La procédure en matière de heim atlosat antérieu re à la loi fédérale d u 3 décembre 1850 était quelque peu em pirique, participant, comme telle, de la n a tu re toute spéciale des rela tions que les cantons avaient entre eux sous l’égide du Pacte •fédéral de 1815, qui avait créé u n e Confédération d’Etats : les contestations to uch an t le heimatlosat étaient alors liqui dées p ar voie d ’arbitrage, avec recours au droit confédéral (Concordat du 3 août 1819, a r t 2), institu tio n qui fonctionnait sous la haute surveillance d u Directoire fédéral (Concordat du 17 juille t 1828) : les arbitres se réunissaient, dans la règle, p endant les sessions de la Diète fédérale, ou après, dans le plus bref délai possible *.
La loi fédérale de 1850 su bstitu a au tribun al arbitral le Con seil fédéral et, subsidiairem ent, le Tribunal fédéral, que la Constitution fédérale de 1848 venait de créer. L’expérience avait surabo ndam m en t prouvé la nécessité de l’action d ’une autorité centrale, investie du droit de direction générale des enquêtes et de la prom pte liquidation des cas litigieux : ne vit-on pas, même après la prom ulgation de la loi de 1850, dans certains cantons des fonctionnaires se refuser à procéder à l’interrogatoire de heimatloses, de p e u r q u ’il n ’en résultât u n antécédent contre leu r canton ?
1 D e 1815 il 1848, quinze cas de heimatlosat ou de contestations su r le droit de cité furent liquidés par voie d ’arbitrage.
-La Constitution fédérale de 1848 (art. 56) et, après elle, celle de 1874 (art. 68), ont fait du heim atlosat u n e affaire fédérale. Le Conseil fédéral est autorité adm inistrative, ju d i ciaire, exécutive : il in s tru it le cas de lieimatlosat, décrète l’incorporation, en assure l’exécution. Le T rib unal fédéral est autorité essentiellement arbitrale : il tran c h e les contes tations que peuvent faire n aître les décisions du Conseil fédéral.
A. L’enquête.
Le maintien de la police des étrangers ren tre dans les attri butions et les obligations des cantons. Un doute ou une contestation venant donc ù s’élever s u r l’indigénat d ’un individu, c’est au canton q u ’il ap partien t et q u ’il incombe d ’aviser aux m esures à p re n d re : l’autorité cantonale doit pourvoir ou à la régularisation de la situation ju rid iq u e de l’intéressé — c’est à ce d ern ie r à m ettre lui-même en règle sa situation (F. f., 1880, II, 638 ; 1895, II, 43. De Salis, II, n° 475) — ou à son renvoi. C’est, plus spécialement, aux cantons q u ’il incombe de faire enquête s u r les nouveaux vagabonds qui apparaissent en Suisse 1.
Mais le heimatlosat est une affaire fédérale : il im porte à l’autorité fédérale d’em pêcher la naissance de to u t nouveau cas de heimatlosat. Si donc l’existence de l’indigénat de l’in téressé ne peut être prouvée, au tre m en t d it s’il est probable que celui-ci est heimatlose, l’autorité fédérale a le droit et le devoir d ’intervenir d’office. — Quant à l’enfant trouvé no u veau-né, sa situation est provisoirem ent réglée p a r la loi fédérale s u r l’état civil (du 24 décem bre 1874), qui prescrit (art. 19) l’inscription dans les registres de l’état civil, par l’interm édiaire de l’autorité de police com m unale, du lieu, de l’époque, des circonstances dans lesquelles l’enfant a été trouvé, etc.
Le Conseil fédéral fait suivre son intervention d’une en quête, qui a p o u r b u t d ’éclaircir la situation ju rid iq u e de l’intéressé et d u ra n t laquelle celui-ci jo u it de la tolérance provisoire (art. 8) p a r l’u n ou l’a u tre canton, m esure ém inem m en t p ro p re à p rév enir des renvois et des tran sp o rts in tem pestifs. L’arrêté de tolérance provisoire, pris s u r la base des circonstances prélim inaires de l’enquête, mais susceptible de modifications d u ra n t l’instruction de celle-ci, ne p eu t faire l’objet, d’aucun recours ; il déploie ses effets j u s q u ’à solution définitive de l’affaire, s u r laquelle il n ’est d’ailleurs pas de n a tu re à influer.
