M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
S. R ÉGNIER
Problèmes de combinatoire musicale
Mathématiques et sciences humaines, tome 40 (1972), p. 29-34
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PROBLÈMES DE COMBINATOIRE MUSICALE
par S.
RÉGNIER1
1. INTRODUCTION
La théorie musicale traditionnelle reconnaît à
chaque
son quatrecaractéristiques principales : durée, hauteur,
timbre et intensité. Lephysicien
les nomme :durée, fréquence,
spectre eténergie
par seconde.Le
champ
propre à chacune est enprincipe continu,
mais une certaine tradition veut, pour les troispremières, qu’une
même oeuvre n’utilisequ’une partie
discrète de cechamp.
L’échelle discrète des duréespermises
sera étalonnée àpartir
du « tempe ». Celle des hauteurs àpartir
dudiapason
commun auxinstruments concertants. Celle des timbres est fixée par l’instrumentation utilisée. Notre
premier
proposest d’évaluer le nombre des échelles de hauteurs
possibles,
dans le cadre bien sûr de la tradition enquestion.
Le fait même d’isoler le
champ
des hauteursconstitue,
il faut ledire,
unpremier parti pris stylistique. J’admets
ensuite que l’échelle des hauteurs doit être choisie dans un univers defréquences
formant une
progression géométrique
de raison 21/n. Si n =12,
ce sera le « totalchromatique »
d’un« clavier bien
tempéré»,
2 étant le rapport desfréquences
de l’intervalled’octave,
21/12 celui d’un demi-ton
tempéré.
Dans les échelles
traditionnelles,
résultant del’emploi
d’une tonalitémajeure
oumineure,
cetintervalle d’octave
joue
un rôleprivilégié :
l’échelle desfréquences
serépète identique
àelle-même,
àun facteur 2 ou
1/2 près, quand
onjoue
à l’octavesupérieure
ou inférieure. Nous dirons que l’échelleest octaviante. De
plus,
le nombre de termes à l’intérieur d’un octave esttoujours
7. Nous dironsqu’elle
est de
degré
7. Notrepremier
propos sera d’évaluer combien il existe d’échelles octaviantes dedegré k,
et
plus précisément
combien de formes d’échelle à latransposition près. Transposer
une échelle ou unmorceau de
musique
c’estmultiplier
toutes lesfréquences
par un mêmefacteur,
toutes choseségales
d’ailleurs. L’oreille humaine est peu sensible à ces
transpositions quand
ce facteur est inférieur à3/2.
Tout se
manipule
à latransposition près,
à telleenseigne
que l’évolution dudiapason depuis
le 18e siècle n’a pasempêché
les diverses tonalités degarder
les mêmes colorations culturelles.(Si
mineurtriste,
801mineur
éclatant, etc.)
C’estpourquoi
nous n’avions besoin despécifier
aucun terme de l’univers dit desfréquences
enprogression géométrique.
Nous allons maintenant identifier d/J avec l’ensemble
isomorphe :
ce
qui équivaut
à mesurer les hauteurs par leslogarithmes
desfréquences (avec
une unité suffisammentpetite).
Latransposition
devient une translation. On notera en passant que le sonreprésenté
par le1. Centre de Mathématiques Appliquées et de Calcul, Maison des Sciences de l’Homme.
nombre zéro n’est pas
plus «
neutre o que les autres. Seulsimportent
lesintervalles, représentés
dans Zpar les différences de deux
logarithmes.
Par contre la différence « n» est musicalementprivilégiée :
par convention dans la construction dumodèle,
ellereprésente
l’intervalle d’octave.2. DEUX
ÉNONCÉS MATHÉMATIQUES ÉQUIVALENTS
2.1.
É’noncé algébrique
Dans le cadre de
Z,
ensemble de tous les nombres entiers designes quelconques,
nous arrivons auxconcepts suivants :
Une échelle est une
partie quelconque
de Z. Si la fonction indicatrice associée estpériodique,
1"échelle sera dite
périodique.
Si laplus petite période
divise n, alors l’échelle est dite octaviante. Le cardinal de l’intersection de l’échelle E et de l’intervalle( 1, 2, ... n) s’appelle
ledegré
de l’échelle.Deux échelles sont dites de même
forme
s’il existe une translation de Z transformant l’une enl’autre.
Comme les translations forment un groupe, la relation être de même
forme
est uneéquivalence,
et les classes
d’équivalences
constituent par définition les formes d’échelles.Nous cherchons le nombre des
formes
d’échelles octaviantes et dedegré k,
soitFies.
Figure
12.2.
Énoncé géométrique
On
peut
naturellement reposer leproblème
dans le groupe additif finiZfn.
Cela ne nous aidera pas pour la résolutionproposée ci-après,
mais il est très éclairant d’en tirer l’énoncégéométrique
suivant :Considérons les n sommets d’un
polygone régulier
de ncôtés,
autrement dit npoints également rép artis
sur un cercle. On connaît le nombre de sous-ensembles constitués de k sommets, c’est :Nous cherchons le nombre des
formes géométriques (ou figures) résultantes,
en considérant que deuxparties
sont de mêmeforme
si et seulement si l’on passe de l’une à l’autre par au moins une rotation.F3
parexemple
sera le nombre des formes detriangles.
