• Aucun résultat trouvé

Le Heimatlosat en droit suisse

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le Heimatlosat en droit suisse"

Copied!
142
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

Heimatlosat

en droit suisse

DISSERTATION

présentée à la Jfaeulté de Droit de l’Uniuersité de Lausanne

PAR

Ä L O Y S C H E R P I L L O D pour obtenir le grade de üieeneié en Droit.

L A U S A N N E

(3)

Le Conseil de la Faculté de droit, sans se prononcer s u r les opinions du candidat, autorise l’impression de la disser­ tation de M. Aloys Clierpillod, candidat au grade de licencié en droit, présentée sous le titre :

Le Heimatlosat en droit suisse, ' et des thèses qui l’accompagnent.

Lausanne, le 28 juillet 1906.

Le Doyen,

(4)

AVANT-PROPOS

Des diverses questions de droit public q u ’a vues s u rg ir notre législation suisse, celle des individus sans nationalité (heimatloses) est l’une des plus anciennes ; elle fut jadis l’une des plus agitées ; c’est à ce double titre que la question du heim atlosat nous a p aru m ériter u n e étude plus approfondie q ue celle, toute brève, q u ’en ont faite les historiens et les ju riste s qui ont suivi le développement si complexe de notre indigénat suisse.

En réservant, dans ce modeste travail, u n e large place à l’exposé historique de la question du heimatlosat, nous avons c ru faire droit aux exigences de la n a tu re même du sujet : il ne sera pas sans intérêt, à notre époque où les cas de heim at­ losat se font heu reu sem en t de plus en plu s rares, de je te r u n regard en arrière, s u r l’étendue et la ténacité d ’un mal que devaient fatalement en g e n d rer dans notre patrie la rig u e u r de lois injustes, l’exclusivisme des gouvernants, l’étroit indi­ vidualism e des cantons.

(5)

ABRÉVIATIONS

I lu Pa r t i e :

R. 0. = Recueil officiel des pièces concernant le droit public de la Suisse, * 1815-1848.

II« Pa r t i e :

R. 0. r - Recueil officiel des lois et ordonnances de la Confédération suisse. 1848-1873.

R. 0., n. s. = Recueil officiel des lois et ordonnances de la Confédération suisse, dès 1878.

C. F. = Décision (avis, lettre, arrêté, etc.) du Conseil fédéral. T. F. : A rrêt du Tribunal fédéral (Recueil officiel). A. F. = A rrêté de l’Assemblée fédérale.

F. f. = Feuille fédérale.

Rapp. gest. J. et P. = R apport de gestion du Département fédéral de Justice et Police. (Rapports de gestion du Conseil fédéral).

(6)

INTRODUCTION

1. La nationalité. — Tout individu, dans la com m u­ nauté des peuples civilisés, se rattache à u n Etat ; le lien de droit qui u n it l ’individu à l’Etat est le lien d’indigénat ou de

nationalité.

On ne conçoit pas l’existence d ’un individu n ’ayant au c u n ra p p o rt quelconque avec ses semblables, restant absolum ent étrang er à la-société des nations, et se soustrayant, p ar ce fait, à la souveraineté de toute loi. L’hom m e doit avoir une patrie, sa n atu re essentiellement sociable l’exige. Le besoin de développement physique, de perfectionnement intellectuel et moral de l’être h u m ain , les nécessités mêmes de la vie lient l’individu à la co m m unauté ; seul l’Etat, qui, en g rou ­ pan t les individus, crée un e nation, peut do n n er et g aran tir à l’hom m e les droits qui lui sont indispensables p o u r vivre dans là société.

Il est cependant des individus sans patrie : soit q u ’ils n ’eu aient eux-mêmes jam ais eu, soit q u ’ils aient rom pu ou laissé rom pre le lien qui les attachait à leu r patrie prim itive, ils ne peuvent plus se réclam er de la qualité de national que l’Etat reconnaît à ses ressortissants ; ils sont plus q u ’étrangers : au cu n E tat ne veut les reconnaître et tous se les repoussent : ils sont heimatloses. Affranchis des charges q u ’impose la nationalité, ils ne jo uissen t plus de la protection q u'assure

(7)

l’indigénat ; ils ne peuvent plus invoquer que les droits de l’h u m a n ité \

Le heim atlosat est u n m a lh e u r p o u r l’individu, u n e plaie sociale. Les sans-patrie, n ’ayant d ’attache nulle part, do nnent fatalement dans le vagabondage ; ne possédant aucun droit civique, ils n ’ont généralem ent que de l’hostilité p ou r les sociétés qui les repoussent de le u r sein et fournissent de nom breuses recrues à l’armée des m alfaiteurs 2.

2. L’indigénat suisse. — De l’union politique et écono­ m ique qui, à l’époque de la féodalité, s’était constituée en « com m une », n aquit le droit de bourgeoisie (Gemeindebür­

gerrecht, Ortsbürgerrecht). Exclusivement dépendant, à l’ori­

gine, du domicile s u r le territo ire de la c o m m u n e s, cet indigénat local devait être la base de notre indigénat suisse.

Au XVmc siècle com m ence une période de transform ation dans la n a tu re des com m unes : celles-ci tend ent à se fermer. L’admission à la bourgeoisie, j u s q u ’alors toute libérale, devient difficile ; on exige le paiem ent d ’une finance d ’entrée. Sous l’influence des événements extérieurs, la com m une perd de son autonom ie ; des contrées se groupent, où les com m unes se tro u v en t enchâssées. Un nouveau pouvoir su rg it : c’est l’Etat, qui créait u n lien d ’indigénat plus large : le droit de

cité (Landrecht). A l’exigence de la finance d ’entrée dans la

bourgeoisie s ’ajoute la condition d’autorisation du gouverne­ ment ; la collation du dro it de cité se fit dès lors directem ent, s u r preuve de l’existence d’u n droit de bourgeoisie. L’Etat et les com m unes se soudaient peu à peu ; on finit p a r adm ettre le principe de l’inséparabilité du droit de bourgeoisie et du droit de cité.

Un événem ent eut, au XVImc siècle, u nè grande influence 1 Rivier. Principes du droit des gens, I, p. 13.

2 Berney. L a nationalité, p. 10.

(8)

s u r l'évolution de notre indigénat suisse. Poussée p ar le vent orageux de la Réforme, la porte du couvent se ferme ; l’assis­ tance du pauvre n ’est plus assurée ; la mendicité, le vagabon­ dage se propagent d’u ne façon inquiétante p o u r l’ordre public. C’est alors que la Diète fédérale, assemblée à Baden, arrête, le 8 ju in 1551, q ue « chaque pays, ville et bourg, doit garder et assister lu i-m êm e ses pauvres » l.

La pierre angulaire était posée : sur. elle allait s’élever un dro it d’origine d’une n a tu re plus réelle que personnelle, lié plus étroitem ent au droit privé q u ’au droit public, puisque découlant essentiellement de la jouissance de droits écono­ miques 2.

La Révolution rasa l’édifice décrépit de l’antique bourgeoi­ sie : « ....Considérant que les droits de bourgeoisie étaient « principalem ent une de ces bases vicieuses qui s’opposaient « à toute idée d’unité, qui com prim aient ce sublim e élan « vers le bien général en attachant l’Helvétien à u n petit coin « de pays et en bo rn a n t son attachem ent p o u r la patrie, et a qui isolaient son intérêt en restreignan t son activité... » 3, la R épublique helvétique u n e et indivisible créa un indigénat nouveau : le droit de cité helvétique4 ; elle fit du citoyen du canton u n citoyen suisse et éleva à la condition de citoyen les personnes à droits limités. Mais la bourgeoisie étant à bas, à qui allait incom ber l’obligation d’assistance des pauvres, cet attrib u t de l’indigénat suisse ? Avant q u ’on ait pris le tem ps d ’y songer, l’Acte de médiation re sta urait l’autonom ie cantonale qui, partout, rétablit la com m une bourgeoise.

1 Abschiede, 1549-1855 (vol. 4, 1, e), p. 509.

2 H über. System u n d Geschichte des schweizerischen Privatrechts, I, p. 145.

3 Motifs de la Loi su r les droits de bourgeoisie, du 13 février 1799.

Actes de F Helvétique, III, p. 1188.

4 Constitution helvétique du 12 avril 1798 (art. 19). Lois su r les com­ munes, des 13 et 15 février 1799.

(9)

Le Pacte fédéral de 1815 s’en tin t là, ne connaissant que des citoyens de cantons. Mais les ra p ports intercantonaux, aussi bien que les relations internationales de la Suisse, allaient acculer celle-ci à la nécessité de dire qui elle consi­ d érait comme Suisse : en 1819, la Diète arrête que a pou r « être citoyen suisse, il faut être bourgeois ou ressortissant d ’un canton ». Toutefois, l’idée d ’une assimilation complète de to u s les ressortissants des cantons fait encore totalem ent défaut.

