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Le système économique et financier islamique: Alternative ou appui au capitalisme? pp. 39-57.

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LE SYSTÈME ÉCONOMIQUE ET FINANCIER ISLAMIQUE:

ALTERNATIVE OU APPUI AU CAPITALISME?

CAMARA MORITIÉ Enseignant-Chercheur

Département d’histoire Université de Bouaké.

Email : cantincharles@yahoo.fr

Contacts : 22.50.58.69/ 05.58.36.11/02.61.12.89

INTRODUCTION

Ces dernières décennies, les crises économiques et financières, tout en amplifiant les inégalités sociales, ont fait de la refonte du système économique international la condition sine qua non de l’aplanissement des injustices sociales à l’échelle du monde.

Au nombre des partisans de cette thèse, les organisations de la société civile. Elles s’interrogent sur les finalités et les modalités de la politique économique internationale telles que définies et menées par les institutions de Bretton Woods et surtout les conséquences de la mondialisation. Laquelle a transformé la planète en un vaste marché de consommation ; un marché qui ne fait pas grand cas de l’éthique et de la justice sociale. Ces altermondialistes, qui s’expriment parfois de manière violente à chaque rendez-vous des tenants des rênes de l’économie mondiale, revendiquent que l’on fasse de l’homme la fin et pas seulement l’instrument des performances économiques. Ils ne sont pas les seuls à réclamer cette justice sociale à l’échelle du monde. Les islamistes1, pour des raisons sensiblement différentes, mais dans le même but, prônent eux, depuis le milieu du XXème siècle, la promotion d’une économie ayant pour seule préoccupation la justice et la solidarité. Bien avant déjà, ils avaient exprimé à plusieurs reprises leur insatisfaction à propos de l’arrivée du capitalisme dans les pays musulmans. Différentes expertises (Fatwa) ont été publiées pour défaut de compatibilité entre les activités qui s’appuient sur le système d’intérêt des banques des

«colonisateurs» et la Charia2. La doctrine économique que prône l’Islam se distingue nettement des autres par son cadre religieux général. La religion étant le point d’ancrage de tous les phénomènes de la vie en Islam.

Se basant sur les préceptes du Coran et la sunna du prophète Mahomet, les savants musulmans ont déterminé des principes d’un système économique équitable, juste et solidaire. Dans les années 1970, avec la montée en puissance des organisations islamistes et le boom pétrolier, ces préceptes sont mis en pratique dans plusieurs pays et les premières banques islamiques voient le jour. Un quart de siècle plus tard,

1 Il faut les différencier des musulmans ordinaires en ce qu’ils ne sont pas de simples adeptes de l’Islam, mais des militants qui ont une lecture rigoureuse du Coran et qui oeuvrent pour la transformation de toutes les nations de la terre selon les principes de l’Islam

2 Spencer Delane, «L’islam peut-il aider le système financier occidental?», Vita e Pensiero, avril 2009. P. 12

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l’économie islamique a pris de l’ampleur, devenant de plus en plus incontournable au niveau international, notamment grâce à une profusion de portefeuilles d’exportateurs de pétrole et une multiplication d’instruments financiers. Ainsi, sans grand bruit, une quantité importante d’argent sans cesse croissante est gérée aujourd’hui conformément à la loi islamique, la charia. Selon une étude de «The Islamic Financial Services Board»

(IFSB), à la fin 2008, plus de 300 institutions dans plus de 70 pays géraient des actifs d’une valeur globale de l’ordre de 500 billions de dollars d’une manière compatible avec la charia3.

Qu’est-ce qui différencie fondamentalement le système prôné par les Islamistes du capitalisme4 ? Et en quoi peut-il être une alternative au capitalisme ou au contraire permettre à ce système dominant de pallier certaines de ses insuffisances? Au moment où le débat sur la nécessaire réforme du système économique international est relancé avec la sévère crise économique et financière dont le monde sort à peine, il est opportun de l’enrichir avec la vision de l’économie solidaire et juste que défendent les islamistes comme une solution et une alternative au système capitaliste. Nous verrons ce qui différencie fondamentalement le système économique et financier islamique du capitalisme, analyserons ses principes de fonctionnement avant de dégager les éléments qui font son succès dans le microcosme économique mondial.

I- CONDAMNATION DU SYSTÈME CAPITALISTE

Avec l’émergence au début du 20ème siècle du mouvement de la renaissance arabe

«Nahad» et de l’Islamisme en Egypte avec les Frères musulmans5, on assiste à un rejet de l’Occident et de ses institutions dont le capitalisme. Cependant, il faut attendre le milieu des années 50 jusqu’à celui des années 70 dudit siècle pour voir des scientifiques en matière économique, des financiers, des savants de la Charia et autres intellectuels musulmans, notamment en Malaisie et dans la partie sud de l’Egypte, harmoniser leurs réflexions et se concentrer sur l’abolition possible de certains principes du capitalisme en terre d’Islam et la création d’institutions financières pouvant être régies par des principes alternatifs compatibles avec la Charia.

I-1 DÉNONCIATIONS DES PRINCIPES ET DE LA FINALITÉ DU CAPITALISME Selon le Professeur François Bilger de l’université Louis Pasteur de Strasbourg,

«née dans le giron de la philosophie politique et morale à la fin du XVIIIe siècle, la science économique n’a eu de cesse, en effet, de couper par la suite tous liens avec la philosophie et notamment avec l’éthique sociale pour se constituer en discipline se

3 Cf. Daniel Pipes, Jérusalem Post, 26 septembre 2007

4 Notre analyse va porter exclusivement sur le système capitaliste qui, depuis la révolution industrielle des XVIIe et XVIIIe siècles, a été le système dominant et à qui le monde actuel doit la structuration de son éco- nomie et de son système financier. Le socialisme avait certes une vision économique spécifique, mais il fut avant tout une idéologie politique plus qu’autre chose.

5 Le mouvement des frères musulmans fut crée en 1928 par un instituteur, Hassan Al-Banna dans le petit village de Damanhour avant d’être transféré au Caire d’où il rayonnera sur tout le monde arabe. Son en- seignement et son action politique, se situent dans la lignée de l’activisme prônée par Al-alghâni : le retour aux sources de l’islam doit permettre d’en restaurer la puissance envers et contre tous les courants intrus, notamment le marxisme. Le serment des adhérents à la secte des frères musulmans est : « Je m ‘engage envers Dieu, le très haut le très grand, à adhérer fermement au message des frères Musulmans, à combattre pou lui, à vivre selon les règles de ses membres, à avoir entière confiance dans son chef et à obéir totale- ment en toute circonstance heureuse ou malheureuse » in Anouar Abdel Malek, La Pensée politique Arabe Contemporaine, Paris, Seuil, 1970, p 71

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voulant rigoureusement scientifique et donc détachée de tout jugement de valeur… »6. Cet abandon de l’éthique dans les choix économiques qui n’a cessé d’être dénoncé, était mal inspiré. Car selon les convictions de l’un des pères de l’économie politique, Adam Smith, cela rend l’action économique inefficace, pour la raison fondamentale que la morale sociale est l’ensemble des règles non écrites qui assurent le bon fonctionnement de la société et en définitive de l’économie7.

Les insuffisances du capitalisme en matière de justice sociale n’échappent pas aux penseurs islamiques, au nombre desquels l’intellectuel Abul Ala Maududi (1903-1979), à l’origine de l’idée de la science économique islamique. Selon sa doctrine, cette science doit servir à minimiser les relations avec les non-musulmans, renforcer le sentiment collectif d’identité musulmane et étendre l’Islam dans un nouveau domaine de l’activité humaine en vue de moderniser le monde musulman sans l’occidentaliser. Les sciences économiques islamiques prennent leur essor en tant que discipline universitaire vers la moitié des années 1960 et vont bénéficier d’un élan institutionnel décisif pendant le boom pétrolier des années 1970.

