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on s embrasse quand? Ce que 365 jours de crise ont fait de nous L'overdose du survêt' Une année indigeste Comment je ne me suis jamais déconfiné

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Academic year: 2022

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MARDI 16 MARS 2021

q ua n d   ?

o n s’ e m bra s s e

Comment je ne me suis jamais déconfiné

PAR PHILIPPE AZOURY

L'overdose du survêt' PAR PIERRE GROPPO Une année

indigeste PAR CONSTANCE DOVERGNE

Ce que 365 jours de crise

ont fait de nous

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Le bruit des désirs

par Joseph Ghosn

D

ans les pages qui suivent, de ce numéro un peu particulier, les journalistes de Vanity Fair ont enquêté sur eux-mêmes et leurs do- maines de prédilection. Pour donner un ton personnel à l’épreuve collective, mais aussi très intime, que nous traversons depuis un an. Pour cela nous avons repris la forme que nous avions in- ventée en mars 2020, celle d’un journal rapide en lien avec le moment : un quotidien de nos affects en temps de pandémie.

En un an, que s’est-il passé ? Les bouleversements sont arrivés doucement ; nos pratiques ont changé ; notre monde s’est rétréci physiquement tandis que nos écrans s’ouvraient de plus en plus, participant chaque jour davantage à nos ex- périences personnelles. Le grand monde d’après, que nous espérions meilleur, n’est pas arrivé et il n’arrivera sans doute pas : la force de la pensée collective qui présidait au pre- mier confinement n’a pas réussi à se métamorphoser phy si- quement. Pour autant, beaucoup de choses ont été profon- dément modifiées. La matière de nos vies, en regardant bien, a été redéfinie. Elle est parfois plus aride, plus dure, mais elle est aussi porteuse de choses différentes, d’espoirs aussi.

Depuis le 16 mars 2020, par exemple, mes oreilles ont changé. J’écoute la musique différemment. Elle est devenue un filtre pour comprendre le présent en me remémorant des fragments du passé. Chaque disque, avec lequel j’ai vécu, trouve désormais une résonance nouvelle dans cette époque qui m’oblige à revoir différemment les choses que je tenais pour acquises. J’écoute plus attentivement. Et j’écoute aussi des compositions plus extrêmes : certaines, un peu plus âpres ; d’autres, plus sucrées. J’écoute des disques qui ne sont souvent que du bruit et je revisite très pré ci sément des enre- gistrements qui avaient valeur d’utopie durant mes années d’adolescence ou au long de mes 20 ans. Je juge mon pré- sent à leur aune. Je dévore ce qui sort : j’aime tout autant les

En couverture

Photographie par Myriam Boulos SAMUEL KIRSZENBAUM

disques de piano solitaire que le remix récent que les Anglais Autechre ont fait pour la regrettée Sophie – en trois minutes, ce morceau dit tout du présent, des sentiments concassés et de la joie tout de même.

Comment est-il, ce présent ? Il est celui qui est né du ma- riage conjugué de la crise sanitaire qui n’en finit pas et de la prise de conscience collective sur l’état de la planète – clima- tique et politique, résumés tous deux en une catastrophe mo- numentale, celle d’août 2020 survenue dans l’explosion du port de Beyrouth au Liban. C’est un présent qui me permet de garder la foi et j’ai confiance : je ne vois autour de moi que des gens qui se rendent compte que la folie de la situation ne doit en rien oblitérer et grever leur soif d’être heureux dans un monde recomposé. Je n’entends que le bruit des désirs : de se retrouver, de recommencer à se toucher, de se frôler, de rentrer les uns dans les autres et, pourquoi pas, surtout, comme sur notre couverture, de s’embrasser à nouveau.

Le monde a changé, il est plus dur mais l’espoir demeure. �

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E

t si 2 % de la population s’éva- porait, du jour au lendemain ? En 2014, le créateur Damon Lindelof (Lost) évoquait dans The Leftovers un monde sujet au

« grand ravissement ». Soit une disparition inexpliquée à l’échelle du globe, qui laissait chaque personnage face à son deuil et dans une perpétuelle quête de sens.

Difficile de ne pas discerner un écho entre ce cataclysme fictionnel et la pandémie de covid- 19 qui a bouleversé notre rapport au monde.

Comme si la clé du chaos actuel se trouvait dans les séries, qu’on s’abreuve des leçons de résilience de Six Feet Under ou qu’on révise ses techniques de survie grâce à The Walk­

ing Dead. Réalité ou chimère, ces parallèles confirment la place grandissante prise par la télévision dans nos vies, véritable prolon- gement de nos préoccupations actuelles.