La Constitution fédérale du 12 septem bre 1848 (art. 42) a créé un indigénat suisse, q u ’elle déclarait droit im prescrip­ tible 1 (art. 43) et que la Constitution fédérale du 29 mai 1874 (art. 43 et 44) garantissait à son to u r comme tel au citoyen suisse. Les lois fédérales des 3 juillet 1876 et 25 ju in 1903 s u r la naturalisation des étrangers et la renonciation à la natio­ nalité suisse en ont dès lors réglé l’acquisition et la rép ud ia­ tion.

D’abord obscur et indéterm iné, l’indigénat suisse n ’est pas né directem ent d ’une loi, mais a surg i peu à peu, parm i des fluctuations de toutes sortes, de décisions particulières de conseils et de t r i b u n a u x 2. Il est un droit héréditaire, im pres­ criptible, caractérisé par l’existence d’une base ju rid iq u e double : Vindigénat com m unal ou droit de bourgeoisie, droit d ’origine personnel et réel, condition prem ière d ’un indi­ génat cantonal ou droit de cité, droit personnel, qui en est à la fois le corollaire et la condition ; la coexistence de ces deux indigénats crée de plein d roit Vindigénat suisse ; l’un ne peut exister sans les deux autres, ni disparaître sans en e n tra în er la perte.

1 L’indigénat suisse — fédéral, cantonal ou communal — ne peut se perdre ni p ar l’action du temps ni p a r l’effet d ’un acte qui ne serait pas l’expression de la volonté du titulaire. C’est dans ce sens que nous enten­ drons le qualificatif « imprescriptible » appliqué à notre indigénat.

(10)

PREMIERE PARTIE

HISTORIQUE

C H A P IT R E P R E M IE R

Les sources du heimat/osat

Généralités. — La société antique vivait d’exclusivisme. Ignorante ou dédaigneuse de tout ce qui s’appelait «barbare», elle réservait son estime p o u r le le civis, le citoyen ; d u national et du citoyen, elle ne fit jam ais q u ’un.

Nos XIII Anciens Cantons, figés dans un étroit patriotism e local, ne dépassèrent pas cette conception : à leurs yeux, la qualité de citoyen était intim em ent liée à celle de m em bre de l’Etat : perdre Fune, c’était p erdre l’autre ; quiconque perdait ses droits civiques perdait, p ar là même, son indigé- nat ; on s’imaginait trouver, dans la ru p tu re du lien qui u n it le citoyen à sa patrie, la sanction de la souveraineté de la loi et de l’omnipotence de l’Etat : les gouvernants ne se fus­ sent pas laissé convaincre q u ’il est immoral de p riv er un citoyen de ses droits de nationalité p o u r pouvoir le b a n n ir: la déchéance du droit de patrie était le châtim ent de l’indignité.

(11)

Prescription des droits de bourgeoisie et de cité. — Le principe de l’im prescriptibilité des droits de bourgeoisie n ’était pas connu de l’ancienne Confédération ; j u s q u ’au com m encem ent d u XIX0 siècle, la qualité ju rid iq u e de m em brexde la collectivité com m unale se perdait générale­ m ent, comme to u t droit soumis à la prescription, p ar le non-usage l ; et, dans les cantons qui exigeaient le renouvel­ lem ent formel et périodique des titres de bourgeoisie de leurs citoyens, les com m unes, p o u r é p u re r de tem ps à a u tre l’état de leurs bourgeois, pouvaient pron oncer la forclusion contre les absents qui négligeaient de faire reconnaître leurs d r o i t s 2.

L’Helvétique, p o u r avoir substitué aux droits de cité can­ tonaux u n indigénat u n iqu e, n ’innova guère : la Constitution du 12 avril 4798 attachait la perte du droit de cité suisse à l’absence non-autorisée de plus de dix ans. Ce ne fut q u ’à p a r tir du com m encem ent du XIXe siècle que des considéra­ tions d’ordre essentiellement pratique, aiguillant insensible­ m ent les décisions des autorités s u r la voie de l’interdiction de la dénationalisation d ’office, assuraient, p ar là même, l’im prescriptibilité des droits de bourgeoisie et de cité.

Loi pénale. — Rome avait eu la capitis deminutio m a x im a et media ; les droits cantonaux du XVIIIe siècle e u re n t la « déclaration jud iciaire de heim atlosat ».

L’Etat avait imposé à la com m une l’obligation d ’e n tre te n ir ses pauvres ; u n e charge aussi lourde appelait compensation. Berne qui, déjà au tem ps où il avait fallu lim iter l’adm is­ sion à la bourgeoisie, pu nissait de la privation des droits de citoyen la vente de biens à u n étranger, frappait, au d é b u t " du XIXe siècle, de la déchéance du droit de bourgeoisie la prodigalité, la négligence des pères dont les enfants tom­

1 Clave), I, p. 86. 2 Clave!, I, p. 33.

(12)

baient à la charge des com m unes Ailleurs, la débauche, le concubinage offraient aux trop fameux trib u n a u x de m œ u rs de multiples occasions de faire des sans-patrie. E t cette dé­ gradation civile'ne s’arrêtait pas aux-parents : au m ilieu du siècle passé, Neuchâtel et Valais- com ptaient ensemble s u r le u r territoire 3108 individus privés, de tout droit de b o u r­ geoisie p o u r cause de naissance illégitime.

Les causes politiques e u re n t le u r p art dans cette déchéance des droits de cité. Une loi du 11 ju ille t 1798 privait, de ses droits de citoyen celui qui refusait de p rê te r le serm ent c iv iq u e 1 ; le code pénal bernois de 1799 frappait de la même peine la participation à des menées séditieuses et, confor­ m ém ent à la Constitution helvétique d u 12 avril 1798, qui déclarait le droit de cité helvétique p erd u p a r désertion, les Conseils législatifs de la R épublique invitaient; le 3 décembre 1798, les jeu nes gens déserteurs des tro upes helvétiques à re n tr e r au pays dans les six semaines, sous peine d ’être p ri­ vés de leurs droits de citoyens. Le délit de hau te trahison envers la R épublique ne m anq uait pas au nom bre des causes de déchéance de la nationalité ’.

Intolérance religieuse. — La liberté de conscience p a r u t longtemps incompatible avec l’un ité politique de l’E tat; les répub liqu es suisses n ’échap pèrent pas à l’influence dé cet exclusivisme religiéux. L’E tat avait sa religion officielle ;

1 Armenordnung du 22 décembre 1807, art. 18 et 14.

- Suivant" Glavel (I, p. 86), cet individu ne perdait pas én même-temps son droit de bourgeoisie.

3 Le général Rôtze, au service de l ’Autriche, accusé de s’être laissé corrompre par l’ancien gouvernement de Zurich et de s ’être engagé, contre ‘ paiement d’une somme de 100,000 florins,; à restaurer en Suisse, par la force des armes, l’ancien régime, était frappé par les Conseils légis­ latifs, le 12 mars 1799, de la déchéance de son droit de cité et déclaré indigno du nom de Suisse. — Strickler.Aetes de PHelvétique, III, p. 1834.

(13)

la qualité de citoyen ne pouvait exister sans le titre de croyant *.

Vint la réforme religieuse. Tandis que les Etats catholi­ ques, contraints de renoncer à p réven ir les conversions à la foi nouvelle, en étaient réduits à les p u n ir après coup de la déchéance du droit de cité, les Etats réformés, au contraire, s’em pressaient de les favoriser, de les garantir, de les impo­ ser même, et assuraien t au converti la pleine jouissance de ses droits civiques ; l’intransigeante Berne ne se fit m ême pas faute de frapper de la déchéance de leurs droits de cité et de bourgeoisie ceux de ses sujets qui passaient au catho­ licisme. Les cantons mixtes, eux, observaient u n e attitude neu tre : à la fin du XVIe siècle, les citoyens d’Appenzell con­ venaient de form er deux com m unautés distinctes : c’est d’alors que date la division du canton en R hodes-Intérieures. catholiques, et R hodes-E xtérieures, réform ées; ceux qui changeaient de religion réalisaient leurs biens et ém igraient d’une Rhode dans l’a u tre 2.

L’Acte de médiation ren d it aux cantons la pleine souverai­ neté en matière confessionnelle que l’Helvétique leu r avait enlevée, et les expulsions p o u r cause de changem ent de reli­ gion re p rire n t de plus belle ; les renégats, bannis et géné­ ralem ent incapables de satisfaire aux conditions d ’établisse­ m ent dans d’autre s cantons, ne faisaient que grossir la foule des sans-patrie. Les propositions généreuses présentées p a r Soleure et Lucerne à la Diète de 1807 ne re ç u re n t q u ’un accueil platonique : on se contenta de « faire recom m ander un traitem ent hu m ain de ces m alh eureux ».

