de mon Mémoirej’ai reproduit
à peuprès
la démonstrationclassique telle,
parexemple, qu’on
la trouve dans les Courbesplanes
de Salmon.Mais,
comme me l’a fait remarquer M. B.
Gambier,
cette démonstration est insuffisante..Elle ne vaut que dans le cas où toutes les courbes de
degré
m + n - 3passant
parcertains points
en nombre + n‘- 2 3) (m + n)
‘ I forment un faisceau ; il en est
’
bien ainsi en
général,
mais il n’en est pastoujours
ainsi.La
rédaction,de
mon Mémoire remontantdéjà
àplusieurs années, je
nepuis
diresi cette insulfisance m’avait
frappé, mais
du moinsj’ai prétendu
y examiner aussi lecas où les courbes considérées de
degré
m + n - 3 ne forment pas unfaisceau,
ceque ne fait pas
Salmon., Malheureusement,
ce quej’ai
dit estinopérant
etl’objection
de M. Gambier
s’applique
tout autant à mon raisonnementqu’à
celui de Salmon;je m’appuie
sur ceci : parp(p + 3)
-1points
il passe un faisceau linéaire de courbes dedegré
payant
en communp2 points,
à moins que toutes les courbespassant
par lespoints
donnés n’aient unepartie
commune. Or l’affirmation enitaliques
estfausse;.
elle serait vraie s’il
s’agissait
de courbes dedegré
ppassant
parp’ points,
elle estinexacte
lorsqu’il s’agit
de courbes déterminées par moins dep2 points.
C’est
précisément
cequ’observe
M. Gambier ens’appuyant
sur desexemples
dontvoici le
plus simple :
«Soient,
dans un mêmeplan,
unecubique Cs
et unequartique C,
données(choisies
au hasard une fois pour toutes,je
les supposeindécomposables
(1) Exposé géométrique
d’un Mémoire deCayley (Annales
de la Faculté des sciences de Toulouse, 3e série, t. Xlll,1922).
I54
et se
coupant
en 12points distincts). J’appelle Mt’ M~,
...,Mu’ Mu
ces 12points;
je choisis
unpoint M, (xo, yo),
deCi
distinct deMi,
...M,~
etje
considère le réseauquand
À,varient,
les 13points M!,
... M sont communs à toutes les cour-bes du
réseau,
et ce sont les seuls communs à toutes les courbes de ce réseau.Toutes les courbes de
degré
4passant
par les treizepoints indiqués
sont com-prises
dansl’équation
ci-dessusdonnée;
elles ne constituent pas unfaisceau;
ellesn’ont pas de
partie
commune à toutes. »Il y a donc lieu de donner une autre démonstration du théorème de
Sylvester.
Celle
qu’on
va lire n’est pas nouvelle : elle n’est quel’adaptation
au casparticulier
du théorème de
Sylvester
d’une sorte de lemmepréparatoire
au théorème deN0153ther ;
théorème d’où l’on déduit desgénéralisations
de l’énoncé deSylvester,
enparticulier
la
proposition
connue sous le nom de théorème du reste de Brill et[2J ]
Je suppose que les 3npoints
communs à une courbeC3
et à une courbeCn appartiennent
aussi à une courbe .Et, naturellement, je
suppose que ni niCm...J--n’
ne contienneC3,
ni unepartie
deCg.
J’écris leséquations
de ces courbeset
je
suppose queC3
contient un terme en . Je considèreCu
et comme despolynômes
en x etje
les divise parj’obtiens
des restesp, q, r, a,
b,
c,A,
B,C,
sont despolynômes
en y dont lesdegrés
maximum sontdéterminés par la condition que
Cs est
du troisièmedegré
en x, y quer~
etsont au
plus
desdegrés n
et m + n. . Ces deux derniers restes sont d’ailleurs effec- tivement de cesdegrés,
carfn
= o et = oreprésentent
deux courbes ne con-tenant ni
C~,
ni unepartie
deCs
etqui coupent C3 respectivement
en les 3n et3(m
+n) points
communs àCs
etCn;
àCs
et(t)
Voir, parexemple,
lespremières
pages du tome II de l’ouvrage de Picard etSimart : : Théorie des
fonctions algébriques
de deux variablesindépendantes.
