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DROIT & JUSTICE

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DROIT & JUSTICE

recherche

L e t t r e d e l a M i s s i o n d e r e c h e r c h e D r o i t e t J u s t i c e

30, rue du Château des Rentiers - 75013 Paris - Tél.: 01 44 77 66 60 - Fax: 01 44 77 66 70 - e-mail: mission@gip-recherche-justice.fr - Site internet: www.gip-recherche-justice.fr

Éditorial

Yann AGUILA

Conseiller d’État, Directeur de la Mission

N° 31 Hiver 2008-2009 Libre propos > Paul-Albert Iweins / Recherches > Conflits environnementaux et gestion des espaces ; Polices et justices

de l’environnement ; Mondialisation des concepts juridiques ; Juges de proximité ; Émergence et circulation des concepts juridiques / Équipe > Le CEVIPOF /

D o s s i e r > Le regard des français et des magistrates sur la justice / Thèse > L’égalité en droit pénal (Prix Vendôme 2008) / Événement > Remise du prix Jean Carbonnier 2008 / Notes de lecture / Actualité

La justice est-elle suffisamment en prise avec les réalités sociales ?

La question de l’ouverture du droit sur la société avait été posée par le doyen Carbonnier, en ce qui concerne le législateur. La même interro- gation peut légitiment être formulée s’agissant du juge.

Le juge doit trouver la juste distance, ni trop près, ni trop loin de la cause. La première exigence est bien connue : trop près, il manquerait à son devoir d’impartialité. Mais on oublie souvent la seconde : trop loin, le juge risque de passer à côté des véritables enjeux d’une affaire.

La pertinence de son intervention dépend de sa connaissance des réali- tés quotidiennes qu’il est appelé à juger.

Le droit s’enracine dans la société. Une illustration parmi d’autres, tirée au hasard de la lecture du récent rapport du Comité de réfl exion sur le Préambule de la Constitution présidé par Simone Veil : le comité « a souhaité procéder à de nombreuses auditions, sollicitant philo- sophes, sociologues, représentants de la société civile, représentants des prin- cipales religions : autant de personnalités qui, dans leur diversité, lui sont apparues comme de bons médiateurs pour traduire l’état actuel des atten- tes et des craintes de la population ». Pour bien légiférer, il faut être à l’écoute.

De même, pour bien juger la société, il faut bien la connaître. Le juge doit être ouvert aux préoccupations de ses concitoyens. Il doit ancrer sa réfl exion dans les réalités économiques et sociales de son pays et de son époque.

Ce souci d’ouverture peut se décliner dans divers domaines.

L’enseignement du droit est-il suffisamment ouvert ? On pourrait probablement renforcer les « enseignements d’ouverture », sans doute insuffi sants : c’est plus tard, confronté au « terrain », que le juge va devoir compléter ses connaissances en psychologie ou en comptabi- lité. Mais surtout, moins que le contenu de ces matières, il s’agit de transmettre une méthode, une culture de l’écoute : le droit n’est pas autocentré, il se nourrit des apports de l’extérieur. Le juge doit savoir comprendre la demande du justiciable, utiliser les conclusions d’un rapport d’expertise ou décrypter un témoignage. Plus largement, tout juriste doit dialoguer avec des non juristes, comme l’illustre l’extrait

précité du rapport Veil. Les facultés de droit enseignent-elles cette méthode simple et sage qui consiste à procéder à des auditions avant de prendre une position ? Quelle place occupent les stages, non seule- ment en cabinets d’avocat et en juridiction, mais aussi en entreprises, associations ou syndicats ? Des affaires récentes ont montré que nos jeunes juges ne manquaient pas de connaissances juridiques – ce sont souvent les plus brillants des étudiants –, mais plutôt d’expérience et d’épaisseur humaine.

La justice est faite pour les justiciables.

Ensuite, la carrière des juges est-elle suffisamment ouverte ? Aujourd’hui, les règles de recrutement et d’avancement semblent favoriser une conception « sacerdotale » de la fonction, dans laquelle le magistrat est recruté à la sortie des études, puis demeure ad vitam aeternam au service des prétoires. Ne faudrait-il pas encourager la mobilité professionnelle ou les recrutements latéraux ? Ils constituent une source utile de diversifi cation des expériences.

Enfin, nos méthodes de jugement sont-elles suffisamment ouver- tes ? Nos procédures – tout particulièrement dans la justice adminis- trative – laissent-elles assez de place à l’oralité ou à la technique de l’amicus curiae ? Notre mode de raisonnement déductif, qui consiste à faire entrer les faits dans des catégories juridiques préétablies, ne nous porte-t-il pas trop à l’abstraction ? Certains y verront un goût bien français pour la théorie – par opposition à l’empirisme anglo-saxon.

De fait, le juge doit rechercher un juste équilibre entre idéalisme et pragmatisme. Certes, le droit, par défi nition, se tient au dessus des faits, puisqu’il trace une ligne de conduite idéale. Il y a une part irréducti- ble d’exigence, voire de transcendance dans la notion même de règle.

Mais, au stade de l’application du droit, il faut tenir compte des contin- gences et des réalités.

La justice est faite pour les justiciables, et non les justiciables pour la justice, pour paraphraser la belle formule de Portalis sur la loi et les hommes.

C’est dans cet esprit que nous sommes heureux de vous proposer, dans le présent numéro, un dossier spécial sur « la perception de la justice par les justiciables ».

Le juge et les réalités sociales

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Les avocats et la recherche

par Paul-Albert IWEINS Avocat à la cour,

Ancien bâtonnier du Barreau de Paris,

Ancien président du Conseil National des Barreaux

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aumier n’est décidément plus de notre époque.

Le temps n’est plus où un avocat pouvait se munir d’un code et user d’un peu de rhétori- que pour convaincre ses juges ! Pour cette raison première qu’il ne s’adresse plus seulement à des juges… L’une des évolutions majeures de la profession tient en effet en ceci que si l’activité judiciaire est encore en son centre, elle ne détient plus une situation de monopole. Les avocats sont de plus en plus fréquemment des rédacteurs d’actes et d’ac- tes complexes qui ne nécessitent pas de recopier des formu- laires, en même temps qu’ils fournissent des conseils sur un nombre incroyablement varié de domaines : du droit civil au droit fi scal en passant par le droit des sociétés, la propriété intellectuelle ou le droit du commerce international. Qui plus est, ces multiples domaines sont devenus d’une grande complexité. Pourrait-on aujourd’hui traiter sérieusement une affaire pénale sans porter une attention soutenue aux droits fondamentaux ? Bien plus, la logique même de ces diffé- rentes branches du droit a changé. Il s’agit d’un droit moins formel, plus souple, qui exige de nouveaux réflexes de la part des praticiens. Un seul exemple, qui met précisément en œuvre la logique des droits fondamentaux, tiré d’une déci- sion récente du conseil constitutionnel, celle relative à la loi sur la rétention de sûreté : le conseil a retenu que les attein- tes portées le cas échéant aux libertés constitutionnellement garanties devaient « être adaptées, nécessaires et proportion- nées à l’objectif de prévention poursuivi » (déc. 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13). Quand on sait que les avocats, tous les avocats, vont bientôt avoir la possibilité de contester la constitutionnalité des lois par voie d’exception (art. 61-1 de la Constitution, en attente d’une loi organique), la question de l’appréciation de ce triple contrôle devient particulièrement importante, mais aussi épineuse, car nous n’avons pas l’ha- bitude de raisonner en ces termes. Sur cette question et sur d’autres, les avocats ont donc besoin du grand apport des cher- cheurs. Et ils en ont besoin de deux manières. Ces chercheurs doivent d’abord leur apprendre à appréhender ces nouveaux concepts, ces nouvelles manières de raisonner ; en un mot, il faut qu’ils les y acclimatent, tout comme les grands juriscon- sultes du XIXe siècle avaient acclimaté les avocats de l’époque à ce monument de nouveauté qu’était le code Napoléon. Mais il y a plus que cela, et plus nouveau dans la tradition juridique qui est la nôtre : il faut aussi que ces chercheurs apprennent aux praticiens à mieux appréhender les faits. Je voudrais ici rapporter une expérience toute personnelle. Une chose m’a beaucoup frappé lors de mon mandat de président du Conseil National des Barreaux : quand nous parlons de la profession d’avocat, mais aussi de celle de notaire ou de juriste d’entre-

