FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX
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ENTRE
ÉPOUX
THÈSE
POUR LE DOCTORATSOUTENUE DEVANT LA FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX, LE 25 JUIN 1896
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Ernest GOMSAUD
LAURÉAT DE LA FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX
BORDEAUX
IMPRIMERIE CENTRALE A. D E LANE F II A NQ U E 23.-25, rue Permentacle, 23-25
1896
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FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX
DE
SI II VII
ENTRE EPOUX
THÈSE
POUR LE DOCTORATSOUTENUE DEVANT LA FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX, LE 25 JUIN 1896
PAR
Ernest GOMBAUD
LAUREAT DE LA FACULTE DE DROIT DE BORDEAUX
BORDEAUX
IMPRIMERIE CENTRALE A. DE LANEFRANQUE
23-25, rue Permentade, 23-25
-18 9 6
0f ^
FACULTÉ DE DROIT DE
BORDEAUX
MM. BAUDRY-LACANT1NERIE, #,|| I., doyen,professeur de Droit
civil.
SAIGNAT, || T.,assesseurdudoyen,professeurde
Droit civil.
BARCKHAUSEN, 0. || I., professeur de Droit
administratif.
DELOYNES, ||I., professeurdeDroitcivil.
VIGNEAUX, || I.,professeurd'Histoire du droit.
LE COQ, Il L, professeurde Procédurecivile.
LEVILLAIN, ||I.,professeurdeDroit commercial.
MARANDOUT, ||I., professeurde Droitcriminel.
DESPAGNET, f|I.,professeur-deDroitinternationalpublic,
chargé
du coursde Droitinternationalprivé.
MONNIER, €11.,professeurde Droitromain.
DUGUIT, ||A.,professeurdeDroitconstitutionnelet
administratif.
SAINT-MARC, ff I., professeur
d'Économie
politique,chargé du
coursde Législationindustrielle.
DEBOECK, || A., professeur de Droitromain.
DIDIER, || A., professeur de Droit maritime et de
Législation
industrielle,chargéducoursde Législationfinancière, deLégis¬
lationcolonialeetd'Économiepolitique.
MM. SIGUIER,secrétaire.
PLATON, ||A., ancien élève de
l'École
desHautes-Études,
sousbibliothécaire.
CAZADE, commisausecrétariat.
COMMISSION DE LA
THÈSE
MM. LECOQ,professeur, président.
BAUDRY-LACANTINERIE, professeur.
DELOYNES,professeur. suffragants.
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Typaldo Bassia. — Les assurances sur la vie au point de vue théorique
etpratique.Paris, 1892,
DE
L'ASSURANCE SUR LA VIE
ENTRE ÉPOUX
INTRODUCTION HISTORIQUE
L'assurance sur la vie est un contrat d'origine récente. Il
suppose en effet une science des chiffres très développée, permettant les calculs de probabilité et une statistique
exacte afin d'établir des tables de mortalité.
Mais ce n'est pas là l'unique cause qui a retardé la nais¬
sance du contrat que nous étudions. Si on considère les
conditions de la vie à l'époque romaine, l'état social du
moyen âge et des temps modernes, en France notamment jusqu'à la Révolution, on est frappé de ce fait qu'il n'y avait guère place pour cette institution.
L'assurance surla vie est surtout utile à celui quipar son
travail, son industrie ou son commerce, fait vivre safamille.
Véritable capital, ce sera pour les siens, s'il meurt, non seulementuneperte morale, mais aussiuneperte matérielle.
Dans l'antiquité, au contraire, nous savons que
les Romains
dédaignaient le
travail
etflétrissaient l'industrie
commeune
occupationindigne d'un homme libre
:vivant dans leurs
riches demeures, au milieu d'une
foule d'esclaves, ils lais¬
saient à ceux-ci tous les soins matériels (1).
L'autorité du pater familias
allant jusqu'à supprimer
•toute fortune personnelle aux
enfants,
aumoins jusqu'à la
création des pécules,
devait seulement subvenir à leurs
besoins.
A côté des patriciensil y a,
il
estvrai, la classe des petits,
des artisans, des plébéiens.
