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Géographie Économie Société: Article pp.111-118 of Vol.12 n°1 (2010)

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Regards

Géographie, Économie, Société 12 (2010) 111-118

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

sur...

GES participe de manière classique à la vie scientifique par la diffusion des travaux des chercheurs, les comptes rendus de livres et de colloques etc. Nous proposons à travers cette rubrique « Regards sur les questions d’actualité » d’ouvrir la revue aux débats contemporains autour de questions d’actualités qui relèvent de la sociologie, de la géographie, de l’aménagement et de l’économie… L’objectif est de retracer, à partir d’interviews, le parcours de chercheurs et de penseurs provenant d’horizons disciplinaires divers et de recueillir leurs regards sur les grands enjeux spatiaux et sociétaux.

Lise Bourdeau-Lepage* et Leïla Kebir**

Une interview d’Edgar Morin

³ Par Lise Bourdeau-Lepage et Leïla Kebir

Chercheur-penseur poly-disciplinaire et à contre-courant, Edgar Morin construit son œuvre animé par un besoin irrépressible de comprendre les antagonismes, les contradictions et d’unir les contraires. Défenseur d’une pensée complexe, reliante et ancrée dans la vie, il n’a de cesse de vouloir comprendre l’humain dans ce qu’il a de pire comme de meilleur.

* Université Paris Sud 11, ADIS, lise.bourdeau-lepage@u-psud.fr

** UMR SAD-APT/INRA et boursière du Fonds national suisse, leila.kebir@unine.ch

Une interview faite le 24 février 2010 à Paris

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Directeur de recherche émérite, CNRS, Centre Edgar Morin, EHESS.

Discipline : « Officiellement, j’ai fait partie de la sociologie mais la socio- logie, toujours présente dans mes travaux, ne représente qu’une partie. Il n’y a aucune discipline à laquelle je veux me rattacher, je me maintiens poly-disciplinaire ou trans-disciplinaire. »

Lieux de vie passés et actuels : Toulouse, Paris…

Edgar Morin

X Né en 1923, Edgar Morin commence ses études universitaires à Toulouse en 1940. Poly- disciplinaire, il suit simultanément les cursus de philosophie, de psychologie, de sociolo- gie, de droit, d’économie, de sciences politique et d’histoire & géographie. Engagé dans le parti communiste qu’il quittera plus tard, il rejoint la résistance jusqu’à la fin de la guerre.

Après avoir servi le gouvernement français en Allemagne, il rentre en France où il rédige

« L’Homme et la mort ». En 1950, il entame, au CNRS, sa carrière de chercheur avec des travaux sur le cinéma et la jeunesse. Sollicité en tant que sociologue par les médias pour commenter des faits d’actualités, il développe la sociologie du présent qui consiste à ana- lyser sur le vif des évènements inattendus tels que la Nuit de la nation, Mai 68 et bien plus tard, le scandale du sang contaminé.

En 1968, il se rend à Plozevet (Bretagne) où il étudie les effets de la modernisation sur la société française. Invité à passer une année en Californie à l’Institut Salk de recherches biologiques, il poursuit ses recherches dans le domaine de la complexité. Nommé Directeur de recherche, il co-fonde le Centre international d’anthropologie qui deviendra le Centre Royaumont pour les sciences de l’homme. En 1977, il publie « La Nature de la Nature », premier tome de son œuvre majeure « La Méthode » qu’il achève en 2001 avec « L’Humanité de l’Humanité ». Dans ses différents tomes, il pose les fondements d’une méthode de pen- sée propre à analyser et comprendre la complexité et à lier les contraires.

Outre la publication de nombreux ouvrages, Edgar Morin tisse tout au long de sa carrière de nombreuses collaborations à l’étranger, notamment en Amérique du Sud où sa pensée est très bien diffusée. Il est également très actif « hors laboratoire ». Il œuvre en particulier pour une réforme de l’éducation favorable à l’émergence d’une nouvelle pensée. Engagé, Edgar Morin participe de manière active aux débats de société que ce soit par ses ouvrages, ses interven- tions dans les medias et les nombreuses conférences qu’il donne à travers le monde •••

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À la lecture de vos travaux, il nous semble que la compréhension de l’homme et de l’humain est au cœur de vos recherches ? Etes-vous d’accord avec cela ? Pourriez-vous nous éclairer sur vos motivations ?

