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La divergence des politiques nationales Scandinaves en matière de migration irréguliére: comparisons et facteurs explicatifs

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LA DIVERGENCE DES POLITIQUES NATIONALES SCANDINAVES EN MATIÈRE DE MIGRATION IRRÉGULIÈRE :

COMPARAISONS ET FACTEURS EXPLICATIFS

Constance Naud-Arcand Département de science politique

Université McGill, Montréal

Octobre 2013

Mémoire présenté à l’Université McGill en vue de l’obtention du grade de Maîtrise ès arts

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3 Ce mémoire est dédié aux migrants qui souffrent ou qui meurent chaque jour en chemin vers une vie meilleure.

Moi mes souliers ont beaucoup voyagé Ils m'ont porté de l'école à la guerre J'ai traversé sur mes souliers ferrés Le monde et sa misère.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé………5

Remerciements………...6

Introduction………7

Méthodologie……….14

Plan du mémoire………15

Chapitre 1. Perspectives théoriques………...16

Revue de littérature………16

Cadre d’analyse………..25

Les données………27

Chapitre 2. La divergence des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière……….29

La politique suédoise en matière de migration irrégulière……….29

La politique norvégienne en matière de migration irrégulière………...38

La politique danoise en matière de migration irrégulière………..46

Chapitre 3. L’opinion publique………..54

Chapitre 4. L’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves liés aux migrants……….64

Chapitre 5. Le poids politiques des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite……….72

Conclusion………....79

Annexe 1. Données colligées à partir de sondages………84

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RÉSUMÉ

Dix ans après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, pourquoi les gouvernements de pays partageant plusieurs similitudes, notamment en ce qui a trait à la géographie, à l’histoire, à la culture, au développement économique et même au système politique, pourquoi, donc, de tels gouvernements continuent-ils à mettre en œuvre des politiques divergentes en matière de migration irrégulière? Voilà la problématique étudiée dans le cadre de ce mémoire. En comparant les États scandinaves au cours des quelque trente dernières années, nous arguons que des variations tant de l’opinion publique en matière de migration que de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants ont mené à des variations du poids politique des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite, variations qui expliquent, quant à elles, la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière. En ciblant les trois États scandinaves, qui ont fait l’objet de très peu de comparaisons systématiques en matière de migration, et ce, même si leur situation migratoire a grandement évolué, nous tentons de combler une lacune dans la littérature à cet égard. En plus de soulever des interrogations quant à la viabilité d’une Union européenne sans cesse élargie, les résultats offrent des pistes de réflexion aux personnes souhaitant influencer les prises de décision politiques.

ABSTRACT

Ten years after the entry into force of the Maastricht Treaty, why the governments of countries sharing many similarities, particularly in regard to geography, history, culture, economic and political development, why such governments continue to formulate and implement diverging policies on irregular migration? This is the question under scrutiny in this thesis. Through the comparison of the three Scandinavian countries over the last thirty years, we argue that variations in public opinion towards migration as well as variations in the influence of Scandinavian domestic interest groups working on migration issues led to variations in the political influence of right-wing Scandinavian national parties, which, in turn, contributed to the divergence of Scandinavian national policies on irregular migration. By targeting three understudied cases whose migration situation has recently evolved significantly, we attempt to fill a gap in the current literature. In addition to raising questions about the viability of an ever growing European Union, our results identify paths for reflection for those who wish to influence the policymaking process.

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REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire de maîtrise n'aurait pas été possible sans la participation enthousiaste et le soutien incommensurable de plusieurs individus et organisations.

J'aimerais d'abord souligner la contribution de mon superviseur, le professeur Rex Brynen, de même que celle de ma cosuperviseure, la professeure Antonia Maioni. Je leur saurai toujours gré de m'avoir laissé la latitude nécessaire pour mener à bien le présent projet de recherche. Leur intérêt manifeste, leur grande ouverture d’esprit et leur rigueur continueront de m'inspirer bien après la remise de ce mémoire.

Je désire aussi remercier les personnes qui ont généreusement accepté de m'accorder des entrevues, lors de ma recherche sur le terrain en Scandinavie. Leurs commentaires, parfois déconcertants, ont permis d'améliorer grandement l'analyse préalablement effectuée grâce aux sources secondaires.

Je souhaite en outre exprimer ma reconnaissance au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, au Fonds de recherche du Québec - Société et Culture, ainsi qu'à la Faculté des Arts de l'Université McGill, dont le soutien financier a permis la réalisation de mon programme de maîtrise et celle de ce mémoire en particulier.

Finalement, mes pensées et mes remerciements sincères vont à ma famille et à mes amis qui, par leurs encouragements, leurs connaissances et leurs critiques, ont fait de la période de ma maîtrise une étape stimulante.

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INTRODUCTION

Au cours des trois dernières décennies, la question des migrations s’est hissée au sommet de l’agenda politique de plusieurs États. La prolifération des migrations temporaires et répétées, de même que l’importance de leurs conséquences sociales et économiques, ont en effet contribué à faire de la migration un phénomène plutôt saillant.1 Cette mise à l’agenda a été suivie, dans la très grande majorité des pays, par l’adoption de nouvelles politiques en matière de migration. Une tendance générale vers une gestion plus stricte de celle-ci s’est alors accentuée, laquelle s’est focalisée, entre autres, sur une lutte active contre la migration irrégulière.2 C’est dans ce contexte que les États membres de l’Union européenne ainsi que ses pays limitrophes, notamment ceux qui sont membres de l’espace Schengen, ont commencé à harmoniser leurs politiques en matière de migration irrégulière.

Dix ans après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, force est de constater que bien que les États membres de l’espace Schengen coopèrent étroitement en ce qui a trait à la gestion de la frontière extérieure de cet espace, une panoplie de politiques nationales plus ou moins différentes subsistent toujours, que ce soit en ce qui a trait à la régularisation des migrants irréguliers, aux sanctions associées aux comportements liés à la migration irrégulière ou à l’émission d’interdictions de réadmission sur le territoire de l’Union européenne.3 Encore plus curieusement, il semble que dans certains cas, les

politiques mises en place en ce qui a trait à la migration irrégulière aient été relativement libérales, divergeant considérablement de celles mises en œuvre à l’intérieur d’autres pays autrement très similaires. Mais pourquoi les gouvernements de pays partageant

plusieurs similitudes, notamment en ce qui a trait à la géographie, à l’histoire, à la

1 Stephen Castles et Mark J. Miller, The Age of Migration: International Population Movements in the Modern World (New York: Guilford Press, 1998), 1; Stephen Castles, "Why migration policies fail" Journal of Ethnic and Racial Studies Vol. 27, No. 2 (2004), 205.

2 Mechthild Baumann et al., Crossing and controlling borders: immigration policies and their impact on migrants’ journeys (Birmingham: Budrich UniPress, 2011), 10-11; Idil Atak, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière (Bruxelles: Bruylant, 2011), 3.

