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Les Noirs aux Etats-Unis

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Academic year: 2022

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Q U E S A I S - J E ?

Les Noirs aux Etats-Unis

C L A U D E F O H L E N Professeur émérite à l'Université de Parie I

Neuvième édition mise à jour 6 8 e mille

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D U M Ê M E A U T E U R

Une affaire de famille a u X I X e siècle : Méquillet-Noblot, Paris, 1955.

L'industrie textile au temps du Second Empire, Paris, 1956.

La Révolution industrielle, dans Histoire générale du Travail, t . III, Paris, 1960.

Histoire de Besançon, Besançon, 1981-1982, 2 vol., 2 éd.

L'Amérique anglo-saxonne de 1815 à nos jours, Paris, 1969, 2 éd.

L a France de l'Entre-deux-guerres, Paris, 1966.

Le travail a u X I X e siècle, Paris, 1972, 2 éd.

Nous partons pour... l'Amérique du Nord, Paris, 1969.

L'agonie des Peaux-Rouges, Paris, 1970.

Qu'est-ce que la Révolution industrielle ?, Paris, 1971.

La société américaine, 1865-1970, Paris, 1973.

M a i 1968, Révolution ou Psychodrame?, Paris, 1973.

L a vie quotidienne au F a r West, 1860-1890, Paris, 1974.

L'Amérique de Roosevelt, Paris, 1982.

Les Etats-Unis au X X e siècle, Paris, 1988.

Les Pères de la révolution américaine, Paris, 1989.

Thomas Jefferson, Nancy, 1992.

De Washington à Roosevelt, Paris, 1992.

ISBN 2 13 045749 5

Dépôt légal — 1 édition : 1965 9 édition mise à jour : 1994, février

© Presses Universitaires de Franoe, 1965 1 boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

La question noire divise les Etats-Unis au milieu du XX siècle, comme l'esclavage l'avait fait au milieu du XIX siècle. Cent ans après la guerre de Sécession, Noirs et Blancs s'opposent comme s'op- posaient Nordistes et Sudistes sur le problème de l'esclavage. Les récentes années ont été ensan- glantées par des émeutes, scandées par des assas- sinats, troublées par des manifestations de masses, dont l'origine commune est l'antagonisme entre Blancs et Noirs. Loin d'être limités au Sud, comme dans le passé, ces désordres se sont étendus à l'ensemble du pays, de Birmingham (Alabama) à New York, d'Atlanta à Cleveland, de Cambridge (Maryland) à Philadelphie, de Harlem à San Francisco. Les ghettos noirs sont devenus si peu sûrs que rares sont les Blancs qui s'y aventurent.

Deux communautés s'opposent et s'affrontent, créant une tension dramatique et scindant le pays en groupes ennemis. Pour expliquer cet état de choses, un appel à l'histoire est indispensable.

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PREMIÈRE PARTIE LES NOIRS

DANS L'HISTOIRE AMÉRICAINE

CHAPITRE PREMIER L'ESCLAVAGE I. — Les premiers Noirs

Le problème noir du XX siècle a ses origines dans l'institution de l'esclavage et ses dévelop- pements, du milieu du XVII siècle jusqu'à la guerre de Sécession.

Suivant de peu l'arrivée des premiers Blancs sur le futur territoire des treize colonies, vingt Noirs sont débarqués, en 1619, d'une frégate hollandaise à Jamestown, en Virginie, et employés dans les plantations, au même titre que des serviteurs blancs ou des forçats venus d'Europe. La colonie avait grand besoin de main-d'œuvre et accueillait tous ceux qui étaient prêts à travailler, sans égard à la couleur de leur peau ou à leur religion. Le tabac, le maïs, et dans certains secteurs privilégiés la canne à sucre, le riz, l'indigo, toutes ces « épices » promettaient des bénéfices intéressants, pourvu que l'on trouvât une main-d'œuvre dont le pays man- quait complètement. Quant au statut de ces Noirs venus d'Afrique, il resta pour quelques décennies indéterminé : ils n'avaient aucun contrat ni enga-

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gement, pour la simple raison que le droit anglais ignorait de tels liens, à l'exception des condamnés de droit commun.

