• Aucun résultat trouvé

Le principe d'égalité de traitement en droit privé romain ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le principe d'égalité de traitement en droit privé romain ?"

Copied!
24
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Le principe d'égalité de traitement en droit privé romain ?

AVRAMOV, Philippe

AVRAMOV, Philippe. Le principe d'égalité de traitement en droit privé romain ? In: Rashid Bahar et Rita Trigo Trindade. L'égalité de traitement dans l'ordre juridique : fondements et perspectives . Genève : Schulthess éditions romandes, 2013. p. 55-77

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:151045

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

L E PRINCIPE D ’ EGALITE DE TRAITEMENT EN DROIT PRIVE ROMAIN ?

Par

P HILIPPE A VRAMOV

MLaw, assistant à l’Université de Genève

Introduction 55

I. La civilisation romaine 57

II. L’égalité de traitement dans la loi 62

III. L’égalité de traitement devant la loi 68

Conclusion 72

Bibliographie 75

Introduction

Il est de nos jours incontestable que depuis la Constitution fédérale suisse de 1848, le principe d’égalité de traitement revêt une importance fondamentale au sein de toute société démocratique

1

. Ce principe demeure « une aspiration juridique »

2

pour le législateur suisse qui sut l’utiliser comme tremplin pour la création de droits fondamentaux tels que l’interdiction de l’arbitraire

3

, le droit d’être entendu

4

et l’assistance juridique gratuite

5

. Par ailleurs, ce même principe d’égalité fut la

1 Art. 4 aCst. : « Tous les hommes sont égaux devant la loi. Il n’y a en Suisse ni sujets, ni privilèges de lieu, de naissance, de personnes ou de familles. » ; l’actuel art. 8 al. 1 Cst. (RS 101) est énoncé de manière très générale, visant la reconnaissance de l’égalité de traitement sur le territoire suisse à tout être humain, qu’il soit Suisse, apatride ou étranger ; en ce sens, voir 129 I 392, 397A ; pour une discussion autour de ces deux articles, voir Andreas AUER/GIORGIO MALINVERNI/MICHEL HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse. Vol. II : Les droits fondamentaux, 2e éd., Berne 2006, p. 477 ss.

2 ANDREAS AUER/GIORIGIO MALINVERNI/MICHEL HOTTELIER (note 1), p. 478.

3 Art. 9 Cst.

4 Art. 29 al. 2 Cst.

5 Art. 29 al. 3 Cst.

(3)

source

6

génératrice de certaines conventions internationales, aujourd’hui ratifiées par la Suisse, permettant de lutter contre diverses formes de discrimination

7

. En effet, dans la conception juridique moderne, le principe d’égalité de traitement renforce l’idéal de justice – aspiration législative et prétorienne à travers les siècles. Cet idéal de justice était également du goût des juristes et politiciens à l’époque de la Rome antique. Or, il serait intéressant de se demander si, en droit privé romain, l’égalité de traitement était un principe connu durant l’antiquité romaine et appliqué de la même manière qu’aujourd’hui, dans un but d’idéal de justice. Cette question peut paraître de prime abord surprenante, tant la société romaine était en elle-même hétérogène, composée de diverses classes sociales et ethnies

8

n’ayant pas toutes accès à la justice. De même, la longue liste des despotes qui se sont succédés jusqu’à la chute de Constantinople en 1453 offre l’image d’une notion de justice qui peut sembler pour le moins fictive. Tout au long de l’histoire de Rome, s’étalant sur plus d’un millénaire et demi depuis sa fondation

9

, les divers gouvernements d’Etat qui se sont succédés aspiraient cependant à la création ou au maintien d’un ordre juridique stable. Seul ce dernier était apte à leur offrir l’équilibre entre le gouvernement et l’ordre civil.

Dans notre analyse, il ne faudra pas oublier que la science juridique romaine fut le langage commun de tous les juristes d’Europe jusqu’au XIX

e

siècle et permit l’avènement des codes civils nationaux. On doit encore au droit romain l’invention de termes et de notions aujourd’hui codifiés, tels que la propriété, les successions, les contrats, le mandat ou le droit des sociétés. Aussi, il ne serait pas surprenant de découvrir les balbutiements archaïques de l’égalité de traitement dans les fragments du Digeste de Justinien. Pour ce faire, il siéra tout d’abord d’esquisser un bref contour socio-juridique de la société romaine (I.). Puis, il nous faudra rechercher dans les sources romaines primaires la première composante de l’égalité de traitement : l’égalité dans la loi (II.). Enfin, il conviendra de nous pencher sur la procédure civile romaine pour découvrir la seconde composante de l’égalité de traitement, à savoir l’égalité devant la loi (III.). C’est ainsi que devraient transparaître les notions de justice et d’équité telles que perçues jadis par les jurisconsultes à Rome.

6 Pacte international du 16.12.1966 relatif aux droits civils et politiques (RS 0.103.2), voir notamment les art. 23 al. 4, 24 al. 1 et 25.

7 Conventions directement invocables devant le Tribunal fédéral (ATF 123 IV 202, 205 ; ATF 123 I 19, 23; ATF 123 I 21, 34) : Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21.12.1965 (RS 0.104) et Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18.12.1979 (RS 0.108).

8 MICHEL VILLEY, Le droit romain, 9e éd., Paris 1993, p. 15-16 : « Rome fut fondée par la réunion de tribus, agrégats de différentes familles qui se soumettent à la discipline commune mais n’abdiqueront pas toutes leurs libertés sur l’autel de l’Etat, et n’ont pas renoncé à leurs biens. »

9 JEAN IMBERT, Le droit archaïque, 4e éd., Paris 1994, p. 52 ; PAUL FIETTA, Etude des origines de la théorie classique des actions en droit romain, thèse, Nancy 1888, p. 1, où l’on date la fondation de Rome en 753 av. J.-C. ; PIERRE GRIMAL, La vie à Rome dans l’Antiquité, Paris 1972, p. 5 ; JEAN IMBERT (note 9), p. 8, date la fondation de Rome en 754 av. J.-C.

(4)

I. La civilisation romaine

Depuis sa fondation, la civilisation romaine passa par divers régimes politiques : la Royauté dès le VIII

e

siècle av. J.-C.

10

, la République à partir de 509 av. J.-C.

11

, l’Empire dès 27 av. J.-C., date de l’attribution du titre d’Auguste à Octave

12

. La ville de Rome, à l’origine (c.-à-d. au VIII

e

siècle av. J.-C.

13

) petite colonie latine formée de quelques centaines d’habitants seulement, prit son envol pour devenir la

« capitale unique d’un monde civilisé »

14

et d’un immense Empire à partir de 27 av. J.-C.

15

.

Toutefois, la Rome cultivée, qui rayonnait tant sur le plan militaire qu’artistique, était composée à l’origine par un peuple rural, soucieux de sa conservation

16

. Durant la période archaïque, les étrangers résidant à Rome ne pouvaient jouir de procédures juridiques, car celles-ci étaient réservées aux seuls Romains. Les étrangers ne pouvaient bénéficier de droits et d’obligations qu’à l’intérieur de leur cité d’origine

17

.

En effet, durant la période de la Royauté (entre le VIII

e

et le V

e

siècle av. J.-C.), le droit de cité ne s’accordait qu’aux hommes libres – « un droit propre aux citoyens romains »

18

. Cette citoyenneté était alors quasiment assimilée à un « titre de noblesse, preuve de l’orgueil des Romains »

19

. L’hostilité de ce petit royaume fut décrite par P

OMPONIUS

qui précisa que le peuple agissait sans loi, « gouverné par

10 JEAN IMBERT (note 9), p. 53 ; PAUL F.GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, 4e éd., Paris 1906, p. 9-19 ; RENÉ ROBAYE, Le droit romain, Bruxelles/Louvain-la-Neuve 1996, p.

