RECHERCHE D’UNE TECHNIQUE
DE TRANSPLANTATION DES ŒUFS CHEZ LA VACHE
J. TESTART P.-C. LÉGLISE
F. AYMER DE LA CHEVALERIE
Institut national de la Recherche agronomique
Station centrale de Physiologie animale, 78-Jouy-en-Josas, France
De nombreux chercheurs ont tenté d’induire une
gestation
chez laVache, après transplantation
d’oeufsfécondés,
enempruntant
deux voies d’accès à l’utérus :La voie non
chi y urgicale qui consiste,
comme pour l’inséminationartificielle,
à franchir le
cervix,
via levagin,
avec unepipette
detransplantation,
a donné desrésultats médiocres.
Dziuy, et al.
(ig58),
AVERY et al.( 19 6 2 )
nerapportent
aucun succès sur un totalde 28 essais. L2s
premiers, M UTTER ,
GRav!N et Or,DS( 19 65)
obtiennent unegesta-
tion à terme enperfusant
le tractus de la vache receveuse avec une solution anti-biotique depuis
l’oestrusjusqu’au jour
du transfert.Puis,
SuGiE( 19 6 5 )
obtient deuxgestations,
dont l’une à terme enperforant
laparoi vaginale
pour atteindre l’utérusen évitant le passage
transcervical ;
deplus,
il insuffle la corne utérine avec du gazcarbonique
lors du transfert.RowsoN et MooR
( 19 66), puis
VINCENT, MILLS et Ru!D!!,t,(ig6g),
reprenant la voie transcervicale mais en insufflant l’utérus avec duC0 2 ,
obtiennent chacun deuxgestations
sur 8 et r5 vaches dont lescycles
sontsynchronisés
à ijour près
avec ceux des donneuses.
La voie
chiru y gicale
a donné de meilleurs résultats.Après
UMSnuGx( 1949 ) qui
provoqua 4
gestations
maisqui
n’allèrent pasjusqu’à
leur terme, WILLET et al.( 1951 )
réussit à obtenir le
premier
veauaprès
3essais, puis !!VW !,!’r,
BUCKNER et LAPSON( 1953
)
deux autres naissances pour deux tentatives. Av!RY et al.( 19 6 2 ) rapportent
la réussite d’unegestation
à termeaprès quatre
essais etrécemment, R OWSON ,
Mo ORet LAWSON
(ig6g),
enrécupérant
les oeufs des donneurs in vivo et en utilisant le« TC 199» » comme milieu de
perfusion
et deconservation, indiquent
un taux de réus-site très élevé : 91 p. 100 de receveuses
gravides.
Ceci montre que le transfert des oeufs par la voie
abdominale,
chez laVache,
estparfaitement possible puisque
ce résultat estparmi
les meilleurs obtenus chez l’en- semble des Mammifères. Mais l’utilisation d’une telletechnique
ne semble pas réa- lisable dans lapratique
courantepuisqu’elle exige,
outre un matérielimportant
etdu
personnel
hautementspécialisé,
des conditionsopératoires (anesthésie, asepsie)
et des durées d’intervention
qui
nepermettent
pas son utilisation sur unegrande
échelle.
Aussi avons-nous
répété
les diverses tentatives de transfert nonchirurgical
pouren vérifier les
résultats,
tout en recherchant unetechnique qui
utiliseraitl’avantage
de la voie transabdominale en évitant les servitudes d’une véritable intervention
chirurgicale.
I. - COMPARAISON DE
TECHNIQUES
DE TRANSPLANTATION DES OEUFS CHEZ LA VACHENous avons
expérimenté
diverses voies d’introduction des oeufs dans la corneutérine,
en transférant non des oeufs de vache(pour
limiter le nombre d’animauxutilisés),
mais des oeufs deLapine,
divisés ou non, ou des boules de résine de 200f1.de diamètre environ ou des colorants.
A. - Inovulation
Par
le col de l’utérus1
. Méthode dérivée de l’insémination
artificielle.
Une sonde
souple
estguidée
parpalper transrectal,
à travers le col etjusqu’au
milieu de la corne. A travers la sonde un fin cathéter
permet
d’introduire les oeufs in uteyo.Le tableau i résume nos interventions.
Ces résultats médiocres s’accordent avec ceux de tous les auteurs
qui
ont tentéce
type
detransplantation.
La nonrécupération
des corpstransplantés s’expliquerait
par l’existence de contractions utérines
qui expulsent
les oeufs dans levagin,
sousl’influence des stimulations
cervicales, vaginales
ouvulvaires, provoquées
par lamanipulation.
2
. Inovulation
par
sonde à demeure.Afin
d’empêcher
cerejet
des corpsintroduits,
nous avons mis enplace,
lejour
des
chaleurs,
une sonde munie d’un ballonnet terminal dont legonflement permet l’ancrage
de la sonde in utero.Ainsi,
les oeufspouvaient
êtredéposés
au moment choisisans stimulation des voies
génitales.