L'exemple de la Virginie fut bientôt imité dans les colonies voisines. Le Maryland et les Carolines importèrent des Noirs d'Afrique dès la première moitié du XVII siècle, la date précise étant inconnue, pour les employer à des travaux agricoles, proba- blement en qualité d'esclaves dès l'origine. L'escla- vage est en effet attesté dans le Maryland dès 1638- 1640, et la constitution de la Caroline, antérieure au peuplement effectif de cette colonie, mentionne expressément l'esclavage : « ... Tout homme libre de Caroline aura pouvoir absolu et autorité sur ses esclaves noirs... » Or cette constitution est l'œuvre du philosophe John Locke. Le cas de la Géorgie, créée seulement au XVIII siècle, est dif- férent : ses fondateurs avaient prohibé l'usage des boissons alcooliques et la possession d'esclaves. L'un et l'autre de ces barrages furent facilement emportés, et après 1750, des familles de Caroline du Sud vinrent s'établir dans la nouvelle colonie, emme- nant avec elles leurs esclaves, et donnant ainsi l'exemple aux nouveaux colons. En quelques années, l'importation des esclaves prit des proportions im- portantes.

Les colonies du Centre et du Nord eurent, elles aussi, leur population de Noirs. Les Hollandais, occupants de la vallée de l'Hudson avant les Anglais, et grands spécialistes du commerce de marchandises et d'hommes, importèrent des Noirs d'Angola pour cultiver les domaines de la Compagnie des Indes occidentales, tandis que d'autres travaillaient dans la future cité de New York : à la fin du XVII siècle, sur une population estimée à 5 000 habitants, on comptait environ 700 Noirs. En Nouvelle-Angle-

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terre, la présence de Noirs est attestée à des dates analogues à celles de Virginie : en 1638, le navire Desire débarque à Boston, entre autres choses, du sel, du tabac, des esclaves et du coton. Des Noirs sont employés, vers la même date, à la construction d'ouvrages militaires et de maisons dans le Connec- ticut et le New Hampshire.

C'est donc tout au long de la côte d'Amérique du Nord, de la Floride au cap Cod que des Noirs étaient débarqués de vaisseaux anglais ou hollan- dais, qui les avaient chargés soit sur les côtes d'Afrique, soit dans les Antilles ou au Brésil. Dès la première moitié du XVIII siècle, les colonies anglaises, à la recherche de main-d'œuvre, avaient jeté leur dévolu sur ce qu'elles considéraient comme une chance inespérée dans un pays vide d'hommes, mais riche de ressources agricoles.

II. — Controverses sur les origines de l'esclavage Tous les historiens jusqu'à présent avaient admis que l'esclavage avait fait son apparition en Amé- rique du Nord avec l'arrivée des premiers Noirs.

Cette opinion a été récemment contestée par l'his- torien Oscar Handlin, qui voit dans l'esclave une création graduelle du XVII siècle. Selon lui,

« l'esclavage n'a pas existé dès le début, n'a pas été une imitation d'ailleurs et n'a pas été une simple réponse à certains caractères particuliers du Noir. Il s'est plutôt créé par l'adaptation de certaines institutions européennes aux conditions américaines ». Pour Handlin, le mot esclave, que l'on trouve dès la première moitié du XVII siècle, ne signifie rien de précis quant au statut personnel, car il était utilisé couramment pour désigner des personnes de condition inférieure, en général d'ori-

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gine étrangère, et s'appliquait aussi bien à des Irlandais qu'à des Russes. Les premiers colons ne cherchèrent pas à imiter ce qui existait déjà dans certaines colonies espagnoles ou portugaises, dans les Antilles, par exemple, et le transport de Noirs ne signifie pas qu'ils aient été considérés comme une simple marchandise. En Virginie et dans le Maryland, la préférence était donnée à la main- d'œuvre blanche, écossaise, irlandaise ou hollan- daise, car les nouvelles cultures réclamaient une cer- taine spécialisation que ne possédaient pas les Noirs, mais une telle main-d'œuvre était rare. Après 1660, la différence se précisa entre les Blancs et les Noirs.