En 1813, Soleure com ptait s u r son territoire 253 convertis 1 Heinrich Goldschmidt, de la secte religieuse des Mennonites, obligé de quitter sa patrie (Richterswyl, canton de Zurich), au XVIII“ siècle, p o u r cause de convictions religieuses, fut l’ancêtre de la famille Goldschmidt-lVich, dont le cas de heimatlosat n ’était liquidé définitive­ ment qu’en 1908 p ar le Conseil fédéral.

(14)

sans certificat de bourgeoisie. Une décision de Diète du 22 ju in 1810 avait, il est vrai, posé le principe que les conver­ sions ne seraient pas punissables de la perte du dro it de cité; mais il ne fallut g uère moins de dix ans p o u r as s u re r une sanction quelque peu effective à ce progrès. Un concordat du 8 juillet 1819 stipula résolum ent l’interdiction de p u n i r le passage d’une confession chrétienne à l’a u tre de la dé­ chéance des droits de cité et de bourgeoisie, en imposant à tout canton non concordataire l’obligation de recevoir en cas de renvoi ses anciens ressortissants privés de leu r droit de patrie 1. L’abstention complète de ces délibérations des dépu­ tations d ’Uri. Schwytz et Unterwald devait provoquer d ’éner­ giques protestations de la p art des autres Etats et, après l’adhésion de Berne, donnée « sous réserve que des m esures seraient prises en com m un p ou r em pêcher les conversions faites à la légère $, la Diète décidait, le 15 ju illet 1828, de rayer définitivement de son ordre du jo u r la question des conversions.

Mariages irréguliers. — « P arto u t où il y a de quoi faire vivre deux personnes, a dit Montesquieu, il se fait un mariage. » Ce fait n ’avait pas échappé à ta paternelle sollici­ tude des gouvernem ents de l’ancienne Confédération, qui paraissent n ’en avoir redouté que le danger de voir retom ber s u r l’Etat les charges de l’union.

De nom breuses et diverses entraves étaient mises à la conclusion du mariage, dont la validité dépendait en to u t prem ier lieu de l’assentim ent de l’autorité : il ne paraissait pas admissible que p o u r fonder u ne famille, p o u r lier un co ntrat aussi fertile en obligations p o u r les époux que lourd de conséquences p o u r l’Etat, l’on p û t se passer de sanction officielle. Puis, c’étaient des exigences de natu re morale : la tache infamante laissée par certains délits faisait obstacle au

(15)

mariage ; ou bien c’étaient les convictions religieuses : tout mariage mixte, c’est-à-dire l’union de personnes de confes­ sions différentes, était interdit dans les cantons catholiques et en tra v é dans les cantons réformés. Ou bien encore c’étaient des conditions pécuniaires : dans m aint canton, on percevait du fiancé u n e taxe, d u paiement de laquelle dépendait l’auto­ risation d u mariage ; ailleurs, la femme qui se m ariait dans une com m une a u tre que la sienne devait payer une «finance d ’entrage » (Einzugsgeld), effectuer un dépôt ou fou rn ir un cautionnem ent à la com m une du mari.

Et l’autorité frappait les contrevenants à ces dispositions de la limitation, voire même de la privation de leurs droits de citoyens, comme elle avait autrefois usé des châtim ents corporels, de l’exil, de la prison, p o u r p u n i r les mariages non autorisés *. La com m une d’origine des époux, p o u r se garer de l'obligation qui m enaçait de lui incom ber de pourvoir à l’entretien des enfants et souvent même des parents, refusait à ceux-ci des certificats de bourgeoisie. Et le mariage, n ’étant pas reconnu, n ’était q u ’un concubinat : il en naissait des sans-patrie.

L’Helvétique leva tous les em pêchem ents au m ariage et restitu a les droits p erd u s p o u r cause de m ariage mixte. Mais cinq ans à peine s’étaient écoulés, que Bâle punissait d e re ­ chef de la déchéance d u dro it de cité le m ariage d ’u n b o u r­ geois avec un e catholique. Cependant, peu à peu s’imposait le prin cip e q ue le m ariage conclu et béni d ’après la loi du lieu de célébration re n d la femme ressortissante du canton où le mari possède le droit de bourgeoisie. Un concordat du '11 j u i n 1812, confirmé le 7 ju ille t 1819, devait étend re aux mariages mixtes l’im m u n ité accordée aux conversions, et le concordat d u 4 juillet 1820, s u r les bénédictions de mariage, dispose que a toutes les conséquences résu lta n t des mariages « contractés irré gulièrem ent, nom m ém ent l’obligation d

(16)

— IT­

XC' surer, un e existence civile aux individus et familles qui, « p ar l’effet de mariages de cette n ature, se trouveraient p ri­ ti; vés du droit de n atu ralità, seront à la charge d u canton .« où le mariage a u ra été célébré » *. En 1844, les arbitres fédéraux attrib u aie n t au canton de Schwytz la femme hei­ matlose Anna-Maria Meyer, issue d ’u n mariage irrégu lier célébré à Loverz, le 25 juillet 1808.

Le traité conclu le 23 aoû t 1808 p a r onze cantons avec le G rand -duché de Bade 8 to u ch a n t les formalités à re m p lir p o u r la conclusion d u m äriage de leurs ressortissants, et la Convention d’établissement passée, le 12 mai 1827, avec la Sardaigne s, e u ren t d’h eureu x effets s u r les rappo rts d ’indigé- nat des Suisses établis dans ces deux Etats. Le 11 ju illet 1829, u n c o n c o rd a t. adm is p a r dix-sept cantons stip ulait enfin que le mariage contracté irrég ulièrem en t à l’étra n ger n ’en traîne­ rait en au c u n cas la déchéance des droits de cité et de b o u r­ geoisie4.

Ces efforts étaient louables ; mais au c u n e de ces décisions n ’avait d’effet rétroactif. E t il ne restait à. ceux qui ne .pou­ vaient justifier devant la loi de. le u r état et de leu rs droits, q u ’à re co u rir au seul m ariage religieux : on passait la fron­ tière et l’on allait se faire m arie r a ille u rs ,:p ar quelque com­ patissant curé des cantons de Soleure, de Lucerne,, du. Tessin ou des-Grisons. Lucerne frappait sans succès la conclusion de ces u nions irrégulières de peines correctionnelles allant •jusqu’à h u it ans de travaux forcés.

Mais la grande officine de ces mariages religieux élait alors le Vatican. Usant de faux nom s, m u n i de-fau.x papiers, on s’achem inait vers la ville s a in te ; la cu rie romaine, s u r la

• 1 H. 0., 11, p. 40. . •• • ï

1 2 H. 0., I, p. 431.

3 R. 0., II, p. 247. — Convention dénoncée p ar l’Italie le 14" novembre 1856.

4 R. 0., II, p. 328. ., "■

(17)

simple foi d’actes dont elle se gardait de m ettre en doute l’authenticité, bénissait le m ariage, puis délivrait aux époux un a certificat de m ariage rom ain », écrit s u r parch em in et m arqué d u sceau papal. Des « passeports rom ains », im p ru ­ dem m ent visés à la frontière 1, perm ettaient au couple de re n tr e r au pays : il y procréait des heimatloses.

Les cantons firent des représentations à Rome, « Le célibat forcé, conséquence des obstacles m is au mariage, le u r répon­ dit le Saint-Siège, conduit à la corru ption des m œ u rs » . Et le nonce du pape écrivait en 1836 au go uvernem ent de Nidxvald : « L e souverain Pontife qui, en sa qualité de pas- « te u r universel de tous les fidèles, a le droit de p ourvoir à « leu r salut spirituel, quel que soit le pays auquel ils appar­ ie tiennent, ne peut pas p erm ettre que ces fidèles qui se re n ­ te dent à Rome p o u r des affaires de conscience, ne puissen t « les y a rra n g e r p ar tous les moyens que leu r offre l’Eglise, « et même p ar des m ariages ».

Capitulations militaires 2. — Les services capitulés com m encent p ar celui de Milan, en 1373. A p a r tir du XVe siè­ cle, les Suisses s’enrôlent dans toutes les arm ées d ’E urope ; on en trouve ju s q u e dans l’A m érique du Nord. Cent cinq levées fournirent, d u ra n t cinq siècles, des volontaires suisses au service de France, d’Espagne, Venise, Maison de Savoie, Rome, Pays-Ras, Naples, A utriche, Angleterre et Prusse.

