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DOSSIER

Les régimes d’exclusion

Le régime sans gluten : pourquoi ? comment ? quels risques ?

The gluten-free diet: Why? How? What risks?

Corinne Bouteloup*

* Service de médecine diges- tive et hépato biliaire, CHU de Clermont-Ferrand ; université C l e r m o n t A u v e r g n e , I N R A , Clermont-Ferrand.

L ’intérêt social, médiatique et médical pour le gluten n’a cessé de croître ces dernières années.

Au même titre que précédemment les produits laitiers, le gluten est devenu une cible alimentaire, accusé d’être nocif pour la santé, responsable de pathologies ou de symptômes digestifs, rhumato- logiques, neuromusculaires ou neuropsychiques. Cet engouement pour le régime sans gluten amène de nombreux professionnels de santé à s’interroger : qu’est-ce que le gluten et où le trouve-t-on ? pour- quoi devient-il toxique et responsable de patho- logies ? Quels sont les risques éventuels du régime d’exclusion ?

Le gluten

Le gluten n’existe pas en tant que tel dans la nature.

Il se forme, en présence d’eau et de forces méca- niques, à partir des prolamines, principales protéines constitutives du grain de blé (80 %). Ces protéines de réserve insolubles ont la particularité d’être riches en 2 acides aminés, la proline et la glutamine. Les prola- mines du blé incluent les gliadines α, β, γ et ω et les gluténines (de haut ou de faible poids moléculaire).

La richesse en proline, les nombreux ponts disulfure intra- et/ou interchaînes et les liaisons hydrogènes entre les segments riches en glutamine influent sur la configuration spatiale et expliquent la résistance des prolamines à la digestion par les enzymes diges- tives qui n’ont pas d’activité prolylendopeptidase (1).

Hormis le blé, des prolamines sont présentes dans d’autres céréales et, en fonction de leur structure primaire (séquence en acides aminés), elles peuvent ou non être génératrices de gluten (tableau I). Par exemple, dans l’avoine, les prolamines sont en quantité bien moindre que dans le blé (5 à 15 %), et leur structure primaire les rend plus facilement

hydrolysables par les enzymes digestives, d’où leur tolérance chez une majorité de malades cœliaques.

Dans l’alimentation, le gluten existe sous 2 formes différentes (1) :

➤ le gluten natif, qui se forme naturellement dans les produits alimentaires issus de la farine de blé (seigle, orge) et qui sera en proportion variable en fonction de la teneur en prolamines de la farine, des quantités utilisées mais aussi des procédés de panification (pétrissage, fermentation, cuisson) et de transformation ;

➤ le gluten vital, produit industriel, utilisé comme additif ; il est obtenu par extraction mécanique à partir de la farine de blé mélangée à de l’eau ; le gluten, insoluble dans l’eau, est ainsi isolé, essoré et séché. Le gluten vital est plus riche en gliadines que le gluten natif. Il est ajouté pour améliorer la panification dans certains cas (à hauteur de 0,5 à 1 %), mais aussi dans divers produits alimentaires (charcuteries, plats cuisinés, aliments panés, levure chimique, épices, sauces, etc.).

Tableau I. Les sources de gluten.

Céréales contenant des prolamines

génératrices de gluten Blé (gluténines et gliadines)

Blé tendre ou froment, épeautre, engrain ou petit épeautre Blé dur

Blé amidonnier Blé khorasan (Kamut

®

) Orge (hordénines) Seigle (sécalines) Céréales contenant des prolamines

non génératrices de gluten Avoine (avénines) Maïs (zéines) Sorgho Riz Millet Pseudocéréales

(non génératrices de gluten) Sarrasin Quinoa

© Correspondances en

Métabolismes Hormones Diabètes

et Nutrition 2018;1-2(XXII):16-21.

(2)

de gluten et/ou par des modifications de la digestibilité du gluten. L’adoption d’un régime sans gluten devrait toujours se faire après consultation médicale et diététique dans le but de poser un diagnostic, de ne pas méconnaître une pathologie organique et de limiter les risques liés au régime que sont les carences nutritionnelles, mais aussi, potentiellement, le syndrome métabolique et les pathologies coronariennes.