La Virginie et le Maryland tracèrent une ligne de démarcation entre les immigrants arrivés volon- tairement et les autres, comme entre ceux qui étaient de religion chrétienne et les autres. Ainsi apparut une distinction entre une servitude tempo- raire et rémissible, dans le cas des Blancs chrétiens, et d'une servitude à vie pour les Noirs. Restait à décider que la servitude était héréditaire : le pas fut franchi dans le dernier tiers du XVII siècle, selon Handlin, sous l'influence de trois facteurs : les difficultés posées par la naissance d'enfants noirs ou métis ; l'ouverture, en 1698, de l'Afrique au commerce libre, avec, comme conséquence, une augmentation extraordinaire de l'importation des Noirs ; enfin le succès de plus en plus marqué des denrées tropicales. Vers 1700, l'esclavage est devenu une réalité dans toutes les colonies du Sud qui possédaient des « codes noirs », ayant privé de leurs droits les Africains. L'institution était ainsi née qui avait transformé le Noir en un être de qualité inférieure, complètement dépourvu de droits, à la différence des autres humains, et susceptible d'être négocié comme une marchandise.

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III. — Développement de l'esclavage Arrivés d'abord en petit nombre, les Noirs furent, au cours du XVIII siècle, débarqués par cargaisons massives dans les ports américains, Savannah, Char- leston, Wilmington, Providence...

D'une part, les besoins de main-d'œuvre ne ces- sent d'augmenter, à mesure que se développent les colonies et que croît la faveur des produits tropicaux. A l'indigo, au sucre, au riz, au mais, au tabac, ce dernier pendant longtemps le favori, vient s'ajouter le coton, connu dès le XVII siècle, mais d'un maigre profit alors, en raison du manque de débouchés. Avec la révolution industrielle, au milieu du siècle suivant, et la découverte de nou- veaux procédés de filature et de tissage mécaniques, brusquement, la demande de coton croît en Europe.

Les planteurs de Géorgie et de Caroline produisent une variété de coton à longue fibre, le sea island, qui convient fort bien aux nouvelles machines.

La production du coton, sa cueillette, et surtout la séparation de la fibre d'avec la graine deman- dent une main-d'œuvre abondante dans un climat chaud et humide : les esclaves la fournissent.

L'invention par Eli Whitney de la machine à égrener le coton, en 1794, fournit un nouveau stimulant à la culture qui s'étend vers l'intérieur, réclamant toujours davantage de bras. C'est un encouragement pour les planteurs qui réclament de plus en plus d'esclaves. A l'extrême fin du XVIII siè- cle, on estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre des esclaves introduits dans le Sud.

En même temps, le commerce des esclaves atteint son plus haut degré de perfection. En accordant, d'après une clause du traité d'Utrecht, en 1713, le droit d'asiento aux Anglais, les Espagnols ont

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involontairement o u v e r t l'âge d'or au trafic des Noirs. Outre les quelques milliers d'esclaves destinés a u x colonies espagnoles, Anglais et Américains se chargent d'approvisionner les colonies d u Sud. Des vaisseaux anglais d é b a r q u e n t sur les côtes africaines de la pacotille, des tissus, des objets hétéroclites,

« font le plein » de Noirs qu'ils r e v e n d e n t dans les Antilles ou les ports au sud du continent, et embar- q u e n t des cargaisons de produits coloniaux revendus à b o n prix à Bristol, Liverpool ou ailleurs. Les puritains de Nouvelle-Angleterre p a r t i c i p e n t aussi a c t i v e m e n t à ce commerce que les t r a f i q u a n t s du Sud. Boston, Salem, New L o n d o n et s u r t o u t Pro- vidence expédient vers l'Afrique des produits variés, d o n t le r h u m , et r a m è n e n t vers les îles ou le conti- n e n t le « bois d'ébène » que r é c l a m e n t les planteurs.

Ce commerce triangulaire a fait la prospérité du N o r d - E s t : la traite l'a a u t a n t enrichi que l'esclavage a développé le Sud.

Au m o m e n t de leur indépendance, les E t a t s - U n i s c o m p t a i e n t environ 750 000 Noirs, d o n t 90 % dans les seuls E t a t s au sud d u Delaware. E n t ê t e v e n a i t la Virginie, avec environ 300 000, d e v a n ç a n t de loin la Caroline d u Sud qui en avait 100 000. L'écra- sante majorité de ces Noirs était constituée d'es- claves et rien, dans l'évolution des esprits ou de la législation, n ' i n d i q u a i t que cette situation d û t changer. Les 75 000 Noirs au nord d u Delaware se répartissaient pour la plus grande p a r t dans les E t a t s du Centre, la Nouvelle-Angleterre n ' e n possédant que quelques milliers. D a n s toute cette région, l'esclavage était en voie de disparition gra- duelle, à la suite de mesures prises dans chaque E t a t , soit pour son abolition i m m é d i a t e (en 1783 dans le Massachusetts), soit pour la libération des esclaves p a r leurs propriétaires (New York, 1785-99).