3 Christal Morehouse et Michael Blomfield, "Irregular Migration in Europe". Migration Policy Institute.

Décembre 2011. En ligne: http://www.migrationpolicy.org/pubs/tcmirregularmigration.pdf (page consultée le 5 octobre 2013); Jorg Mönar, "Flexibility and Closer Cooperation in an Emerging European Migration

Policy: Opportunities and Risks". 1999. En ligne:

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culture, au développement économique et même au système politique, pourquoi, donc, de tels gouvernements continuent-ils à mettre en œuvre des politiques divergentes en matière de migration irrégulière? C’est l’explication de ce constat particulier, qui n’a pas

fait l’objet jusqu’à maintenant d’une étude systématique, qui constitue l’objet du présent mémoire. Il s’agira plus précisément d’effectuer une étude de cas comparative des politiques formulées et mises en œuvre en matière de migration irrégulière par la Suède, la Norvège et le Danemark au cours des trente dernières années, et ce, de manière à tenter de découvrir les facteurs explicatifs de la divergence de ces politiques mises en place dans des pays autrement fort similaires. En effet, si la Suède a maintenu et renforcé une politique passablement libérale au cours des trente dernières années, la politique danoise plutôt libérale des années 1980 a, pour sa part, cédé peu à peu la place à une politique considérablement plus restrictive et punitive, tandis que l’approche norvégienne a connu une évolution moins marquée en devenant légèrement plus restrictive que dans les années 1980. Mais, avant toute autre chose, il semble ici nécessaire d’établir d’abord ce que l’on entend par le terme migration irrégulière, pour ensuite définir une politique en matière de

migration irrégulière et différencier une politique dite libérale d’une politique dite restrictive.

La migration irrégulière est un terme apparu durant les années 1930 qui a véritablement été popularisé à la fin des années 1970, et ce, pour caractériser tout comportement migratoire se situant hors du cadre légal établi, qu’il s’agisse de questions d’entrée, de séjour ou de travail sur le territoire d’un État tiers.4 Le phénomène de la

migration irrégulière constitue, quant à lui, une construction politico-légale qui a fait son apparition à la suite de la Première Guerre mondiale, alors qu’ont commencé à être instituées plus systématiquement les différentes techniques de contrôle des mouvements des migrants, telles le passeport et les procédures de renvoi.5 Ce n’est en effet que lorsque

plusieurs États ont élaboré une politique plus holistique en matière de migration qu’on a vu certains comportements migratoires spécifiques être déclarés illégaux.

4 Franck Düvell, "Clandestine migration in Europe" Social Science Information Vol. 47, No. 4 (2008), 480;

Idil Atak, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière (Bruxelles: Bruylant, 2011), 8-15.

5 Franck Düvell, "Paths into irregularity: The legal and political construction of irregular migration" Journal of European Migration and Law Vol. 13, No. 3 (2011), 275-95; Peter Andreas, "Redrawing the line: borders and security in the 21st century" International Security Vol. 28, No. 2 (2003), 78-9.

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9 La catégorie des migrants dits irréguliers, illégaux, clandestins, non autorisés, sans papiers (alors qu’en réalité, ce sont leurs comportements et non les migrants eux-mêmes qui sont irréguliers, non autorisés, illégaux6) comprend plusieurs types de migrants qui n’ont pas « les autorisations nécessaires ou les documents requis selon la loi d’immigration [d’un pays hôte] pour entrer, résider et travailler dans le pays en question7» ou qui ne remplissent pas les exigences administratives pour quitter un pays.8 Bien que cette définition implique que des visiteurs ou des résidents qui ne renouvellent pas leurs autorisations de séjour puissent être considérés comme des migrants irréguliers, le terme est surtout utilisé pour désigner les migrants qui franchissent les frontières à des endroits inhabituels, de même que les migrants économiques qui n’ont pas de permis de travail valide, ainsi que les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée ou refusée et qui disparaissent durant le processus de demande d’asile ou qui refusent de quitter le pays où ils ont effectué cette demande. Il est cependant à noter qu’en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, les réfugiés qui ont des comportements irréguliers ne sont pas censés se voir appliquer des sanctions pénales, « sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières9».

Une politique en matière de migration irrégulière est donc constituée de l’ensemble des actions et inactions gouvernementales posées afin de faire face au phénomène de la migration irrégulière. C’est donc dire qu’il s’agit d’une politique englobant la détection des migrants irréguliers (tant à la frontière des États que sur l’ensemble de leur territoire), la sanction des comportements migratoires irréguliers, la détention éventuelle (tant administrative que pénale) de ces migrants, les procédures de

6 Franck Düvell, "Irregular migration: a global, historical and economic perspective”, dans Franck Düvell,

dir., Illegal immigration in Europe: beyond control? (New York: Palgrave Macmillan, 2006), 14-28.

7 Organisation internationale pour les migrations, Glossaire de la migration (Genève: Organisation

internationale pour les migrations, 2007), 50.

8 Dans ce mémoire, nous privilégions l’emploi des termes « migration irrégulière » et « migrants irréguliers

», qui font l’objet d’une utilisation répandue au sein de plusieurs institutions internationales impliquées dans le domaine, telles que l’Assemblée générale des Nations Unies. Voir Assemblée générale des Nations Unies, "Les mesures destinées à faire respecter les droits de l’homme et la dignité de tous les travailleurs migrants". Résolution 3449 (XXX) du 9 décembre 1975. En ligne: http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/3449(XXX)&Lang=F (page consultée le 5 octobre 2013).

9 Article 31 de la Convention relative au Statut des Réfugiés, 189 U.N.T.S. 150, entrée en vigueur le 22

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10 renvoi forcé ainsi que celles de retour volontaire, les options en matière de régularisation des statuts irréguliers et, enfin, la réadmission éventuelle des migrants irréguliers sur un territoire duquel ils ont été expulsés.Il est à noter que les mesures ciblant les individus s’adonnant au trafic et au transport illégaux de migrants (human traffickers and

smugglers) ne feront pas l’objet d’un examen soutenu dans ce mémoire, d’une part, parce

qu’elles ne visent pas les migrants irréguliers eux-mêmes et, d’autre part, parce qu’il s’agit de politiques complexes qui nécessiteraient à elles seules beaucoup plus d’attention que ce mémoire peut leur en accorder.

Une politique en matière de migration irrégulière peut être qualifiée de « libérale » (le terme « permissive » est lui aussi employé à l’occasion) ou de « restrictive » (terme auquel on associe aussi ceux de « stricte » et « rigide »).10 Mais qu’en est-il concrètement? L’« idéal-type » de la politique libérale en matière de migration irrégulière est une politique qui préconise que le droit à l’immigration devrait être renforcé et/ou rendu accessible à de nouveaux groupes. Une approche libérale privilégie également une interprétation souple des lois existantes et une prise en considération des circonstances personnelles du migrant irrégulier, et ce, en lui laissant le bénéfice du doute lorsque les circonstances le requièrent.11 En termes concrets, cela signifie que le contrôle de l’entrée et de la résidence des ressortissants étrangers présents sur le territoire d’un État se fait de façon permissive, que les conditions de détention des migrants irréguliers faisant l’objet d’une détention administrative se rapprochent le plus possible des conditions de vie en liberté et que la politique inclut des avenues, en matière de régularisation, ainsi que des programmes d’assistance financière et logistique en ce qui a trait au retour volontaire des migrants irréguliers dans leur pays de provenance.12

10 Voir e.g. Hugh Davis Graham, Collision Course: The Strange Convergence of Affirmative Action and Immigration Policy in America (Oxford: Oxford University Press, 2002), 2-4; Nieves Ortega Pérez, "Spain:

Forging an Immigration Policy". 2003. En ligne:

http://www.migrationinformation.org/feature/display.cfm?ID=97 (page consultée le 5 octobre 2013); Frøy Gudbrandsen, "Partisan influence on immigration: the case of Norway" Scandinavian Political Studies Vol. 33, No. 3 (2010), 254.