Syndrome de l’intestin irritable

SGNC

Summary

A gluten-free diet is the treat- ment of celiac disease, and it must be strict and lifelong.

It is also indicated in wheat allergy, most often transiently, the allergy disappearing with age, or periodically, in combination with physical exercise, in wheat-dependent exercice-induced anaphylaxis.

It is also possibly justified in non-celiac gluten sensitivity, but the existence of this entity and the actual involvement of gluten remain controversial.

The increase in gluten-related pathologies in the general population could be explained by an increase in gluten intake and/or changes in gluten digestibility. A gluten-free diet should only be adopted after medical and dietary consulta- tions in order to make the diag- nosis, not to ignore an organic pathology, and to limit the diet- related risk of nutritional defi- ciencies, but also, potentially, of metabolic syndrome and coronary heart disease.

Keywords

Gluten sensitivity Celiac disease Wheat allergy FODMAPs

Irritable bowel syndrome NCGS

Les pathologies associées au gluten

Le rôle du gluten comme facteur étiologique n’est, à l’heure actuelle, certain que pour 2 pathologies : la maladie cœliaque et l’allergie au blé. Dans ces patho logies, l’identification de tout ou partie des mécanismes physiopathologiques a permis de dis- poser d’outils diagnostiques, même s’ils peuvent dans certains cas être pris en défaut et laisser per- sister des doutes. Depuis une dizaine d’années, l’existence d’une troisième pathologie liée au gluten, dénommée “hypersensibilité ou sensibilité au gluten non cœliaque” est largement débattue, suscitant encore bien des interrogations dans la communauté médicale et scientifique (2). Par ailleurs, le gluten est aussi incriminé par certains patients pour les- quels un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde, de spondylarthrite ankylosante, de fibromyalgie ou encore d’autisme a été porté et qui décrivent une amélioration de leurs symptômes après exclusion du gluten. Pour l’instant, on dispose de trop peu de données scientifiques pour confirmer le rôle effectif du gluten dans ces pathologies. Enfin, de plus en plus de sportifs amateurs ou professionnels diminuent le gluten ou l’excluent de leur alimentation dans le but d’améliorer leurs performances physiques. Là encore, aucune donnée scientifique n’existe, mais des études sont actuellement en cours.

Mécanismes de toxicité du gluten dans la maladie cœliaque

et l’allergie au blé

La maladie cœliaque (MC), ou intolérance au gluten, est une entéropathie d’origine auto- immune, avec une prévalence actuelle de l’ordre de 1 % en Europe et aux États-Unis (3). La toxicité du gluten est favorisée par une prédisposition génétique liée, au moins en partie, aux gènes codant pour le complexe majeur d’histocompatibilité (HLA) de classe II. Les molécules HLA-DQ2 (près de 95 % des patients) et HLA-DQ8 (5 %), présentes sur les cellules dendri- tiques, ont une affinité particulière pour la gliadine (déamidée par la transglutaminase intestinale) et forment avec elle des complexes stables bien

reconnus par les lymphocytes T CD4+. Le passage à travers la paroi intestinale de la gliadine, et en par- ticulier son fragment peptidique 33-mer, déclenche une réponse immune adaptative par l’activation des lymphocytes T, la production d’IFN γ, cytokine pro-inflammatoire, et la stimulation des lympho- cytes B, qui produisent différents anticorps (anti- transglutaminase, antigliadine native et déamidée, anti-endomysium) [3-5]. Parallèlement, la gliadine au contact de l’épithélium déclenche une réponse immune innée, caractérisée par la production anor- male d’interleukine 15, cytokine pro-inflammatoire, responsable de l’augmentation du nombre de lym- phocytes intra épithéliaux (LIE) et de la destruction des cellules épithéliales par ces LIE, d’où l’atrophie villositaire (3-5).

L’allergie au blé, dont la prévalence est évaluée pour l’Europe entre 0,3 et 0,4 %, tous âges confondus, peut être médiée ou non par les immunoglobulines (Ig) E.