-Les courbes
I’n
etpeuveut
doncremplacer Cn
et c’est sur elles que nous allons raisonner. Je vais démontrerqu’on peut
trouverrespectivement
dedegré m
et ln + n - 3 en x, y, tels que l’on ait :et cela démontrera bien le théorème. .
Or,
l’identitéprécédente
donne pour la détermination despolynômes 03B1, 03B2,
y, u, v,dont
lesdegrés
maxima en y sont connus, lescinq équations :
Le déterminant A de ces
équations
est le résultant despolynômes C3
etqui
sont sans facteur commun; donc A n’est pas
identiquement
nul et l’onpeut
résoudre par larègle
de Cramer. Cela nous donne des fractions rationnelles dont on trouve de suite lesdegrés.
Pour cela donnons desdegrés
maxima fictifs aux élémentségaux
à zéro de la matrice M des termes tout connus et des coefficients de notresystème d’équations;
et cela defaçon
que, dans une mêmecolonne,
lesdegrés
maxima croissent d’une unité
quand
on passe d’un élément à celui situé au-dessous.Alors,
pour lapremière
colonne de A, ledegré
maxima dechaque élément,
diminuédu rang de la
ligne
le contenant, donne n -3 ;
pour la secondecolonne,
c’est n - 4 ; pour latroisième, n - 5;
pour laquatrième, - 1;
pour lacinquième, -2 .
Etcomme un terme
quelconque
est leproduit
decinq
élémentsappartenant respective-
ment aux
cinq lignes
etcinq colonnes,
ce terme est dedegré
maximumOn trouve ainsi que le
degré
maximum de 0394 est.3n,
ce que l’on savaitdéjà;
onsait même que le
degré
de A est exactement 3n siC3
etC,~
ont leurspoints
com-muns à distance
finie,
ce que nous supposons. Si maintenant on considère le numé- rateur de l’une desinconnues.,
de el parexemple,
donné par larègle
deCramer,
ilse déduit de A en
remplaçant
les éléments de lapremière
colonne par les termes tout connus, cequi
augmente lesdegrés
maxima des éléments de lapremière
colonnede m 2014 2. Donc le numérateur de 03B1 est au
plus
dedegré m
+ 3n - 2, ex est auplus
,dedegré
m - 2 . .’
On raisonne de même pour les
cinq
inconnues; vérifions maintenant que les fractions rationnelles obtenues sont en réalité despolynômes.
Pour cela nous suppo-serons
qu’on
donne à y une des valeursqui
annule A et nous nous demandons ceque devient le numérateur de ex, par
exemple,
dontl’expression
est(1), (2), (3), (4), (5) représentant
les mineurs de 0394pris
parrapport
aux divers élé-ments de sa
première
colonne.’
.
Or on sait que si la valeur yi considérée est
l’ordonnée
d’un seulpoint
communà
C~
et et situé à distancefinie,
soit xi, yz, les mineurs(1), (2), (3), (4), (5)
sontrespectivement
tproportionnels
àx’2, x2i,
xi, 1. Et comme xi, y, estpoint
depar
hypothèse,
on a N = o.’
Donc si les 3n
points
communs àC3
et àCn
sontdistincts, auquel
cas les 3nracines yi de 0394 = o
peuvent
êtresupposées
distinctes etfinies,
comme N admet aussi ces 3nracines,
N est divisiblepar A
et nous trouvons bien pour unpoly-
nôme.
La démonstration est achevée pour le cas où les 3n
points
sont distincts. ,[3]
Dans le cas où les 3npoints
ne sont pasdistincts,
cequ’il importe
de fairec’est moins de démontrer le théorème que de
préciser
cequ’il
faut entendre par la conditionsupposée
dans l’énoncé : les 3npoints
communs àCs
et àC,~ appartien-
nent à A cette
question,
le théorème de N0153ther fournit uneréponse
dontl’importance
estcapitale ;
mais pour laplupart
desapplications
du théorème deSylvester,
et enparticulier
pour celles de mon Mémoirecité,
il suffit d’utiliser la définition suivante On dira que les 3npoints
communs àC3
et àC,i appartiennent
à s’il est
possible
demodifier infiniment
peuC~L
et defaçon
que les 3npoints
communs àC3
et àCn modifiées
soient distincts etappartiennent
àmodifiée.