Mais ceux-ci
nelardent
pasà
s'organiser en
collèges et à bénéficier de tous les avantages
de lamutualité. Les collèges funéraires
furent particulière¬
mentnombreux; le «
funeraticium
Ȏtait
unesommepayée
par le collège
funéraire
auxhéritiers d'un collègue décédé
(Mommsen,
De collegiis et soclaliciis Romanorum, cap. v,
§14).
Quittant l'époque
romaine,
etjetant
un coupd'œil sur
le droit germanique, nous y
trouvons
uneinstitution qui,
si elle ne rendait pas l'assurance
inutile,
endiminuait du
moins les avantages : nous
voulons parler des Ghildes,
basées également sur
la mutualité. C'étaient des sortes d'as¬
sociations.dont les membres promettaient par
serment de
sedéfendre l'un l'autre et de s'entr'aider comme
des frères.
(1)Lepeu d'estime qu'ils en faisaient
tiendrait, d'après Denys d'Halic.
(il,28; ix,25), à l'origine etauxmœursmêmes
des Romains
:Romulus
voulantentretenirchez ses sujets l'instinctguerrier, leurdéfendittoutes
les professions qui tendaient à les détourner
du métier des
armeset
notammentlecommerceetles artsmécaniques.
9 —
Cette promesse de secours
trouvait
sonapplication dans les
périls et les accidents
principaux de la vie
:naufrage, incen¬
die; dans les cas d'injures et de voies
de fait
etaussi de
poursuites légales pourdes crimes
etdélits. Parmi les textes
relatifs à cette institution, nous citerons les statuts d'une
Ghilde anglo-saxonne établie à
Exeter
au ixesiècle, renfer¬
mant la disposition suivante :
Et
quumdomus alicujus
conflagraverit unum denariumquisque etiam contribuet.
(Hickesii Thésaurus, linguar. septentrional, t.
II,
p.22).
Les statuts de la Ghilde du roi Eric au xne siècle, renfer¬
ment une disposition analogue pour le cas de
naufrage
:o, Si quis conviva naufragium passus
fuerit, de bonis suis
» estimatis ad marc argenti nihil retinuerit
juramento,
» prestito et testimonio adhibito, accipiet
de quolibet fratre
» m denar, infra terminium illius episcopatus ». Les acci¬
dents les plus terribles de la vie, la maladie,
la vieillesse
et lamort ont été surtoutlagrande préoccupation
des
mem¬bres de la Ghilde et voici, pour terminer sur ce point,
les
dispositions de la Ghilde de Berwickde 1284 Cap.
ix. —« Si quis confratrum nostrorum Gildee, in
decrepitam
Eeta-» tem aut paupertatem inciderit, seu in morbum
incùrabi-
» lem, etde proprio nonhabuerit, unde possit
sustineri,
seu» sustentari, relevetur secundum sestimationem, et
disposi-
» tionem Aldermanni Decani et confratrum Gildse, secun-
» dum quod facultates Gildse suppetant et
fuerint
».Cap. x. — « Si quis confratrum nostrorum
Gildœ relin-
» quat post obitum suum filiam ex uxore
conjugata,
quse» sit laudabilis conversationis et bonae famse, et non habeat
» de propriis unde sibi
providere valeat de viro, aut si in
» domo
Religionis
castevivere voluerit, secundum Eestima-
— 40 —
» tionem, et dispositionem Alder-manni,
Deeani
et confra-» trum, secundum facilitâtes Gildse, sibi de viro vel de
» domo Religionis, provideatur ».
Cap. xi. — « Si quis confrater Gildse defunctus non
» habuerit depropriis unde exsequias suas possit
celebrare
:» confratres Gildse corpus defuncti
honorifice facient
» humari ».
Nousn'ajouterons rien àcequiprécède, car
il
noussemble
en résulter avec assez de clarté, que le besoin de l'assurance
surla viene s'était pas fait encore sentir àcette époque.
Nous arrivons à l'ancienne France et là encore nous retrouvons ces sociétésde secours mutuels organisées sous forme de corporations de métiers ou de
marchands.
La grande industrie n'existe pas encore, et
l'aide
que se prêtent les artisans entre euxleur suffit.Quant
auxnobles
leur fortune est surtout immobilière et le droit d'aînesse
vient encore contribuer à sa stabilité : comment s'étonner,
dans de tellesconditions, queles avantages
de l'assurance
surla vie soient restés voilés aux yeux de tous.