prise, nous raisonnons plus souvent à partir d’intuitions sur ce que nous estimons être la réalité de la pratique ou de la situa- tion des uns et des autres. Fort heureusement, ces intuitions ne sont pas toujours fausses, mais elles ne reposent guère sur des éléments factuels dûment prouvés. Car nous disposons fi nalement d’assez peu de données empiriques fi ables. Et ce que je dis à propos des professions juridiques et judiciaires, je pourrais le dire à propos d’un grand nombre de questions juri- diques. Songeons aux différents aspects du droit économique ou encore au droit de la famille. Et l’on ne peut pas dire que ce sont les facultés de droit qui abordent ces questions, car elles se consacrent encore massivement à des sujets, disons dogma- tiques, ce qui est certes nécessaire, mais ce qui se fait néan- moins au détriment des recherches empiriques. Dans cette optique, les travaux de l’Observatoire de la profession institué au sein du Conseil ont beaucoup fait pour une connaissance statistique beaucoup plus fine et exacte de la réalité de la profession (cf. en dernier lieu, « Avocats : faits et chiffres. Une profession qui avance », publication du CNB, octobre 2008, 117 pages). Mais j’ai pensé, dès le début de mon mandat, qu’il fallait aller plus loin et c’est la raison pour laquelle j’ai tenu à créer le Centre de Recherches et d’Études des Avocats (le CREA) et à en confi er la direction scientifi que à un universi- taire. Pour agir le plus effi cacement possible, au bénéfi ce de la profession mais aussi dans l’intérêt du public et de l’institu- tion judiciaire, il nous fallait donner sens à l’ensemble de ces données. Un premier travail d’envergure a abouti, à la fi n de l’an passé, à la remise d’un rapport d’un groupe de sociologues et d’économistes de grand renom qui a, entre autres, permis de démontrer, en s’appuyant sur toute une série d’entretiens mais aussi sur des outils méthodologiques très rigoureux, que le mouvement de dérèglementation de la profession d’avocat, très en vogue jusqu’à une période fort récente au sein de la Commission européenne, n’était peut-être pas des plus perti- nents (EconomiX, « Les avocats entre ordre professionnel et ordre marchand – Concurrence par la qualité et socio-écono- mie d’une réglementation professionnelle », septembre 2008, 188 pages). J’espère que ce premier rapport sera suivi d’autres travaux du même type dans les années à venir. Il va sans dire que c’est ce genre de travaux menés au sein de la Mission

« Droit & Justice » que j’apprécie particulièrement quand j’ai le grand plaisir de les lire. Que ces travaux concernent ou non directement la profession d’avocat. Ce qu’il nous faut en effet, c’est une recherche pour l’action. Une recherche qui permette aux avocats tout à la fois d’appréhender les questions nouvel- les qui bouleversent leurs habitudes et d’avoir une connais- sance empirique la plus fi ne possible du monde qui les entoure et sur lequel ils entendent bien agir…

RD&J n°31 • LIBRE PROPOS

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Recherches

ROMAIN MELOT

(INRA)

Conflits environnementaux et gestion des espaces.

Modalités de recours au tribunal, pratiques administratives et logiques d’acteurs entre environnement et aménagement.

Les conflits environnementaux sont devenus l’objet d’un nombre important de travaux issus des différentes disciplines des sciences sociales, si l’on s’en tient simplement au cadre des recherches menées en France. La produc- tion scientifique française sur cette thématique est constituée de nombreuses études sociolo- giques, géographiques, économiques, centrées sur les acteurs des conflits, au travers d’entre- tiens, d’observations, d’analyse de périodiques ou de documents associatifs.

À l’exception de quelques rares études ciblées sur des acteurs associatifs particuliers, les recherches statistiques entreprises sur la base de sources issues des juridictions administra- tives sont à peu près inexistantes en matière de contentieux de l’environnement. C’est à partir de ce constat qu’est né le projet d’apporter, entre autres, un éclairage particulier sur les formes de recours au tribunal dans le cadre du contentieux administratif.

Ce travail s’inscrit dans la lignée des travaux soucieux de proposer une évaluation empi- rique et statistique du recours au droit et à la justice, en s’appuyant sur la contribution de différentes disciplines des sciences sociales : sociologie, économie et géographie sont ainsi représentées dans les approches exposées ici.

Pour explorer les formes de mobilisation de la justice administrative, deux voies qui semblaient complémentaires aux auteurs ont été suivies. La première a consisté à se foca- liser sur le contentieux de l’environnement en tant que tel, suivant une définition inspirée par la nomenclature des affaires adminis- tratives. La seconde envisage au contraire le contentieux de l’environnement au sein du cadre plus général des actions contentieuses relevant d’enjeux de gestion de l’espace et du territoire (urbanisme, utilité publique, domaine public, travaux publics). Ces deux approches, qui renvoient aux deux premières parties du rapport, sont complémentaires au sens où elles

varient le cadre d’observation (national dans le premier cas, régional dans le second), sa durée (une coupe temporelle sur une année dans le premier cas, une analyse sur deux décennies dans le second), et le niveau de juridiction étudié (les tribunaux administratifs dans le premier cas, les cours administratives d’appel et le Conseil d’État, dans le second).

À côté de ces analyses portant sur le conten- tieux administratif, deux éclairages différents sont apportés sur les conflits environnemen- taux. Le premier consiste en une approche localisée (affaires issues du département du Puy-de-Dôme) de l’activité des juridictions judiciaires pour proposer des éléments statisti- ques d’évaluation du contentieux civil et pénal.

Une seconde étude monographique, s’ap- puyant sur une méthodologie géographique, s’intéresse non pas aux modalités de recours au tribunal, mais aux pratiques administratives de gestion des infractions environnementales à partir d’une enquête approfondie sur un terrain riche en conflits environnementaux : le littoral languedocien. Cette diversité des approches proposées, sur le plan des méthodologies sollicitées, des situations juridiques enquêtées (recours au tribunal, activité administrative), des niveaux de juridiction étudiées, ou des échelles d’analyse (nationale ou locale) a pour but de rendre compte de la complexité des logiques d’acteurs et des formes d’usage des règles de droit dans une situation où la protection de l’environnement et du cadre de vie est en jeu.

HÉLÈNE RUIZ FABRI

(UMR DEDROITCOMPARÉ UNIVERSITÉ PARIS I)

Émergence et circulation de concepts juridiques en droit international de l’environnement : entre mondialisation et fragmentation.

La mondialisation est parfois analysée comme un processus de circulation et de diffusion de concepts juridiques uniformes dans les divers espaces normatifs. En effet, bien que les rapports hiérarchiques entre les différents espaces relevant de l’ordre juridique inter- national soient faibles, voire inexistants, ces espaces s’influencent mutuellement dans leur fonctionnement. Sont alors observables des

emprunts croisés de valeurs normatives, de techniques de mise en œuvre, de modèles interprétatifs, de concepts juridiques. Il est dès lors possible d’associer l’idée de mondia- lisation des concepts juridiques non seulement au phénomène de leur transfert depuis le droit international vers les systèmes juridiques nationaux (dimension verticale), mais aussi à celui de leur circulation entre les différents espaces normatifs qui coexistent au niveau international (dimension horizontale).

Cette recherche explore la seconde de ces dimensions en choisissant comme point d’ob- servation le droit international et européen de l’environnement. Elle porte son regard sur quatre espaces juridiques distincts mais insti- tutionnellement « emboîtés » tournant tous autour d’un même centre de gravité qu’on pour- rait dire « européen » : à l’échelon universel, le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et celui de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Convention de Montego Bay), au niveau régional, le droit de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et le droit de l’Union européenne. Ces espaces sont tous caractérisés par la présence en leur sein d’un pouvoir juridictionnel insti- tutionnalisé et compétent pour trancher des différends touchant à la protection de l’envi- ronnement. On voit donc comment plusieurs ordres de contrainte normative pèsent sur l’Union européenne ainsi que, de façon directe ou indirecte, sur ses États membres.