L’enrôlem ent se faisait soit p ar levées périodiques, soit p ar l’entrem ise de bureaux officiels p erm anents ou d ’in term é­ diaires : le Pays de Vaud avait sa « Chambre des recru es». Mais de bonne h eure déjà, la Diète, qui craignait de voir les 1 Un couple, porteur d’uii passeport le désignant comme frère et sœur, rentra marié en Suisse (B. van Muyden. La Su Use sous le Pacte de 1815, I, p. 442, note).

5 Voir : A rchiv fü r schiceherische Geschichte. Vol. 17, p. 3. Coup d 'œ il

gênerai su r l'histoire m ilitaire des Suisses au service étranger, p a r Rud.

(18)

hallebardes suisses lancées, sous des drapeaux si divers, les unes contre les autres, ou les cantons, p ar m esure p ure m e n t fiscale, avaient in terd it le re cru tem e n t non autorisé et la levée de compagnies franches. En 1706, à la suite d ’une enquête s u r l’enrôlem ent de quelques centaines d’hom m es potir des com­ pagnies non avouées au service de France et des Pays-Bas, le Conseil des Deux-Cents de Berne frappait u ne vingtaine d’officiers de tous grades, dont plusieurs notabilités bernoi­ ses, d’une forte am ende et subsidiairem ent de la- perte de leurs droits de bourgeoisie et de cité 1.

Néanmoins, l’enrôlem ent non autorisé fut de to u t temps pratiqu é : s u r quarante-sept levées faites p o u r le service de France, vingt-cin q fu ren t illicites.

Après le 10 août 1792, aux propositions des Em igrés d ’ame­ n e r les Suisses à passer à l’arm ée d u Boi, Bàie et les autres cantons rép o n d iren t p ar le rappel de leu rs soldats, en m ena­ çant les insoum is de la déchéance de leurs droits de bou r­ geoisie. Et, le 3 décem bre 1798, les Conseils législatifs décré­ taien t que les jeu nes gens qui s’enrôleraient dans u n service non avoué p ar la B épublique seraient p unis de la privation de leurs droits de cito y e n s s. En 1807, l’enrôlem ent volontaire ne suffisant plus à com pléter les régim ents capitulés au ser­

vice de France, on vida les prisons ; cinq ans plus tard, la Suisse p re n ait l’engagem ent de n ’avoir de régim ents q u ’au service de la France, et la Diète menaçait de la perte de leurs droits de citoyens les Suisses qui co ntinueraient de servir sous les drapeaux d’u n e a u tre puissance étrangère. C’est alors q u ’on fit de l’enrôlem ent forcé, écrit l’historien Mon- nard, la p unition ordinaire des délits de police correction­ nelle, ivrognerie, tapage, discorde nocturne, cas de paternité. Les capitulations militaires"n’étaient pas sans ass u re r aux engagés d ’im portantes prérogatives : ils avaient entre au tres

1 Revue historique eaudoise, 1894, p. 808.

(19)

le droit de' co ntracter m ariage ; toutefois, au cu n officier ne pouvait se m arie r sans l’autorisation du go uvernem ent de son canton ; les sous-officiers et soldats devaient o btenir en outre l’assentim ent de. leu r colonel ou chef de bataillon. Une déci­ sion de Diète du 21 août 1818 rendait cet officier responsable des su ites de ces mariages non autorisés qui formaient une b o n n e p a rt des fameux « mariages rom ains », contractés p ar -les soldats suisses au service de Rome et de Naples.

Certains cantons n ’avaient pas admis le princip e des capi­ tulations m ilitaires : Zurich n ’avait jam ais autorise la levée de compagnies franches ; tandis que Schaflouse, Glaris, Tes­ sin étaient restés étrangers à m ainte capitulation, d’autres cantons avaient résolum ent renoncé aux bénéfices que 'leur p ro c u rait le service étra n ger ; leurs ressortissants, malgré l’interdiction qui leu r en était faite, s’enrôlaient alors dans les tro up es d ’au tre s cantons, où pénétraient avec eux des indivi­ dus de toutes nationalités qui, la p lu p art du tem ps, étaient déjà mariés. Les Allemands de Souabe, d ’A utriche, - de Ba­ vière, de Franconie, du Haut-Rliin et de' la Haute-Saxe for­ m aient j u s q u ’au tiers de l’efiectifde certains régim ents. L’en­ rôlem ent de ces étrangers,-aussi im p ru d em m en t pratiqu é par les agents re c ru te u rs q ue rigoureusem ent in terdit p ar les cantons, faisait p erdre de plein droit aux engagés leu r natio­ nalité ; m un is de feuilles de congé délivrées au régim ent, ils pénétraient en Suisse, où ils laissaient souvent p érim e r leu rs papiers ; la frontière leu r était dès lors fermée, il ne leu r rëstait plus q u ’à vagabonder.

Les cantons n ’avaient pu em pêcher cet im p ru d en t em bau­ chage ; ils c h e rch è ren t à le limiter. Une convention signée à ■Berne, le 1er ju in 1816, en tre dix cantons et la France, auto­

risait les chefs de compagnies de ligne à enrôler des étra n ­ gers j u s q u ’à concurrence du q u a rt de l’effectif de leurs

(20)

mes 1. Il était déjà d’usage dans les régim ents au service de1 Naples de com bler les brèches trop larges faites p ar la g u erre dans les'rangs des tro upes suisses, p ar l’enrôlem ent d ’étrangers j u s q u ’à concu rrence du tiers de l’effectif de corps ; le recru tem e n t d ’italiens ou d’A utrichiens était p a r contre

sévèrem ent interdit. .

Les troupes suisses capitulées étaient placées sous la häute surveillance de la Diète ; il est incontestable que la peine de la déchéance des droits de bourgeoisie et de cité était le moyen le plus simple — encore que peu politique — dont disposât l’autorité p o u r sanctionner une souveraineté effec­ tive s u r ces troup es éloignées du sol helvétique. Mais le pays n ’était pas sans en ép ro uv er tous les graves inconvénients. Le 14 juillet-1828, dix-sept cantons invitaient en Diète tous les Etats confédérés à s u p p rim e r sans réserve et à ne jam ais ré ta b lir la peine de la privation des a d ro its de bourgeoisie et de natu ralité » à l’égard de ceux' de leu rs ressortissants qui s’enrôleraient p o u r u n service militaire étra ng er non avoué p ar le u r canton, proposition qui, le 13 ju illet de l’année s u i­ vante, passait à l’état de concordat, adm is p ar tous les Etats, Obwald excepté : ^enrôlem ent de ressortissants suisses p o u r des services au tre s que ceux consentis p ar voie de capitula­ tions des cantons respectifs ne devait e n tra în e r en au cu n cas la déchéance des droits de cité et de bourgeoisie*.

Un concordat d u 6 juille t 1830 allait m ettre l’étran ger devenu heimatlose p a r suite de son enrôlem ent dans u n régi­ m en t suisse capitulé à la charge du canton dans les com pa­ gnies duquel il avaitété r e c r u t é 5 ; et, p ar concordat du 25 ju il­ let .1831, tous les cantons, à l’exception d ’Uri, Schwytz, Unterwald et Valais, s’engageaient à interd ire à l’avenir to u t

1 B. van Muyden. La Suisse sous le Pacte de IS IS , I, p. SSO. 2 R. 0 ., II, p. 326.

(21)

enrôlem ent et tout rengagem ent d ’étrangers dans les troupes suisses capitulées *.

Les lauriers cueillis à la pointe des piques avaient fait des soldats suisses des héros ; la vie des cam ps devait infaillible­ m ent faire de la p lu p a rt d’en tre eux des désœuvrés, m û ris p o u r le vagabondage, le jo u r où, épargnés p ar le fer, ces m ercenaires se voyaient libérés du service p ar l’expiration de leu r engagem ent ou le licenciement de leu r régim ent. Il est aisé de se convaincre de la fécondité de cette source de liei- matlosat, en songeant q u ’on a évalué à 750,000 le nom bre des Suisses qui servirent, de 1480 à 1830, sous les drapeaux de la F rance seule 2.

Organisation défectueuse de la police. — Les go u­ vernem ents des XIII Cantons ne su re n t pas organiser une police. Ni le « p ré v ô t» , a arc h e r », ou « chassecocquin » que Berne avait chargé, au XVIIe siècle, de <i déchasser» les gens qui gueusaient, ni la m aréchaussée, instituée en 17403, n ’étaient p arvenus à p u rg e r le Pays de Vaud des nom breux vagabonds qui parcouraient la Suisse entière. Tandis que F rib o u rg et Soleure étaient d ’avis d ’envoyer ces im p o rtu n s aux galères, à Venise ou en Morée, Berne se réservait de les d ép orter dans le Brandebourg.