14.

11 JEAN IMBERT (note 9), p. 59 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 19-47 ; RENÉ ROBAYE, (note 10), p. 14.

12 JEAN IMBERT (note 9), p. 66 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 47-90 ; RENÉ ROBAYE, (note 10), p. 14.

13 PIERRE GRIMAL (note 9), p. 5 ; JEAN IMBERT (note 9), p. 12 : « La ville de Rome est un centre politique et commercial, où, pendant très longtemps, les citoyens de rang élevé n’auront guère de demeure permanente. La vie quotidienne se déroule sur les terres des alentours, et c’est dans leur ferme que l’on va chercher les magistrats élus par les Comices ; c’est en cultivant leurs champs que les jeunes Romains acquièrent l’endurance dont ils font preuve au combat. Et, jusqu’à la fin, maint détail des mœurs restera marqué et ne s’expliquera que par ces origines paysannes. »

14 PIERRE GRIMAL (note 9), p. 5 ; JEAN IMBERT (note 9), p. 5.

15 JEAN IMBERT (note 9), p. 52 ss.

16 Voir notamment ADRIAN N.SHERWIN-WHITE, Roman Citizenship, Oxford 1939 (revised 1973) ; WILLIAM SESTON, La citoyenneté romaine, in : XIIIe Congrès international des sciences historiques (Moscou, 16-23 août 1970), éditions Naouka – « Hayka » (Nauka), Moscou 1970 ; à propos de l’hostilité envers les étrangers dans la Rome archaïque, voir JEAN GAUDEMET, Le droit privé romain, Paris 1974, p. 52-53.

17 MICHEL VILLEY (note 8), p. 52-53.

18 GAIUS, Institutes, Paris 2003, 1.55 ; JEAN GAUDEMET (note 16), p. 52.

19 JEAN GAUDEMET (note 16), p. 53-54, où l’auteur relève le caractère émérite de la citoyenneté pouvant mener à la guerre civile, à l’exemple de la Lex Licinia (Ier siècle apr. J.- C.) qui restreignait le droit de cité pour les Latins (italiens).

(5)

la main toute puissante des rois »

20

. C’était la période de « règne du droit sacré »

21

. Le royaume de Rome était un monde primitif qui appliquait des coutumes ancestrales, des prescriptions protectrices mélangées à des rites sacraux

22

. Ce cloisonnement tant juridique qu’intellectuel produisait des résultats arbitraires : chaque homme voyait son statut examiné en fonction de sa condition ou non d’homme libre et de citoyen. Ce n’est qu’à travers ces deux conditions réunies qu’il pouvait accéder à la justice (ester en justice), bien que tant les règles coutumières que les leges regiae

23

s’appliquaient à l’ensemble des individus vivant à l’intérieur des remparts de Rome. L’inégalité entre les hommes était de fait à la base de la vie quotidienne durant toute la période royale et même républicaine. Il faut en effet attendre la fin de la République et le début de la période de l’Empire pour assister au désintérêt politique et social concernant la citoyenneté romaine. La monarchie administrative d’Hadrien et l’Empire militaire des Sévères renforcèrent la centralisation, ce qui affaiblit le pouvoir des gouverneurs de provinces. A partir de l’Empire, le peuple romain fut formé par un immense brassage ethnique, où la distinction entre Latins et pérégrins devint rapidement futile

24

.

Par ailleurs, l’esclavage était banalisé au sein de cette communauté agraire. G

AIUS

écrit que les êtres humains se répartissent en deux catégories d’hommes : les libres et les esclaves

25

. Généralement, autour d’un propriétaire terrien, vivaient quelques esclaves. Le plus souvent c’étaient des prisonniers de conquêtes

26

. Toutefois, il

20 POMPONIUS, D.1.2.2.1 : « primum agere instituit omniaque manu a regibus gubernabantur » ; PASCAL PICHONNAZ, Les fondements romains du droit privé, Genève/Zurich/Bâle 2008, p. 28.

21 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 28.

22 BRUNO SCHMIDLIN, Droit privé romain. Vol. 1 : Origines et sources, famille, biens, successions, Genève 2008, p. 17.

23 Pour une présentation des leges regiae, voir BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 15-17 ; WILLIAM W.BUCKLAND, A Manual of Roman Private Law, 3e éd., Aalen 1981, p. 1 :

« >leges regiae@ are all connected with religious observances and punishments ».

24 Voir l’Edit de Caracalla (IIIe siècle apr. J.-C.) qui offre la citoyenneté romaine à tous les pérégrins libres qui résidaient au sein de l’immense Empire ; JEAN GAUDEMET (note 16), p.

60 ; FERDINAND DE VISSCHER, L’expansion de la cité romaine et la diffusion du droit romain, in : Museum Helveticum, 1957/14, p. 164-167 ; voir également FERDINAND DE VISSCHER, La Constitution antonine et la dynastie des Sévères, in : RIDA 1961/8, (cité par JEAN GAUDEMET [note 16], p. 271 [note dans le texte 2]).

25 GAIUS (note 18), 1.9 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 145 ; WILLIAM W.BUCKLAND (note 23), p. 36 : « >@ every man is either a slave or a freeman : there is no intermediate status. » ; PIERRE GRIMAL (note 9 p. 18, où il précise que la tenue vestimentaire (la toge) était un signe distinctif entre les citoyens de naissance libre et les assujettis ; Pour une littérature romaine autour du concept d’esclave, voir notamment MARCEL MORABITO, Les réalités de l’esclavage d’après le Digeste, Paris 1981 ; HENRI WALLON, Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité, Paris 1988 ; WILLIAM W. BUCKLAND, The Roman Law of Slavery : The Condition of the Slave in Private Law from Augustus to Justinian, Cambridge 1970 ; OLIS ROBLEDA, Il diritto degli schiavi nell’antica Roma, Rome 1976.

26 PIERRE GRIMAL (note 9), p. 18 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 144 ; pour l’acquisition par voie contractuelle d’un esclave, MARCEL MORABITO (note 25), p. 36-39, ainsi que HENRI WALLON (note 25), p. 459.

(6)

était très fréquent qu’un esprit paternaliste entoure les esclaves

27

. Ainsi, bien que les esclaves fussent considérés comme une source de richesse et une main d’œuvre extrêmement précieuse, l’esprit protecteur de leur maître ne suffisait pas pour donner raison à un sentiment de justice et d’égalité de traitement entre humains

28

:

« L’absence de toute indépendance chez les membres de la famille >agnatique@

soumis à la toute-puissance du père est le propre d’une civilisation très primitive, où l’individu ne jouit pas encore en tant que tel, de libertés. »

29

En effet, le droit civil (ius civile) ne pouvait en ce temps assimiler un homme, uniquement de par sa dignité d’être humain, à un individu bénéficiant de la capacité juridique

30

. En outre, des campagnes politiques menées sous l’Empire visaient à limiter le nombre d’affranchis (libertus), en définissant le cadre dans lequel l’acte d’affranchissement pouvait être commis et en restreignant les droits civils et politiques des anciens esclaves

31

. Cette couche sociale, en apparence donc libre, n’était au final guère assimilée de manière égale à celle des personnes dites sui iuris, mais formait une « ambiguïté sociale ». En effet, la condition des libertini était marquée par des inégalités tant politiques que privées

32

. En droit public, le libertinus était privé du droit de vote, ainsi que de la possibilité d’occuper des magistratures, de siéger au sénat et de servir dans les légions. Ces privations s’appliquaient également à ses descendants au premier degré

33

. En matière de droit privé, les libertini étaient « frappés d’une incapacité à se marier avec les ingénus qui fut restreinte au mariage avec les membres de l’ordre sénatorial »

34

et qui ne fut abolie que durant le règne de J

USTINIEN

. Mais ce qu’il convient surtout de relever est leur soumission à l’auteur de leur affranchissement. Ce dernier avait le titre de patronus

35

. Outre le respect que l’affranchi devait à son patronus et à ses

27 VARRO, Libri de re rustica, Paris 1543, 1.17 ; GAIUS (note 18), 1.53 ; SUÉTONE, Vies des Douze Césars, vol. II, Paris 1993, Claude, § 25 ; SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, tome II, livres V-VII, Paris, 1993, Lettre 47, § 1 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 147 ; PIERRE GRIMAL (note 9), p. 18 ; MICHÈLE DUCOS, Rome et le droit, Paris 1996, p. 34 ss.