La recherche se développe autour de deux axes principaux, l’un concernant les techniques de prise en compte de valeurs et intérêts environ- nementaux, l’autre visant, parmi les techniques judiciaires de mise en œuvre, celles de mise en balance de ces valeurs et intérêts avec d’autres exigences juridiquement protégées.

Elle se structure selon une double perspective intersystémique et intrasystémique, cette bipar- tition ne reproduisant pas le couple des axes

« prise en compte / mise en balance » mais se rattachant plutôt à un autre couple : « pluralité de systèmes (dimension individuelle) / rapports entre systèmes (dimension relationnelle) ».

Si les effets principaux de la mondialisation promeuvent ainsi en principe une diffusion de concepts juridiques uniformisés, il n’en reste pas moins qu’on observe aussi, selon une logique diamétralement opposée, une RECHERCHES • RD&J n°31

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tendance à la singularisation des concepts lors de leur réception dans les différents espaces normatifs. En effet, même s’il était possible de s’attendre à ce que les États, à travers leur parti- cipation simultanée aux différentes enceintes internationales, réussissent à garantir un certain niveau de cohérence pour ce qui concerne la production du droit, on peut craindre, dans le même temps, la fragmentation du droit interna- tional du fait de l’existence, au plan régional ou mondial, de systèmes juridiques ayant acquis un degré plus ou moins poussé d’autonomie par rapport aux États.

Parmi les concepts de droit de l’environne- ment hautement soumis au phénomène de mondialisation, celui de développement durable occupe une place éminente. Il évoque aussi bien la prise en compte que la mise en balance des intérêts et valeurs environnemen- taux, constituant ainsi la clef de voûte où les deux axes de la recherche se rencontrent.

JACQUELINE MORAND-DEVILLER ET JEAN-CLAUDE BONICHOT

(CERDEAU – UNIVERSITÉ PARIS I) COORDINATIONSCIENTIFIQUE : M. TORRE SCHAUBET LAURENT VIDAL

Mondialisation et globalisation des concepts juridiques : l’exemple du droit de l’environnement.

Cette étude qui réunit dix-sept rapports proposés par des chercheurs français et étran- gers s’intéresse à la question de la nature des influences exercées par la mondialisation sur les concepts juridiques qui structurent le droit de l’environnement. Dans sa première partie, elle étudie la manière dont les grands prin- cipes du droit de l’environnement irriguent les concepts juridiques ; dans la seconde, elle s’ar- rête sur les outils fondamentaux qui permet- tent l’édification d’un droit commun dans ce que les auteurs appellent un espace pluriel.

La montée en puissance des préoccupations environnementales a été affectée par divers changements exogènes et endogènes. Les premiers ont conduit à une multiplication des procédés formels et des vecteurs de créa- tion de la norme, à un rééquilibrage entre ces différents procédés et à des interactions réciproques ; les seconds se traduisent par une

prise en compte croissante, tout autant qu’in- dispensable, de sources matérielles jusque là trop ignorées par les tenants d’une définition positiviste du droit. Cette prise en compte influence d’autres sphères, lesquelles, à leur tour, rétroagissent sur le droit en une sorte de mouvement circulaire. Partant, et sans céder à une mode qui, au demeurant, commence à dater, il n’est pas impossible d’évoquer ici la nature systémique des mécanismes d’influence de la mondialisation et de la globalisation sur les concepts du droit de l’environnement.

Pour les besoins de la recherche, les phéno- mènes de mondialisation et de globalisation ont été pris en compte de manière indifféren- ciée et conçus comme un mouvement d’ex- pansion à la fois spatial, temporel et matériel dont le droit constitue l’épicentre.

La mondialisation des concepts environne- mentaux apparaît comme une évidente néces- sité en raison du caractère d’universalité d’une matière qui ignore les frontières. Un regroupe- ment autour de concepts fédérateurs est une exigence qui s’impose d’autant plus que l’épar- pillement des sources du droit s’est accru. Cette recherche d’unité est facilitée par le caractère universaliste des sciences dures, qui souvent commandent au droit de l’environnement.

L’intégration du droit communautaire et la place désormais occupée par l’environnement, qui est passée en peu d’années du « presque tout » au « presque rien », sont citées en modèle par tous les rapports. Mais chacun s’accorde à penser que cette globalisation, qui demeure régionale, est insuffisante et que la vraie dimension est la dimension planétaire.

À ce propos, il convient de ne pas confondre internationalisation du droit, qui s’appuie sur les États nations ainsi que sur une hiérarchie des normes, et la mondialisation, processus différent et plus ambitieux qui dépasse le cadre étatique et s’écarte de la réglementa- tion traditionnelle pour emprunter à un vaste appareil de régulation et de normalisation.

La plupart des rapports insistent sur l’obliga- tion de fidélité au traditionnel gouvernement par la règle contraignante, ne manquant pas de souligner les risques de la régulation par la loi du marché et un partenariat public/privé où la logique du profit demeure prédominante, menace particulièrement forte s’agissant des pays en voie de développement.

Le « tout contrat » a des vertus, mais la protection de l’environnement a besoin de contraintes et sa défense ne peut être livrée au seul consensualisme.

La mondialisation des concepts requérant une harmonisation préalable, deux difficultés surgissent. La première n’est pas insurmon- table : c’est celle du rapprochement entre les deux principaux systèmes de droit que sont la culture romano-germanique et celle de la common law. Ce dernier est sans doute plus adapté à la régulation et à une conceptuali- sation qui emprunte au langage des praticiens alors que le premier privilégie davantage l’abs- traction et le classement catégoriel. On peut penser cependant que cette diversité d’ap- proche n’est pas un réel handicap mais plutôt un enrichissement mutuel et que la décou- verte d’un langage commun et de concepts unifiés n’est pas une entreprise impossible, quitte à donner des explications claires sur le sens des mots et leur intelligibilité.

La seconde difficulté est plus difficile à résoudre : elle consiste à donner une traduc- tion juridique à des notions issues des sciences dures et des sciences sociales dont le voca- bulaire est étranger au droit. La fidélité de la traduction est d’autant plus importante que le langage du droit n’est pas neutre, qu’il créé des droits et obligations, construit des valeurs et une sécurité qu’une transposition maladroite mettrait en péril.

La recherche n’est, en somme, qu’un des aspects de la mondialisation de l’État de droit,

« figure imposée » et invocation rituelle de l’ensemble des pays du monde, quel que soit leur régime politique. Elle répond à l’interna- tionalisation des droits de l’homme et repose sur la confiance que les citoyens attendent du règne du droit. Mais nul n’ignore que derrière les proclamations généreuses et ostentatoires se dissimulent les particularismes nationaux et leurs déviances. La mondialisation du droit de l’environnement, par la conceptualisation des données, est sans doute plus aisée à établir s’agissant des questions techniques et scienti- fiques, où l’artifice est aisément décelable, que s’agissant des questions juridiques plus déli- cates à appréhender car souvent imprécises, évolutives, difficilement saisissables.

Mais la « flexibilité » est inhérente au droit et elle permet au juge d’interpréter de nombreux RD&J n°31 • RECHERCHES

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Recherches

RECHERCHES • RD&J n°31

concepts globalisés du droit de l’environne- ment avec une subtilité qui renforcera l’effica- cité de leur application.

JACQUELINE FLAUSS-DIEM ET JOSÉ LEFEBVRE

(CEPRISCA – UNIVERSITÉD’AMIENS)

Polices et justices de l’environnement : le cas de la Picardie.

Quelle est l’effectivité réelle de la norme envi- ronnementale au travers du microcosme d’une région présentant un intérêt particulier de par sa configuration géographique et économique et de par la complexité des structures qui s’y occupent de l’environnement, la Picardie ? C’est à cette question que l’étude du CEPRISCA s’est efforcé de donner une réponse.

