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Le mode de production « studio » A – S J. N

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PARTIE HISTORIQUE : LE SYSTÈME DE PRODUCTION HOLLYWOODIEN À LA PÉRIODE CLASSIQUE

L’expression « usine à rêves » (dream factory), traditionnellement employée pour désigner le système de production hollywoodien des années 1920 aux années 1950, révèle bien l’ambiguïté de ce système, qui d’un côté fabrique un « produit » soumis à des normes industrielles autoritaires, d’un autre ne fabrique que des prototypes, des films par définition tous différents les uns des autres, qui s’adressent à l'émotion, à l'imagination, au psychisme du consommateur, sur le mode le plus personnel et le plus intime.

Le mode de production « studio »

Il ne pourrait pas y avoir d’usine à rêves sans la structure bien particulière du grand studio.

Celui-ci a deux objectifs : produire le plus grand nombre de films possibles avec le plus de bénéfices possible. Cela peut paraître une évidence, mais il y a beaucoup de modes de production qui ont des buts différents : films indépendants axés sur le désir d’expression artistique, l’originalité et la qualité ; films d'amateurs, films militants, films expérimentaux, premiers films de jeunes réalisateurs…

Donc il est important de noter que le mode « grand studio » recherche avant tout la rationalisation de la production, par les moyens suivants :

* une hiérarchie stricte de l’organisation

* un travail fragmenté avec une répartition précise et rigoureuse des tâches.

* des pratiques régulées et standardisées de sorte que les produits présentent une certaine uniformité, et sont identifiés par le public comme venant du studio en question.

Il est clair que les studios de cinéma ont calqué leur pratique sur celles des industries en régime capitaliste. L’industrie américaine du cinéma a imité les autres industries, qui avaient fourni des modèles efficaces, en permettant la production de masse grâce à une rigoureuse division du travail (par exemple l’industrie automobile).

En termes techniques, la fabrication d’un film dans un studio classique n’est pas très différente d’une fabrication industrielle classique. C’est une chaîne segmentée où chaque poste a la responsabilité d’une tâche ou d’un ensemble de tâches: scénario, décors, caméra, lumière, tirage de la pellicule, etc. Seuls les gestionnaires, à la tête de la structure, prennent des décisions d’ensemble, par exemple sur le choix des projets à produire et des personnels à employer (acteurs et réalisateurs notamment).

Le studio, qui au début n’était qu’un mode de production parmi d’autres, est devenu une norme industrielle pour la fabrication des films et a eu une grosse influence sur la naissance et le devenir du style américain.

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Mais il ne faut pas non plus réduire les choses à un enchaînement simpliste (système économique> système des studios> style > films tous semblables). Car le film n’est pas un produit comme un autre et surtout pas comme les objets produits à la chaîne: à l’intérieur d’un “emballage”

familier, le consommateur veut trouver à chaque fois un produit différent.

Il y a donc deux exigences parallèles:

1. la standardisation des produits (il faut que le produit sortant du studio corresponde à des normes bien précises, comme tout produit industriel)

2. la différenciation qui veut que chaque film soit unique : une grosse partie de l’investissement du studio porte donc sur le fait que chaque film ait un aspect différent des autres.

C’est de ce double mouvement de standardisation et de différenciation que naît le film hollywoodien, mouvement dont il est indispensable de prendre conscience pour comprendre certains des éléments les plus importants du cinéma hollywoodiens (par exemple le développement des genres cinématographiques).

Les trois phases de l'âge classique

C'est donc la formation, la prospérité et le déclin des studios qui permettent de comprendre les trois phrases de l'âge classique hollywoodien.

1. des débuts jusqu’à la fin des années 1920 : période de capitalisme concurrentiel et très effervescent. À peu près n’importe qui, venu de n’importe quelle forme de commerce, peut créer une compagnie de cinéma. Une première tentative de monopole se produit dans les années 1900 autour d’Edison (voir l’épisode du « Trust Edison »). Mais elle échoue, car ce n’est pas encore une époque favorable pour le regroupement des entreprises. Celui-ci commence dans les années 1910 et prend une forme quasi complète à la fin des années 1920, avec l’avénement du parlant qui contribue à rendre les pratiques plus homogènes.