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Fig. 1. — Extension et densité de l'esclavage

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ghettos des grandes villes industrielles, où règnent la misère, la surpopulation, la sous-alimentation, bref tous les signes du désespoir : Chicago, Cleve- land, Philadelphie et, à nouveau, Harlem. Il ne suffit pas, en effet, de briser les cadres légaux qui séquestrent le Noir, il faut en faire de même pour ceux qui le maintiennent dans un état d'ostracisme ailleurs, et lui assurer des moyens décents de vivre.

Depuis 1964, plusieurs éléments nouveaux sont entrés en jeu pour modifier les données de la ques- tion. D'une part, dans ses projets de « Grande Société », le président Johnson n'oublie pas les Noirs. « Pour la grande majorité des Américains de race noire, les pauvres, les sans-emploi et tous ceux qui ne possèdent rien, la tragédie n'est pas ter- minée. Ils vivent encore dans une nation différente de la nôtre... » Une nouvelle loi sur les droits civiques est adoptée le 6 août 1965. En supprimant les « tests » d'aptitude et la taxe électorale utilisés par les sudistes depuis la fin de la guerre de Sécession, elle doit faciliter l'inscription des Noirs sur les listes électorales. D'ailleurs, des fonctionnaires fédéraux sont envoyés dans les circonscriptions pour en surveiller l'application. Pourtant, dans les cinq mois qui suivent la loi, on ne compte, dans les Etats du Sud que 177 000 Noirs inscrits contre 2 500 000 qui ne le sont pas. A qui la responsabilité ? Aux Noirs eux-mêmes, disent les fonctionnaires fédéraux.

Ce peu d'intérêt est significatif de l'évolution des Noirs. L'action légale les intéresse moins que l'ac- tion directe. Hors des régions atteintes jusque-là par des violences, le 11 août 1965, des troubles sans précédent dans le pays déferlent sur le quartier de Watts à Los Angeles. C'est une véritable révolution pendant une longue semaine dans cette ville noire de 90 000 habitants. Dans le Massachusetts, à Phila-

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delphie, la violence oppose les Blancs aux Noirs.

L'été 1966 est encore plus agité : dans toutes les gran- des villes industrielles du Nord et du Centre, Cleve- land, Detroit, Omaha, Chicago, éclatent des troubles, que le pasteur Luther King ne parvient pas à apaiser.

De plus en plus, les Noirs sont attirés par un courant nouveau, le black power, le pouvoir noir.

Il ne s'agit plus d'obtenir l'égalité juridique, trop longue à acquérir, mais de partager immédiatement le pouvoir avec les Blancs, en fonction de l'impor- tance numérique de chacun des groupes. 11 % de la population américaine est noire, mais on ne compte 11 % de Noirs ni au Congrès, ni dans les postes administratifs supérieurs, ni dans l'adminis- tration des villes. Les Noirs devront voter pour des Noirs désormais. Ces nouvelles tendances corres- pondent à une génération jeune qui a pris le relais d'aînés plus connus, comme le pasteur Luther King lui-même. Les hommes les plus représentatifs de cette montée de la jeunesse sont Floyd McKissick qui a remplacé James Farmer à la tête du C.O.R.E.

et surtout Stoke Carmichael au SNICK. La désé- grégation, pour eux, est passée au second plan, au profit de la lutte pour le pouvoir immédiat.

C'est ainsi qu'aux élections de 1966, un Noir est élu sénateur du Massachusetts, fait sans précédent depuis la Reconstruction.

IV. — De la violence au désenchantement Les années 60 furent décisives pour les progrès des Noirs, qui profitèrent de la législation nouvelle et de l'attitude favorable de la Cour suprême. Mais, en même temps, les Noirs se partageaient entre deux courants divergents.

D'un côté, les gradualistes, ou partisans de l'inté-

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gration, qui avaient trouvé en Martin Luther King un leader charismatique irremplaçable. Son assas- sinat à Memphis, le 4 avril 1968, dans des conditions mystérieuses leur porta un coup fatal. Son colla- borateur et successeur, Ralph Abernathy, man- quait de charisme et, du reste, le prestige de King avait déjà souffert de plusieurs revers avant sa mort. Les jeunes Noirs s'accommodaient mal de cette politique des petits pas et préféraient s'en remettre aux représentants les plus en vue du black power, comme les Panthères noires.