Alors que l’on a pu s’interroger sur l’autonomie du droit de l’environnement et sur sa place au sein du système juridique, celui-ci apparaît aujourd’hui comme une nouvelle branche du droit du fait de l’application de règles juridi- ques spécifiques, de l’affirmation de principes propres, désormais constitutionnalisés, de la création en 2000 d’un Code de l’environne- ment et de la reconnaissance d’un droit consti- tutionnel à l’environnement. Mais il continue néanmoins à souffrir d’un certain manque d’ef- fectivité en raison de la segmentation et de la dispersion des moyens et des agents chargés d’appliquer les polices de l’environnement, d’un défaut de cohérence de la politique pénale et d’une absence d’efficacité de l’action judiciaire dans le traitement des infractions liées à la protection de l’environnement.

Face à ce constat, l’hypothèse que voulait tester cette recherche était que les règles de l’environnement peuvent avoir une struc- ture propre, dans la mesure où elles privilé- gient l’aspect préventif sur l’aspect purement répressif.

Deux orientations s’en déduisaient. D’une part, en se situant en amont, l’efficacité des polices de l’environnement devient la ques- tion majeure et la question de l’impact de la décentralisation sur l’identité des acteurs ne peut être éludée ni celle de l’articulation de leurs interventions avec celles des associations.

D’autre part, et en aval cette fois, les règles

répressives, y compris et surtout administra- tives, privilégient ce que l’on pourrait appeler la mise en conformité (mise en demeure d’exécuter certains travaux, actions de régu- larisation, transactions permettant l’exécution de certaines obligations…). Ce n’est qu’en cas d’échec qu’intervient la sanction pénale. Le juge peut aussi prononcer une condamna- tion, mais ajourner le prononcé de la peine de telle sorte que la personne condamnée puisse respecter les prescriptions auxquelles il a été contrevenu. La sanction pénale se révèle ainsi être la conséquence d’une résistance à une demande de mise en conformité, à la régula- risation de la situation, plus que la sanction de la violation d’une norme de comportement.

Pour conforter ou infirmer cette approche dogmatique de l’effectivité de la règle envi- ronnementale impliquant un comportement positif, il devenait nécessaire de la confronter à la réception de la « normativité » environne- mentale par son destinataire final prioritaire : l’entreprise, et de corréler cette réceptivité avec l’intervention de tous les autres acteurs assurant le respect de l’environnement en Picardie.

DIDIER THOMASET ANNE PONSEILLE ÉQUIPEDERECHERCHESURLAPOLITIQUE CRIMINELLE (UNIVERSITÉDE MONTPELLIER)

Les juges de proximité.

Créés par la loi du 9 septembre 2002, les juge de proximité se sont vu reconnaître une compé- tence d’attribution élargie tant en matière civile qu’en matière pénale. L’institution a fait l’objet en 2005 d’une première évaluation qui a donné lieu notamment à un allongement de la durée de formation et à une modification de ses modalités.

Le travail réalisé à partir de 2006 par l’ERPC sur plusieurs sites judiciaires du sud de la France s’est donné pour objectif de confronter les projets affichés du législateur et l’exercice quotidien de la fonction de juge de proximité.

Il s’attache d’une part à évaluer le degré d’in- sertion du juge de proximité dans le domaine judiciaire à travers les différentes perceptions de la justice de proximité par les profession- nels du droit et les justiciables et revient, d’autre part, sur les caractères de la proximité que le législateur a entendu attribuer à ce juge,

avant de dresser un bilan retraçant l’éventuel décalage entre la conception de la justice de proximité annoncée par le législateur et la pratique de la justice de proximité.

L’investigation s’est déroulée sur deux années, en quatre étapes successives d’observation du déroulement des audiences tenues en matière civile et pénale d’abord, puis d’analyse des jugements rendus (185 en matière civile, 151 en matière pénale), d’entretiens avec les juges de proximité, les professionnels du droit (magis- trats de carrière, avocats, greffiers et conci- liateurs de justice) et les justiciables afin de recueillir leur opinion sur le juge de proximité et, enfin, d’exploitation de questionnaires élaborés dans le but d’inventorier les diffé- rentes opinions portant sur l’intégration et la perception du juge de proximité.

Il s’agissait moins, soulignent les auteurs, de proposer une analyse véritablement compara- tive entre les juridictions des différents ressorts de Cours d’appel visitées, que d’émettre des considérations sur une vue d’ensemble des juges de proximité. Les tendances ainsi que les considérations qui en résultent doivent en conséquence être nuancées, notamment au regard des autres travaux qui ont pu être menés sur le thème des juges de proximité.

Le rapport propose dans sa première partie une analyse générale portant sur la fonction de juge de proximité (organisation institu- tionnelle et organisation processuelle de la fonction) avant de présenter une analyse plus spécifique attachée à l’activité des juges de proximité sur la base d’une observation des audiences et de l’étude de la motivation et du sens des jugements.

Si la fonction de juge de proximité a pu véhi- culer un temps l’image d’un « juge de paix du XXIe siècle », elle se trouve en définitive bien souvent à l’opposé d’une telle vision. En appor- tant son lot de promesses et de bouleverse- ments, même décevants à bien des égards, la fonction n’a pas laissé indifférents ceux qui devaient la côtoyer. En dépit des controverses qu’il a continué de susciter, le juge de proximité a fini par devenir l’une des figures du paysage judiciaire français. Le rapport proposé va au- delà du regard qui vient d’être porté sur la fonction, en s’attachant à une dimension plus subjective à travers l’observation de l’activité quotidienne des juges de proximité.

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ès sa création en 1945, la F ond at ion n at ion a le de s sciences politiques assuma l’hér it age i ntel lec t uel de l’École libre et la forte tradition de recherche sur le vote, les partis et les courants politiques qu’avait inaugu- rée André Siegfried au début du siècle.

Tradition intellectuelle de compren- dre le politique comme une résultante d’effets de milieux au sens de la géogra- phie humaine (ou, diraient davantage les sociologues, de faits de morphologie sociale) mais en évitant la logique déter- ministe pour ne retenir qu’une logique

« possibiliste » qui n’oublie pas que le politique a son autonomie, qui est forte.

Tradition entretenue après la seconde guerre mondiale par André Siegfried lui-même puis par René Rémond, Raoul Girardet, François Goguel Jean-Marcel Jeanneney et Jean Touchard, fondateur en 1960 du CEVIPOF, le Centre d’Études de la vie politique en France.

Les premiers pas.

Jean Touchard plaça la création du CEVIPOF sous les doubles auspices de l’analyse électorale et de celle des idéo- logies et courants de pensée. Très liée à sa forte personnalité, la petite équipe du CEVIPOF et de ses « compagnons de route» produisit nombre d’ouvra- ges sur les grandes consultations élec- torales des années 60 et sur les grands courants idéologiques. En même temps, l’utilisation des premières techniques quantitatives fit son apparition. C’est à l’occasion de la préparation du cahier

électoral sur le référendum de 1961 que les chercheurs eurent recours pour la première fois à l’usage des techniques mécanographiques et que furent réali- sées les premières analyses électorales exhaustives sur les 3000 cantons d’alors tandis que Guy Michelat entreprenait la première analyse quantitative des attitu- des à l’aide de la technique des échelles d’attitudes. Le mouvement était donné, Jean Touchard allait, en 1966, passer la main à François Goguel et Georges Lavau qui était arrivé de l’université de Grenoble en 1962.

Le développement.

Les années du tandem Goguel-Lavau ont été celles de l’explosion du nombre des chercheurs du CEVIPOF et de la diversi- fication des axes de recherche : le syndi- calisme et le mouvement social avec René Mouriaux et Jacques Capdevielle, les médias avec Roland Cayrol, la sémio- logie avec Eric Landowski, l’analyse des orientations politiques des grou- pes socio-professionnels avec Gérard Grunberg, etc. En 1968, l’association du laboratoire au CNRS a renforcé ce mouvement et Frédéric Bon, tout en renouvelant l’analyse des courants de pensée et des idéologies, a fédéré autour de lui les ardeurs qui sont symptomati- ques d’une vraie « culture CEVIPOF » où s’épanouit la volonté de mettre au jour de manière systématique les struc- tures des mentalités collectives. En même temps, à partir des législatives de 1967, s’étaient mises en place les opéra- tions d’estimation électorale qui, avec la

collaboration des instituts de sondage et des médias, sont à l’origine d’une vérita- ble excellence française en la matière.