L’Islam ne s’oppose donc à l’activité économique ; et le Coran, loin de la condamner, l’encourage plutôt. Le prophète Mahomet n’aurait-il pas affirmé : «si Dieu permettait aux habitants du paradis de faire du commerce, ils trafiqueraient de tissus et d’épices.»8 ? En plus, dans les principales cités musulmanes, le bazar est l’antichambre de la mosquée.

Pour les penseurs musulmans concernés par cette question, il ne s’agit pas de condamner l’activité économique en elle-même, mais de dénoncer ce qu’ils considèrent comme les travers du capitalisme en tant que système dominant le monde. Et cela du point de vue des prescriptions du saint Coran et de la Sunna du prophète Mahomet.

Le penseur arabe Ahmed Shaikh Mahmud, affirme avec conviction : « (…) nous devrons restructurer notre système économique sur la base des conseils clairs fournis par le Qur’an et la Sunna. Notre succès dans l’élaboration d’un modèle de mise en œuvre des principes islamiques sera notre plus beau présent à l’humanité, au seuil de ce nouveau siècle. J’espère que, si les principes d’économie islamique sont mis en œuvre sincèrement, le monde leur fera un meilleur accueil que celui que nous avons connu par le passé. »9. Cette prise de position va à l’encontre de la mise en garde de Max Weber qui disait : « Quand une prophétie éthique s’est frayé un passage à travers les normes stéréotypées (…), il peut en résulter de profondes révolutions - subites ou graduelles - dans l’organisation quotidienne de la vie, en particulier dans le domaine économique »10. Si cette vision des islamistes ne renie pas les besoins matériels et les désirs, elle permet cependant de prendre la mesure de leurs prétentions en matière économique qui part du principe de ne pas les laisser devenir primordiaux. A travers cette vision, apparaît clairement une des différences saillantes entre l’Economie islamique d’une part et les deux Economies capitaliste et socialiste de l’autre. Ainsi,

« alors que les individus jouissent de libertés illimitées dans l’Economie capitaliste, et que l’Economie socialiste confisque la liberté de tout le monde, l’Economie islamique

6 François Bilger, in Actes du Colloque « Ethique et valeurs au service de l’homme » Association Ethique et Progrès - Strasbourg – 22 octobre 1994

7 Idem

8 M.Hamidullah, dans Cahiers de l’ISEA, suppl. numéro 120 (série V numéro 3) décembre 1961, P. 265 9 Ahmed, Shaikh Mahmud, «Man and Money», Islamic Studies, Vol.9, Islamabad, 1970.

10 Max Weber Economie et Société ; Paris, Plon, 1971, pp 585-586

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adopte une attitude conforme à sa nature générale en autorisant les individus à exercer leurs libertés dans le cadre de valeurs et d’idéaux qui domptent et polissent la liberté, et en font un instrument de bien pour toute l’humanité. »11

Ces récriminations contre «l’esprit» du capitalisme portent également sur certaines de ses pratiques, notamment le commerce de certaines marchandises réputées illicites, la prise d’intérêts sur les transactions financières et la thésaurisation de l’argent et de l’or.

I.1.1 Condamnation des gains et bénéfices illicites

Selon Abdulhah Ibn Masud, Radi-Allahu unhu12, le prophète Mahomet aurait affirmé:

« rechercher des gains halal est un devoir après le devoir ». En d’autres termes, travailler pour obtenir des ‘‘gains halal’’ (licites) est une obligation religieuse qui vient juste après les principales que sont: la prière, le jeûne et le Hadj. L’Islam soumet donc le processus de gain aux injonctions divines qu’il défend et qui définissent clairement les limites du ‘halal’ et du ‘haram’ (le licite et l’illicite). Ces injonctions ont tendance à classifier les actions économiques en introduisant des critères de discrimination basés sur le caractère injuste et immoral de certaines activités commerciales jugées nuisibles à l’intérêt collectif de la société du point de vue islamique.

Ainsi l’usure, les intérêts, les jeux, la pornographie, les alcools, les transactions spéculatives et tous les procédés exploitant « les désirs immoraux » des consommateurs pour garantir des profits énormes sont considérés comme ‘haram’, et ce quel que soit le montant des gains possibles. Tout musulman doit s’abstenir de pratiquer ces activités ainsi définies. Cela constitue une Djihad économique pour le croyant et les Islamistes lui donnent la valeur d’une obligation religieuse. Au niveau individuel, l’obligation est de s’engager dans des professions et entreprises ‘halal’ ; et au niveau collectif, elle consiste à établir un système qui facilite les efforts individuels, tout en s’opposant aux pratiques contraires.

Selon la doctrine islamique, le principal facteur à l’origine des injustices dans les pays capitalistes est l’absence de critères pour différencier les bénéfices justes des injustes.

Une éventuelle introduction de cette dimension éthique rigoureuse dans les pratiques économiques internationales bouleverserait les fondements du système capitaliste.

Car le capitalisme se caractérise avant tout par la liberté totale qui est reconnue au sujet économique de pratiquer toutes les activités lucratives dès l’instant où celles–ci ne vont pas contre les lois et principes en vigueur dans son domaine d’intervention.

Il faut remarquer aussi que le caractère légal ou illégal d’une activité capitaliste n’est pas immuable. Une activité définie comme illégale aujourd’hui peut cesser de l’être demain, si le législateur pense qu’elle peut profiter aux intérêts du pays. L’exemple le plus célèbre reste l’histoire de l’alcool, dont la vente et la consommation ont été prohibées aux Etats-Unis avant d’être déclarées complètement légales.

Cette prévention des Islamistes face au commerce illicite est la même face à la prise d’intérêts sur les transactions financières.

11 Mohammed Bâqer al-Sadr, Notre Economie, la Cité du Savoir, Montréal, Québec, H3B 3K3, 2004, 596 p 12 La 6ème personne à s’être convertie à l’Islam et l’un des compagnons de premier cercle du Prophète Mahomet (psl). Il lui a servi notamment de secrétaire notant les sourates.

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I.12. Ferme condamnation de l’intérêt

Prise séparément, l’analyse de l’interdiction de l’intérêt amène à se poser de nombreuses questions quant à la viabilité du système et la vie économique des institutions et pays qui y souscrivent. Mais, envisager comme une partie d’un ensemble de règles générales auxquelles le musulman est assujetti, cela montre que l’Islam propose, pour résoudre lesdits problèmes, des solutions appropriées à la nature, aux buts et aux objectifs de la Législation islamique. Il faut donc savoir que ce qui distingue fondamentalement l’approche islamique des principes de l’économie internationale est une conception différente de la valeur du capital et du travail. Au lieu d’une simple relation de prêteur à emprunteur, le système financier islamique repose sur un partage plus équitable du risque entre le prêteur et le propriétaire d’entreprise.13 Cette pratique découle d’un canon central du Coran qui interdit le riba, c’est-à-dire les charges ou les paiements d’intérêts. La remise en cause même de l’intérêt caractérise l’Islam.

Selon la tradition, le verset coranique concernant ce principe serait le dernier à avoir été révélé, de sorte que le prophète serait mort sans l’avoir expliqué. N’empêche que dans le Coran, les versets qui le dénoncent sont nombreux et très explicites. Il y a par exemple cette mise en garde: « Ô vous, les croyants, craignez Dieu et délaissez désormais ce qui subsiste de vos pratiques usuraires, si vraiment vous êtes croyants.

