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La migration est un domaine des politiques publiques qui trône au sommet de l’agenda politique de plusieurs États, et ce, depuis maintenant quelques décennies. Dans le contexte de l’européanisation des politiques en matière de migration, le présent mémoire tentait de fournir des perspectives quant aux facteurs explicatifs des divergences observées à l'échelle des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière. Plus précisément, on se demandait pourquoi les gouvernements de pays partageant plusieurs similitudes, notamment en ce qui a trait à la géographie, à l’histoire, à la culture, au développement économique et même au système politique, pourquoi, donc, de tels gouvernements pouvaient continuer de mettre en œuvre des politiques divergentes en matière de migration irrégulière.

En sélectionnant des cas aussi peu étudiés que les trois pays scandinaves, on a cherché à pallier une lacune dans la littérature sur la migration irrégulière. En effet, étant donné que le peu de publications disponibles sur le sujet ne traite bien souvent que d’aspects spécifiques de ces politiques ou d’un seul des trois cas scandinaves, il a été

80 décidé de procéder à une étude de cas comparative plus systématique. C’est aussi dans cet esprit que la période à l’étude choisie a été de trente ans, ce qui permet d’étudier et de comparer l’évolution des politiques à l’intérieur de chacun des trois pays à l’étude.

En se basant sur la littérature disponible à propos des politiques publiques comparées, plus particulièrement celle ciblant les questions de migration, nous avons sélectionné trois variables et proposé un argument selon lequel des variations quant à l’opinion publique en matière de migration (V1) et quant à l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves liés aux migrants (V2) ont mené à des variations au niveau du poids politique des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite (V3), variations qui expliquent, quant à elles, la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière. Nous avons en outre remarqué que les variations tant de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves susmentionnés (V2) que de celle des partis nationaux scandinaves d’extrême-droite (V3) semblent avoir contribué à faire varier l’opinion publique en matière de migration (V1), favorisant ainsi la divergence observée au niveau des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière.

En utilisant différentes données d’opinion publique provenant du World Values

Survey, de l’International Social Survey Programme, de l’Eurobaromètre, du Pew Research Center’s Global Attitudes Project ainsi que de l’Integrerings Barometeret (un

sondage effectué en Norvège par le Directorate of Integration and Diversity), nous avons dégagé quelques tendances qui appuient notre argument. En premier lieu, nous avons constaté une tendance pro-migration qui a semblé se renforcer au fil des ans chez les Suédois, laquelle n’est probablement pas étrangère à la mise en place d’une politique suédoise relativement libérale en matière de migration. En deuxième lieu, nous avons distingué, un peu moins distinctement il est vrai, une préférence générale des répondants danois pour une politique plus restrictive en matière de migration. En dernier lieu, nous avons remarqué que l’opinion publique norvégienne semble un peu plus volatile que les opinions publiques suédoise et danoise, du moins sur les questions de migration. Nous avons aussi constaté que l’opinion publique norvégienne semble globalement être en faveur de mesures plutôt restrictives en matière de migration. Il est à noter que la rareté

81 des données disponibles sur l’opinion publique scandinave en matière de migration irrégulière, particulièrement sur l’opinion publique norvégienne, nous pousse à faire preuve de circonspection en avançant que les variations de l’opinion publique et les variations du caractère des politiques nationales scandinaves en matière de migration semblent effectivement avoir covarié à l’intérieur des quelque trente dernières années.

Dans un deuxième temps, nous avons comparé les variations de l’influence des groupes d’intérêt nationaux scandinaves dont le champ d’action est lié aux migrants, et ce, à travers le temps et les trois cas à l’étude. En nous penchant sur le moment d’apparition des groupes dont le champ d’action touche aux migrants irréguliers, de même que sur l’évolution de leur participation au sein des structures formelles de consultation mises sur pied par les gouvernements nationaux scandinaves, sur leur degré de diversité, de représentativité et de cohésion, sur leur degré de participation au débat public sur la migration et sur l’importance de la couverture médiatique dont ils font l’objet, nous avons dégagé certaines perspectives. Nous constatons d’abord que les groupes d’intérêt suédois pro-migrants semblent avoir été en meilleure position que leurs homologues norvégiens et danois pour influencer les dirigeants politiques dans leur choix de politiques en matière de migration. Non seulement certains des projets mis en œuvre par les groupes d’intérêt suédois et spécifiquement prévus pour les migrants irréguliers ont débuté sensiblement plus tôt que les projets équivalents mis en œuvre en Norvège et au Danemark, mais encore la plus grande diversité des groupes d’intérêt suédois pro- migrants a vraisemblablement augmenté leur représentativité et, par la même occasion, leur influence auprès des décideurs politiques. En outre, nous constatons aussi que le débat public sur la migration irrégulière semble avoir pris son essor un peu plus tôt en Suède qu’en Norvège et au Danemark, ce qui a vraisemblablement permis d’accroître la visibilité des groupes d’intérêt pro-migrants suédois un peu plus tôt que dans les deux autres pays (ce qui en soi a fourni aux groupes suédois la capacité d’influencer l’opinion publique auparavant). En raison de ces considérations, il est de notre avis que cette différence entre l’influence des groupes d’intérêt pro-migrants suédois, d’une part, et les groupes d’intérêt pro-migrants norvégiens et danois, d’autre part, explique en partie la mise en place d’une politique plus libérale en Suède et d’une politique plus restrictive en

