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Université Libre de Bruxelles Faculté des sciences sociales et politiques Département de sciences politiques

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Université Libre de Bruxelles Faculté des sciences sociales et politiques Département de sciences politiques

Contribution à une théorie démocratique du contrôle des frontières De la tension entre la souveraineté populaire et les droits de l'homme

à la frontière de la communauté politique européenne

Thèse de doctorat présentée par Martin Deleixhe Sous la direction de Justine Lacroix

Membres du jury : Étienne Balibar, Stéphane Chauvier, Jean-Marc Ferry, Jean-Yves Pranchère

Année académique 2011-2012

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Remerciements

Avant toute chose, mes remerciements vont à ma directrice de thèse, Justine Lacroix, aussi bien pour son encadrement enthousiaste et rigoureux que pour sa disponibilité et sa cordialité. Sans sa confiance et ses encouragements, sans ses suggestions et ses critiques, cette thèse n'aurait tout simplement jamais pu aboutir. Je voudrais également lui exprimer toute ma gratitude pour m'avoir accompagné dans mes démarches pour obtenir un mandat de recherche. Ces années de doctorat auront été pour moi une expérience fabuleuse et je lui dois en grande partie cette chance.

Je voudrais également remercier toutes les personnes qui ont contribué à encadrer mes recherches. Je suis reconnaissant à Jean-Marc Ferry d'avoir accepté de présider mon comité d'accompagnement et d'avoir longuement commenté la première partie de cette recherche. Ses remarques auront été déterminantes dans l'orientation finale de ce projet. Jean-Yves Pranchère m'a prêté une attention chaleureuse et constante. Ses observations auront été pour moi une source inépuisable d'informations et de questionnement. Mais c'est avant tout pour sa passion communicative de la philosophie que je voudrais le remercier. Andréa Réa m'aura à plusieurs reprises fourni de précieuses indications sur les aspects les plus sociologiques de cette recherche et il m'aura également fait le plaisir de participer à mon comité d'accompagnement. Stéphane Chauvier m'a fait un honneur en acceptant de faire partie des membres du jury et Étienne Balibar a toute ma gratitude pour son accessibilité et son amabilité. J'ai grandement bénéficié d'avoir pu lui adresser directement quelques unes de mes questions.

Je suis reconnaissant à Pascal Delwit pour m'avoir consacré un peu de son temps et de son attention lors de la préparation de mon dossier de candidature à ce mandat et à Jean-Michel De Waele pour avoir été à l'écoute, dans son rôle de doyen, des préoccupations du corps scientifique de la faculté. Grâce à nos discussions et à leur aimable lecture, Quentin Landenne, Christopher Hamel, Teresa Pullano et Tristan Storme m'ont apporté d'inestimables éclairages sur des points théoriques qui restaient obscurs. Un grand merci à chacun d'entre eux pour leur aide généreuse.

La première année de cette recherche s'est faite au St Antony's College d'Oxford grâce au généreux soutien de la Fondation Wiener-Anspach et à l'appui de Kalypso Nicolaïdis. L'avancement de mes travaux doit beaucoup au calme et à la tranquillité dont j'ai joui à cette occasion. Je voudrais

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les remercier pour cette opportunité mais aussi pour l'accueil exceptionnel que j'y ai reçu.

Mes pauses auraient été bien mornes sans mes collègues du centre de théorie politique et de l'institut d'études européennes. Je les salue tous pour leur convivialité et leur bonne humeur. Je n'aurais pas pu rêver d'une meilleure ambiance de travail. Je tiens en particulier à remercier Anaïs Camus avec qui j'ai partagé deux années durant un bureau et les petites nouvelles du quotidien. Ça aura été un vrai plaisir de rédiger littéralement à ses côtés.

Je ne pourrai jamais suffisamment remercier mes parents, mes frères et ma famille pour leur soutien inconditionnel. Enfin, je n'aurais jamais songé à entreprendre ce projet si Djiby Ba et la famille Arias Males, Hassan et Ahmed, Imelda et Mathilde ne m'avaient pas communiqué leur désir d'interroger les frontières. Merci à eux tous.

Je dédie ce travail à Caro.

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Table des matières

Remerciements...2

Table des matières...4

Introduction générale : la problématique de la frontière...8

Gracq ou le plaisir de la transgression...8

Fragilité et puissance de la frontière...10

Limites de la communauté démocratique et universalité des droits...13

Un exercice de philosophie politique appliquée...17

Un plan en trois parties...19

Partie I : Typologie des interprétations normatives du contrôle des frontières dans la théorie démocratique 1.Une démocratie paradoxale...23

1.1.Un concept « essentiellement » contesté...23

1.2.Deux modèles de démocratie...24

1.3.La frontière comme lieu du paradoxe démocratique...29

1.4.De l'intensité et de la multiplicité, quelques remarques méthodologiques...34

2.L'exclusion souveraine ou la frontière comme marque de la souveraineté...38

2.1.Un environnement hobbésien...38

2.2.Une solution schmittienne...39

2.3.La justification normative de l'exclusion l'arbitraire...43

2.4.Alternance ou indistinction ?...48

2.5.De la créativité du pouvoir...49

2.6.Conclusion...53

3.L'exclusion raisonnée ou la frontière comme limite de la justice...55

3.1.La transition vers un contexte politique normalisé : la désécuritisation de l'immigration...55

3.2.La transition vers la démocratie libérale : de l'ordre à la justice, de l'objet au sujet de droit. 58 3.3.Rawls : silence, on délimite !...60

3.4.Les arpenteurs de la justice...64

a)Les rapports de souveraineté et de solidarité entre citoyens comme limite de l'hospitalité. 64 b)La communauté nationale de significations partagées...66

3.5.Conclusion...71

4.L'exclusion immorale ou la frontière comme obstacle à surmonter...74

4.1.Une distorsion moralement arbitraire de la redistribution des biens sociaux...74

4.2.L'extension de l'égalitarisme...77

4.3.La dispersion de la souveraineté...79

4.4.Conclusion...83

5.La frontière comme « chantier de la démocratie »...87

5.1.De la co-originarité des deux versants de la démocratie...87

5.2.Benhabib : l'itération démocratique...92

5.3.Balibar : la citoyenneté comme production de statut...97

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5.4.Abizadeh : le demos fluide...101

5.5.Un socle conceptuel commun : la part d'indéterminable de la démocratie...104

a)Arendt : un agir politique constitutif...104

b)Lefort : un pouvoir désincorporé et des droits dont le contenu excède la formulation...106

5.6.Conclusion : deux critères sous-jacents...109

Partie II : Contrôle des frontières et droit d'hospitalité 6.Le droit à l'hospitalité selon Kant...113

6.1.Introduction : de la co-originarité à Kant...113

6.2.Récit d'une disparition : de l'évanescence du droit cosmopolitique kantien...115