11 Frøy Gudbrandsen, "Partisan influence on immigration : the case of Norway" Scandinavian Political Studies Vol. 33, No. 3 (2010), 254-5.

12 Tomas Hammar, European Immigration Policy: A Comparative Study (Cambridge: Cambridge

University Press, 1985), 9; Frøy Gudbrandsen, "Partisan influence on immigration: the case of Norway" Scandinavian Political Studies Vol. 33, No. 3 (2010), 254-5.

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11 D’un autre côté, l’idéal-type de la politique restrictive en matière de migration irrégulière est une politique dont un des objectifs principaux est de restreindre le droit à l’immigration et de diminuer le nombre d’immigrants présents sur le territoire. Pour ce faire, la politique restrictive privilégie, entre autres, une interprétation stricte des lois existantes et la mise en œuvre plus « efficace » de celles-ci.13 Il s’agit également d’une

politique qui a habituellement un caractère punitif. Dans le cadre d’une telle politique, on priorise donc la détection des migrants irréguliers plus que l’amélioration de leurs conditions de détention, on distribue de façon plus systématique les interdictions de réadmission sur le territoire dans les cas d’expulsion et on encourage le retour volontaire des migrants présents sur le territoire dans leur pays de provenance.

Évidemment, nul n’est besoin de préciser qu’aucune des politiques scandinaves à l’étude dans ce mémoire ne correspond parfaitement aux descriptions idéal-typiques explicitées ci-haut. Les politiques scandinaves nationales se situent plutôt à différents points sur la courbe des politiques nationales en matière de migration irrégulière, intégrant, selon le pays, plus ou moins d’éléments libéraux et restrictifs. Reconnaissant le caractère mouvant et évolutif des politiques publiques de manière générale, il nous a semblé intéressant d’examiner la ou les raisons pour lesquelles les gouvernements de pays similaires à bien des égards continuent d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques divergentes en matière de migration irrégulière.

L’argument que nous soutenons est que des variations tant de l’opinion publique en matière de migration (V1) que de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants (V2) ont mené à des variations du poids politique des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite (V3), variations qui expliquent, quant à elles, la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière. Il faut bien sûr mentionner ici que les variations tant de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves susmentionnés (V2) que de celle des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite (V3) ont également contribué à faire varier l’opinion publique en matière de migration (V1), favorisant ainsi

13 Frøy Gudbrandsen, "Partisan influence on immigration: the case of Norway" Scandinavian Political Studies Vol. 33, No. 3 (2010), 254.

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12 la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière.

Schéma 1. Variables à l’étude

Opinion publique Divergence des (V1) politiques nationales Poids politique des scandinaves en partis nationaux scandinaves matière de d’extrême-droite migration irrégulière (V3) (VD)

Influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants (V2)

Il semble ici approprié de préciser ce qu’on entend exactement par la divergence des politiques. La divergence des politiques est une réalité qui s’observe essentiellement de façon partielle : il est rare que l’on observe simultanément une divergence de tous les éléments constitutifs d’une politique publique.14 Dans le cadre de ce mémoire, nous

considérons des politiques comme étant divergentes si elles présentent plus de différences que de similitudes quant à leurs objectifs, leur contenu respectif (c’est-à-dire les manifestations formelles de l’action gouvernementale telles que les lois, règlements et décisions judiciaires) et leurs instruments (c’est-à-dire les structures institutionnelles disponibles pour la mise en œuvre de ces politiques).15

Il semble également à propos de préciser sans plus attendre l’intérêt qu’il y a à étudier des cas qui ne semblent pas a priori particulièrement connus pour leurs dynamiques migratoires, tels que les cas scandinaves. Il faut d’abord souligner l’importance de documenter ces cas, étant donné l’évolution appréciable qui s’est produite dans ces pays au cours des trente dernières années. En effet, si, en raison de leur localisation géographique, les États scandinaves se sont trouvés en quelque sorte éloignés

14 Patrick Hassenteufel, "De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. Les

déplacements de la construction d’objets comparatifs en politiques publiques" Revue française de science politique Vol. 55, No. 1 (2005), 124.

15 Patrick Hassenteufel, "De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. Les

déplacements de la construction d’objets comparatifs en politiques publiques" Revue française de science politique Vol. 55, No. 1 (2005), 124; Colin J. Bennett, "What Is Policy Convergence and What Causes It?" British Journal of Political Science Vol. 21, No. 2 (1991), 218.

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13 des routes migratoires irrégulières européennes jusqu’au début des années 1980, il semble que le développement des moyens de transport ait diminué l’isolement scandinave, comme tend à le démontrer l’augmentation du nombre estimé de migrants irréguliers en Scandinavie16, de même que le fait que la Suède soit devenue la destination préférée des mineurs non accompagnés demandeurs d’asile à l’intérieur de l’Union européenne.17

En outre, cette sélection de cas vise également à combler une lacune dans la littérature sur la migration irrégulière. S’il est vrai qu’au cours des vingt dernières années une attention considérable a été dévolue aux migrants irréguliers transitant par les États nord-africains ou par la Turquie, les États européens situés plus au nord, tels que les États scandinaves, ont quant à eux reçu beaucoup moins d’attention, bien qu’ils aient pourtant eu à composer avec un nombre considérable de demandeurs d’asile et, vraisemblablement, de migrants irréguliers.18 Il est également à mentionner que parmi les quelques ouvrages et articles parus spécifiquement à propos des politiques scandinaves en matière de migration irrégulière, la plupart ne traitent que d’un ou deux aspects particuliers de ces politiques, tels que les politiques et pratiques en matière de santé.19 De fait, les seuls rapports à avoir couvert la vaste majorité des facettes des politiques nationales en matière de migration irrégulière ont été ceux réalisés au cours des dernières

16 Les plus récents estimés disponibles sur le sujet font état de la présence de 15 000 à 80 000 migrants

irréguliers en Suède, de 10 000 à 30 000 en Norvège et de 20 000 à 50 000 au Danemark. Voir Carin B. Cuadra, "Policies on health care for undocumented migrants in EU27. Country Report – Sweden". 2010. En ligne: http://files.nowhereland.info/692.pdf (page consultée le 5 octobre 2013); European Migration Network, "Practical responses to irregular migration into Norway". 2012. En ligne: http://emn.intrasoft-intl.com/Downloads/prepareShowFiles.do;jsessionid=BA780AB834B6331A0D2BBC046B659AFD?entry Title=05_Practical%20Measures%20for%20Reducing%20IRREGULAR%20MIGRATION (page consultée le 5 octobre 2013); The Copenhagen Post, "Illegal Immigrants Flocking to Denmark". 30 mars 2012. En ligne: http://cphpost.dk/news/national/illegal-immigrants-flocking-denmark (page consultée le 5 octobre 2013).

