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LILIA BEN SALEM NOTE BIOGRAPHIQUE

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Academic year: 2022

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LILIA BEN SALEM NOTE BIOGRAPHIQUE

Imed MELLITI

Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain

Lilia Ben Salem nous a quitté à l’âge de soixante-quinze ans après une vie dédiée à l’enseignement et à la recherche. Tel qu’elle le décrit elle-même dans un entretien accordé à Sylvie Mazzella et publié dans le Revue Genèses (2009), son parcours se confond avec les fortunes et les infortunes de l’Université tunisienne, de sa création et de son développement et, plus particulièrement, de l’institutionnalisation et de l’évolution de l’enseignement de la sociologie. Plusieurs générations de sociologues, mais également de non sociologues, ont eu la chance de suivre ses cours et de s’initier aux arcanes de la discipline entre ses mains.

Une sociologue la première heure

La vie professionnelle de Lilia Ben Salem commence avec une maîtrise de sociologie obtenue en 1962, aux côtés des principales figures de la sociologie tunisienne naissante : Abdelkader Zghal, Frej Stambouli, Abdelwaheb Bouhdiba, Khalil Zamiti et d’autres. A peine une année après, en 1963, son affectation, comme attachée de recherche, au Centre d’études et de recherches économiques et sociales (CERES), qui venait d’être crée, afin d’accompagner l’entreprise de modernisation et de construction nationale engagés par les élites d’une Tunisie fraîchement indépendante, lui offre l’opportunité de mettre à l’épreuve ses acquis sociologiques. Elle lui permet surtout de fréquenter les grands maîtres de la pensée sociologique française des années 1950 et 1960, dont Georges Gurvitch, Jacques Berque, Jean Duvignaud et Georges Balandier

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qui dirigera sa thèse sur les cadres supérieurs de l’économie tunisienne soutenue à la Sorbonne en 1968. Dès les premiers moments, le destin personnel et professionnel de Lilia Ben Salem se trouve ainsi imbriqué à celui d’un pays qui se cherche et se construit dans la difficulté, mais aussi dans l’euphorie des commencements. Elle appartient à cette première génération de sociologues tunisien(ne)s qui, avant d’être rattrapé(e)s de manières différentes et à divers degrés par le scepticisme, le désenchantement ou l’aigreur ont adhéré à l’idée que la sociologie et, de manière plus générale, l’Université devaient apporter leur pierre à l’édification d’une Tunisie nouvelle.

L’enseignement de la sociologie à l’Université de Tunis est au centre de la carrière de Lilia Ben Salem. C’est aux différentes tâches et responsabilités liées à son travail d’enseignante qu’elle consacrera l’essentiel de sa vie et de son énergie pendant près de trente ans (de 1974 à 2002). Elle dirige entre 1987 et 1993 le département de sociologie de la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis et préside les commissions de D.E.A. et de doctorat et d’habilitation en sociologie entre 1999 et 2002. Elle siège dans plusieurs jurys de mémoires et de thèses et dans de nombreuses commissions de recrutement des enseignants chercheurs, sans hésiter à protester et à exprimer son mécontentement lorsque les principes de l’équité et du mérite lui semblent bafoués. Elle accompagne bon nombre de ses étudiants dans l’apprentissage de la recherche sociologique et les soutient dans leur entreprise de faire aboutir un mémoire ou une thèse. Entre 1996 et 1997, elle contribue à la réforme de la maîtrise de sociologie, dans le souci d’ouvrir la formation des sociologues aux orientations et sensibilités émergeantes et de veiller, à la fois, au maintien d’un enseignement solide des classiques de la discipline.

Ce dont ses étudiants se rappellent avant tout, ce sont ses cours préparés avec une minutie hors du commun et consacrés aux précurseurs et aux pères fondateurs de la sociologie (Karl Marx, Emile Durkheim et Max Weber) et à la sociologie maghrébine, voyageant entre les travaux d’Ernest Gellner et de Jacques Berque et le Chébika de Jean Duvignaud.