2. des années 1930 au milieu des années 1950. C'est la période triomphante du système des studios. La profession est structurée par un cartel (entente temporaire regroupant des entreprises d'une même branche, juridiquement et financièrement autonomes, en vue de limiter la concurrence et éventuellement d'obtenir ou de défendre des positions monopolistiques) composé de 5 grandes entreprises, les Majors ou Big Five (Paramount, Loew’s/ MGM, 20th Century Fox, Warner Bros, RKO) et trois sociétés d’importance moindre, les Little Three (Universal, Columbia, United Artists), ainsi que de nombreux studios spécialisés, qui fournissaient des films de genre aux budgets moins élevés, et les studios de Walt Disney, fondés en 1923, et qui occupent à peu près tout le marché dans le domaine du cinéma d’animation. Il y a a aussi des producteurs indépendants qui travaillent parfois seuls, parfois avec les studios, comme Goldwyn ou Selznick. Il y a enfin toutes sortes de petites compagnies produisant des films à très petit budget, projetés dans les salles qui ne dépendent pas des majors.

3. Troisième époque, à partir du milieu des années 1950: la consommation cinématographique traditionnelle est affectée par divers facteurs (télévision, évolutions sociétales, changement de l’habitat, etc.)

Diversification obligatoire : vente de films aux chaînes, productions de téléfilms et séries. Plus nouveaux débouchés offerts par câble, cassettes vidéo. La communication prend le pas sur le

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spectacle. Les compagnies hollywoodiennes deviennent un “secteur” d’autres entreprises qui les ont rachetées. Elles s’internationalisent, en attirant des acheteurs étrangers, notamment japonais, surtout depuis que la technologie électronique et informatique occupe un rôle croissant dans l’industrie du cinéma.

L’âge d’or hollywoodien

1. À quoi est due la prospérité d’Hollywood à cette période?

Par rapport à l’ensemble de l’activité industrielle de l’époque, le cinéma n'a jamais occupé un rang spectaculaire, et n'emploie qu'une toute petite partie des salariés américains. Il faut considérer le cinéma non pas pas rapport à l’ensemble des autres industries, mais à celles qui représentent ses véritables concurrents, c’est-à-dire les industries du loisir (édition, musique, radio, etc). Sur ce plan il est le grand vainqueur, puisqu’à lui seul, en 1937, il produit trois quarts du chiffre d’affaires de l’ensemble des industries de loisirs.

Le coût des films est tout de suite très élevé. C’est un produit dans lequel il faut investir pour qu'il soit rentable, surtout avec le parlant. Années 1930: moyenne de 400.000 $. Les Majors produisent chacune 40 à 60 films par an et le chiffre d'affaires des studios est considérable: en 1936, les budgets vont pour les Majors de 50 à 100 millions, pour les Little Three de 10 à 17 millions.

Les actionnaires des studios touchent de bons dividendes. Quant aux cadres des studios, ils sont parmi les employés les mieux payés du pays. Les grandes compagnies “investissent” dans les très hauts salaires qu’ils donnent à leurs directeurs, pour s’assurer les services de la meilleure qualité.

Ils sont bien payés, et très longtemps, (loi des contrats à long terme, souvent sept ans) mais on n’en parle pas beaucoup, alors qu’on parle beaucoup plus du salaire des stars, qui gagnent aussi beaucoup d’argent, mais pendant peu de temps. Ex.: en 1937, Louis B. Mayer déclare au fisc 1.161.753 dollars, soit le plus haut salaire aux États-Unis.

Le secret du succès de l’industrie du cinéma à cette époque ne tient pas, évidemment, que dans les studios de Hollywood. La stabilité d’Hollywood à cette époque vient surtout du principe général, pour les Majors, de l’intégration verticale, à savoir la maîtrise de la production, de la distribution et de l’exploitation.

Précision sur l’exploitation : la différence entre les majors et les “little three” vient du fait que les grandes compagnies sont aussi, et même surtout, des circuits considérables de salles de cinéma.

Sur le plan artistique la production et la distribution ont une grande importance, mais sur le plan économique c’est sur l’exploitation que les compagnies assoient leur pouvoir.