À force de huis clos forcés et de fermeture des salles, la série est devenue, depuis un an, l’ultime refuge de nos quotidiens confinés.

Qu’elle offre une source de distraction sur le long terme (369 épisodes pour ceux qui se lancent dans un marathon Grey’s Anatomy) ou une dose de réconfort familier (à l’ins- tar des enquêtes de Jessica Fletcher dans Arabesque). L’heure était à la légèreté et à

l’évasion, à en croire les études sur nos ha- bitudes de visionnage : la sitcom The Office, mettant en scène le quotidien d’employés de bureau a été, à l’heure du télé travail généra- lisé, le programme le plus regardé sur Net- flix aux États-Unis en 2020. À l’occasion de l’interruption des tournages, les victimes ha- bituelles de la peak TV (l’afflux interminable de productions) en ont, eux, profité pour rattraper leurs classiques. C’est ainsi que les journalistes Marie Telling et Anaïs Bor- dages ont eu l’idée de (re)découvrir les dix saisons de Friends pour le podcast AMIES.

Tendance à l’introspection

A

près tout, quel meilleur palliatif à la perte de repères qu’une série ultra- codifiée, dont on connaît les gags sur le bout des doigts ? Ainsi dans Wanda­

Vision, la super héroïne jouée par Eliza- beth Olsen noie son deuil dans un monde à part, fait de sitcoms d’antan et de rires pré- enregistrés. Pile dans son époque, le bijou

de Marvel pour Disney + met en relief le pouvoir cathartique de la télévision, tout en confirmant sa tendance à l’introspection.

Comme si le besoin de comprendre suc- cédait à celui d’échapper à la réalité, nos héros ont irrémédiablement fini par s’al- longer sur le divan d’un psy. Du drame turc Éthos sur Netflix aux épisodes spéciaux d’Euphoria, le temps s’est étiré pour laisser surgir un flot de paroles. Au point qu’En thé­

rapie, exercice jusqu’au-boutiste se dérou- lant exclusivement chez un thérapeute, a of- fert à Arte son plus beau succès d’audience (36,5 millions de visionnages) – preuve qu’en l’absence de l’autre, le dialogue créé par les séries est plus que jamais vital. � AMIES slate.fr/podcast/amies-friends

En séries play.acast.com/s/vanity-faire-en-serie Arte : En thérapie. Canal+ : The Office (GB) Disney+ : Grey’s Anatomy et WandaVision.

Netflix : Éthos (Bir Baskadır) et The Walking Dead.

OCS : Euphoria, The Leftovers et Six Feet Under.

Prime Vidéo et Salto : The Office (É-U).

Le grand ravissement

Réalité ou chimère, les parallèles entre les scénarios et notre situation confirment la place des séries

dans nos vies, véritable prolongement de nos préoccupations.

par Norine Raja

CAROLE BETHUEL/ARTE

Le besoin de comprendre succédant à celui d’échapper à la réalité, nos héros ont fini

par s’allonger sur le divan d’un psy.

Frédéric Pierrot (Philippe Dayan) et Mélanie Thierry (Ariane) dans En thérapie d’Éric Toledano et Olivier Nakache.

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D

ans une série d’entre- tiens avec le critique Rui Nogueira au début des années 1970 (Le Cinéma selon Jean-Pierre Melville, réédité récemment par Capricci), le réalisateur du Samouraï et de Bob le flambeur pronostiquait la dis- parition du cinéma à l’horizon 2020. Non pas la « mort du cinéma » – un sentiment propre à la condition cinéphile –, mais bien sa « disparition » au profit de la télé- vision (pour rappel : le streaming n’existait pas encore).

De fait, le 16 mars 2020, veille de l’en- trée en vigueur du premier confinement, le cinéma a disparu. En salles, du moins. De son existence, ne restaient soudain dans l’espace public que des signes désespérés : des affiches de films sur les colonnes Mor- ris, en dos de kiosque ou dans le métro.

Des affiches semblables à des avis de re- cherche : « Aperçu pour la dernière fois sur un grand écran le 16 mars, si vous avez des informations, appelez le... »

Très vite, s’est posée la question de sa survie. Si jamais il venait un jour à refaire surface, serait-il capable de retrouver ses moyens ? Les séries, qui l’avaient déjà supplanté comme fournisseur officiel de fiction de masse, allaient-elles profiter du boulevard qui leur était offert pour l’éclip- ser définitivement ? Bien sûr, plus le temps passait et plus les chances de le retrouver vi- vant s’amenuisaient. Le compte-à-rebours était enclenché. L’été approchait avec sa théorique livraison annuelle de blockbus- ters. Quand ces derniers ont commencé à être reprogrammés à l’automne, puis, plus simplement, déprogrammés, tous les

espoirs se sont tournés vers Tenet. Le film de Christopher Nolan demeure à ce jour le plus beau mythe – au sens barthésien du terme (le mythe comme message) – de l’an- née écoulée.