Le Conseil fédéral doit procéder à la rech erch e et, au besoin, provoquer la reconnaissance de l’indigénat de l’inté ressé. A cet effet, il doit se m ettre en rapp ort avec l’Etat ’ — canton, Etat étra n ger — dont il ressort des actes de l’en
quête que celui-ci est ou a été précédem m ent ressortissant (art. 7). Le Conseil fédéral seul a le droit de m en er ces négo ciations avec l’Etat étrang er ; ni le Tribunal fédéral (Ullmer, I, n° 493), ni les cantons n ’ont compétence p o u r en prescrire la direction et l’étendue.
L’enquête, la tolérance provisoire occasionnent des frais : frais d ’enquête pro p rem en t dite, frais d ’assistance, etc. Tandis que, par arrêté du 4 no v em b re4857 (F. f. 4858,1 ,304), le Con seil fédéral décidait que les frais d’enquêtes faites p o u r consta t e r l’origine des vagabonds devaient être réclamés à leurs can tons et com m unes d’origine, « attend u que ces frais sont, dans la règle, occasionnés p ar le défaut de surveillance à l’égard des vagabonds habituels et par le peu d’énergie que l’on déploie dans l’application des pénalités prescrites p ar l’art. 48» (voir aussi Ullmer, I, n° 525), l’Assemblée fédérale modifiait, en 48671, l’art. 49 de la loi dans ce sens q u ’« il ne p o u rra être réclamé aucune indem nité p o u r les frais occasionnés p ar l’a r
1 Loi du 24 juillet 1SG7, en un seul article (R. 0., IX, 84). V oir: A n
restation et la conduite de ces personnes dans le lieu d’origine ou plus loin ».
Quant aux frais de la tolérance provisoire p ro prem ent dite, no tam m ent les frais d ’assistance, ils sont à la charge du can ton auquel incombe cette obligation de tolérance provisoire, qu and bien même, p ar la suite, l’obligation d ’incorporer pas serait à un a u tre canton. Telle est la ju risp ru d e n c e d u T ri bunal fédéral, qui l’a justifiée comme su it : ...a La disposition po rtant que, dans les m esures provisoires q u ’il ordonne, le Conseil fédéral est tenu de se conform er aux dispositions des art. 11, 12 et 13 de la loi, prouve que l’on a en ten du astrein dre le canton qui est obligé d ’accorder la tolérance, à su p p o rter aussi les charges qui en résultent, p u is q u ’il au rait été superflu et inutile de poser des règles particulières pou r l’obligation d’accorder la tolérance, si le canton ten u d ’accor der la naturalisation devait être encore obligé de p re n d re à sa charge les frais de tolérance provisoire. La pratiqu e elle- même est d ’accord avec cette m anière d ’in te rp ré te r la loi, puisque, dans chaque cas particulier, le Conseil fédéral modifie toujours im m édiatem ent ses décisions relativem ent à la tolérance provisoire, lorsque dans le cours de l’enquête on découvre de nouveaux faits qui paraissent exiger celte mesure, tandis que, s’il existait une obligation d ’indem niser dans le sens dont nous venons de parler, il p o u rrait laisser subsister p u re m e n t et sim plem ent ju s q u ’à solution définitive du procès la m esure provisoire prise en p rem ier lieu » (Ullmer, I, n° 494).
11 n ’y a pas de recours, p o u r le rem b oursem ent de ces frais, contre le canton tenu d’incorporer (T. F., XVII, 252, 7°. De Salis, II, n° 497).
C’est au Conseil fédéral qu'il app artient de décider, d ’après le ré su lta t de l’enquête, si l’individu qui en est l’objet doit être considéré comme étrang er ou comme heimatlose suisse ; le T ribun al fédéral n ’est pas com pétent p o u r exam iner cette question, comme il l’a fait parfois (T. F ., VII, 93, 2°; X, 95, 1°). L’Assemblée fédérale tranche, le cas échéant s u r ré
quisition du canton, les questions relatives à l’interprétation des traités (F. f., 1890, 1 , 12).
B. L’incorporation. 1. Incorporation dans le canton.
La qualité de heimatlose suisse étant reconnue, il y a lieu de p rocéder à l’incorporation de l’intéressé.
Le Conseil fédéral déterm ine, d’après les principes de la loi, quel canton, seul ou conjointem ent avec d ’autres, est ten u de l’incorporation, Dans son arrêté, il fixe au canton u n délai de tren te jo u rs p our se prononcer s u r l’acceptation ou le rejet de la sentence 1 ; ce délai p eu t être prolongé, à la dem ande d u canton ; le silence de celui-ci d u ra n t le délai fixé équivaut à l’acceptation de l’arrêt, qui passe en force (Ullmer, II, n° 1040. T. F., V, 80, 'H .