6.3.Questions de méthode...121

6.4.Lever l'indétermination qui affecte le concept de droit à l'hospitalité...124

a)Le droit cosmopolitique et la dénonciation du colonialisme...124

b)La nécessité d'un espace politique pluriel – contre l'État mondial...134

c)L'hospitalité comme droit cosmopolitique à la communication transfrontalière...139

d)La discontinuité entre le droit de visite et le privilège de l'installation...149

e)Créances juridiques des citoyens sur l'État kantien...157

f)La cosmocitoyenneté ou la distribution horizontale de la souveraineté...167

7.La dynamique du Projet de paix perpétuelle...170

7.1.Une ligne de fuite...170

7.2.Une intégration processuelle plutôt qu'un projet constitutionnel...173

7.3.Une histoire politique et indéterminée...175

7.4.Du paradigme de la Nature à celui de la Liberté...178

7.5.La migration comme force motrice de la paix...183

7.6.Effacement progressif de la discontinuité entre résidence et visite : l'exemple de l'UE...185

7.7.L'apport de la communication transnationale...189

8.Derrida et l'hospitalité inconditionnelle...193

8.1.Véracité et hospitalité...193

8.2.Véracité, police et frontières...196

8.3.La Loi de l'hospitalité et les lois de l'hospitalité...198

8.4.Antinomie de l'hospitalité : perversité ou critique de l'asymétrie du geste de l'hospitalité ?202 8.5.La possibilité d'une hospitalité ordinaire et égalitaire...204

8.6.L'hospitalité comme critique de la désignation injurieuse de l'étranger...207

8.7.La rétroaction de l'hospitalité sur les nationaux...211

8.8.Conclusion intermédiaire...216

Partie III : Frontières et structures 9.La frontière comme objet philosophique...219

9.1.De Kant à Balibar en passant par Derrida...219

9.2.La frontière comme objet philosophique...223

9.3.Le court-circuit de la frontière...229

9.4.La méthode de travail de Balibar...231

a)Le primat du texte et de la traduction...231

b)Chaîne de signifiants, contradiction infinie et imagination du présent...235

c)D'une lecture coupable...241

9.5.La frontière et la surdétermination...242

a)La centralité persistante de la référence à Marx...242

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b)« Qu'est-ce qu'une frontière ? » : trois caractéristiques aux enjeux théoriques distincts....245

La polysémie de la frontière...246

L'hétérogénéité de la frontière...247

L'étrange surdétermination de la frontière...249

c)La surdétermination et le marxisme structuraliste...251

d)Les implications théoriques de la surdétermination...259

10. La structure de la forme nationale et de ses frontières...261

10.1.Au-delà de la frontière nationale...263

10.2.En deçà de la frontière nationale ...267

10.3.Frontière intérieure et ontologie transindividuelle...271

10.4.L'impossible nation civique...278

10.5.Fondation de la nation et ethnicité fictive...280

10.6.L'immigré entre race et classe...283

10.7.Conclusion intermédiaire...289

11. La politique de/à la frontière...292

11.1.Frontières de la politique...292

11.2.Du concept de politique chez Balibar, ou les limites du marxisme...295

11.3.La proposition de l'égaliberté ou les frontières de la citoyenneté...298

a)Les droits de l'homme sont-ils une politique ?...298

b)L'identification de l'homme et du citoyen...303

c)La frontière comme ressort fondamental de l'illimitation démocratique...309

11.4.La violence des frontières...314

a)La mondialisation et son déficit de conversion de la violence...314

b)La cruauté comme exacerbation des fonctions de la frontière...316

11.5.La transformation de la frontière : l'Europe et la co-citoyenneté...321

a)Europe : de l'apartheid à la superposition des nappes...321

b)À la frontière : de la guerre à la traduction...329

c)Du droit de cité à la citoyenneté diasporique ? ...332

11.6.Conclusion : « inachever » le concept de frontière ?...335

Conclusion générale...337

De la difficile cohérence d'une démarche de recherche...337

Trois parties indépendantes mais complémentaires...338

a)Typologie normative des conceptions du contrôle de la frontière...338

b)La ligne de fuite de l'hospitalité...341

c)La frontière comme objet philosophique...346

L'agir politique des immigrés...349

Bibliographie...352

Ouvrages...352

Articles scientifiques...364

Littérature grise et documents...371

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« [...]Shere Kan roared : 'Bah! what have we to do with this toothless fool [Mowgli] ? He is doomed to die ! It is the man-cub that has lived too long. Free-People, he was my meat from the first. Give him to me. I am weary of this man-wolf folly. [...] He is a man, a man's child and from the narrow of my bones I hate him!'

Then more than half the Pack yelled: 'A man! a man! What has a man to do with us? Let him go to his own place.' [...]

Akela lifted his head again, and said: 'He has eaten our food.

He has slept with us. He has driven game for us. He has broken no word of the Law of the Jungle.'

'Also, I paid for him with a bull when he was accepted. The worth of a bull is little, but Bagheera's honour is something that he will perhaps fight for,' said Bagheera in his gentlest voice.

'A bull paid ten years ago!' the Pack snarled. 'What do we care for bones ten years old?'

'Or for a pledge?' said Bagheera, his white teeth bared under his lips. 'Well are ye called the Free People!'

'No man's cub can run with the people of the jungle,' howled Shere Khan. 'Give him to me!' [..]

'He is a man – a man – a man!' snarled the Pack; and most of the wolves began to gather round Shere Khan, whose tail was beginning to switch. »

The Jungle Books, Rudyard Kipling

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Introduction générale : la problématique de la frontière

Gracq ou le plaisir de la transgression

Dans Le Rivage des Syrtes, rédigé en 1951, Julien Gracq donne, dans un style qui n'appartient qu'à lui, une des plus saisissantes illustrations littéraires de la frontière. Aldo, un jeune soldat issu de la noblesse patricienne d'Orsenna, est envoyé dans une province reculée pour servir comme officier dans un misérable fortin. Face au bâtiment militaire décrépit s'étale une mer d'encre au-delà de laquelle se devine, par temps clair, le lointain Farghestan, un pays dont personne ne sait rien mais qui, pour des raisons oubliées de part et d'autre, est officiellement en guerre avec Orsenna.

Gagné par l'ennui et la lassitude de la vie de caserne, Aldo se prend insensiblement de curiosité pour cet horizon impassible dont ne surgit jamais aucun vaisseau de guerre ennemi. La mer est une frontière d'autant plus fascinante que son tracé est indiscernable. Le Farghestan ne tarde alors pas à se parer, dans l'imagination d'Aldo, d'un halo de mystère que rehausse l'interdit formel de s'en approcher. Jusqu'au jour où, au cours d'une ronde maritime :

« - Il va tout de même falloir virer de bord, reprit Fabrizio [le second du navire] avec un sursaut de commande, feignant tout à coup de s'apercevoir que Vezzano [le port d'attache] était si loin.

- Rien ne presse, dis-je d'un ton négligent en allumant à mon tour une cigarette.

Le navire filait toujours plein est ; le jour, devant nous, montait de la mer en fusées plus claires.

- Non, rien ne presse...

Fabrizio mit les mains dans les poches de son manteau et, s'accotant à la cloison, se mit à tirer des bouffées fébriles.

- Absolument rien, conclus-je après un silence, et je m'adossai à la cloison à côté de Fabrizio.

