• Aucun résultat trouvé

La fausse légitimation. Le discours nationaliste dans la littérature des années

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La fausse légitimation. Le discours nationaliste dans la littérature des années"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

La fausse légitimation. Le discours nationaliste dans la littérature des années 1980–1990

R

ÆZVAN

V

ONCU

Abstract:The last decade of the communist regime meant for Romanian literature a period of a reflourishing of dogmaticism and of an aggressive affirmation of an official, nationalist and anti°aesthetic discourse. The present study proposes to analyse, in a typological, far from exhaustive modality, thea ways and means whereby the propagandist organs and the writers involved tried to fraudulently legitimize nationalist discourse.

Mots°clés:régime communiste, ideologie, litterature, „Thèses de Mangalia”, nouvelle génération littéraire

Pendant la décennie ’80 –’90, la littérature roumaine enregistre deux phénomènes de sens contraire: c’est, d’une part, le début d’une nouvelle génération littéraire, que l’on appellera

„les ’80”, et, d’autre part, l’émergeance d’un groupe d’écrivains qui tentent d’accaparer le pouvoir en brandissant une idéologie nationaliste pliée sur l’idéologie officielle du régime communiste.

La génération qui venait de naître allait remanier en profondeur la manière d’écrire et de penser la littérature en Roumanie et même si, depuis, elle est devenue histoire littéraire à son tour les traces des poétiques des ’80 sont encore visibles (dans la littérature de certains écrivains plus jeunes) et les noms°phares de la génération en question se sont hissés au sommet de la

„hiérarchie” littéraire. Façon, entre autres, de légitimer la position de ces écrivains qui, dès les années ’60, avaient milité pour tracer des limites entre l’idéologie et la littérature et remettre à l’honneur les assises esthétiques perdues de cette dernière.

La montée de la génération „des ’80” est brouillée par un phénomène qui ne cache pas son intention de la contrarier: l’apparition d’un discours nationaliste dans la littérature. En résultent nombre de disputes littéraires, les institutions ayant fonction de légitimation – littéraires et non seulement – sont assiégées... Pour se voir auréolé de cette légitimation tant convoitée, le discours nationaliste ne se contente pas de réveiller les fantômes de la décennie stalinienne – méthodes et rhétorique –, il va fouiller dans les réserves des courants hétéronymes de la littérature roumaine en remontant jusqu’aux quarantehuitards et aux partisans purs et durs du terroir et de la tradition (le courant „sæmænætorist” et néo°sæmænætorist des années ’20 et ’30).

Le Prologue

Vers la moitié de la décennie qui précède celle dont je vais traiter par la suite, l’idéologie officielle traversait un moment de vide programmatique. La soi°disante „Déclaration

(2)

d’indépendance” édictée par Gheorghiu°Dej en avril 1964 met fin à la carrière du réalisme socialiste sans que, il est bon de le savoir, pas une fois il n’ait été dénoncé officiellement1. L’équipe Ceauøescu arrive au pouvoir, un air de détente semble souffler sur les relations internationales et les idéologues en profitent pour avancer un nouveau concept que l’on appellera l’humanisme socialiste2. Fort à propos, le Printemps de Prague gelé par l’intervention des chars soviétiques ainsi que par les terribles révélations sur les goulags socialistes apportent le nécessaire démenti et dénient tout crédit à ce nouveau courant en train de prendre forme.

Il devenait évident qu’un retour aux dogmes aurait été malaisé: les idéologues avaient eu déjà beaucoup de mal à faire admettre les „Thèses de Mangalia”, fruit de la visite de Ceauøescu en Corée du Nord. Lancées à grand renfort de propagande en 1971, elles avaient éveillé beaucop de réactions de désobéïssance et n’allaient prendre effet, un effet partiel d’ailleurs, qu’après 1980.

Dans un certain sens, c’est dans ces „thèses” que plonge ses racines les plus lointaines la tentative de légitimation du discours nationaliste qui déferle sur la littérature des années ’80°’90.

A cette réserve près que leur simple lecture ne frappe pas par des accents nationalistes. Bien au contraire, en 1971, les chefs du parti et de l’Etat semblent célébrer encore la messe marxiste°léniniste (dans sa variante stalinienne) des années ’50. A mon avis, pourtant, ces

„thèses” étaient moins censées rétablir la „pureté” idéologique de la littérature – qui, après une décennie de libéralisation relative était sérieusement „infestée” par des „virus”

anti°dogmatiques – que restaurer la domination de la propagande officielle sur la littérature et ses institutions que ce soit celles de la corporation (l’Union des Ecrivains) ou celles ayant fonction de légitimation (revues, maisons d’édition, critique littéraire). C’était, en fait, une question de pouvoiret non d’idéologie. Ce fut, et là je devance un peu mon propos, la stratégie des promoteurs du discours nationaliste: sous couvert d’un retour au nationalisme, c’est la mainmise sur la cité des lettres qu’ils visent.