Voyage sans retour

P

ortés par quelque 200 millions de dollars (167 millions d’euros) de budget et l’ambition écrasante de s’affranchir des lois de la physique, Tenet allait sauver le cinéma mondial en at- tirant les foules dans les salles, créant ainsi un appel d’air dans lequel s’engouf- freraient à sa suite tous les autres films.

Las ! S’il n’a pas si mal marché en France, où il est sorti à la fin du mois d’août, il a fait un four à peu près partout ailleurs.

Quelques semaines plus tard, la Warner, qui le distribuait, annonçait qu’en 2021, aux États-Unis (chez nous, la chronolo- gie des médias ne le permet pas), tous les films du studio hollywoodien sortiraient simultanément en salles et en streaming (sur la plateforme HBO Max). Un voyage sans retour, d’après la presse spécialisée américaine. Christopher Nolan ou Denis Villeneuve (dont on attend toujours de dé- couvrir le Dune) s’en indignèrent vigou- reusement, dans le vide. L’écho inconso- lable de leurs voix nous parvient encore.

Entre-temps, le cinéma avait disparu une seconde fois. Comme a joliment pu le dire Nicolas Maury (dans une interview à AlloCiné) à propos du sort réservé à Gar- çon chiffon, son film sorti le 28 octobre, trois jours avant le second confinement :

« Il est sorti, puis il est rerentré. » Depuis lors, pas grand-chose. Cer- tains spectateurs ont cru apercevoir le cinéma chez le psy (combien de césars cumulés pour le casting de la série En thé- rapie ?) ou sur Netflix (Mank de David Fincher, Malcolm & Mary de Sam Levin- son). D’autres l’ont approché d’aussi près que possible dans des festivals organisés en ligne (de Nyon à Berlin), mais, depuis près de six mois, personne ne l’a vu dans une salle. Et il nous manque. �

Avis de recherche

Le cinéma n’est pas mort : il a disparu, corps et biens, avec la fermeture de ses salles.

par Toma Clarac

Comme le dit Nicolas Maury dont le film est sorti

trois jours avant le second confinement :

« Il est sorti, puis il est rerentré. »

DOMINIC MILLER / NETFLIX 2021

Zendaya et John David Washington dans Malcolm

& Marie (Netflix).

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J

’ai cru dégueuler mon corps au bout de trois pauvres minutes de course, ce 16 mars 2020. Je n’avais même pas fait le quart d’un tour du Luxembourg. Je regardais tout un jardin cou- rir sans comprendre comment les autres pouvaient tenir aussi longtemps, quelle ressource ils possédaient dont je dispo- sais pas pour ne pas s’effondrer après cinq minutes. Un an plus tard, je crois savoir.

Je sais aussi que me mettre au running la veille d’un confinement qui ne m’a pas surpris (le monde se refermait un peu plus chaque jour depuis deux semaines) était la meilleure idée qui soit. Le soir, le pré- sident Macron nous a déclaré en guerre et confinés, et pendant deux mois, j’ai sur- tout pensé à améliorer mes performances.

Jusqu’à ne plus penser qu’à ça.

Je garde – j’ose à peine le dire – un sou- venir solaire du premier confinement, maintenant que la distance temporelle a jeté sur lui un éclairage avantageux.

J’habite un 35 m2 encombré de livres et de disques, mais j’avais envie de passer du temps avec eux, de regarder l’arbre qui fait face à mon bureau. Chaque jour, je comblais mon manque de librairies en échangeant des livres dans la rue, avec des gens que je n’avais jamais croisé. Étaient- ils jeunes ? vieux ? Était-ce une femme ? un homme ? Je crois qu’au début, nous étions deux, puis d’autres ont pris le relais et, à la fin, toute une rue déposait chaque jour un peu de sa bibliothèque en échange des livres d’autres. Pendant deux mois, je n’ai fait que ça : jouer avec les vides et les pleins.

Paris confiné n’avait jamais été aussi beau. Et même si la mort, l’horreur, la sus- pension cernait nos vies, je dois avouer

qu’après vingt ans à courir dans tous les sens, je pouvais avoir besoin d’un repos d’autant moins coupable qu’il était collectif.