Gauchement, sentant en nous s'engloutir les secondes, et le temps se précipiter sur une pente irrémédiable, nous souriions tous les deux aux anges d'un air hébété, les yeux clignants dans le jour qui montaient devant nous de la mer. Le bateau filait un bon train sur une mer apaisée ; la brume s'enlevait en flocons et promettait une journée de beau temps. Il me semblait que nous venions de pousser une de ces portes qu'on franchit en rêve. Le sentiment suffocant d'une allégresse perdue depuis l'enfance s'emparait de moi ; l'horizon, devant nous, se déchirait en gloire ; comme pris dans le fil d'un fleuve sans bords, il me semblait que maintenant tout entier j'étais remis – une liberté, une simplicité miraculeuse lavaient le monde ; je voyais le matin naître pour la première fois. »1

1 Gracq, Julien, Le Rivage des Syrtes, José Corti, Paris, 1951, pp. 204-5.

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Le plaisir de la transgression prend, en toute simplicité, le pas sur les impératifs de la vie militaire, aussi catégoriques soient-ils. Pour le satisfaire, il n'est besoin que de se laisser aller, de cesser de réprimer cette passion dévorante pour l'au-delà énigmatique de la démarcation de l'espace.

Certes, cette escapade rouvrira les hostilités entre les belligérants et mènera le pauvre Aldo à sa perte, mais c'est avec son consentement. Car le franchissement de l'interdit lui confère une plénitude incommensurable avec le tracas de ses conséquences. Ce qui fait toute l'originalité de l'écriture de Gracq, et qui la distingue d'un roman d'aventure et d'exploration quelconque, tient dans une étrange inversion des rôles. Au fil des pages, et singulièrement dans cet extrait, la passivité d'Aldo ne cesse de surprendre. À strictement parler, ce dernier ne franchit pas la frontière, il se laisse porter au-delà.

Comme l'indique la lettre du texte, le jeune officier se remet entre les mains de la mer qui l'emmène de l'autre côté de l'interdit. Tout se passe comme si le mélancolique soldat ne prenait jamais de décision de sa propre initiative mais préférait s'imprégner des paysages et des atmosphères qui l'entourent pour que ceux-ci, en altérant ses états d'âme, lui indiquent la conduite à adopter. Le protagoniste principal de l'intrigue n'est donc pas Aldo mais la brumeuse frontière maritime qu'il ne cesse de contempler. Autre façon de dire que le ressort de la transgression n'est pas à chercher dans la subjectivité du personnage mais dans les effets induits d'une institution symbolique et politique.

En dépit de sa dimension romanesque, on discerne, dans ce petit morceau de bravoure littéraire, une vérité profonde qui coupe au travers des discussions sociologiques et politologiques sur les modèles théoriques de la migration. Un minimum de rigueur analytique nous oblige cependant à préciser les limites de l'analogie : il est évident qu'Aldo n'est pas à proprement parler un migrant et que son intention n'est pas de chercher du travail ou un logement au Farghestan mais plus simplement (ou plus subversivement, c'est selon) de ressentir l'excitation de la transgression.

Néanmoins, on peut isoler, par delà ces limites, un noyau problématique. Plutôt que de faire des migrations les jouets de forces économiques aveugles qui traversent les frontières – comme dans le modèle néoclassique, dit push/pull, qui a longtemps dominé les études migratoires2 –, plutôt que d'en faire l'incarnation de la vie nue que la souveraineté marque de l'empreinte de l'exception permanente3 ou d'en faire à l'inverse les hérauts d'une liberté de circulation absolue comme dans les théories du transnationalisme4, Gracq expose l'influence autonome de la frontière sur sa propre

2 Castles, Stephen ; Miller, Mark J., The Age of Migration. International Population Movements in the Modern World, 4e édition, Palgrave MacMillan, Basingstoke, 2009, pp. 21-3. Pour un exemple assez caricatural, voir la théorie développée par Borjas d'un « marché des migrations » dans Borjas, G.J., « Economic Theory and International Migration », International Migration Review, Special Silver Anniversary Issue, Vol. 23, n°3, pp. 457-85.

3 On aura reconnu les thèse de Agamben, Giorgio, Homo sacer, I. Le pouvoir souverain et la vie nue, trad. Raiola, Marilène, coll. « L'ordre philosophique », dir. Cassin, Barbara ; Badiou, Alain, Seuil, Paris, 1997.

4 Weber, Serge, Nouvelle Europe, nouvelles migrations. Frontières, intégration, mondialisation, préface de Wihtol de Wenden, Catherine, coll. « Échéances », dir. Plomb, Valérie, Éditions du Félin, Paris, 2007, pp. 15-6. Pour plus de détails, voir Ludger, P. (dir.), Migration and Transnational Social Spaces, Aldershot, Ashgate, 1999 ou Faist, Thomas, The Volume and Dynamics of International Migrations and Transnational Spaces, Oxford, Oxford University Press, 2004.

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transgression. La frontière exerce une fascination intrinsèque qui ne se résume ni à un différentiel économique, ni même à la revendication d'une liberté de circulation. En posant un interdit, la frontière instille subtilement le désir de s'en affranchir. Ainsi que le confesse Aldo dans un élan de sincérité : « Ce que je voulais n'avait de nom dans aucune langue. Être plus près. Ne pas rester séparé. Me consumer à cette lumière. Toucher. »5 La frontière assume une fonction tendanciellement duale, à la fois limite et invitation, dont la contradiction inhérente ne peut être ignorée.6

Fragilité et puissance de la frontière

Il ne faudrait pas gonfler artificiellement la portée d'une telle présentation introductive de la frontière. Il ne s'agit là que d'une œuvre de fiction qui, à ce titre, ne prétend rien démontrer et ne peut se prévaloir que d'une valeur suggestive. On aimerait cependant en retenir temporairement l'exhortation, d'autant plus stimulante qu'elle est un peu intempestive, à penser la frontière sous l'angle d'une problématique indépendante. Plutôt que d'envisager la frontière comme un des éléments contingents d'un ensemble plus large qui regroupe pêle-mêle des facteurs économiques, historiques, géopolitiques et sociaux qui collectivement donnent forme aux phénomènes migratoires, il s'agit de faire temporairement abstraction de cette complexité pour considérer que, d'un point de vue normatif, la frontière est paradoxalement constitutive de sa fragilisation, qu'elle participe de sa propre remise en cause et donc qu'elle perpétue sa problématisation. On serait alors en droit de se demander en quoi cette contradiction fondamentale présente une difficulté. Faut-il s'émouvoir de ce que la frontière sape sa propre base et érode sa légitimité ? En quoi ce paradoxe nous fournirait-il la matière d'un questionnement ?

En ce point, la littérature ne nous est plus d'un grand secours et c'est vers l'observation empirique de la politique qu'il faut tourner nos regards afin de donner plus d'épaisseur au concept de frontière. Selon un recensement officieux tenu à jour par Migreurop, un réseau de chercheurs qui surveillent les pratiques gouvernementales aux frontières européennes, on dénombre près de 2000 personnes ayant perdu la vie sur la seule année 2011 en tentant de rentrer clandestinement sur le territoire européen, que ce soit en traversant la Méditerranée ou l'Adriatique sur des embarcations de fortune ou en franchissant les barrières grillagées des enclaves de Ceuta et Melilla (entre 1993,

5 Gracq, Julien, Le Rivage des Syrtes, op. cit., p. 212.

6 Un thème qui resurgit d'ailleurs de façon récurrente tout au long de l'œuvre de Gracq. Ainsi, dans Un balcon en forêt, on retrouve quasiment à l'identique le personnage du soldat confronté au vide de la frontière (bien que celle-ci s'incarne cette fois-ci dans un recoin isolé de la profonde forêt des Ardennes franco-belges) et incapable de résister à son appel en dépit d'un danger imminent, cf. Gracq, Julien, Un balcon en forêt, José Corti, Paris, 1958.