Une fois le réalisme socialiste enterré et l’humanisme socialiste mort prématurément, l’idéologie officielle se retrouve, nous le disions ci°dessus, à court de programme. Le livre du professeur Edgar Papu [De nos classiques. Contributions à l’idée d’un protochronisme roumain, 1977] vient à point nommé pour combler ce vide3. Je m’empresse de préciser que le livre en soi n’annonçait en rien l’orage qu’il allait déchaîner. Edgar Papu jouissait de tout le prestige d’un esprit brillant, il avait été victime des persécutions à l’époque stalinienne, personne n’aurait eu l’idée de lui attribuer des complicités avec la propagande (tout ce qu’on aurait pu lui reprocher c’était une certaine naïveté). Les études qui figurent dans le livre en question s’originaient, avec une certaine approximation, dans les opinions sur le baroque portugais précoce que le professeur avait exprimées dans des livres antérieurs et tentaient d’accréditer (en quoi il n’avait pas toujours tort) d’autres interprétations de certains phéno- mènes propres à la culture des Principautés Roumaines. L’idée de protochronisme roumain était, il va sans dire, une éxagération; mais c’était l’exagération herméneutique et/ou axiologique d’un grand savant qui ne nourrissait point l’ambition vaine de l’imposer à l’ensemble de la littérature roumaine à titre de courant idéologique dominant.

Ce n’est que justice que de dissocier la personne du regretté professeur Edgar Papu des excès et distorsions que des épigones abusifs ont fait subir à son idée. Le titre de son livre ainsi

(3)

qu’une lecture attentive font apparaître que ce n’était pas une théorie que le grand comparatiste souhaitait proposer mais simplement une idée, acceptable ou non. Qui plus est, Din clasicii noøtri est un recueil d’analyses et non une démonstration systématique du protochronisme de la culture roumaine.

D’autres allaient s’en charger, malheureusement. Car l’année 1977 sonne l’heure de la réunion de trois facteurs convergeants: 1) le besoin de programme de la propagande – que nous mentionnions déjà; 2) le besoin de certains écrivains et pseudo°écrivains de s’enrôler sous une

„bannière” idéologique qui leur assure la légitimation littéraire et 3) l’apparition d’une idée noble en soi qui semblait épouser exactement le contour du nationalisme véhément du régime Ceauøescu. Cette convergeance allait faire le poids et donner le signal de ce que l’on appellera

„la battaille du protochronisme”.

Protochronisme et nationalisme en littérature

Le protochronisme ne recouvre pas tous les phénomènes redevables au discours nationaliste4. En fait – et c’est là le paradoxe – le protochronisme n’est pas une littérature. Il n’y a pas, à proprement parler, de littérature protochroniste et il ne peut y en avoir puisque le protochronisme, concept opposé au synchronisme patenté par Eugen Lovinescu par les épigones abusifs du professeur Papu qui préfère, lui, parler de la complémentarité des deux concepts, opérait au niveau herméneutique et axiologique et nullement au niveau de la création.

Les seules tentatives de littérature „protochronistes”: (le volume Dacia Fëniks5,...) de Ion Gheorghe et les romans „proto°roumains” de Mihail Diaconescu6 rendent superflu tout commentaire.

L’utilité du protochronisme apparut lorsqu’il fut lancé tel un „bélier” (que l’on lançait contre les institutions ayant fonction de légitimation) derrière lequel s’alignaient les modalités littéraires les plus variées, à commencer par la poésie „patriotique” et politique, genre Ion Gheorghe pour finir dans les romans „tolstoïens” de Paul Anghel. Le discours nationaliste en littérature étend donc son manteau généreux sur plusieurs modalités littéraires et sur plusieurs types d’écrivains. Si Eugen Barbu, déjà légitimé par la critique et largement reconnu par le public, se mêle de pirater des institutions à fonction de légitimation, il le fait pour se venger d’avoir été démasqué comme plagiateur (dans son roman Incognito) par ses confrères.

D’autres, moins talentueux que lui, s’accrochent à la vieille conception hétéronymiste de la littérature°annexe du social, du politique ou de la morale publique et défendent des modalités depuis longtemps mortes et enterrées: la voix du terroir, du pays profond, la gloire des aïeux etc qui ont depuis toujours parasité, chez les Roumains, la littérature officielle; ce qui leur vaut d’être systématiquement rejetés par la critique. D’autres encore, éternels véléïtaires des lettres daco°roumaines, ont tenté de profiter du mouvement protochroniste pour s’insinuer sur un circuit de légitimation aussi frauduleux fût°il.