Si l’on considère l’ensemble des actifs de l’industrie cinématographique, la production représente seulement 5%, la distribution (c’est-à-dire la vente des films) malgré son importance vitale, ne représente que 1%. En fait, pendant les années trente et quarante, l’essentiel des investissements, soit les 94% restants, s’est déroulé dans le domaine de l’exploitation (achat des salles qui sont de plus en plus luxueuses, gestion des salles, lancement publicitaire, etc).

Par exemple, la puissance de la Paramount, le premier des studios ds les années 20, est dû essentiellement au fait de posséder le premier circuit de salles du pays (les cinémas Publix);

quant à la MGM, malgré son image prestigieuse, c’est d’abord la filiale d’une vaste compagnie de salles fondée par Marcus Loew, la Loew’s Inc.

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En fait, plus que des studios qui possèdent des salles de cinéma, ce sont des sociétés qui produisent elles-mêmes leurs films pour alimenter leurs salles. Le terme de studio est employé par raccourci, et convient mieux à partir des années 1950, quand justement les grandes compagnies commencent à se séparer de circuits de salles devenus, avec la baisse de la fréquentation, beaucoup moins rentables et trop lourds à gérer.

2. L’organisation

A cette époque Loew’s Inc, RKO (Radio-Keith Orpheum), Paramount, 20th Century Fox et Warner, représentent des actifs environ trois fois plus importants que les Little Three. Dans chacune d’elle, les choses se passent comme à l’échelle de l’industrie toute entière: l’essentiel des investissements se fait dans l’exploitation.

Les cinq grands studios fournissent la majorité des films à gros budget dits “films A” et avec les trois autres, les huit studios produisent trois quarts des films; les petites compagnies produisent des films à petit budget et ne fournissent que les salles de quartier, banlieue, zones rurales, ou les films d’accompagnement d’un film de série A dans les “double features”.

Les salles d’exclusivité des villes sont entièrement aux mains des Majors, ce qui leur fait contrôler à peu près 90 % des recettes, laissant le reste aux petits producteurs marginaux qui doivent négocier séparément avec des milliers de petites salles indépendantes. D’ailleurs, plus tard, ce sera un élément qui jouera en défaveur des Majors. Les grandes compagnies ont toujours misé sur la qualité des salles plutôt que sur la quantité, si bien que de nombreux petits exploitants indépendants pourront se dresser contre elles lorsqu'elles seront affaiblies.

De plus les grandes compagnies ont un contrôle presque total sur des secteurs-clés liés au cinéma, comme les laboratoires, l’édition musicale, la production de pièces de théâtre à New York dont ils achètent presque automatiquement les droits d’adaptation, et, quand la télévision apparaîtra, dans la production d’émissions télévisées.

Malgré toute cette puissance, les Majors n’ont jamais écarté les producteurs indépendants, dont les deux exemples les plus célèbres sont Samuel Goldwyn (qui a travaillé avec United Artists de 1926 à 1941), et David Selznick, qui a travaillé avec les principales compagnies (MGM, RKO, Paramount) avant de fonder sa propre compagnie, la Selznick International, et de produire notamment Autant en emporte le vent. Mais il y a beaucoup d’autres petits producteurs aux noms moins prestigieux, dont les compagnies fusionnent parfois ou restent indépendantes. Après la Seconde Guerre mondiale, il y a un mouvement en faveur de la production indépendante:

beaucoup d’acteurs, réalisateurs, fonderont leur propre société de production.

Autre facteur expliquant le succès de la production indépendante: le fait que s’installent peu à peu dans l’industrie du cinéma de puissants syndicats (bien installés surtout à partir de 1930, après la crise). Toutes les professions se syndicalisent : techniciens, acteurs, réalisateurs, scénaristes et les producteurs eux-mêmes: pour eux, soutenus par la structure puissante des syndicats, il est donc plus facile de se lancer et de travailler à leur compte, ce qui se produit de plus en plus souvent à partir de 1940. Pour toutes ces raisons, bien sûr, le pouvoir des studios sur les producteurs, cinéastes, stars, diminuera, et les investissements se reporteront encore plus sur la distribution et l’exploitation.