Depuis le début des années 70, les grands mou- vements revendicatifs n'ont cessé de s'affaiblir. Les administrations républicaines, au pouvoir à partir de 1969, à l'exception de l'intermède démocrate de Carter (1977-1981), s'intéressent peu aux ques- tions sociales et ethniques. D'autre part, la révo- lution noire était liée aux autres explosions contes- tataires, les étudiants, les femmes, les homosexuels, les Indiens, qui sont progressivement retombées.

Elle était liée surtout à la protestation contre la guerre du Viêt-nam, où les Noirs avaient combattu de façon très présente et avaient pu s'exercer à la pratique de la guérilla. La persistance de la violence, à travers les émeutes urbaines, avait engendré un malaise, sans apporter aucune amé- lioration à la condition des victimes. Par contre, la législation passée dans les années 60 commence à produire ses effets.

Trois domaines présentent un intérêt particulier.

D'abord, celui des droits civiques, avec le Civil Rights Act de 1964, complété par le Voting Rights A et de 1965. Toute discrimination fondée sur la couleur de la peau est interdite, même si la pra- tique se révèle plus lente que prévu, car on ne peut bousculer du jour au lendemain des habitudes éta-

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blies. Le second domaine, c'est celui de l'accès de tous les citoyens aux chances économiques, en vertu de l' Economic Opportunity Act, qui crée une agence pour l'application de nouveaux programmes économiques incluant les Noirs. Le troisième, c'est l'égalité en matière d'éducation, en vertu de la décision de la Cour Suprême de 1954. C'est le do- maine le plus délicat, en raison du poids du passé, du regroupement des groupes ethniques dans des quartiers homogènes, et des réticences des parents à envoyer leurs enfants dans des écoles intégrées.

La solution appliquée est celle du busing, du trans- port dans ce type d'établissement. Cette pratique a été déclarée constitutionnelle par la Cour suprême en 1971, mais l'administration républicaine au pou- voir a déployé tous ses efforts pour en différer l'application, aidée en cela par bon nombre de parents. En 1974, ceux du district scolaire de Boston se sont mobilisés pour empêcher le busing, imités dans d'autres villes du Nord ou de l'Ouest, comme Detroit ou Denver. Un rapport de la com- mission des droits civiques, en 1979, révèle que 46 % des élèves issus de minorités continuent à faire l'objet d'une ségrégation dans les écoles. Et un rapport plus récent indique que c'est dans le Nord que la ségrégation scolaire a tendance à per- sister.

Des percées sont réalisées dans d'autres domaines, et d'abord dans celui de l'administration. De plus en plus nombreuses sont les personnalités noires à exercer des responsabilités dans les municipalités.

Que plusieurs grandes villes du Nord, Gary, Cle- veland, Detroit, aient eu ou aient actuellement des maires noirs, il n'y a pas lieu de s'en étonner.

C'est déjà plus étonnant dans le Sud, à Atlanta, où Maynard Jackson a été élu dès 1973, ou encore

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à Washington, où, on le sait, les trois quarts des habitants sont noirs. Les deux plus grandes villes américaines, Chicago et New York, ont eu leur maire noir, respectivement en 1983 et 1989. La réussite de ces personnalités est inégale, du fait des multiples obstacles qu'ils doivent surmonter, concussion, drogue, chômage, tensions ethniques, clientélisme... Ces Noirs sont trop souvent encore des symboles, qui cachent des réalités de tensions et de rivalités.

Au niveau fédéral, les Noirs font une percée au niveau le plus élevé. En 1966, l'un d'entre eux, Robert Weaver, est le premier à faire partie du Cabinet, et l'année suivante un vétéran des droits civiques, Thurgood Marshall, est nommé juge à la Cour Suprême. En 1984, un ancien collaborateur de Martin Luther King, Jesse Jackson, annonce sa candidature à la présidence des Etats-Unis.

Certes, il ne réussit pas à franchir le stade de la convention du parti démocrate, qui lui préfère une femme, mais c'est une première, et un signe évident de l'évolution des mœurs.