17 Andrew Geddes, The politics of migration and immigration in Europe (Londres: Sage Publications,

2003), 110; Frontex, "Unaccompanied minors in the migration process". Décembre 2010. En ligne: www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Unaccompanied_Minors_in_Migration_Process. pdf (page consultée le 5 octobre 2013).

18 Voir e.g. Derek Lutterbeck, "Policing migration in the Mediterranean" Mediterranean Politics Vol. 11,

No. 1 (Mars 2006), 59-82; Thanos Maroukis et al., 2011. "Irregular migration and informal economy in Southern and Central-Eastern Europe: breaking the vicious cycle" International Migration Vol. 49, No. 5 (2011), 129-56.

19 Trine Lund Thomsen, Irregular migration in a Scandinavian perspective (Maastricht: Shaker Publishing,

2010); Anne Rytter Hansen et Allan Krasnik, "Access to health care for undocumented immigrants: rights and practice" Danish Medical Bulletin Vol. 54, No. 1 (2007), 50-1; Martin Bak Jørgensen et Susi Meret, "Framing Scandinavian Conceptualizations of Irregular Migration" Nordic Journal of Migration Research Vol. 2, No. 4 (2012), 290.

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14 années par l’European Migration Network, un réseau de recherche dont la coordination est assurée par la Commission européenne.20 Or, si les rapports rédigés au sujet d’une vingtaine de pays européens (dont ceux de la Suède et de la Norvège) sont d’ores et déjà disponibles en ligne, rien n’indique qu’un rapport équivalent soit diffusé prochainement au sujet du Danemark, qui est pourtant un État membre de l’Union européenne.21 De la

même façon, si l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a publié en 2011 un rapport comparatif sur les droits des migrants irréguliers dans l’Union européenne, ce rapport ne fait évidemment pas état de la situation en Norvège, étant donné que la Norvège n’est pas un État membre de l’Union.22 En somme, bien qu’il

existe un certain nombre d’ouvrages, d’articles et de rapports parus au sujet des politiques scandinaves en matière de migration irrégulière, l’information qu’ils présentent ne porte bien souvent que sur quelques-uns des cas scandinaves ou encore seulement sur certains aspects de ces politiques. Une comparaison plus exhaustive et systématique, telle que celle présentée dans ce mémoire, s’avérera donc vraisemblablement utile. Il faut néanmoins souligner que la sélection des cas à l’étude dans ce mémoire répond également à des impératifs méthodologiques.

Méthodologie

La méthodologie qualitative constitue la méthodologie privilégiée dans le cadre de ce mémoire. Le mode principal d’investigation envisagé est plus précisément une étude de cas comparative. Trois États partageant plusieurs similarités, notamment en termes culturels, politiques et économiques, ont en effet été sélectionnés afin de circonscrire les facteurs explicatifs de la divergence de leurs politiques à l’égard de la migration irrégulière. Concrètement, le mémoire est fondé sur le « design de recherche des systèmes les plus similaires » (most similar systems design) dont l’idée de base est tirée

20 European Commission, "European Migration Network". 2013. En ligne: http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/networks/european_migration_network/index_en.htm (page consultée le 5 octobre 2013).

21 European Migration Network, "Synthesis Report – Practical Measures to Reduce Irregular Migration".

Avril 2013. En ligne: http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-

do/networks/european_migration_network/reports/docs/emn-studies/irregular-migration/0a_emn_synthesis_report_irregular_migration_publication_april_2013_en.pdf (page consultée le 5 octobre 2013).

22 European Union Agency for Fundamental Rights, "Fundamental Rights of Migrants in an Irregular

Situation in the European Union". 2011. En ligne: http://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/1827-FRA_2011_Migrants_in_an_irregular_situation_EN.pdf (page consultée le 5 octobre 2013).

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15 de la méthode des variations concomitantes de John Stuart Mill.23 En faisant ainsi la comparaison d’États scandinaves partageant plusieurs similarités, on a espoir de maintenir constantes et de laisser de côté, lors de l’analyse, un maximum de variables exogènes ne permettant pas d’expliquer la formulation et la mise en œuvre de politiques nationales divergentes en matière de migration irrégulière.24 Il est certain que cette

méthode de recherche n’est pas sans faille, notamment parce qu’elle cible un très grand nombre de variables tout en ne travaillant que sur un petit nombre de cas.25 Néanmoins,

comme le souligne Carsten Anckar, quelle que soit la méthode utilisée par les politologues comparatistes, il ne sera jamais possible de surmonter complètement le problème de la complexité causale.26 En ce qui a trait à la question de recherche qui nous préoccupe, le design de recherche des systèmes les plus similaires semble constituer un choix défendable au regard des considérations méthodologiques et des ressources allouées à la réalisation du présent mémoire. En outre, l’étude de trois variables indépendantes à l’aide de trois cas examinés sur une période de trente ans semble avoir le potentiel d’offrir certaines perspectives intéressantes. Analyser l’évolution des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière, et ce, au cours des trente dernières années, permet en effet d’examiner le cycle complet des politiques publiques, de la mise à l’agenda des nouvelles politiques des années 1980 à la mise en œuvre et à l’évaluation des nouvelles politiques des années 2000, en passant par toutes les étapes intermédiaires.

Plan du mémoire

Ce mémoire est divisé en six chapitres. Le chapitre un présente les perspectives théoriques sur lesquelles se fonde ce mémoire. Il est constitué plus précisément d’une revue de la littérature sur laquelle est basée la sélection de nos variables indépendantes.

23 Adam Przeworski et Henry Teune, The logic of comparative social inquiry (New York: Wiley, 1970), 34. 24 Carsten Anckar, "On the applicability of the most similar systems design and the most different systems

design in comparative research" International Journal of Social Research Methodology Vol. 11, No. 5 (2008), 389; Theda Skocpol, dir. Visions and methods in historical sociology (Cambridge: Cambridge University Press, 1984), 379.

25 Arend Lijphart, "Comparative Politics and the Comparative Method" American Political Science Review

Vol. 65, No. 3 (1971), 685.

26 Carsten Anckar, "On the applicability of the most similar systems design and the most different systems

design in comparative research" International Journal of Social Research Methodology Vol. 11, No. 5 (2008), 399.

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16 Nous y présentons en outre notre cadre d’analyse ainsi que les données utilisées. Le

chapitre deux dresse un portrait des politiques formulées et mises en œuvre en matière de

migration irrégulière en Suède, en Norvège ainsi qu’au Danemark, au cours des trente dernières années. La démonstration de la divergence de ces politiques y est effectuée. Le

troisième chapitre se penche sur la première variable indépendante à l’étude dans ce

mémoire, soit les variations à travers le temps de l’opinion publique suédoise, norvégienne et danoise quant aux questions de migration et de migrants. Le chapitre

quatre discute, quant à lui, des variations du degré d’influence des groupes d’intérêt

nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants. Le chapitre cinq traite des variations du poids politique des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite. Enfin, le sixième et ultime chapitre effectue un retour sur les résultats obtenus et précise les contributions théoriques et empiriques du mémoire, en plus de présenter quelques observations finales.