C’est bien cela qui est la préoccupation permanente de mon travail. Comment cela m’est venu ? Lorsque je suis entré à l’université, je n’avais pas lu Karl Marx. Un ami m’avait dit que ce qu’il y avait de bien chez Karl Marx, est qu’il était philosophe, socio- logue, économiste, anthropologue, politique et que, de ce fait, il avait une pensée qui pouvait lier entre eux les grands problèmes humains. Je me suis alors inscrit en philoso- phie (qui incluait à l’époque la sociologie et la psychologie), en droit (car on y faisait de l’économie), en sciences politiques et en histoire (qui à l’époque était histoire et géogra- phie). J’ai ainsi eu une formation poly-disciplinaire avec toujours au cœur le problème humain, c’est-à-dire, l’individu dans la société et dans le monde.

Mes études ont été interrompues pendant la guerre, j’ai fait de la résistance, du tra- vail illégal, ai eu quelques aventures après-guerre et je suis entré au CNRS. Mais avant même d’entrer au CNRS, j’ai profité du fait que j’étais chômeur pendant deux ans pour rédiger « L’homme et la mort ». Dans ce livre, je me suis rendu compte que pour traiter des attitudes humaines face à la mort, je devais faire un voyage à travers pratiquement toutes les disciplines : la préhistoire bien évidement car les témoignages montraient qu’il y avait une conception de vie après la mort (dans les tombes, il y avait des squelettes avec des armes et de la nourriture) ; les religions car elles traitent de la mort ; l’histoire elle- même car les conceptions de la mort changeaient au cours du temps, l’apparition d’une pensée : la mort comme l’anéantissement de l’individu sans aucun salut ; la psychologie et la psychanalyse puisque la mort est très présente dans la pensée de Freud notamment ; la psychologie de l’enfant, pour savoir à quel moment l’enfant a une conscience de la mort comme destruction de la subjectivité ; la biologie pour savoir comment se faisait ce processus irréversible qu’est la mort. Il fallait enfin que j’essaie non pas de juxtaposer les connaissances mais de les relier et de traiter des grands paradoxes comme par exemple : comment se fait-il que partout il y a une horreur de la mort comme décomposition du cadavre mais qu’en même temps, partout, on trouve des personnes capables de sacrifier leur vie pour défendre leur religion, leur patrie, leur famille ? J’ai donc fait à travers ce livre mon premier grand travail qui était un peu transdisciplinaire. Je dois dire aussi que pour ma part j’ai bénéficié de la culture littéraire de mon adolescence. J’ai dévoré la lit- térature, les grands auteurs. Shakespeare aussi bien que Dostoïevski font ainsi partie des personnes qui me viennent à l’esprit lorsque je traite des problèmes de vie ou de mort.

Arrivé au CNRS, j’avais pris le cinéma comme thème. Pourquoi ? Parce que c’était un thème où personne ne viendrait m’ennuyer – le cinéma était complètement méprisé par l’élite intellectuelle et universitaire – et puis j’adorais le cinéma. Mon livre, « Le cinéma où l’homme imaginaire » a, tout comme le premier, un caractère anthropologique. J’ai en effet bénéficié de mon étude sur la mort pour traiter du problème du double. Prenez la photographie. La photographie n’a évidemment pas la vie de la réalité. Elle a une autre vie, elle a le charme de l’image, elle a une présence pour conserver l’image des êtres chers ou des parents disparus. Il y a une magie du double qui apparaît dans la photographie. Je parlais donc du charme de l’image et j’essayais de faire de l’anthropologie du cinéma.