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date à laquelle a commencé ce décompte, et 2012, le nombre de décès s'élève à 16 250.)7 À l'aspect physique de la frontière, sa fonction de délimitation de l'espace, il faut ajouter une exclusion moins tangible mais tout aussi importante, à savoir sa dimension communautaire. Car la frontière n'est pas qu'une ligne de démarcation entre les territoires d'entités souveraines, elle indique également où court le tracé de l'appartenance politique de tout un chacun. Elle décide de qui fait partie du peuple d'un État et de qui est rejeté au dehors de ce cercle.8 Dès lors, pour prendre la mesure de l'ampleur de l'exclusion à laquelle la frontière procède au niveau européen, il faut également considérer deux autres chiffres : d'une part, les 18 millions des résidents extra-communautaires qui ne jouissent pas de l'intégralité des droits attachés à la citoyenneté (soit approximativement 4% de la population résidant sur le territoire de l'UE) et, d'autre part, les quelques 4,5 millions des résidents contraints de vivre dans la clandestinité du fait de l'irrégularité de leur statut (une estimation à considérer avec circonspection puisqu'elle est, par définition, difficile à établir).9 Par conséquent, il n'est même pas besoin de souligner que les contrôles migratoires pratiqués à la frontière produisent des résultats médiocres, et échouent à remplir les objectifs qu'ils se fixent10, pour affirmer que cette dernière est le lieu d'un malaise démocratique. Il ne s'agit pas d'instrumentaliser la détresse pour inciter à traiter la question sur un registre émotionnel (qui prêterait vite le flanc à la démagogie) mais de souligner qu'un second paradoxe vient se surimposer à notre première problématisation : ce qui frappe dans

7 Voir Blanchard, Emmanuel ; Clochard, Olivier ; Rodier, Claire, « Compter les morts en migration » dans Clochard, Olivier (dir.), Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, en collaboration avec Migreurop, Armand Colin, Paris, 2012. Pour un récit détaillé des dangers et des obstacles que rencontrent les migrants subsahariens dans leurs traversées successives du Sahara puis de la Méditerranée, on pourra se reporter au récit de Fabrizio Gatti, un journaliste italien qui s'est fait passer pendant des mois pour un clandestin africain et qui a parcouru toute la route migratoire au côté des candidats à l'immigration en Europe, cf. Gatti, Fabrizio, Bilal sur la route des clandestins, trad. Defromont, Jean-Luc, Liana Levi, Paris, 2008.

8 Même si cela peut éventuellement en être la conséquence fâcheuse, cette frontière ne se présente pas immédiatement sous la forme d'une marginalisation de groupes jugés déviants, c'est-à-dire d'une division hiérarchisée de l'espace social entre majorité et minorités, à l'image de celle qu'on trouve exposée dans Becker, Howard S., Outsiders.

Studies in the Sociology of Deviance, The Free Press, New York, 1963. Il s'agit plutôt d'une frontière institutionnelle qui exclut certains résidents de l'appartenance de la citoyenneté, autrement dit de la participation pleine et entière à la vie de l'État, cf. Joppke, Christian, Citizenship and Immigration, Polity Press, Cambridge, 2010. Le plus souvent, le statut de citoyen est conditionné par l'appartenance nationale, selon des modèles qui ont varié au gré des époques mais aussi selon les conceptions de la nation, cf. Brubaker, Rogers, Citizenship and Nationhood in France and Germany, Harvard University Press, Cambridge (Massachussetts), 1992. Néanmoins, l'invention récente d'une citoyenneté européenne semble avoir enfoncé un coin dans l'équation de la citoyenneté et de la nationalité, dans la mesure où elle reconnaît aux migrants communautaires un droit de participation politique identique à celui des nationaux. Il faut cependant nuancer de suite ce propos en constatant que, par ailleurs, la citoyenneté européenne dérive de l'appartenance nationale à l'un des États-membres et qu'elle exclut donc de son cercle l'ensemble des migrants extra-communautaires. La relativisation de l'équation reste donc fort modeste, et l'on pourrait même être amené à se demander si les effets de cette citoyenneté partiellement transnationale ne concourront pas au renforcement du critère national, Wihtol de Wenden, Catherine, La citoyenneté européenne, coll. « La bibliothèque du citoyen », Les Presses de Sciences Po, Paris, 1997.

9 Commission Européenne, Direction Générale de la communication, Bruxelles, « Une chance et un défi.

L'immigration dans l'Union Européenne », 2009, p.3. URL :http://ec.europa.eu/publications/booklets/move/81/fr.pdf 10 Un constat assez largement partagé. Dans le meilleur des cas, les contrôles déplacent les flux migratoires mais

jamais ils ne les stoppent, ni même ne les jugulent, voir Lochak, Danièle, Face aux migrants : État de droit ou état de siège ?, entretien mené par Bertrand Richard, Textuel, Paris, 2007 ou Bigo, Didier, « Sécurité et immigration : vers une gouvernementalité par l'inquiétude ? », Cultures et conflits, Vol. 31-32, dossier « Sécurité et immigration », 1998, pp. 13-38 ou encore Rodier, Claire, Xénophobie Business. À quoi servent les contrôles migratoires ?, coll.

« Cahiers libres », La Découverte, Paris, 2012.

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l'observation empirique de la frontière est bien plus la force de sa dimension répressive que sa fragilité intrinsèque.

Puissance et fragilité. Invitation et exclusion. La frontière est donc loin d'être un objet univoque. Faut-il pour autant en conclure à un éclatement de notre problématique ? Y aurait-il une frontière symbolique, tentatrice mais potentiellement funeste, et une frontière concrète, aussi exclusive que répressive, dont les camps de rétention seraient l'emblème ?11 Une première façon d'éviter que n'explose la cohérence de notre problématisation de la frontière serait d'affirmer que, sous leur tension apparente, ces deux aspects se complètent plus qu'ils ne se contredisent. Ne décèle-t-on pas, dans les deux cas de figure, la même manipulation ingénieuse, voire la même perversité, dans le chef de la frontière ? Aldo et les migrants subsahariens ne seraient-ils pas victimes d'une illusion comparable lorsqu'ils s'élancent à la mer sur la base d'une tentation et d'un espoir qui ressemblent fort à un piège ? Comme on le verra plus loin dans cette thèse, Jacques Derrida prête volontiers à l'hospitalité – contrepartie nécessaire de la frontière – ce genre de manœuvres retorses.12 Mais, pour être honnête, cette interprétation ne nous convainc guère. Elle est trop prompte à confondre les deux dimensions de la frontière dans le schème d'une préméditation, voire d'une conspiration, dont on voit mal qui pourrait l'ourdir.

En revanche, il nous semble bien plus prometteur de chercher à restaurer la cohésion de la problématique de la frontière en la séquençant. Celle-ci se jouerait alors à deux niveaux différents.

D'une part, sa contradiction originaire serait intrinsèque et donc aussi intemporelle qu'indépassable.