Il y a une race d’écrivains qui méritent une mention spéciale: Adrian Paunescu, entre autres, qui ont entretenu des relations ambiguës avec la „phalange” nationaliste. Agrippé à sa gloire personnelle, il tend une main officieuse au nationalisme et repousse de l’autre l’une de ses coteries les plus voyantes, groupée autour de l’hebdomadaire Sæptæmâna.

(4)

Les tentatives de légitimer le discours nationaliste

Dans un premier temps, les écrivains qui se revendiquent du nationalisme officiel amorcent une tentative de légitimation auprès des organismes censés livrer une légitimation esthétique:

maisons d’édition, revues littéraires, cénacles, Union des Ecrivains et, non en dernier lieu, critique littéraire.

C’est auprès des maisons d’éditionque les démarches du groupe nationaliste eurent le plus de succès. Peut°être était°ce dû à la coexistance étroite qu’elles devaient entretenir avec les agents chargés de la propagande, à la censure draconienne qu’elles subissaient et aux

„indications” précieuses qu’elles étaient tenues d’observer. A quoi s’ajoutait la dépendance économique: le programme d’„autodirection et autogestion” qui épuisait leurs ressources et les mettait à la merci du Conseil de la Culture et de l’Education Socialiste, fragilisait les maisons d’édition.

Les éditeurs publient donc les livres des promoteurs du nationalisme cependant qu’ils imposent de longs délais d’attente quand ils ne refusent pas tout simplement de publier les livres d’autres auteurs, „des ’80” surtout. Les interviews, les confessions de cette époque°là convergent sur un point au moins: la difficulté de débuter et de publier. A la fin de l’époque totalitaire, la majeure partie des écrivains des „années ‚80” n’avaient réussi à publier qu’un volume ou deux si l’on excepte le rituel volume collectif, incontournable pour tout début. Ces obstacles se dressaient devant la vraie littérature et contournaient les adeptes du discours nationaliste. Les volumes du cycle Les neiges d’antan, de Paul Anghel, continuaient à paraître, pareils à un fleuve que rien ne peut arrêter malgré les protestations unanimes de la critique littéraire qui avait déjà averti que l’écrivain n’avait aucun talent littéraire et que sa contribution à la littérature roumaine était nulle. Les complicités littéraires et politiques post°révolutionnaires nous révèlent la cause de cette „générosité” éditoriale: la censure était, pour l’essentiel, la protectrice du discours nationaliste porteur, dans sa vision, d’un courant officiel.

Les revues et cénacles littéraires furent bien moins perméables. En feuilletant la collection de România literaræ, par exemple, on s’aperçoit que la présence des coryphées du discours nationaliste est réduite à la portion congrue. Encore est°elle due, il est permis de le penser, aux pressions officielles qui se refusaient à admettre que „le métier” était en train de se scinder en groupes d’influence. Les revues de province, à tirages plutôt modestes – Viafla româneascæ, Steaua, Ramuri ou Tribuna firent un accueil assez peu enthousiaste à ce genre de littérature.

Il y eut, enfin, des publications parfaitement opaques au discours nationaliste, immunes aux pressions et immixtions: Secolul 20.

Il en va de même pour la critique littéraire. L’activité de ses principaux représentants durant la décennie 1980–1990 (Nicolae Manolescu, Eugen Simion, Valeriu Cristea, Lucian Raicu, Gabriel Dimisianu, Mircea Martin, Mircea Zaciu, Ovid S. Crohmælniceanu), fait apparaître non seulement leur opposition à la fausse littérature des nationalistes mais aussi une coalisation progressive de la critique littéraire face à cette nouvelle imposture. Même les critiques plus portés sur le côté moral de la littérature, comme Valeriu Cristea, ont résisté activement à l’offensive de la „phalange” nationaliste; même s’il se sentait le devoir moral

(5)

de se pencher, de temps à autre, sur la production des „pauvres” et des humbles de la littérature, Valeriu Cristea n’a jamais fait la moindre concession à cette fausse littérature ce qui lui a valu les pires injures de la part de l’hebdomadaire Sæptæmâna...

L’Union des Ecrivains, enfin, malgré l’immixtion complice du pouvoir sort indemne des tentatives d’accaparation. La nommination de Dumitru Radu Popescu à la présidence de l’Union, en 1981, n’ouvre pas davantage au groupe nationaliste la voie aux commandes.