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Une situation idéale pour le développement d'un grand cinéma

La nécessité d'alimenter en films cet énorme marché induit la nécessité d'améliorer toujours le système de production. C’est un système qui se nourrit lui-même : à l'écoute du public, donc le public s'élargit, donc il faut produire plus de films pour satisfaire une demande toujours croissante.

Ce qui fait la force des studios pour répondre à cette demande, c’est un contrôle aussi strict que possible de la production, qui permet, malgré l'énormité des sommes investies, de prendre aussi peu de risques que possibles sur le bénéfice

1. La hiérarchisation des films qui est elle-même fonction de l'exploitation : la « série B » notamment, la plus célèbres de toutes, est un phénomène à la fois économique en termes de production (des films à budget modeste) et esthétique (le style aussi est

« économique »)

2. L'organisation en genres, phénomène à la fois esthétique et économique, permet une rationalisation optimale de la production. Outre le système de répétition qu'induit la répartition en genres, on répète systématiquement une formule dès qu'elle a bien fonctionné.

3. L'organisation interne du travail dans le studio:

a) tous les personnels sont sous contrat. Tous les aspects du travail (menuiserie, technique, juridique, peinture, documentation...) sont envisagés par des spécialistes attachés au studio. Les coûts sont donc très justements évalués, et les bénéfices aussi.

b) cela réduit au maximum une prise de contrôle excessive de l'un ou l'autre sur le produit, et notamment du réalisateur qui, dans l'idéal, ne joue qu'un rôle d'orchestrateur entre les différentes fonctions. Il n’est presque jamais mentionné comme l’auteur du scénario, même quand il y est associé. Les scénarios arrivent "prêts-à-tourner", et déjà travaillés en général par plusieurs écrivains successifs. Le réalisateur choisit rarement ses sujets, ni décors, ni vedettes, ni figurants, ni équipes techniques. Il faut noter toutefois que les réalisateurs jouissant d’un grand prestige, du fait du succès de leurs films, peut produire ses films (producer director) Il gagne ainsi en liberté sur toutes les décisions à prendre, notamment autour du budget, du choix des acteurs, du final cut.

Dans certains cas les cinéastes trouvent dans cette position l’occasion de faire des films personnels, où ils imposent un style, comme ce fut par exemple le cas d’Ernst Lubitsch à la Paramount.

c) Une organisation stricte de la "pyramide" des fonctions essentielles dans le studio (les responsabilités économiques et artistiques sont réparties à plusieurs niveaux, ce qui favorise l’indépendance et la création artistique, tout en maintenant le contrôle et en évitant les prises de pouvoir intempestives).

Au delà de l’organisation économique

Tous les principes économiques ne seraient rien sans tout ce qui permet de faire des films : créativité, désir de raconter des histoires, idéologie, réflexions sur l’art, etc. Ne jamais oublier ce qui est au coeur du "paradoxe" du cinéma hollywoodien: on a l'impression qu'il n'a prospéré qu'en mettant la rentabilité commerciale au coeur de ses préoccupations, alors que c’est en donnant des

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perspectives artistiques, sociales, morales et culturelles à ce souci de rentabilité qu'il est parvenu à ce stade extraordinaire de développement.

• les stars (image publique dûment gérée, vie publique et privée au service du studio) fédèrent le public autour d’images idéales.

• le Code de Production (autocensure) est destiné à rassembler le plus vaste public en recherchant le consensus sur le plan social, moral, éthique et esthétique.

• le développement de genres optimistes, visant au bonheur et à l’euphorie du spectacteur : comédie burlesque, puis sophistiquée, comédie musicale. Même dans les genres plus graves, la

« fin heureuse » permet souvent de surmonter la tragédie.

• les idéaux les plus vastes sont mis en avant. Ce sont ceux dans lesquels le plus large public peut se retrouver (notamment à l'époque de la guerre, mais également en d'autres temps).

Héroïsation de tous les personnages littéraires ou historiques qui représentent courage, patriotisme, lutte pour la liberté au sens le plus large du terme, même dans des contextes très différents (voir péplum, Ben Hur, Spartacus, etc).