Enfin, il se passait quelque chose ! Et c’était précisément qu’il ne se passait plus rien.

Le monde solide avait fondu

P

our moi, les ennuis ont commencé le 11 mai. La nervosité sur le chemin de ma première fête, à l’autre bout de la ville que l’on a traversé à pied. Puis une en- gueulade le samedi après-midi suivant où j’ai préféré rester lire plutôt que d’aller à un anniversaire aux Buttes-Chaumont. Et la vérité qu’il fallait bien admettre : je n’avais aucune envie d’être déconfiné. Cela me semblait dangereux. En quoi ? Un an plus tard, et avec tous les dégâts que cela a fait en moi, je n’ai pas réellement la réponse : je n’ai pas peur du virus ; je ne suis en contact avec aucune personne âgée ni atteinte de comorbidités. J’ai une inconscience au danger qui flirte avec le suicidaire. Et obéir à un ministre de l’intérieur dont je pense le plus grand mal ne me ressemble pas. Mais je ne me suis pas déconfiné. Jamais.

L’été, je l’ai passé dans la même pièce, à exister par procuration sur Instagram, me réjouissant que la vie ait repris pour les autres « mais pas pour moi ». En août, j’ai consenti à partir quelque jours à Ibiza – une Ibiza sans club, sans touristes, une Ibiza vide de tout. J’ai cru voir devant ces plages désertes, moi qui m’étais remis à lire beaucoup de science-fiction, la confirma- tion que le monde solide avait fondu : le réel n’était plus qu’une illusion, un spectacle

qui n’allait pas au-delà de la couche du vi- sible, c’est-à-dire cet arbre en face de moi, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le reste n’était que pure virtualité. J’ai fini par vivre en ligne et ne plus pouvoir sortir.

Mon corps ne me le permettait pas : aller acheter du café en face de chez moi me provoquait des sueurs froides. Mon corps m’autorisait seulement à courir.

Ainsi, jusqu’en décembre où j’ai repris contact avec le monde extérieur en par- tant enfin quelque jours à l’étranger vivre un projet « plus grand que moi ». Dans mon entourage, à compter de ce mois, plu- sieurs personnes (des filles, surtout ; il fau- drait s’interroger pourquoi, quelles figures symboliques du pouvoir leur a ainsi fait du mal ?) sont partis en hôpital psychiatrique, des amis d’amis se sont suicidés. Je sais que je ne suis pas passé loin. J’espère que c’est derrière moi.

Qu’ai-je appris en un an ? Que j’avais été un enfant cinéphile, qui préférait vivre dans le noir d’une salle de cinéma ou dans les livres. Que je suis devenu journaliste, un jour, tard, je ne sais même pas comment.

Et, journaliste, je me suis mis à voyager, de façon ahurissante (deux pays par semaine, en moyenne) pour tuer ce garçon timide que j’étais et qui me faisait horreur. Et qu’il a fallu que la coronavirus me remette entre quatre murs pour que cet enfant reprenne le pas sur moi, ou plutôt sur ce qu’il reste de moi, un an plus tard.

Hier matin, j’ai rassemblé mon courage et j’ai cherché à prendre un billet d’avion pour partir cinq jours dans un pays pas du tout lointain, mais les vols ont tous été an- nulés. Je me déconfine au moment où le monde, à nouveau, retourne à la case pri- son. Je suis maudit. J’arrête. Je vais courir. �

Comment je ne me suis jamais déconfiné

Le 16 mars 2020, par un lundi matin brumeux, j’ai commencé à courir.

Un an plus tard, je cours toujours.

par Philippe Azoury

Enfin, il se passait quelque chose ! Et c’était précisément

qu’il ne se passait

plus rien.

(6)

L

e mot revient régulièrement, dans la bouche des Britanniques ou des royal watchers, pour quali­

fier Élisabeth II : « Inoxydable. » À tel point que l’on finit vraiment par croire qu’elle est éternelle.

Et puis, quelques événements propres au commun des mortels viennent à nous rap­

peler que, finalement, la santé de Sa Ma­

jesté peut chanceler du jour au lendemain.

Comme ce 25 mars 2020, quand un communiqué officiel a annoncé que son fils Charles avait attrapé le coronavirus, maladie dont on savait encore peu de choses. Il se disait même que le prince de Galles avait été contaminé lors d’une table ronde avec Albert II de Monaco, lui aussi testé positif. Alors quoi, même les têtes couronnées n’étaient pas protégées ? L’inquiétude était d’autant plus grande que Charles, 72 ans, avait côtoyé sa mère, 94 ans, quelques jours plus tôt. Imaginez la femme la plus célèbre du monde emportée par cette mortelle pandémie !