Impuissants devant le critère démocratique du vote qui leur interdit les postes de direction convoités, ils demandent à Ceauøescu de les rencontrer: ce sera la célèbre „audience des 22”.

Véritable tentative de putsch dans laquelle se sont laissé entraîner quelques écrivains respectables (à qui l’on avait caché les circonstances et le but de l’audience), cette rencontre avec Ceauøescu n’eut pour résultat ni le limogeage de la direction de l’Union ni la disparition de cette dernière remplacée, comme certains des „conspirateurs” l’avaient demandé, par l’Union des Ecrivains Communistes. La décision de „suffoquer” l’Union par le sabotage des réunions du Conseil et la remise aux calendes grecques du Congrès exigé par le statut n’est pas le fait des démarches des protochronistes, elle est due à l’option démocratique qui gouvernait la vie de la corporation et qui contrariait de plus en plus souvent „la ligne du parti”. Les écrivains nationalistes ont échoué à obtenir la légitimation littéraire à travers la légitimation sociale (que leur aurait apporté la mainmise sur la corporation des écrivains).

La fausse légitimation. Fabrication des propres institutions de légitimation Déboutés de leurs aspirations par le refus intraitable quand ce n’était pas par la résistance active des principales institutions de légitimation, les représentants du courant nationaliste contre°attaquent. Plus exactement, ils créent leurs propres institutions de légitimation qu’ils dotent, en les copiant, des procédures et instruments des institutions authentiques. Ils tentent d’invalider les verdicts de celles°ci en quêmandant l’aide soit du pouvoir politique soit de la masse des lecteurs. La simple énumération de leurs procédés parle d’une battaille pour le pouvoir où le triomphe d’une idée littéraire n’était même pas pris en compte. Les maisons d’édition leur étant – plus ou moins – acquises, ils ont concentré leurs efforts sur la création d’un milieu journalistique favorable.La revue Sæptæmâna était dirigée depuis 1972 par Eugen Barbu7. Je m’empresse de préciser que l’activité de cette publication connaît deux étapes: de 1972 à 1976, quand Barbu n’avait pas coupé tous les ponts avec les adeptes d’une littérature authentique (à laquelle lui même appartenait de droit) et quand la revue alignait signatures fréquentables et textes honorables. A partir de 1977, les signatures honorables s’évanouissent l’une après l’autre etSæptæmâna devient une espèce de „police littéraire”. De là à se rallier aux campagnes protochronistes et à soutenir le groupe nationaliste (Dan Zamfirescu, Mihai Ungheanu, Ion Læncrænjan, Paul Anghel, Nicolae Dragoø, Nicolae Dan Fruntelatæ, Pompiliu Marcea, Alexandru Oprea, Corneliu Vadim Tudor ø.a.) il n’y avait qu’un pas à franchir.

Malheureusement, le cas de la revue Sæptæmâna n’est pas isolée. Après des débuts prometteurs, la revue Luceafærul, publication de l’Union des Ecrivains qui, vers la fin de la décennie stalinienne, avait encouragé une littérature anti°dogmatique à laquelle la génération des années ’60 apportait un nouveau souffle commence à affirmer avec force un alignement

(6)

inquiétant sur la ligne de la politique officielle avec l’installation de Nicolae Dragos au poste de rédacteur en chef en 19748. Lorsque, six ans plus tard (en 1980)9, ce poste est occupé par Nicolae Dan Fruntelatæ, malgré l’opposition de l’éditeur de la revue qui était toujours l’Union des Ecrivains, Luceafærul devient ouvertement l’organe officieux des protochronistes surtout que Mihai Ungheanu, le véritable idéologue de la publication et du groupe des protochronistes est nommé rédacteur en chef adjoint. Cette mainmise sur la revue Luceafærulest une preuve de plus, dont l’ignominie n’est plus à démontrer, que les protochronistes ne jouent pas franc jeu. Ils s’en sont saisi en usant d’un facteur extérieur au monde littéraire et aux règles démocratiques de la corporation, à savoir le pouvoir politique. Leur épreuve de force est aussi une preuve de faiblesse car cette opération rend évidente leur complicité avec la propagande et l’illégitimité littéraire de leur démarche.

Les quotidiens et les périodiques, la presse locale surtout ont fait les frais de cette offensive.