Maisavec le xvmesiècle se produit un
profond change¬
ment : larévolution transforme la propriété foncière,
brise
le cadre étroit des corporations : l'industrie et
le
commerce,restésjusque là à l'état de
chrysalide, prennent
unmerveil¬
leux essor ; le prodigieux développement
industriel et
com¬mercial auquel nous assistons
multiplie le nombre de
ceux qui vivent du travail et lamobilité des fortunes succède à la
stabilité qui était un des caractères
de l'époque antérieure.
Des métiers dangereux sont
créés, des découvertes nouvelles
sontfaitesqui, touten
facilitant la vie de l'homme, l'exposent
tous les jours à de nouveaux
dangers. On
aproclamé le
— 11 -
droit de tout homme au travail et aux anciennes idées
d'association a succédé celle d'individualisme : livré à ses seules ressources l'homme est lancé, isolé, au milieu des
tourments de la vie. C'est alors que celui qui, à force
de
travail, aréussi à procurer à safamille uneexistence aisée,
sepréoccupe du sort qui attend ceux
qui lui sont chers, le
jour où il disparaîtra brusquement
enlevé
parla mort.
Cettepréoccupation est d'autant
plus grande
que pourl'être
qui a été l'associé de toute sa
vie, la loi n'a rien fait,
rien prévu : la femme ne
succédait à
sonmari, avant la loi
du 9 mars 1891, qu'à défaut
de
touthéritier légitime,
jusqu'au douzième degré, et était
même exclue de la
succes¬sion par les enfants
naturels, les père et mère, frères et
sœurs naturels du défunt.
C'est sous l'influencede ce besoin que sont nées les assu¬
rances sur lavie, et le développement
énorme qu'elles ont
pris dans ce siècle sera une preuvevivante contre
ceuxqui
accuseront notre époque d'égoïsme. «
Il
y aquelque cent
ans» dit M. d'Avenel (I) on était
était humain et volontiers
» sensible et à la vérité, l'égoïsme n'y
perdait rien, mais
» 011 s'honorait depleurer sur les maux
de
sessemblables,
» comme d'une preuve de
philosophie. De
nosjours,
>> cuirasséd'individualisme, chacun a conscience
de l'isole-
» ment où se meuvent, quoiqu'elles pensent,
disent
ouy> fassent, les pauvres créatures quenoussommes.
Et
cepen-» dant, ni le sentiment de cette
solitude des âmes, pareilles
» à peu près les unes aux autres
quoique indéfiniment
(1) Revuedes DeuxMondes, 16 septembre 1895,p.
353.
— 12 —
» différentes, si douloureusement ressenti par les meilleurs
» d'entre nous, ni le pessimisme de notre philosophie, ni
» la violence des divisionspolitiques ousociales n'empêchent
» notre xixe siècle, auquel on voudrait persuader qu'il est
» plus égoïste que ses aînés, d'avoir vu naître et
grandir
» une forme du dévouement filial plus complète qu'aucune
» de celles que l'on avait jusqu'à lui pratiquées.
Il
faut, en» effet, plus d'abnégationpour constituer à vos
héritiers
par» le paiement d'une prime annuelle une fortune,
dont créa-
» teur sacrifié, vous ne verrez jamais un centime, — puis-
» qu'elle ne naîtra que par votre mort, —
qu'il
nefallait
» de désintéressement pour accumuler dans ses propres
» mains une épargne dont on avait la satisfaction
de jouir
» toutlepremier, avantde la transmettreàsessuccesseurs.»
Les assurances sur la vie répondent donc à un besoin moderne, besoin qui va sans cesse grandissant avecles pro¬
grès de notrecivilisation et au fur et à mesure que
la baisse
dutaux de l'intérêt obligeun plus grand nombre
d'individus
au travail.
Mais de ce fait que l'institution que nous étudions est d'origine récente, il ne faut pas conclure
qu'elle
estnée
brusquement sans qu'on puisse trouver dans l'histoireaucun précurseur,aucune manifestationla faisant pressentir L'his¬
toire neprésente pas d'exemple
de
cescréations
toutd'une
pièce, natara nonfecit saltus.Le développement actuel de
telle institution n'estjamais que le produit
d'une lente éla¬
boration, plus ou moinsparfaite,
plus
oumoins rapide sui¬
vant que l'évolution des besoins
sociaux s'est trouvée plus
ou moinsaux prises avec l'idée mère
de
cetteinstitution. Or,
l'idée de « prévoyance »,
qui
estla base de l'assurance, est
— 13 —
vieille comme le monde, et en recherchant ses manifesta¬
tions juridiques nous ferons l'histoire du contrat que nous étudions.