Si vous ne le faites pas, attendez-vous alors à une guerre que Dieu et son Messager vous déclareront. Si, par contre, vous vous repentez à Dieu, il vous reviendra le principal de vos avoirs ; Vous ne léserez ainsi personne, et point vous ne serez lésés. »14 Dans un autre verset, on peut lire : « Ceux qui se nourrissent de l’usure ne se dresseront, au jour du Jugement, que comme se dresse celui que le Démon a violemment frappé. Il en sera ainsi, parce qu’ils disent : « la vente est semblable à l’usure. Mais Dieu a permis la vente et il a interdit l’usure »15 ; ou encore : « Ce que vous avez prêté à intérêt pour qu’il se multiplie aux dépens des biens des gens ne se multipliera guère auprès de Dieu »16. Un hadith du prophète Mahomet complète cette vigoureuse diatribe contre l’intérêt en ces termes : « les formes de l’usure ne sont pas moins de soixante-treize, qui représentent autant de délits. Le moins grave d’entre eux équivaut à s’accoupler avec sa propre mère!»17

La prise d’intérêts sur de l’argent gardé dans une banque ou prêté à quelqu’un est ainsi considérée comme un péché qui tient d’abord à la nature et au rôle que l’Islam assigne à la monnaie, et ensuite au fait que l’intérêt est assimilé à l’usure. L’intérêt est, en effet, en contradiction avec les prescriptions de la charia et avec celles de la jurisprudence islamique (fiqh), qui interdisent toutes deux le prêt à intérêt.

Mais cette assertion ne fait pas l’unanimité entre savants musulmans. Les opinions divergent sur l’interdiction de l’intérêt dans les économies d’aujourd’hui. Certains

“modernistes” trouvent la lecture littérale du Coran trop restrictive et préconisent une interprétation dans l’esprit de la loi, affirmant que le Coran n’a pas interdit “l’intérêt

13 Haque Zia Ul, «Riba, Interest and Profit» Pakistan Economist, V20 / 21 / 22, Karachi, 1980 14 Saint Coran, Sourate 2, Versets 278-279.

15 Op. Cit. Sourate «La Vache», verset 275 16 Op. Cit. Sourate «Les Gréco-Romains», verset 39

17 Nakhjavani Mehran, “Islamic Bbanking in an inflationary world”, Middle-East Economic Studies, V.25 N.13, 1982

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légitime”. Néanmoins, une grande majorité continue à penser que l’intérêt doit être totalement interdit en avançant des arguments économiques et juridiques.18

Premier argument, la justification économique: les savants musulmans se basent sur la fonction de l’intérêt dans le système capitaliste pour le dénoncer. Leur argumentaire est basé sur les théories des sciences économiques. Ils présentent l’intérêt dans un premier temps comme une récompense à l’épargne ou encore à la non-consommation.

Cela est inconcevable du point de vue islamique. Car, pour l’Islam, une récompense ne serait acceptable que si cette épargne débouchait, par le placement qui en est fait, sur la création de richesses.

Le deuxième argument présente l’intérêt comme ce que rapporte le capital productif.

Ici, il s’agit de dénoncer le fondement des relations capitalistes basé sur l’utilisation du capital comme base de l’accroissement des richesses; et cela indépendamment du travail19. La monnaie est considérée par l’Islam comme un simple moyen d’échange, sans aucune valeur propre. Si sa circulation ne traduit pas une activité économique réelle, il serait immoral qu’elle rapporte quelque prime que ce soit. La doctrine islamique s’oppose, en effet, au fait que le possédant voit son capital accroître sans travailler, qu’il réalise un accroissement de ses biens du seul fait qu’il en est propriétaire. Selon elle, c’est la confusion entre charge d’utilisation de la monnaie (véritable définition de l’intérêt) et produit du capital productif qui est responsable de cette situation.

Cette position induit un autre argument qui est aussi apparu pour continuer à justifier le principe de l’interdiction de l’intérêt. Il n’est ainsi plus question de financer des prêts, mais plutôt, de proposer au prêteur un engagement actif dans l’entreprise demandeuse ; laquelle, en retour, va offrir un partage des bénéfices futurs. Ceci correspond généralement à une prise de participations sous forme de parts ou d’actions. La raison économique du bénéfice n’est alors pas seulement la possibilité de le redistribuer, mais plutôt l’efficacité, la stabilité économique et la croissance des entreprises dont ce bénéfice témoigne.

Le simple financement assorti d’intérêt est réputé très injuste lorsque seuls les entrepreneurs subissent la perte ou, au contraire, récoltent des bénéfices disproportionnés. En effet, avancer de l’argent dans l’intention du commerce et /ou de la production peut se faire pour recevoir une part des profits (provenant du

«capital monétaire» et de l’effort de l’entrepreneur) ; car à ce moment, le prêteur est copropriétaire de l’entreprise et partage donc les risques de l’entreprise20. Par contre,

18 Comme pour la grande majorité des préceptes de l’Islam, il y a à cet interdit des explications historiques.

L’économie de la péninsule arabe du VIIe siècle reposait, en effet, sur des cités-Etats marchandes vivant dans un environnement hostile. Du fait de leur isolement, elles souffraient le plus souvent d’un manque de liquidités qui favorisait l’usure et la thésaurisation. Les préceptes islamiques visaient à refréner ces phénomènes sociaux indésirables. Car si les taux d’intérêts appliqués aux négociants se déplaçant de ville en ville étaient trop élevés, cela découragerait le commerce et augmenterait considérablement le coût des marchandises. L’Islam a dû créer l’obligation morale de n’utiliser l’argent qu’à des fins de production, pour soi et pour le bien de la communauté, en investissant dans des entreprises rentables. Mais ce que l’on entend par rentable consiste en un apport concret positif et indiscutable à la communauté, et ne dépend pas uniquement du jugement porté par le marché des capitaux pour assurer l’allocation des ressources.

19 Les divers débats contemporains, qui ont eu lieu à travers le monde islamique, cherchant à légitimer de manière intéressée l’intérêt bancaire, se sont tous heurtés à la clarté des règles canoniques et à la rigueur de l’analyse économique avancée par les “ conciles ” de Foqahas réunis pour la cause, notamment celui de 1972 qui a conclu par consensus à la prohibition de l’intérêt. Le statut de la monnaie se limite, dans la vision islamique, à la réserve de valeur et au moyen d’échange, sans jamais être une marchandise qui se vend ou se loue. L’argent ne peut créer à lui seul de l’argent, sans l’action du capital physique et du travail. En outre, la relation entre ces facteurs doit être solidaire, et leur rémunération équitablement partagée.

20 Les traditions chrétiennes et judaïques ont longtemps émis les mêmes réserves.

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est banni le créditeur prêtant avec un intérêt fixé à l’avance dans le contrat et ne tenant pas compte des profits ou des pertes de l’entreprise, ne courant pas de risques en ce sens. Le seul risque, pour lui, est celui de la non-solvabilité de l’entrepreneur.

S’agissant de la justification juridique de l’interdiction, il faut noter tout d’abord que la détention de monnaie correspond à la détention de droits de propriété. Le prêt équivaut à un transfert de ces droits et en retour, il ne peut en être exigé plus. En effet, l’intérêt est une création de droits de propriété injustifiable, car il se situe en dehors de l’ensemble légitime des droits de propriété reconnus par l’Islam. En outre, il est évident que l’argent prêté est soit utilisé de façon fructueuse (d’où une création de richesses), soit ne l’est pas (d’où une absence de richesses). Dans ce dernier cas, ne peuvent pas être revendiqués des droits de propriété additionnels. Dans le premier cas, il en est de même si le prêteur ne partage pas les risques (en transformant ses droits), c’est-à-dire si le taux d’intérêt est fixé à l’avance par contrat et si les gains ne sont pas proportionnels aux profits.

Cependant, si le prêteur conserve ses droits de propriété sur son capital financier en devenant co-propriétaire de l’entreprise (en y injectant son capital), son argent «aura un droit» sur le produit qu’il aide à créer et ainsi, il a une part sur les profits réalisés.