CHAPITRE UN : PERSPECTIVES THÉORIQUES

Revue de littérature

L’étude des politiques publiques comparées est un sous-domaine de la politique comparée qui a émergé dans les années 1950 mais qui n’a véritablement gagné en importance qu’à partir des années 1970.27 En mettant l’accent sur la comparaison de

politiques publiques plutôt que sur la comparaison de systèmes politiques entiers, le sous-domaine des politiques publiques comparées examine différentes problématiques.28 Quels sont les déterminants de la convergence et/ou de la divergence des décisions publiques dans certains contextes? Comment expliquer l’évolution d’une politique publique sectorielle à l’intérieur d’un pays, et ce, à travers le temps? À quel point les politiques

27 Peter Knoefpfel et Corrine Larrue, "Les politiques publiques comparées: tourisme intelligent ou vrai

progrès? Le cas des politiques comparées de l’environnement" Politiques et management public Vol. 2, No.3 (1984), 46; Patrick Hassenteufel, "De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. Les déplacements de la construction d’objets comparatifs en politiques publiques" Revue française de science politique Vol. 55, No. 1 (2005), 115.

28 Peter Knoefpfel et Corrine Larrue, "Les politiques publiques comparées: tourisme intelligent ou vrai

progrès? Le cas des politiques comparées de l’environnement" Politiques et management public Vol. 2, No. 3 (1984), 47.

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17 publiques nationales d’un pays sont-elles interdépendantes? Quel est le rôle des acteurs transnationaux dans l’élaboration des politiques publiques? Voilà quelques-unes des questions traitées en politiques publiques comparées.29 Mais quelles sont donc les assises théoriques dans lesquelles s’inscrivent les recherches des chercheurs de ce sous-domaine?

Les approches institutionnalistes

L’idée de départ partagée par tous les institutionnalistes est que « la structure des institutions politiques influe sur l’action des gouvernements et sur la façon dont ils conduisent cette action30». L’école de pensée qui est désormais connue sous le nom de «

vieil institutionnalisme » (old institutionnalism) a été la première école à se pencher véritablement sur l’importance des institutions dans l’explication des phénomènes sociopolitiques, et ce, vers la fin du 19e siècle.31 Il faudra cependant attendre les années 1970 pour que les institutionnalistes fassent davantage que décrire les institutions formelles et légales et pour que leurs idées soient reprises puis étoffées davantage par les tenants du néo-institutionnalisme, lui-même divisé en trois courants, soit l’institutionnalisme historique, l’institutionnalisme du choix rationnel et l’institutionnalisme sociologique.32 Pour les tenants du néo-institutionnalisme, les

différences quant aux institutions nationales, entendues ici au sens large comme les règles formelles et informelles régissant le fonctionnement de l’État (législatures, tribunaux, exécutifs, constitutions, etc.) mais également les acteurs qui prennent part au processus politique (syndicats, groupes d’intérêt, etc.) ainsi que les idées répandues (aussi appelées « normes de comportement33»), pourraient donc expliquer les différents effets observés en termes de politiques publiques (policy outcomes).34

29 Pour d’autres exemples de questions, voir e.g. Peter John, "Is There Life After Policy Streams, Advocacy

Coalitions, and Punctuations: Using Evolutionary Theory to Explain Policy Change" The Policy Studies Journal Vol. 31, No. 4 (2003), 482.

30 Sven Steinmo, "Néo-institutionalismes", dans Laurie Boussaguet et al., dir., Dictionnaire des politiques publiques (Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2004), 290.

31 Stephen Bell, "Institutionalism: Old and New", dans Dennis Woodward et al., dir., Government, Politics, Policy and Power in Australia (Melbourne: Pearson Australia, 2002), 24.

32 Peter Hall et Rosemary Taylor, "Political science and the three new institutionalisms" Political Studies

Vol. 44, No. 5 (1996): 936-957.

33 Sven Steinmo, "Néo-institutionalismes", dans Laurie Boussaguet et al., dir., Dictionnaire des politiques publiques (Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2004), 291.

34 Peter Hall et Rosemary Taylor, "Political science and the three new institutionalisms" Political Studies

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18 Également centrale au néo-institutionnalisme est l’idée que les institutions n’évoluent ni rapidement, ni aisément.35 Afin d’expliquer cette constatation, les

néo-institutionnalistes historiques réfèrent souvent à la notion de détermination historique (path dependence), selon laquelle la forme des institutions mises en place à un certain moment dans un pays restreint l’éventail des possibles pour le futur de ce pays.36 Les

néo-institutionnalistes historiques conviennent par exemple du fait qu’une fois une institution mise en place, il devient coûteux, exigeant et risqué de la modifier radicalement en raison, notamment, des coûts et efforts associés à la formation des employés, la coordination avec les autres institutions et le caractère imprévu des effets de cette modification.37 Selon eux, de telles considérations favoriseraient la stabilité des institutions plutôt que leur évolution.

Afin de tenter d’expliquer la stabilité des institutions, les néo-institutionnalistes réfèrent également à l’argument de Charles Lindblom selon lequel l’évolution des institutions et des politiques publiques se fait bien souvent de manière incrémentale, notamment parce que les décideurs n’ont bien souvent pas l’intérêt de faire autrement ou les ressources intellectuelles et financières pour le faire.38 Apporter des changements graduels plutôt que drastiques augmenterait en outre les chances d’atteindre un consensus social sur la question. Il faut cependant mentionner que l’on a reproché au modèle de Lindblom son manque de dynamisme, i.e. plus précisément le fait qu’il ne semble pas prévoir la possibilité que l’évolution des politiques publiques se fasse de façon incrémentale dans certaines circonstances et de manière drastique dans d’autres.39 Ceci

étant dit, comment les institutionnalistes expliquent-ils que des changements drastiques se produisent parfois en politiques publiques? Bien que certains institutionnalistes évoquent le concept de situations critiques (critical junctures) pour référer aux rares

35 Sven Steinmo, "Néo-institutionalismes", dans Laurie Boussaguet et al., dir., Dictionnaire des politiques publiques (Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2004), 295.

36 Paul Pierson, "When Effect Becomes Cause. Policy Feedback and Political Change" World Politics Vol.

45, No. 4 (1993), 595-628.

37 Douglass C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance (Cambridge:

Cambridge University Press, 1990).

38 Charles Lindblom, "The Science of Muddling Through" Public Administration Review Vol. 19, No. 2

(1959), 79-88; Alexandra Jonsson, "Incrémentalisme", dans Laurie Boussaguet et al., dir., Dictionnaire des politiques publiques (Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2004), 259-66. 39 David F. Prindle, "Importing Concepts from Biology into Political Science: The Case of Punctuated

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19 moments où des changements institutionnels substantiels prennent place, force est de constater que les approches institutionnalistes n’ont pas encore fourni une réponse tout à fait satisfaisante à cette question.40 D’autres courants théoriques proposent néanmoins certaines perspectives intéressantes à l’égard de cette question et d’autres questions également.