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D’autres expériences seront aussi déterminantes dans sa carrière d’enseignante. Elle s’implique avec beaucoup d’enthousiasme dans la création de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, où elle assure entre 1987 et 1993 un enseignement de sociologie destiné à un public de juristes, avant de s’engager, avec d’autres, dans la mise en place d’un DESS de Sciences de l’éducation à l’Institut supérieur de la formation continue (1994- 2005). Entre 2003 et 2005, elle est prête à accompagner Fatma Hadded, Dorra Mahfoudh et d’autres universitaires « féministes » dans leur démarche d’institutionnaliser les études de genre, à travers la création d’un Master d’Etudes féminines à l’Institut supérieur des sciences humaines de Tunis. Enfin, en 2005, elle rejoint le nouveau Master d’Anthropologie sociale et culturelle qui vient d’être crée par Mohamed Kerrou dans la même institution.

Profondément imprégnés de la verve « nationaliste » qui a animé ses années de jeunesse et qui s’est traduite par des responsabilités au sein de l’UGET (l’Union générale des étudiants tunisiens), les engagements publics de Lilia Ben Salem ont rarement été éloignés de l’Université et de la recherche. Le rôle moteur qu’elle a joué dans la création de l’Association tunisienne de sociologie et beaucoup plus tard (2009) de l’Association tunisienne d’anthropologie sociale et culturelle, ainsi que sa participation intense aux activités de l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (AFTURD), du CREDIF (Centre de recherche, d’études, de documentation et d’information sur la femme) et du CAWTAR (Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche), en témoignent.

Une œuvre

Comme pour la plupart de ses compagnons de route, les thèmes de recherche auxquels Lilia Ben Salem consacre les années CERES de sa carrière portent sur le procès de transformation et de modernisation de la société tunisienne, dans le but d’accompagner les réformes engagées au lendemain de l’Indépendance et d’analyser les enjeux qui s’y rapportent. Avant même qu’elle ne soutienne sa thèse intitulée Développement et problème de cadres : le cas de la Tunisie.

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Un exemple : les cadres supérieurs de l’économie tunisienne (une thèse qui sera publiée beaucoup plus tard, soit en 1976, par le CERES), elle publie plusieurs articles sur le développement du tourisme, la réforme agraire et la pénétration de la « culture industrielle » dans la société tunisienne. Les questions au cœur du processus de construction nationale analysées en termes de bureaucratie et de technostructure et sous l’angle du rapport à l’Etat et à l’identité nationale accaparent l’essentiel de son intérêt.

Très vite aussi, elle s’intéresse à Ibn Khaldoun, dont l’œuvre lui semble fournir des éléments déterminants dans l’édification d’une théorie sociologique du pouvoir et dans l’étude des hiérarchies sociales et du fonctionnement de l’Etat au Maghreb. Ce retour à Ibn Khaldoun se veut une réhabilitation de son héritage dans l’étude des sociétés maghrébines et au-delà de la profondeur historique de ces sociétés, mais surtout une mise en circulation de son apport théorique dans le commerce universel des idées sociologiques.

Alors que son insistance sur l’analyse du changement, en prolongement de cette sociologie dynamique chère à son maître Georges Balandier, inscrit son œuvre dans une tradition sociologique située au plus proche de la définition « canonique » de la discipline, sa fréquentation assidue des classiques, dont incontestablement Ibn Khaldoun, mais également les portes drapeaux de la science coloniale (Robert Montagne, Emile Masqueray et d’autres) lui donne une facture anthropologique, qui ne se démentira jamais et qui se traduira par un article très remarqué sur la théorie de la segmentarité.