C'est surtout dans la vie courante que se pro- duisent des changements, d'ailleurs difficiles à éva- luer. Deux rapports de 1987 donnent des informa- tions contradictoires sur l'évolution des conditions de vie. D'après la Ligue urbaine, le racisme est en progression et la condition des Noirs s'aggrave : un Noir gagne en moyenne 6 900 dollars par mois, contre 11 700 pour un Blanc, soit une différence en moins de 44 %, à comparer avec 38 % dix ans auparavant. Environ un tiers de la population noire se situe en dessous du seuil de pauvreté. Mais, d'après une enquête du magazine noir Ebony, la classe moyenne noire a presque doublé ses effectifs : 30 % des Noirs ont un revenu entre 30 000 et

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50 000 dollars (contre 50 % chez les Blancs). Plus de la moitié de cette tranche de population a com- mencé des études universitaires, quoique un quart seulement les ait achevées.

Ces données ne sont pas contradictoires. On assiste, en fait, à une stratification de plus en plus poussée de la population noire, sous l'action de deux facteurs. D'abord, l'aggravation des conditions de vie dans les couches les plus basses, à la suite du déclin des industries traditionnelles (textile, métal- lurgie, sidérurgie), grandes consommatrices de main- d'œuvre non qualifiée, au profit des industries de pointe qui ont recours à des ouvriers spécialisés.

Les Noirs sont condamnés aux petits boulots, aux emplois mal rémunérés, voire à la petite criminalité.

Ensuite, l'expansion du secteur tertiaire joue en faveur de ceux qui possèdent une certaine instruc- tion, ce qui est de plus en plus le cas chez les Noirs, et favorise l'élargissement des classes moyennes.

Cette évolution divergente reflète aussi la poli- tique républicaine de non-intervention sociale, pra- tiquée depuis une vingtaine d'années. Les pauvres s'appauvrissent, faute de programmes sociaux, les plus doués s'enrichissent en profitant d'une conjonc- ture favorable. C'est le prix élevé que paient les Noirs américains au libéralisme et aux lois du marché.

V. — Nouvelles turbulences

Depuis les années 70, malgré quelques troubles ici ou là, comme à Miami, où l'arrivée massive de Cubains fuyant le régime de Fidel Castro avait en- traîné des frictions, la communauté noire avait pour- suivi son existence pour le meilleur et pour le pire.

Pour le meilleur, car le développement des acti-

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vités tertiaires avait profité à une fraction de cette communauté, qui, grâce à l'instruction reçue et à l'offre d'emplois, avait réussi à améliorer sa condi- tion. La proportion de Noirs travaillant comme

« cols blancs » a passé de 16 % en 1960 à 43,6 % en 1990, en même temps que la fréquentation scolaire, pour la tranche des 14 à 17 ans, progressait de 86,8 % à 94,5 %. L'amélioration ne peut être contestée, même si ces taux demeurent inférieurs à ceux de la communauté blanche.

Mais, parallèlement, la paupérisation des plus défavorisés s'accentuait, pour deux raisons : l'ac- croissement du chômage, qui, comme on le sait, frappe d'abord les Noirs en période de dépression, et le délabrement de la protection sociale et médi- cale, volontairement négligée par les administrations républicaines successives. Le taux de chômage est trois fois plus élevé chez les Noirs (28,4 % en 1990) que chez les Blancs et semble incompressible. Sur le long terme, la proportion des familles noires au- dessous du seuil de pauvreté a certes diminué, tout en restant, avec 27,8 %, supérieure à celle des Blancs (7,8 %) et des Hispaniques (23,4 %). On compte près de 10 millions de Noirs au-dessous de ce seuil, soit près d'un Noir sur trois, contre un pour onze chez les Blancs.

Il faut donc bien constater que les écarts ne cessent de se creuser à l'intérieur de la communauté noire, et que la condition de ce qu'on est tenté d'appeler un prolétariat noir s'aggrave. Dans le même temps, d'autres minorités, Asiatiques et Hispaniques, viennent concurrencer les Noirs dans un certain nombre d'occupations, et souvent avec succès, en raison de leur ténacité, d'une plus grande cohésion familiale, d'une meilleure faculté d'adap- tation et d'une instruction plus poussée.