Inébranlable, Élisabeth II l’est cer tai­

nement quand même un peu, car confi­

née au château de Windsor – dont elle n’est quasiment pas sortie depuis un an –, la reine se porte comme un charme. Telle­

ment bien que cette nonagénaire aux che­

veux blancs et au dos de plus en plus ar­

rondi est devenue un phare dans la crise – pour son royaume mais aussi pour le monde entier.

Le 5 avril 2020, elle s’exprimait à la télévision, en plein confinement, pour apporter un message de soutien à ses su­

jets, qui comptaient déjà leurs morts par milliers. Sa parole médiatique est rare et donc d’autant plus forte. Si cette interven­

tion n’a duré que quatre minutes et trente secondes, elle est immédiatement entrée dans l’histoire du pays, alors qu’au même moment, politiques, médecins et pseu­

do­spécialistes s’éternisaient dans d’in­

terminables logorrhées télévisées.

« We’ll meet again »

P

lus que les autres chefs d’État, Élisabeth II percevait le tragique de la situation. C’est donc à rai­

son qu’elle n’employait pas les mêmes mots que Donald Trump ou Emmanuel Macron. Le président français avait ré­

pété, dans un effet de style, que nous étions

« en guerre »... Mais elle, elle l’avait connue la guerre, la vraie : celle durant laquelle elle s’était réfugiée à Windsor pour échapper aux bombes qui tombaient sur Londres ; celle où elle avait dû s’exprimer, pour la toute première fois, sur la BBC afin de ré­

conforter les petits Anglais, parfois orphe­

lins, fuyant leur patrie. Élisabeth II ne niait pas que cette crise sanitaire était grave – c’est d’ailleurs pour cela qu’elle parlait –, mais elle se voulait rassurante. « We’ll meet

again » (nous nous retrouverons), avait­elle conclu, citant un refrain célèbre de Vera Lynn, sa chanteuse préférée.

À quoi servent les monarchies, si ce n’est à rassurer ? À se dire qu’il n’y a ni monde d’avant ni monde d’après, mais sim plement une continuité : celle de l’histoire et des ins­

titutions. Résistant à toutes les tempêtes de­

puis des siècles, les couronnes – en parti­

culier européennes – ont encore une fois prouvé leur utilité dans celle du corona­

virus. Loin de rester cloîtrées dans leurs châteaux, les familles royales ont répondu

« présent » sur le terrain comme sur les nouveaux outils de commu ni ca tion que l’on croyait pourtant trop modernes pour elles.

On a ainsi vu Élisabeth II multiplier les réunions en visioconférence avec des as­

sociations. Ou encore Sophie de Wessex, masque sur le nez, prêter main­forte à des bénévoles dans un centre de vaccination.

Felipe et Letizia d’Espagne ont, quant à eux, fait une tournée de leur péninsule, pour rencontrer les métiers éreintés par la crise. Tandis que Philippe et Mathilde de Belgique ont visité de nombreux hôpitaux pour soutenir les soignants.

Quand les femmes et les hommes politiques sont trop occupés à décider d’un nouveau confinement ou d’un plan de relance, les monarques, eux, prennent la relève pour incarner l’entraide et la solidarité – des valeurs bienvenues en ces temps difficiles. �

Un phare dans la crise

Lors du confinement, les têtes couronnées

— Élisabeth II la première — ont rassuré : il n’y aurait

ni monde d’avant ni monde d’après ;

sim plement une continuité.

par Pierrick Geais

HULTON ARCHIVE/GETTY IMAGES

Élisabeth II et un de ses corgis à Sandringham en 1970.

(7)

P

endant longtemps, les seuls éléments de vaisselle que l’on trouvait chez moi consis- taient en un cendrier de l’hô- tel Sirenuse (à Positano, en Italie) et trois verres à pied volés au salon des vignerons indépen- dants. C’est que j’étais tout le temps de- hors, jouissant autant que possible de la profusion culi naire qu’offre Paris et qui justifie, selon moi, les loyers exorbitants qu’on y paie.

Depuis le 16 mars 2020, bien sûr, tout a changé. J’ai écumé la brocante de Quintaou (à Anglet, Pyrénées-Atlan- tiques) à la recherche de belles assiettes et acheté un nouveau réfrigérateur. J’ai appris à ouvrir les huîtres moi-même et même à fumer la viande au foin. J’ai pris quatre kilos et un abonnement à la livrai- son Deliveroo.