Nous avons expliqué comment l'assurance sur la vie avait
été inconnue des Romains : cependant, dès cette époque
nous retrouvons deux- institutions qui la font pressentir, puisqu'elles ont pour base la durée probable de la vie
humaine : c'est d'abord la Stipulation « quum moriar » dont plusieurs textes nous révèlent l'existence; c'est, en secondlieu, lecontratderenteviagère. LeDigeste mentionne
lesrentesviagèresettraite de leur valeur : (68D.xxxv, t. n.)
Cette loi est en réalité une véritable table de mortalité tra¬
cée par Ulpien, et qui, chose curieuse, s'écarte peu des tra¬
vaux faits longtemps après par Pascal et Deparcieux. Les
Romains avaient donc à la rigueur les éléments nécessaires
pour établir chez eux le contrat d'assurance sur la vie.:
mais ce contrat suppose, outre l'idée de prévoyance, un travail productif libre et des idées d'individualisme, choses
que Rome ignorait.- Plus généralement même on peut dire
que l'assurance y est restée inconnue: le nauticum fœnus,
devenu aujourd'hui le prêt à la grosse, n'en est qu'une bien
faible image. C'étaitune convention par laquelle une per¬
sonne transférait à uneautre la propriété d'une somme d'ar¬
gent affectée à une opération maritime et commerciale, avec cettecondition que l'accipiens lui en restitueraitl'équivalent
et én plusune somme représentant le pretium susceptiperi- culi, si le voyage était heureux, etque,dans le cascontraire,
si le navire faisait naufrage, il ne lui serait rien dû. Ce pretium suscepti periculi est le prix du risque, et en décom¬
posant le mécanisme de ce contrat, on pouvait arriver à
— u —
l'idée d'assurance,mais pourles Romains le nauticum fœnus
ne futjamais qu'une
variété du matuum,
uneespèce de prêt
où les intérêts étaient plus élevés.
Chez les Germains et les autres peuples du moyen âge
nous netrouvons rien à signaler en dehors des institutions
dont nous avons déjà parlé et qui, si elles ne sontpas
déjà
assurance, y ressemblent par plus
d'un côté.
Ledroit canonique n'admettant pas le prêt à intérêts, le prêt à la grosse
fut interdit
parGrégoire
ix :mais
verscette époque les progrès
de la navigation, les nouvelles
relations avec le Levant donnèrentunecertaine extension au mouvement commercial; il fallut donc chercher à éluder
cette prohibition, et c'est sous
l'influence de
cesnécessités
que, vers le xme
siècle,
onvit
commencerà fonctionner les
assurances maritimes, en Italie, en Espagne et dans les Pays-Bas, les
nations les plus
commerçantesde l'époque.
Lesrisques de mer étant
alors considérés
commeles plus
terribles, on fut naturellement amené,
après avoir assuré le
navire etles marchandises, à assurer la vie des hommes qui s'exposaient aux
dangers de la navigation
:les dangers
com¬prenaient, outre
le risque de
mort,celui de la captivité,
carla piraterie
infestait les
mers : pour segarantir contre
ce risqueonfondavers1300, à Londres, la
«Casualty Assurance»
pour le rachat
des Captifs. Il semble dès lors qu'il n'y
a qu'un pas àfaire
pourarriver à la notion d'assurance
surla vie, telle que nous
la
comprenons.Mais alors l'idée de
spéculation entra
malheureusement dans le contrat d'assu¬
rance d'où elb chassa l'idée de prévoyance, son véritable fondement; elle en retarda
ainsi.le développement
etrisqua
.même de le faire disparaître. _. -b -
— 45 -
L'idée de spéculation détourna en effet cette institution
de sonvéritablebut. Onpritl'habitude, avantd'entreprendre
un voyage, de déposerune certaine somme entre les mains de l'assureur, en stipulant qu'en cas de retour heureux on aurait droitaudouble ou autriple de lasommeassurée. L'abus
alla toujours croissant: on ne se bornapas à fairedes stipu¬
lations ausujet de sa propre vie, on fit des paris sur la vie
des princes de
l'Église
et del'État,
sans avoir aucun intérêt à leur existence : c'était exposer les personnes sur la vie desquelles on pariait à un grave péril, car on faisaitde leurmort un enjeu passionné.