Plus de 20 allergènes du blé (et non pas seulement les protéines du gluten) ont pu être répertoriés, cer- tains allergènes étant plus étroitement associés à une forme particulière de l’allergie au blé : protéines de transfert non spécifiques des lipides (nsLTP) et gliadines pour l’allergie alimentaire “classique”, forme la plus fréquente chez les enfants, et gliadine ω-5 pour l’anaphylaxie au blé induite par l’exercice physique, forme la plus communément rencontrée chez l’adulte (6). La physiopathogénie de l’allergie au blé implique une réaction immune adaptative caractérisée par une activation des lymphocytes T dans la muqueuse intestinale. La liaison entre IgE et certaines séquences répétées dans les protéines du blé induit la sécrétion de médiateurs tels que l’histamine par les basophiles et les mastocytes (7).

L’hypersensibilité ou sensibilité au gluten non cœliaque

Il y a une dizaine d’années apparaissaient les pre-

mières publications relatant des cas de patients non

cœliaques décrivant des symptômes digestifs et/ou

extradigestifs lors de la consommation de gluten,

et leur amélioration lors de son exclusion. Depuis,

les études, les revues et les méta-analyses n’ont

cessé de se multiplier pour essayer de confirmer

(3)

DOSSIER

Les régimes d’exclusion

ou d’infirmer l’existence d’une nouvelle patho- logie liée au gluten, ajoutant toujours un peu plus de confusion, en raison de l’absence d’une carac- térisation précise de la présentation clinique, de l’ignorance des mécanismes physio pathogéniques, et du manque de marqueurs diagnostiques identifiés.

Pour y remédier, les experts réunis à la quatrième conférence de consensus, en 2014, à Salerne (Italie), ont proposé une définition, une démarche diagnos- tique et une méthodologie pour la réalisation de futures études (8). Ainsi, la définition retenue pour la sensibilité au gluten non cœliaque (SGNC) est :

“une entité clinique au cours de laquelle l’inges- tion de gluten entraîne des symptômes digestifs et/ou extradigestifs et qui régressent sous régime sans gluten, après élimination d’une allergie au blé et d’une maladie cœliaque”. Les symptômes se produisent habituellement dans les heures ou jours suivant l’ingestion de céréales ou produits contenant du gluten et disparaissent rapidement lorsque le gluten est éliminé de l’alimentation. Le plus souvent, il existe une association de symptômes digestifs identiques à ceux rencontrés dans le syn- drome de l’intestin irritable (SII) ou dans la MC et de symptômes extradigestifs neuro psychologiques, musculosquelettiques ou cutanés (tableau II) [2].

Plusieurs études se sont intéressées à la prévalence de la SGNC, mais les variations de popu lation cible (population générale versus consultation

de médecine générale versus consultation de gastroentéro logie, auto diagnostic versus diag- nostic médical, patients avec SII, etc.), le manque de biomarqueurs reconnus, une définition de la SGNC variable d’un auteur à l’autre ainsi que l’absence d’élimination formelle de la MC et de l’allergie au blé dans certaines études font que les résultats sont extrêmement divers, allant de 0,5 % à 6 %, voire 13 % (2).

La pathogénie de la SGNC fait intervenir non seu- lement l’immunité innée, comme le suggéraient les premières études, mais aussi l’immunité adapta- tive (2, 9, 10). Il a ainsi été retrouvé des marqueurs de stimulation de l’immunité innée, comme une augmentation de l’expression des Toll-like recep- tors 2 (TLR-2) dans la muqueuse intestinale et une augmentation des lipopolysaccharide (LPS)-binding proteins et du CD14 soluble dans le plasma (9, 10).

L’implication de l’immunité adaptative est confirmée par l’existence dans la muqueuse intestinale d’une activation des lympho cytes CD4+ et la sécrétion d’IFNγ ainsi que par la présence dans le sang d’an- ticorps antigliadine (AGA) native IgG et d’anticorps anti-antigènes microbiens (9, 10). Des anomalies de la barrière intestinale semblent également associées : une augmentation de la perméabilité intestinale, mesurée directement par des tests lac- tulose/mannitol ou indirectement par la quantifi- cation de la zonuline dans le sang et la muqueuse,

Tableau II. Manifestations digestives et extradigestives rapportées dans la sensibilité au gluten non cœliaque.