• travail de réflexion intensive sur le style cinématographique, qui s’appuie sur l’image et la singularité de chaque studio. Ils sont solidaires au niveau de l’ensemble de l’industrie, mais se distinguent par leur image de marque. Paramount : sophistiqué, européen (Lubitsch), exotisme - Warner : engagement, société- MGM : le plus somptueux, spectacle familial - RKO : jeune et aventureux (Citizen Kane).

Tout ce système commence à s’effondrer après la Seconde Guerre mondiale pour des raisons qui tiennent à la fois aux structures économiques, aux attentes du public, à la place du cinéma dans la société, à la fin d’un contrôle « moral » de l’industrie sur le cinéma. La décennie 1950 voit l’industrie se transformer plus ou moins vite pour faire face à ces évolutions. C’est encore un moment très riche de développement technologique notamment, mais l’industrie change radicalement de physionomie au tournant des années 1950-1960.

PARTIE THEORIQUE : l’hypothèse du « classicisme »

1. Comment peut-on parler de classicisme au sujet d’un art aussi moderne que le cinéma ?

La notion de classicisme au cinéma paraît paradoxale quand on l’emploie à propos du cinéma.

En histoire de l’art, en littérature, elle est liée à l’idée d’un lent développement des formes artistiques dans l’histoire, qui permet d’arriver à une sorte de point d’équilibre parfait. C’est pourquoi le classicisme au sens français du terme désigne le cœur du 17e siècle (entre 1660 et 1685). Cette période correspond à peu près à l’apogée du règne de Louis XIV [né en 1638, monte sur le trône en 1643 à cinq ans après le décès de Louis XIII et règne jusqu’en 1715 soit 72 ans].

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Apogée en termes de succès militaires, de puissance économique, et de puissance artistique: le théâtre, la peinture, l’architecture, la construction de Versailles, etc.

Tout cela se fait en fonction de règles qui reposent sur une conception fixe et partagée du beau:

c’est le propre du classicisme dans le sens historique du terme, c’est-à-dire, au XVIIe siècle, tout ce qui renvoie à l’Antiquité et notamment à la Grèce classique du 5e-4e siècle. Le beau est un absolu, qui se trouve dans les œuvres et non dans le regard du spectateur. C’est un art réglé par un ensemble de canons qui dominent les arts en matière de composition, de style, de forme, de couleurs, etc.

Pour qu’il y ait perception d’un « classicisme », il faut donc tout cela, mais il faut encore bien d’autres choses, notamment :

• une grande quantité d’œuvres produites et un grand nombre d’artistes partageant des convictions morales et esthétiques communes

• un public choisi qui reconnaisse et partage ces convictions et cet idéal artistique. Pour que ce partage se fasse il faut évidemment que les deux parties partagent les mêmes valeurs esthétiques, qu’ils aient le même « goût » ; par exemple, qu’il soient a priori en accord sur ce qu’il convient de représenter ou de cacher, de suggérer, etc.

Mais pour qu’il y ait classicisme, et parce que le classicisme est quelque chose qui ne se décrète pas, mais une perception rétrospective et entièrement construite, il faut aussi qu’existe l’idée d’un post-classicisme, d’une transformation, voire parfois d’un déclin des formes.

En somme l’idée même de classicisme est liée à une vision évolutionniste de l’histoire de l’art : émergence, apogée, déclin. Ce n’est pas la seule vision valable bien sûr, et elle est souvent remise en question ; mais elle a longtemps servi de modèle, incontestablement, aux historiens du cinéma.

Comment cette vision s’est-elle forgée? On peut distinguer les raisons valables pour le cinéma en général, et celles qui concernent Hollywood en particulier.

• Pour le cinéma en général : les grandes transformations subies par le cinéma, technologique et économique surtout, ont favorisé le sentiment de passage radical d’une époque à une autre. Chaque

« passage » technologique notamment implique la fin quasi définitive du précédent : le long métrage projeté dans des salles somptueuses condamne le cinéma forain et le kinétoscope Edison ; le parlant rend le muet totalement obsolète ; plus tard, la couleur deviendra la norme après avoir été l’exception (aujourd’hui c’est le noir et blanc qui fait exception).