Nous devons signaler cependant au xvie siècledes institu¬
tions dont Jean Bodin fait l'éloge, et qui semblent présager
certaines assurances en usage de nos jours. « Les monts-de-
» piété institués ès-villes d'Italie, dit-il, sont utiles,
» honnestes, charitablesetsoulagent grandement lespauvres.
)> Il y en a à Florence, Lucques, Sienne et autres villes, où
» celui qui a une fille, aujour desanaissance met cent escus
» au mont-de-piété, à la charge d'en recevoir mil pour la
» marier, quand elle aura dix-huit ans. Si elle meurt aupa-
» ravant, les cent escus sont acquits au mont ». (De la République, livre vi). %
Le caractère immoral des gageures sur la vie netarda pas- à en amenerla prohibition, tout enjetant de la défaveur sur l'institution de l'assurance sur la vie elle-même : un statut de Gênes, de 4588, les défendit. En France, leGuidon de la
mer (ch. xvi, 5) déclarait que « les assurances faites par
» les autres nations sur la vie des hommes, en cas qu'ils
» décédassent, estantsurleurvoyage, depayer telles sommes
» à leurs héritiers ou créanciers... étaient toutes pactions
— 16 —
»
réprouvées
parles bonnes
mœurset coutumes, dont il
» arrivaitune infinité d'abus et de
tromperies
».Enfinlagrande
ordonnance de la marine de 1681 prononce
une prohibition
absolue
: «Défendons de faire aucune assu¬
rance surla vie despersonnes ».
Une autre institution contribua aussi
à retarder,
parles
déceptions
qu'elle
aproduites, le développement de l'assu¬
rancesur la vie, nous voulons
parler des tontines. D'origine
Italienne, où elles existaient
à Florence, dès le xvie siècle,
elles furent introduites en France par
Lorenzo Tonti, avec
laprotectionde
Mazarin qui créa,
en1653, la Tontine royale.
Ce sont des associations mutuelles
dont les membres,
après avoir
mis
en communleurs cotisations respectives,
conviennentque les rentes
dues
auxprémourants profiteront
aux survivants. Condamnées comme
institutions publiques
par un édit
de 1770 supprimant la tontine royale, les ton¬
tines reparaissent comme
institutions privées en 1791 : la
catastrophe qui
suivit la création de la caisse Lafarge fût la
cause d'un grand
émoi dans le
pays:les esprits troublés
par la
déception produite confondirent, par une réaction
aveugle, dans une
même défaveur, les tontines et les assu¬
rances sur la vie.
L'opinion
dès jurisconsultes n'était pas faite pour corriger
cette fâcheuse impression.
Pothier (Traité des assurances,
ch. i, section2, §3) approuve
les dispositions de l'ordonnance
dela marine de 1681, et donne
les motifs de l'interdiction
qu'elle prononce : «
La raison
enest, dit-il, qu'il est contre
» labienséance et l'honnêteté publique
de mettre à prix la
» vie deshommes. D'ailleurs, la nature
des contrats d'assu-
» rance étant quel'assurance se
charge de payer l'estimation
— 17 —
» de la chose assurée, la vie d'un homme libre n'étant
»
susceptible
d'aucune estimation, elle ne peut, par consé-)> quent, être susceptible ducontratd'assurance... Cesraisons
» n'ont pointd'application auxesclaves, les nègres étant des
» choses qui sont dans le commerce et qui sont susceptibles
» d'estimation, je ne vois paspourquoi la vie des nègresne
» serait pas susceptible du contrat d'assurance. » Et Eméri-
gon, commentant la même ordonnance, approuve à son tourla prohibition de l'art. 10 par la raison que « l'homme
» esthors de prix, que la vie humaine n'est pas un objet
» de commerce et qu'il est odieux de faire de sa mort la
» matière d'une spéculation mercantile ».