I.1.3. Dénonciation de la thésaurisation de l’or et de l’argent

La thésaurisation consiste à accumuler la monnaie moins par souci d’économie que par désir d’en tirer profit. Il s’agit d’accroître ses avoirs liquides en épargnant plus, dans l’espoir d’acheter ultérieurement des actifs plus rémunérateurs (exemple : des titres obligataires offrant une meilleure rémunération après une hausse des taux d’intérêt).21 L’argent ne circule donc pas et ne stimule pas, par conséquent, l’économie. Ainsi, la monnaie, selon sa conception originelle, ne l’est plus, mais devient une chose.

L’interdiction de la thésaurisation prend appui sur la théorie islamique concernant la monnaie. L’Islam croit, en effet, que, à l’origine, l’échange consiste à donner une marchandise pour recevoir une autre. C’était le cas avant l’apparition de la monnaie, lorsque l’on pratiquait le troc. Seul le troc permet de garantir au producteur une contre- partie de sa production pour satisfaire ses besoins vitaux.

Dans la société islamique, l’individu est éduqué dans les principes de l’altruisme et incité à faire œuvre de bienfaisance. Cette éducation lui impose de développer une conception différente de l’échange financier et matériel. Lequel est, selon le terme coranique, un commerce intarissable, un encouragement incessant à aider les moustaz’– déshérités – et à prêter à ceux qui en ont besoin, dans un esprit de fraternité et d’amitié. Toutes choses devant permettre d’obtenir le « al thawab » - la récompense divine – et d’accéder à la « maghfirah » - le pardon de Dieu. L’apparition de la monnaie n’a pas pour objectif d’anéantir l’essentiel du troc, mais d’en faciliter la pratique. En effet, au lieu d’échanger du cacao contre du maïs par exemple, le cultivateur vend son cacao et, avec la monnaie qu’il reçoit en retour, achète du maïs.

21 En 1936, Keynes théorise l’impact de la thésaurisation sur le Revenu au moyen de son concept «Trappe à liquidités». Au delà d’un certain taux d’intérêt, la demande de monnaie à des fins de spéculation devient infinie et crée ainsi une rigidité à la baisse des taux d’intérêt. Cette demande de monnaie à des fins de spéculation s’ajoute à la demande de monnaie à des fins de transaction et de précaution, qui détermine le niveau d’épargne des agents. Par le biais du mécanisme du multiplicateur, ce surplus d’épargne va diminuer la consommation puis l’investissement, du fait d’anticipations négatives (sur la consommation) des entrepre- neurs, et, in fine, le Revenu national. Cf. John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », Paris, 1969, 400 p.

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L’échange du cacao contre du maïs s’effectue bel et bien, mais en deux opérations au lieu d’une. Par contre, si le producteur se met à vendre son cacao, non pour acheter du maïs, mais pour amasser de la monnaie, cela signifie que ce maïs, ou plus généra- lement une partie de la production totale de l’économie, ne trouvera plus d’acheteur sur le marché. Ainsi, il ne pourra pas achever le cycle de la production en étant converti en monnaie pour qu’on puisse continuer à en produire. Dans ce cas de figure, la monnaie devient un bien à thésauriser.

Du point de vue islamique, le système économique international dominé par le capi- talisme est mauvais, car ne faisant pas de distinction entre pratiques licites et illicites ; et injuste notamment en ce qui concerne la distribution des richesses et l’existence du grand fossé entre les possédants et les pauvres. Dès lors, pour les islamistes, il faut un changement plus radical que celui proposé par le marxisme, en un mot une profonde mutation éthique qui porte à la fois sur les institutions et les modes de fonctionnement de l’Economie.22

I.I PRINCIPES ET INSTRUMENTS DE L’ÉCONOMIE ISLAMIQUE

Le système économique et financier islamique repose sur trois piliers qui en déterminent le contenu doctrinal et le distinguent de toutes les autres doctrines économiques dans leurs lignes générales. Il s’agit des principes de la double propriété, la liberté économique dans un cadre limité et la justice sociale. Se prononçant sur les raisons qui ont conduit à l’échec du communisme, le leader islamiste marocain Yassine estime : «la pensée marxiste insiste beaucoup sur la nécessité de changer les structures, pas du tout assez sur celle de changer l’homme (...) Nous disons qu’il faut changer l’homme pour qu’il ne devienne pas une fonction de l’Économie (...).

En définitive, les deux idéologies capitalisme et communisme ont péché par des manquements fatals. Le système capitaliste a mis l’accent uniquement sur la propriété et la liberté et, en négligeant de faire respecter l’équité et la loyauté, il a engendré des crises sociales graves. Le système socialiste a tenté d’établir l’équité et la loyauté, mais faute de propriété et de liberté, s’est privé du progrès économique et politique »23

Pour les islamistes, les principes économiques tirés du Coran et de la Sunna du prophète Mahomet sont tout à fait capables d’être une troisième voie à côté des modèles capitaliste et communiste et de résoudre les principaux problèmes économiques auxquels l’humanité est confrontée. Tout en permettant la propriété privée et l’économie de marché, cette troisième voie prône un système de justice distributive, qui peut éliminer les injustices et créer un système dans lequel la notion de bénéfice n’est pas contraire à l’intérêt collectif de la société.

Ce qui fait également l’originalité du système économique islamique, c’est le lien entre exigences de profits et celles du respect des prescriptions divines. Les éléments de base de cette science économique islamique font souvent appel à des pratiques issues des temps préislamiques24, mais aussi à des instruments complètement nou- veaux. Ceux-ci sont mis au point par le biais des fatwas qui décident, cas par cas, s’ils sont compatibles avec les préceptes de la Charia pour servir ensuite de charte aux

«conseils de surveillance religieux» des différentes banques.

22 Derrida Jacques, L’écriture et la différence, Paris, Seuil 1967, 448 p, p425.

23 Yassine (A), La révolution à l’heure de l’Islam, Paris, l’harmattan, 1990, 365 p

24 Deux formes juridiques sont fondamentalement utilisées pour fournir des capitaux sur la base des bénéfices et des pertes: le Musharaka et le Modaraba d’une part, et le Bai’mu’ajjal d’autre part. Toutes deux sont des constructions arabes pré-islamiques développées à l’origine pour les besoins des villes-Etats marchandes.

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II.1. JUSTICE ÉCONOMIQUE À TRAVERS DES ALTERNATIVES À L’INTÉRÊT CAPITALISTE

La première forme de contrat proposée par les penseurs musulmans, en lieu et place de la prise d’intérêt sur un investissement ou un prêt, est basée sur l’utilisation des instruments islamiques comme le Musharakah25 et le Mudarabah26.

Dans le cas du Mudarabah, une partie apporte le capital financier et l’autre le capital humain. Ce type de contrat est traditionnellement appliqué aux activités commerciales de courte durée. Dans l’autre cas, le Musharakah, les associés mettent en commun leur capital financier. Cela s’applique aux activités de production ou commerciales de plus longue durée. Les deux possibilités représentent deux types de contrat de partage des profits et peuvent aussi bien concerner la totalité des activités d’une entreprise qu’une partie de celles-ci.

Le but recherché avec ces deux formes d’arrangement est de sélectionner les projets basés davantage sur les profits anticipés que sur la solvabilité de l’emprunteur. Cela fait espérer en l’existence d’un nombre plus grand de projets agressifs à la recherche de financements et implique, selon ces théoriciens, plus de prudence et une sélection plus efficace des projets de la part des détenteurs de fonds, mais aussi une participation plus importante du public dans les activités de placement des entreprises.