Dans tous les
essais,
même enprenant
toutes lesprécautions d’asepsie,
une réac-tion infectieuse a
pris place
dans l’utérus.3
. Inovulation avec dilatation utérine.
Nous avons
repris
latechnique
de ROWSONet Mo OR( 19 66) qui
consiste à insufflerdu gaz
carbonique
dans la corne en mêmetemps
que l’ondépose
les « ceufs », leCO.
étant utilisé dans un but d’anesthésie locale et de relaxation.
Le tableau 2 résume nos résultats.
Dans
l’ensemble,
les résultats sont meilleurs que ceux dupremier essai,
maisseules les billes sont
récupérées
dans desproportions acceptables, peut-être
parce queplus
facilement visibles ou parce queplus
adhérentes à la muqueuseutérine,
cequi
limiterait leurexpulsion.
B. - Inovulation
par
voie transutérineNous avons très
rapidement
abandonné latechnique
de SUGIE( 19 65)
à causedes difficultés
pratiques
et parcequ’elle
n’évite pas les stimulationsvaginales,
nicomplètement
les stimulations cervicales. Cettetechnique
consiste en effet à per- forer levagin
au niveau du cul de sac deDouglas
à l’aide d’unelongue aiguille puis
à
pénétrer
dans l’utérus pour ydéposer
les oeufs. Le cervix et les cornes utérines sont maintenues parpalper
transrectal.Ceci nous a conduit à mettre au
point
unetechnique
detransplantation
à tra-vers la
paroi
abdominale cequi
évite les stimulationsgénitales
et l’infection que favorise la voietransvaginale
ou transcervicale.Une anesthésie locale
( 50
ml de tutocaïne à 2 p.100 ) permet
lapénétration,
auniveau de la fosse
paralombaire,
d’unendoscope
dans le canalduquel
on introduitl’appareil
àtransplanter.
La cavité utérine étant
virtuelle,
la difficulté est d’assurer laposition
intra-luminale de l’extrémité distale de
l’aiguille qui guide
le cathéter contenant les oeufs.Cette
position
était assurée dans unpremier appareil
par un ballonnetgonflé
in uteropuis,
dans unsecond,
par la dilation utérine obtenue parsimple injection
de gazcarbonique.
Ledispositif
actuellementexpérimenté
est d’unemanipulation simpli-
fiée :
après
quel’aiguille
aitpénétré
lemyomètre,
le cathéter en téflon contenant lesoeufs, projeté
sous lapulsion
d’un ressort, traverse la muqueuse utérinejusqu’à
lalumière dans
laquelle
ils’oriente,
du fait de sa flexibilité propre.L’intervention
totale, pratiquée
dans des conditionsaseptiques,
demande unevingtaine
de minutes.14
vaches ont
reçu iti
utero, 3 à 8jours après
leschaleurs,
i à 4 oeufs(stade
8cellules-morula) récupérés
parperfusion
in vitro du tractus des vaches donneusesi à 3 heures avant l’intervention et conservés dans du
liquide
folliculaireautologue
ou du milieu TC 109 : r
3sont revenues en chaleurs i8 à 25
jours après
l’oestrusprécédent
et 1, 40jours après.
Onignore
les causes de cet échecqui pourrait
êtredû,
soit à laqualité
desoeufs
transplantés (dépréciation
entrel’abattage
de la donneuse et larécupération,
ou au cours de la
conservation),
soit au transfert lui-même.II. ― DISCTJSSION
Les auteurs s’accordent en
général
sur les causesqui expliquent
les mauvaisrésultats obtenus à la suite des
transplantations
par la voietransvaginale.
A. -
L’expulsion
del’œuf
hors de l’utér-usà la suite des stimulations
génitales
Havs et VeND!MAxK
( 1953 )
ont montré que la Vacherépond
aux stimulations du tractusgénital
par unedécharge
dansl’organisme
d’une substance à action ocy-tocique
et Rowsox, BW TwE2Tet HARPER(ig6 4 ),
nepeuvent bloquer
les contractions utérinesresponsables
del’expulsion
dans levagin
departicules placées
in utero,malgré
l’utilisation de diversesdrogues (adrénaline, atropine, procaïne, papavérine,
anesthésie
épidurale).
O
TSUKI et SOMA
(ig6g)
obtiennent des résultatscomparables
chez la chèvre.C’est seulement en insufflant du gaz
carbonique
dans l’utérus degénisses
lors dutransfert que HAFEz et SUGIE
( 19 6 3 )
retrouvent in îttero r3 p. 100des oeufs delapine transplantés
12 à4 8
hplus
tôt(aucune récupération
s’ils n’insufflent pas l’utérusavec
CO z ).
L’emploi
duCO. (R OXVSON
etMoo R , 195 6, puis V IN CE N T,
blWr,s etRuNnkt,r&dquo;
19 6 9
)
apermis
l’amélioration des résultats par transferttranscervical ;
mais le succèsreste limité et nos propres essais
(tabl. 2 )
montrent que dans des délais brefs( 2
à 4h),
les oeufs de
Lapine
sont rarement retrouvés dans l’utérus de laVache,
les résultats n’étant passupérieurs
à ceux obtenus sans insufflation(tabl. i).