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Les frustrations des Noirs ont éclaté au grand jour en mai 1992 à Los Angeles, dans des émeutes plus violentes et plus sanglantes que celles des années 60, puisqu'il faut remonter au XIX siècle pour trouver une telle explosion de haine. La cause immédiate en fut l'acquittement de quatre policiers blancs qui avaient battu, sous l'œil inopiné d'une caméra, un automobiliste noir accusé d'excès de vitesse. La cause réelle, il faut la chercher dans la condition d'une minorité condamnée à la pau- vreté au sein d'une société d'abondance. La révolte s'alluma, non pas dans le ghetto de Watts, qui s'était déjà soulevé en 1965, mais dans le quartier plus aisé et ethniquement mélangé de South-Central, et prit la forme non d'une attaque contre la majorité blanche, mais d'un assaut contre les symboles de la richesse et de la consommation. Pendant plusieurs jours des pillards, adolescents et enfants, en majorité mais non exclusivement noirs, se ruèrent sur les supermarchés, les liquor stores, et surtout les commerces de vêtements, de hi-fi et de vidéo pour faire main basse sur tout ce qui se trouvait à leur portée, avant que la police ne se décidât à intervenir et que le gouvernement fédéral ne mobi- lisât tardivement des unités de la garde nationale.

Les principales victimes en furent des commerçants coréens, dont la réussite avait rendu jaloux des Noirs. Le bilan de ces émeutes est éloquent : une soixantaine de tués, plusieurs centaines de blessés, des dégâts voisins du milliard de dollars. Comme en écho, des troubles ont éclaté dans d'autres villes, San Francisco, Las Vegas, Madison (Wisconsin), et surtout Atlanta, la capitale du Sud, où les relations interraciales avaient été jusque-là présentées comme exemplaires.

Ce coup de tonnerre rappelle tragiquement les

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données nouvelles de la minorité afro-américaine au sein de la nation américaine. Dans les premières phases de la révolution noire, il y a trente ans, ce qui était en jeu, c'était le statut juridique, qui a été réglé par une série de réformes. Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est la condition économique, qui fait d'une partie des Noirs, en Amérique depuis deux ou trois siècles, les laissés-pour-compte de la société américaine, face à des immigrants de fraîche date (Latinos, Vietnamiens, Coréens, Philippins...) qui, eux, s'en sortent mieux. C'est un nouveau défi jeté à la démocratie américaine.

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CONCLUSION

Au début de ce siècle, le leader noir W. E. B. Du- Bois déclarait : « Le problème du XX siècle est celui de la frontière de couleur (color line). » L'évo- lution des Noirs américains a démontré la justesse de cette prophétie. Ils sont loin d'avoir trouvé leur place dans la société de leur pays, encore qu'il soit difficile de savoir s'ils souffrent d'un préjugé de race ou de classe. Les couches supérieures et moyennes parviennent à s'intégrer avec une relative aisance, tandis que les plus défavorisés demeurent trop sou- vent marginaux. C'est la différence fondamentale avec les autres immigrants qui ont été progressi- vement absorbés, alors que le cumul de la race et de la classe a engendré une catégorie de parias.

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BIBLIOGRAPHIE

Sur l'ensemble de la question, on se reportera à The Negro in America, A bibliography, p a r E. W. MILLER, Cambridge, Mass.

1966. On trouvera de nombreux renseignements dans Claude FOHLEN, L'Amérique anglo-saxonne de 18 15 à nos jours (coll. « Nou- velle Clio », 2 éd., 1969), pp. 48-49, et dans les ouvrages suivants de la collection « Que sais-je ? » :

René RÉMOND, Histoire des Etats-Unis (n° 38).

M. LENGELLÉ, L'esclavage (n° 667).

Jacques NÉRÉ, La guerre de Sécession (n° 914).

André TUNC, Le droit aux Etats-Unis (n° 1159).

Claude-Jean BERTRAND, Les Eglises aux Etats-Unis (n° 1616).

Yves-Henri NOUAILHAT, Histoire des doctrines politiques aux Etats- Unis (n° 1345).

On complétera par : 1° Des témoignages :

Richard WRIGHT, Un enfant du pays, Paris, 1947.

Richard WRIGHT, Jeunesse noire. Paris, 1947.

J a m e s BALDWIN, Personne ne connaît mon nom, Paris, 1963.

J a m e s BALDWIN, La prochaine fois, le feu, Paris, 1965.

Autobiographie de Malcolm X. trad. A. Guérin. Paris, 1966.

2° Des ouvrages sur l'actualité .

J e a n DARIDAN, De Lincoln à Johnson, Noirs et Blancs, Paris, 1965.

Louis E. LOMAX, La révolte noire, Paris, 1963.

Louis E. LOMAX, Les Black Muslims, Paris, 1964.

Daniel GUÉRIN, Décolonisation du Noir américain, Paris, 1963.

Martin Luther KING, Révolution non violente, Paris, 1965.

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