Les années 70 ont été celles de l’expan- sion : amplification des moyens et des effectifs avec l’association au CNRS, exploration de nouveaux axes avec, par exemple, les travaux d’Annick Percheron sur la socialisation politique.

La maturité.

En 1974, Alain Lancelot, un ancien chercheur devenu professeur, a succédé à Georges Lavau. Le laboratoire avait ainsi atteint sa maturité puisqu’il avait pu survivre à la génération des fonda- teurs et promouvoir un des siens à sa tête. La direction d’Alain Lancelot qui devait se poursuivre jusqu’à son acces- sion à la tête de l’I EP en 1986, fut marquée par une double préoccupation : celle de l’ouverture volontariste à de nouveaux domaines et problématiques (politiques publiques, analyse compara- tive…) et la volonté d’éviter la dispersion et l’éclatement de l’équipe en faisant fonctionner un séminaire de recherche articulé essentiellement autour de lectu- res communes dont la communauté des chercheurs débattait, et en instaurant des projets de recherche lourds rassem- blant tous les trois ou quatre ans un nombre important des chercheurs du laboratoire. Ces projets dits « majeurs » s’enchaînèrent. Les années 70 et le début des années 80 furent marquées par la publication d’ouvrages impor- tants particulièrement dans le domaine de l’analyse des comportements et des RD&J n°31 • ÉQUIPE

Le CEVIPOF

Pascal Perrineau

Directeur du CEVIPOF

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7 attitudes politiques. Poursuivant et

modernisant la tradition « maison » d’étude des systèmes d’attitudes et des variables explicatives de l’orientation des comportements politiques, cet ensemble d’ouvrages montrait comment s’étaient mariés heureusement au sein du labora- toire les traditions françaises de géogra- phie électorale, d’histoire sociale et le comportementalisme d’inspiration anglo-saxonne (behaviorisme).

Lorsque Alain Lancelot quitta la direc- tion du CEVIPOF en 1986, on pouvait considérer que les chercheurs du labo- ratoire avaient fermement établi dans le paysage intellectuel de la science poli- tique française une vraie version fran- çaise des grands modèles behavioristes qui ont si fortement marqué la science politique américaine des années 50 aux années 70.

C’est da ns ce contex te qu’A n n ic k Percheron, directrice de recherches au CNRS, entrée au laboratoire en 1967 arriva, en 1986, à la tête du CEVIPOF.

Cette grande professionnelle de la recher- che, formée en France et aux États-Unis, encouragea le mouvement de profes- sionnalisation de la recherche en science politique et maria davantage les cultu- res Sciences Po et CNRS. Constatant la faiblesse de production des données poli- tiques en France par rapport à nombre de nos voisins européens (Allemagne, Grande-Bretagne, Europe du Nord), elle contribua dès 1985 à la création d’un outil de production de données de ce type, régulier et fiable, l’Observatoire interrégional du politique (OIP). Ce travail fut hélas interrompu par la mala- die et la disparition d’Annick Percheron en 1992.

L’ouverture.

I l resta it avec la com mu nauté des chercheurs à parachever l’œuvre en adaptant l’institution au nouvel envi- ronnement qui est le sien. Deux voies furent définies :

1. le maintien et parfois la réanima- tion de ce qui avait fait pendant long-

temps l’excellence et l’identité même du laboratoire : l’étude des comporte- ments politiques et particulièrement du vote. C’est ainsi qu’en 1992 Pascal Perrineau, nouveau directeur, relança la collection des Chroniques électorales, interrompue après les législatives de 1967. Plus largement, en matière d’ana- lyse des comportements politiques, les

« variables lourdes » (classe sociale, religion) ont été « revisitées », rééva- luées, alors qu’une attention particu- lière était accordée aux variables de

« l’offre politique » (enjeux, mutations de l’espace politique).

2. le renforcement de l’institution et de son organisation. Les années 90 furent ainsi les années de la structuration de la vie interne du laboratoire en trois pôles (analyse des comportements et des attitudes politiques, action publique, histoire des idées et pensée politique) et surtout de la rationalisation de l’or- ganisation du travail de l’équipe admi- nistrative, avec l’arrivée d’un secrétaire général chargé de la mise en cohé- rence des fonctions d’administration, de recherche et de communication et de l’informatisation du laboratoire.

Tous ces instruments mis au service de la recherche et de la modernisation de l’héritage intellectuel servent aussi à répondre aux défis d’un environnement qui a changé profondément.

✔ Tout d’abord, après des décennies de recrutement actif de chercheurs, les années 90 et suivantes ont été, dans la recherche com me dans d’autres secteurs, des années de faible recrute- ment. Pour pallier ce défaut de renou- vellement des générations et, en même temps des problématiques, il fallait ouvrir le laboratoire aux meilleurs des jeunes doctorants de science politique de l’École doctorale de Sciences Po. Une politique d’accueil matériel et scienti- fique de ces jeunes a été mise en place et leur permet – s’ils en ont l’envie – de découvrir, au-delà des mots, ce qu’est

« la formation à la recherche par la recherche ».

✔ Deuxième défi de l’environnement, l’évolution des lieux du politique qui diffuse de plus en plus en dehors de l’institutionnel et des instances tradi- tionnelles de la représentation. Pour accompagner cette évolution, le labo- ratoire s’est ouvert aux analyses de la participation politique non-conven- tionnelle, du « militantisme moral », des mutations de l’action collective ou encore de la question du droit et de la justice. Sur ce dernier point, des chercheurs comme Jacqueline Costa- Lascoux, Jacques Commaille, Olivier Duha mel et Ol iv ier Rozenberg ont abordé les questions des politiques de l’immigration, de la laïcité, du proces- sus politique de production de la loi, de l’évolution des institutions politiques de la Ve République, des parlements en Europe ou encore de l’impact de l’in- tégration européene sur les systèmes politiques nationaux. de la gouver- nance et du changement de l’action publique.

✔ Troisième défi : l’internationalisation croissante des enjeux et des modes de comportements nationaux nécessitait une ouverture du CEVIPOF à la démar- che comparative, à l’accueil de cher- cheurs étrangers et à l’insertion de ses propres chercheurs dans des réseaux i nter nationaux et par tic ul ièrement européens. La création de l’Espace euro- péen de la recherche et des program- mes cadres qui lui donnent chair y a beaucoup aidé. Depuis une décennie, des travaux très divers menés par des chercheurs du laboratoire attestent de cette profonde internationalisation d’un laboratoire dont la vocation initiale était

« hexagonale ».

I nter nat iona l isat ion , ouver tu re de nouveaux champs, modernisation de nos pôles d’excellence, c’est autour de ce triptyque que la « vieille maison » du CEVIPOF (qui maintenant a changé de nom pour devenir le « Centre de recher- ches politiques de Sciences Po ») épou- sera le XXIe siècle sans rien renier de la prestigieuse tradition intellectuelle qui l’a patiemment construite.

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D

u 2 au 14 juillet 2008, l’IFOP, après avoir consulté les Français sur l’image qu’ils se font de la justice, a interrogé les 8000 magistrats de France par questionnaire dit

« auto-administré » en ligne. Sur cette « population », 1209 intéressés ont répondu, soit un chiffre considérable qui garantit une remarquable représentativité au sondage. Pour la première fois, les magistrats ont ainsi été consultés sur leur propre représentation de la justice, son fonctionnement, les attentes d’amélioration de l’institution, la déontologie ou encore leur regard sur leur situation professionnelle.