Le jeu de l'interdit et de sa transgression, de l'inconnu et de son exploration transcenderait les époques et les contextes pour sans cesse relancer l'interrogation de la légitimité de la frontière. Ceci s'accorderait sans difficulté avec l'accumulation de preuves empiriques qui indiquent que la migration est un phénomène historique de longue, voire de très longue durée.13 En revanche, la

11 Il existe une large littérature qui s'effraie du retour en Europe de la forme des « camps » alors même qu'il semblait acquis que, après Auschwitz, sa réhabilitation était inconcevable. Pour un aperçu des débats théoriques à ce sujet, voir Caloz-Tschopp, Marie-Claire, Les étrangers aux frontières de l'Europe et le spectre des camps, La Dispute, Paris, 2004 et Le Cour Grandmaison, Olivier ; Lhuilier, Gilles ; Valluy, Jérôme (dir.), Le retour des camps ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo..., coll. « Autrement Frontières », dir. Dougier, Henry, Autrement, Paris, 2007.

Pour une observation fouillée d'un des lieux les plus emblématiques de la forme camp, voir Blanchard, Emmanuel ; Wender, Anne-Sophie (dir.), Guerre aux migrants. Le livre noir de Ceuta et Melilla, Syllepses, Paris, 2007. Pour une étude spécifique du cas belge, cf. Bietlot, Matthieu, « Le camp, révélateur d'une logique inquiétante de l'étranger », Cultures et conflits, n°57, 2005.

12 Voir son commentaire de Klossowski dans Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l'hospitalité, Calmann- Levy, Paris, 1997.

13 Pour l'époque moderne, voir notamment Sassen, Saskia, Guests and Aliens, The New Press, New York, 1999, et Noiriel, Gérard, État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Bélin, Paris, 2001. Il est particulièrement intéressant de voir que les questions que soulève la frontière aujourd'hui étaient déjà connues de formations sociales aussi distinctes de la nôtre que l'Empire romain, cf. Barbero, Alessandro, Barbares. Immigrés, réfugiés et déportés dans l'Empire romain, trad. Buffaria, Pérette-Cécile, coll. « Texto », dir. Zylberstein, Jean-Claude, Tallandier, Paris, 2011.

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contradiction subséquente entre la légitimité friable de la frontière et sa puissance répressive ne trouverait à se développer qu'au sein d'un contexte déterminé : la démocratie libérale. Car, d'un point de vue normatif, la démocratie libérale est affectée d'une singularité que ne partage nul autre régime politique. Idéalement, elle devrait toujours être tenue de justifier le recours à la coercition auprès des personnes sur qui elle l'emploie14, une obligation dont ne s'encombrent guère les régimes autoritaire ou totalitaire. Mais cet impératif mène à une conséquence quelque peu contre-intuitive.

En bonne logique, cette obligation de justification semble impliquer que la frontière démocratique entame un dialogue public avec les migrants qu'elle contrôle. Mais ne serait-ce pas déjà faire rentrer ces derniers dans le cercle de la délibération démocratique ? La frontière convierait-elle paradoxalement les étrangers à participer aux tribulations du demos ?15

Limites de la communauté démocratique et universalité des droits

Comme l'a exposé avec force et minutie Seyla Benhabib, il ne faut pas s'étonner de cette tension conceptuelle. Il appartient à la logique de la démocratie libérale que la contradiction fondamentale de la frontière devienne plus aigüe que jamais.16 Car, selon ses mots : « D'un point de vue philosophique, les migrations transnationales révèlent le dilemme constitutif logé au cœur des démocraties libérales : entre les revendications souveraines à l'autodétermination d'une part, et la reconnaissance du principe de droits humains universaux d'autre part. »17 Bien qu'elle ne partage pas les mêmes présupposés théoriques, Chantal Mouffe corrobore largement cette interprétation d'une tension inscrite au plus profond du régime de la démocratie libérale qui rejaillirait violemment sur la question de la frontière. Selon elle :

« En remettant constamment en cause les relations d'inclusion et d'exclusion impliquée dans la constitution politique du ''peuple'' – requise pour l'exercice de la démocratie – le discours libéral des droits humains universaux joue un rôle important dans la perpétuation de la contestation démocratique. Par ailleurs, c'est uniquement grâce à la logique démocratique de l'équivalence que les frontières peuvent être créées et un demos établi, sans quoi aucun exercice réel des droits ne pourrait être envisageable. »18

14 Abizadeh, Arash, « Closed Borders, Human Rights, and Democratic Legitimation » dans Hollenbach, Ed ; Washington, David, Driven From Home. Human Rights and the New Realities of Forced Migration, Georgetown University Press, Washington DC, 2010.

15 Une position défendue avec brio dans Abizadeh, Arash, « Democratic Theory and Border Coercion. No Right to Unilaterally Control Your Own Borders », Political Theory, Vol.36, n°1, 2008, pp. 37-65.

16 Les éléments principaux de cette réflexion se trouvent dans Benhabib, Seyla, The Right of Others. Aliens, Residents and Citizens, Cambridge University Press, Cambridge, 2004 et dans Benhabib, Seyla, Another Cosmoplitanism, coll.

« The Berkeley Tanner Lectures », Post, Robert ; Scheffler, Samuel (dir.), Oxford University Press, Oxford, 2008.

17 Benhabib, Seyla, The Right of Others. Aliens, Residents and Citizens, op. cit., p. 2. (Notre traduction)

18 Mouffe, Chantal, The Democratic Paradox, coll. « Radical Thinkers », Verso, Londres, 2005, p. 10. (Notre

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Dans des termes un peu plus analytiques, cela signifie deux choses. D'une part, la contradiction déjà évoquée entre la fragilité de la légitimité de la frontière et sa fonction répressive ne doit pas nécessairement se conclure par la condamnation unilatérale de l'exclusion, car la démocratie ne peut se passer d'une délimitation. La délibération publique a pour pré-condition nécessaire la circonscription des participants au dialogue. Conséquemment, une exclusion démocratique légitime se doit d'être concevable.19 Mais, d'autre part, cette exclusion ne peut ignorer l'horizon d'universalité que dégagent les droits humains fondamentaux. Le critère d'inclusion démocratique ne peut donc se soustraire à sa contestation.

Cet exposé de la tension démocratique appelle une courte remarque bibliographique. On pourrait, à très juste titre, rester sceptique devant le choix de nos références. La formulation la plus aboutie de cette tension entre autodétermination et normes universelles ne se trouve-t-elle pas dans le grand ouvrage politique d'Habermas, Droit et démocratie ?20 Si on ne s'y réfère pas de façon privilégiée dans cette introduction, c'est essentiellement parce que Habermas s'y efforce de souligner la complémentarité des deux principes qui fondent la démocratie libérale, tentant de restaurer l'unité et la cohérence d'un régime politique que ses critiques, de gauche comme de droite21, jugent dysfonctionnel car antinomique et donc irrémédiablement voué à une impuissance délétère. Or, ce qui nous intéresse, c'est d'observer comment ce conflit de principes peut, autour de l'enjeu institutionnel de la frontière, se travailler, s'articuler, se déplacer ou se tordre sans que ne se tarisse pour autant sa contradiction. Il ne s'agit donc ni de le pacifier, ni d'éteindre la conflictualité qui en découle mais de réfléchir la démocratie libérale depuis l'inconfort de cette difficulté. Le cas- limite de la frontière devient pour nous le ressort d'une injonction permanente à la conceptualisation critique de la démocratie. Dès lors, loin de vouloir domestiquer l'âpre tension de la frontière, on choisit délibérément de partir du point de vue selon lequel, indispensable mais en porte-à-faux avec l'universalisme libéral, la fonction de contrôle et donc in fine d'expulsion de la frontière (il serait mensonger d'essayer de faire croire que ces pratiques n'appartiennent pas à un même continuum et que l'une ne s'accompagne pas nécessairement de l'autre) n'échappera jamais complètement à la critique d'une violation du principe d'égalité morale de tous les individus.22

traduction)

19 Taylor, Charles, « The Dynamics of Democratic Exclusion », Journal of Democracy, Vol.9, n°4, 1998, pp. 143-56.

20 Habermas, Jürgen, Droit et démocratie. Entre faits et normes, trad. Rochlitz, Rainer et Bouchindhomme, Christian, coll. « NRF essais », Gallimard, Paris, 1997.