Dans ce système de partage des profits, il faut noter que, bien que ceux-ci soient répartis entre le propriétaire du capital financier et l’entrepreneur, les pertes ne sont supportées que par le premier. Ainsi, le détenteur du capital risque ses fonds alors que l’agent entrepreneur risque son temps, ses efforts et son travail. Si le Mudarabah et le Musharakah sont des formes d’association du secteur commercial et industriel, ils ont toutefois leur semblable dans le secteur agricole qui ont pour noms: Muzar’ah et Musaqat.

La charia reconnaît néanmoins que ces deux formes de contrat ne sont pas applicables partout et dans toutes les circonstances. La législation propose donc des alternatives. D’abord, l’institution des emprunts appelés «bienfaisants» ou «Qadr Al- Hasanah» en arabe. Le Coran exhorte les musulmans à les accorder à ceux qui en ont besoin. Ils ne sont pas soumis à une échéance fixée.

Ensuite, nous avons les paiements différés ou «bai’mu’ajjal». Ces derniers permettent, lors de la vente d’un produit par exemple, de remettre le paiement à une date ultérieure ou de l’étaler par versements partiels. Il faut noter que ces reports, qui ne génèrent pas de charges, peuvent prendre l’une des formes suivantes :

25 Le contrat de Musharaka est, formellement, une société en commandite simple, en vertu de laquelle la banque et le client apportent chacun des capitaux en vue d’un projet spécifique. Une autre possibilité est une prise de participations de la banque dans le capital d’une entreprise existante. La répartition au prorata, entre la banque et le client, des bénéfices escomptés, fait l’objet d’un contrat entre les parties. Les pertes sont partagées en fonction de l’apport en capital. La banque est autorisée à participer à la gestion, mais peut aussi ne pas faire usage de ce droit. Il existe des contrats Musharaka avec participation constante ou décroissante.

(Cette dernière forme est ainsi pratiquée par la Jordan Islamic Bank). La banque conserve la part de bénéfice de l’utilisation pour le remboursement de l’apport en capital.

26 Le contrat Mudarabah est, formellement, une société à participations comportant une distinction claire entre le bailleur de capitaux et l’entrepreneur qui a, lui, la haute main sur son projet. La rémunération est, là encore, fondée sur un pourcentage de bénéfices de l’entrepreneur fixé à l’avance. Les pertes éventuelles doivent être supportées par le seul bailleur de capitaux. Le chef d’entreprise renonce à une rémunération variable de son travail. A l’origine, la banque était le fournisseur de capitaux (raab al-mal) et finançait un pro- jet proposé par un entrepreneur (Modareb). Aujourd’hui, le Mudarabah peut s’appliquer à diverses activités économiques.

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- l’achat avec livraison retardée (Bai Salam) ici: le paiement du produit a lieu à une date donnée, tandis que la livraison a lieu plus tard, à une date fixée.

- la pratique du leasing (Yara): une personne loue un produit particulier pour un montant et un délai définis. Elle peut aussi conclure un contrat de location-vente.

- le vendeur informe l’acheteur du coût d’acquisition ou de production du produit ; dès lors, une marge est négociée entre les deux parties.

La Charia laisse la liberté aux juristes musulmans d’apprécier toutes les autres formes de contrat pouvant exister et qui respecteraient les prescriptions divines d’égalité et la loi islamique. Mais il faut signaler que dans les différents types de contrat que nous venons de passer en revue, le Mudarabah occupe une place de choix. Car c’est cette forme de financement qui, selon les économistes musulmans, constituerait une alternance au prêt à intérêt et donc modèlerait le système financier islamique. Les banques et le marché financier y recourent massivement, car il permet une certaine justice sociale comme la Zakat.

II.2 ZAKAT, INSTRUMENT DE JUSTICE ÉCONOMIQUE

Le second instrument de gestion de l’économie islamique est l’institution de zakat, sadaqat et autres obligations financières qui stipulent que même le revenu halal doit être de nouveau distribué particulièrement aux gagne-petit en raison des occasions insuffisantes du marché. Faire la zakat revient à souscrire à une contribution volontaire de 2,5% de ses revenus.27 Le paiement de cette imposition religieuse est l’un des cinq commandements religieux des musulmans, comme le proclame le Coran : « (…) mais vertueux est celui qui observe scrupuleusement le culte et fait l’aumône de la zakat

»28. Elle est perçue sur les marchandises échangées et les revenus professionnels et immobiliers, mais pas sur les propriétés personnelles (maisons, meubles, bijoux, etc.). Les particuliers peuvent verser leur zakat directement à un bénéficiaire privé ou à une institution spécialisée dans la redistribution de ces fonds, telle que la plupart des banques islamiques.29 Certains pays, dont le Pakistan et le Soudan, légifèrent officiellement sur cette question.

La zakat est calculée sur la base des revenus sur une année, parce qu’il fallait une année d’immobilisation monétaire pour parler de thésaurisation. D’autant que la vie économique n’offrait pas de meilleures conditions pour les flux monétaires.

Cela dit, le fonctionnement des banques islamiques doit se faire avec des instruments économiques propres.

II.3 CARACTÈRES ET FONCTIONNEMENT DE LA BANQUE ISLAMIQUE Les banques ont été crées pour traduire dans les faits les principes théoriques de l’économie tels que prôné par le Coran et les textes de références en la matière.

27 Badawi M.A. Zaki, «Zakat and the Social Justice», The Muslim World and the Future Economic Order, Islamic Council of Europe, London (UK), 1979

28 Coran, V.2 S. 177

29 Rahman Moussa Ibrahim Abdel, «Zakat, Social Justice and Social Security», Outlines of Islamic Econom- ics, Association of Muslim Scientists, Indianapolis, 1977

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II.3.1 Création d’une institution spécifique aux pays musulmans

C’est la création en 1969 de l’Organisation de la Conférence Islamique qui a permis de mettre sur la place internationale la question des préceptes économiques de l’Islam.

En 1974, au sommet de Lahore au Pakistan, cette organisation décide de créer la Banque Islamique de Développement (BID). Ce qui est un événement important dans l’histoire de l’économie islamique.30 Son objet est de promouvoir la coopération avec les banques nationales islamiques, en fournissant, par exemple, du capital social pour la création de nouvelles institutions islamiques, en finançant conjointement des projets avec d’autres structures et une coopération dans le domaine des études et de la formation. Elle s’efforce aussi de développer l’idée de banque islamique dans le Tiers- Monde et, à cet effet, coopère avec plusieurs institutions musulmanes31. C’est sous son influence que la première banque islamique privée « la Dubai islamic bank vit le jour en 1975 »32. Une association des banques islamiques est également mise sur pied pour codifier les normes de fonctionnement desdites banques.

En 1979, le Pakistan devient le premier pays à décréter l’islamisation de l’ensemble du secteur bancaire. Il est suivi, en 1983, par le Soudan et l’Iran. Dès lors, les instituts de recherche économique vont proliférer dans le monde musulman. Si les banques islamiques n’ont encore qu’une influence marginale à l’échelle mondiale, leur avenir est prometteur.

Aujourd’hui, en effet, on compte plus d’une centaine d’institutions financières en fonctionnement33 qui pèsent (chiffre de 2001) environ 230 milliards de dollars, soit quarante fois plus qu’en 198234. Ces institutions ont injecté dans le circuit économique mondial plus de 15 milliards de dollars, soit environ le tiers des fonds thésaurisés dans

30 La B.I.D, institution inter-gouvernementale, a son siège à Jeddah. Selon ses statuts, elle a pour mission de favoriser le développement économique et le progrès social dans les pays membres et dans les autres communautés musulmanes, individuellement ou conjointement, suivant les principes de la loi islamique. Elle peut fournir des fonds propres et des prêts sans intérêts pour des projets de développement. Elle est également engagée dans le financement du commerce international. Outre son aide financière, la B.I.D. apporte son assis- tance technique, notamment dans la coordination des projets de développement des pays membres.