Tel était l'état de la question en France à la fin du
xvine siècle et il semblait que c'en était fait définitivement
de l'institution que nous étudions, mais dans un pays voisin
l'initiative individuelle, le développement industriel et com¬
mercial avaient fait comprendre les avantages qu'on pouvait
en tirer. Les assurances sur la vie ne furent pas prohibées
en Angleterre; on se borna à en séparer et à condamner
ce qui n'était que spéculation immorale et dangereuse. Le Gcimbling Act, publié en 1774, sousle règne de Georges III,
avait pourbut de prohiber ce qui n'était quejeu et pari et qui avait pris en Angleterre des proportions véritablement
abusives : la santé et la vie des grands personnages, le
retour en faveur d'unfavori, la prise d'une ville, toutévéne¬
ment historique de quelque importance, était bon pour en taire l'objet. Le textedecet Acl l'indique clairement: « L'ex-
» périenceayantprouvéquel'assurancesurlavie de certaines
» personnes, en vue de certains événements qui n'offrent
» aucun intérêt pour
^assureur
oul'assuré,
aamené
unjeua
— 48 —
.» des plus coupables, il est
ordonné qu'à partir de la date
du présent acte, sera nulle et de nul
effet,
toutepolice de
» cette nature consentie par un ou plusieurs
individus,
par»: des corps politiques ou autres, lorsque
l'auteur ouïes
:» auteurs de cette police n'auront aucun intérêt dans
la vie
» ou les événements qui en seront l'objet, et lorsque, par
•» conséquent, elle aurale
caractère d'un simple pari.
»Cette disposition favorisait
donc l'assurance
surla vie
humaine, en la séparant des institutions qui en
voilaient la
moralité etl'utilité, aussi ce contrat ne tarda pasà
prendre
en Angleterre un développement
considérable Dès 1706
était née, sous le nom d' « Amicable
Society
»la première
Compagnied'assurance surla
vie, à la suite d'une charte
con¬cédée par la reine Anne à l'évêque
d'Oxford, Thomas Allen
et diversespersonnes, leurpermettantde mettreencommun
leurs revenus,afin que l'héritier de chaque
souscripteur
pût,à sa mort, recevoir une somme fixée d'après le
nombre des
décès arrivés dans l'année.
C'est donc sous la forme de la mutualité que les Anglais
connurentd'abordl'assurancesurla vie, maisilne tardèrent
pasà pratiquer le système
des
assurancesà prime et à capi¬
tal fixe : dès 1720, deux compagnies d'assurance contre l'in¬
cendie a Royal Exchange » et «
Lonclori
Assurance » furent autorisées à étendre leurs opérations aux assurancessur la vie. Puis en 1762 création d'une nouvelle société mutuelle, 1' cc
Équitable
».A la fin duxvine sièclel'institution était doncenAngleterre
enpleineprospérité. Sur le continent,au
contraire, elle restait
inconnuesauf àHambourg :cetteville commerçante
avait fait
une réglementationde
l'assurance
contreles Bar-baresques et
ja» 19 ""*=•
avait été amenée, à l'occasion des risques maritimes, à prati¬
quer l'assurance sur la vie des hommes (Règlement sur les
assurances etles avaries du 1er septembre 1731, Hambourg).
Cependant, sous l'influence dudésir de réformeset de pro¬
grès dont tout le monde était animé en France à lafin du xviiie siècle, on ne voulut pas rester spectateur insensible
du mouvement qui se produisait à l'étranger et deux arrêts
du Conseil du roi (du 3novembre 1787 et du27juillet 1788),
autorisèrentla créationde laCompagnieroyale d'assurances,
naturalisant ainsi une institution renfermant des avantages précieux et d'une grande utilité, suivant les expressions
mêmes d'un de ces arrêts.
La Révolution vint et, dans son besoin de destruction de tout ce qui rappelait l'ancien régime, brisa, comme le reste,
lajeune institution. (Décret du 24août1793. Moniteur,séance
de la Convention du 24 août 1793.) L'assurance sur la vie continua donc à être méconnue en France. Si on en parle
aumomentde la rédaction des codes, c'est pour condamner
cette institution, en se fondant surles principes consacrés
par l'ordonnance de 1681 et par ses commentateurs.
Portalis, lui-même, ne peut s'empêcher de partager les préjugés de ses illustres devanciers. « Nous savons, dit-
» il, qu'il estdescontrées où les idées de la saine morale
» ont été tellement obscurcies, qu'on y autorise les assu-
» rances sur la vie des hommes. Mais, én France, de
» pareilles conventions ont toujours été prohibées. Nous
» en avons la preuve dans l'ordonnance de la marine de
» 1681, qui n'a faitque renouveler des défenses antérieures.