Anthropologie au sens ancien, fondé en Allemagne, où elle est une réflexion sur l’humain utilisant toutes les ressources des différentes sciences. Selon moi, l’anthropologie est

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quelque chose comme cela, c’est ce que j’ai fait dans le livre « Le paradigme perdu : la nature humaine », paru en 1972. J’y ai en effet rassemblé et relié des connaissances qui étaient totalement séparées. Ce qui est intéressant ici est qu’il s’est produit une révolution des connaissances dans au moins trois domaines à partir des années 1960 sans toute- fois qu’elle n’ait circulé d’un domaine à l’autre. J’ai organisé un colloque qui s’appelait

« L’Unité de l’Homme » pour lequel j’ai écrit un texte intitulé « Le paradigme perdu » qui portait sur la disjonction nature-culture qui règne encore dans nos universités. Je pou- vais voir que le fossé était beaucoup moins grand qu’on ne l’avait imaginé. Jusqu’alors on imaginait que brusquement l’Homo Sapiens surgissait sans savoir comment. La préhis- toire nous montrait qu’il y a avait une hominisation qui avait duré des millions d’années.

En même temps, des études d’éthographie animale qu’avait faites Janet Goudalen en Afrique montraient que les chimpanzés étaient non seulement des individus très divers les uns des autres mais qu’ils constituaient des sociétés complexes et que, notamment, il n’y avait pas d’inceste entre fils adultes et mères. On découvrait alors une complexité sociologique animale et on découvrait une racine hominienne. Il y avait effectivement eu des sauts mais il n’y avait pas cette rupture, cet abîme, entre culture et nature, abîme qui restait en dépit de Darwin. Aussi je reliais tout ceci avec tout ce qu’on savait sur les sociétés archaïques de chasseurs-cueilleurs pour essayer d’imaginer comment le développement de la culture, c’est-à-dire du langage lui-même, avait contribué à l’évolution biologique.

On peut penser, c’est l’hypothèse que j’ai adoptée, que c’est uniquement parce qu’il y a déjà un milieu culturel, un langage, et un long temps qui permet un apprentissage qu’a pu effectivement surgir la dernière étape c’est-à-dire le gros cerveau d’Homo Sapiens. Toute une partie de nous est un héritage naturel, on est fait de particules, d’atomes, de molécules et de cellules ; et toute une partie de nous est métabiologique ou métaphysique puisque l’on a une pensée, une conscience, une culture, mais les deux sont liées. Parce que le cerveau est mon organe biologique, sans lui je ne pourrais penser, je ne pourrais pas être humain. J’ai donc essayé de montrer qu’il y avait une relation complexe : la nature produit la culture et la culture produit la nature. C’est cela qui m’a intéressé et que j’ai poursuivi dans mon livre sur la méthode qui s’appelle « L’Humanité de l’Humanité ». Il s’agit d’une orientation permanente.

Mais je n’ai pas fait que cela. Le hasard m’a orienté dans les années 63-65 vers quelque chose de tout à fait différent que j’ai appelé la sociologie du présent et qui m’a donné la possibilité de faire à chaud des diagnostics (émeutes de jeunes dans les années 60, mai 68, sang contaminé, NDRL). En 1965, je me suis trouvé catapulté dans un village breton, c’était dans le cadre d’une enquête interdisciplinaire. Poussé par mon maître et directeur Georges Friedmann, j’ai choisi le thème de la modernisation qui ne répond à aucune discipline et qui correspond aussi bien à la modernisation des esprits que des techniques. Lorsque je suis arrivé dans cette commune, mon idée n’était pas d’y rester mais j’étais tout à fait séduit et intéressé. Je me suis rendu compte que le découpage dis- ciplinaire empêchait de voir le phénomène le plus important qui était que les femmes ne voulaient plus être esclaves du travail des champs, elles voulaient le confort, des cabinets dans la maison, des salles de bains, etc. J’y ai alors consacré une partie de la recherche

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qui s’appellera « Les femmes agents secrets de la modernité ». J’ai fait dans ce cadre un travail qui n’était absolument pas dans les catégories d’alors. Du reste, J’ai profité des enquêtes faites par d’autres, notamment un historien. Aussi j’ai créé une méthode pour traiter le terrain. Pourquoi une méthode ? Parce qu’il existe deux problèmes. Le premier réside dans la relation sujet-objet. Le dogme en sociologie est qu’il faut objectiver, au besoin être loin du terrain. Or, à mon avis, il faut à la fois vouloir objectiver, se distancer mentalement, et en même temps subjectiver, c’est-à-dire qu’il faut aimer, il faut avoir de la sympathie pour les gens. Il faut avoir un contact humain. Autrement dit c’était l’union de la subjectivité et de l’objectivité que je cherchais pour avancer, pour comprendre. Le deuxième problème est que je devais comprendre la singularité de la commune que j’étudiais, mais en même temps la modernisation était ce qui l’intégrait dans un flux économique social et psychologique, qui traversait à ce moment-là toute la France. Donc ne pas noyer mon sujet mais ne pas l’isoler. À la fin du livre, j’ai donné quelques éléments de cette méthode et là aussi j’étais indisciplinaire, ce qui a provoqué des réactions très vives de rejet, que j’ai pu combattre. Ce qui arrive souvent dans le domaine de la recherche est que plus vous faites bien, plus vous risquez d’être victime. Il faut plutôt rester dans les domaines connus, communs, admis par tous, que d’essayer d’apporter quelque chose qui apporte un mieux…Je ne me suis pas corrigé quand même.