Les restaurants ont un temps rouvert, mais l’incertitude ambiante avait changé le plaisir simple d’aller dîner en état d’ur- gence permanent. Pressentant une nou- velle fermeture, j’ai mentalement listé les adresses qui risquaient de me manquer le plus et savouré chaque repas comme si c’était le dernier. La veille de sa cruci- fixion, le Christ avait eu du pain sans le- vain, un ragoût de haricots, de l’agneau, des herbes amères, une sauce de poisson et des dattes ; moi, je me suis tapé une cer- velle de veau, beurre acide et câpres au Chantoiseau (rue Lepic, en plein Mont- martre) puis une autre aux saveurs pan- asiatiques chez Cheval d’or (rue de la Vil- lette). J’ai dévoré les baos au porc grillé de chez Shen (rue au Maire, dans le Marais) pour le goûter et j’ai perdu le contrôle : un déjeuner en dix-neuf actes au Grand Restaurant de Jean-François Piège (rue d’Aguesseau, à deux pas de l’Élysée) ; des nouilles froides à 16 heures chez Udon Jubey (rue Sainte-Anne, dans le quartier des cantines japonaises) ; les sushis du vé- nérable comptoir Tsukizi (à Saint-Ger- main-des-Près) ; les tapas du Dauphin (avenue Parmentier)... J’ai mangé un der- nier lap chez Lao Siam (rue de Belleville)

et commandé toute la carte du Servan (rue Saint-Maur, non loin du Père-Lachaise).

Voilà, c’était fini.

Street-food gastronomique

L

e gouvernement a fait un gigantesque cadeau aux applications type Uber- Eats et Deliveroo : le couvre-feu, qui ne permet aux restaurants de travailler après 18 heures qu’en ayant recours à des services de livraison. Leurs commissions sont à la limite du racket et leurs pratiques, à des an- nées-lumière des valeurs dé fendues par la nouvelle scène gastronomique parisienne (réduire les déchets, payer tout le monde au prix juste, garantir la qualité de la cuisine, se soumettre à la fiscalité française...). Mais quatre mois de supplice plus tard, même les chefs les plus critiques à l’égard de l’éthique douteuse de ces start -up ont dû s’y sou- mettre avec une docilité à crever le cœur.

Certaines adresses gastronomiques se sont essayées avec succès à la street-food : chez Neso, Guillaume Sanchez cuisine un fish and chips croustillant issu d’une pêche durable dans un pain à la pomme

de terre fermentée. À l’écran ces jours-ci dans l’émission « Top Chef », le jeune Matthias Marc du restaurant Substance met ses racines jurassiennes à l’honneur avec l’offre « Jura streat food ». D’autres cuisiniers, comme Antonin Bonnet (Quin- sou), ont préféré travailler avec des services de livraison éthique (Resto.Paris), dont les prix et conditions de vente peinent à sé- duire une large clientèle persuadée qu’on peut payer 2 euros une course en douze minutes sans perpétuer un système d’ex- ploitation humaine. Tous, en tout cas, font preuve, depuis un an, d’une ténacité et d’une force d’adaptation hallucinante. Cer- tains sont même d’un tel optimisme qu’ils ont le culot de créer de nouveaux établis- sements alors que tout est encore fermé.

À surveiller : dans le Xe arrondissement, le restaurant très attendu d’Adrien Cachot, chef adoré à qui Vanity Fair consacrait un portrait en octobre 2020. Dans le XVIIIe, le comptoir musical et culinaire Panto, créé par les collectifs Animal Records et Ani- mal Kitchen, qui propose déjà une offre séduisante de plats à emporter et laisse en- trevoir, enfin, la perspective de meilleurs lendemains. �

UNE ANNÉE DIFFICILE À AVALER

Entre confinement et couvre-feu, les restaurants ont dû se réinventer au-delà d’un tout-livraison indigeste.

par Constance Dovergne

Le hamburger du PNY- Faubourg Saint- Antoine à Paris.

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U

n vêtement peut-il incar- ner l’époque ? Les an- nées 1970 eurent le patte d’eph et la veste épaulée ; les années 1980, le dé- luge pop fluo ; les années 1990, le grunge nirvanesque et le minima- lisme margielesque ; l’an 2000, le porno chic ; les années

2010, les défilés apo- théose de Chanel et la fantaisie mondiali- sée d’Alessandro Mi- chele chez Gucci. En décembre 2019, on annonçait le retour des années folles et le come-back de l’espiègle Liza Min- nelli dans Cabaret de Bob Fosse, coupe à la garçonne et jazz

au bout de la nuit. Et pourtant : le 3 mars 2020, le défilé automne-hiver 2020 de Louis Vuitton, organisé dans la cour car- rée du Louvre, semblait sonner le glas d’une époque.