Les approches mettant l’accent sur les acteurs politiques et le contexte

Plutôt que de mettre l’accent sur les institutions, un certain nombre de modèles théoriques ciblent davantage les acteurs politiques et le contexte pour tenter d’expliquer les changements de politiques publiques à l’intérieur d’un même pays sur une période de temps donnée. En présentant en 1984 le concept de la « fenêtre d’opportunité », John W. Kingdon a ainsi insisté sur la nécessité pour plusieurs variables ou courants (streams) d’être présents au même moment pour qu’un changement considérable de politiques puisse être effectué.41 Selon lui, il faut, entre autres, qu’un problème politique soit défini et visible, et que les gens croient qu’il soit possible de remédier à la situation.42 Il faut également que des entrepreneurs de politiques, qui sont souvent des experts membres de groupes d’intérêt, aient développé une solution ou alternative qui soit réaliste.43 Enfin, le

contexte politique, i.e. l’amalgame des conditions socio-économiques, des revirements de l’opinion publique et des événements électoraux, devrait également être favorable à un changement. À titre d’exemple dans le domaine de la migration, on pourrait penser à l’arrivée de migrants irréguliers à la frontière d’un État, i.e. un problème politique concret et défini qui serait rendu visible par une couverture médique sur le sujet. L’ajout de gardes-frontières et l’acquisition de matériel de détection supplémentaire pourrait être une solution réaliste mise de l’avant par les fabricants du matériel en question, dans un contexte socio-économique difficile où l’arrivée de nouveaux migrants (et donc de potentiels travailleurs) serait vue d’un œil plus ou moins favorable par la population. En

40 Peter Hall et Rosemary Taylor, "Political science and the three new institutionalisms" Political Studies

Vol. 44, No. 5 (1996), 942.

41 John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies (Boston: Little, Brown and Company,

1984).

42 John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies (Boston: Little, Brown and Company,

1984), 119.

43 Pauline Ravinet, "Fenêtre d’opportunité", dans Laurie Boussaguet et al., dir., Dictionnaire des politiques publiques (Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2004), 219.

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20 somme, s’il est vrai que le modèle théorique de la « fenêtre d’opportunité » offre certaines perspectives intéressantes, il semble attacher une importance peut-être trop considérable à la chance et aux imprévus, tout en minimisant la capacité des individus de faire des choix de leur propre chef.

Mais Kingdon n’est pas le seul à avoir attaché une importance particulière aux acteurs politiques ainsi qu’au contexte pour tenter d’expliquer l’évolution des politiques publiques. En effet, plusieurs modèles partageant un certain nombre de similitudes, tels que le modèle du système politique développé par David Easton en 1965 et le plus récent

advocacy coalition framework de Hank Jenkins-Smith et Paul A. Sabatier, accordent

également une grande place aux groupes d’intérêt et à l’environnement à l’intérieur duquel les politiques publiques sont développées.44 Néanmoins, ces modèles semblent minimiser l’importance des idées et de l’information dans l’explication de l’évolution des politiques publiques.

Le modèle des équilibres ponctués, inspiré de la biologie évolutive, remédie à ce problème en proposant un modèle qui part de l’idée que la quantité d’information est souvent excédentaire lors des prises de décision politique.45 Selon les tenants de ce modèle, si une information (ou idée) dite nouvelle se fraie un chemin au sein des agences gouvernementales, des médias ou du grand public, elle se heurtera vraisemblablement à des obstacles institutionnels ou cognitifs.46 Ces obstacles favoriseraient un statu quo, jusqu’au moment où la présence de cette information soit si forte qu’elle provoque un changement.47 La durée des périodes de stabilité serait en partie déterminée par la capacité des différents acteurs politiques à populariser le sens et l’interprétation qu’ils font de cette information.48 Le modèle des équilibres ponctués, tel qu’adapté dans les

44 David Easton, A Framework for Political Analysis (Englewood Cliffs, N. J.: Prentice Hall, 1965); Hank

Jenkins-Smith et Paul A. Sabatier, "The Advocacy Coalition Framework: An Assessment", dans Paul A. Sabatier, dir., Theories of the Policy Process (Boulder, CO: Westview Press, 1999), 180-207.

45 Samuel Workman, Bryan D. Jones et Ashley E. Jochim, "Information Processing and Policy Dynamics" The Policy Studies Journal Vol. 37, No. 1 (2009): 75-92.

46 Samuel Workman, Bryan D. Jones et Ashley E. Jochim, "Information Processing and Policy Dynamics" The Policy Studies Journal Vol. 37, No. 1 (2009), 80.

47 Samuel Workman, Bryan D. Jones et Ashley E. Jochim, "Information Processing and Policy Dynamics" The Policy Studies Journal Vol. 37, No. 1 (2009), 82.

48 Samuel Workman, Bryan D. Jones et Ashley E. Jochim, "Information Processing and Policy Dynamics" The Policy Studies Journal Vol. 37, No. 1 (2009), 80.

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21 sciences sociales, a fait l’objet de critiques en raison du fait qu’il évacue la dimension géographique, une notion fondamentale du modèle original présenté en biologie évolutive, et qui est censée avoir un grand rôle dans la détermination des populations qui subiront les changements drastiques à un moment donné.49 Il s’agit néanmoins d’un modèle qui a été testé avec succès à plusieurs reprises à l’aide de données empiriques et statistiques.50

Une autre notion théorique fondamentale liée à la relation entre le contexte politique et l’évolution des politiques publiques est l’idée de policy responsiveness, selon laquelle il devrait y avoir un haut degré de correspondance entre les politiques publiques mises en œuvre par les gouvernements et les préférences de l’opinion publique, particulièrement dans les démocraties dites représentatives.51 Les résultats de plusieurs études, dont celle de Benjamin Page et Robert Shapiro, ont en effet suggéré qu’il existe une grande congruence entre les changements dans l’opinion publique et les changements de politiques publiques, et ce, particulièrement lorsque les enjeux sont saillants (ce qui est habituellement le cas pour les enjeux de migration) et que les changements dans l’opinion publique sont relativement importants et durables.52 Si certains chercheurs considèrent que la relation opinion publique/politique publique est plus complexe et que non seulement l’opinion publique influencerait les politiques publiques, mais les politiques publiques influenceraient également l’opinion publique, il n’en demeure pas moins que les idées de policy responsiveness and representation, selon lesquelles les acteurs et

49 Andràs Tilcsik et Christopher Marquis, "Punctuated Generosity: How Mega-events and Natural

Desasters Affect Corporate Philanthropy in U.S. Communities" Administrative Science Quarterly Vol. 58, No. 1 (2013), 112.

50 Frank Baumgartner et al., "Punctuated Equilibrium in Comparative Perspective" American Journal of Political Science Vol. 53, No. 3 (2009), 602-19; David Prindle, "Importing Concepts from Biology into Political Science: The Case of Punctuated Equilibriums" The Policy Studies Journal Vol. 40, No. 1 (2012) 37.

51 Arend Lijphart, Democracies: Patterns of Majoritarian and Consensus Government in Twenty-one Countries (New Haven, CT; London, UK: Yale University Press, 1984), 2.

52 Benjamin I. Page et Robert Y. Shapiro, "Effects of Public Opinion on Policy” American Political Science Review Vol. 77, No. 1 (1983), 175-89; Gallya Lahav, "Public Opinion Toward Immigration in the European Union. Does It Matter?" Comparative Political Studies Vol. 37, No. 10 (2004), 1178.