31 MEED Special Reports, «IDB (Islamic Development Bank) Finances Islamic Economies», novembre 1981.

32 La première expérience a eu lieu en Egypte, sous la forme des caisses d’épargne rurales du delta du Nil entre 1963 et 1967. Le modèle utilisé était celui des caisses d’épargne allemandes, adapté à l’environnement rural d’un pays islamique en développement. La majorité de la population rurale, très religieuse, était alors très méfiante vis à vis des banques fonctionnant sur le modèle occidental. Une part importante des revenus de cette population était économisée pour faire face à des problèmes de nature sociale, des urgences, etc.. La condition indispensable à un changement de comportement, c’est-à-dire le passage d’une «épargne en actifs réels» à une «épargne financière», était de créer de nouvelles institutions financières qui respecteraient les principes re- ligieux de cette population. L’expérience avait dû prendre fin pour des raisons politiques. Néanmoins, elle ouvrit la voie à des entreprises ultérieures, telles que la Nasser Social Bank en 1971, première banque à caractère social pour les groupes sociaux à bas revenus. Il y a deux types d’institutions : les banques commerciales et sociétés d’investissement et les sociétés internationales de portefeuilles islamiques.

33 On peut les regrouper d’après la structure de leur capital et leurs liens personnels. Le premier groupe de banques n’a pas de liens financiers importants avec les autres institutions islamiques. On mentionnera à cet égard la Nasser Social Bank, la Jordan Islamic Bank, l’Islamic International Bank for Investment and Development en Egypte ainsi que des banques au Bangladesh, aux Philippines, en Afrique du Sud, en Australie et en Grande-Bretagne. On trouve un second groupe dans les pays du Golfe: la Dhubaï Islamic Bank, la Kuwait Finance House, la Bahrain Islamic Investment Company. A côté de ces banques, nous avons les sociétés internationales de portefeuilles : Si les banques de dépôt islamiques évoquées plus haut opèrent essentiellement sur une base nationale, les sociétés de portefeuilles islamiques, qui ont pour objet des prises de participations dans d’autres entreprises, ont plutôt une vocation internationale. Ce sont notamment l’Islamic Investment Company, Nassau (1977), l’Islamic Company of the Gulf, Sharjah (1978), la Sharia Investment Services, Genève (1980), la Bahrain Islamic Investment Bank, Manama (1980), l’Islamic Investment House, Amman (1981), le Dar Al-Mal Al-Islami Trust (Bahamas) (1981) et la Dar Al-Mal Al-Islami Ltd, Genève (1981).

34 Ibrahim Warde Le model Anglo-Saxon en question, Paris, Economica, 1997, 111 p

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les pays arabes. Il faut noter qu’à l’instar de la Citibank, qui, dès 1996, avait établi sa propre filiale islamique à Bahreïn, la plupart des grandes institutions financières occidentales ont des guichets islamiques. Nous pouvons voir en cela, le symbole de l’intégration de la finance islamique dans l’économie mondiale35.

II.3.2 Missions spécifiques de la banque islamique

La banque dans les sociétés capitalistes assure deux activités principales et fondamentales. La première, qui est une activité capitaliste proprement dite, consiste à emprunter de l’argent - avec un certain taux d’intérêt - aux particuliers qui font leurs dépôts à la banque pour le prêter à un taux d’intérêt plus important à d’autres particuliers, aux entreprises et commerces. La seconde est une activité de services qui consiste à offrir à des individus ou structures des services tels que l’encaissement des traites et des chèques, le transfert d’argent ; l’achat et la vente des bons ; encaisser des coupons pour les clients, exercer un rôle d’intermédiaire dans l’émission des actions de certaines sociétés, et à assumer la partie pratique de l’opération d’ouverture de crédits pour le paiement des traites ou le stockage des marchandises.

Pour remplir ses missions et réussir à mobiliser des fonds, la banque dans le système capitaliste met en place des stratégies pour attirer ceux qui possèdent des biens. Ces derniers, en toute liberté, ne décident de répondre que lorsqu’ils sont motivés par le profit et l’accroissement de leurs richesses. La banque propose et verse aux épargnants un certain pourcentage de la somme déposée, faisant de cela le motif matériel de l’épargne. La banque, par ce fait, transforme ces biens monétaires dispersés en un capital d’investissement. Ce que les islamistes dénoncent avec force, c’est l’utilisation du capital comme base de l’accroissement des richesses, indépendamment de tout effort et de tout travail. C’est le fait que le possédant accroisse son capital sans travailler et réalise l’accroissement de ses biens, acquière un revenu stable indépendamment également de tous risques financiers, mais du seul fait qu’il est propriétaire. Ces principes sont en contradiction avec les prescriptions de la charia et celles de la loi civile de la jurisprudence islamique qui interdisent toutes deux le prêt à intérêt.

Dès lors, la création de banques non usurières a été planifiée dans le cadre d’une société obéissant entièrement aux prérogatives islamiques. Tout ce qui est suspecté d’entretenir l’esprit capitaliste dans les pratiques économiques et la vie intellectuelle doit être bannie. Car le système islamique est un tout dont les éléments sont liés ; et la mise en œuvre de chaque élément prépare la réussite d’un autre et l’aide à assumer son rôle islamique prévu. Au vu de ce qui paraît être un postulat, les missions des banques islamiques sont clairement définies :

D’abord, l’activité bancaire est conçue pour avoir réellement une nature de services et le gain acquis par la banque doit provenir de son travail, celui-ci n’étant pas une simple couverture servant à masquer un gain capitaliste et d’investissement. Ensuite, le service offert par la banque doit être un service sain au sens islamique du terme ; c’est- à-dire qu’il doit répondre aux besoins de la communauté. Enfin, les formules juridiques utilisées doivent correspondre à la jurisprudence islamique.

La différence entre l’activité bancaire capitaliste et islamique, au-delà de ces questions idéologiques, repose sur les éléments suivants: le processus d’accumulation pécuniaire et d’investissement est assumé à travers une banque officielle par l’Etat lui- même, car les investissements bancaires dans le secteur privé ne sont pas autorisés.

35 Il existe même à la bourse de New-York, un indice Dow Jones du marché islamique.

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La mobilisation de l’épargne ne se fait pas sur des promesses d’intérêt. Pour mobiliser donc les épargnes, la banque annonce qu’elle est prête à recevoir des sommes d’argent que les gens veulent bien déposer chez elle, et cela suivant deux formules :

Premièrement, le prêt est consenti à la banque qui devient débitrice du prêteur. Le prêteur est assuré de trois garanties: d’abord, son argent est protégé par la banque et disponible à tout moment ou selon l’accord conclu avec celle-ci. Ensuite, la valeur réelle du prêt est conservée, malgré l’inflation qui réduit la valeur vénale de la monnaie. Il s’en suit que lorsqu’un particulier conserve son argent chez lui pendant une longue période, il n’en conserve que l’aspect matériel (les billets), mais sa valeur initiale se dissipe. Il est donc avantageux de confier cet argent à la banque sous forme de prêt, puisque la banque en garantit la valeur réelle. Ainsi, les billets restent identiques, non seulement par leur aspect, mais aussi par leur valeur monétaire. Ce ne sera donc pas une usure que versera la banque à expiration de prêt, mais la même somme, ayant la même valeur qu’au moment de la concession du prêt. Cette valeur est estimée sur la base de celle de l’or et du taux de change en or. Enfin, le prêteur peut gagner la récompense divine en destinant son prêt à ses concitoyens dans le besoin ou aux indigents. Dans ce cas, la somme prêtée est déposée dans une caisse spéciale prévue à cet effet.

Dans cette formule, l’épargnant n’a pas le droit, en dehors du cadre délimité, de se faire verser des récompenses par la banque d’emprunt.