Arrivés d’un Milan où Giorgio Armani avait été le premier à prévenir tout le monde, tard le soir, que son défilé du lendemain était annulé, les invités découvraient une chorale de deux cents chanteurs habillés en

costume d’époque, dans une spectaculaire collision de périodes et de styles orchestrée par Nicolas Ghesquière. Adieu aux Années folles, qui furent aussi espiègles qu’inquiètes et finirent de façon tragique. Quelques jours plus tard, tout était bouclé, studios, bou- tiques et magasins fermés. L’ère du premier confinement venait de commencer.

Un an après, que dit l’industrie ? La même chose que Lavoisier : rien ne se perd totalement, rien ne se crée absolument, mais tout se transforme irrémédiablement. La fa- brication de masques en série, de blouses et surblouses n’a pas empêché les maisons de continuer à concevoir de nouvelles col- lections, récits et manières de se raconter.

À défaut de pouvoir sortir, on se promène dans les jardins de campagne imaginés par

« DE L’AIR,

DE L’AIR »

À défaut de pouvoir sortir, le monde de la mode a continué

d’inventer des collections, des récits et des manières

de se raconter.

Par Pierre Groppo

Un an après, que dit l’industrie ? Que rien ne se perd totalement, que rien ne se crée absolument,

mais que tout se transforme irrémédiablement.

Chanel, sur des dunes de sable en Saint Laurent, dans l’immensité d’un stade en Celine. « De l’air, de l’air », semble avoir clamé la mode.

En septembre, Coperni organisait « en présentiel » (évidemment limité) son défilé printemps-été au sommet de la tour Mont- parnasse : le plus haut du monde, comme

un pied de nez sur lequel planaient les drones. La vidéo est la nouvelle reine de l’année mode, bien partie pour durer, et sous une infinité de formats : la série web de Gucci tournée par Gus Van Sant, le court métrage de Sébastien Lifshitz en annonce du défilé Hermès... Les réalisa- teurs ont pris la place des influenceurs pour une mode plus partagé que jamais. Mais qui n’oublie pas d’impossibles envies. À com- mencer par les sorties, la nuit, chez Chanel – le film était tourné chez Castel – comme chez Coperni, qui organisait dans le ventre de l’Accor Arena de Bercy un vrai spec- tacle in vivo, mais enfermés dans une voi- ture, étrange drive-in où même distanciés, les invités étaient heureux de se retrouver. �

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S

i vous rêvez absolument du jour où votre fond de boîte de masques jetables atterrira à la poubelle, il est une pièce mode qu’on brûle de voir ren- trer dans les tréfonds du dres- sing pour au moins quelques années : le pan- talon de survêtement.

Vêtement de réconfort évoquant pour les quadras une sorte de madeleine de Proust infantile et molletonnée, emprun- tant chez les trentenaires une vague forme de coolitude qui n’est pas sans rappeler celle de la dad sneaker, répondant chez les plus jeunes à l’impératif sauter au plus vite hors de sa chambre d’étudiant ou d’en- fant, le sur vê tement fut le fossoyeur de toute ambition mode un peu sérieuse en cette étrange année. Et n’allez pas cher- cher l’excuse du sport, les joggeurs, même

tombés de la dernière pluie, ayant systéma- tiquement opté pour le legging technique.

On remerciera les garçons pudiques d’y avoir adjoint un short un peu large, le port du sous-vêtement étant visiblement devenu optionnel pour une autre catégorie mâle poireautant dans les files d’attente (boulan- gerie, primeur, boucherie) qui furent, jadis, l’occasion de briller avec un nouveau pan- talon à pince, une jolie jupe ou des baskets dernier cri. Sorte de doudou à porter régres- sif et puéril, le survêt pandémique n’a même

pas l’alibi pseudo-fun de la grenouillère pour adulte : il est un renoncement informe mas- qué par un côté veulement câlin et fausse- ment pratique. Tolérable en intérieur – même si on lui préférera un bon vieux cargo, un jean élimé ou l’une des nouvelles collections de homewear –, il est le signe, à l’extérieur, d’une détresse stylistique à laquelle nous avons tous, un jour ou l’autre, fini par céder. Vivement le chapitre d’après, avec bottes de poireaux et costume trois-pièces, baguette tradition et robe d’été, voire ris de veau et stilettos. �

SUSAN WOOD/GETTY IMAGES

Le port du sous-vêtement est visiblement devenu optionnel dans les files d’attente (boulangerie, primeur, boucherie) qui furent,

jadis, l’occasion de briller.