Il n’est guère besoin de souligner combien l’étude, commandée par le CSM et orchestrée par le GIP « Recherche Droit et justice », est impor- tante. On ignore l’essentiel de ce que les magistrats peuvent penser de leur métier, et ce qu’ils attendent comme évolutions majeures pour la justice et son organisation. Evidemment, les syndicats sont ici des relais précieux, qui ne manquent pas de faire connaître et de diffuser les revendications des magistrats. Mais les sentiments qui animent ces derniers restent méconnus. Au reste, l’étude n’a pas été publiée : le CSM entendait essentiellement disposer d’une étude d’ensemble sur les

« Français et leur justice » – c’est le volet n° 1 de l’enquête réalisée par l’IFOP – dont il a pu assurer la diffusion dans son rapport annuel ; en revanche, il n’avait pas escompté, à l’origine de sa démarche, solliciter l’opinion des magistrats eux-mêmes. Lorsque les résultats furent connus, son rapport annuel était déjà sous presse.

C’est sans doute le lieu de dire que le GIP a apporté un soutien important au CSM dans la mise en place, le déroulement et même la suite de l’en- quête. Le CSM entendait évaluer et mesurer ce que les Français pouvaient, Outreau passé et mal digéré, penser de leur justice. Le GIP a fourni une aide matérielle et intellectuelle, en sélectionnant l’institut de sondage, en finançant les enquêtes, en travaillant sur les questionnaires et leur perti- nence. Cette collaboration fructueuse offre maints enseignements.

Si l’on s’en tient à ce que les magistrats pensent de la justice – on doit dire de « leur » justice – les apports sont nombreux, que l’on ne saurait tous résumer ici. D’un mot, on dira que l’étude marque de façon éloquente une confiance avérée des magistrats dans leur justice et dans leur métier.

Si l’on pouvait mesurer l’humeur de la magistrature, on la trouverait plutôt bonne, toute approche politique évidemment mise ici de côté.

En premier lieu, l’enquête mesure le sentiment que les magistrats ont de la justice. Sous cet aspect, la confiance dans la justice n’est pas douteuse (92%), qui la place dans les institutions les mieux perçues par les magis- trats, à l’égale de la Fonction publique ou de l’armée, bien loin devant les élus (33%) et les médias (19%). Cette confiance est d’autant plus impor- tante que les magistrats consultés sont jeunes (97% pour les moins de 35 ans ; 90% pour les 50 ans et plus). La satisfaction vient du dérou- lement des procès (80%), de la clarté des décisions de justice (73%), tandis qu’à l’autre extrême, l’exécution des décisions de justice (26%), la compréhension du fonctionnement de la justice (12%) ne sauraient guère contribuer, pensent les magistrats, au bon fonctionnement de la justice.

Dès lors, on ne sera pas surpris de constater que les magistrats estiment à 68% que la justice fonctionne bien en France, même s’il est vrai que cela qui fait tout de même près d’un magistrat sur trois qui estime qu’elle fonctionne mal. 23% des magistrats déclarent d’ailleurs qu’elle doit être réformée en profondeur.

L’enquête mesure, en deuxième lieu, l’image que les magistrats ont d’eux-mêmes. Sous cet aspect, les qualités que les magistrats se reconnaissent sont indéniables : les magistrats du siège sont estimés intègres mais aussi respectueux de la légalité à 100%. Ils respectent le secret professionnel, sont impartiaux, dignes, compétents selon 98% des sondés. Indépendants à 95%. Des chiffres comparables mesu- rent les traits d’image associés aux magistrats du Parquet.

Le Regard des Français et des magistrats sur la Justice

Nicolas Molfessis

Professeur de droit (Université Paris II) Directeur adjoint de la Mission

Question : Êtes-vous tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord, pas du tout d’accord avec les phrases suivantes ? Les magistrats du Siège sont...

TOTAL

D’accord (%) Tout à fait

d’accord (%) Plutôt d’accord (%)

TOTAL Pas

d’accord (%) Plutôt pas

d’accord (%) Pas du tout

d’accord (%) TOTAL (%)

• Intègres 100 75 25 - - - 100

• Respectueux de la légalité 100 68 32 - - - 100

• Respectueux du secret professionnel 98 61 37 2 2 - 100

• Impartiaux 98 58 40 2 2 - 100

• Dignes 98 46 52 2 2 - 100

• Compétents 98 37 61 2 2 - 100

• Respectueux du devoir de réserve 97 52 45 3 3 - 100

• Indépendants 95 56 39 5 4 1 100

• Diligents 88 23 65 12 11 1 100

Quel impact les affaires médiatisées mettant en cause l’activité des magistrats ont-elles sur la confiance que le justiciable éprouve vis-à-vis de l’institution judiciaire et de ceux qui en sont les acteurs ? Pour tenter de répondre à cette question en écartant les facilités de la polémique, ce dossier s’est appuyé sur les enseignements d’un sondage récemment réalisé pour le compte du Conseil supérieur de la magistrature et sur les conclusions de recherches menées en France et aux Etats-Unis.

RD&J n°31 • DOSSIER

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Ces chiffres ne doivent pas être mal compris : ils permettent de com- prendre que les magistrats ne se font pas une idée dévoyée de leur propre corporation. Outreau n’a pas entamé la confiance des magistrats dans leur propre corps.

Au demeurant, les magistrats s’affirment globalement satisfaits à 75%

de leur situation professionnelle actuelle, chiffre que nombre de cor- porations ne sauraient même espérer connaître. L’autonomie, les res- ponsabilités dans le travail, voire l’ambiance générale dans la juridiction sont parmi les principaux facteurs de satisfaction, à comparer avec la médiocre perception des conditions matérielles de travail, de la charge qu’il représente et de sa reconnaissance.

Question : Globalement, diriez-vous que vous êtes très satisfait, plutôt satisfait, plutôt pas satisfait ou pas du tout satisfait de votre situation professionnelle actuelle ?

Ensemble (%) TOTAL Satisfait 75

• Très satisfait 18

• Plutôt satisfait 57 TOTAL Pas satisfait 25

• Plutôt pas satisfait 22

• Pas du tout satisfait 3

TOTAL 100

L’optimisme est d’ailleurs là, puisque les magistrats se disent fiers à 95%

d’exercer leur métier et sont 77% à déclarer qu’ils conseilleraient à l’un de leurs proches, s’ils en avaient l’envie et les compétences nécessaires de devenir magistrat.

L’enquête mesure, en troisième lieu, les attentes d’amélioration de la justice. Ce que veulent les magistrats ? De façon écrasante, augmenter le nombre de personnels de la justice hors magistrats (98%). Mais aussi augmenter le nombre de magistrats (87%), favoriser une plus grande spécialisation des juges et des magistrats du parquet en fonction du type d’affaire (63%). Mais sûrement pas tenir compte davantage de l’opinion publique (7%) ou encore accroître les possibilités de sanc-

tions disciplinaires à leur encontre (23%). D’ailleurs, qu’il s’agisse de responsabilité disciplinaire ou de responsabilité civile, ils considèrent que le système actuel ne doit pas évoluer (78% pour la première forme de responsabilité ; 84% pour la seconde).

Les magistrats se déclarent en faveur de la collégialité (78%) et n’es- timent majoritairement pas qu’il soit préférable d’être jugé à juge unique pour accélérer les procédures et faire baisser leurs coûts. Ils sont aussi très nettement favorables au système de l’unité de corps des magistrats, tel qu’il existe actuellement, refusant une évolution vers une séparation entre les autorités de poursuite et de jugement (78-22%).