Mais il p eu t a rriv er que la décision du Conseil fédéral fasse naître u n différend, soit que le canton conteste l’obligation qui lui incombe, soit q u ’il y ait désaccord entre plusieurs cantons au sujet de cette obligation. Le Conseil fédéral a alors le droit et le devoir de po rter de son propre chef, à défaut de réquisition expresse du canton, la contestation devant le Tri bunal fédéral (art. 9’) ; le canton ne peut s’y opposer ; il n ’est notam m ent pas recevable à déposer une conclusion ten dant à ce que la dem ande du Conseil fédéral soit écartée (Ullmer, I, n° 498).
C’est p ar l’office du Conseil fédéral seul que la contestation p eu t être soumise au Tribunal fédéral (T. F., I, 531) : le canton n ’a pas le droit d’en n a n tir lui-même cette autorité ; u n particulier n ’est pas davantage admis à le faire (T. F., VIII, 90, 2°).
A te n e u r de l’art. 49 de la loi s u r l’organisation ju diciaire
fé d é ra le 1. le T ribunal fédéral connaît, comme cou r de droit civil :
l u Des différends concernant le heimatlosat, d’après la loi d u 3 décembre 1850;
2° Des contestations qui surgissent entre com m unes de différents cantons touchan t le droit de cité (Constitution fédé rale, art. 110).
Le principe de la compétence du T ribunal fédéral po ur tra n c h e r les contestations entre com m unes de différents cantons to uch an t le droit de c i t é — cette autorité l’a fait re m a rq u e r dans plusieurs de ses arrêts — a été posé ici p ar la C onstitution fédérale (de 1874) comme com plém ent de sa com pétence en matière de différends concernant le heimatlosat (T. F., VIII, 79, 1° ; 852,1«) p ar la considération que, dans le cours du procès, les circonstances de la cause peuvent modifier la natu re prem ière de la contestation (T. F., III, 720, 2° ; IX, 260, 1°). Mais la compétence du Tribunal fédéral ne naît ici q u ’après que la, procédure adm inistrative prévue par la loi de 1850 a eu lieu et que le Conseil fédéral s’est porté d em an deu r (T. F., VIII, 90, 2") ; le Tribunal fédéral est alors seul com pétent, à l’exclusion du canton, p o u r tra n c h e r la contestation (T. F., IX, 156, 3°).
Il résulte de cette double compétence du Tribunal fédéral que même dans le cas où l’instruction de la cause vient à faire découvrir q ue l’individu qui en est l’objet a déjà, de par sa filiation, le droit de bourgeoisie d ’une commune, ii peut être néanm oins suivi à la procédure en matière de contesta tions s u r le heim atlosat (T. F., X, 96, 2°).
Le T rib unal fédéral n ’est com pétent, dans les différends co ncernant le heimatlosat, que p o u r déte rm in e r quel est le canton ou quels sont les cantons tenus d ’incorporer (art. 8 et 9 ; J. T., 1881,500). Il ne peut statu er s u r la dem ande d ’un étra n g er au sujet d ’une contestation, entre celui-ci et un
canton ou u n e com m une, touchan t le heim atlosat (T. F., X X III1, 122 ; J. T., 1900, I, 366), n i n a n tir le Conseil fédéral d ’une telle contestation (T. F., VIII, 91, 3°).
Dans ces différends s u r le heimatlosat, le Conseil fédéral est dem a n d eu r ; il est l’autorité adm inistrative qui in tro d u it la cause, et non pas autorité de prem ière instance. Le T ribu nal fédéral n ’est, vis-à-vis d u Conseil fédéral, ni auto rité de recours, ni instance supérieure, mais sim plem ent la même autorité compétente p o u r la solution de ces contesta tions (T. F., V, 80,1"). Le canton est défendeur ; il ne peut se bo rner à refuser d’accepter le prononcé du Conseil fédéral ; il doit en ou tre prouver :
1° Que l’obligation d’in corp orer n ’incombe pas à lui-même, mais à un au tre canton ;
2° Quel est ce canton; 3° P o u r quels motifs.
Le T ribun al fédéral applique la loi fédérale s u r la procédure en matière civile, du 22 novem bre 1850l. Toutefois, le carac tère spécial des contestations to uch an t le heimatlosat peut, le cas échéant, dispenser le Tribunal fédéral de s'en ten ir strictem ent, p o u r le mode à suivre q u an t à l'adm inistration et à l’examen des preuves, aux règles de cette procédure (Ullmer, I, n° 501).