Un dernier point qui est très important est qu’à un moment donné, j’ai compris que l’obstacle principal à une véritable compréhension des choses humaines en général était la tendance à la fragmentation du savoir qui empêchait de concevoir à la fois les problèmes fondamentaux et globaux, c’est-à-dire de concevoir en même temps leur complexité.

Parce que je suis resté étudiant tout en étant chercheur, j’ai beaucoup appris lorsque j’étais en Californie sur la pensée systémique. J’ai compris qu’on pouvait essayer d’élaborer une méthode pour traiter des problèmes complexes. À partir de 1973, je me suis lancé dans ce travail qui m’a pris plus de 30 ans, avec des interruptions durant lesquelles j’ai pu traiter des problèmes contemporains comme dans « Terre Patrie ». Je suis arrivé naturelle- ment à l’idée d’élaborer cette méthode capable de traiter la complexité car je comprenais que la structure de notre enseignement correspondait à une structure de pensée, qui elle- même obéissait à ce que j’appelais un paradigme, c’est-à-dire un mode impératif qui nous empêchait de savoir relier tout en maintenant les distinctions. Autrement dit, nous vivons sur une structure de pensée qui nous oblige à disjoindre et à réduire. Et mon idée c’était de ne pas réduire mais de joindre.

Dans le cadre de vos recherches multidisciplinaires, comment avez-vous fait pour « entrer » dans les disciplines et dans les sciences dures notamment ?

En biologie c’était assez facile. De tout temps, je me suis intéressé à la biologie.

Lorsque j’ai écrit L’homme et la mort, j’étais un peu entré dans la biologie pour com- prendre les conceptions des organisations vivantes et de la mort. Bien entendu, ces con- naissances se trouvaient dépassées par la suite puisqu’il y a eu la grande découverte du code génétique. Mais j’ai passé une année en Californie dans l’Institut Salk (Institut de recherches biologiques) où je me suis cultivé en biologie et où j’ai découvert la problé- matique éthologique comme science. Par contre, pour le domaine des sciences physiques, les choses ont été différentes. On peut y entrer facilement par les idées de la cosmologie car il y a aujourd’hui une conception de l’univers telle que même si vous ne comprenez

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pas les calculs qui y conduisent, vous savez qu’il y a une dispersion des galaxies, etc. La thermodynamique a par contre été plus difficile. Cela a été d’autant plus difficile que je me rendais compte qu’il y avait des écoles très différentes de thermodynamiciens aux points de vue opposés. J’ai alors dû faire un gros travail de lecture.