Sus au molleton

Sorte de doudou à porter régressif et puéril, le survêt pandémique est un renoncement informe masqué par un côté veulement câlin et faussement pratique.

par Pierre Groppo

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F

ini les critères esthétiques ? Exit les normes ? Manifestement oui. Un an après le début de la pandémie, la beauté semble avoir littéralement fait sien le

« come as you are » de Nirvana.

Ou de McDonald’s, c’est au choix.

À la sortie du premier confinement, en mai 2020, nombre de médecins esthé- tiques parisiens s’amusaient (avec satisfac- tion) à voir leur standard exploser sous la demande de nouvelles patientes qui, après être restées deux mois sans maquillage,

souhaitaient passer de toute urgence de l’autre côté du miroir. Comprendre : elles étaient désormais prêtes à utiliser Photo- shop en cabinet. De mémoire de chirur- giens, jamais les timides Françaises n’avaient été aussi tentées par l’injection de botox. Envie de frivolité ? De redessiner son nez sur logiciel ? De rehausser ses pom- mettes et ses seins ? De changer de tête ? En 2021, personne ne vous jugera. Ni de l’avoir fait ni d’afficher votre nouvelle plas- tique sur les réseaux sociaux à l’image de Kylie Jenner (@kyliejenner) ou de Huda

Katan (@ hudabeauty), dont les physiques encore juvéniles et pourtant travaillés au bistouri sont devenus un business autant qu’un lifestyle.

À l’autre bout de la chaîne numérique, très loin des filtres et des retouches, la ten- dance body-positive incarne avec la même force la nouvelle beauté : poils, cellulite, acné que l’on cachait jusqu’alors font dé- sormais pleinement partie du paysage esthétique. Plus envie de s’épiler comme Lourdes Leon, la fille de Madonna ? De se résoudre à l’idée qu’un poil ou qu’un cheveu blanc puisse être aussi dérangeant qu’un caillou dans une chaussure ? Aucun problème non plus.

La beauté a changé, car elle s’est posé plus de questions. À travers nos écrans, l’industrie s’est regardée en face. Quel message transmettre à la nouvelle géné- ration ? Que dire aux jeunes, aux vieux, aux femmes, aux hommes ? Quid du genre ? Quel rapport à la peau, aux métis- sages ? Et, à la fin, où se niche réellement la beauté ? À qui d’en décider ? Ce coup de frein forcé a montré ses vertus et la pandé- mie a accéléré le processus de libération de la parole et des corps. Venez comme vous êtes, mais surtout, restez vous-même. Ce message ne s’est jamais imposé avec une telle évidence. �

La beauté a changé, car elle s’est posé plus de questions.

À travers nos écrans, l’industrie s’est regardée

en face.

ERWIN BLUMENFELD/CONDÉ NAST

En 2021, venez comme vous êtes

Le coup de frein de la pandémie

a accéléré le processus de libération de la parole et des corps. Désormais, on se lève et on s’accepte.

Par Bénédicte Burguet

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La tendresse

d'un baiser en couverture

Cette photo a été prise au Liban avant le début de la crise sanitaire. Nous l'avons choisie comme Une de ce numéro parce qu'elle illustre le futur dont nous avons envie. Son auteur, la photographe libanaise Myriam Boulos, en raconte la genèse.

B

eyrouth, Liban, le 20 octobre 2019. Cette photo a été prise au grand théâtre, lieu qui a accueilli des artistes comme Oum Kalthoum et Abdel Wahab. Durant la guerre, le grand théâtre a eu différentes fonctions et a progressivement été abandonné. Il s’est ensuite retrouvé sous le contrôle de la société Solidere. Cette photo a été prise au début de la révolution, lorsque les manifestants se sont

réapproprié le théâtre : avant le coronavirus, avant que la livre libanaise ne perde 80% de sa valeur, avant l’explosion du 4 août, avant que cette année change nos vies.

La photo fait partie de ma série Tenderness : dans un monde basé sur la destruction, je cherche la tendresse. Aujourd’hui plus que jamais, je tente de remplacer l’accumulation des claques de la vie par de la délicatesse et de la poésie. �

Myriam Boulos MYRIAM BOULOS

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