21 Voir notamment, pour la gauche, Badiou, Alain, « L'emblème démocratique », dans Démocratie, dans quel état ?, La Fabrique, Paris, 2009, pp. 15-25 et dans le même volume, Zizek, Slavoj, « De la démocratie à la violence divine », pp. 123-48. Pour ce qui est de la droite, cf. Schmitt, Carl, La notion de politique - Théorie du partisan, trad.

Steinhauser, Marie-Louise, préface de Freund, Julien, coll. « Champs classiques », Flammarion, Paris, 1992 (1932).

22 On retrouvera dans une grande pureté schématique cette opposition conceptuelle dans le livre, conçu sous la forme d'un débat, qui confronte Welmann et Cole autour de la question de l'éthique de l'immigration. Alors que le premier estime que le droit d'exclure est la conséquence logique d'un droit d'association fondamental, le second juge que

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Pour finir, une dernière remarque conjoncturelle s'impose. La problématique de la frontière n'est pas rendue plus aigüe et plus sensible par sa seule inscription dans le régime de la démocratie libérale. Un second facteur contextuel explique sa prégnance dans le débat contemporain : la mondialisation. Ainsi que l'a patiemment reconstitué Saskia Sassen dans une perspective historique de longue durée, on assiste aujourd'hui à la conclusion d'un mouvement politico-institutionnel d'envergure qui aura, dans un premier temps, intégré les rapports entre territoire, autorité et droits selon une logique fonctionnelle et cohérente au sein de l’État-nation pour ensuite les déconstruire progressivement sous la pression d'une réorganisation des centres de pouvoir.23 De sorte que, aujourd'hui, on est confronté à une recomposition entièrement nouvelle des liens entre territoire et droits ou entre territoire et autorité au sein d'une formation sociale globalisée, dont l’État-nation n'est pas absent mais dans laquelle il joue un rôle nettement minoré par rapport au marché. Or, pour le dire avec Zygmunt Bauman, cette mondialisation entraîne à sa suite nombre d'effets sociaux importants, parmi lesquels un regrettable « coût humain ».24 Pour mesurer pleinement celui-ci, il faut faire droit à la dualité paradoxale de la mondialisation. En effet, le mouvement de globalisation des relations sociales tend, d'un côté, à « déterritorialiser » l'appartenance politique.25 C'est son aspect le plus connu et le mieux documenté. Sous l'impulsion d'une libéralisation des marchés et du développement des communications, le territoire peine alors de plus en plus à assumer son rôle institutionnel de régulation des appartenances. Alors qu'auparavant l'affiliation communautaire et la résidence territoriale se superposaient harmonieusement, aujourd'hui la déconnexion entre l'allégeance politique et le lieu de vie est un cas de figure commun.26 Pour le dire d'un trait, nous vivons désormais dans un monde « post-westphalien ».27 D'un autre côté, comme l'affirme Bauman,

l'exclusion viole par avance l'impartialité dans le traitement des participants potentiels à l'association et corrompt donc irrémédiablement celle-ci, cf. Cole, Phillip ; Wellman, Christopher Heath, Debating the Ethics of Immigration.

Is There a Right to Exclude ?, coll. « Debating Ethics », dir. Wellman, Christopher Heath, Oxford University Press, New York, 2011.

23 Sassen, Saskia, Territory, authority, rights. From Medieval to Global Assemblages, édition augmentée, Princeton University Press, Princeton, 2008.

24 Bauman, Zygmunt, Le coût humain de la mondialisation, trad. Abensour, Alexandre, coll. « Pluriel », dir. Liébert, Georges ; Roman, Joël, Fayard, Paris, 2010 (1998). Le même auteur revient sur cette question du coût humain de la mondialisation, supporté selon lui prioritairement par les migrants, dans un second ouvrage où il étaye les formulations du premier, cf. Bauman, Zygmunt, Wasted Lives. Modernity and its Outcasts, Polity Press, Cambridge, 2004.

25 « [...] la territorialité est devenue une délimitation anachronique des fonctions matérielles et des identités culturelles, et pourtant, même face au constat d'échec du concept traditionnel de souveraineté, le monopole sur le territoire continue à s'exercer sous la forme des politiques d'immigration et des politiques d'attribution de la citoyenneté. », cf. Seyla, The Right of Others. Aliens, Residents and Citizens, op. cit., p. 5. (Notre traduction) Il s'agit donc ici de la déterritorialisation dans le sens le plus pragmatique du terme, celui d'une déconnexion entre le territoire et son rôle institutionnel, et non de la déterritorialisation chargée de connotations normatives que l'on trouve dans Deleuze, Gilles ; Guattari, Félix, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, coll. « Critique », Les Éditions de Minuit, Paris, 1980.

26 Benhabib, Seyla ; Shapiro, Ian (dir.), Identities, Allegiances and Affiliations, Cambridge University Press, Cambridge, 2007.

27 Selon l'expression du libertarien Buchanan, Allen, « Rawl's Law of Peoples. Rules for a Vanished Westphalian World », Ethics, Vol. 110, n°4, 2000, pp. 697-721. Sur l'obsolence du principe de souveraineté territoriale, voir

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non sans une pointe de provocation : « Une partie importante des processus de la mondialisation n'est autre que la ségrégation, la séparation et l'exclusion progressives de l'espace. »28 L'envers de la médaille du processus d'unification économico-politique du monde, c'est un mouvement de division sécuritaire de l'espace qui assigne à résidence les populations les plus démunies de la planète tandis qu'elle garantit une absolue liberté de circulation aux élites. Pour une grande partie de l'humanité, la mondialisation est d'abord synonyme de relocalisation, voire de condamnation à un enfermement territorial.29 La mondialisation est donc loin d'être un processus uniforme et univoque de globalisation des relations sociales. À nouveau, la frontière se retrouve intriquée au cœur d'un délicat antagonisme politique. D'une part, elle doit s'effacer devant la revendication d'une liberté de mouvement envisagée de façon croissante comme l'un des biens primordiaux de la modernité et d'autre part, elle doit être plus intransigeante que jamais à l'égard des prisonniers du local. En somme, selon la métaphore de Bauman, on presse la frontière de réaliser un véritable tour de force : aguicher le touriste tout en repoussant le vagabond.30 Autant dire que cette asymétrie de traitement peine à masquer l'injustice qu'elle recèle et qu'elle ravive en conséquence la contradiction normative qui affecte l'institution frontalière.