28 BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 141 : « Bien que l’esclavage fût déjà ressenti dans la société antique comme une injustice, il ne fut jamais véritablement remis en question. »

29 MICHEL VILLEY (note 8), p. 18-19.

30 JUSTINIANUS, Les Institutes de l’Empereur Justinien, Metz/Paris 1806 (réimpr. 1979), 1.3.2. ; WILLIAM W.BUCKLAND (note 23), p. 36 : « Slavery is defined by Justinian as an institution of the ius gentium, by which, contrary to nature, one man is subject to the dominium of another (Inst. 1.3.2). By natural law all men were born free but slavery originated in war. » ; FLORENTINUS, D.1.5.4.1 : « Servitus est constitutio juris gentium, qua quis dominio alieno contra naturam subjicitur » ; MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 34 ss, relate un adoucissement progressif, notamment grâce à la philosophie (SÉNÈQUE) du mauvais traitement des esclaves, dès le début de l’Empire. Il renvoie à la lex Petronia qui empêche les maîtres d’envoyer leur esclave aux jeux.

31 Lex Fifia Caninia (IIe siècle av. J.-C.), restreignant les affranchissements testamentaires proportionnellement au nombre d’esclaves possédés ; Lex Aelia Sentia (IVe siècle apr. J.-C.), limite les affranchissements par compassion ; MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 42 ; PAUL F.

GIRARD (note 10), p. 119-120 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 26, 150.

32 MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 43-44 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 121 ss.

33 PAUL F.GIRARD (note 10), p. 121.

34 PAUL F.GIRARD (note 10), p. 121.

35 Pour le droit de patronage, voir D. 37.14.

(7)

descendants, il ne pouvait actionner celui-ci qu’avec l’autorisation d’un magistrat

36

. Il existait également une obligation d’assistance mutuelle entre l’affranchi et son ancien maître. Ce devoir était qualifié de moral mais avait la capacité de se transformer en obligation d’exécution à travers une promesse expresse

37

.

En outre, il convient de relever que dans la civilisation romaine antique, l’égalité de traitement stricto sensu entre les hommes et les femmes n’était pas de mise.

Dans une société et une culture essentiellement agricoles, la famille était garante de la protection des êtres la composant. Seul le chef de famille était considéré comme un sujet de droit autonome, autrement dit sui iuris

38

. Cette organisation de la cellule familiale sous un angle purement patriarcal

39

ne laissait que peu de place au statut de la femme

40

. La loi

41

la considère comme « un être mineur, passant de la puissance paternelle à la puissance maritale, puis, si elle devient veuve, à celle de son fils aîné, [qui] est censée vivre une vie de dévouement, d’obéissance et de travail »

42

. En somme, sur un plan strictement juridique, le statut de la femme dans l’ancienne famille agnatique était assimilé à celui d’une fille de famille

43

. Toutefois, aux côtés de la forme archaïque du mariage cum manu

44

où la femme était totalement assujettie à son époux, une autre forme de mariage certifiant le

36 S’agissant du respect dû aux parents et aux patrons, voir D. 37.15 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 121.

37 Pour les services dus par les affranchis aux patrons, voir D. 38.1 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 121-122.

38 BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 110-111.

39 PLUTARQUE, La vie de Caton le Censeur, in : BUREAU DES EDITEURS, La vie des hommes illustres de Plutarque, Paris 1829, ch. XXIX, où l’on décrit le sentiment de respect et de piété envers le chef de famille ; CICERO, De Amicitia, 1.1, in : BARBOU (éd.), Les livres de Cicéron : de la vieillesse, de l’amitié, les paradoxes, Paris 1776, p. 103 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 117-118.

40 JEAN GAUDEMET, Le statut de la femme dans l’Empire romain, in : SOCIÉTÉ JEAN BODIN POUR L'HISTOIRE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS (éd.), La femme, (Recueils de la Société Jean Bodin, 11), Bruxelles 1959, p. 191 ss.

41 GAIUS (note 18), 1.111.

42 PIERRE GRIMAL (note 9), p. 23 ; RAYMOND MONIER, Manuel élémentaire de droit romain, vol. I, 6e éd., Paris 1947, p. 284.

43 RAYMOND MONIER (note 42), p. 284 ; Il faut cependant différencier la réalité sociale de ce statut juridique attribué à la femme. La structure familiale, bien que concentrée entre les mains du pater familias, la femme était considérée comme la vraie maîtresse de maison, où les habitants lui devaient respect et reconnaissance – ULPIANUS, D.1.9.8 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 131 : « Citons au moins les noms d’Aurelia, mère de César, d’Attia, mère d’Auguste, et de Livie, épouse d’Auguste, avec laquelle il a partagé sa vie en parfaite entente. D’ailleurs, Livie est la première à avoir porté le titre d’impératrice, d’Augusta, et à avoir exercé, comme la plupart de celles qui l’ont suivie, une influence considérable dans les affaires de la Cour et de l’Empire. »

44 GAIUS (note 18), 1.110-113 ; pour les conditions au mariage, voir GAIUS (note 18), 1. 63, PAULUS, D.23.2.2, D.23.2.22, D.23.2.68, POMPONIUS, D.32.2.4, ULPIANUS, D.35.1.15 ; EDUARDO VOLTERRA, La conception du mariage d’après les juristes romains, Padoue 1940, p. 4 ss, p. 35 (affectio maritalis) ; PERCY E.CORBETT, The Roman Law of Marriage, Aalen 1979, p. 112.

(8)

statut libre de la femme, le mariage sine manu, vit rapidement le jour

45

. Vers la fin de la République et durant la période de l’Empire, « nous assistons à un mouvement d’émancipation sociale de la femme qui parfois prend même des allures féministes »

46

. Il n’est de loin pas rare durant cette période historique de croiser des femmes aux jeux sportifs, aux soirées mondaines, aux rencontres artistiques et intellectuelles. En effet, les divorces

47

devinrent chose fréquente et les remariages pas moins nombreux

48

. L’évolution des mœurs provoquait à la fois une rupture avec le système patriarcal et engendrait un vent de libertinage sur le monde romain

49

.

En définitive, la liberté et l’égalité de traitement n’étaient réservées qu’à des individus qui rassemblaient en eux la puissance patriarcale et avaient le statut de chef de famille. L’Etat ne réservait l’exercice des droits civils qu’à ces seuls individus. De ce fait, le ius civile Quiritium était un droit aux contours précis, n’octroyant qu’une faible place à l’appréciation du juge. En effet, quelles personnes pouvaient se prévaloir de droits et d’obligations, autrement dit agir en justice, était évident pour les magistrats. L’égalité de traitement n’était donc réservée qu’à une certaine catégorie d’êtres humains, excluant une large masse de la population résidant dans le monde romain. Il en ressort également que le droit privé romain ne s’était pas borné à élaborer une théorie de la « personnalité juridique », ni même à en dégager très clairement la notion. Le terme de persona faisait allusion dans le langage du théâtre antique au masque de l’acteur, tandis que dans le monde du droit, elle pointait l’individu jouant un rôle sur la scène

45 Voir les Douze Tables, § VI, où il était déjà possible au Ve siècle av. J.-C. d’échapper à l’usus de la puissance maritale, si la femme quittait, en accord avec son mari, chaque année pour trois jours et trois nuits, le foyer commun ; GAIUS (note 18), 1.111 ; JEAN GAUDEMET, Observations sur la manus, in: RIDA 1953/2, p. 349, qui précise que le déclin du mariage cum manu est total dès la période du Haut Empire.