A la frontière, la force publique faisait totalem ent défaut : LL.EE. avaient jugé suffisant d’y app liq u er des placardsim pri- més, avertissant les rôdeurs d ’avoir à passer o u t r e 4. La police étrangère avait beau je u : en refoulant ces vagabonds s u r territoire suisse, elle poussait souvent la condescendance

1 R. 0., II, p. 328.

2 Vicomte de Broc, li istorici! français.

* Berne créa des « Corporaux et Patrouilleurs », auxquels on délégua la compétence d ’infliger la bàtonnade, moyennant rétribution d’un ctutz p ar coup de bâton.

(22)

j u s q u ’à les pourvoir de « laissez-passer » (Laufpässe), papiers généralem ent faux ou périm és q u ’elle se gardait bien de reconnaître comme valables p o u r re n tr e r s u r sol étranger.

Et la consigne de la m aréchaussée était alors fort simple ; elle se résum ait dans l’expulsion du délinquant, q u ’au besoin on accélérait, suivant u ne vieille coutum e, p ar le voiturage officiel. Le procédé avait d ’incontestables avantages, et tout eû t été p our le mieux dans la m eilleure des républiques s’il fût resté le privilège de certains Etats ; m alheureusem ent, tous les cantons rivalisaient de zèle p o u r l’ap p liqu er : c’était un perpétuel renvoi de gens sans aveu. Mais, à la fin du XVIIIe siècle, l’intervention française eut tôt fait d ’arra c h e r les gouvernem ents cantonaux à leu r apathie et à le u r insou­ ciance : il fallut se résoudre à exiger la présentation de passe­ ports. Vaud remplaçait, en 1803, la m aréchaussée bernoise par la g e n d a rm e rie l. Cependant, les maisons de correction man­ quaient, les galères étrangères ne recevaient plus les con­ dam nés suisses ; en 4812, la Diète était invitée à é tud ier la question de la création de maisons correctionnelles com m u­ nes à plusieu rs cantons. On s’en tin t toutefois à la conclusion d ’un concordat, du 17 ju in 4812, confirmé le-9 juille t 1818, relatif aux m esures de police contre les escrocs, vagabonds et a u tre s gens dangereux, concordat qui prescrivait un e s u r ­ veillance sévère s u r Ißs voyageurs et passeports, et l’obliga­ tion p o u r les cantons de p re n d re des m esures propres à p ré­ venir que les expulsions d’étrangers ne portassent préjudice aux autres cantons, notam m ent d’aviser ceux-ci des cas de renvoi et de tra c e r à l’expulsé la route à suivre*. Un nouveau concordat, des 22 ju in et 2 juillet 4843 % qui devait recevoir confirmation en 1818, v in t s u b ord on ne r la délivrance de passe­ ports et de livrets de voyage à des étrangers à la condition que

1 Loi du 4 juin 1803. 2 R. 0., I, p. 349. :l R. 0., I, p. 355.

(23)

ceux-ci produisissent des certificats de leurs autorités d’ori­ gine les au torisan t à voyager à l’étranger. Ce concordat adm ettait, en outre, l’octroi de a feuilles de route » à des gens qui rôdaient dans le pays en m endiant, sans passeport et « sans vocation ».

L’insuffisance de la police in térieure était encore doublée d’une organisation p a r tro p ru dim en taire de la représenta­ tion diplomatique d u pays à l’étran ger : le défaut de contrôle sérieux des papiers de légitimation, la délivrance im pru den te de passeports aggravaient encore les déplorables conséquen: ces du m anque d’instructions où se trouvaient, ju s q u ’au milieu du XIXe siècle, les consulats suisses, qui avaient à re p résen ter vingt-deux Etats dont le lien confédéral n ’était pas toujours des plus resserrés l.

' Le Règlement pour les consuls suisses, du 1er mai 1881 (R. 0., 1848-

1S15, lI,tp.}"28o) et celui du 26 mai 1875 (R. 0. nouv. série I, p. 492) ont dès lors réglé la matière.

(24)

C H A P I T R E II

Inégalités e t désordre résultant du défaut et de la perte des droits de cité e t de bourgeoisie.

Condition des heimatloses.

I. L E S P E R S O N N E S A D E M I - D R O I T S a Nous sommes étrangers à notre pro pre pays », s’écrie le doyen M u r e t 1 au XVIIIe siècle. C’était encore la condition de plus de 20,000 personnes en Suisse, au milieu du siècle passé : d ’une p art les bourgeois, jouissant de tous les droits et avantages attachés à l’indi gênât cantonal et com m unal ; d’a u tre p art les non-bourgeois, « tolérés », a m anans », <c habitants » (Hintersassen ou Hintersassen), dont l’ancienne Confédération avait laissé le type à la nouvelle, qui m it plus d’un demi-siècle à faire d ’eux des citoyens.

A. — Personnes sans droit de cité ni droit de bourgeoisie. Heimatloses ou « tolérés ». Ansassen.

Les prescriptions sévères que LL. EE. avaient édictées p o u r éloigner des Etats de Berne les étrangers de nationalité inconnue ou incertaine n ’avaient été que trop éludées. Une fois fixés dans le canton, ces individus ne pouvaient plus en être renvoyés ; la com m une où ils s’étaient établis était tenue de les tolérer.

1 Le doyen Muret. E ta t de la population dans le P ays de Vaud. —

(25)

Les « citoyens helvétiques », c’est-à-dire les étrangers aux­ quels la Constitution de 1798 avait octroyé directem ent le droit de cité helvétique sans exiger q u ’ils acquissent un droit de bourgeoisie, étaient restés, après la ch u te d u régime unitaire, à la charge des cantons. Les personnes privées de leurs droits de citoyens, mais qui, en v ertu de concordats, pouvaient re n tr e r dans leu r ancienne patrie, n ’y recouvraient q u ’exceptionnellem ent leurs droits : en général, elles y étaient sim plem ent tolérées. Dans le canton de Vaud, les enfants trouvés recevaient u n acte les certifiant nés et élevés dans lei canton et grâce auquel ils pouvaient y ren trer.

Les heimatloses p ro p rem en t dits ou « tolérés » — en 4850, cette classe comptait plus de 12,000 individus — n ’avaient a u c u n droit politique ; ils n ’avaient que des droits civils restreints : au com m encem ent du XIX" siècle, Vaud ne leur p erm ettait pas de se m arie r ou d ’a c q u é rir des im meubles sans u n e autorisation spéciale de l’E t a t l. F ribourg, Valais. Soleure, Lucerne, Obwald, Uri, Glaris, Grisons, Appenzell- In té rie u r avaient de bonne h eure réparti en tre les com m unes un assez grand nom bre de heimatloses vagabonds p o u r les astrein dre à une vie sédentaire, mais sans leu r accorder d ’au tres droits que celui de simple tolérance, et en les astrei­ g n an t p ar contre au paiem ent des im pôts et à la prestation des corvées. La loi soleuroise de 1818 excluait les « Ansassen » répartis de la jouissance des droits civils et politiques, et une ordonnance de 1826 les mettait au bénéfice de la moitié de la p art de bois distribuée aux bourgeois, mais contre finance égale à celle que payaient ceux-ci. Lucerne, p ar u n e loi de 1834, refusait à ses répartis la jouissance des droits civils, notam m ent le droit d ’obtenir des autorisations de mariage. Dans la p lu p a rt des cantons, le « Ansass » avait à fournir un cautionnem ent pouvant aller j u s q u ’à mille francs. — P ar contre, la com m une qui accordait la tolérance aux

(26)

loses était généralem ent tenue de leu r fo u rn ir assistance en cas de besoin.

Les Israélites qui, dès le d ébu t du XVII0 siècle, s’étaient établis dans le comté de Baden, se fixaient, en 1774, au nom bre de cent h u it ménages, dans les com m unes arg o- viennes d ’Oberendingen et Oberlengnau 1 ; ils n ’étaient que de simples tolérés.

B. Personnes ayant un droit de cité, mais aucun droit

de bourgeoisie. Landsassen.

P lusie u rs cantons ad m irent dans le cours des tem ps à la « naturalité cantonale » (Landrecht) certaines personnes — tolérés, enfants trouvés — qui n ’avaient pas de droit de bou r­ geoisie. La qualité de citoyen du canton assurait it ces indi­ vidus la jouissance d ’un droit formel de tolérance dans la co m m une ; aussi les trouve-t-on parfois désignés sous le nom de « tolérés » (Geduldete) ou « ressortissants » (Angehö­ rige). Ils étaient généralem ent considérés comme ressortis­ sants de la com m une où leur famille était établie et étaient assistés p ar l’Etat.

'I. Ressortissants du canton. a) Vaud.