Il est bien évident
qu’avec
cet énoncé le théorème deSylvester
estvrai,
car les Net A sont des fonctions continues des coefficien ts de
Cn
et et lapropriété :
N estdivisible
par
subsiste à lalimite ; réciproquement d’ailleurs,
si l’on a l’identité(I),
en modifiant infiniment peu
h"
defaçon
à rendre les 3npoints
communs àC3
età
rn distincts,
et en ne modifiant pas et on définit une courbequi
passe par ces 312points
distincts etqui
diffère infiniment peu duprimitif.
La définition
précédente
est donc bien nécessaire et suffisante pour l’exactitude du théorème deSylvester.
Si naturelle
qu’elle soit,
il ne faut pas omettre d’examiner d’autres définitions tout aussi naturellesqui peuvent
être en désaccord avec elle : supposons parexemple
que
Cil
etCn
n’aient que despoints
à distance finie en commun, il pourraparaître
naturel de dire que leurs 3n
points
communsappartiennent
àsi,
dans toutsystème
de coordonnéescartésiennes,
le résultant deC3
et deCn,
considérés commepolynômes
en x, divise le résultant deC~
et de Cette seconde définition est endésaccord avec la
première ;
dans le cassuivant,
parexemple : C3
est unecubique
àpoint double, Cn
est laconique
formée par les deuxtangentes
aupoint double, Cm+n
est la
cubique
formée de trois droites issues dupoint
double. Le théorème deSylvester
n’est en
général
pasapplicable
à ces trois courbes bienqu’avec
la seconde définition elles aient sixpoints
communs avecC~
confondus aupoint
double.Ce fait n’est d’ailleurs pas nouveau, on sait
depuis longtemps qu’avec
la secondedéfinition le théorème du reste n’est vrai que pour les groupes de
points
mobilesdéterminés par les
adjointes.
’ ’
[4] L’exemple précédent
montrequ’avec.la seconde
définition relative-auxpoints
communs à trois courbes la théorie de la résiduation n’est pas
toujours exacte,
du moins pour lescubiques unicursales ;
pourterminer, je
vais prouver que, même avec’ cette
définition,
elle est exacte pour lescubiques
non unicursales(les
seules que l’on considère ordinairement dans cettethéorie)
et, d’unefaçon plus générale, qu’elle
estexacte si
parmi
les 3npoints
considérés nefigure
pas lepoint
double de lacubique,
..s’il existe.
Je suppose que le
point simple
A deC3 compte
pour ppoints (p ) 1)
dans l’in-tersection de
C3
etCn.
Par Aje
mène une droitequelconque coupant Cs
endeux
points
distincts nt; par Aje
mène ensuite p - ï autres droitesD~,
...Dp
infiniment voisines de
D1
t etcoupant C3
en deux séries depoints m2,
...... np
infiniment voisins
de in, et n, respectivement.
Je trace les droitesCes droites forment une courbe L de
degré
p,qui
coupeC3
en ppoints
at, aQ, ...a~
en dehors des
points
m et n . . Ces ppoints
sont infiniment voisins de A et l’onpeut
les supposer différents.
Je vais d’abord démontrer que le théorème de
Sylvester s’applique
à la courbeCn
+ L(qui jouera
le rôle deCm+n)
et à la courbe P formée par les p droitesDi ;
~
les
3p points
communs àC~
et à Pappartenant
àC,~
+ L.Or, d’après
le para-graphe précédent,
ceci seraprouvé
si l’on montrequ’on peut,
en modifiant très peu rendre les3p points
communs à ces deux courbes et àC3
tous distincts.Modifions
quelque
peuC’n
defaçon
à ce que tous sespoints
de rencontreavec
C~
deviennent distincts. Lepoint A, qui comptait
pour ppoints,
se trouveainsi
remplacé
par ppoints
ce,, ... «p voisins de A etqui
tendent vers Aquand
C’n
tend versCn.
Parchaque «i
menons une droite ~iqui
tend versDi quand
C’,~
tend versCn
etappelons pi
et vi les deuxpoints
de rencontre de 0~ et deCa qui
tendent vers mi et ni. Lesdroites 0394i
forment la courbe H. La courbe A, for- mée des p droites ~,$v3, ... tend vers L et elle rencontreC3
endehors des
points
~, v, en ppoints a’,, a’$,
... tendantrespectivement
vers...
a~.