II. Pourquoi le cinéma hollywoodien des années 1930-50 s’est-il particulièrement prêté à l’hypothèse du classicisme ?

Mais tout ce que nous venons de dire est valable pour le cinéma en général. Pourquoi a-t-on plus particulièrement parlé d’un « classicisme » à propos du cinéma hollywoodien ?

A cause de son développement industriel très élaboré qui, en favorisant la production, la répétition des formules à succès, l’exportation, la diffusion de films américains dans le monde, a

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fait que le cinéma américain a très vite paru pouvoir fournir des modèles (NB: l’un des sens du

« classique » > latin impérial classicus > ce qui est digne d’être étudié et imité). Ainsi, dès les années 1920, certains critiques qualifient de « classique » l’art de Charlie Chaplin. Cela ne dit rien de précis de son mode d’expression, de son jeu, de son personnage ; mais cela veut dire que depuis le début des années 1910, il a parcouru un chemin si régulier, et si couronné de succès, qu’il est devenu pour tout le cinéma une forme de modèle, de repère, et qu’il a atteint une forme de perfection indépassable dans son mode d’expression. Ce sentiment s’avère juste rétrospectivement, Chaplin étant toujours à l’ordre du jour, et ses films toujours étudiés aujourd’hui sans paraître épuisés par les analyses successives (c’est une qualité propre à l’œuvre classique que d’être toujours ouverte à l’interprétation).

Chaplin était conscient de l’universalité (dans le temps et dans l’espace) de son cinéma, mais pour lui cette propriété impliquait le muet, et l’on sait qu’il était très opposé au parlant, auque il ne s’est mis que très tard. De fait, le parlant change la donne. C’est un autre classicisme qui apparaît lorsque le cinéma

• devient un moyen d’expression « complet » (la parole libère le geste de la surcharge expressive)

• il conquiert un public respectable (plus proche du public de théâtre)

• devient un domaine important de l’activité sociale (le cinéma est avec la radio le premier loisir des Américains dans les années 1930 et 1940).

NB : les raisons ne sont pas seulement d’ordre artistique et esthétique ; c’est l’organisation économique du cinéma des grands studios qui fait que pendant trente ans le cinéma a pu jouer ce rôle dans la société américaine. Il ne s’agit pas de diminuer le mérite des artistes, ou d’exagérer celui des producteurs, ou de penser que l’obsession était de faire du profit : c’est un phénomène collectif dans lequel tout le monde a sa part. C’est pourquoi l’étude du modèle économique est essentiel dans l’approche du classicisme. C’est cette étude qui a motivé, dans les années 1970- 1980, les travaux des historiens du cinéma hollywoodien qui sont allés contre le règne des cinéastes et des artistes, et ont montré qu’il y avait un « génie du système » (cf. livre de Thomas Schatz et citation de Bazin1), théorie plus efficace que la « politique des auteurs à la française », même si l’on voit bien aujourd’hui, avec un peu de recul, que les deux théories se complètent. Des cinéastes comme Lubitsch, Lang et bien sûr Hitchcock ont fait la preuve de leur génie personnel, lequel a cependant trouvé dans l’industrie hollywoodienne un cadre particulièrement approprié à leur développement.

1 En 1957, dans un article où il prend une certaine distance vis-à-vis de la politique des auteurs telle que la pratiquent ses confrères des Cahiers du cinéma, André Bazin écrit : « Le cinéma américain est un art classique, mais, justement, pourquoi ne pas admirer en lui ce qui est le plus admirable, c’est-à-dire non seulement le talent de tel ou tel de ses cinéastes, mais le génie du système. (André Bazin, « De la politique des auteurs », Cahiers du cinéma n°70, avril 1957).

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III. Désaccords sur la notion de classicisme appliquée à Hollywood

[Ce qui suit fait partie d’un article à lire si possible en entier : J. Nacache, « Perspectives du classicisme », in Jean-Loup BOURGET et J. NACACHE (dir.), Le Classicisme hollywoodien, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le Spectaculaire », 2009, p. 299-323].

Même si la notion de « classique » (à propos du cinéma en général et de Hollywood en particulier) est désormais d’un emploi courant, il n’y a pas consensus dans ce domaine parmi les historiens du cinéma.