Les publications – périodiques ou aléatoires – éditées par les Conseils Départementaux de la Culture et de l’Education Socialiste sont devenues des tribunes du protochronisme et des protochronistes, des nationalistes tout court. Même si, il va sans dire, elles ne jouent aucun rôle pour ce qui est d’établir les hiérarchies littéraires courantes elles n’en ont pas moins légitimé, dans une certaine zone littéraire et partiellement, des pseudo°écrivains qu’elles ont fait passer pour des écrivains ce qui, dans les rangs d’un certain public, semait la confusion quant à la solidité des verdicts issus des institutions de légitimation. Cette tentative de mystification est d’autant plus grave que ce genre de procédés et d’instruments de légitimation frauduleuse ont connu une véritable resurgence après 1989 avec, pour résultat, l’apparition de nouvelle cohortes d’„écrivains” et, plus récemment, de „savants” et „universitaires”.

Cette opération qui visait à miner la presse littéraire authentique par l’invention d’une presse parallèle devait culminer par la naissance de la revue Cântarea României laquelle, vers la fin de la décennie briguait la position de revue littéraire officielle du régime. Heureusement, confiée à un critique littéraire en manque de talent et crédibilité (Aureliu Gociu) et livrée à des écrivailleurs du même acabit, elle a toujours fait piètre figure. En dépit du soutien officiel, Cântarea României n’est jamais parvenue à se frayer une place honorable et, encore moins, à concurrencer les revues créditées du pouvoir de légitimer.

Les prix littéraires, fournirent un autre moyen de légitimation, très habilement manié. Le groupe nationaliste, pour qui les prix de l’Union des Ecrivains et de l’Académie Roumaine restaient des mirages inaccessibles mais qui avait pris toute la mesure de l’impact de cette institution sur l’opinion publique se met à créer ses propres prix. Dans les années 1980–1990, du fait du culte de la personnalité des coupes sévères avaient été pratiquées dans le nombre des prix et des institutions qui les accordait; leur valeur de légitimation n’en était que plus remarquable, beaucop plus qu’aujourd’hui quand nous voyons arriver une véritable déferlante de prix littéraires (à mon avis, la sociologie littéraire aurait intérêt à y regarder de plus près).

Les prix décernés par Sæptæmâna et Luceafærul ont donc participé à la tentative de légitimation de ce pseudo°courant littéraire. Les prix de Sæptæmâna, surtout, ont assez largement contribué à asseoir le statut public des écrivains nationalistes car, grâce à l’habileté d’Eugen Barbu et à un passé relativement honorable de son journal, le prix en question était allé à pas mal de célébrités de la culture nationale et non seulement10. L’astuce d’Eugen Barbu consistait

(7)

à „glisser”, bout d’une liste sur laquelle figuraient George Emil Palade, Nichita Stænescu et Olga Tudorache, Untel Machin, pseudo°écrivain de son groupuscule nationaliste dont la légitimation phagocytait celle de valeurs authentiques, complices à leur insu de cette malversation. Si un scepticisme persiste encore quant à l’efficacité de la légitimation due à ce prix, le trajet post°révolutionnaire de certains des lauréats de la revue Sæptæmânasuffirait à le dissiper.

Comme la littérature des nationalistes, loin d’être une littérature authentique, n’était à vrai dire qu’un appendice (assez indigeste) de la propagande officielle, ses tenants ont échoué à créer, autour d’une publication ou d’une institution, un cénacle. Le cénacle est, par définition, une institution démocratique. Même au plus fort des régimes totalitaires, il prêta une voix aux espaces littéraires les plus libres. La critique ouverte et l’expression franche de l’opinion personnelle sont ses raisons d’être. Or, amener dans une telle enceinte les tristes specimens de littérature néo°sæmænætoriste concoctés par Petre Ghelmez ou Ion Potopin c’était s’exposer au ridicule le plus complet. Remarquablement, les tentatives de créer, après 1989, un cénacle littéraire nationaliste autour de la revue România Mare ont échoué quel que fût le climat de relativisme (pour ne pas dire de chaos) axiologique qui s’est installé après cette date.

Preuve que, par sa nature, le cénacle est une institution de légitimation moins sensible à la fraude vu, nous le disions, son caractère démocratique. Dès lors, on ne peut que se réjouir du succès que connurent, nonobstant le totalitarisme régnant, les cénacles „Junimea” qui consacra la génération „des ’80”et „Univeristas” où se sont formés „les ’90”.

Stratégies communistes et stratégies „de marché”

Nous avons eu ci°dessus un échantillon flagrant de complicité du groupe nationaliste avec le pouvoir communiste. Une complicité ininterrompue car l’échec de l’entreprise intitulée

„humanisme socialiste” qui fut suivie d’un vide programmatique oblige la propagande officielle à soutenir le groupe en question. Lequel, pourtant, a plus d’une flèche à son arc: au besoin, il ne méprise pas les méthodes „capitalistes” et va jusqu’à mimer la dissidence. Une preuve de plus que la battaille n’a rien à voir avec la littérature, qu’elle ne cherche pas à accréditer un courant littéraire. C’est une lutte pour le pouvoir dont l’enjeu était d’anéantir le système de légitimation, autonome de la littérature.