Dans cette vaste fresque, des tons gris et maussades apparaissent toutefois. Il faut ainsi observer que les magistrats croient que leur métier et plus généralement la justice est mal perçue par les justicia- bles. Si une appréhension se dégage de l’enquête, c’est bien celle d’un manque de reconnaissance que les magistrats ressentent ; on pourrait dire une crainte d’être mal aimé. Les magistrats considèrent que les Français – contrairement à eux-mêmes (v. supra) – n’auraient majoritai- rement pas confiance dans la justice (37% auraient confiance ; 63% pas confiance). La justice serait considérée comme trop complexe (79%), trop lente (79%) ou encore trop chère (46%). Dans cette croyance des juges sur les représentations que les justiciables se feraient de leur justice, on est frappé de relever que ni l’efficacité de la justice (2%), ni l’adaptation de la justice aux évolutions de la société (4%) ou encore le fait que la justice est équitable et juste (5%) expliqueraient l’éventuelle confiance des Français à l’égard de la justice. Tempérons toutefois, cette première ombre : les magistrats sont bien trop pessimistes, puisque l’enquête réalisée auprès des Français montre une proportion exactement inverse de citoyens qui ont confiance dans la justice (63%). Ils sont d’ailleurs mauvais juges d’eux-mêmes, puisque ce que les Français reprochent, c’est avant tout le fait que la justice n’est pas la même pour tous (61%) et son caractère inéquitable et injuste (43%).

En outre, les magistrats perçoivent de façon négative l’évolution de leur métier. Pour eux-mêmes, « en tant que magistrat », ils ne sont que 54% à être optimiste en pensant à l’avenir ; pour le corps des magistrats, ils ne sont plus que 18% à faire preuve d’optimisme et donc 82% à se déclarer pessimiste. Ce chiffre est sans doute chargé de significations multiples.

Question : En pensant à l’avenir, diriez-vous que vous êtes très optimiste, plutôt optimiste, plutôt pessimiste ou très pessimiste pour... ?

TOTAL Optimiste

(%)

Très optimiste

(%)

Plutôt optimiste

(%)

TOTAL Pessimiste

(%)

Plutôt pessimiste

(%)

Très pessimiste

(%)

TOTAL (%)

• Vous même en tant que magistrat 54 4 50 46 40 6 100

• Le corps des magistrats 18 1 17 82 57 25 100

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es idées, enfants de notre esprit, doivent, comme toute pro- géniture lorsque elle a suffisamment grandi et mûri, échapper à leurs auteurs, les dépasser pour se confronter à d’autres et en engendrer de nouvelles. Le CSM a récemment connu ce phénomène, après que la loi organique du 5 mars 2007, par son article 18, lui a confié « la rédaction d’un recueil des obligations déontologiques des magistrats ». L’objectif a été précisément fixé par le législateur, mais les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir ont été laissés à la plus libre appréciation du CSM. Si ce dernier est passé par des chemins classiques – analyse comparée des expériences étrangères, consultation d’experts – il a aussi innové, en empruntant des voies moins courues : un sondage auprès du grand public et une consultation auprès des magistrats.

Car ce projet trouvant son origine dans l’émoi suscité chez les Français, par l’accumulation, en quelques années, d’affaires mettant en cause les magistrats, il était utile de cerner les connaissances et l’état de l’opinion concernant la Justice, mais aussi le moral de la profession concernée.

Le G. I. P. « Mission de Recherche Droit et Justice » a accepté d’ap- porter au CSM, outre son aide financière, ses conseils avisés quant à l’élaboration des questionnaires. C’est en juin 2008, lorsqu’on a disposé des réponses au sondage grand public réalisé par l’IFOP, que s’est opéré un premier « détournement ». En effet, à cette époque, le CSM achevait une réflexion sur « les Français et leur justice : restaurer la confiance », intégrée depuis dans son rapport annuel et tiré à part à la Documentation française.

Il a alors été décidé d’y agréger les résultats du sondage, tant ces derniers sont apparus comme une confirmation par les chiffres d’une analyse de l’état de Justice que le lecteur aurait pu trouver trop théorique.

Ainsi, lorsque les Français répondent à 63% qu’ils ont confiance en leur Justice, il ne faut pas se tromper sur la portée de ce chiffre : l’institution n’arrive qu’à la sixième position du classement, très loin derrière l’Ecole, l’Armée ou la Police, qui recueillent des indices de satisfaction 20 à 13%

plus élevés. Le CSM a donc quelque légitimité à dire que « la France a mal de sa Justice ». Tout comme il a quelques raisons de penser que la Justice doit faire sa révolution en termes de communication et dans ses rapports avec les autres pouvoirs et autorités étatiques, afin de revaloriser sa place et son prestige. En effet, le sondage montre que seulement trois Français sur 10 font la différence entre un juge et un procureur ; et qu’à peine un Français sur deux estime que les magistrats sont indépendants

du pouvoir politique. Un élément positif, par contre : les Français, dans leur écrasante majorité, considèrent que les magistrats sont compétents (87%), intègres (80%) et bien formés (78%), ces bons chiffres constituant un socle solide pour rénover la Justice.

Un second « détournement » débute ici même, dans les pages de cette revue : il concerne cette fois la consultation des magistrats réalisée par l’IFOP en juillet 2008. Le CSM aurait pu, là aussi, garder ces résultats par devers lui et tenter de les exploiter par lui-même. Au vrai, s’il confie, là encore sans plus attendre, le fruit de son initiative à la réflexion des chercheurs, c’est parce que la richesse des réponses obtenues est plus grande encore que celles issues du sondage mené auprès du grand public et bien plus complexe à exploiter. La difficulté tient d’abord à la nouveauté de la démarche : jamais, à notre connaissance, la magistrature n’a ainsi été interrogée, dans une approche statistique et sociologique, encadrée par un institut de sondage au professionnalisme reconnu. Et jamais on n’a ainsi recueilli son avis sur des questions aussi déterminantes de l’état d’esprit d’une profession, telles que savoir si le magistrat est fier de son métier, s’il s’estime suffisamment rémunéré, ou de se prononcer sur l’utilité d’un recueil des obligations déontologiques.

Par ailleurs, l’usage croisé de la statistique et de l’informatique permet d’entrer dans un degré de précision tel qu’il ouvre de larges perspectives d’analyse, notamment quant au profil des personnes interrogées. Ainsi, parmi les 23% de magistrats favorables à une réforme de la Justice en profondeur, 16% seulement ont moins de cinq ans d’ancienneté tandis que 29% exercent depuis plus de 20 ans. Les jeunes magistrats seraient-ils plus conservateurs que les seniors ? De même, un clivage net et systématique apparaît entre hommes et femmes : les premiers semblent ainsi plus réformateurs (sur la carte judiciaire, la spécialisation des contentieux, le recours à des autorités indépendantes...) que leurs homologues féminins.

À une époque, où les promotions issues de l’École de la magistrature sont à 75% féminines, n’est-ce pas là une donnée à intégrer ? Quant au clivage siège/parquet, on laisse volontiers le soin aux chercheurs de divulguer les réponses, tant leur révélation risque d’être commentée : la vision croisée des juges envers les procureurs et vice versa, sur les questions d’indépen- dance et d’impartialité, livrée par cette enquête, est une donnée nouvelle dans le débat sur l’unité du corps. Les chiffres, froids comme ils savent l’être, mais ô combien signifiants, ne s’embarrassent pas des sujets tabous.

Enfin l’analyse comparée du sondage de mai 2008 auprès du grand public et de la consultation de juillet 2008 auprès des magistrats, sera un autre axe de travail tout aussi passionnant. Ainsi, alors que 63% des Français accordent leur confiance à la Justice, seulement 37% des magis- trats pensent que les citoyens leur font confiance. D’où la conclusion d’un observateur avisé : « les juges se sentent moins appréciés qu’ils ne le sont en réalité » (Hervé Gattegno, dans une enquête du Point, 30 octobre 2008). Les magistrats, qui gagneraient à apprendre à se servir des chiffres, parce que ceux-ci sont décidément têtus, disposent là d’une donnée valorisante, qui devrait les sortir de leur morosité.

Cette consultation, réalisée par le biais d’une approche systématisée, issue des techniques de sondage, recèle donc des informations et des bases d’analyse de la justice judiciaire actualisées, innovantes et, pour certaines, insoupçonnées. Les quelques exemples cités ci-dessus ne retranscrivent qu’un ressenti, une perception diffuse et désordonnée de la richesse de cet outil.