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22 décideurs politiques sont influencés directement ou indirectement par l’opinion publique, constituent un intéressant apport à la discipline.53

Les approches mettant l’accent sur l’importance des partis politiques

En réaction aux approches attachant une importance particulière aux acteurs politiques ainsi qu’au contexte ont été développées un certain nombre d’approches théoriques qui soulignent particulièrement l’importance des partis politiques dans le cycle des politiques publiques. La théorie partisane (Partisan Theory) soutient par exemple que les partis politiques sont motivés par leur idéologie et qu’ils poursuivent des objectifs partisans lorsqu’ils forment le gouvernement.54 L’orientation idéologique des partis

d’opposition influencerait elle aussi les effets politiques observés (policy outcomes).55

Mais pour adhérer à ces idées, encore faut-il, comme l’ont souligné certains, considérer que l’État, dans cette ère de mondialisation, détient toujours le monopole quant à la détermination des politiques, ce qui est loin d’être admis par tous.56 Quant à elle, la

Power Resource Theory suggère, un peu dans le même esprit que la théorie partisane, que

les politiques de protection sociale sont « un produit des legs historiques de l’influence des classes sociales et de la partisannerie57». Bien que cette théorie s’intéresse avant tout aux politiques de protection sociale et non aux politiques en matière de migration, il n’est pas improbable que s’observe une influence similaire dans le cas des politiques en matière de migration. En effet, étant donné que nombre de recherches sur les cas scandinaves s’inscrivent dans la Power Resource Theory et que les politiques en matière de migration irrégulière incorporent un certain nombre de mesures à caractère social, il ne serait pas étonnant d’observer qu’une influence partisane s’exerce effectivement dans le domaine des politiques en matière de migration irrégulière, ce que s’emploiera à analyser ce mémoire.

53 Stuart N. Soroka et Christopher Wlezien, "Opinion representation and policy feedback: Canada in

comparative perspective" Canadian Journal of Political Science Vol. 37, No.3 (2004), 531.

54 Peter Mair et Cas Muddle, "The Party Family and Its Study" Annual Review of Political Science Vol. 1

(1998), 211-29.

55 Christoffer Green-Pedersen, "Welfare State Retrenchment in Denmark and the Netherlands, 1982-1998:

The Role of Party Competition and Party Consensus" Comparative Political Studies Vol. 34, No. 9 (2001), 963-85.

56 Saskia Sassen, "Regulating Immigration in a Global Age: A New Policy Landscape" Annals of the American Academy of Political and Social Science Vol. 570, No. 1 (2000), 73.

57 Traduction libre de “[…] a product of legacies of class and partisan influence”. Clem Brooks et Jeff

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23

Les approches théoriques formulées au sujet des politiques en matière de migration

La littérature portant sur les politiques de migration comparées a graduellement pris son essor depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au fil des ans, de nombreux modèles ont en effet été élaborés afin de conceptualiser les déterminants des politiques d’immigration des pays développés.58 Ce sont aujourd’hui les modèles fondés sur

l’économie politique qui occupent une place prépondérante au sein de cette littérature. Plusieurs ont ainsi souligné l’importance de la conjoncture économique dans la détermination des politiques en matière de migration.59 D’autres se sont plutôt intéressés

tout particulièrement à la relation entre les considérations économiques liées à l’État providence et à la formulation des politiques en matière d’immigration.60 Dans la mesure où la disponibilité des ressources économiques et humaines a habituellement un rôle à jouer dans la formulation de toute politique publique, ces modèles offrent des perspectives intéressantes. Cependant, étant donné que la question des migrants irréguliers est habituellement perçue comme une question sécuritaire plutôt qu’économique, les modèles économiques semblent perdre un peu de leur pertinence dans le cadre de la présente recherche.61

Le modèle de clientélisme politique popularisé par Gary P. Freeman comble certaines de ces lacunes en ajoutant au modèle économique la dimension de l’importance des groupes d’intérêt touchés par l’immigration.62 Selon ce chercheur, les groupes

pro-migrants traditionnels, tels que les employeurs et les associations ethniques, disposent habituellement de ressources considérables, en plus d’être en mesure de se mobiliser

58 Jeanette Money, "Comparative Immigration Policy", dans Robert Allen Denemark, dir., The

International Studies Encyclopedia (Chister, UK: Wiley-Blackwell, 2010). En ligne:

http://www.isacompendium.com (page consultée le 5 octobre 2013).

59 Voir e.g. George Borjas, Heaven’s door: immigration policy and the American economy (Princeton, NJ:

Princeton University Press, 2001); Tito M. Boeri et al., Immigration Policy and the Welfare System (Oxford: Oxford University Press, 2002).

60 Voir e.g. Gary P. Freeman, "Migration and the political economy of the welfare state" The Annals of the American Academy of Political and Social Science Vol. 485, No. 1 (1986), 51-63; Michael Bommes et Andrew Geddes, Immigration and welfare: challenging the borders of the welfare state (New York: Routledge, 2000).

61 Catherine Dauvergne, Making people illegal: what globalization means for migration and law

(Cambridge: Cambridge University Press, 2008); Franck Düvell, "Paths into irregularity: The legal and political construction of irregular migration" Journal of European Migration and Law Vol. 13, No. 3 (2011), 275-95.

62 Gary P. Freeman, "Modes of immigration politics in liberal democratic states" International Migration Review Vol. 24, No. 4 (1995), 881-902.

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24 davantage que le large public. D’un autre côté, bien que le large public ne soit généralement pas en faveur d’une immigration massive, il peine à se mobiliser de manière à influencer les politiques publiques en la matière.63 Voilà qui expliquerait, selon plusieurs, l’écart supposé entre, d’une part, le discours restrictif tenu par plusieurs décideurs politiques au sujet de l’immigration et, d’autre part, les faits observables sur le terrain, soit l’arrivée, bon an mal an, de plusieurs milliers de migrants à l’intérieur d’un très grand nombre de pays à la fois développés et en développement.64 Si le modèle du

clientélisme politique semble effectivement offrir des perspectives intéressantes quant aux déterminants potentiels des politiques en matière de migration irrégulière, certains, dont Christina Boswell, considèrent qu’il sous-estime l’importance des institutions dans la canalisation et la balance des intérêts à l’œuvre.65

Dans une perspective différente, les tenants des approches identitaires soulignent l’importance des tensions culturelles et des conceptions nationales de ce que devrait être un citoyen pour expliquer l’évolution des politiques publiques en matière de migration.66

Si ces avancées théoriques présentent un certain intérêt, il est cependant difficile de les évaluer en pratique. En effet, il apparaît complexe de mesurer adéquatement le niveau de tension interculturelle d’une société autrement que par les manifestations concrètes de comportements violents; or, une telle manière de faire risque de conduire tout droit à la tautologie.67

En somme, il existe de multiples perspectives théoriques sur lesquelles le présent mémoire est basé. Bien que la revue de littérature présentée n’ait couvert qu’une infime partie des approches théoriques élaborées au regard des politiques publiques et des

63 James Hampshire, "Disembedding Liberalism? Immigration Politics and Security in Britain since 9/11",

dans Terry E. Given et al., dir., Immigration Policy and Security. U.S., European and Commonwealth Perspectives (New York: Routledge, 2009), 112.

64 Wayne Cornelius et al., dir., Controlling Immigration (Stanford: Stanford University Press, 1994), 3. 65 Christina Boswell, "Theorizing migration policy: is there a third way?" International Migration Review Vol. 41, No. 1 (2007), 75-100.

66 Eytan Meyers, "Theories of International Immigration Policy- A Comparative Analysis" International

Migration Review Vol. 34, No. 4 (2000), 1251.