Outre la jonction qu’il opère entre la littérature et la propagande, le groupe nationaliste use de méthodes staliniennes bien connues: 1. érosion de la presse indépendante par la création de publications „alternatives” et détournement d’autres (c’était déjà arrivé entre 1945 et 1948);

2. tentative, échouée cette fois°ci – de destabilisation de l’organisation du „métier” et son remplacement par une organisation parallèle, asservie au niveau politique (c’était arrivé en 1949 lorsque la Société des Ecrivains Roumains avait été dissoute pour être remplacée par l’Union des Ecrivains créée sur le modèle d’une Union des Ecrvains et des Journalistes, affiliée au Parti Communiste Roumain) et 3. immixtion du pouvoir politique communiste dans des décisions de nature littéraire.

Les protochronistes ont puisé dans l’arsenal de l’économie de marché. Devant le refus ferme du public spécialisé – la critique littéraire en premier lieu – ils se sont tournés vers un arbitre à l’impartialité le plus souvent douteuse: la masse des lecteurs.

(8)

Eugen Barbu – qui peut fournir une excellente étude de cas bien qu’il soit un écrivain authentique – a imprimé à la revue Sæptæmânaun caractère sensationnel qui descendait en droite ligne du journalisme de scandale de l’entre°deux°guerres. Ce tabloïde socialiste tirait à 250.000 exemplaires, chiffre stupéfiant, qui était six fois le tirage de România literaræ. Eugen Barbu fait mieux: il exploite la soif de lecture et de sensationnel d’un public sans éducation à qui il jette en pâture les almanachs qui, dans les dernières années du régime communiste, atteindront une immense popularité. L’almanach Sæptæmâna, de triste mémoire, n’était surpassé que par l’almanachFlacæra.

Le groupe nationaliste et Eugen Barbu commencent à gagner des parts importantes sur le territoire de la littérature de consommation. Pendant la dernière décennie du communisme, Eugen Barbu enchaîne les scénarios des films de cape et d’épée11, ce qui lui vaut une notoriété considérable et une fortune qui n’est pas en reste.

La chronique de sport ouvre une autre porte sur la légitimation par le public friand des produits littéraires de consommation. Les coryphées de la littérature nationaliste se ruent sur ce filon que des écrivains réputés avaient illustré brillamment pendant la décennie précédante:

les fans de telle ou telle équipe retrouvaient régulièrement les noms de Eugen Barbu, Corneliu Vadim Tudor ou Dan Claudiu Tænæsescu dans toutes les publications sportives, depuis les quotidiens ou hebdomadaires et jusqu’aux ephémères programmes de match de foot.

Dans ce paysage littéraire, Adrian Pæunescu fait, en un sens, figure à part. Crédité comme un représentant authentique de la génération ’60, il ne se joindra jamais officiellement au groupe nationaliste. Il n’a jamais eu de chroniques favorables dans le Luceafærul des années ’80 et, après sa mise à l’écart (partielle) de 1985, le groupe nationaliste qui observait strictement les consignes de la censure va le bannir des pages de sa publication.

Et pourtant, dès son volume de vers Istoria unei secunde12(L’Histoire d’une seconde) qui ira au pilon pour des raisons qui, aujourd’hui, semblent obscures, Pæunescu sera un adepte de la littérature nationaliste en littérature – comme poète et comme journaliste, dans la presse écrite, à la radio, à la télévision. Il fut, également, un précurseur du festival Cântarea României. L’idée des émissions télévisées auxquelles il avait donné le nom de „L’antenne est à vous” lui appartient: il s’en servit pour prôner le retour à la culture de masse alors que la culture des élites retrouvait difficilement son souffle après l’étouffante décennie stalienienne.