Symptômes Fréquence

Manifestations digestives Douleur/inconfort abdominal > 80 %

Ballonnement > 80 %

Troubles du transit :

diarrhée, alternance diarrhée-constipation, constipation

Jusqu’à 50 %

Troubles digestifs hauts :

nausées, vomissements, reflux gastro-œsophagien, aérophagie, aphtes

30-50 %

Manifestations extradigestives Fatigue/faiblesse (± liées à anémie) > 80 % Manifestations neuropsychiatriques :

Céphalées, “foggy mind”, léthargie Engourdissement (doigts, bras, jambes) Anxiété, troubles de l’humeur (dépression) [Cas décrits d’hallucinations, schizophrénie ?]

> 30-50 %

Manifestations musculosquelettiques : Arthralgies, myalgies, “syndrome fibromyalgie-like”

[spondylarthrite ankylosante, polyarthrite rhumatoïde] ?

Jusqu’à 30 %

Manifestations cutanées :

rash, eczéma, prurit, “psoriasis-like”, “dermatite herpétiforme- like”

Jusqu’à 30 %

(4)

est retrouvée dans plusieurs études (9, 10) ; par ailleurs, l’augmentation du taux sérique de la fatty acid binding protein 2 (FABP2) retrouvée dans l’étude récente d’Uhde et al. (10) est un témoin indirect de lésions des cellules épithéliales. Ces anomalies de la barrière muqueuse peuvent favoriser la translocation bactérienne, ce qui expliquerait la présence d’anticorps anti-antigènes microbiens.

Actuellement, le diagnostic de SGNC reste un diagnostic d’exclusion, car aucun biomarqueur fiable n’a pu être déterminé à ce jour (2, 8-10).

Les biopsies duodénales ne retrouvent pas de lésions histologiques, ou tout au plus, chez 26 à 96 % des patients, une augmentation modérée des LIE (25-40 %) qui, contrairement à la MC, n’expri- ment pas le récepteur γδ ; il n’a jamais été décrit d’atrophie villositaire. Les anticorps antitrans- glutaminase, anti- endomysium et antigliadine déamidée sont absents ; en revanche, des anticorps antigliadine native IgG sont retrouvés chez 50 % des adultes et 66 % des enfants, avec une disparition rapide (6 mois) sous régime sans gluten ; leur posi- tivité dans un contexte clinique évocateur pourrait être un argument supplémentaire pour le diagnostic de SGNC. La prévalence plus élevée de l’haplotype DQ2 ou DQ8 chez les patients SGNC (environ 50 %) que dans la population générale (30-40 %) décrite dans certaines études n’est pas confirmée par d’autres (9, 10).

Le groupe d’experts internationaux réunis à Salerne a proposé une démarche diagnostique en 2 étapes chez les patients ayant un régime ali- mentaire normal et après élimination d’une MC et d’une allergie au blé (8) : la première évalue l’effet d’un régime sans gluten (contrôlé et d’une durée d’au moins 6 semaines) sur les symptômes, et la seconde évalue l’effet de la réintroduction du gluten (en double aveugle contre placebo, consistant en 8 g de gluten dans une préparation culinaire et non dans des gélules, sur une période de 1 semaine, avec un wash-out de 1 semaine). Chez les patients ayant déjà commencé un régime sans gluten, seule la seconde étape sera réalisée. L’évaluation clinique utilise une version modifiée de la Gastrointestinal Symptom Rating Scale (GSRS) incluant des items d’évalua- tion des symptômes extradigestifs de la SGNC (8).

En France, pour des raisons matérielles, humaines et économiques, il est impossible d’envisager cette démarche diagnostique en dehors d’une étude cli- nique. Un test d’éviction- réintroduction en ouvert, plus facile à réaliser, peut alors être proposé, mais expose à un manque de spécificité et au risque d’un effet placebo (2).