1~
celui des formes dequadrilatères
convexes, etc.3. SOLUTION
Repartons
de l’énoncéalgébrique
2.1. La forme d’une échelle E cZ,
c’est donc la classe des échelles translatées :Nous allons compter l’effectif de
chaque classe,
et d’autre part, le nombre total d’échelles.Le
premier dépend
évidemment de lapériodicité
éventuelle de E. Laplus petite période
est par définition :nombre
positif
infini pour une échelle nonpériodique,
et la classe de E a pour cardinal p.Si
Ep désigne
le nombre d’échelles depériode
p avec k élément parpériode,
leurs diverses classesont même cardinal p, et nous voyons que le nombre de formes
correspondantes
estLes échelles octaviantes de
degré
k sont celles dont laplus petite période divise n ;
p =2013,
aveck
d
k
éléments parpériode.
d p p
Par
conséquent
le nombre de formes cherché est :D’autre part, il y a de toute évidence
Ce
échelles octaviantes dedegré
kparmi lesquelles
de
période
p =n/d.
Donc :
Cette 2e formule permet de calculer de
proche
enproche
lesquantités E~
et d’en déduire lessommes
F:.
On notera d’ailleurs queEp
=E:-lc,
parce que deuxparties complémentaires
ont mêmespériodes.
De mêmeF£
=F:-k.
4.
RÉSULTATS NUMÉRIQUES
Si n et k sont
premiers
entre eux,1. { .., ~ signifie ensemble des...
En
opérant
demême,
on calcule facilement que :On en déduit par
exemple
que :5. COMMENTAIRE
66 est le nombre de
types
àquoi
se ramènent partransposition,
toutes les échelles octaviantes extraites d’un clavier bientempéré
avec 7 notes par octave. Deuxtypes particuliers correspondent
aux gammesmajeures
d’une part et aux gammes mineuresharmoniques.
La gamme mineuremélodique
ascendanteest un troisième type
(tandis
que ut mineurmélodique
descendant dérive par translation de utmajeur).
Les gammes effectivement utilisées par les
compositeurs
semblent soumises à une contrainteparticulière qui
limitebeaucoup
le nombre de typespossibles.
Il faut éviter que deux demi-tons se succèdent. Deplus
les gammesprésentant
des intervallessupérieurs
au ton entier sont considérées commepeu
mélodiques.
Enajoutant
ces deuxcontraintes,
on ne retiendra des 66types
à 7 notes que deux types,et des 43 types à 8 notes un
seul,
dont lapériode
exacte est3,
où tons et demi-tons alternentréguliè-
rement. Cette gamme au charme très
particulier apparaît épisodiquement
dans « la danse dePuck», prélude
de ClaudeDebussy.
Olivier Messiaen en a fait un usageplus systématique.
Le résultat = 19 montre
qu’il
n’existe(à
latransposition près)
que 19 accords de 3 sons à l’intérieur d’une octave. Le nombre de mélodiescorrespondantes
est évidemment 3 ! foisplus grande (19
X 6 =114)
avant même de tenir compte durythme.
Fort heureusement celui-cijoue
un rôleessentiel et
multiplie
presque à l’infini le nombre despossibilités
sur 3 notes données. Il suffitd’y
penseren morse pour entrevoir
quelles
richesses restentdisponibles.
Le choix « brève oulongue» multiplie
les
possibilités
par 8. Une autre dimension durythme
consiste àrépartir
l’accenttonique...
6. FONCTION
GÉNÉRATRICE DES EP
D’après
sadéfinition, Ep =
0 pour k > p etpour k
= 0 saufE°
= n’a pas de sens.Essayons
alors de déterminer la fonctiongénératrice
la relation
2, qui
reste vraie pour k = 0 sous la forme :Nous savons que, pour
car :
pour v ~ 1
1.On a
donc,
en posant p =nld et q
=kld :
En
permutant
les deuxsommations,
nous voyons que :Il ne nous semble pas
possible
d’en direplus
concernant la fonction h. Mais d’autrespart :
1
1.Par
conséquent :
et ce
développement
constitue une autre sorte de fonctiongénératrice,
où les monomes xp xq sont rem-placés
par des fractions rationnelles.On peut vérifier ces deux formules pour x =
0,
car :et pour y = 0 car :
Figure
2Échelle pentatonique, approximation tempérée
d’une gamme chinoise(Ex. Ravel, « Laideronette, impératrice
despagodes »,
Ma mèreL’oye)
Hexagone régulier
« Gamme par tons »Échelle majeure
=Échelle
de la gamme mineure(Claude Debussy) mélodique
descendanteÉchelle
mineureharmonique Échelle
mineuremélodique
(3 demi-tons)
ascendanteFigure
3Représentation
enroulée dequelques
échelles octaviantes extraites du totalchromatique tempéré (cf. § 2.2.)
Figure
4L’échelle de cc La danse de