1° Les Corporations françaises. — Une frontière largem ent *

ouverte, la sym pathie des cantons protestants, la com m u­ n auté de croyances, de langue, de mœurs., devaient a ssu re r u n refuge inviolable aux victimes des a dragonnades » de Louis XIV. Il vint de toutes les provinces de France, spécia­ lem ent du sud, de nom breuses familles dont les noms tém oignent encore, dans notre pays rom and, du glorieux sacrifice fait s u r l’autel de la f o i \

1 Voir : E. Haller. Die rechtliche Stellung der Juden im K anton

A argau.

(27)

: En 1(385, on com ptait plus de 4000 réfugiés dans le Pays de Vaud ; Lausanne en hébergeait u n jo u r 2000. En 1696, Nyon en com ptait 775, Morges 716, Vevey 696, Aigle 231, Mou- don 275, Yverdon. 214. Il fallut secourir ces m alheureux, qui avaient abandonné tout aux mains de leurs persécuteurs ; LL. EE. in stitu è ren t la c Chambre des réfugiés » (Exulanten- karnmer) et concédèrent aux sociétés de secours, Confréries, Corporations, Directions, Bourses, que les F rançais avaient constituées dans la p lu p a rt des villes du pays, le droit de faire des collectes dans les tem ples et de recueillir des dons. Après leu r admission en qualité de simples habitants, tantôt à term e, tantôt p o u r u n tem ps illimité, Berne facilita à ces étrangers la naturalisation ; p lu sieu rs ac q u iren t u n droit de bourgeoisie ; la p lu p a rt ne ta rd è re n t pas à a c q u é rir le droit d’habitation perpétuelle. La Constitution de 1798, les lois prom ulguées sous l’Acte de médiation, enfin la Constitution yaudoise de 1845 1 firent d ’eux des citoyens du canton.

La Corporation française de L ausanne 2 est née en 1687 des lettres de protection du gouvernem ent de Berne, que confirma l’Acte souverain des 10 et 11 ju in 1742. En 1696, des 6454 ré­ fugiés établis s u r les terres de LL. EE., il s’en trouvait 1505 à L ausa n ne; en 1740, la Corporation com ptait 1307 m em bres, dont 513 avaient déjà acheté u n droit de bourgeoisie ; le nom bre effectif des ressortissants de la Corporation était donc, au milieu du XVIII0 siècle, de 967 Français.

Berne avait, de bonne h eure déjà, concédé certains droits à la « Direction de l’hôpital des Français réfugiés dans la Ville et Bailliage de Lausann e» : le soin de connaître de la vie, des m œ u rs, de l’origine et des facultés de ces réfugiés ;

1 Art. 17 : « P our être Vnudois, il faut être bourgeois de l’une des communes du canton ou attaché à l’une des corporations qui sont recon­ nues dans le canton et considérées connue des bourgeoisies. »

2 Le Pasteur Emmanuel Solomiac. Note historique su r lu Direction de

la Bourse française de Lausanne. F usion de la Corporation française dans la bourgeoisie de Lausanne.

(28)

-de ju g e r si celui qui voulait se marier, était en m esure d’enr tre te n ir un e famille ; enfin, de percevoir de lui, à l’occasion de son mariage ou de l’achat du dro it d ’habitation, une finance ne pouvant excéder 100 francs. Un capital de fr. 84,000, pro d u it de contributions régulières, de collectes, quêtes, legs, loterie, constituait à la fin du XVIIe siècle le pécule de la Corporation.

Des tentatives-de fusion de la Corporation française avec la bourgeoisie dé la ville échouèrent en 1829, .1839, 1849 ; l’année 1859 devait enfin en voir la réalisation. .

La Corporation française de Vevey s’était dissoute en 1791 ; celle de Marges fusionna, le 2 ju in 1823, avec la bourgeoisie de cette ville.

L’occupation du Pays de Gex p ar les Bernois, en 1536, y avait provoqué des conversions à la religion réformée. Forcés de s’expatrier après la révocation de l’Edit de Nantes, de nom ­ breux F rançais se fixèrent dans le baillage voisin de Nyon, y fondèrent la Bourse des réfugiés d u Pays dé Gex, qui. ne com ptant plus que deux personnes, fut dissoute en 1843.

Les Bourses françaises d'Aigle, de Moudon, d isp aru ren t éga­ lem ent aux XVIIe et XVIII“ siècles.

La Corporation française de N yon com ptait encore, vers le milieu du siècle dernier, 25 familles environ, dont plusieurs avaient déjà acquis le droit dé bourgeoisie de la ville.

La Confrérie des pauvres réfugiés habitants perpétuels de

B ex 1 tenait son nom de l’époque où le Conseil de cette com­

m une décidait d’accorder aux F rançais l’habitation, h la condition de se bien com porter et en n ’étant pas à la charge de la com m une : il y avait donc ici exception au principe généralem ent admis de l’assistance de l’habitant perpétuel par la commune. Bex ne leu r assurait que le droit d’habita­ tion ; la Bourse de la Confrérie devait en tretenir, au movén

1 Pasteur Ad. Correvon. Les réfugiés français à Bex. — Revue Itista-

(29)

de ses propres ressources, ses pauvres et les enfants illégi­ times de ses membres.

La Bourse française de R o lle 1, qui existait déjà en 1702, comptait, en 1788, 185 m em bres, dont la p lu p a rt étaient bo ur­ geois de Rolle, de B ursinel, de Vich, de Lausanne, de Mou- don. En 1840, le nom bre des ressortissants de la Bourse était de 149 et, cinq ans plus tard, la fortune de celle-ci s’élevait à environ tre n te mille francs. Cette Bourse, dont tous les' m em bres avaient déjà acquis le droit de bourgeoisie de différentes localités, devait conserver son caractère d ’asso­ ciation p u re m e n t privée ; elle subsiste encore comme telle.

Il en fut de même p o u r la Bourse française d’Yverdon, d on t tous les ressortissants étaient devenus peu à peu bourgeois de diverses communes.

2° La Corporation vaudoise. — Après 1803, Berne, Argovie et Vaud se partageaient, ju s q u ’en 1820, le lourd héritage laissé par LL. EE., qui avaient groupé en une association appelée « Corporation des Landsassen », tous ceux de leurs sujets qui n ’étaient pas en m esure d’ac q u é rir un droit de bourgeoisie. Vaud, p a r un e loi du 14 mai 1811, fit de sa p a rt — 1215 individus — la Corporation vaudoise, à laquelle on a ttrib u a toutes les personnes qui n ’avaient a u c u n droit de bourgeoisie dans le canton ; cette corporation re çu t dès lors tous les individus sans droit de bourgeoisie que le Grand Conseil d u canton adm ettait, m oyennant p aiem ent d ’une finance de 100 à 400 francs (ancienne valeur), au dro it de cité vaudois. Si u n m em bre de la Corporation acquérait le dro it de bourgeoisie d ’une com m une du canton, il cessait, p ar là même, de faire p artie de la C orpo ratio n2; si, p a r contre, il devenait bourgeois d’une com m une d ’u n a u tre canton, il conservait ses droits d’Incorporé.

1 J. Cart. Les p rotestants français réfugiés dans le Pays de Vaud et la

Bourse française de Rolle. — H°.vue historique vaudoise, 1893, p. 171.

(30)

L’Etat de Vaud, p o u r p erm ettre à la Corporation de subve­ n ir aux frais d’assistance de ses pauvres, l’avait dotée d’un fonds de 40,000 francs (ancienne valeur) ; un e loterie et les contributions annuelles de 10 à 40 batz des Incorporés aisés devaient a u g m e n te r la fortune de la Corporation, dont les revenus ne suffisaient cependant pas à co uv rir les frais d’as­ sistance des .Incorporés nécessiteux ; l’E tat y co ntribu ait p o u r une part.

b) Be r n e avait s u r son territoire, en 1733, 5115 heim at­

loses. En 1780, LL. EE. édictaient, en exécution d’u n décret d u 31 jan v ier 1776, u n e O rdonnance souveraine « s u r les moyens d ’adoucir le sort de tous ceux qui se trouvaient éta­ blis dans le u r Pays Allemand et dans leu r Pays de Vaud, sans avoir a u c u n dro it de bourgeoisie ». Ce fut l’origine de la Corporation des Landsassen 1 (Landsassenkorporation)> à laquelle le a Bastardenreglem ent » du 2 avril 1788 a ttrib u a les enfants illégitimes des bourgeois de B erne; de 3482 en 1780, le nom bre des Incorporés ascendait à 4163 en 1788. Tous ces individus devaient être considérés comme sujets naturalisés.