Plus généralement, lorsque j’entre dans un domaine, par exemple la thermody- namique, je lis des articles, et des ouvrages et lorsque j’arrive à ce que l’on peut appe- ler la redondance – j’ai beau lire je ne découvre plus rien de nouveau – j’arrête. Je ne fais jamais de bibliographie exhaustive, au sens de celle faite pour une thèse. Donc je peux me tromper, je peux m’arrêter trop tôt, mais voilà je m’arrête à un moment donné car je me dis que j’ai acquis le savoir. Mais finalement une fois que l’on com- prend que notre univers n’est plus seulement l’univers déterministe de Laplace, avec de l’ordre, des lois – qu’on appelle les lois d’interaction –, mais qu’en même temps, il existe beaucoup de désordres, des aléas, des rencontres, des irrégularités, les choses deviennent moins compliquées. C’est la forme de l’esprit qui est importante, parce qu’elle est dominante. Si elle est pour l’ordre, elle risque le désordre, ou si elle est pour le désordre il n’y a plus d’ordre. Le divers n’est que désordre et, pour ce qui me concerne, sans doute par mon héritage de la dialectique de Hegel et sans doute par mon amour pour la philosophie d’Héraclite (un penseur des contradictions) je me suis dit : l’ordre et le désordre sont ennemis, mais en même temps, à un moment donné, ils coopèrent. C’est ainsi que je suis arrivé à l’idée du tétralogue ordre-désordre inter- action-organisation. De même, cette phrase d’Héraclite « vivre de mort et mourir de vie » m’a été très utile. J’ai compris qu’en biologie nous vivons parce que nos cellules meurent et sont remplacées par des cellules nouvelles, c’est-à-dire que nous vivons de la mort de nos cellules et que la vie se nourrit de mort. De même que dans les écosystèmes : nous vivons la relation mort-vie qui continue à être une relation antagoniste tout en ayant en même temps une certaine complémentarité. Ainsi, deux idées contraires qui semblent s’exclurent l’une l’autre, et bien dans certains cas la réalité nous oblige à les associer – c’est ainsi que je peux regarder les choses de façon complexe. Ce qui est alors très curieux, c’est la correspondance qu’il y a selon moi entre la complexité et ce qu’Hegel appelait le concret. Hegel a une phrase merveil- leuse. Il dit « si, parlant d’une personne qui a commis un crime je dis qu’elle est un assassin, j’élimine tous les autres aspects de sa vie et de sa conduite pour la réduire à sa condition d’assassin ». Autrement dit pour Hegel l’abstraction est la réduction à un seul élément ; voir l’ensemble est le concret. Et donc si vous dites que le Parrain que vous voyez au cinéma n’est pas uniquement un criminel, ni un meurtrier mais que c’est un homme qui aime ses enfants, qui a des rapports de famille etc. vous êtes dans le concret, vous n’êtes plus dans l’abstrait.

Il nous semble se dégager de vos travaux deux grands enjeux pour le futur de la société : l’émergence de la société-monde et/ou de la patrie-monde et la nécessité de réformer la pensée.

Est-ce qu’à court terme, vous pensez que la conscience écologique actuelle telle qu’elle se manifeste va dans le sens de la construction de cette société-monde ou de cette patrie-monde ?

Je crois que la conscience écologique qui commence à se répandre contribue à nous faire prendre conscience de notre relation avec le monde vivant, la biosphère et plus largement la planète Terre. Elle aide mais en surface. Elle n’aide pas en profondeur.

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Malheureusement, les écologistes ne se rendent pas compte du soubassement théorique qui est nécessaire pour cela. Elle contribue à la prise de conscience de la communauté de destin qui s’est constituée depuis les derniers temps de la mondialisation, elle est un des affluents pour cette prise de conscience. À mon avis, il y a deux choses :

1. La communauté de destin doit nous faire prendre conscience que nous sommes des enfants et des citoyens de la Terre d’où l’idée de Terre patrie ;

2. Le processus actuel de la mondialisation crée les bases techno-économiques d’une société-monde. Puisque, pour qu’une société existe, il faut premièrement qu’elle ait des communications – jamais aucune société dans le passé n’en a eu autant et sur un même territoire – et deuxièmement qu’elle ait une économie – nous avons une économie mondi- alisée malheureusement, elle n’est pas régulée, nous avons donc, à mon avis, les bases d’une société-monde. Nous n’avons cependant pas du tout la conscience de ces néces- sités, ni la possibilité de créer les institutions nécessaires. La société ne peut émerger qu’à travers un long processus qui conduirait à une métamorphose et qui nécessite de multiples réformes, etc., très aléatoires.

Est-ce que vous pensez que l’humain est à même actuellement d’opérer la réforme de pensée que vous défendez ?