» L'homme est hors de prix, sa vie ne saurait être un
» objet de commerce; sa m@rt ne peut devenir la matière
— 20 —
» d'une spéculation. Ces espèces de pactes sur la vieou sur
» la mort d'un homme sont odieux et ils peuvent n'être pas
» sans danger. La cupidité qui spécule sur les jours d'un
» citoyen est souvent bien voisine du crime qui peut les
» abréger. »
C'étaittoujours l'ancienne confusionentrelesgageures sur la vie, basées sur l'idéedejeu etdepari, etl'assurancebasée
sur l'idée de prévoyance.
Mais un revirement d'opinion ne devait pas tarder à se
produire : après les troubles de la Révolution et les grandes
guerres de l'Empire, les affaires purent prendre quelque développement. D'autre part, la Révolution avait brisé les
cadres de l'ancienne société et y avait substitué une société nouvelle, où l'individualisme tenait une grande place; en outre, on avait sous les yeux l'exemple de l'Angleterre où
l'assurance sur la vie continuait à se développer de plus en
plus et où la compagnie The Rock venait d'introduire le système de la participation aux bénéfices.
C'estsousl'influence de cesidées qu'on fut amené àporter
la question devant le Conseil d'Etat : y avait-il lieu d'auto¬
riser les compagnies anonymes à s'engager à payer une
somme déterminée au décès d'un individu, moyennant une
prestation annuelle à payer par cet individu?
La réponse du Conseil
d'État
fut donnée dans un avis du28 mai 1818, faisant une sage distinction entre l'assurance proprement dite et les gageures sur la vie : cc Considérant
» que ce genre de contrat peut être assimilé aux contrats
» aléatoires que permet le Gode civil; qu'il est ainsi plus
» digne de protection que le çontrat de renteviagère, puis-
» que l'une est trop souvent le résultat de l'égoïsme et
de
la— 21 —
» cupidité, tandis que l'autre nepeut naître que d'un sentir-
» ment généreux et bienveillant qui porte le souscripteur à
» s'imposer des sacrifices annuels pour assurer aux objets
» de son affection un bien-être et une aisance dont sa mort
)) pourrait les priver ;
» Estd'avis que l'engagement de payer une somme déter-
» minéeau décès d'un individu, moyennant une prestation
» annuelle à faire par cet individu, peut être autorisé, mais
» qu'il ne doit pas être permis d'assurer sur la vie d'autrui
» sans son consentement ».
Quoique ce ne soit pas un document législatif à propre¬
ment parler, cet avis a une grande importance : par lui
l'élan était donné ; c'est lui qui allait servir de base aux
autorisations que devait donner le Gouvernement : la pre¬
mière fut celle de la Compagnie d'Assurances générales,
ordonnance du 29 décembre '1819. L'assurance sur la vie entrait donc en France, définitivement cette fois-ci, sans consécration législative et, en quelque sorte, par la force
même des choses.
D'autres compagnies ne tardèrent pas à être fondées, mais,comme pourtoutesles institutionsnouvelles,surtouten
France, les débuts furent pénibles. Tandis qu'en Angleterre
on créait, en 1849, l'Institut des Actuaires dans le but de
diriger les progrès de l'assurance, que M. Gladstone faisait
voter la loi du 14 juillet 1864, pour mettre l'assurance sur la vie à la portée de tous ; en France, au contraire, les com¬
pagnies végétaient malheureusement, tant étaient puissantes
l'ancienne confusion entre les tontines et l'assurance sur la
vie, et la défaveur qui s'attachait aux premières.
Ce n'est que dans la deuxième moitié du xixe g.ièçle, sous
— 22 —
l'influence des idées généreuses de charité et de prévoyance qui marqueront cetteépoque, que
l'on vit s'ouvrir
pourles
assurances sur la vie une période de développement qui a été sans cesse en grandissant. De nombreuses
compagnies
se fondèrent et par imitation
de l'Angleterre, la loi du
11 juillet 1808 créa une caisse
d'assurance
en casde
décès au bénéfice des classes peu aisées : en
s'ap-
propriant cette institution le législateur enfaisait ressortir
la moralité ; sa légalité avait
d'ailleurs été consacrée
par la loi du 4 juin 1870 et le fut à nouveau par
celle du
23juin 1875.