46 BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 132.

47 PAULUS, D.24.2.1 : « Dirimitur matrimonium divortio, morte, captivitate, vel alia contingente servitute utrius eortim. »

48 SÉNÈQUE, De Beneficiis, Paris 2003, 3.16.2 : « exeunt matrimonii causa, nubunt repudii ».

49 L’administration de l’Empire fit voter des lois, bien que sans grand effet en pratique, contre les divorces et remariages devenus trop fréquents : Leges Iuliae de adulteriis, de ordinibus maritandis (18 av. J.-C.), Lex Papia Poppaea (9 apr. J.-C.) ; PAUL GIDE, Etude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et moderne, et en particulier sur le sénatus- consulte velléien, suivie du Caractère de la dot en droit romain et de la condition de l’enfant naturel et de la concubine dans la législation romaine, 2e éd., Paris 1885, p. 503 et 511, où l’on explique qu’afin d’éviter les abus de maris qui répudiaient leurs femmes uniquement pour garder la dot, les jurisconsultes ont dû imposer aux dits maris une obligation de restitution de la dot. ; CHARLES-AUGUSTE PELLAT, Textes sur la dot traduits et commentés, Paris 1853, p. 54, qui cite PAULUS, D.23.3.2 : « Rei publicae interest, mulieres dotes salvas habere, propter quas nubere possunt » ; dans le même sens, voir POMPONIUS, D.24.3.1 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 951-952, à propos de l’actio rei uxoriae qui permettait à la femme d’obtenir la restitution équitable de sa dot à la suite du décès du mari ou du divorce ; à propos de l’actio rei uxoriae, voir WILLIAM W.BUCKLAND, A Text of Roman Law from Augustus to Justinian, 2e éd., Cambridge 1932, p. 110 ; VICENZO ARANGIO-RUIZ, Instituzioni di diritto romano, Naples 1927, p. 420.

(9)

juridique

50

. Ainsi donc, à en suivre H

ERMOGENIANUS51

et G

AIUS52

, le droit n’était établi qu’en faveur des personnes dites libres.

II. L’égalité de traitement dans la loi

Le principe d’égalité de traitement dans la loi vise le législateur au sens matériel

53

. Autrement dit, le législateur devra traiter identiquement deux situations analogues impliquant tant des personnes physiques que morales, sous réserve de distinctions justifiées.

Le droit romain n’aurait jamais pu s’implanter d’une manière durable sur le continent européen s’il n’avait pu élaborer des principes directeurs et des sources formelles préconisant une sécurité juridique

54

. Les sources formelles

55

du droit privé romain sont la coutume

56

, les lois

57

, la jurisprudence

58

et les édits des magistrats

59

. Toutes ces sources d’origines diverses

60

témoignent que le point de départ de la méthode juridique était la casuistique. Autrement dit, il s’agissait de dégager d’un état de fait précis les éléments nécessaires et suffisants à une solution juridique

61

. Le génie de la méthodologie juridique romaine était de

50 MICHEL VILLEY (note 8), p. 51 ; JEAN GAUDEMET (note 16), p. 62.

51 HERMOGENIANUS, D.1.5.2.

52 GAIUS, D.1.5.3.

53 Pour une approche moderne de ce principe constitutionnel, voir ANDREAS AUER/GIORIGIO MALINVERNI/MICHEL HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse. Vol. I : L’Etat, p. 484-498.

54 PETER STEIN, Le droit romain et l’Europe : essai d’interprétation historique, 2e éd., Genève/Zurich/Bâle 2004, p. 38 ss. Pour une analyse de l’héritage romain tel qu’il apparaît au XXe siècle dans les codes et les législations nationales, voir le même auteur, p. 153 ss.

55 GAIUS (note 18), 1.1-7.

56 IULIANUS, D.1.3.82 ; RENÉ ROBAYE, Le droit romain, 3e éd., Bruxelles 2005, p. 37-39 ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 29 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 50 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 23 ss ; PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 30 ; JEAN-MARIE CARBASSE, Histoire du droit, Paris, 2008, p. 14 ; WILLIAM W.BUCKLAND (note 23), p. 1 ss.

57 Voir à titre d’exemple les Douze Tables ; PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 31-32 ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 30 ; MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 13 ss ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 50 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 25-27 ; Pour une liste des lois romaines, voir MICHAEL CRAWFORD, Roman Statutes, vol. I-II, Londres 1996, ainsi que PAUL F.

GIRARD/FÉLIX SENN, Les lois des Romains, Naples 1977.

58 BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 29-31 ; RENÉ ROBAYE (note 56), p. 46-47 ; PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 33-34 ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 57.

59 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 36 ; BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 27-29 ; PAUL F.

GIRARD (note 10), p. 52 ; RENÉ ROBAYE (note 56), p. 43-45.

60 MICHÈL DUCOS (note 27), p. 10 : « >…@ règlements, manuels, solutions par des spécialistes à des cas litigieux, testaments, affranchissements, contrats. Certains textes de lois nous sont parvenus par des inscriptions comme les statuts municipaux, la loi sur les pasteurs datant de Sylla ou des lois agraires. »

61 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 64.

(10)

réduire les points d’identification au strict minimum, afin que la solution casuistique puisse donner une règle applicable sans difficulté à d’autres états de fait similaires. Il en découlait un procédé d’abstraction du cas concret qui pouvait par la suite convenir à une autre situation : « évaluation – abstraction – réapplication »

62

.

C’est notamment à travers cette technique juridique en droit privé que l’idéal de justice qui hantait la civilisation romaine depuis son fondement pouvait être atteint. En effet, selon M

AZEAUD

, « la justice apparaît comme le fondement et la fin du droit »

63

. Le droit à cette période apparaissait sous son aspect le plus formaliste, ne faisant référence qu’à un cas particulier ou à une situation bien concrète (une dette impayée, un arbre mal coupé, un vol, un meurtre, etc.) sans aller jusqu’à déterminer des principes directeurs. A son origine, le droit privé romain portait des empreintes coutumières et était complété par des lois ponctuelles ayant souvent pour thèmes la guerre, la création de colonies ou l’octroi de pouvoirs extraordinaires en période de crise politique

64

. L’égalité de traitement, et plus généralement le principe d’égalité, ne constituaient pas un souci légistique.

Toutefois, bien que la codification de grands principes juridiques ne fut pas du goût des juristes romains, l’idéal de justice

65

, comme mentionné précédemment, était depuis la fondation de Rome « un des attributs de la perfection »

66

aux yeux de tous les dirigeants qui s’étaient succédés. Cet attrait pour la perfection alla crescendo, à partir du moment où Rome étendit son autorité et élargit son territoire tout autour de la Méditerranée

67

. Avec le devoir d’administrer un nombre croissant de sujets, il fallait trouver un équilibre de justice, synonyme d’équilibre entre les hommes, leurs droits (subjectifs) et leurs obligations. Le premier moyen d’y parvenir était l’édiction de nouvelles normes. Le second était le concept d’équité, aequitas

68

. En effet, sentiment de justice et sentiment d’équité étaient liés

69

. Ainsi,

62 Expression employée par PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 64 ; Ce procédé en trois phases est décrit par PAULUS, D. 50.17.1 ; Voir également, ERNST I.BEKKER, über die Römische und die moderne Aequitas, in : Jahrbuch der Internationalen Vereinigung für vergleichende Rechtswissenschaft und Volkswirtschaftslehre zu Berlin, Verlag von H. Bahr's Buchhandlung, K. Hoffmann, Berlin, p. 342 ss.