82 Norvège et au Danemark. Le manque de données restreint cependant notre capacité à comparer plus précisément le degré d’influence des groupes norvégiens et danois, ce qui nous empêche de tirer des conclusions plus fermes quant à leur divergence respective en matière de politique migratoire.

Dans un troisième temps, nous nous sommes intéressés aux variations du poids politique des partis politiques nationaux scandinaves d’extrême-droite. En évaluant la présence des partis d’extrême-droite au sein des gouvernements nationaux scandinaves et en comparant le nombre de sièges occupés par les partis d’extrême-droite présents dans les parlements nationaux de la Suède, de la Norvège et du Danemark au cours des trente dernières années, on a constaté que les partis qui ont formé les gouvernements suédois successifs de cette période n’ont presque jamais eu l’occasion de coopérer avec des partis d’extrême-droite présents dans l’opposition, étant donné la quasi-absence de ces derniers au sein du Parlement suédois. D’un autre côté, on a aussi remarqué que les partis d’extrême-droite danois et norvégiens ont été significativement plus présents au sein de leur parlement respectif que leurs équivalents suédois et qu’ils étaient, de ce fait, vraisemblablement en meilleure position que leurs équivalents suédois pour influencer le cycle des politiques publiques, de même que le débat public sur les questions de migration. Enfin, on a noté que la capacité de négociation des partis d’extrême-droite danois semblait plus considérable que celle de l’unique parti d’extrême-droite norvégien, qui a été plutôt isolé par les autres partis politiques norvégiens jusqu’en 1997, année à partir de laquelle il s’est mis à avoir un rôle à jouer dans la survie de la coalition minoritaire centriste menée par Kjell Magne Bondevik. Cet écart dans la capacité de négociation des partis d’extrême-droite danois et celle de l’unique parti d’extrême-droite norvégien constitue, selon nous, une des raisons pour lesquelles la politique danoise en matière de migration irrégulière est devenue considérablement plus restrictive au fil du temps que ne l’est devenue la politique norvégienne équivalente.

En somme, il semble évident que d’autres facteurs qui n’ont pu être abordés dans le cadre de ce travail contribuent à expliquer en partie la divergence des politiques de ces États à l’égard de la migration irrégulière. Il n’a pas été possible, par exemple, d’examiner en détail la dimension municipale des politiques scandinaves en matière de

83 migration irrégulière, en dépit du fait que ce palier gouvernemental semble avoir une influence certaine, notamment en Suède.222Si davantage de recherches utilisant un plus grand nombre de cas ainsi que plus de données seront nécessaires pour tirer des conclusions plus fermes quant aux facteurs explicatifs de la divergence des politiques nationales en matière de migration irrégulière, les idées émises dans le présent travail semblent tout de même mettre en lumière certaines implications pratiques et théoriques non négligeables. D’une part, la persistance dans le temps de politiques nationales divergentes, même dans des domaines comme la migration où l’Union européenne tente d’orchestrer une harmonisation des politiques, soulève des interrogations quant à la viabilité à long terme d’une Union sans cesse élargie.223 D’autre part, les observations compilées dans le cadre de ce mémoire nous renvoient au débat structure-agence et à l’importance de l’individu. Il semble ainsi que l’opinion des individus influence les politiques publiques en matière de migration, que la force des groupes d’intérêt, elle- même dépendante du nombre de personnes qu’ils mobilisent, importe quant aux politiques publiques en matière de migration, et que la sélection de partenaires politiques présents dans l’opposition, effectuée par les individus membres de coalitions gouvernementales minoritaires, ont un impact sur les politiques en matière de migration. Bref, il semble que l’individu ait effectivement un rôle à jouer dans l’univers des politiques en matière de migration; il apparaît en conséquence primordial d’effectuer une étude approfondie de cette question, et ce, en raison aussi du caractère fondamental et éminemment actuel de cette problématique.

222 Gustav Lidén et Jon Nyhlén, "Explaining Local Swedish Refugee Policy" Journal of International Migration and Integration Vol. 14, No. 2 (2013), 1-19.

223 Franck Düvell, "Paths Into Irregularity: The Legal and Political Construction of Irregular Migration"

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