Dans une
expérience
sur laLapine (T ESTART , ig6g),
nous avons montré que les stimulationsgénitales
n’entraînent pasl’expulsion
des oeufstransplantés,
cequi implique
une relativespécificité
duphénomène
observé chez la Vache.B. -
L’infection
utérineElle est
provoquée
par l’introduction in utero de matériauxseptiques
chez l’ani- mal aupost-oestrus.
DzmK et al.(ig58),
eninjectant
dans l’utérus de vachesfécondées,
du sérumphysiologique récupéré après perfusion
d’utéri d’autres femelles n’obser- vent que 2gestations
sur 14essais,
mais 5gestations
sur 8 essais s’ilsajoutent
de lapénicilline
à ce sérumphysiologique.
On connait laplus
faible résistance à l’infection utérine de la femelle enphase progestative
parrapport
à laphase oestrogénique
dans
pluseurs espèces
comme la Vache(RowsoN,
LAMMINGetF RY , 1953 ),
la Brebis(B
RINSFIELD
HAWKetCE!’!’!!&dquo; I g6 7 ),
laLapine (Br,acK et al,
1953 ; BROOME et LAM- MING,
ig58 ;
Bpoomn, LAMMING etSMITH, zg5g).
Les stéroïdes ovariensjoueraient
un rôle déterminant dans cette
résistance,
enagissant
soit sur le nombre et la vitessede mobilisation des
leucocytes,
soit sur lacapacité
antibactérienne de cesleucocytes,
soit sur le
drainage
de l’utérus.En
plaçant
une sonde à demeure in utero, nous avons vérifié lasusceptibilité
de l’utérus aux germes infectieux. Les
expériences
menées chez laLapine (T ESTART , ig6g)
ont montré que l’influence défavorable du passage transcervical du cathéter detransplantation
sur le résultat du transfert(tabl. 3 )
est dû enpartie
à l’infection du tractusgénital après
cettemanipulation ;
chez les seuls animaux à tractus nor-mal, ( 47 , 5
p.100 )
le faible tauxd’implantation ( 45 , 1
p. 100 contre 77,1 p. 100 pour la voietranspariétale) peut
être laconséquence
d’une contamination bactérienne très localiséeatteignant
seulement lesblastocystes.
CONCLUSION
Les résultats
expérimentaux rapportés
montrentqu’une technique
de trans-plantation
des oeufs chez les Bovins doit tenircompte
de deux facteurs essentiels.La
susceptibilité
de l’utérus en étatprogestatif
à lapollution
par des matériaux sep-tiques
et la réactivitémyométriale
aux stimulationsgénitales.
La voie
transpariétale
de transfert des oeufs élimine ces deux difficultés. Les résultats récents deR OWSON ,
3IOORet I,Awsorr(ig6g)
montrent que si l’oeuf fécondé de vache estplacé chirurgicalement
dans l’utérusau 4 e
ou 5ejour
ducycle,
dansles meilleurs conditions
(récupération
in vivo desoeufs,
milieu deperfusion
et de con-servation
convenable)
on obtientplus
de go p. 100 de receveusesgestantes.
Ils mon-trent
également
que l’oeufpeut
être conservé in vitro au moins 2heures avant trans- fert et que lescycles
de la donneuse et de la receveusepeuvent
êtresynchronisés
à2
jours près.
Il reste à
simplifier
cette méthode. Latechnique transpariétale
que nousexpé-
rimentons parce
qu’elle
ne nécessitequ’une
anesthésie locale et uneplage
d’inter-vention
chirurgicale
réduite nous semblesusceptible d’application pratique.
RÉSUMÉ
En comparant diverses techniques pratiques de transplantation des oeufs fécondes in utero chez la Vache, nous avons retrouvé les difficultés rapportées par la bibliographie et qui tiennent
à deux phénomènes : l’expulsion de l’oeuf dans le vagin conséquemment aux stimulations géni.
tales (que nous n’avons pas rencontrée chez la Lapine) et l’infection utérine.
Aussi, nous expérimentons une méthode transabdominale qui devrait permettre d’obtenir
un succès analogue à celui de Roii>so:, MooR et LA!,N’SON (1969) par intervention chirurgicale,
tout en étant susceptible d’application pratique.
Nous n’avons pas obtenu de gestation jusqu’à ce jour.
SUMMARY
SEARCH FOR A METHOD OF EGG TRANSFER IN THE COW
Comparing various practical techniques of transplanting fertilized eggs in utero in the cow,
we encountered the same difficulties as those mentioned in the literature ; namely, expulsion
of the egg into the vagina following genital stimulation (which we did not observe in the rabbit),
and uterine infection.
We are also studying a transabdominal method which would be practically applicable, and
with which we hope to obtain success analogous to that of ROWSON, MooR and LANN-SO-N (ig6g)
who employed surgical intervention.
Up to now, wc have not obtained a pregnancy.
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