Il faut donc se dépêcher de le mettre entre les mains des universitaires- chercheurs et sociologues, qui, par expérience et tradition, savent aller au plus loin dans l’interprétation des données, avec un œil distancié.

Laissons-les donc s’emparer de ces résultats, les tourner et retourner en tout sens, les confronter à d’autres, nous en dire les limites et les pers- pectives. Après quoi, et comme un retour sur investissement d’idées, le CSM pourra à son tour profiter du travail des autres, à partir de don- nées enrichies de leurs pérégrinations sur d’autres terres de réflexion.

Un peu comme le retour de l’enfant prodigue.

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RD&J n°31 • DOSSIER : LE REGARD DES FRANÇAIS ET DES MAGISTRATS SUR LA JUSTICE

Des indications

pour les magistrats et pour les chercheurs

Michel LE POGAM Magistrat, membre du CSM

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DOSSIER • RD&J n°31

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S

elon les conclusions de la dernière enquête nationale réalisée en 1999 par l’American Bar Association sur la perception de la justice par la population générale, 80% des Américains interrogés s’accordaient à reconnaître qu’ « en dépit de ses problèmes, le système judiciaire américain est toujours le meilleur du monde » (1). Si l’on se fie à ces résultats, la perception de la justice par le justiciable américain était donc, il y a dix ans encore, pour le moins excellente. Toutefois, au-delà de ces tentatives de quantification, menées surtout par des juristes et des politistes, sociologues et anthropologues proposent une autre manière d’envisager les relations entre le justiciable et le système juridique : ils cherchent avant tout à saisir la justice « en actes », c’est-à-dire telle qu’elle est jouée par les acteurs in situ et in vivo, en observant les usages concrets de tous les acteurs concernés.

Au cours des quarante dernières années, les sociologues du droit américains ont développé, au sein notamment du courant « Law and Society », une panoplie d’outils, de méthodes et de perspectives qu’on ne peut tous présenter ici (2). Le principal présupposé de cette approche peut se résumer ainsi : on ne s’intéresse pas tant à la « perception » de la justice par le « justiciable » qu’à la question de la pratique de la justice par les « acteurs du droit », désignant par là non pas seulement les pro- fessionnels du droit tels que les avocats, magistrats, professeurs, juristes employés par diverses institutions publiques et privées ou autres légistes, mais, plus généralement, les simples citoyens qui prennent conscience des potentialités que présente leur statut de « sujets de droit » et qui entreprennent d’utiliser le système judiciaire à des fins de lutte politique, économique et sociale. De manière plus large, on insiste aussi sur la façon dont les normes juridiques orientent dans la vie quotidienne, et de manière souvent inconsciente, l’ensemble des relations que les individus entretiennent avec leur environnement, physique et social.

Cette approche s’explique en partie par l’importance même du contentieux judiciaire dans la vie américaine, qui est caractérisée par ce que le juriste américain Robert Kagan a appelé le « légalisme contradictoire » (« adversarial legalism ») (3). Ce qui distingue le système juridique américain est le rôle central que jouent les procédures judiciaires dans la mise en œuvre des politiques publiques et la résolution des conflits, notamment dans la mesure où il n’existe pas deux ordres de juridiction, mais un seul : les litiges administratifs sont réglés par les tribunaux de droit commun. Le tribunal, le procès, les magistrats et les avocats sont des figures beaucoup plus familières pour le

citoyen américain que pour son homologue européen, ne serait-ce qu’en raison de l’existence de jurys populaires au civil comme au pénal, ce qui l’amène à participer directement et souvent à l’administration de la justice.

Dès lors, sociologues et anthropologues se demandent pourquoi cer- tains individus recourent aux tribunaux pour résoudre leurs disputes plutôt qu’à des procédures informelles de résolution pour des conflits comme la violence, le recours à un tiers, la médiation institutionnelle, ou encore le scandale ? Comment et pourquoi transforme-t-on un mécon- tentement en recours ? Comment expliquer, par exemple, que certaines personnes n’hésitent pas à appeler la police en pleine nuit pour faire taire un chien qui aboie tandis que d’autres endurent en silence la souffrance causée par des produits défectueux, des erreurs médicales ou des dis- criminations ? Pour répondre à cette dernière question, les sociologues Patricia Ewick et Susan Silbey ont interrogé plus de quatre cents individus sur leur rapport au droit (4). Elles ont identifié différentes façons de parler de la légalité, qui révèlent trois lieux communs (« common places of law ») dans la culture américaine. Un premier type de récit est fondé sur une conception du droit comme force transcendante, qui gouverne les affaires humaines à distance et de façon solennelle. D’autres perçoivent le droit comme un jeu dont les règles peuvent être manipulées pour servir tel ou tel but stratégique. Un troisième récit décrit le droit comme un pouvoir arbitraire et capricieux auquel il faut résister activement.

Les travaux de Ewick et Silbey montrent ainsi que les Américains perçoi- vent la justice comme à la fois sacrée et profane(5). Il y aurait trois grands types d’attitudes vis-à-vis du droit : on peut être en dehors du droit, ou bien avec le droit, ou encore contre le droit. La prise en compte de ce rapport quotidien à la justice permet de revoir certaines thèses sociolo- giques jusque-là bien établies, comme la distinction entre, d’une part, les justiciables habitués (« repeat players »), qui fréquentent régulièrement les institutions judiciaires et savent donc adapter leurs comportements et structurer leurs transactions de façon à utiliser le système à leur profit, et les justiciables occasionnels (« one-shotters »), qui n’ont recours à la justice que de façon exceptionnelle et le plus souvent de façon passive (6). Une autre série de questions porte sur les expériences concrètes du sys- tème juridictionnel par les individus. Les études les plus récentes suggèrent que le droit américain évolue structurellement dans un sens de plus en plus favorable aux justiciables « habitués », qui disposent de capitaux économi- ques, culturels et sociaux plus importants. Ainsi, l’engorgement des juri- dictions conduit à développer des règles de plus en plus restrictives pour décourager les recours et implique des délais de procédure plus longs, ce qui favorise les justiciables disposant de plus grandes ressources juri- diques et économiques. Par ailleurs, l’étude des usages militants du droit dans l’arène judiciaire (« cause lawyering ») montre que le tribunal reste aussi un lieu de contestation et de transformation sociale 7). Les laissés- pour-compte peuvent en effet s’unir et devenir eux aussi des justiciables habitués qui utilisent la justice comme substitut au combat proprement politique. En conclusion, la sociologie de la justice américaine contempo- raine se caractérise avant tout par son désir de comprendre l’emprise que la justice exerce sur les rapports sociaux et d’expliquer en quoi les institu- tions juridictionnelles contribuent à la constitution du social.

1) Voir le rapport publié par l’American Bar Association, Perception of the U.S. Justice System, disponible à http://www.abanet.org/media/perception/home.html.

2) Sur l’histoire du mouvement et de l’association «Law and Society» aux États-Unis, voir par exemple Bryant Garth et Joyce Sterling, «From Legal Realism to Law and Society : Reshaping Law for the Last Stages of the Activist State», Law and Society Review, Vol. 32, No. 2, 1998, pp. 409-472.

3) Robert A. Kagan, Adversarial Legalism : The American Way of Law, Cambridge, Harvard University Press, 2001.

4) Patricia Ewick et Susan S. Silbey, The Common Place of Law : Stories From Everyday Life, Chicago, The University of Chicago Press, 1998.

5) Herbert M. Krister et Susan S. Silbey (éds.), In Litigation : Do the «Haves» Still Come Out Ahead? Stanford, Stanford Law and Politics, 2003, p. 273 et s.

6) Marc Galanter, «Why the ‘Haves’ Come Out Ahead : Speculations on the Limits of Legal Change», Law and Society Review, Vol. 9, 1974, pp. 95-160.

7) Voir par exemple Austin Sarat et Stuart A. Scheingold (éds.), Cause Lawyers And Social Movements, Stanford, Stanford Law and Politics, 2006.

Du justiciable

à l’acteur du droit :

la perception de la justice aux États-Unis

Mathilde Cohen Associate-in-law

Faculté de droit de Columbia University

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