Il incombe au Conseil fédéral de désigner au Tribunal fédéral, dans sa demande, le ou les cantons q u ’il estime être tenus de l’obligation d ’incorporer (art. 9). Le Tribunal p eu t en outre, au cours du procès, appeler en cause, s’il le juge convenable, d’autres cantons en dehors de ceux actionnés p ar le Conseil fédéral (Ullmer, I, 11° 497 •; comp. nos 495, 496).
La procédure p ar devant le Tribunal fédéral en matière de heim atlosat est gratuite (Loi O. J. F., art. 219). P a r contre, à t e n e u r des art. 224 Loi 0 . J. F., et 24 Loi proc. civ. 1850, la partie succom bant au procès peu t être tenue d’indem niser le
fonctionnaire fédéral e n .m a tiè re de heim atlosat et de re m bourser à la partie adverse tout ou partie de ses frais extra judiciaires (T. F., V, 82, 3°).
L’a rrê t du T ribunal fédéral est définitif : le canton doit procéder dans le délai d’un e année à l’incorporation ; ce délai peu t être prolongé (art. 14), en cas de circonstances p a rtic u lières de natu re à re ta rd er l’exécution de l’incorporation : procès en tre com m unes, etc. Le Conseil fédéral veille à l’exé cution de l’a rrê t (art. 24).
2. Incorporation dans la commune.
Le canton procède à l’incorporation dans la com m une s u i vant ses propres dispositions législatives — sous réserve toutefois des décisions fédérales spéciales com plétant ou modifiant la loi fédérale.(voir p. 77, note 1). L’incorporation est parfaite p ar l’inscription de l’incorporé dans les registres de bourgeoisie et la délivrance d’un acte de bourgeoisie à l’intéressé.
L’autorité cantonale est également com pétente po ur fixer le m ontant de la prestation pécuniaire à im poser à l’incor poré (art. 5) — d ’après la généralité des lois cantonales, c’est l’autorité com m unale qui déterm ine les conditions de fortune et les circonstances de famille de l’in té r e s s é — , ainsi que le prix d’achat du droit de bourgeoisie intégral (art. 4). La loi vaudoise dispose (art. 12) que toute difficulté s’élevant s u r la ■question de savoir qui, de l’Etat ou de la com m une, est tenu de su p p o rte r les charges de l’incorporation, est tranchée par le T ribunal cantonal, s u r mémoire et contre-mémoire.
Le mode d ’achat du droit de bourgeoisie intégral a fait l’ob
jet d ’une décision du Conseil fédéral, qui n ’a pas admis comme légal le paiement p a r annuités. D’après ce système, pratiqu é jadis en Valais, les incorporés aisés paient aussitôt, et les au tres souscrivent des billets payables par am ortisse ments. Mais ce mode de procéder donne lieu à des inégalités
et à des complications : « Il n’est en p articulier pas loisible, a fait rem arq uer, à ce sujet, le Conseil fédéral, de rendre des pauvres gens dépendants de le u r com m une en v e rtu d ’un billet, car il p o u rrait a rriv er fréqu em m ent que le paiement en fût laissé aux descendants, tandis que, d’après l’art. 4, ceux-ci acquièrent en naissant le dro it de bourgeoisie dans son entier et ainsi doivent p articiper im m édiatem ent aux bénéfices com m unaux sans avoir rien à payer p o u r cela » (F. f., 1872, I, 350 ; 1873, IV, 254). .
CONCLUSION
La loi de 1850 a été u n e loi d’o r d r e : on ne gueuse plus guère, la dangereuse plaie d u heimatlosat vagabond, dont la Suisse souffrait depuis des siècles, est fermée ; u ne solidarité intercantonale sans cesse croissante y a large- ’ m en t aidé. Mais la loi fédérale et, à l’instar de celle-ci, les lois cantonales qui l’ont suivie, ont été u n e œ u vre essentiellement ju ste, h um an itaire : la vieille dette civile que les régimes despotiques avaient contractée, vis-à-vis de la société, en excluant de la famille, du giron bou r geoisial et cantonal les éléments im po rtu n s de l’Etat, la Suisse de 1848 a su l’éteindre : elle a restitué les droits enlevés. Appliquée j u s q u ’ici p ar l’autorité fédérale avec au ta n t de générosité envers les sans-patrie q ue de patiente fermeté vis-à-vis des cantons, la loi fédérale s u r le heim at losat est u n e garantie p o u r l’avenir ; elle subsiste, devant le passé, comme le co u ro nnem en t d ’une œ u vre de ju ste et franche réparation.