Des questions

encore sans réponse

De nombreuses questions demeurent et alimentent les débats dans la communauté médicale et scien- tifique au sujet, notamment, de la responsabilité du gluten dans la SGNC, mais aussi, si l’on admet cette responsabilité, quant aux facteurs entraînant le développement de sa toxicité.

Le gluten est-il responsable de la SGNC ?

Hormis les prolamines, le blé contient aussi de nombreuses autres protéines comme les LTP (Lipid Transfer Proteins), les ATI (Amylase Trypsine Inhibi- tors) ou les WGA (Wheat Germ Agglutinin), qui pour partie se retrouvent intégrées au gluten lors de sa formation (1). Or, des données suggèrent que ces protéines peuvent induire une réponse immunitaire et inflammatoire (11).

Par ailleurs, les céréales génératrices de gluten

contiennent aussi des sucres, les fructanes (fructo-

oligo saccharides [FOS] et inuline), qui entrent

dans ce qu’on appelle aujourd’hui la catégorie des

FODMAP (Fermentable Oligosaccharides, Disaccha-

rides, Monosaccharides And Polyols) [12]. Ces sucres

non hydrolysés et très peu absorbés dans l’intestin

grêle sont reconnus comme étant un des facteurs

alimentaires responsables du syndrome de l’intestin

irritable (SII), leur charge osmotique et leur fermen-

tation colique rapide induisant production de gaz,

ballonnement, distension intestinale, douleurs et

troubles moteurs intestinaux (13, 14). Ainsi, alors

que le gluten avait pu être incriminé dans la genèse

des symptômes du SII (15), certains attribuent main-

tenant aux FODMAP les symptômes abdominaux de

la SGNC, faisant de cette dernière un sous-groupe

de SII (16). Dans notre expérience personnelle, on

constate effectivement qu’une partie des patients

s’autodéclarant sensibles au gluten sont en fait

des patients SII ayant une mauvaise tolérance aux

FODMAP ; dans ce cas, un interrogatoire diététique

précis retrouve quasi constamment une intolérance

à d’autres aliments, notamment légumes, fruits et

légumineuses riches en FODMAP et, en particulier,

en fructanes. De plus, ces patients semblent avoir

plus rarement, et surtout pas avec la même inten-

sité, les symptômes extradigestifs retenus dans la

définition de la SGNC (8) ; en effet, les FODMAP

sont responsables d’une intolérance alimentaire

(défaut enzymatique ou substrat en excès) et non

(5)

DOSSIER

Les régimes d’exclusion

d’une sensibilité alimentaire, et donc a priori n’en- traînent pas de réponse immunitaire antigénique ; de plus, ils ont plutôt un effet inhibiteur sur l’inflam- mation intestinale en induisant des modifications bénéfiques du microbiote et la génération d’acides gras à chaînes courtes (2).

Quelles sont les causes possibles de la toxicité du gluten ?

Pour expliquer la plus grande sensibilité actuelle des individus au gluten, plusieurs hypothèses, pas nécessairement exclusives les unes des autres, sont proposées, mais elles nécessitent encore des études afin d’être étayées.

La consommation accrue de gluten par la popula- tion est l’une des hypothèses les plus fréquentes.

Elle peut être liée à une augmentation quantita- tive (quantité consommée d’aliments contenant du gluten) et/ou qualitative (quantité de gluten dans les aliments). On dispose de certaines données, mais des données quantitatives objectives sont néces- saires pour pouvoir conclure : la consommation de pain est certes en diminution constante depuis le début du XX

e

siècle (environ 100 g/personne par jour aujourd’hui, contre 365 g en 1950 et 900 g en 1900), mais les habitudes alimentaires des Occidentaux ont aussi beaucoup évolué avec la diversification des produits céréaliers absorbés et la consommation de produits industriels potentiel- lement enrichis en gluten vital. Sur le plan qualitatif, la teneur en protéines des blés est influencée par différents paramètres, tels que la variété, le climat et les techniques agricoles. Les conditions de culture actuelles et l’accroissement du rendement agricole ont plutôt fait que les variétés de blés modernes contiendraient moins de protéines, et donc de gluten, que les variétés anciennes. En revanche, parallèlement, depuis les années 1950, les variétés de blés tendres, utilisées pour la panification, ont été sélectionnées sur la base du nombre et de la taille des sous-unités de gluténines de haut poids moléculaire et de la taille des polymères de gluté- nine, afin d’augmenter significativement la qualité boulangère des farines (1).