De nos jours, l'assurance sur la
vie
estvéritablement
entrée dans les mœurs. Les compagnies y ont
contribué
parla multiplicité des combinaisons
qu'elles
ontoffertes
au public,cherchant toujours àrépondre à
unplus grand
nom¬bre de besoins. D'autre part, le prodigieux
développement
industrielet commercial de notre siècle, la création de nou¬
veaux métiers plus dangereux,
l'augmentation
sans cessecroissantedu nombre de ceux qui vivent du
travail,
ont enquelque sorte rendu cette
institution indispensable, et la sta¬
tistique montre clairement
la faveur toujours grandissante
dontellejouit. Les capitaux assurés,
qui étaient
au31 décem¬
bre 1885 de 2,900,307,623 s'élevaient au
31 décembre 1894 à
3,496,962,060 représentant uneaugmentation de plus de
20 0/0 dans une période de 10 ans.
L'institution n'a
cepen¬dant pas encore
rendu
tout cequ'on est
endroit d'attendre
d'elle, il reste à la mettre à la
portée de la classe ouvrière,
question grave et
délicate dont
ons'est préoccupé beaucoup,
surtoutà l'étranger, mais
qui n'a
pas encore reçu enFrance
de-solution.
— 23 —
Dans le vaste domainedel'assurancesurla vie, nousnous proposons
d'étudier ici les
assurancesentre époux.
Pour la clarté des explications qui vont suivre, nous devons donner une définition du contrat d'assurance sur la
vie et des termes qu'il comporte. Voici
celle à laquelle
nousnous rattachons : l'assurance sur la vie est une convention
aux termes de laquelle une personne
(l'assureur) s'oblige
envers uneautre (lecontractant ou
l'assuré),
moyennantune prestation unique oupériodique (la prime), à
verser aucontractant lui-même ou à un tiers désigné dans le contrat
ou encore incertain (le bénéficiaire), une somme
d'argent
déterminée formant un capital ou une rente, soit
à
une époque convenue sitelle
personne est encorevivante, soit
au décès de telle personne désignée.
La désignation de l'attribution
bénéficiaire de
ce contrata une importance capitale sur ses
effets
:elle
peutavoir lieu
soustroisformes :
1° Désignation d'un
bénéficiaire
en termesgénéraux
: mes héritiers, ou ayants droit;2° Contrat au profit d'une personne expressément dési¬
gnée : ma femme, née X ; 3° Contrat àordre.
L'assurance entre époux qui fait l'objet de cette thèse,
rentre évidemmentdansladeuxième catégorie. Nous devons
donc commencer par étudier les principes de l'attribution
bénéficiaire à personne dénommée. Nous examinerons
ensuite dans quelle mesure ils peuvent être modifiés, soit
par les conséquences qui découlent de la qualité d'époux,
soit par les règles dérivant de
l'adoption d'un
régime matri¬monial.
CHAPITRE Ier
du contrat d'assurance sur la vie souscrit au profit d'un tiers, nommément désigné
Quelle est la nature du contrat d'assurance sur la vie
souscrit au profit d'une personne nommément
désignée?
Quels sont ses effets? Doit on reconnaître au bénéficiaire un droit direct, personnel, au
capital
assuré,droit dérivant du
contratlui-même, ou bien ce droit appartenait-il d'abord à
celui qui a contracté l'assurance pour être
transmis ensuite
au bénéficiaire?
Voilà des questions dont la solution, grosse de conséquen¬
ces, estd'autant plus difficile que nous n'avons pas de textes
sur lesquels nous appuyer :
aussi, de nombreux systèmes
ont-ils été proposés. Les uns ont
voulu baser
notrecontrat
sur la stipulation pour autrui de
l'art. 1121 du Code civil
;d'autresl'ont expliqué parlathéorie
de la gestion d'affaires
; certains enfin l'ont considéré comme un contrat innomé.-Nous devons donc examiner successivement ces diverses
solutions et exposer le système
auquel
nous nousrattachons.
Section I. — La théorie de la stipulation pour autrui a
pour elle la grande
majorité de la jurisprudence
:Elle
sebase sur l'art. 1121 du code civil. « Attendu en droit, dit la
Cour de cassation, dans un