63 HENRI MAZEAUD, « Les notions de ‹ droit ›, de ‹ justice › et d’‹ équité › », in : JURISTISCHE FAKULTÄT DER UNIVERSITÄT BASEL (éd.), Aequitas und bona fides : Festgabe zum 70.

Geburtstag von August Simonius, Bâle 1955, p. 232.

64 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 31-32.

65 HENRI MAZEAUD (note 63), p. 232 : « La justice apparaît comme le fondement et la fin du droit. En réalité, c’est plus largement, la morale qui constitue ce fondement, la justice n’étant que la projection de la morale dans le domaine juridique. »

66 HENRI MAZEAUD (note 63), p. 230.

67 ERNST I.BEKKER (note 62), p. 339 : « Das Römische Recht beginnt aus einem Stadtrecht zum Weltrecht zu erwachsen. »

68 Pour un catalogue des fragments dans le Digeste où la notion d’aequitas apparaît, voir KARL A.ALBRECHT, Die Stellung der römischen Aequitas in der Theorie des Civilrechts mit Rücksicht auf die zeitgemässe Frage der Codification, Dresde/Leipzig 1834 (réimpr. 1969), p. 35-40.

(11)

le droit et l’équité étaient les deux moyens pour réaliser l’idéal de justice. Cet idéal était défini comme le fait de rendre à chacun ce qui lui était dû :

U

LPIANUS

, D.1.1.10.pr.

Justitia est constans et perpetua voluntas ius suum cuique tribuendi.

(La justice est une volonté constante et perpétuelle de rendre à chacun ce qui lui est dû.)

Par ailleurs, C

ELSUS

définit le droit comme l’art du bon et du juste : U

LPIANUS

, D.1.1.1.pr.

70

>…@ nam (ut eleganter Celsus definit) ius est ars boni et aequi.

(>…@ or, suivant la définition de Celse, le droit est l’art de connaître ce qui est bon et >équitable@

71

.)

Nous pouvons en conclure qu’un autre moyen, hormis celui « de rendre à chacun ce qui lui est dû », était de statuer en équité. Grâce à ce concept d’équité, les juristes et les magistrats se laissaient une porte ouverte lorsque notamment une règle précise faisait défaut

72

. Le juge se transformait alors en ministre d’équité

73

. En effet, bien que l’application de l’ensemble des règles de droit (lois, coutumes, etc.) était le moyen primaire pour rendre la justice, le fait de statuer en équité était l’autre moyen de rendre la justice à chaque citoyen. D’une manière générale, en droit, « le juge rend la justice, sans se baser sur une base légale, mais comme Dieu, sondant les âmes et les consciences, pensant chaque cas, au-dessus de toute règle »

74

. Selon B

EKKER

, l’aequitas a justement un fondement divin : le droit romain archaïque était à consonance religieuse à travers les Pontifes, ce qui impliquait un formalisme souvent excessif dans le choix législatif et son

69 HENRI MAZEAUD (note 63), p. 230, où il précise qu’« être équitable, c’est être juste, tenir égaux les plateaux de la balance ».

70 KARL A.ALBRECHT (note 68), p. 30 : « >@ den Definition des Celsus >@ wird deutlich darauf hingewiesen, dass die Römer sich die Idee des Jus im Allgemeinen ohne den Begriff der Aequitas nicht wohl denken konnten >@, dass sie die Aequitas nicht allein als den Zweck allen Rechtes, sondern auch als das höchste Ideal desselben betrachten. »

71 L’expression ars boni et aequi est traduite par « ce qui est bon et juste » dans la version française du Digeste datant de 1803 (réimpr.1979).

72 ARNOLD VINNIUS, Arnoldi Vinii J. C. In quatuor libros Institutionum imperialium commentarius academicus et forensis, Lib. I, Tit. II, Harbor 1699, p. 27 : « >@ die römische Aequitas juris civilis correctio oder emendatio nennen » ; passage repris par KARL A.

ALBRECHT (note 68), p. 20.

73 CICERO, De Officiis, Paris 1974, 1.10.33 : « Summum jus, summa injuria », où l’auteur précise que l’application excessive du droit conduit à l’injustice ; HENRI MAZEAUD (note 63), p. 233 : « Une loi peut être juste et son application injuste. Tel est le conflit entre le droit et l’équité : l’équité invite à écarter dans un cas particulier l’application d’une règle de droit, juste dans sa généralité. »

74 HENRI MAZEAUD (note 63), p. 231 ; dans le même sens, KARL A.ALBRECHT, (note 68), p.

13.

(12)

application

75

. L’équité s’imposa donc naturellement en tant que règle juridique non écrite pour parvenir à plus de justice.

En outre, l’équité venait en aide à la pratique

76

, afin d’atteindre la perfection de justice entre la théorie du droit et les faits. Elle se transformait en une règle de droit matérielle :

G

AIUS

, D.38.8.2.

Hac parte proconsul naturali aequitate motus omnibus cognatis promittit bonorum possessionem, quos sanguinis ratio vocat ad hereditatem, licet jure civili deficiant. Itaque etiam vulgo quaesiti liberi matris, et mater talium liberorum, item ipsi fratres inter se, ex parte bonorum possessionem petere possunt : quia sunt invicem sibi cognati.

(Par ce chef de l’édit, le proconsul, déterminé par une raison d’équité naturelle, promet la succession prétorienne à tous ceux qui sont appelés à l’hérédité à cause des liens du sang qui les unissoit

77

au défunt, quoique, suivant le droit civil, ils ne dussent pas être admis. Ainsi les enfants bâtards et leur mère naturelle, aussi bien que les frères bâtards, peuvent demander réciproquement cette succession prétorienne, par la raison qu’ils sont cognats entre eux.)

Par ailleurs, on peut constater que le concept d’équité englobe celui d’égalité de traitement. A la lecture de ce fragment, les juristes sous-entendaient la même définition d’égalité de traitement que l’on connaît aujourd’hui : traiter identiquement deux situations analogues.

M

ODESTINUS

, D.42.1.20.

Quod et in persona mulieris aequa lance servari aequitatis suggerit ratio.

(L’équité demande qu’on observe la même égalité quand la femme est actionnée par son mari.)

L’étymologie

78

du terme aequitas englobe à la fois l’équité et l’égalité, les deux plaidant en faveur de la justice. Rapidement, le principe d’équité a couvert tous les domaines du droit :

P

AULUS

, D.50.17.90

79

75 ERNST I. BEKKER (note 62), p. 337-338 ; DIETER NÖRR, Rechtskritik in der römischen Antike, Munich 1974, p. 113 ss.

76 KARL A.ALBRECHT (note 68), p. 16.

77 Tel quel dans le texte traduit par HENRI HULOT.

78 ALAIN REY, Dictionnaire historique de la langue française, Paris 2010, voir « égal » en latin aequalis qui dérive de aequus, voir « équité » qui est un emprunt savant au latin aequitas (égalité, équilibre moral, esprit de justice), dérivé de aequus « égal », d’où le terme

« impartial » ; PAUL ROBERT, Le nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris 1993, voir « équité » qui implique une notion de justice naturelle.

(13)

In omnibus quidem, maxime tamen in jure, aequitas spectanda sit.