Adrian Pæunescu est un champion incontestable de la fraude commise sur la légitimation par le recours à la ferveur populaire. Sa renommée de „grand poète” (tous les sondages d’opinion post–1989 le donnent comme tel), ce n’est pas dans les bibliothèques ou à la table de travail qu’il l’a gagnée mais sur les stades. Il a fraudé jusqu’au concept de cénacle dont le propre est justement l’exercice libre de l’esprit critique. Après 1977, le cénacle Flacæra était devenu une espèce de manifestation populaire qui donnait aux milliers de fans massés sur les stades l’illusion de communiquer, par de notes écrites, avec les artistes et, surtout, les pseudo°artistes qui se succédaient sur la scène. Peu soucieux de subtilités, avide de pouvoir et non seulement littéraire, Pæunescu a forcé le verdict de la critique par la pression des masses dans la bonne tradition trotskiste. Les énormes tirages que connurent ses livres durant la dernière décennie communiste auraient dû lui mettre la puce à l’oreille: la grande poésie, c’est connu, est rarement une poésie de succès... D’ailleurs, à mesure que sa stature d’idole du public peu

(9)

cultivé gagnait en hauteur, la valeur de sa poésie au yeux du public spécialisé baissait jusqu’au niveau de la dégringolade actuelle quand même les critiques les plus bienveillants hésitent à s’occuper des derniers volumes de Adrian Pæunescu.

Parasites de la dissidence

Mais la pire turpitude, moralement parlant, imaginée par le groupe nationaliste dans le but de s’auto°légitimer, fut de parasiter la dissidence. Pour rompre le pacte tacite qui s’était installé entre le groupe esthétique de Bucarest et les voix de premier plan de l’exil et de la dissidence roumaine (Monica Lovinescu, Virgil Ierunca, Paul Goma, Dumitru fiepeneag), le groupe nationaliste a entrepris de feindre une résistance au régime communiste et de courtiser l’exil.

En fait, l’opposition qu’il disait récupérer était l’extrême droite de l’entre°deux°guerres et un exil représenté par Pamfil Øeicaru et Josif Constantin Drægan et, à commencer par 1988, par Marian Popa, qui avait rejoint l’équipe de Sæptæmâna en dépit de sa réputation de comparatiste et d’éminent exégète du comique.

Ces tortueuses démarches n’ont pas abouti13, car la légitimation du groupe nationaliste n’est jamais allée au°delà d’un niveau superficiel et d’un public d’amateurs. Mais pour la plupart des membres du groupe cela n’avait aucune importance. Ce qui comptait c’était que, en plein régime totalitaire, un groupe d’écrivains, d’une valeur en général douteuse, avait réussi à se bâtir un véritable fief, loin des jugements axiologiques de la critique, en dehors du circuit littéraire normal. Pour certains marginaux du groupe, le simple fait d’avoir été proclamés écrivains par un certain segment du public était plus qu’ils ne pouvaient espérer. Pour d’autres, l’appartenance à ce groupe et à ses formes de manifestation était la seule chance de s’affirmer.

Enfin, des écrivains comme Eugen Barbu et Mihai Ungheanu prenaient ainsi leur revanche sur les défaites qu’ils avaient essayées dans les battailles littéraires de la décennie précédante.

En guise d’épilogue

La question de la fraude de la légitimation imputable au groupe nationaliste présente un intérêt qui va au°delà du simple niveau historique°littéraire, théorique ou sociologique. Pour deux raisons: 1. un certain nombre de procédés mis en oeuvre par l’opération de la fausse légitimation ne sont pas spécifiques à la littérature sous les régimes totalitaires, ils peuvent parfaitement resservir dans une société démocratique et 2. nous sommes témoins de toute une série de conséquences post°révolutionnaires de cette opération qui s’est déroulée au cours de la dernière décennie communiste. Prenons l’exemple des institutions à fonction de légitimation:

l’apparition pléthorique d’institutions parallèles les couvre aujourd’hui d’un parfait discrédit.

Il y a des maisons d’édition parallèles à celles authentiques qui publient des écrivains qui défient toute exigence littéraire, il y a les revues „alternatives” et même, à un moment donné, on a essayé de créer une alternative à l’Union des Ecrivains (je ne parle pas de l’ASPRO). Le public moyen et la popularité obtenue par voie médiatique sont mise largement à contribution pour fonder une légitimité littéraire. Une partie des réputations frauduleuses, dues au piratage des institutions à fonction de légitimation dans la décennie 1980–1990 ont été converties, après

(10)

la Révolution de ’89 en capital d’une nature différente. Quelques°uns des membres du groupe nationaliste doivent à leur réputation d’écrivains d’avoir été sacrés hommes politiques (Corneliu Vadim Tudor, Eugen Barbu, Radu Theodoru, Mihai Ungheanu etc). D’autres se sont improvisés professeurs dans les récentes universités privées (Valeriu Râpeanu etc.). Dans un certain sens, nous n’avons toujours pas brisé les cadres qui nous furent fixés dans la décennie 1980–1990. Et cela, je le trouve absurde.