Un exercice de philosophie politique appliquée

La tension normative autour de la frontière est, on le voit, très vive et suscite nombre de questions difficiles aux dimensions à la fois pratique et théorique : la frontière se départira-t-elle jamais de la fragilité de sa légitimité ? Le contrôle unilatéral des frontières est-il justifié d'un point de vue démocratique du seul fait qu'il relève de l'exercice de la souveraineté populaire entendue comme contrôle d'un territoire par un peuple circonscrit ? Ou bien la théorie démocratique doit-elle inclure dans l'élaboration d'un régime frontalier tous ceux qui, membres ou non-membres de la communauté politique, sont affectés par le mode de contrôle adopté ? La démocratie libérale dispose-t-elle d'un jeu de critères capable de définir la forme que doit prendre une exclusion légitime ? Ou doit-elle renoncer à la poursuite d'un canon invariant et se résoudre à traiter les demandes d'admission au cas par cas ? S'il nous semble illusoire, pour toutes les raisons que l'on vient d'énoncer, d'espérer clôturer définitivement ces questions, cette thèse de doctorat a néanmoins

également Krasner, Stephen D., Sovereignty. Organized Hypocrisy, Princeton University Press, Princeton, 1999.

28 Bauman, Zygmunt, Le coût humain de la mondialisation, op. cit., p. 10.

29 Qui peut aller jusqu'à l'édification de barrières physiques. Voir l'étude du cas-limite de la sécurisation de la ségrégation spatiale, Brown, Wendy, Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, trad.

Vieillescazes, Nicolas, coll. « Penser/croiser », dir. Cusset, François et Toulouse, Rémy, Les prairies ordinaires, Paris, 2009.

30 Voir le chapitre IV « Touristes et vagabonds » dans Bauman, Zygmunt, Le coût humain de la mondialisation, op.

cit., pp. 119-55.

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pour ambition de contribuer, d'une part, à en éclaircir les lignes de force et les enjeux et, d'autre part, d'esquisser à travers le commentaire de quelques auteurs les pistes d'une réponse théorique possible.

Cependant, avant de pouvoir rentrer dans le vif de notre sujet, il apparaît nécessaire de préciser deux éléments de notre recherche. Tout d'abord, le bref exposé de notre problématique soulève une question légitime : au fond, de quelles frontières parle-t-on ? S'agit-il d'aborder la frontière dans l'abstraction de son principe, comme un pur concept ou comme l'illustration schématique de sa fonction, ou se réfère-t-on à un objet empirique déterminé, dans toute l'épaisseur de son existence concrète et de sa présence institutionnelle ? Et dans ce cas, quelle est la nature de ce référent ? Répondre à ces questions implique de dire quelques mots préalables sur l'orientation méthodologique qui domine cette recherche. Cette thèse s’inscrit dans la lignée de la théorie politique dite « appliquée », telle qu’elle a été défendue notamment par Marc Stears.31 Cet auteur trace une voie médiane entre, d’une part, un courant de théorie politique qui, sous l’influence de la philosophie analytique, entend maintenir une cloison étanche entre l’ordre des « faits » et celui des

« principes »32 et, d’autre part, un courant de pensée pour qui la théorie politique n’aurait pour objet que de donner une expression articulée à des concepts toujours déjà inclus dans les pratiques d’une communauté particulière.33 Par contraste, les études de théorie politique appliquée devraient idéalement combiner l’identification des principes « ultimes » qui guident notre réflexion sur le politique et une interrogation sur l’écart entre concept politique et expérience politique. À l'image de cette introduction, qui distingue entre problématiques fondamentale et contextuelle de la frontière, nous avons cherché à construire notre démarche de recherche le long de ces lignes.

Partant du postulat qu'il existe une problématique indépendante, c'est-à-dire purement conceptuelle, de la frontière et que cette dernière autorise une réflexion sur les principes fondamentaux de son fonctionnement qui ne se réduise pas à la formulation systématique des discours et des pratiques propres à notre communauté politique, on fera néanmoins des frontières extérieures de l'Union Européenne l'arrière-plan empirique de notre démarche, le contrepoint permettant de mesurer la distance qui sépare la théorie de la pratique politique quotidienne. Bien que les frontières européennes n'apparaissent que par intermittence dans le développement de notre réflexion, elles en seront en permanence l'ombre portée. La réflexion évoluera alors dans une mise en regard de ces deux niveaux, entre l'étude d'une frontière que l'on pourrait qualifier de « transcendantale » au sens

31 Stears, Marc, « The Vocation of Political Theory. Principles, Empirical Enquiry and the Politics of Opportunity », European Journal of Political Theory, vol. 4, n°4, 2005, pp. 325-350 et Léopold, David ; Stears, Marc (dir.), Political Theory. Methods and approaches, Oxford University Press, Oxford, 2008.

32 Cohen, G.A., « Facts and Principles », Philosophy and Public Affairs, vol. 31, n°3, 2003, pp. 211-45 et McDermott, Daniel, « Analytitcal political philosophy », dans Léopold, David ; Stears, Marc (dir.), Political Theory. Methods and approaches, Oxford University Press, Oxford, 2008, pp. 11-28.

33 MacIntyre, Alasdair, Whose Justice ? Which Rationality ?, Duckworth, Londres, 1988.

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où l'entendait Kant, c'est-à-dire qui ne se donne pas dans l'expérience mais se pose a priori et une frontière européenne contextualisée et restituée dans toute l'épaisseur de ses contradictions normatives et pragmatiques.

Le choix des frontières européennes comme référent empirique n'est ni le fruit du hasard, ni la conséquence d'un européo-centrisme inavoué. Si on a opté pour l'Europe comme terrain d'étude, c'est parce qu'il nous semble incontestable que les frontières y ont plus vacillé que nulle part ailleurs sur les cinquante dernières années et que, ce faisant, elles auront laissé entrevoir, sous le voile d'évidence dont s'entourent leur présence et leur pratique routinière, une grande incertitude quant à leur rôle et leur fonctionnement.34 Du fait de l'intégration institutionnelle supranationale, les contradictions qui affectent le concept même de frontière en Europe sont devenues tangibles. Non seulement l'Europe s'interroge sur ses frontières, c'est-à-dire sur son bord géographique et sur son identité (c'est la question de l'entrée de la Turquie, mais aussi de la Russie et plus généralement de tout le pourtour Sud de la Méditerranée dans l'Union)35, mais l'Europe est également taraudée par la question du devenir contradictoire de la frontière dans son espace. Le discours officiel de la Commission Européenne, qui se caractérise le plus souvent par un surprenant mélange de déni de la dimension répressive de la frontière et de revendication de l'efficacité du contrôle de l'immigration clandestine36, reflète finalement assez bien l'ambivalence d'une disparition des frontières intérieures de l'Union Européenne qui se paie en retour de la fermeture de ses frontières extérieures.