Deuxièmement, le prêteur donne procuration à la banque pour injecter son argent dans un projet économique. Ici, l’épargnant reçoit un certain pourcentage sur les bénéfices réalisés. Ce pourcentage est déterminé aux termes d’un accord entre l’épargnant et la banque qui prévoit que l’investisseur conserve le restant des profits réalisés. Mais si la banque se charge elle-même de l’opération d’investissement, elle reçoit le reste des bénéfices. Si elle confie cette opération à l’un de ses clients sur la base d’une spéculation, les bénéfices sont partagés entre le client et l’épargnant. La banque ne touche alors qu’une commission, pour son travail et son rôle d’intermédiaire entre l’investisseur et le prêteur, fixée suivant l’importance de son rôle dans l’affaire.

Avec cette formule, l’épargnant n’a aucune garantie sur son prêt. En cas de perte, il devra la subir en toute honnêteté, car il s’agit d’un profit réalisé sans travail. Il dit donc accepter de courir le risque.

En somme, pour mobiliser l’épargne, la banque islamique se base sur la création de motivations poussant les gens à lui confier leur argent. Ces motivations, comme nous l’avons vu, tiennent à la protection et la sécurisation totale de l’argent, au maintien de la valeur réelle de l’argent, au versement d’un pourcentage, si le client accepte de partager les risques d’un investissement de son argent par la banque. Toutes ces opérations se font sans que l’épargnant soit soumis à un quelconque impôt sur son argent.

II.3.3 Principales activités de la banque islamique

Les activités permises aux banques islamiques sont les suivantes: les financements accordés au tiers, les investissements et placements directs sur les marchés immobiliers, boursiers et des biens et services, les prêts sans intérêt et enfin la distribution de la zakat sur les fonds propres et éventuellement sur les dépôts sur ordre du client. Concernant le premier type, c’est-à-dire les financements accordés au tiers, il comporte trois volets principaux que sont: le financement des dépenses d’équipements domestiques par la vente à tempérament (Mourabaha) ; le financement du logement par la vente

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à tempérament, voire par le leasing immobilier, s’il peut s’étendre aux particuliers ; le financement des dépenses de consommation courante par le prêt sans intérêt ou facilité de caisse gratuite.

Pour financer la production, quatre types d’opération peuvent être prévus. D’abord, le financement des immobilisations, essentiellement par la participation au capital sous forme d’association (Moucharaka) ; ensuite, le financement de l’équipement par le leasing (mobilier) qui est une forme de financement légale sous certaines conditions ; on note aussi le financement du fonds de roulement et/ou de l’équipement par la vente à tempérament, et particulièrement la vente d’équipements selon la commande de l’acheteur donneur d’ordre (Mourabaha lil’amiri bi chira’) ou encore par le préfinancement (Salam). Et enfin, le financement du fonds de roulement et/ou de l’équipement par le contrat de fiducie (Moudaraba). C’est un contrat par lequel un financier met des fonds à risque à la disposition d’un commandité qui les gère dans le cadre d’opérations plus ou moins déterminées ; les bénéfices de l’opération sont partagés entre les deux selon un prorata pré-convenu.

Au total, la mission des banques islamiques - en matière de mobilisation de l’épargne d’investissement - est basée principalement sur ces deux axes : les achats et ventes à tempérament en guise d’alternative au crédit à court et à moyen terme ; et la participation aux pertes et profits comme mode de financement à long terme : “ nul bénéfice sans sacrifice ”. C’est une formule très proche du Venture Capital ou Capital-risque. On peut dire que la banque islamique a un rôle d’orientation, de conseil et de supervision de l’activité économique afin de garantir l’indispensable justice sociale.

Dans l’absolu, leur implication économique permet un meilleur encadrement bancaire de la population à laquelle elle fournit une assistance en matière de gestion et d’investissement économique conforme à la doctrine économique de l’Islam. Mais face à certaines réalités de la finance internationale, les choses ne se passent pas toujours aussi facilement.

III. SYSTÈME ÉCONOMIQUE ISLAMIQUE À L’ÉPREUVE DES RÉALITÉS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES

Deux décennies d’expérimentation et de mise en pratique des préceptes économiques islamiques ont mis à nu leurs limites dans le domaine financier, notamment dans le fonctionnement des banques. Ces dernières font d’abord face à des problèmes comptables résultant de la manière d’évaluer avec précision les risques industriels qu’elles partagent avec leurs clients. Ces banques sont, en outre, confrontées à la question de savoir si, comme le veut la théorie islamique, elles doivent affecter à chaque dépôt d’un épargnant un projet concret et précis pouvant générer un taux de profit particulier.36 Il y a ensuite le constat de la persistance et même l’aggravation des clivages sociaux entre riches et pauvres dans nombre de pays musulmans. Malgré cela, le système économique et financier islamique prend de plus en plus d’importance sur l’échiquier mondial.

36 Wilson Rodney J.A. «Islamic Business : Theory and Practice», Economist Intelligence Unit, Special report, N.221, London 1985

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III.1 LIMITES DU SYSTÈME ÉCONOMIQUE ISLAMIQUE

A l’heure du bilan, malgré de bonnes intentions, les principes théoriques de la finance islamique arrivent difficilement à s’accommoder de certaines réalités. Il est souvent apparu, en effet, que la science économique islamique n’est pas encore suffisamment avancée pour assumer certaines situations non prévues par le Coran. Les besoins de financement de l’industrie, en ce début du XXIème siècle, sont très différents de ceux qui avaient prévalu au commencement de la charia. C’est ce qui explique que les banques islamiques n’ont pas encore été en mesure d’utiliser, de façon cohérente et uniforme, tous les instruments financiers évoqués plus haut. Jusqu’ici, elles ont privilégié les opérations de commerce et de spéculation immobilière pour leur propre compte ainsi que les contrats de type Murabaha et de crédit-bail qui présentent l’avantage d’offrir des bénéfices certains, déterminés à l’avance, par rapport aux systèmes incertains de partage de bénéfices.

Une autre difficulté à laquelle elles sont confrontées, c’est la solvabilité de certains de leurs clients et l’arbitrage des conflits qui les opposent à ces derniers.

En effet, beaucoup de banques, principalement les saoudiennes, rencontrent des problèmes résultant de la non-solvabilité de certains emprunteurs importants. A chaque fois, les cours de justice, fonctionnant sur la base de la charia, ont permis à des emprunteurs d’être dégagés de leurs obligations. Dans certains cas, elles ont ordonné le remboursement des intérêts par la banque. Plusieurs emprunteurs37 trouvent donc refuge dans la “religion” et font appel à la charia pour échapper à leurs obligations envers les banques. A ce jour, tous les cas jugés en Arabie Saoudite sur la base de la charia ont été en faveur des emprunteurs, même si les banques avaient des droits légaux. Mais pour éviter les problèmes de disponibilité de fonds tenant au fonctionnement même de ces banques à long terme, l’organisme saoudien de contrôle bancaire, la SAMA, a été autorisé par le Ministère des Finances à former un comité chargé d’arbitrer les disputes entre banques et emprunteurs38.

En outre, l’objectif d’établissement de la justice sociale n’est toujours pas visible. En effet, à l’intérieur de la majorité des pays islamiques, le fossé continue de se creuser entre ceux qui bénéficient de la croissance et ceux qui n’en bénéficient pas. Ce fossé, qui est souvent extrême en termes de bien–être, d’accès aux ressources et à la santé, menace de prendre le contre-pied de la volonté de faire de l’économie un véhicule de la justice et de la solidarité sociale.

Malgré toutes ses limites, la finance islamique a enregistré une croissance exponentielle ces trois dernières décennies, pour devenir le support d’une industrie financière qui pèse plusieurs centaines de milliards de dollars. Toutes choses qui n’ont pas échappé aux grands groupes financiers occidentaux.