(Dans toutes les affaires, et principalement dans celles qui concernent l’administration de la justice, on doit suivre les règles prescrites par l’équité.) C.4.37.3

Cum in societatis contractibus fides exuberet, conveniatque aequitatis rationibus, etiam compendia aequaliter inter socios dividi >

…].

(Comme les contrats de société sont ceux qui exigent le plus de bonne foi, l’équité demande que les gains soient partagés également entre les associés >…@.)

Le principe d’équité et, par conséquent, celui d’égalité de traitement étaient là pour suppléer au manque de règles de droit positif, ainsi que pour rendre le droit civil

80

plus souple. Cette souplesse permit d’adapter le ius civile

81

au factum que les juristes et les magistrats devaient traiter.

Souvent, les historiens s’accordent à dire que le système juridique romain trouve son origine dans la promulgation de la loi des Douze Tables

82

en 451 av. J.-C.

83

. Cette loi ne remettait nullement en question l’ensemble du droit et des principes existants, mais se bornait à « fixer des règles devenues incertaines ou ambiguës »

84

, en ajoutant une sanction à la fin de chacune d’elles pour qui la violerait

85

. En effet, bien que les Douze Tables ne visaient que des cas litigieux précis ou des questions particulières – sans prétendre forger des principes généraux écrits valables pour le droit dans son ensemble –, elles fixaient les droits de tous les citoyens de Rome, plébéiens compris

86

. Ainsi, les Douze Tables posèrent le fondement du droit civil romain

87

. Leur rédaction fut le résultat d’une campagne politique menée par la plèbe pour obtenir des patriciens, détenteurs du pouvoir politique pendant la période de la République, à la fois la fixation du

79 Dans le même sens, ULPIANUS, D.2.2.1, où il précise que la partie défenderesse dans un procès peut requérir du juge la même règle de droit à l’encontre de la partie demanderesse, car ce dernier « doit souffrir que ce qu’il a regardé comme juste dans la personne des autre, vaille aussi par rapport à lui ».

80 KARL A.ALBRECHT (note 68), p. 21.

81 HUGO DONELLUS, Opera I, Cap. II, p. 14, qualifie le ius civile de ius strictum.

82 Pour une reconstitution des fragments de cette loi :

http://www.hs-augsburg.de/~harsch/Chronologia/Lsante05/LegesXII/leg_ta00.html

83 BRUNO SCHMIDLIN, (note 22), p. 25 ; PASCAL PICHONNAZ, (note 20), p. 8 ss ; MICHÈL DUCOS (note 27), p. 11-12 ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 50-51 ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 30 ss.

84 BRUNO SCHMIDLIN, (note 22), p. 25-26 ; dans le même sens MICHÈLE DUCOS, (note 27), p.

85 P13. ASCAL PICHONNAZ, (note 20), p. 32 ; ERNST I.BEKKER (note 62), p. 339 : « >Die zwölf Taffeln@ umfassend das ganze ius triplex : sacrum, privatum, publicum und prozess » ; PAUL FIETTA (note 9), p. 2 : « C’est ainsi que la loi des Douze Tables n’est guère qu’un recueil de lois et de coutumes antérieures. »

86 JEAN-MARIE CARBASSE (note 56), p. 11 ; BRUNO SCHMIDLIN, (note 22), p. 26.

87 POMPONIUS, D.1.2.2.6: « […] leges duodecim tabularum : ex his fluere coepit jus civile »;

JEAN-MARIE CARBASSE (note 56), p. 11.

(14)

calendrier juridique, la révélation des formules procédurales et la reconnaissance de droits identiques pour tous les citoyens

88

. C’était le passage d’un régime ne privilégiant que certaines classes sociales à un régime de droit qui aspirait à une égalité de traitement. Ce n’est qu’à la suite de la promulgation de cette loi que toutes les autres leges votées par la plèbe lièrent le peuple dans son ensemble

89

. Suite à la promulgation des Douze Tables, l’on put discerner un recul net de l’imperium accordé aux magistrats – seuls ayant la capacité de reconnaître un droit à un citoyen. Désormais, les lois regroupant à la fois la règle de fond et sa procédure par écrit, tout citoyen était en mesure d’être traité de la même manière par un magistrat du moment que les conditions énoncées étaient remplies

90

. Un exemple aspirant à une égalité de traitement devant la loi peut être issu de l’adoption de la lex Aquilia

91

. Cette loi portait sur le dommage causé de façon illicite

92

. En effet, U

LPIANUS

rapporte que ce texte juridique, plébiscite porté par un tribun, subrogeait toutes les autres lois et coutumes en rapport avec un endommagement illicite

93

. La nouvelle loi sur les juristes et les magistrats engendrait une égale mesure d’interprétation quant au devoir de diligence incombant à chaque homme s’adonnant à un travail dans un lieu accessible au public

94

. Avec l’adoption des plébiscites, dès le V

e

siècle av. J.-C., l’interprétation du droit tendit à s’uniformiser, d’une part, et l’on assista à la reconnaissance de droits et de devoirs identiques pour tous les citoyens romains, indépendamment de leurs origines sociales, d’autre part. Par la même occasion, le droit se laïcisa, car auparavant il était resté entre les mains des Pontifes, mêlant le fas et le ius : le rite était créateur de droit

95

. Dorénavant, l’évaluation de la culpabilité en cas de litige devait toujours se faire d’une manière objective, c’est-à-dire en lien avec le contexte du cas d’espèce. L’individu ayant causé un dommage allait ainsi être comparé à une personne tierce pour juger si toutes les précautions nécessaires au cas d’espèce avaient été prises. En d’autres termes, la faute s’exprimait à travers

88 JEAN-MARIE CARBASSE (note 56), p. 11 ; PASCAL PICHONNAZ, (note 20), p. 33.

89 POMPONIUS, D. 1.2.2.8 ; GAIUS (note 18), 1.3 ; JEAN-MARIE CARBASSE (note 56), p. 14, où l’auteur dénombre pas moins de 800 lois pour toute la durée de la République entre les Douze Tables et l’avènement d’Auguste. La plupart de ces lois portaient sur des questions de droit public et à peine 24 sur les relations entre particuliers ; MICHÈLE DUCOS (note 27), p.

14.

90 JEAN-MARIE CARBASSE (note 56), p. 12 ; MICHÈLE DUCOS (note 56), p. 13.

91 D.9.2.

92 Le chapitre I s’appliquait en cas de mort d’un esclave ou d’un quadrupède de troupeau : ULPIANUS, D.9.2.2 ; GAIUS (note 18), 3.210, 214 ; JUSTINIANUS (note 30), 4.3.pr. Le chapitre III s’appliquait en cas de dommage causé sur le bien d’autrui, en brisant, rompant, brûlant : ULPIANUS, D.9.2.27.5 ; GAIUS (note 18), 3.217 ; JUSTINIANUS (note 30), 4.3.13.

93 ULPIANUS, D.9.2.pr.-1.

94 PAULUS, D.9.2.31, démontre en reprenant les arguments de MUCIUS que la Lex Aquilia s’applique tant aux lieux publics que privés ; JILL HARRIES, Law and Crime in the Roman World, Cambridge 2007, p. 47 : « The jurists assumed that citizens had a duty of care when at work or play in public places. »

95 ERNST I. BEKKER (note 62), p. 338 : « >@ fas und bonum aequum können ebensowohl zusammen wie auseinander gehen ».

(15)

un degré de prévoyance auquel tout individu était soumis dans chacune de ses entreprises

96

. Cette évaluation pouvait aisément être appliquée à tous les citoyens libres. Grâce à l’évolution juridique qui venait de s’opérer, la méthode d’analyse ancrée dans la lex Aquilia, fut à l’origine de la notion de négligence en droit privé.