LL. EE. avaient voué un soirr tout p articulier à organiser cette c o rp o ra tio n 8, qui bénéficia de leu r constante sollici­ tude. Une contribution annuelle était exigée de chaque m em bre, à l’exception des orphelins m ineurs et des indi­ gents; le non paiem ent de cette taxe avait p o u r conséquence le retrait du « certificat de corporation » qui tenait lieu aux Incorporés d ’acte de bourgeoisie, et d u droit de tolérance dans les Etats de Berne. L’assistance était assurée aux Incor­ porés nécessiteux ; mais les ressortissants de la Corporation ne pouvaient se m arie r sans autorisation. La « Direction des Incorporés », dont les m em bres se recrutaient dans le Conseil

1 Voir : Greiser. Geschichte des Arm enwesens im K anton Bern, pa­ ges 246 ss.

(31)

souverain de Berne, devait être avertie p ar les parents de la destination de leu rs enfants et avait à vouer to u t spéciale­ m ent son attention à « faire placer p ar préférence de pareils enfants à la campagne, afin de les vouer à l’ag ric u ltu re ».

L’Etat p articipait aux frais d’assistance des Incorporés : de .1780 à 1798, il le u r avait accordé p o u r 343,750 francs de se­ cours. La corporation des Landsassen comptait, au milieu du XIXU siècle, 2891 individus.

. cj Ne u c h â t e l avait u ne catégorie spéciale de personnes

sans droit de bourgeoisie : les « s u je ts d’E tat », environ 3000 individus, descendants de réfugiés français et personnes de naissance illégitime, qui, reco nnu s citoyens neuchâtelois, jouissaient de tous les droits attachés à cette qualité et étaient assistés par l’Etat.

dj Ar g o v i e avait érigé en Corporation des Landsassen sa

p a r t de la Corporation de Berne ; ces Incorporés ne pou­ vaient se m arier sans l’autorisation du P etit Conseil. L’assis­ tance leur était fournie p ar le Fonds des Landsa'sseri (Land- sassenfonds) et, subsidiairem ent, par la Bourse cantonale

des pauvres.

e) Gr i s o n s, Te s s i n, Ap p e n z e l l- Ex t é r i e u r, Ob x v a l d, Nid-

w a l d avaient aussi leurs citoyens d u canton ou Landsassen.

2. Ressortissants d u canton attachés à u n district,

à une contrée ou à une paroisse.

Certains individus, citoyens du canton, n ’avaient q u ’un droit de bourgeoisie indéterm iné : les « Allgemeine Land­ leute » de la Vallée d ’Interlaken, répartis, au nom bre d ’envi­ ron 400, entre quinze com m unes, avaient l’indigénat de cette vallée. Les a Introuvables » (K irchhörebürger) de Gross- höchstetten, au nom bre de 139 personnes, avaient déjà, en partie, acquis u n droit de bourgeoisie dans les cinqf conir mu nés q u ’ils h abitaie n t; et 22 « Bourgeois du ' Bailliage de

(32)

GeSsenay » ressortissaient à trois com m unes bourgeoises de cette contrée.

F rib o u rg avait ses « Paroissiens non com m uniers qui n ’étaient au bénéfice q ue d u droit de ressortir à u n e paroisse constituée p ar plusieurs communes.

C. Personnes ayant un droit de cité et un droit partiel de bourgeoisie.

1. Habitants perpétuels. Ew ige Einsassen.

L’étra ng er qui se fixait jadis dans la com m une y était reç.y à titre de simple h abitant : c’était u n e concession à bien p laire; il n ’était alors pas question du droit de libre établis­ sement. L’habitant payait une taxe p o u r son admission qui, à Schwytz, à Uri, était accordée p ar la Landsgemeinde et, à Nidwald, devait être confirmée chaque année.

L’habitant se fixait-il définitivement dans la com m une, q u ’alors il pouvait devenir « h ab itan t perpétuel », (incoia

in perpetuimi), qualité que conférait en général la passation

d ’un acte a u th e n tiq u e ; c’était u n e dem i-naturalisation, qui ne pouvait se changer en naturalisation pleine et entière qu e p ar l’octroi de « lettres de naturalisation ».

La. classe des habitants perpétuels est assez nom breuse chez nous j u s q u ’au m ilieu d u XIXe siècle. Dans notre Suisse rom ande, c’est en partie du Refuge q u ’elle est née : à Lau- sannne, en 1771, s u r 4531 Français réfugiés, 87 étaient deve­ nus habitants perpétuels de la ville. De nom breuses com­ m unes du Bas-Valais, du canton de F rib o u rg avaient leurs habitants perpétuels. Schwytz avait ses « Rachetés » (Einge­ kaufte) qui, au com m encem ent du XIXe siècle, avaient acquis le droit d ’habitation p o u r eux et leurs descendants.

En général, l’habitant perpétuel ne pouvait être renvoyé de la com m une ; tel était le cas en Valais, où le droit d

(33)

’habi-tat ion avait été acquis à beaux deniers : au siècle passé, la finance d ’achat de ce droit y variait entre 16 et 180 francs (ancienne valeur). L’habitant perpétuel y devenait ressortis­ sant de la com m une, qui lui en délivrait acte, prélevail s u r lui des impôts et l’assistait en cas de besoin.

L’habitant perpétuel n ’avait à l’origine aucun dro it politi­ que. Valais l’excluait expressém ent du droit de vote ; par contre, Schwytz l’astreignait, comme tout « H intersass », à ser­ vir : ce fut même là une des conditions mises à son établisse­ m ent l. En Valais, il devait le service à la com m une dont il était ressortissant. Dans le cours des temps, m aint canton octroya à l’habitant perpétuel des droits qui, peu à peu, devaient l’assim iler au citoyen du canton et partiellem ent au bourgeois de la com m une.

En droit civil, la situation créée p ar l’habitation p erpé­ tuelle n ’était guère enviable, à l’origine ; à vrai dire, le com­ merce, l’industrie, n ’étaient point fermés à l’habitant p erpé­ tuel ; mais Berne lui en subordonnait l’exercice à une au tori­ sation spéciale. P artout, l’achat de biens-fonds lui était in ter­ dit et la détention d ’immeubles le soum ettait à l’acquittem ent de taxes. Berne ne lui reconnaissait pas le droit d ’ac qu érir des maisons et des terres de la ville ; à Lucerne, on exigeait de lui dépôt p o u r dettes futures. Il n ’avait nulle p art le droit d ’ac q u érir des rentes (Gülten).

En principe, l’habitant perpétuel n ’avait aucu n droit de jouissance des biens com m unaux ; la loi soleuroise de 1818, la loi lucernoise de 1834 le disposent expressément ; à Schwylz, il n'avait pas le droit de pacage s u r l’Allmeind ; et peut-être les habitants perpétuels de S'-Maurice en Valais n’avaient-ils pas com plètem ent to rt lorsqu’ils disaient, en 1871, que « d e p u is des siècles ils avaient été traités comme

1 Landbuch de Schw ytz (p. 141) : ... ■< (lie, in alleu Dingen Lieb und

Leid mit den Landleuten trug, die auch au den Lasten des Landes, so dem Militärdienst, Thcil nehmen musste ».

(34)

bourgeois q u an d il s’agissait de payer et comme habitants lorsqu’il y avait quelque chose à recevoir » 1.

On avait cependant accordé,, dans certaines contrées, des droits économiques aux habitants perpétuels : celui de cou- p e r d u bois po ur leurs usages domestiques dans les forêts com­ m unales ; de faire paître quelques pièces de bétail (quatre à six vaches) s u r l’Allmeind. Quelques com m unes du Valais leu r accordaient le droit de parcours et d’affouage contre finance annuelle. Quant à l’assistance, les habitants perpétuels étaient en général à la charge des com m unes qui les avaient acceptés.

2. Petits bourgeois.

Les com m unes e u re n t leu r âge d ’or : la richesse des biens com m unaux, les avantages nom breux que valait la qualité de bourgeois n’avaient pas contribué à faciliter l’entrée d’étra n ­ gers dans la citadelle de la bourgeoisie ; souvent le nouveau bourgeois n ’était reçu dans la com m une q u ’à la condition de renoncer à réclam er le dro it de jouissance des biens com m u­ naux : il était « petit bourgeois ».

L’ « A rrêt souverain de l’Advoyer et Conseil de la Ville de Berne », du 21 novembre 16842, est l’acte le plus ancien con­ cern an t cette classe de citoyens du Pays de Vaud. En vertu d ’une ancienne coutum e, abrogée en 1801, m ainte com m une vaudoise rangeait également dans cette catégorie d ’individus les enfants naturels des bourgeois.