Je pense que la réforme de pensée est inséparable d’une réforme de l’éducation et que malheureusement, la réforme de l’éducation est inséparable d’une réforme de pensée, c’est-à-dire que l’une est nécessaire à l’autre. C’est un cercle vicieux. Cette réforme de pensée est inséparable de la vraie prise de conscience de la réalité des problèmes planétaires, de l’Humanité aujourd’hui. Tout notre système de connais- sance est là pour nous rendre aveugles, c’est-à-dire pour produire des connaissances séparées et fragmentées sur un ensemble enchevêtré. Les experts sont des aveugles, les économistes clos sont des aveugles. Seuls quelques économistes un peu ouverts ont peut-être prédit la crise. Nous avons donc un système de connaissance qui nous rend aveugles sur les problèmes fondamentaux et globaux… C’est dire, à quel point cette réforme est cruciale. Mais elle ne se suffira pas. Elle est nécessaire, insuffisante, mais indispensable. Alors comment faire ? Tout commence toujours de façon mod- este, locale. Il faut que des réformes naissent quelque part dans un lieu périphérique où ne règne pas d’une façon hégémonique un mode de pensée stérile qui malheureuse- ment est le nôtre. Dans des pays d’Amérique, c’est en marche. Si à un moment donné se créent des nouvelles structures quelque part, elles peuvent devenir exemplaires et se répandre. Seulement, c’est une course de vitesse entre les processus régressifs et catastrophiques qui sont en cours et les processus salvateurs qui émergent à peine.

Pensez-vous que la ville puisse être un lieu propice de développement de la conscience écologique ? Oui, la ville est très propice. Aujourd’hui tout le monde parle du réchauffement cli- matique qui est apparu et a caché tout le reste. Au début, ce sont les dégradations et les pollutions, notamment urbaines qui étaient en jeu. L’asphyxie urbaine et tout ceci restent extrêmement importants. Il y a effectivement une conscience écologique qui est née dans les villes. Elle se retraduit dans les campagnes par tous ceux qui décident de faire de l’agriculture biologique, etc. ; Il existe une nouvelle complémentarité à construire entre les villes et les campagnes en particulier grâce à l’alimentation de proximité.

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À un moment donné, vous vous prononcez sur l’articulation global-local. Est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus ?

Sur le plan planétaire, la mondialisation est la pire et la meilleure des choses. C’est la pire parce qu’elle nous conduit à la catastrophe mais c’est la meilleure parce que pour la première fois, elle crée une communauté de destin et une possibilité d’une nouvelle étape pour l’Humanité. Je vois une double orientation complémentaire bien qu’antagoniste : il faut mondialiser et dé-mondialiser. Dé-mondialiser c’est privilégier le local et le régional, soit notamment l’alimentation de proximité, l’agriculture de proximité, le retour à l’artisanat de proximité. Cela nécessite d’autres réformes c’est-à-dire en finir avec des produits jetables pour arriver à des produits réparables. Cela veut dire toute une série de reconnections à la vie locale avec notamment une participation citoyenne et politique.

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Bonus

Quel est le dernier ouvrage/article que vous ayez lu et aimé ?

Un livre que je suis en train de lire et qui m’intéresse beaucoup est l’Écologie des transes de Nancy Midol.

Quel est votre film préféré ?

Un film qui m’a beaucoup marqué est 21 grammes d’Alejandro González Iñárritu.

Dernièrement, j’ai beaucoup aimé Invictus, le film sur Mandela.

Quelle est votre lieu ou votre ville préférée ? C’est peut-être la Toscane.

De la posture du chercheur?

Un chercheur doit chercher et ne doit pas être quelqu’un qui croit avoir trouvé. Il doit être en même temps étudiant, il doit s’instruire, il doit se cultiver il ne doit pas s’enfermer dans une discipline. Même s’il reste dans sa discipline, il doit se cultiver en dehors : les grandes découvertes sont toujours faites en dehors des disciplines ou à leurs frontières.

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Sélection d’ouvrages

1951, L’Homme et la mort, Paris : Le Seuil.

1956, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, Paris : Éditions de minuit.

1993, Terre-patrie (avec la collaboration d’A.B. Kern), Paris : Seuil (Points Essais), 2010.

1994, La Complexité humaine, Textes choisis, Paris : Champs Flammarion (L’Essentiel).

2008, La Méthode (6 volumes), coffret des 6 volumes en 2 tomes, Paris : Seuil (Seuil Opus).

2008, Mon chemin. Entretiens avec Djénane Kareh Tager, Paris : Fayard.

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