Une autre hypothèse quant à la toxicité du gluten est une modification de sa digestibilité : il a été montré une interdépendance de la digestibilité du gluten et de l’amidon. Aussi la tendance à sélectionner des blés pour leur amidon résistant pourrait-elle impacter la digestion du gluten. De plus, l’évolution des procédés agroalimentaires de transformation du

blé pourrait également avoir un impact, qu’il s’agisse des formulations (types de farine, levain, ajout de gluten vital, de son, etc.), de la fermentation ou de la cuisson (durée/température) [1].

Des études menées par l’INRA sont actuellement en cours ou vont débuter prochainement afin de tenter de répondre à ces différentes questions.

Le régime sans gluten : comment ? quels risques ?

Les modalités

Le régime sans gluten consiste à supprimer de son alimentation tout aliment élaboré à partir de blé, seigle et orge (c’est-à-dire le pain, les pâtes, les pâtisseries, les viennoiseries, les pizzas, les tartes, etc.), mais aussi beaucoup de préparations alimen- taires industrielles. La lecture de l’étiquetage des produits alimentaires est essentielle et informa- tive, le gluten étant l’un des 14 allergènes majeurs à déclaration obligatoire (17). Depuis une dizaine d’années, les produits alternatifs sans gluten se sont grandement diversifiés, que ce soit pour les farines mais aussi les pains, les pâtes et de nombreux produits transformés (pizzas, plats complets, etc.), permettant au patient une diversité alimentaire, au prix cependant d’un surcoût non négligeable. Il n’en reste pas moins que le régime sans gluten peut avoir des conséquences.

Dans la maladie cœliaque et les pathologies appa-

rentées comme la dermatite herpétiforme ou l’ataxie

cérébelleuse, en l’absence à l’heure actuelle d’al-

ternatives ayant fait la preuve de leur efficacité et

de leur innocuité, le régime sans gluten reste le

seul traitement, et il doit être strict et à vie. Dans

l’allergie, l’éviction du blé (froment, épeautre, blé

khorasan), plus ou moins associée à celle du seigle,

de l’orge et de l’avoine, selon les équipes, est géné-

ralement transitoire, l’allergie disparaissant le plus

souvent avec la croissance. Dans le cas de l’ana-

phylaxie au blé liée à l’exercice physique, l’éviction

du blé concerne uniquement les 4 à 5 heures pré-

cédant un exercice physique ou son décours immé-

diat, l’ingestion de blé étant très bien tolérée en

l’absence d’effort physique (2). Dans la SGNC, il

n’y a actuellement aucune donnée permettant de

préciser le niveau de suppression du gluten et la

durée du régime. Notre expérience personnelle et

les données de l’étude d’Uhde et al. (10) nous font

proposer un régime strict, incluant la suppression

(6)

Maladie cœliaque

Allergie au blé non médiée par les IgE

SII FODM AP

Poly arthrit e rhuma

toïde/

spondylar thrit

e ankylosan

te Fibromyalgie Autisme

Troubles psy chia triques

Symptômes SGNC digestifs et extradigestifs

SGNC : sensibilité au gluten non cœliaque ; SII : syndrome de l’intestin irritable ; FODMAP : Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols.

Figure. Relations possibles entre la sensibilité au gluten non cœliaque et les autres pathologies liées au gluten et/ou dont les symptômes digestifs et/ou extradigestifs sont similaires.

des traces de gluten, pendant 3 à 6 mois, avec ensuite une réintroduction très progressive devant permettre au patient de déterminer son seuil indivi- duel de tolérance. La possibilité de réintroduction et le seuil de tolérance semblent en fait très variables d’un individu à l’autre. Bien entendu, des études sont nécessaires pour confirmer cette démarche et déterminer les facteurs de variabilité.