67 Aristide Zolberg, "International Migration Policies in a Changing World System", dans William H.

McNeill et Ruth S. Adams, dir., Human Migration, Patterns and Policies (Bloomington: Indiana University Press, 1978), 269.

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25 politiques publiques en matière de migration, elle rassemble néanmoins les contributions théoriques qui ont servi à la création de notre propre cadre d’analyse.

Cadre d’analyse

En se basant sur la littérature présentée ci-haut, nous proposons le modèle suivant pour tenter d’expliquer la divergence observée au cours des trente dernières années quant aux politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière. L’argument que nous soutenons est que des variations tant de l’opinion publique en matière de migration (V1) que de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants (V2) ont mené à des variations du poids politique des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite (V3), variations qui expliquent, quant à elles, la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière. Il faut bien sûr mentionner ici que les variations tant de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves susmentionnés (V2) que de celle des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite (V3) semblent avoir contribué à faire varier l’opinion publique en matière de migration (V1), favorisant ainsi la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière.

V1 L’opinion publique en matière de migration

L’opinion publique est définie ici comme l’agrégat des opinions individuelles d’une proportion significative d’une population donnée sur une question d’intérêt public.68 Partant de l’idée que les gouvernements des démocraties où l’on retrouve un mode de scrutin proportionnel, tels que les gouvernements scandinaves, semblent particulièrement sensibles aux préférences de l’opinion publique, nous utilisons différents indicateurs de l’opinion publique en matière de migration afin de démontrer qu’on observe effectivement d’une part, une évolution, au fil du temps, de l’opinion publique de

68 Anne-Marie Gingras et Jean-Pierre Carrier, "Public Opinion: Construction and Persuasion" Canadian Journal of Communication Vol. 21, No. 4 (1996), 445; Encyclopaedia Britannica, "Public Opinion". 2013. En ligne : http://www.britannica.com/EBchecked/topic/482436/public-opinion (page consultée le 5 octobre 2013).

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26 chacun des pays à l’étude et, d’autre part, une variation entre l’opinion publique suédoise, norvégienne et danoise en ce qui a trait aux questions de migration.69

V2 L’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants

Par groupes d’intérêt, on entend toute association d’individus ou d’organisations qui, sur la base de préoccupations communes, tente d’influencer les décideurs politiques de manière à ce que les politiques publiques bénéficient à une ou plusieurs causes qu’elle promeut.70 Les groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants incluent donc les groupes traditionnellement impliqués dans la défense des droits des migrants, tels que les organisations de défense des droits humains et les organisations caritatives qui offrent différents services aux migrants, mais également les associations d’employeurs de même que les syndicats nationaux. En outre, notre définition implique que ces groupes soient actifs à l’échelle nationale des pays à l’étude, soit le Danemark, la Norvège et la Suède.

V3 Le poids politique des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite

Par partis politiques d’extrême-droite, nous entendons les organisations structurées dont les individus membres ont pour but d’acquérir et de conserver le pouvoir politique de manière à réaliser un programme politique d’extrême-droite.71 Quant à définir exactement ce qui constitue un programme politique d’extrême droite, cela s’avère complexe, comme l’ont mentionné à plusieurs reprises de nombreux chercheurs.72

Il n’en demeure pas moins que ces partis ont habituellement en commun certains éléments, tels que le souhait de diminuer la taille et les responsabilités de l’appareil étatique, un nationalisme fortement exprimé jumelé à une forme de xénophobie, ainsi qu’une tendance à prôner la loi et l’ordre et/ou à adopter une vision militariste.73 Mais tel

69 Voir e.g. Sara Binzer Hobold et Robert Klemmensen, "Responsive Government? Public Opinion and

Government Policy Preferences in Britain and Denmark" Political Studies Vol. 53, No. 2 (2005), 392.

70 Encyclopaedia Britannica, "Interest Group". 2013. En ligne: http://www.britannica.com/EBchecked/topic/290136/interest-group (page consultée le 5 octobre 2013).

71 Larousse, "Parti". 2013. En ligne: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/parti/58364 (page

consultée le 5 octobre 2013).

72 Cas Mudde, "The war of words defining the extreme right party family" West European Politics Vol. 19,

No. 2 (1996), 227.

73 Cas Mudde, "Right-Wing Extremism Analyzed. A Comparative Analysis of the Ideologies of Three

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27 qu’il l’a été souligné dans la littérature, on connaît les partis qui sont considérés comme faisant partie de l’extrême-droite, même s’il demeure complexe de déterminer exactement ce qui les fait appartenir à une telle catégorie idéologique.74 En somme, en se basant sur l’échelle de l’idéologie politique gauche/droite élaborée par Castles et Mair en 1984 de même que sur la littérature disponible sur le sujet, il nous est possible d’identifier les partis nationaux scandinaves d’extrême-droite.75 Enfin, nous définissons le poids

politique de ces partis comme étant l’influence qu’ils sont en mesure d’exercer sur le processus des politiques publiques.

La question qui se pose maintenant est: comment évaluer et mesurer ces trois variables?

Les données

L’ensemble des chapitres de ce mémoire s’appuient sur un certain nombre de données primaires et secondaires, tout en s’inscrivant dans une littérature scientifique abondante sur les politiques publiques. Le chapitre deux, dont l’objectif est de démontrer la divergence des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière, se base sur deux types de données primaires. D’une part, les documents diffusés par les gouvernements suédois, norvégien et danois (lois, énoncés de politique, communiqués de presse, etc.), de même que les rapports produits par différentes organisations non-gouvernementales et agences européennes à propos des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière ont été mis à profit. D’autre part, afin d’éclaircir certains aspects de ces politiques, notamment en ce qui a trait à leur mise en œuvre sur le terrain, ces données ont été complétées à l’aide des seize entrevues semi-dirigées individuelles, qui ont été réalisées à Copenhague, Oslo et Stockholm au mois de mars 2013, et ce, avec des juristes scandinaves spécialisés en migration, des membres d’organisations non gouvernementales impliquées dans les questions liées aux migrants, des chercheurs spécialisés sur certains aspects des politiques scandinaves en matière de G.B. Rush, "Toward a Definition of the Extreme Right" Pacific Sociological Review Vol. 63, No. 2 (1963), 66.

74 Cas Mudde, "The war of words defining the extreme right party family" West European Politics Vol. 19,

No. 2 (1996), 233.

75 Frances G. Castles et Peter Mair, "Left-right political scales: some ‘expert’ judgements" European Journal of Political Research Vol. 12, No. 1 (1984), 147-157.

Figure

Tableau 1. Pourcentage de répondants qui tendent à être en accord avec l’idée qu’en  prenant la décision de laisser ou non un migrant irrégulier résider dans leur pays,
Tableau 2. Pourcentage de répondants qui tendent à être en faveur de l’expulsion  sans exception de tous les migrants irréguliers de leur pays
Tableau 3. Pourcentage de répondants qui sont en accord ou très fortement en  accord avec l’idée que leur pays devrait mettre en place des mesures plus musclées  afin d’expulser et de garder hors du territoire de leur pays les migrants irréguliers
Tableau 4. Pourcentage de répondants estimant que le nombre d’individus qui  immigrent dans leur pays devrait être augmenté de beaucoup, augmenté de peu ou
+7

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