Cette proximité avec l’anthropologie explique en partie l’intérêt de Lilia Ben Salem pour la parenté et la famille. Un intérêt qui commence dès la fin des années quatre-vingt, se prolonge à travers la participation à l’aventure collective conduite par son amie de toujours Sophie Ferchiou et destinée à élucider le rapport entre parenté, alliance et patrimoine dans la société tunisienne (Hasab wa Nasab, 1992) et culmine dans une belle synthèse publiée en 2009 sous le titre : Familles et changements sociaux en Tunisie. Si l’aventure de Hasab wa Nasab lui donne l’occasion d’expérimenter le travail interdisciplinaire avec les anthropologues et les historiens

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et d’en mesurer la plus-value, la « famille », comme objet et terrain, lui permet plus généralement de tester ses hypothèses sur la pluralité des temps sociaux et l’articulation entre longue et courte durées, notions empruntées à Georges Gurvitch et Fernand Braudel, une autre lecture de jeunesse. La famille lui offre aussi la possibilité de comprendre l’imbrication de l’individuel et du collectif et d’interroger la place et le statut de l’individu dans la société tunisienne : « une société en projet de modernité » guettée par les démons de la communauté.

Des « fondamentaux »…

Contrairement à certains de ses pairs, pour Lilia Ben Salem l’enseignement n’a jamais été une tâche ingrate qu’il faut expédier pour s’occuper de l’essentiel, c’est-à-dire les publications et la notoriété, voire le désir irrépressible d’une carrière politique, mais un véritable ministère qui peut devenir source de plénitude, si l’on s’en acquitte avec conviction et dévouement. L’enseignement c’est la transmission de la passion de la discipline et l’accompagnement attentif des étudiants dans une vocation qui grandit de jour en jour.

Certes, la recherche et sa temporalité faite de maturation lente, de travail invisible et solitaire, de lecture permanente attentive à l’évolution des savoirs avait, elle aussi, ses droits, mais elle n’avait pas chez elle de sens sans un minimum de mise en commun, que l’Université avait pour rôle de permettre. Une telle vision explique que la foi de Lilia Ben Salem en l’Université n’a jamais été ébranlée, en dépit de la dégradation progressive de l’institution universitaire et de la qualité de la formation qu’elle dispense sous l’effet conjugué de la massification et d’une clôture engendrée par un provincialisme et un unilinguisme plus ou moins volontaires.

Bien qu’elle soit de tempérament conciliant, Lilia Ben Salem avait un sens aigu des « fondamentaux » ; un sens qu’elle a sans doute acquis dans la fréquentation de ses maîtres et qui lui donne les moyens de ne pas transiger et la protège, à la fois, du désenchantement et de la démobilisation.

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La plupart de ceux qui ont eu la chance de la fréquenter et de travailler avec elle savent que ces « fondamentaux » tournent autour des valeurs de l’Université : labeur et méritocratie, rigueur et sens du travail bien fait, modestie et abnégation. Ils s’enracinent dans les idéaux de l’Ecole de l’Indépendance, une Ecole pour tous, au service des plus démunis, soucieuse de réparer les torts et de réduire les inégalités de condition. Cet attachement expliquerait, en partie, son engouement pour les classiques de la sociologie et sa lecture attentive et renouvelée de leurs œuvres, socle sans lequel les développements récents de la discipline seraient pour elle vanité et égarement. C’est ce même attachement et la solidité intérieure qu’il procure qui lui donnait, sans doute, l’air apaisé qu’on lui connaît.

Publications majeures

« Démocratisation de l’enseignement en Tunisie : essai d’analyse du milieu social d’origine des étudiants tunisiens », Revue Tunisienne des Sciences Sociales, n° 16, mars 1969, pp. 81-135.

« L’encadrement des unités de production agricole », Revue Tunisienne des Sciences Sociales, n° 26, septembre 1971, pp. 115-162.

« La notion de pouvoir dans l’œuvre d’Ibn Khaldoun », Cahiers Internationaux de Sociologie, vol. LV, 1973, pp. 294-314.

« Voies de pénétration de la culture industrielle dans une société pauvre : exemples empruntés à la société tunisienne », Revue Tunisienne des Sciences Sociales, n° 36-39, 1974, pp. 147-155.