Quels sont les risques du régime sans gluten ?

Comme pour tout régime d’exclusion, le régime sans gluten peut avoir des conséquences en termes de couverture des besoins nutritionnels et donc de santé. Les céréales, sources de gluten, sont aussi des sources de protéines, de vitamines du groupe B, de fibres, de minéraux (magnésium, phosphore, potassium) et de micronutriments (zinc, fer). Leur suppression peut être responsable d’un déséquilibre alimentaire et de déficits nutritionnels, d’autant plus si d’autres évictions alimentaires sont associées, comme celle des produits laitiers (18). De plus, les produits industriels sans gluten sont souvent plus riches en lipides et/ou en sucre, donc en calories, ou encore plus salés que leurs équivalents avec gluten (1, 18). Le régime sans gluten pourrait être un facteur de risque du syndrome métabolique ;

cependant, il faut noter que l’obésité augmente de la même façon dans la population des malades cœliaques que dans la population générale (18). Une récente étude suggère également que le régime sans gluten pourrait favoriser les pathologies corona- riennes (19).

Les conseils d’un diététicien sont essentiels pour apprendre au patient non seulement les bases du régime sans gluten mais également à équilibrer son alimentation avec des céréales non sources de gluten, des pseudocéréales, des féculents et des légumineuses (tableau I, p. 103) et l’alerter sur la nécessité d’une consommation modérée de pro- duits manufacturés sans gluten. Une consultation médicale permettra aussi de juger du bien-fondé du régime et de ne pas méconnaître une authentique maladie chez les individus autodéclarés.

Conclusion

Le rôle du gluten est avéré dans la maladie cœliaque et dans certaines allergies au blé, même si d’autres protéines du blé peuvent également être en cause, et la prescription d’un régime sans gluten est justifiée dans ces 2 cas. L’implication du gluten dans la sensibilité au gluten non cœliaque est possible, mais l’existence même de cette patho- logie reste controversée, et l’implication d’autres molécules (ATI, WGA, FODMAP) est envisagée.

La confusion qui règne autour de cette patho- logie vient de possibles erreurs de sélection des malades, notamment dans les études initiales, et d’une symptomatologie digestive et extradigestive non spécifique. Il est très vraisemblable qu’une partie des patients se disant SGNC présentent en réalité des syndromes de l’intestin irritable (SII) sensibles aux FODMAP. On peut aussi envisager que certaines SGNC sont en fait des allergies au blé non IgE médiées, ou encore des formes latentes ou mineures séronégatives de maladie cœliaque.

Enfin, la SGNC pourrait revêtir différentes formes selon les symptômes prédominants : symptômes digestifs avec un tableau de SII ou symptômes extradigestifs avec des tableaux de poly arthrite rhumatoïde ou de spondylarthrite ankylosante ou encore de fibromyalgie (figure).

Le régime sans gluten strict est un régime contrai- gnant, difficile à respecter, ayant de possibles conséquences sociales, psychologiques et poten- tiellement nutritionnelles et médicales. Il doit être prescrit à bon escient et mis en place avec l’aide

d’un diététicien. ■

L’auteur déclare ne pas avoir

de liens d’intérêts en relation

avec cet article.

(7)

DOSSIER

Les régimes d’exclusion

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1. Fonds français pour l’alimentation et la santé. État des lieux sur le gluten. Novembre 2016. http://alimenta- tion-sante.org/wp-content/uploads/2016/11/2016__Etat- DesLieux-GlutenWeb_Pages-1.pdf

2. Bouteloup C. Les pathologies digestives liées au blé ou au gluten : certitudes et doutes. Cah Nutr Diet 2016;51:248-58.

3. Lebwohl B, Sanders DS, Green PHR. Coeliac disease.

Lancet 2018;391(10115):70-81.

4. Malamut G, Meresse B, Cellier C, Cerf-Bensussan N.

La maladie cœliaque en 2009: un futur sans régime ? Gastroenterol Clin Biol 2009;33:635-47.

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