III.2 ATTRAIT INTERNATIONAL

Après avoir longtemps ciblé essentiellement un marché potentiel de 1,5 milliard de musulmans, le système bancaire islamique intéresse désormais le monde de la haute finance internationale. Les raisons de cet intérêt sont à rechercher d’abord dans les immenses réserves de devises que détiennent les banques islamiques et qui ont été

37 Et non des moindres tels que, M. Adnan Kashogi, le multimilliardaire qui a fait fortune dans le pétrole et l’immobilier.

38 Abdeen A.M. & Shook D.N., The Saudi Financial System in the Context of Western and Islamic Finance, Chichester, Johm Wiley, 1984

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amassées grâce aux cours du pétrole qui sont restés élevés sur plusieurs décennies. Il y a aussi le parallèle établi par les économistes entre institutions financières islamiques et fonds souverains39 des pays islamiques dont le poids est estimé, aujourd’hui, à environ 1.600 milliards de dollars, soit 51% de ce type de fonds dans le monde. Ainsi, en théorie, le plus grand fonds souverain, l’ADIA (le fonds d’Abu Dhabi) pourrait « s’offrir

» les multinationales occidentales comme Total, Axa, BNP Paribas, Crédit Agricole, Bouygues, l’Oréal, Michelin, Danone et LVMH réunies.

A cela, il faut ajouter la gestion des fortunes des riches familles des monarchies pétrolières du Golf. Potentiellement, ces immenses sommes d’argent pourraient servir à revigorer le système financier mondial. De nombreux pays industrialisés40 se tournent de plus en plus vers cette manne financière et leurs entreprises et gouvernements à court de liquidités commencent à considérer la finance islamique comme une importante source de financement.

Deux places boursières, la City de Londres et Wall Street, ont depuis longtemps développé des mécanismes de placement adaptés aux besoins des investisseurs respectueux de la loi islamique. A leur suite, plusieurs banques ont créé des départements distincts spécialisés en services financiers islamiques sur leurs marchés nationaux.

Au Royaume-Uni, la Financial Services Authority a créé des normes pour les produits financiers islamiques et compte un département spécialisé pour les établissements financiers islamiques. Cet engouement pour la finance islamique a conduit à la mise en place de plusieurs organismes de régulation sur le plan international dont le but est de codifier les rapports entre finance islamique et finance internationale tout en homogénéisant les normes de la première. Parmi ces organismes, on peut citer : le Conseil des services financiers islamiques (IFSB)41, l’Organisation de comptabilité et d’audit des institutions financières islamiques (AAOIFI)42, le Marché financier international islamique (IIFM)43. Cela a permis aux règles de fonctionnement des institutions financières islamiques de s’affiner.

39 Ce sont des véhicules financiers publics qui possèdent, gèrent et/ou administrent des fonds publics qui proviennent de surplus fiscaux ou des recettes d’exportation. Il s’agit aussi d’économies d’investisseurs qui s’engagent souvent sur le long terme et recherchent donc une rentabilité supérieure au rendement sans risque. Les pays musulmans, en particulier les exportateurs de pétrole détiennent plus de 51% du total des actifs gérés par des fonds souverains en 2008(soit plus de 1 600 milliards de dollars).

40 En France, sous l’impulsion de Christine Lagarde, la ministre de l’Economie et des Finances et du sé- nateur Philippe Marini, le Haut comité de place a décidé en décembre 2007 de lancer une réflexion sur le développement de la finance islamique. Suite à cela, il a été créé en septembre 2008 un groupe de travail qui avait pour mission de répertorier les principales opérations utilisées en finance islamique. Cela a permis la mise en place d’un cadre comptable et fiscal adapté en décembre de la même année. L’objectif est d’une part de permettre à la Place financière de Paris, qui a une vocation internationale, d’offrir une palette de services la plus large et la plus compétitive possible. Cf. Philippe Béchade, La finance islamique suscite la curiosité et la convoitise de la France, MoneyWeek, numéro 58, 19 novembre 2009

41 Cet organisme compte 150 membres dont 37 autorités de réglementation et de supervision, ainsi que le FMI, la Banque mondiale, la Banque islamique de développement, la Banque asiatique de développement.

42 La AAOIFI a pour mission d’élaborer des standards dans plusieurs domaines, dont la gouvernance d’entreprise, la comptabilité et les exigences minimales de fonds propres.

43 L IIFM a été créé par les banques centrales et les autorités monétaires de Bahreïn, Brunei, l’Indonésie, Malaisie, Soudan et de la Banque islamique de développement. Siégeant en Arabie Saoudite, c’est une institution d’infrastructure dont la mission est l’établissement, le développement, l’autorégulation et la promotion des marchés de capitaux et monétaires islamiques.

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Graphique sur l’évolution de la taille du marché de la finance islamique (Total des actifs, milliards US dollars)

Source : Rapport moral sur l’argent dans le monde (2008), Association d’économie financière, Standard & Poor’s.

CONCLUSION

Depuis ses débuts, au milieu des années 1970, la finance islamique a réussi à consolider progressivement sa place dans le système financier de nombreux pays musulmans. Comme tout phénomène qui se structure, au fur et à mesure qu’il a pris de l’ampleur, il a été confronté à de nouveaux défis auxquels il essaie de trouver des réponses. Il s’agit de faire correspondre les exigences d’un corpus immuable établi il y a plus de 1300 ans avec les réalités économiques, financières et monétaires de la mondialisation largement inspirées des pratiques capitalistes. Cette tâche, cependant, s’avère d’autant plus délicate qu’il veut sauvegarder sa spécificité et ses objectifs premiers. D’un autre coté, le système économique et financier islamique est aujourd’hui une donne incontournable dans le développement et la stabilité de l’économie mondiale.

D’abord par la quantité des sommes d’argent qui sont gérées de part le monde selon ses principes et ensuite parce que certains de ses principes de fonctionnement sont analysés par des experts comme pouvant apporter plus d’humanité et de solidarité dans les échanges internationale et contribuer à réduire les inégalités sociales. Ces observateurs voient donc dans l’intérêt que suscite la finance islamique aujourd’hui, une opportunité d’introduire davantage d’éthique dans les pratiques économiques internationales. C’est en partie le travail qu’essaient de faire les nombreux organismes internationaux mis sur pied depuis dix ans maintenant qui travaillent à l’harmonisation des règles de fonctionnement et de gestion de la finance islamique avec les principes de l’économie de marché qui continuera de dominer les échanges dans le monde. Dès

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lors, loin de pouvoir se substituer au capitalisme dominant sur le plan international, le système économique islamique apparait de plus en plus comme une référence pouvant permettre d’humaniser et de rendre plus équitable certains principes du capitalisme international.

LES MOTS-CLÉS

Refonte du système économique mondial, finalités de la politique économique internationale, économie éthique, alter mondialistes, système équitable, justice, solidarité, loi islamique, capitalisme, science économique islamique, boom pétrolier, Coran, Sunna, gains et bénéfices illicites, gains halal et haram, usure, intérêts, Djihad, commerce, savants musulmans, épargne, capital, richesses, travail, monnaie, production, profits, thésaurisation, or, argent, déshérités, investissements, marché, troc, islamistes, idéologies, péché, Prophète Mahomet, justice distributive, prescriptions divines, Musharakah, Mudarabah, contrats, solvabilité, capital financier, bai’mu’ajjal, leasing, banques, zakat, flux monétaires, Organisation de la Conférence Islamique, Banque Islamique de Développement, Tiers-Monde, banques non-usurières, prêteur, système d’assurance islamique, bénéfices, injustices, crise financière, faute morale, droits de l’homme.

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