« Contrôle social et conscience nationale : essai d’analyse à partir d’un exemple, celui de l’histoire de l’administration tunisienne », in Identité culturelle et conscience nationale en Tunisie, CERES, Série sociologique n° 2, 1974, pp. 175-188.

Développement et problème de cadres. Le cas de la Tunisie. Un exemple : les cadres supérieurs de l’économie tunisienne, Cahiers du C.E.R.E.S., 1976.

« Intérêt des analyses en termes de segmentarité pour l’étude des sociétés du Maghreb », Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, n° 33, 1982.

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« Approches théoriques et analyses des sociétés rurales du Maghreb » in Actes du IIIème Congrès d’Histoire et de Civilisation du Maghreb (Oran, 26-27-28 Nov. 1983), Le monde rural maghrébin, communautés et stratification sociale. Alger, O.P.U., 1987, pp. 221-236.

« Structures familiales et changement social en Tunisie », Revue Tunisienne de Sciences Sociales, n ° 100, 1990, pp. 165-180.

« La profession d’ingénieur en Tunisie. Approche historique », in Elisabeth LONGUENESSE (dir.) Bâtisseurs et Bureaucrates.

Ingénieurs et Société au Maghreb et au Moyen Orient, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 1990, pp. 81-94.

« Questions méthodologiques posées par l’étude des formes de pouvoir : articulation du politique et du culturel, du national et du local », in Rahma BOURQIA et Nicolas HOPKINS (ed.), Le Maghreb : approches des mécanismes d’articulation, Rabat, El Kalam, 1991, pp. 187-199.

« Introduction à l’analyse de la parenté et de l’alliance dans les sociétés arabo-musulmanes » in Sophie FERCHIOU (dir.), Hasab wa Nasab. Parenté, alliance et patrimoine en Tunisie, Paris, C.N.R.S., 1992, pp. 79-104.

« Jacques Berque », Cahiers de Tunisie, n° 165, juillet 1995.

« Dynamique des rapports sociaux et changement social au Maghreb : l’exemple des rapports de propriété » in Actes du Séminaire du Département de Sociologie de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Tunis I sur Les transformations actuelles des sociétés rurales du Maghreb, Carthage, Avril 1993. Publié par la Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Tunis, 1996.

« Le statut de "l'acteur social" dans la sociologie tunisienne », Correspondances, Bulletin de l’I.R.M.C., n° 49, Février 1998.

Modernité et pratiques sociologiques, codirigé avec Dorra Mahfoudh-Draoui, Tunis, CPU, 2000.

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« Les transformations du mariage et de la famille », (en coll.

avec Thérèse Locoh), in Jacques VALLIN et Therèse LOCOH (dir.), Population et développement en Tunisie. La métamorphose, Tunis, Cérès Editions, 2001, pp.143-170.

« Le dilemme de la construction de la sociologie au Maghreb.

Pluralité référentielle et projet scientifique », Séminaire de l'IRMC, 2001, publié in Alain MAHÉ et Kmar BENDANA, Savoirs du lointain et Sciences Sociales, Paris, Editions Bouchène, 2004, pp. 81-98.

« Paul Sebag sociologue », in Claude NATAF (ed.), De Tunis à Paris, mélanges à la mémoire de Paul Sebag, Paris, Bibliothèque des Fondations, Editions de l’Eclat, 2008, pp. 127-134.

« Pertinence de l’analyse anthropologique ? Quel(s) regard(s) sur la société tunisienne ? », in Ridha BOUKRAA (ed.), Terrains et savoirs de l’anthropologie, Cahiers du CERES, Série Anthropologie-Ethnologie, n° 1, 2007, pp. 31-46.

« Familles et changement sociaux, révolution ou reproduction », in Laroussi AMRI (dir.), Les changements sociaux en Tunisie : 1950-2000, Paris, L’Harmattan, 2007.

Familles et changements sociaux en Tunisie, Tunis, CPU, 2009.

« Propos sur la sociologie en Tunisie », Entretien avec Sylvie Mazzella, Genèses, n° 75, Juin 2009.

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