Donc, le théorème de
Sylvester pouvant
êtreappliqué
aux courbesC’n
+ A et nqui
ont3p points
de rencontre avecC~
communs etdistincts,
ilpeut
êtreappliqué
aussi aux courbes
C~~
+ L et P. Ainsi il existe une courbeCBt
dedegré n
rencon-trant
C3
aux3n-p points
de rencontre deCn
et deC3 qui
sont différents de A;Ctn
passe deplus
par les ppoints
a,, a~ ...ap, qui
ont été déterminés comme il aété
dit,
aussi voisins que l’on veut de A et distincts.Ces p
points
ont été déterminésindépendamment
deC,l,
si doncCm+n
passepar les 3n
points
communs àC3
et àCn
onpeut
de mêmeremplacer
parcoupant C3
aux mêmes 3npoints
queC~" .
Si
parmi
lespoints
communs àC3
et àC",
il y avait ,~~points A,
B, ... K comp- tant pourplus
d’unpoint
et touspoints simples
deCg, après
avoiropéré
comme ilvient d’être dit pour passer de
Cn
et à et onopérerait
sur les deuxcourbes obtenues d’une
façon analogue,
Bremplaçant A;
on obtiendrait ainsiC$n
et
C~?,t+,2 .
Etaprès
fi semblablesopérations
on arriverait à et Les 3npoints
communs à et àC3
étantdistincts,
le théorème deSylvester s’applique
à°
Il faut maintenant en conclure
qu’il s’applique
aussi àC,~,
etC~
ens’ap- puyant
sur le fait que, parexemple;
lespoints ai
tendent versA;
aucune démons-tration ne serait nécessaire si nous savions que et
Ckm+rt
tendentrespectivement
’
vers
Cn
et mais cette convergence n’a engénéral
pas lieu.Remarquons
que si deux courbesCn
etCm+n
conduisent àl’égalité (i),
entre lesdeux
polynômes r
etqu’on
en déduit on a aussien
prenant
et
Qn
étant lesquotients
de etC,~
parC,.
Nous avonsdéjà remarqué
quesi
Cn
etCm+n
varient en tendant vers des limitesdéterminées, rm
et tendentvers des limites déterminées. Donc tous les termes
de (l’)
tendent dans ces conditionsvers des limites
précises. Appliquons
cela aux courbesCn +
L et P nous aurons :I59 rtn étant
le reste deCin
diviséC3 .
Faisons maintenant tendreles ai
versA,
en faisant tendreDI, Da’
...D
versD~,
nous trouvons à la limiteYin
et étant despolynômes
déterminés. Onpeut
évidemment tout diviser p~rDPt
et l’on trouve :yB
étant dedegré
2 e x, ne diffère pas du rester n
de la division deCu
parC3.
Donc
T"n,
et par suite aussiPn’
... tendent versrn,
de même tendvers et comme le théorème de
Sylvester s’applique
àrkn
et ils’applique
aussi à
r,t
et à donc àC,t
et à °Le
théorème deSylvester
est ainsiprouvé
pour toutes lescubiques
nonuni-
cursales. C’est pour ces courbes seulement
qu’il
estimportant, puisque
sonprincipal avantage
est depermettre
lasuppression
del’emploi
des fonctionselliptiques
et que,lorsqu’il s’agit
decubiques
unicursales,l’usage
de ces fonctions est inutile. Aussije
me contenterai
d’indiquer
que, par des raisonnementsanalogues
auxprécédents,
onpeut
étudier aussi certains des cas oùCn
passe par lepoint
double de lacubique Cg;
par
exemple,
on prouvera que le théorème deSylvester s’applique
au cas d’unecourbe
C~ passant
par lepoint
double quej’appelle O,
siC~
etCn
n’ont aucunetangente
commune en cepoint
0 et siCm+n
admet commetangente
en0,
et avecun ordre de
multiplicité
au moinségal,
chacune destangentes
en 0 àCn.
Onpeut
aussiappliquer
les mêmesprocédés
pour obtenir certains résultatsqu’on
déduitd’habitude du théorème de Noether..