Elle devint rapidement un fer de lance pour la responsabilité civile, applicable à tous

97

.

Finalement, on peut relever que l’aequitas est un principe antérieur aux Douze Tables et aux lois civiles qui serviront d’inspiration à notre code civil. Concept juridique né en même temps que le droit, il englobait l’équité naturelle et l’égalité de traitement en faveur de l’idée de justice

98

. Cependant, il n’a pas suffi à lui tout seul pour détacher le droit civil romain du formalisme auquel il était enclin. En revanche, il favorisa la laïcisation progressive du droit et stimula la conscience juridique.

III. L’égalité de traitement devant la loi

Dans cette partie, il s’agira d’examiner la procédure romaine devant la loi et l’attribution des actions civiles par les autorités judiciaires. C’est en effet à travers les actions de procédure civile que les Romains évitaient des décisions contradictoires, des distinctions injustifiées ou des assimilations insoutenables.

Les actions en droit romain sont « l’ensemble des règles de fond et de forme s’appliquant à ce droit »

99

. Alors que le législateur moderne se préoccupe avant toute chose de la règle de droit, du précepte de fond, pour admettre ou non par la suite une voie d’action civile, synonyme d’ester en justice, à Rome, les textes légaux et les édits ne visaient que les actions en soi, car celles-ci étaient le moyen mis à disposition du plaideur dans telle ou telle hypothèse précise

100

. C’était à travers l’existence d’une action appliquée au cas d’espèce que les juristes pouvaient conclure à un droit distinct faisant partie de l’ordre juridique. La forme

96 PAULUS, D.9.2.31: « […] culpam autem esse, quod cum a diligente provideri poterit, non esset provisum, aut tum denunciatum esset, cum periculum evitari non possit » ; BENEDICT WINIGER, La responsabilité aquilienne romaine : damnum iniuria datum, Genève 1997, p.

182: « Le constat ‘ culpa ! ’ est toujours le résultat d’une comparaison entre ce que la personne a fait et ce qu’elle aurait dû faire. Il tient compte de la capacité de l’auteur de reconnaître sa faute. Le fou ou l’infans, qui ne peuvent pas comprendre le caractère illicite de leurs actes, ne peuvent pas être coupables. La culpa attribue le damnum datum à l’auteur et le lui reproche, alors que l’iniuria le qualifie juridiquement. »

97 JILL HARRIES (note 94), p. 48.

98 LETIZIA VACCA, Considerazioni sull’aequitas come elemento del metodo della giurisprudenza romana, in : Studi in memoria di Giuliana d’Amelio, vol. I, Milan 1978, p.

417, note 39.

99 PAUL FIETTA (note 9), p. 3.

100 PAUL FIETTA (note 9), p. 3 ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 126-127.

(16)

de procédure romaine permit d’abolir la justice privée et le recours à la force physique au profit de l’arbitrage à travers les actions de la loi

101

. La procédure romaine se divisait en trois périodes : l’époque des actions de la loi (du VIIIe au II

e

siècle av. J.-C.)

102

, l’époque des formules (du II

e

siècle av. J.-C. au III

e

siècle apr. J.-C. et formellement abrogée en 342 apr. J.-C.

103

), et l’époque de procédure extraordinaire (dès 284 apr. J.-C. jusqu’à l’époque justinienne)

104

. Nous nous attarderons essentiellement sur la procédure formulaire illustrant la période classique du droit romain. Cette procédure avait pour particularité d’adapter les actions civiles en fonction du cas d’espèce et de se baser sur un texte écrit (la formula) délivré par le préteur

105

. Ce dernier était un magistrat, élu pour un an grâce à un programme juridique qu’il promettait d’appliquer tout au long de sa fonction

106

. Il convenait que les diverses actions de droit privé qui allaient être employées soient répertoriées dans un édit. « Le préteur possédait les clés pour ouvrir ou fermer les voies de la procédure, puisqu’il déterminait les conditions de l’exercice des actions. Tout en restant lié au droit civil, il essayait d’en écarter le formalisme rigide en dégageant les intérêts réels des parties »

107

. Ainsi, le préteur adaptait l’ancienne procédure civile très formelle des actions de la loi à l’état de fait précis et aux revendications de la victime. Pour ce faire, il existait une procédure dite formulaire qui favorisait tant le pouvoir créateur du magistrat que l’idéal de justice. Cela permettait donc de combler les lacunes du ius strictum et d’en corriger les défauts

108

. Dès la moitié du II

e

siècle av. J.-C., au vu de l’importance et du pragmatisme de l’Edit, l’administration publique décida de mettre en place un préteur urbain et pérégrin

109

. Les justiciables romains trouvaient auprès du préteur une autorité d’équité, source d’un droit nouveau. En effet, le préteur était habilité à s’écarter de la loi lorsque son application formelle heurtait l’équité naturelle, à tel point que selon M

AZEAUD

droit d’équité et droit

101 GAIUS (note 18), 4.11, qui précise que les legis actiones, créées par la loi ou s’adaptant à celle-ci, désignaient la manière d’agit en justice ; MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 120 ; PAUL FIETTA (note 9), p. 6 ; VICENZO ARANGIO-RUIZ, Cours de droit romain : les actions, Naples, 1935 (réimpr. 1980), p. 6 ss ; PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 53 ss.

102 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 52-56, retrace une procédure très formaliste, entre les mains des Pontifes, avec un nombre d’actions limité favorisant la prévision des jugements ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 150-1 ; Voir JOHN H.BAKER, An Introduction to English Legal History, 3e éd., Londres/Boston 1990, p. 66 ss, 83, où l’auteur recense 75 writs à la fin du XIIesiècle en Angleterre, à l’image des legis actiones en droit romain, ce qui laisse transparaître un formalisme excessif dans la procédure et les droits subjectifs. Il ne fallait pas se tromper de writ invoqué devant le juge sous peine de ne rien obtenir.

103 C.2.57.1.

104 VICENZO ARANGIO-RUIZ (note 101), p. 3 ; PASCAL PICHONNAZ, (note 20), p. 52 ; JEAN- MARIE CARBASSE (note 56), p. 14 ss ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 129.

105 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 54 ss.

106 BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 27.

107 BRUNO SCHMIDLIN (note 22), p. 28 ; MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 126.

108 POMPONIUS, D. 1.1.7.1 ; Fragments où l’aequitas sert de mesure correctrice au ius civile : ULPIANUS, D.10.2.50, 12.4.3.7, 28.6.18, 37.10.3.13, 47.10.11.1 ; dans le même sens : PAULUS, D.25.1.8, 39.3.2.5 ; LETIZIA VACCA (note 98), p. 423.

109 JEAN IMBERT (note 9), p. 61-62.

(17)

prétorien étaient synonymes

110

. Le principe d’équité et l’égalité de traitement étaient utilisés à travers l’interprétation téléologique de la loi romaine

111

, dans le but de rendre la justice.

Concrètement, se développèrent aux côtés des actions listées dans les lois, des actions prétoriennes spécifiques en fonction d’un cas particulier

112

. En effet, chaque citoyen libre pouvait plaider sa cause en relatant les faits devant le préteur et exiger une formule d’action (formula). Ce dernier avait le pouvoir de délivrer une action taillée sur mesure en fonction du cas. Le préteur avait donc pouvoir de fixer le droit, tandis que le juge se souciait de la véracité des faits

113

. Finalement, alors que précédemment, dans l’archaïque système des actions de la loi, l’action était illustrée par un rituel qu’il fallait réciter devant le magistrat, dans la procédure formulaire prétorienne, l’action était le trait d’union entre le droit subjectif et la procédure permettant de le revendiquer

114

. A

RANGIO

-R

UIZ

précise même qu’« il y avait autant d’actions que de droits subjectifs reconnus ; et les uns et les autres sont dénombrés et définis par les formules qui se trouvent exposées dans l’Edit du préteur »

115

.