N

OTES

1 Eugen Negrici, Literatura românæ sub comunism. Proza(La littérature roumaine sous le communisme. La prose, Editions Fundafliei PRO, Bucarest, 2002, p. 45;

2 ***, Les atouts révolutionnaires de l’humanisme socialiste , in Lupta de clasæ(Lutte de classe), nr. 2/ 1967;

3 Voir les éloquentes interventions de Pompiliu Marcea et, respectivement, Mihai Ungheanu lors des deux débats sur le protochronisme organisés par la revue Luceafærul. Voir Mihai Ungheanu, Exactitatea admirafliei (L’exactitude de l’admiration), Editions Cartea Româneascæ, Bucarest, 1985, pp. 387–476;

4 Ion Gheorghe, Dacia Fëniks, Editions Cartea Româneascæ, Bucarest, 1978;

5 Mihail Diaconescu, Marele cântec (La grande chanson), Editions Musicales, Bucarest, 1987; Depærtarea øi timpul (L’éloignement et le temps), Editions Litera Internaflional, Bucarest, Chiøinæu, 2004;

6 Ion Hangiu, Dicflionar al presei literare româneøti (Dictionnaire de la presse littéraire roumaine), Editions Øtiinflificæ øi Enciclopedicæ, Bucarest, 1982, p. 386;

7 Ibidem, p. 195;

8 Idem.

9 Une liste de ces prix dans l’almanach Sæptæmâna(La Semaine) pour 1986 (les pages ne sont pas numérotées);

10 La carrière cinématographique de l’écrivain rassemble 25 de scénarios dont la chronologie établie par Mihai Ungheanu pour l’édition Oeuvres, la Fondation Nationale pour la Science et l’Art, Editions Univers Enciclopedic, coll. „Oeuvres fondamentales”, Bucarest, 2006, n’en retient que quelques°uns;

11 Adrian Pæunescu, Istoria unei secunde (L’histoire d’une seconde), Editions Cartea Româneascæ, Bucarest, 1971;

12 Cf. les appréciations sur les membres de ce groupe dans deux histoires littéraires récentes: Dumitru Micu, Istoria literaturii române, de la creaflia popularæ la postmodernism (Histoire de la littérature roumaine, depuis la création populaire jusqu’au postmodernisme), Editions Saeculum I.O, Bucarest, 2000, respectivement Alex. Øtefænescu, Istoria literaturii române (Histoire de la littérature roumaine. 1941–2000, Editions Maøina de Scris, Bucarest, 2006.

Université de Bucarest

Références

Documents relatifs

Ensuite, dans les deux chapitres suivants, nous aborderons plus en détail la situation de la gestion des ressources humaines au sein des institutions du secteur public en France et

Cette phrase montre que Solvay prend appui sur son référentiel de compétences dans son nouvel accord de GPEC pour saisir les différentes sources de compétences : lors de la

Exprimer la constante de raideur k du ressort modélisant la suspension du haut-parleur en fonction de la fréquence propre f 0 de l’équipage mobile.. L’équipage mobile du

Le registre épique vise à impressionner le lecteur, à provoquer son admiration pour les exploits, parfois merveilleux, toujours extraordinaires, d’un héros individuel ou

On peut donc calculer un produit scalaire uniquement à partir des distances. T.Pautrel - cours: produits scalaires dans le plan - niveau

ﺩﻋ لﻘﻨ ﺩﻗ ﻲﺴﻝﺩﻨﻷﺍ ﻥﺎﻴﺤ ﺎﺒﺃ ﺩﺠﻨ لﺎﺜﻤﻝﺍ ﺭﻴﺴﻔﺘﻝﺍ ﻲﻓ ﻁﻴﺤﻤﻝﺍ ﺭﺤﺒﻝﺍ ﻪﺒﺎﺘﻜ ﻲﻓ ﻪﻴﻭﻝﺎﺨ ﻥﺒﺍ ﻥﻋ ﺀﺍﺭﺁ ﺓ.

نــﻋ ثﻴدــﺤﻝا ﻰــﻝإ ﺎــﻤﺘﺤ ﻲــﻀﻔﻴ ﺎــﻤ وــﻫو ،بوــﺘﻜﻤو قوــطﻨﻤ وــﻫ ﺎــﻤ لوﻘﻝﺎــﺒ دــﺼﻘﻨو ،ﻩدﺎــﻘﺘﻋا لــﻴﻠﺤﺘ مــﺜ ﻪــﻝوﻗ لــﻴﻠﺤﺘ نــﻤ ةرـﻜﻓ لوـﺤ

Dès lors, l’histoire ne s’arrête plus à la lutte de libération nationale, à la prise de conscience militante qui suit le rite et les séquences où le