Jacques Aumont notamment a remis en cause cette question dans un petit livre intitulé Moderne?

Comment le cinéma est devenu le plus singulier des arts (Cahiers du cinéma, 2007, voir notamment p.35-39). Il se demande s’il est vraiment possible de parler de classicisme « à propos d’une pratique essentiellement fondée en modernité, accompagnement constant de la vie moderne ». Si le cinéma est ici, sans doute, tenu pour « le plus moderne des arts modernes », le doute qu’exprime l’auteur sur le classicisme d’Hollywood ne semble pas relever pour autant de quelque volonté polémique, mais d’un retour apaisé sur ce qui pourrait n’avoir été qu’un abus de dénomination, et qu’il conviendrait désormais de corriger. La correction n’est d’ailleurs pas totale ; consolidé à partir de l’installation du parlant, le système industriel hollywoodien, note Jacques Aumont, est bien d’une

« normativité, d’essence classique », mais il s’agit d’« un classique de masse », et c’est « l’aide bénévole de la critique » qui a permis à Hollywood de se présenter « comme une espèce d’équivalent de la tragédie classique », alors qu’il ne s’agit que « d’un ordre par défaut ».

Pour le dire autrement, et pour aller dans le sens de Jacques Aumont, on pourrait dire que la notion de classicisme appliquée à Hollywood est un « coup de force critique ». Il s’agit surtout de légitimer le cinéma américain, le sortir de son statut de divertissement, notamment dans l’après- guerre, lorsque commencent, dans l’après-guerre, les condamnations violentes de l’industrie culturelle dont le cinéma hollywoodien est la première cible.

Est-ce vrai? Oui, en grande partie. Lorsqu’il devient évident que le cinéma hollywoodien cherche à atteindre les publics les plus larges possibles, il se distingue radicalement d’un trait essentiel de l’art classique, à savoir le fait que celui-ci s’adresse à une élite cultivée. De plus cette extension implique que sous l’apparence unie du « film de studio » se cachent infiniment de variantes, de différences, de personnalités, qui comptent parfois plus que la ressemblance. Certes, on a pu remarquer le même phénomène dans le théâtre et la peinture classique, mais il paraît plus fort encore au cinéma, en raison du grand nombre d’œuvres produites (voir par exemple les mille nuances existant à l’intérieur d’un genre comme le western ou la comédie musicale).

Pourquoi alors continuer à parler de classicisme? Non pas pour poursuivre obstinément le coup de force, mais – de mon point de vue tout au moins – pour les raisons suivantes :

• parce que l’étude du cinéma hollywoodien comme art classique permet de rompre avec la cinéphilie traditionnelle et « collectionneuse » des années 1950, qui reposait sur une adoration des films pas toujours compatible avec leur étude

• pour que le cinéma puisse être enseigné comme n’importe quelle autre discipline/objet, il faut atteindre un moment où les catégories historiques sont à peu près stabilisées. Or l’hypothèse du classicisme, attestée par le double mouvement des historiens américains

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et des critiques français, constitue ce moment. Il y a eu mise au jour d’une cohérence dans ce corpus, à la fois sur le plan esthétique et économique, et une modélisation pour écrire l’histoire du cinéma. Peut-être cela changera-t-il, y aura-t-il d’autres travaux; mais pour l’instant, la notion de classicisme a des avantages heuristiques. On sait de quoi on parle, même si aucune définition globale ne convient.

• la connaissance du cinéma classique est indispensable pour comprendre tout ce qui s’est passé après, et pas seulement aux EU, et pour comprendre ce qui peut encore se passer dans le cinéma. La théorie du cinéma s’est faite en grande partie à partir du CHC. C’est un foyer de formes, de styles, de genres, de références, qui ont alimenté le cinéma tout entier, sur le plan de l’héritage, de la reprise, du remake, mais aussi de façon oppositionnelle, pour le cinéma indépendant qui se définit « contre Hollywood ».

• Pour le master en particulier, où la méthodologie est essentielle, il est important de travailler sur un corpus identifié comme « classique » (on parle alors d’un ensemble de plusieurs milliers de films, avec toutes les difficultés scientifiques et méthodologiques que cela comporte sans tenir un discours normatif et réducteur)

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