Avec la procédure formulaire, le préteur usait de son imperium pour assister ceux que la loi laissait sans protection et pour corriger les effets arbitraires du ius strictum. Les pérégrins résidant dans l’Empire bénéficiaient désormais des mêmes actions et donc revendications que les citoyens romains. En outre, l’ingéniosité prétorienne permit d’élargir le champ de l’action directement issue de la loi (actio directa) en accordant une action utile (actio utilis)

116

ou en fait (actio in factum)

117

, lorsque l’équité et l’égalité de traitement l’exigeaient

118

. Sur un plan technique, ces actions analogues permettaient notamment que la victime d’un dommage infligé par un acte d’omission ou par un animal domestique soit dédommagée

119

. Sur un plan social, les deux actions ainsi que l’action directement

110 HENRI MAZEAUD (note 63), p. 233, qui précise que la common law utilise le principe et le droit d’équité à l’image du droit romain.

111 IULIANUS, D.1.3.11 ; ULPIANUS, D.1.3.13 ; LETIZIA VACCA (note 98), p. 420 : « L’aequitas opera dunque como criterio ‘ interno ’ all’interpretatio. »

112 PASCAL PICHONNAZ (note 20), p. 55, donne notamment les exemples suivants : actiones in factum conceptae, actio empti, rei vindicatio, actio doli, condictio.

113 WILLIAM W.BUCKLAND (note 23), p. 362.

114 Pour la classification des actions, voir GAIUS (note 18), 4.6 ss, ainsi que JUSTINIANUS (note 30), 4.6.16 ss.

115 VICENZO ARANGIO-RUIZ (note 101), p. 36 ; RAYMOND MONIER (note 42), p. 126.

116 Voir notamment, PAULUS, D.9.2.13.pr ; ULPIANUS, D.9.2.25.1; ULPIANUS, D.9.2.27.9;

GAIUS, 3.219

117 Pour une distinction nette entre l’actio in factum et l’action directe (actio legis aquiliae), voir ULPIANUS, D.9.2.27.14. Voir également, ULPIANUS, D.9.2.9.2-3; ULPIANUS, D.9.2.11.1;

ULPIANUS, D.9.2.11.8.

118 POMPONIUS, D.19.5.11, où les actions analogues permettent de coller à l’état de fait, tout en offrant une voie procédurale sans altérer le sens initial de la loi. ; BÉNÉDICT WINIGER (note 96), p. 173 ss.

119 BÉNÉDICT WINIGER (note 96), p. 184: « En principe, l’actio legis aquiliae demeure l’arme principale pour réprimer des dommages infligés corpore et corpori alors que l’actio in

(18)

issue de la loi étaient accordées aux étrangers victimes de dommages matériels à l’aide de la fiction du droit de cité

120

.

U

LPIANUS

, D.9.2.9.3

Si servum meum equitantem, concitato equo effeceris in flumen praecipitari, atque idéo home perierit, in factum esse dandam actionem Ofilius scribit : quemadmodum si servus meus ab alio in insidias deductus, ab alio esset occisus.

(Si vous effrayez un cheval sur lequel mon esclave est monté, et que vous l’ayez fait ainsi précipiter dans un fleuve, où il y a péri, Ofilius écrit qu’il y a lieu à l’action expositive du fait. Cette action aurait pareillement lieu contre celui qui aurait conduit mon esclave dans un endroit où un autre était aposté pour le tuer.) U

LPIANUS

favorise l’égalité de traitement des auteurs qui n’ont pas directement tué un esclave, portant ainsi un préjudice matériel, mais ont tout mis en place pour parvenir au résultat de mort. Bien que la lex Aquilia n’accordait une voie d’action que contre celui qui a tué un esclave de manière « directement causale »

121

, le préteur favorisait l’égalité de traitement entre les victimes qui avaient subi le même résultat et entre les auteurs qui avaient obtenu le même résultat, peu importe la forme de la causalité – directe ou indirecte. Le moyen d’obtenir une réparation pour la victime était donc d’utiliser les actions prétoriennes qui avaient le même effet que l’action directement issue de la loi.

La science du droit romain consistait, durant la période classique, dans l’étude détaillée des diverses formules et des divers moyens de procédure. C’est à travers les actions prétoriennes essentiellement qu’est apparu, sous son aspect primaire, notre droit civil moderne

122

. Le principe d’équité appliqué également dans la pratique permettait de juger le pérégrin et de le condamner au même titre qu’un citoyen romain

123

. En effet, les nombreuses conquêtes romaines et l’expansion du commerce se trouvaient trop à l’étroit dans un droit romain formel et clos. De plus, ce même principe d’équité favorisait la protection contre l’arbitraire, lorsque

factum (et – surtout pour Gaius – l’actio utilis) sert d’arme pour réprimer des actes commis non corpore et non corpori. »

120 GAIUS (note 18), 4.37, où il précise que l’étranger qui subit un dommage au sens de la Lex Aquilia bénéficie d’une action factice, avec la fiction de la qualité de citoyen. Le résultat est que le préteur (tant urbain que pérégrin) accorde une action en indemnité à peu près à tous ceux qui ont souffert d’un dommage. PAUL F.GIRARD (note 10), p. 353: « La propriété reconnue aux pérégrins ne pouvait pas non plus être protégée, dans l’ancien droit ni dans le droit classique, par les actions du droit civil qui supposent un propriétaire civil. La revendication [des pérégrins] leur était aussi étendue certainement soit par la suppression des mots ex jure quiritium, soit par une fiction. » ; PAUL F.GIRARD (note 10), p. 413; MICHÈLE DUCOS (note 27), p. 128-9 ; MICHEL VILLEY (note 8), p. 25, 27; GEORG THIELMANN,

« ‛Actio utilis’ und ‛actio in factum’ zu den Klagen im Umfeld der Lex Aquilia », in : Studi in onore di Arnaldo Biscardi, vol. II, Milan 1982, p. 295 ss.

121 GAIUS, D.9.2.2.pr.

122 MICHEL VILLEY (note 8), p. 30.

123 Pour l’application de la fiction du droit de cité, voir note 119.

Références

Documents relatifs

42 Vers la paix perpétuelle, AA, 8:376–377 («principe de droit qui possède une nécessité incondi- tionnée»); cf. C AVAL- LAR , Kant and the Theory and Practice of

« impuretés » des épreuves, mais certainement pas le principe même d’un affrontement entre l’égalité fondamentale des individus et l’inégalité de leurs métiers.

En résumé, l’arbitre saisi d’un litige relevant du droit public se présente comme un substitut de l’Etat. A ce titre, et à l’instar de tout organe étatique, l’arbitre est

La limite de la loi du bilatéralisme – tout comme de la loi universelle du droit – consiste en ceci que, dans la mesure où chaque État est libre de choisir le critère chargé

A l’occasion d’une réflexion sur la langue juridique, Christine Schmidt, chargée de cours à l’université de Trèves 3 , note que le droit constitue une matière qui est

L a libre circulation et les droits fondamentaux constituent des piliers de la construction européenne. La libre circula- tion incarne le « rêve européen » d’un marché

Si l’on se situe à distance, c’est-à-dire dans une perspective compa- rative, ce qui caractérisait particulièrement la recherche française en sciences sociales, c’est

C’est donc bien une thèse de droit, mais une thèse de droit au service des sciences humaines qui, comme l’a relevé l’un des rapporteurs, enrichira les sociologues comme