Introduction d'une politique restrictive des visas lors des accords de Schengen37, création d'une administration indépendante en charge de la surveillance des frontières (l'agence Frontex, dont le budget connaît une croissance exponentielle)38, développement d'une « diplomatie migratoire » qui vise à externaliser auprès des pays du pourtour de l'espace européen la rétention des flux de personnes39, exclusion des migrants extra-communautaires de la citoyenneté européenne40, la liste

34 Perceptible, notamment, dans ce recueil d'articles : Barnavi, Eli ; Goossens, Paul (dir.), Les frontières de l'Europe, De Boeck et Larcier, Bruxelles, 2001.

35 Brague, Rémy, (et al.), L'Europe, quelles frontières ?, Cultures France, Paris, 2007.

36 À titre d'exemple, il est intéressant de lire ces documents d'information produits par l'organe de communication de l'UE : Commission Européenne, Direction Générale de la communication, « Une chance et un défi. L'immigration dans l'Union Européenne », Bruxelles, 2009, p. 3. URL : http://ec.europa.eu/publications/booklets/move/81/fr.pdf Pour une étude approfondie de la mobilisation des politiques migratoires dans la construction discursive de la légitimité de l'ordre politique européen, cf. Duez, Denis, L'Union Européenne et l'immigration clandestine. De la sécurité intérieure à la construction de la communauté politique, Éditions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 2008.

37 Bigo, Didier ; Guild, Elspeth, La mise à l'écart des étrangers. La logique du Visa Schengen, coll. « Cultures et conflits », dir. Bigo, Didier, L'Harmattan, Paris, 2003.

38 Rodier, Claire, Xénophobie Business. À quoi servent les contrôles migratoires ?, op. cit., pp. 152-68.

39 Wihtol de Wenden, Catherine, La question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, coll. « Mondes », dir. Colonomos, Ariel ; Bucaille, Laetitia, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2010, pp. 175-235.

40 Ghemmaz, Malika, « La citoyenneté de l'Union européenne : la résurgence des frontières » dans Deshayes, Jean- Luc ; Francfort, Didier (dir.), Du barbelé au pointillé : les frontières au regard des sciences humaines et sociales, Presses Universitaires de Nancy, Nancy, 2010, pp. 159-74.

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est longue des mesures qui témoignent de la volonté de fermer la porte européenne aux nouveaux venus. En dépit de ce constat, nous ne tenons pas à prendre pour argent comptant la thèse fort répandue d'une Europe irrémédiablement devenue « forteresse ». Car la sévérité d'un tel jugement implique qu'il ne reste rien à dire ou à penser de la frontière européenne qui ne s'inscrive d'emblée dans le registre de la dénonciation et de la condamnation morale. Abolissant le recul critique, l'antienne de l'Europe forteresse masque également la nouveauté introduite par les frontières européennes, car elle postule la reproduction pure et simple des formes les plus conservatrices de la frontière nationale à l'échelle continentale alors que c'est manifestement plus d'une recomposition institutionnelle originale qu'il est question. Pour ces raisons, nous préférerons partir des ambigüités, multiples et profondes, qui affectent la frontière en Europe pour alimenter notre réflexion théorique et lui fournir le matériel d'une interrogation circonstanciée.

Un plan en trois parties

Pour ce faire, cette thèse se déploiera en trois parties, qui participent toutes d'une interrogation générale sur la contradiction normative qui se noue à la frontière entre le principe démocratique de l'autodétermination collective du demos et l'universalité libérale de droits subjectifs fondamentaux. Ce fil rouge sera cependant décliné selon trois volets recélant chacun leurs propres enjeux. Dans la première partie, nous chercherons à dresser une typologie des conceptualisations du nœud normatif qui se joue autour de la question du contrôle démocratique des frontières. Observant comment des auteurs de théorie politique articulent l'universalité de la loi et le particularisme de la décision collective, nous élaborerons l'idéal-type de quatre positions théoriques possibles, avec tous les avantages mais également toutes les limites qu'implique un tel exercice de schématisation. Nous nous efforcerons de dresser le portrait de différentes « familles » d'auteurs que ne rapproche le plus souvent qu'un positionnement théorique partagé sur la question de la frontière.

Ce faisant, nous mettrons au jour les chaînes argumentatives qui constituent le sous-bassement commun de chacune de ces positions. Si cette typologie ne prétend nullement être exhaustive, on espère qu'elle permettra de clarifier et d'ordonner le paysage conceptuel d'ensemble ainsi que les enjeux qui entourent la problématique du contrôle des frontières.

Rompant avec la description axiologiquement neutre de ces quatre écoles de pensée, nous motiverons par la suite l'inscription de notre travail dans la continuité de l'une d'entre elles, baptisée l'école de la « co-originarité » suivant la terminologie de Habermas. Schématiquement, celle-ci postule qu'il est dommageable de chercher à établir un ordre de préséance entre droits subjectifs

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fondamentaux et autodétermination souveraine car ces deux sources de légitimité ne peuvent fonder ce régime politique qu'en association. Dans cette seconde partie, nous marcherons alors sur les traces de Kant, puis de Derrida, pour réfléchir, depuis le postulat habermassien, aux potentialités dont est riche la thématique d'un droit à l'hospitalité qui régulerait le contrôle des frontières. Dans un premier temps, nous suivrons la reconstruction systématique du rôle du droit à l'hospitalité dans le Projet de paix perpétuelle telle qu'elle a été élaborée par Stéphane Chauvier pour ensuite nous en écarter quelque peu sur la question de la distinction analytique nette à tracer entre droit de visite et droit de résidence. Nous chercherons à démontrer que si la lettre du texte kantien penche sensiblement dans le sens d'une séparation étanche entre un droit inconditionnel de visite et l'octroi de la résidence sous la forme d'une faveur souveraine, cela n'interdit pas pour autant de supposer que le cosmopolitisme que Kant visait serait mieux servi par un effacement progressif de cette séparation et la reconnaissance graduelle d'un droit inconditionnel de résidence. Dans un deuxième temps, nous nous interrogerons, par le biais d'un commentaire des textes de Derrida consacrés à l'hospitalité, sur les apories intrinsèques d'une inconditionnalité de l’accueil. Si l'hospitalité ne peut exister que sur un mode hyperbolique, si l'hospitalité n'a de sens que quand elle est synonyme d'ouverture sans restriction, elle semble alors être aussi irréalisable qu'elle est nécessaire. Nous justifierons en quoi ce dilemme ne peut à nos yeux être résolu dans les termes selon lesquels il est posé. Sous la plume de Derrida, l'hospitalité représente un problème insoluble car essentiellement moral. Sans prétendre en finir avec la question, nous aimerions cependant suggérer qu'en la déplaçant sur le terrain de la politique, on ouvre également la possibilité de réponses originales à ce paradoxe.

Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous poursuivrons notre exploration de la frontière en cherchant à mettre en évidence le rôle pivot qu'elle joue dans l'agencement d'ensemble de la pensée d’Étienne Balibar. Ce dernier présente, à nos yeux, l'intérêt d'avoir cherché à conceptualiser le contrôle des frontières démocratiques en tentant de tenir ensemble deux exigences pourtant contradictoires. S'il ne nie pas le caractère intrinsèquement politique de l'hospitalité, il refuse pour autant de céder sur son inconditionnalité. Les efforts qu'il déploie pour venir à bout de ce dilemme ont donné lieu à une pensée novatrice du politique dans laquelle il nous a semblé important de retracer le rôle central joué par le concept de frontière.

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