Le petit bourgeois occupait une situation interm édiaire en tre le bourgeois et l’h ab itant perpétuel ; à Lausanne, au XVIIIe siècle, il avait notam m ent s u r celui-ci le privilège de ne payer que le petit onguelt et d’avoir du bois à bâtir au q u a r t de ce q u ’il coûtait à l’h ab itan t perpétuel. Les petits

1 Pétitions à l’Assemblée fédérale, des 16 et 28 novembre 1871. Feuille

fédérale, 1872, 1, p. 333.

2 Archives cantonales de Lausanne. Extrait du registre des décrets romands (Weltsch- Spruch- Buch der S tatt Bern).

(35)

bourgeois d’Avenches ne pouvaient pas, à l’origine, asp irer aux charges publiques ; mais ils ne devaient pas ta rd e r à recevoir de notables avantages; j u s q u ’en 1860, époque où on le u r octroya le droit de bourgeoisie plein et e n t i e r 1, ils se différenciaient des a grands bourgeois » p ar le fait q u ’ils n ’avaient pas d roit aux répartitions de bois et de fenage.

La co m m une bernoise de Belp avait ses « Halbleute », et celle de Chiètres (Fribourg), des « H a lb b ü rg e r» , dont s'occu­ paient les Conseils législatifs de la R épublique helvétique, le 22 apût 1798, au sujet d’u ne cession de terrain *.

II. L E V A G A B O N D A G E

La loi avait fait des sans-patrie ; la société fit d’eux des parias. Une seule porte restait, qui ne leur fût point fermée : celle du vagabondage. On se m it à g u euser s u r les grands chem ins.

Au m ilieu du XVIe siècle déjà, L ucerne se plaignait en Diète d’être infestée de m endiants de tous pays. On p arv in t à décréter l’expulsion des m endiants étrangers et la répartition des pauvres indigènes en tre les localités. L ucerne le u r déli­ vra des « patentes de m endiants » ; Neuchâtel, des m arques de plomb. Les au tres cantons ne p rire n t que d’insignifiantes m esures.

Le XVIIe siècle ne fut pas plus heureux. Les persécutions religieuses, d ’interm inables gu erres refoulaient s u r sol suisse, avec d’honnêtes gens, d’innom brables escrocs, repris de ju s ­

1 Convention entre l’Etat de Vaud et la commune d’Avenches, du 28 décembre 1804 : l ’E tat fait cession à cette commune, comme contre- prestation de l’octroi du droit précité, du montant d’une obligation de fr. 2415,49, souscrite le 1er août 1784, et dont cette commune était débi­ trice envers l’Etat. — Recueil des Lois, A rrêtés et Décrets d u gouverne­

m ent du canton de Vaud (Réimpression officielle, 1905), tome IV, p. 224.

(36)

tice, voleurs, aventuriers et d éserteurs ; les campagnes étaient infestées de gueux, de mendiants, de vagabonds. Berne organisa des « chasses aux gueux » 1 ; l’ap proche de la « Canaille de Bohémiens, Egyptiens ou Sarrasins » devait être signalée p ar le son du tocsin.

Et le m onde des vagabonds ne dédaignait pas les divertis­ sem ents et les plaisirs. En 1706, on en com ptait q u a tre cents congrégés aux bains de Baden, en Argovie. A la' fin du XVIII" siècle, dans la petite rép ublique de Gersau, s u r les bords du lac des Quatre-Cantons, une fête patronale attira tout u n peuple de rôdeurs, qui célébra la « Fête de la Besace» (Feclcer-Kilbe) ; on vint en famille de tous les recoins du pays, on s’installa dans les granges et les étables, on fit la cuisine en plein air, on quêta de petits dons, l’on b u t et l’on mangea copieusem ent, on dansa... Les réjouissances d u rè ­ re n t trois jours, d u ra n t lesquels on fit trêve des atteintes à la propriété. L’aristocratie — car ce peuple avait son aristocra­ tie — profitait de la circonstance p o u r te n ir ses a diètes » et d o n ner un bal d ’où le com m un peuple était e x c lu “.

Après la Révolution, la guerre, le froid, la disette ac cru ­ re n t la mendicité. En 1812, L ucerne dénom brait cinq cent qu atre-vin gt-trois individus e r ra n t dans la Suisse centrale ; l’année suivante, So leu re com ptait s u r son territoire sept cent tren te -q u atre heimatloses de toutes classes, dont cinq cent vingt-six nés dans le pays et deux cent h u it étrangers. En 1824, de nom breux méfaits am enaient l’arrestation d ’une bande de trente-trois vagabonds heimatloses des deux sexes et dix-neuf enfants, qui, depuis dix ans, terrorisaient les populations des cantons de Berne, Lucerne, Zoug, Zurich et Glaris.

1 Eug. Mottnz. L a « Chasse a u x gueux » à l'époque bernoise.— Revue

historique vaudoise, 1902, p. 20.

- Otto Henne-Am Ryn. Geschichte des Schweiz-ervolkes u n d seiner

(37)

Commencée à Richterswyl (Zurich) p a r u n e commission intercantonale d’enquête, l’instruction d ’u n e série de procès de rô deurs (Gaunerprozesse) se tran sp o rta à Lucerne et am ena la découverte ou la dénonciation de dix-sept m eurtres, sept infanticides et avortem ents, dix incendies, mille trente- six vols qualifiés, qu atre cent vingt-sept de m oindre im por­ tance ', représentan t la valeur de quarante-deux mille francs anciens.' On faillit consom m er une fatale e r re u r judiciaire : le 12 septem bre 1816, p ar u n e n u it sombre et pluvieuse, l’avoyer Keller, de Lucerne, avait disparu m ystérieusem ent du chem in q u ’il suivait le long de la Reuss p o u r se re ndre à sa maison de campagne ; la découverte de son corps dans la rivière avait éveillé des doutes : on soupçonna ses ennem is de l’y avoir fait précipiter. Au cours du procès des vagabonds, en 1826, Clara W endel, l’une des inculpées, répondit à une ' question du juge que l’avoyer Keller avait été jeté à la Reuss à l’instigation chi Grand-bailli Pfyfler et du Conseiller Corra- gioni ; confirmée plus ou moins ouvertem en t p ar qu atre des autres accusés, qui préte n d iren t avoir pris une p a rt directe à l’attentat, cette dénonciation provoqua la mise en accusation de ces deux citoyens, qui jouissaient j u s q u ’alors de la consi­ dération générale. Mais, p ris en flagrant délit de mensonge, Clara W endel et ses acolytes , finirent p ar ré tracte r leurs dires ; et le procès que, p ar surc ro ît de garanties, on avait d û tra n sp o rte r à Zurich, aboutit à la condam nation de la hande aux fers et au b a n n is s e m e n t2. L ucerne fit ré p artir en tre p lu sieu rs cantons, p o u r leu r éducation, les nom breux enfants q ue ces m alfaiteurs traînaien t après eux.

1 Dändliker. Geschichte der Schweiz, p. 761.

- Lire à ce su jet le très intéressant ouvrage de H. Escher. Geschicht­

liche Darstellung u n d P rü fu n g der über die denvnsirte E rm ordung Hern Schultheiss Keller sel. vom L uzern verführten K rim in a l Prozedur.

A arau 185(1. — Ou découvrit, au cours de ce procès, que certains person­ nages s’étaieut livrés à une enquête extrajudiciaire qui, faite de sug­ gestions. de menaces, voire même de tortures, avait permis il ces vaga­ bonds détenus de composer une monstrueuse fable.

Références

Documents relatifs

Alors que le mot « marché » figure à peine dans le livre de Debreu, et pas du tout dans celui de Mas Colell, il est utilisé dans l’article fondateur de Arrow et Debreu, « Existence

de la relativité générale ne doit être considérée que comme une approximation 9 ainsi, il est bien certain qu’une description, même macroscopique, de la

Exercice 6 Dans le cadre des InterENS Culturelles 2016, une série de 7 matchs d’improvisation est organisée entre les équipes de Cachan et de Rennes.. La pre- mière équipe à

On ne peut connecter entre elles deux sources de nature différente, il faut donc convertir une des sources en source courant ou alors utiliser un élément de stockage inductif

L/étude précédente nous conduit donc à dire que, aussi bien dans l'espace que dans le plan, quand le coefficient de frottement est infini, les mouvements de glissements

II - Exemples : Classification des solutions technologiques III- Liaison glissière lisse.. III.1 Solutions sans préoccupation du maintien de contact des surfaces conjugués III.2

Martin, plus encore que Wall, estimait que cette menace de procès (plus la pression politique) imposait la capi- tulation du Bank Board devant Keating. C’est dans ces

▪ et vraiment très rarement des contrôles pour les applications, l’EDI, la Haute-dispo, les BD, les sauvegardes, les spools, les messages selon la gravité, les logs, etc, etc,